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Les moines au village : pour une étude des installations monastiques dans le monde rural
p. 181-202
Texte intégral
1Les moines sont omniprésents dans les campagnes médiévales, par leurs nombreux prieurés et surtout par leurs possessions foncières et religieuses (paroisses, chapelles...) : en 1464, le prieuré clunisien de Coincy (Aisne), au diocèse de Soissons, possède des biens dans cinquante-huit paroisses et présente à trente-huit cures1. Ce fait bien connu amène l'archéologue comme l'historien à développer une double problématique. D'une part, la constitution d'un corpus des installations rurales monastiques doit permettre de cerner leur nature et leur statut. D'autre part, il convient de s'interroger sur le rôle des moines dans les campagnes à travers les siècles médiévaux et modernes : sont-ils des entrepreneurs ou des rentiers du sol ?
2De belles études2 se sont intéressées à l'ordre de Cîteaux dont les granges sont célèbres. Cette organisation relativement standardisée est plus aisée à étudier car les moines cisterciens ont érigé en institution (la grange) une pratique (l'exploitation du sol). Pour les autres congrégations monastiques, en particulier celles des Bénédictins traditionnels ou moines noirs qui nous retiendront ici, cela apparaît plus flou. Les dépendances d'abbayes bénédictines sont diverses, ne serait-ce que pour les organismes gestionnaires : la grange, la cour (curtis) ou l'hôtel seigneurial ; la prévôté, le doyenné ou surtout le prieuré rural. À ces formes il convient d'ajouter les installations de production, comme les étangs, celles de transformation, comme les moulins qui sont de grosses entreprises, et celles de stockage, comme les greniers. Les nombreuses appellations retrouvées dans les textes reflètent l'incertitude des statuts. La présence d'un moine ne suffit pas, parfois, à distinguer une grange d'un prieuré3. C'est aussi une façon de poser la question de la définition du prieuré rural. Enfin, il conviendrait de replacer toute étude dans un contexte historique qui doit distinguer au moins deux périodes : celle antérieure au début du XIIIe siècle durant laquelle le faire-valoir direct est important et celle postérieure au début du XIIIe siècle, au moment où le fermage se développe sans pour autant que les moines relâchent leur vigilance, tant au niveau de leurs terres qu'à celui de leurs installations.
Les approches
3La diversité de l'objet d'étude implique l'utilisation de sources variées dans une démarche pluridisciplinaire. Bien que le potentiel archéologique soit vaste, les documents actuellement à notre disposition restent peu nombreux. Les fouilles réalisées en liaison avec les grands travaux n'ont fourni que peu d'études précises et complètes d'établissements ruraux monastiques malgré la facilité de leur repérage préalable dans les textes4 ; de même, les fouilles programmées sur ce type de sites restent exceptionnelles5. De telles opérations s'avèrent pourtant à la fois possibles et utiles comme le montre la fouille exhaustive d'une grosse exploitation agro-pastorale à Charny (Côte d'Or), dépendante de la seigneurie de Mont-Saint-Jean6. Si le programme national H 16 (Édifices et établissements religieux) défini en 19907 évoque, dans les « Perspectives », la nécessité d'étudier les activités agricoles des établissements religieux, aucune référence n'est faite sur les dépendances monastiques. Heureusement, des programmes plus restreints, dans le cadre d'un site ou d'une région, s'efforcent d'intégrer les édifices « annexes » des abbayes et des prieurés8. D'autres programmes, en général pluri-disciplinaires, peuvent s'attacher à un type d'installations – comme les moulins – qu'elles soient monastiques, canoniales ou laïques. Par ailleurs, centrées sur un espace, les opérations de prospections systématiques et d'inventaires sont en plein développement9 et fournissent déjà de précieux renseignements sur l'organisation et l'évolution des terroirs, sur les ouvrages en terre (limite de parcelles, enclos, garennes...) ou encore sur les systèmes hydrauliques. Dans le cadre des fouilles programmées de Saint-Nicolas d'Acy (com. Courteuil, Oise), le travail de prospection a permis de relever tous les éléments anciens dans le hameau d'Acy et aux abords. Il s'est agi notamment de réaliser un plan de masse de l'ensemble du complexe monastique (enclos, présence foncière des moines, habitations villageoises, installations hydrauliques...) à l'aide de plans cadastraux anciens et d'enquêtes sur le terrain (Fig. 1)10.
4L'inventaire est une démarche essentielle pour utiliser à fond les sources monumentales. Mais les instruments de recherche habituels de la carte archéologique doivent être systématiquement associés à l'étude des textes médiévaux ou d'époque moderne car le problème principal qui se pose n'est pas la localisation mais l'attribution des installations. Les vestiges médiévaux de type agricole fourmillent dans nos campagnes et il convient en les répertoriant, et avant de les analyser, d'en déterminer le caractère monastique, canonial ou laïque. Ceci établi, l'analyse monumentale fournit un apport essentiel à la connaissance des édifices agricoles monastiques, comme le montre l'étude du grenier du prieuré de Nottonville (Eure-et-Loir), dépendant de l'abbaye de Marmoutier11. L'analyse dendrochronologique (Archéolabs) place la réédification de ce bâtiment en 1481, époque où culminent, dans la région, les efforts de reconstruction agricole faisant suite à la grande dépression de la fin du Moyen Âge. L'étude monumentale, assortie des relevés en plan, en coupe et en élévation, a confirmé l'homogénéité de la construction. Les accès primitifs (porte charretière du rez-de-chaussée, du côté de la cour économique, et simple porte, du côté de la cour manoriale) ont pu être restitués, ce qui a permis de déterminer les principales circulations et la distribution de l'espace : rez-de-chaussée pour les animaux, premier étage pour les grains et second étage pour les foins et peut-être le logement des hommes (Fig. 2).
5Les sources manuscrites devraient toujours être abordées en relation avec une prospection sur le terrain. Divers types de documents offrent des descriptions plus ou moins détaillées des installations : les actes de donations ou d'échange, les visites monastiques ou celles liées à des travaux d'entretien ou de réparation, les procès qui sont nombreux pour les moulins ou bien les bornages, les dénombrements, les censiers ou les terriers12. Les listes de biens peuvent servir à établir un corpus des termes employés pour désigner la même installation, ce qui peut parfois éclairer leur sens. Certaines expressions prêtaient déjà à confusion au Moyen Âge13. Enfin, un gros travail reste à faire sur les baux, en particulier ceux de la seconde moitié du XVe siècle qui contiennent des clauses de reconstruction ou de réparation.
Essai de typologie
6Trois éléments doivent être retenus pour classer les divers types d'installations rurales monastiques : leur nature (bâtie, non bâtie), leur fonction et leur situation géographique par rapport au monastère et au village.
Les constructions situées à distance du monastère
7La plupart ont une fonction de direction ou de gestion : cellier, château, cour, « danger », doyenné, ferme, grange, grenier, hôtel, mairie, maison, manoir, métairie, prévôté, prieuré. Ce sont souvent de véritables dépendances monastiques.
8Entre 1447 et 1470, la châtellenie de Nottonville (Eure-et-Loir) a été créée pour encadrer les nombreuses seigneuries constituant le domaine beauceron de l'abbé de Marmoutier et présentant des ordres de grandeur très variables14. Le centre de chacune de ces cellules n'est jamais un château. Ce sont le plus souvent des maisons ou de simples hôtels15 rarement désignés par le terme de « manoir » : seuls, les anciens prieurés de Léthuin et de Villeau le sont. Ces derniers paraissent se composer au XVe siècle d'un logis manable, de bâtiments d'exploitation et de granges champarteresses ou dîmières, le tout édifié à l'emplacement de prieurés fondés aux XIe et XIIe siècles et protégés par de hauts murs de clôture flanqués, à Villeau, d'une petite tour percée de meurtrières circulaires16. Chacun de ces centres domaniaux est à la tête d'une ou de plusieurs seigneuries foncières et/ou banales.
9Certains prieurés avaient pour fonction première et essentielle la surveillance d'un ensemble d'exploitations pour en faciliter la gestion. C'est probablement le cas pour l'unique prieuré du monastère clunisien d'Élincourt (Oise), Vignemont, situé à égale distance de plusieurs grosses fermes des moines. De même, les Clunisiens de Contamine (Haute-Savoie) ont dû créer le prieuré de Thiez, où ils contrôlaient déjà l'église, pour faciliter les relations avec leurs importantes possessions du Val de Gets, par le col de Châtillon où les moines avaient aussi l'église. C'est à ce niveau que se place la question de la limite inférieure de définition du prieuré. Le monastère clunisien de Gigny (Jura) possédait à Saint-Jean d'Étreux un bâtiment avec chapelle, granges et vignes qu'on appelait « le prieuré du Clos Saint-Jean » mais qui était en fait un cellier faisant partie des revenus du sacristain. À la limite entre le prieuré, la simple église et la ferme, se trouve toute une série d'établissements que les textes désignent volontiers sous le terme de domus : leur fonction de direction ne fait aucun doute et, en général, ces maisons ont abrité un moine, au moins d'une manière temporaire. Dans la liste insérée dans le cartulaire de La Charité-sur-Loire (fin XVIIe siècle), Lady (com. Mormant, Seine-et-Marne) est indiqué comme une église17. Les actes du XIVe siècle ne précisent pas l'existence d'un prieuré en ce lieu mais insistent sur l'aspect de « centre d'exploitation ». En 1347, un mandement au bailli de Sens parle de la « maison » de Lady et des lettres royales de 1355 déclarent que le « lieu » de Lady relève du prieuré de La Charité18. Simple centre d'exploitation ? C'est très probable si l'on prend en considération ces textes et l'aspect général de l'établissement (Fig. 3). Mais ce dernier s'est fixé en fonction de l'église.
10On ne connaît rien, ou presque, de l'organisation et de la vie de ces espaces de gestion. Directement par l'envoi d'un des leurs ou indirectement par la nomination d'un officier seigneurial ou bien par le placement d'un fermier, les moines y exercent leur contrôle vigilant à toutes les époques. En 1310, la domus du prieuré de Saint-Sauveur de Nevers à Saint-Denis de Pâlin étant détenue par un certain Jean Troussel, les définiteurs de l'ordre de Cluny demandent au prieur de le révoquer et de désigner quelqu'un d'autre pour s'occuper de cette maison19. Les Bénédictins traditionnels ont aussi employé, comme les Cisterciens mais sur une moins grande échelle, des convers pour diriger certaines de leurs exploitations rurales. Ils sont ainsi signalés entre 1210 et 1213 dans la grange de Barbery (Oise) appartenant au prieuré de Saint-Nicolas d'Acy20. On rencontre plus fréquemment des convers directement associés au monastère et qui ont des responsabilités importantes. En 1209, des forestiers sont institués par les seigneurs des bois de Roissy sous l'autorité d'un garde général, André, conversus monachorum de Gournay (Seine-Saint-Denis)21.
11Granges, greniers ou celliers, qui sont au sens strict du terme des bâtiments d'exploitation22, peuvent aussi être des pôles de direction, lorsqu'ils sont éloignés du monastère. En 1299, un moine tient la « grange » de L'Isle d'Albeau, dépendant du prieuré clunisien d'Artas (Isère) et qui est nommée « maison » en 130023. Ces dépendances économiques font l'objet d'aménagements particuliers qui les distinguent souvent des simples constructions villageoises : avant 1189, les moines clunisiens de Longueville (Seine-Maritime) reçoivent en don l'emplacement de leur grange et totam terram intra fossatum ubi eadem grancia sedet...24.
Les constructions situées dans l'enclos monastique ou à ses abords
12Saint Benoît écrivait au chapitre 66 de sa règle : « le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve le nécessaire »25. Certaines constructions ont une fonction de stockage des grains ou d'autres produits, des instruments et du cheptel : bergerie, cellier, colombier, écurie, étable, grange, grenier, porcherie, remise. Ce genre de bâtiments est rarement indiqué dans les actes de donation, contrairement aux moulins par exemple, ce qui laisse supposer qu'ils sont le plus souvent construits à l'initiative des moines dans un but précis de rationalisation de la gestion. D'autres ont une fonction de transformation : four, pressoir.
13Les bâtiments utilitaires et d'exploitation font partie intégrante du monastère qui est un centre économique de première importance. Ils occupent en général une très vaste superficie26 et constituent souvent un second ensemble27, plus ou moins autonome, dans l'espace monastique. Séparés topographiquement du groupe religieux (bâtiments claustraux et église), ils s'en distinguent aussi par leur mode de construction : alors que les lieux réguliers sont couverts de tuiles ou, plus rarement, d'ardoises, le chaume est courant pour les toits de ces édifices.
14La bipartition est le cas le plus fréquent pour les monastères dont l'espace est bien structuré. À Autheuil-en-Valois (Oise) (Fig. 4), un ensemble imposant de bâtiments d'exploitation se situe à l'intérieur de l'enclos monastique, immédiatement à l'ouest du prieuré : il est composé d'une vaste grange de 43 m de long flanquée d'un bâtiment en retour d'équerre vers le sud, d'un colombier (Fig. 7) et d'un autre édifice allongé le long de la terrasse. Il s'organise autour d'une cour, plus vaste et plus ouverte que celle du groupe prioral28. Dans les plus petits prieurés, les bâtiments de ferme peuvent participer à l'organisation de l'ensemble prioral autour d'une cour unique (Fig. 5). Quand les terres bordent l'espace monastique, les granges et leurs annexes sont plutôt « attirées » par celles-ci et peuvent être séparées de l'enclos proprement dit29.
15Il convient, dans le cadre d'une classification fonctionnelle, de distinguer l'ensemble agricole proprement dit (la ferme, la grange et ses annexes...) des bâtiments utilitaires (pressoir, four, bûcher, ateliers...). En effet, ces derniers font partie de la vie quotidienne des moines. Dans les monastères les plus importants, alors que la ferme est souvent rejetée hors du groupe prioral et même parfois hors de l'enclos monastique30, les bâtiments utilitaires y sont insérés.
Les moulins
16Même s'il arrive assez fréquemment que des moulins soient situés à distance du monastère pour des raisons techniques31, ce sont rarement des pôles de gestion. Ils représentent cependant un investissement fort coûteux tant dans le bâti et l'outillage que dans les aménagements hydrauliques nécessaires, comme le montre l'exemple suivant.
17La première moitié du XIIe siècle correspond à un important aménagement des cours d'eau sur le terroir de Nottonville (Eure-et-Loir). Les deux moulins construits, en 1095 et en 111932, sur la Conie à hauteur de Vallière ainsi que celui de Nottonville sont destinés à la panification et accompagnent l'essor agricole du XIe siècle et les défrichements du premier tiers du XIIe siècle. Ce type de réalisation n'est pas une mince affaire et l'abbaye de Marmoutier a dû passer un contrat de co-seigneurie avec un seigneur local. La Conie n'ayant pas de débit suffisant, il n'était pas question de se contenter de roues tournant au fil de l'eau. Les moulins de Vallière sont construits en aval d'un grand étang qui constitue une réserve d'eau appréciable et celui de Nottonville est édifié à une confluence. Chaque site utilise un système de dérivation aux écluses. Le succès des défrichements et de la mise en valeur du terroir a entraîné un envasement de la rivière dans le courant du XIIe siècle qui rendit insuffisantes ces installations. Un acte de 1225 indique la construction récente de deux chaussées à Vallière destinées à barrer la rivière et à la canaliser afin d'obtenir une hauteur de chute efficace, une réserve d'eau suffisante et un effet d'entraînement acceptable pour maintenir opérationnels les moulins (Fig. 6)33. Ces chaussées et les digues sont construites en terre, renforcées de pieux et plantées d'arbres dont les racines contribuent à renforcer la structure de terre34 Dans le même temps, le lit de la rivière est creusé. Les moulins de Vallière paraissent construits en bois certainement fourni par les moines et abritent un système coûteux. De robustes pièces de bois merrain sont en effet nécessaires à la construction de la roue et des différents axes. L'emploi du fer est en général limité aux pièces qui subissent les plus gros efforts, notamment la lanterne des pignons. Enfin, les meules sont des objets de prix : vers 1114, on en estime la valeur à 20 s., soit environ la moitié du prix d'un bon cheval35.
18Quant aux moulins à vent, leur véritable essor se place au XIVe siècle et parfois même plus tardivement. La plupart des domaines de l'abbé de Marmoutier dépourvus de cours d'eau sont ainsi équipés dans la seconde moitié du XVe siècle. L’abbé Guy III Vigier le Jeune autorise la construction d'un moulin à vent sur les terroirs de Léthuin et de Bisseau en 148636. Ces fragiles moulins en bois des plateaux semblent toujours construits aux frais des preneurs, en général les meuniers. L'abbé paraît s'en désintéresser malgré le coût important des mécanismes (meules, roues et pelotes, volées et arbre tournant).
Les aménagements hydrauliques
19Indispensables au bon fonctionnement des moulins, les travaux hydrauliques font partie d'un complexe intégré regroupant plusieurs types d'installations dont les fonctions peuvent être différentes (protection, mise en valeur et production37) mais qui sont dépendantes les unes des autres, d'où les conflits mais aussi les associations entre les différents propriétaires38. L'aménagement de la vallée de la Nonette en aval de Senlis est inséparable de l'installation des Clunisiens à Saint-Nicolas d'Acy : protection (levées de terre, terrasse), drainage (canaux et viviers), utilisation de l'eau (viviers et moulins) et passage (gué) (Fig. 1).
20Associés ou non à des bâtiments, ces aménagements peuvent être issus de terrassements (canaux, levées de terre), être de véritables constructions de pierre ou de bois (certains viviers sont entièrement empierrés39) ou les deux à la fois (les étangs disposent de bondes appareillées).
21Les eaux, dans lesquelles les religieux ont toujours des droits de pêche et des pêcheries40, sont aussi utilisées pour créer des viviers41 et alimenter des étangs. En 1485, le prieur de Bonnelles (Yvelines) baille deux étangs à un bourgeois de Paris qui doit employer 60 l.t. pour les nettoyer et les peupler de poissons42.
22Ces installations nécessitent, en effet, un entretien constant. En 1283, une sentence arbitrale oblige le meunier de Dicy (Yonne) à laisser couler l'eau de l'étang du prieur pour servir deux moulins des religieux qui étaient au-dessous43. Les moines s'investissent souvent personnellement : en 1219, ceux de Lihons-en-Santerre (Somme) traitent directement avec le seigneur de Nesle au sujet de la mise en culture d'un vivier temporairement asséché44.
Les installations de protection et de délimitation45
23Il peut s'agir de fossés, de talus, de haies ou encore de murs. Certaines cultures sont presque toujours protégées : la vigne est inséparable de son clos46. D'autres lieux nécessitent des bornages et l'on conserve encore quelques bornes de pierre aux armes du prieuré de Saint-Nicolas d'Acy dans la forêt de Chantilly.
24Un article consacré aux garennes a posé fort justement le problème méthodologique concernant ces installations rurales, de type seigneurial, plutôt légères même si les levées de terre et les fossés en constituent des témoins résistants. La conclusion des auteurs encourage à des recherches systématiques : « ... nous constatons, après deux ans de recherches seulement, que le nombre d'ouvrages terrassés relevant des garennes dépasse probablement celui de tous les autres ouvrages plus ou moins morphologiquement semblables... »47.
25Dans certains petits prieurés, souvent non conventuels, l'espace économique est matérialisé : au Barlet (Pas-de-Calais), une dépendance de Saint-Wulmer-au-Bois, un enclos délimite la ferme alors que le lieu de résidence est ouvert (Fig. 8). Il arrive même que l'ensemble agricole dispose d'éléments de fortification alors que les lieux réguliers en sont dépourvus : au prieuré clunisien de Grandchamp (com. Jaignes, Seine-et-Marne), une échauguette établie à l'angle de l'enceinte contrôle la porte d'entrée vers l'espace économique. La grange fortifiée n'est, du reste, pas l'apanage des Cisterciens : celle de l'abbaye de Saint-Denis à Ully-Saint-Georges (Oise) a été flanquée de tourelles et surmontée d'un chemin de ronde à la fin du Moyen Âge48.
Des espaces agricoles monastiques
26Toute typologie schématise nécessairement la réalité. Les éléments qui viennent d'être évoqués se combinent en effet pour créer des espaces aux fonctions multiples, direction et gestion, production et ravitaillement. Ce sont ces espaces économiques – fermes, cours, granges, prieurés... – qui jouèrent un rôle de premier plan dans la mise en valeur et l'organisation des terroirs médiévaux49.
27Leur caractère monastique est marqué par certaines appellations que l'on découvre au hasard des textes et qu'il conviendrait de relever systématiquement pour mieux cerner l'importance de l'assimilation de telle ou telle installation agricole avec son propriétaire. À Sorbais (Aisne), les moines de Saint-Denis disposent d'une « cour Saint-Denis » (curtis) dénommée monasterium dans un acte de 1208. Ce terme est également employé pour un hôtel appartenant au prieuré clunisien de Saint-Nicolas d'Acy à Noël-Saint-Rémy (Oise), d'après un acte de 122750. Cela indique que ces lieux sont parfaitement structurés et bien identifiés comme étant monastiques et sous-entend la présence fréquente, sinon la résidence, de moines gestionnaires délégués. Ces centres de perception et de gestion, qui sont « prieurés » lorsqu'il y a un prieur à demeure ou en titre, revêtent parfois des aspects monumentaux. À Nottonville, une imposante poterne à deux tourelles construite vers 1475 symbolise la puissance et la prospérité de la seigneurie monastique en cette fin du Moyen Âge.
28Les espaces combinés, qu'ils soient prieurés ou simples fermes, représentent des pôles économiques de première importance dans les campagnes médiévales. La ferme du Courtillet, avec son enclos de deux arpents comprenant un manoir, un colombier, des jardins et deux viviers, et avec ses 200 arpents de terre et ses 200 arpents de pré, constituait un élément essentiel de la seigneurie foncière du prieuré de Saint-Nicolas d'Acy. Les bâtiments encore en place aujourd'hui et les cultures qui les entourent donnent une idée de l'importance de cette exploitation.
29Tout au long du Moyen Âge et même au-delà, les moines gardent l'initiative de la construction et de l'aménagement de ces espaces. Ce fait apparaît en pleine lumière au moment de la reconstruction agricole de la seconde moitié du XVe siècle et du début du XVIe siècle. En 1453, le prieur de La Charité-sur-Loire a dépensé 200 l.t. pour faire une grange et un pressoir dans le monastère ainsi qu'une « maison » à Charly (Nièvre) où le prieuré ligérien possédait d'importants biens fonciers51. La déclaration des revenus du prieur d'Aubigny (Cher) en 1521 décrit la métairie monastique installée dans le bourg et nouvellement reconstruite :
« Item une mestairie assise au village dudit Aubigny appellé Le Cellier Rouge en laquelle il y a un beau et grand corps de maison couvert de thieulles, une grange couverte de thieulles, la court et jardin joignant à icelle, et laquelle mestairie, ledit seigneur prieur a fait construire et édiffier de nouvel a ses propres deniers n'a pas long temps... »52.
30L'analyse précise des installations agricoles monastiques permet de mieux cerner le rôle des moines dans la conquête, l'utilisation et l'entretien des terroirs médiévaux. L'exemple de Gouillons (Eure-et-Loir), une dépendance de Saint-Martin-des-Champs, le montre bien tout en posant la question du statut de ce type d'installations. Entre 1079 et 1094, Rambert Cholet donne au monastère parisien une terre à Gouillons pour y installer des moines et des hôtes53. Ce bien représente l'emplacement d'au moins cinquante maisons et jardins, à gauche de l'église. Rambert concède également les hôtes déjà installés à droite avec la faculté d'en augmenter le nombre pour occuper l'ensemble du territoire. La concession est assortie de coutumes avec le four, le seigneur se réservant la vicaria et les banalités. C'est une charte de peuplement et les moines apparaissent comme des entrepreneurs de défrichement54. L'implantation de cette nouvelle dépendance est tout à fait intéressante : Gouillons se situe à 1,5 km de la voie romaine de Paris à Orléans et à 3,5 km de Léthuin, prieuré de Marmoutier. C'est un point avancé dans la Beauce chartraine plutôt dominée par la présence des moines tourangeaux, région sous le contrôle du comte de Blois. Les moines parisiens semblent bien avoir délégué un des leurs pour s'occuper de cette entreprise : un acte postérieur à 1106 indique un moine Arnaud qui tunc preerat rebus Sancti Martini apud Goelliolum et nous avons une mention, en 1143, d'un frère Hugues qui fut longtemps prieur de Gouillons55. C'est la dernière référence à un prieur pour ce lieu bien que plusieurs actes concernent encore Gouillons au XIIIe siècle : les moines de Saint-Martin reçoivent des dons, se font confirmer leurs droits, font des achats et des échanges56. En fait, la définition d'un prieuré n'est pas la même au XIIe et au XIIIe siècle. Lorsqu'un monastère veut administrer une de ses possessions foncières importantes, il envoie un moine à demeure ou, du moins, pour un temps assez long. C'est ce qui a dû se produire pour Arnaud vers le début du XIIe siècle. On peut alors se demander si son activité ne lui confère pas une sorte de fonction et il serait assimilé à un prieur : c'est certainement le cas de frère Hugues. L'organisation définitive et plus stricte de l'institution priorale au XIIIe siècle a entraîné une meilleure définition du prieuré : le Registre Bertrand reprend cet acquis en indiquant, en 1340, la villa de Gouillons parmi les dépendances de la mense du prieur parisien57.
31Ceci amène à évoquer la question de la spécificité des installations agricoles monastiques. À notre avis et sous réserve d'inventaire plus exhaustif, il existe des ensembles de cette sorte qui ne se distinguent en rien de leurs voisins laïques. Il y a même parfois des risques de confusion. Lors des fouilles célèbres de Saint-Jean-le-Froid (Aveyron)58, plusieurs bâtiments ont été retrouvés à l'ouest du prieuré mais l'archéologie n'a pas pu déterminer ce qui était propre au village et ce qui était rattaché à l'établissement de Moissac. Dans le même sens, l'établissement des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem fondé à La Salvetat de Serres au XIIe siècle, dans le cadre du mouvement de création des sauvetés59, est une organisation territoriale qui regroupe, dans le contexte d'un ensemble foncier, un établissement religieux avec son exploitation agricole. Cet ensemble, y compris l'agencement artisanal (fours à pain et autres), est largement intégré à la communauté villageoise. Il est, du reste, inclus, au XIIIe siècle, dans l'agencement territorial de la nouvelle bastide dont il fait partie, et perd son caractère religieux.
32Cette association au village est très fréquente pour les prieurés clunisiens (environ 60 % des cas) et liée à la volonté des moines de se rapprocher de l'habitat existant, qu'ils contribuent ensuite à développer et parfois à réorganiser. Lorsque l'implantation n'est pas en relation directe avec le village, le prieuré se trouve soit isolé dans la campagne, soit le plus souvent associé à un hameau monastique regroupant les familiers des moines60. Le prieuré de Crécy-en-Brie (Seine-et-Marne), établi sur la partie concave d'un méandre du Grand Morin, est associé à une vaste surface de culture qui le sépare du village de Voulangis. La prudence est toutefois de mise dans la mesure où un travail de prospection archéologique serait nécessaire pour savoir si cet établissement n'était pas, à l'origine, lié à un habitat comme le laisserait supposer son appellation primitive : Saint-Martin du Vieux-Crécy. L'isolement peut aussi résulter d'une évolution : le petit prieuré de Beaujeu (com. Ventavon, Hautes-Alpes), situé à proximité d'un col, était associé à un village, déserté à la fin du Moyen Âge. De même, les recherches prospectives ont montré l'intensité de l'occupation sur le plateau de Ganagobie (Alpes de Haute-Provence), qui est bien désert aujourd'hui61. Il apparaît donc qu'en milieu rural, le prieuré ne se trouve jamais vraiment isolé de l'habitat. Il a été très souvent attiré par lui, il a presque toujours favorisé le peuplement, il a parfois généré un nouvel habitat.
33La spécificité monastique n'est donc pas systématique et réside principalement dans l'existence complémentaire de formes propres, qui sont différentes des installations seigneuriales laïques tout en cohabitant avec ces formes traditionnelles, également adoptées par les moines. La particularité est bien entendu liée au caractère religieux de l'institution. Aucun prieuré rural n'est sans chapelle ou oratoire et l'on doit s'interroger sur l'existence de tels lieux de prière dans d'autres espaces à vocation économique primordiale comme les hôtels, les granges, les greniers, les celliers..., qui n'eurent jamais le statut prioral. Un seul exemple suffira à montrer la complexité du phénomène. La chapelle Saint-Samson, située dans la paroisse de Baron (Oise) et fondée en 1097 par l'abbesse de Chelles, est donnée, « avec les frères qui y habitent », à Cluny dès 1100 par l'évêque de Senlis. Vers 1140, l'abbé de Cluny la transmet au monastère de Nanteuil-le-Haudouin en précisant que l'église est presque réduite à néant : elle a dû être désertée par les « frères » (convers ?) peu de temps après la donation à Cluny. Qu'en ont fait les moines de Nanteuil ? En 1388, une maison « mouvant du prieur de Saint-Samson » est baillée à ferme par les religieux. L'indication d'un « prieur » est-elle une pure clause de style rappelant un état ancien et disparu ou bien le lieu de Saint-Samson est-il devenu, au XIIe ou au XIIIe siècle, un bénéfice de type prioral confié à un moine du convent de Nanteuil et nommé « prieur » ? En fait, la maison de Saint-Samson apparaît à cette époque comme une grosse ferme contrôlant une exploitation d'environ 235 arpents. Cette fonction agricole ne fait aucun doute puisqu'en 1206, le prieur et les moines de Nanteuil concèdent la « maison de Saint-Samson » et les biens qui en dépendent à Simon et à sa femme pour les améliorer. Mais le fait que ces époux sont reçus préalablement frère et sœur du monastère de Nanteuil prouve le statut particulier de cet établissement62.
34L'exemple précédent montre combien la recherche archéologique peut aider à débrouiller cette question : la fouille exhaustive du site de Saint-Samson, en déterminant l'organisation de l'espace construit et son évolution, permettrait certainement d'apprécier la nature exacte de cet établissement au cours des siècles médiévaux et modernes.
35Nous revenons donc à des problèmes méthodologiques. L'approche uniquement archéologique de la question des espaces agricoles monastiques semble aléatoire : les renseignements manquent souvent pour déterminer la fonction exacte des bâtiments ou des installations découverts et la rareté du mobilier retrouvé dans certains édifices utilitaires ou d'exploitation rend leur datation malaisée63. Seule une enquête préalable dans la documentation écrite jointe à des prospections minutieuses de terroirs choisis en fonction d'une problématique solide peut guider des fouilles sur des sites déterminés.

Fig. 1. Plan du complexe monastique de Saint-Nicolas d’Acy (Oise), d’après les travaux de F. Ligny (Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Picardie-Jules Verne).

Fig. 2. Élévation intérieure orientale du grenier de Nottonville (Eure-et-Loir, vers 1481), relevé P. Gillon et C. Millet, architecte DPLG, dessin F. Ligny (Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Picardie-Jules Verne).

Fig. 3. Plan de masse de la dépendance monastique du prieuré de la Charité-sur-Loire à Lady (Seine-et-Marne), enquête de terrain P. Racinet, dessin C. Millet.
L’église est directement associée à un ensemble agricole très vaste. La distribution des bâtiments actuels, d’époque moderne, reflète un agencement certainement plus ancien.

Fig. 4. Plan de masse de l’enclos monastique du prieuré d’Autheuil-en-Valois (Oise), travaux archéologiques P. Racinet, dessin C. Millet.
Il y a bien une bi-partition entre un espace religieux resserré autour des bâtiments religieux au sud de l’église et un espace agricole qui s’organise autour d'une vaste cour.

Fig. 5. Plan de masse du prieuré de Roinville (Eure-et-Loir), dépendance du monastère parisien de Saint-Martin-des-Champs, enquête de terrain P. Racinet, dessin C. Millet. L’église, le manoir prioral et la ferme forment un même ensemble organisé autour d'une vaste cour centrale. L’église, priorale et paroissiale, est antérieure à l’installation du prieuré ; ces deux faits expliquent sa position légèrement en retrait.

Fig. 6. Essai de restitution du site des moulins de Vallière (Nottonville, Eure-et-Loir), travaux O. Leblanc (Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Picardie-Jules Verne).

Fig. 7. Le colombier du prieuré d’Autheuil-en-Valois (XVIe-XVIIe siècles), cl. P. Racinet.

Fig. 8. Site du prieuré du Barlet vers 1600 (commune Bauilleul-aux-Cornailles, Pas-de-Calais), cl. Monastères bénédictins et cisterciens dans les Albums de Croÿ (1596-1611), Bruxelles, 1990, p. 301.
Notes de bas de page
1 Paris, BNF, Fr 12021.
2 Pour les plus récentes, on peut citer F. Blary, Le domaine de Chaalis (XIIe-XIVe siècle), Paris, 1989, qui a effectué une étude fort intéressante sur le patrimoine d'une abbaye cistercienne d'Île-de-France en analysant les diverses installations agricoles comme les granges et les celliers. Plus largement, D. H. Williams, Atlas of Cistercian Lands in Wales, Cardiff, 1990, a réalisé une vaste étude sur l'implantation cistercienne en Pays de Galles. Géographe de formation, il insiste fort justement sur le rôle des moines dans l'évolution du paysage. Pour un aperçu européen, on peut se reporter à : L'espace cistercien, L. Pressouyre (dir), Paris, 1994.
3 En 1193, Philippe, frère du comte de Beaumont-sur-Oise, donne une rente en faveur d'un moine du prieuré clunisien de Saint-Léonor résidant à Courcelles : J. Depoin, Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs, monastère parisien, 6 vol., Ligugé-Paris, 1912-1921, no 530.
4 À l'occasion de la construction de l'autoroute A 26, M. Georges-Leroy a dirigé des fouilles au Chêne (Aube) au lieu-dit « Les Prés du Prieuré » sur une surface de 1250 m2, juste à côté d'un prieuré médiéval dépendant de l'abbaye de Molesme. Sur ce site occupé depuis la Protohistoire se trouvait un bâtiment à deux nefs incomplet (5,50 m de large sur au minimum 7 m de long), des fonds de cabane, des silos, des enclos et un puits. Un lot important de céramiques des Xe-XIIe siècle a été collecté. Cette intervention, qui prouve l'intérêt des fouilles de sauvetage liées aux grands travaux, montre également la nécessité de procéder à des recherches complémentaires, notamment en archives, et à une prospection systématique car on ne sait pas, dans ce cas, s'il s'agit des installations agricoles du prieuré ou bien d'une partie de village. Cf. Archéologie médiévale, 21, 1991, p. 275.
5 Outre la fouille du Chêne évoquée dans la note précédente, le dépouillement de la « chronique des fouilles médiévales » publiée par la revue Archéologie médiévale depuis 1975 n'a permis de retrouver qu'un seul cas de fouille d'une installation rurale monastique. Il s'agit du moulin à vent d'Achicourt (Pas-de-Calais), possession de l'abbaye de Saint-Vaast en 1361 (Resp. F. Perreau, ΧΧII, 1992, p. 541-542). Si de nombreuses reconstructions, en particulier de l'époque moderne, ont pu être déterminées, la fouille des fondations de la tourelle n'a pas permis de remonter au-delà du XVIIIe siècle.
6 Les notices ne précisent pas s'il s'agit de la seigneurie du prieuré clunisien du Mont-Saint-Jean ou d'une seigneurie laïque. Les travaux de P. Beck ont permis de déterminer la configuration des bâtiments tout en cernant les divers aspects de la vie quotidienne et des structures de production. Cf. Archéologie médiévale, 10-14, 1980-1984.
7 La recherche archéologique en France (1985-1989), Paris, 1990, p. 211
8 En 1993, le Comité scientifique du Grand Site de La Charité-sur-Loire a souligné la nécessité d’une étude approfondie sur l'organisation fonctionnelle du prieuré en repérant les fonctions de bâtiments comme les hôtelleries, le cellier, le logis du prieur... Il convient cependant de dire que les premiers résultats concernent les abbayes cisterciennes, en particulier avec l'œuvre de B. Barrière autour d'Obazine ou encore avec l'analyse pertinente des bâtiments d'accueil : M. Fixot, Porteries, bâtiments d'accueil et métallurgie aux abbayes de Silvacane et du Thoronet, dans Archéologie médiévale, 20, 1990, p. 141-252.
9 Voir par exemple Panorama des prospections archéologiques en Picardie, B. Bréart (dir.), I, Amiens, 1995.
10 Un prieuré moyen de l'ordre de Cluny dans l'Oise : Saint-Nicolas d'Acy (XIe-XVIIIe siècle), P. Racinet (dir.), dans Revue archéologique de Picardie, 1991, no 1-2, p. 21-163.
11 Étude menée sous la conduite de deux architectes, P. Gillon et C. Millet, dans le cadre des fouilles programmées qui ont eu lieu sur ce site entre 1990 et 1994 : cf. Archéologie médiévale, 21 à 25, 1991-1995.
12 Le terrier de 1515, établi pour « messires les prieurs de Marcigny lez Nonnains, seigneurs dudit lieu de Sainct-Loup » (Saint-Loup-sur-Abron, commune Saint-Germain-Chassenon, Nièvre), montre à la fois la viabilité économique de ce minuscule prieuré et le maintien d'un petit domaine diversifié (AD Nièvre, H 54, no 1). Le lieu prioral a toutes les apparences d'une résidence seigneuriale : « Premièrement, les chastel, maison et place forte environnées de foussez ou d'ancienneté avoit pons dormant et pons levans et fortiffications, y compris une place en laquelle anciennement avoit une grange environnée de foussez du costé de Viry assises audit lieu de Sainct-Loup, tenant à l'église dudit Sainct-Loup ». Cette description très précise, qui offre un point de départ idéal pour une enquête de terrain, indique une transformation de l'espace aboutissant à une réduction de la fonction économique au profit de la fonction résidentielle.
13 Un arbitrage de 1151 entre les moines de Clairefontaine et ceux de Saint-Denis à propos de dîmes à prélever sur un terroir de Thiérache pose la question de la définition du terme terrae : Preterea communis usus loquendi ad quem decurrendum est in dubiis habet ut appellatione terrarum contineantur tantum terre culte... (AN L 858 (10)).
14 D'après l'étude historique réalisée par O. Leblanc dans le cadre des fouilles programmées du site de Nottonville.
15 À Saint-Pellerin, le centre de la cellule domaniale est un « dangier », une maison seigneuriale ; à Mézières-au-Perche, c’est un ensemble de maisons et de jardins appelé « la Maierie de Marmoutier » qui constitue le siège domanial ; à Sonville (com. Dangeau), c’est une métairie, peut-être fortifiée, qui abrite la grange dîmière (AD Eure-et-Loir H 2366 et 2378).
16 AD Eure-et-Loir H 2366 et 2408.
17 R. De Lespinasse, Cartulaire du prieuré de La Charité-sur-Loire, Nevers-Paris, 1887, p. 425.
18 H. Furgeot, Actes du Parlement de Paris (1328-1359), 3 vol., Paris, 1920-1975, no 7630 et R. DE Lespinasse, op. cit. à la note 17, p. 412.
19 Dom G. Charvin, Statuts, chapitres généraux et visites de l'ordre de Cluny, 9 vol., Paris, 1965-1979, II, p. 292.
20 Un acte de l'évêque de Senlis fixe à un setier de blé la portion congrue du curé du lieu sur la grange dîmeresse de Saint-Nicolas, pour son droit paroissial dû a conversis qui granchiam servant... J. Depoin, op. cit. à la note 3, no 708. On peut se demander quelle a été l'influence du modèle cistercien proche par l'intermédiaire de la grange de Fourcheray, dépendante de Chaalis et située à quelques kilomètres de Barbery.
21 J. Depoin, op. cit. à la note 3, no 677.
22 Cette catégorie montre le caractère arbitraire de toute classification trop stricte, ce qui encourage à travailler sur des espaces combinés comme nous le verrons plus avant.
23 Dom G. Charvin, op. cit. à la note 19, II, p. 138 (grangiam) et p. 157 (domus).
24 P. Le Cacheux, Chartes du prieuré de Longueville, de l'ordre de Cluny au diocèse de Rouen antérieures à 1204, Rouen, 1934, no XXXV.
25 L’absence d'un bâtiment approprié peut créer un désordre dans le monastère. En 1453, le prieur de Maresmontiers (Somme) manque visiblement de cellier puisqu'il entrepose son vin dans l'église et celui de Méricourt (Somme) a certainement besoin d'un grenier puisqu'il lui est demandé de mettre ses grains ailleurs que dans l'église : Dom G. Charvin, op. cit. à la note 19, V, p. 291-292.
26 À Saint-Leu d'Esserent (Oise), ensemble clunisien très bien organisé, les bâtiments claustraux et l'église ne représentent que 20 % de la superficie de l'enclos alors que la ferme, avec sa cour et son colombier, s'étend sur 25 % de la surface. Le reste est occupé par le logis prioral, les jardins (25 %) et divers dégagements.
27 L’ensemble agricole est souvent bien organisé. À Saint-Nicolas d'Acy, les bâtiments de la ferme s'ordonnent autour d'une cour intérieure et sont situés au bas d'une terrasse, vers la rivière. Bien qu'insérée dans l'enclos, la ferme pouvait, comme c'est souvent le cas, fonctionner d'une manière parfaitement autonome (Fig. 1).
28 À Élincourt-Sainte-Marguerite (Oise), la bipartition est parfaite et les deux ensembles, religieux et économique, sont séparés par l'église : P. Racinet, Le monastère d'Élincourt-Sainte-Marguerite (Oise), dans Revue Mabillon, no 311-312, janvier-juin 1988, p. 303-316.
29 À Pithiviers (Loiret), le centre économique (Le Petit Senyves ou « manoir du prieuré » ou « recette ») est situé sur le plateau au milieu des domaines du prieuré clunisien.
30 À Saint-Leu d'Esserent, il y a deux fermes : l'une dans l'enclos et l'autre en face de la porterie. Les deux fermes du prieuré urbain de Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois (Oise) sont situées à l'extérieur de l'enceinte urbaine sur le plateau qui lui fait face, vers le nord (fermes de Mermont et d'Azemont).
31 Deux impératifs expliquent la localisation des moulins : l'existence d'un cours d'eau au débit suffisant et avec des rives aménageables ; la proximité des lieux de production pour éviter les transports longs et coûteux.
32 E. Mabille, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, Châteaudun, 1874, no 148 et 172.
33 E. Mabille, op. cit. à la note 32, no 237.
34 Un ouvrage de ce type subsiste encore à Vallière comme dernier vestige de l'important complexe hydraulique qui s'y trouvait.
35 L. Merlet, Cartulaire de La Sainte-Trinité de Tiron, 2 vol., Chartres, 1883, no 6.
36 AD Eure-et-Loir, H 2366.
37 À Rumilly-le-Comte (Pas-de-Calais), des travaux considérables ont été entrepris. Le prieuré est installé dans un méandre de l'Aa et protégé d'éventuelles inondations par des levées de terre. Plusieurs dérivations ont été faites pour installer des moulins, pour drainer et pour constituer des réserves à poissons. Enfin, la rivière elle-même a été en partie endiguée.
38 En 1254, les religieux de La Charité-sur-Loire se plaignant de ce que Philippe de Champvoux détournait l'eau de leur moulin de Garchy, les deux parties portent l'affaire devant l'official d'Auxerre qui autorise le seigneur à détourner l'eau mais seulement s'il rétablit le moulin et à la condition de la rendre ensuite à son cours sans pouvoir l'employer à arroser les prés : R. De Lespinasse, op. cit. à la note 17, charte non numérotée du 19 avril 1254.
39 Voir notamment le double vivier de Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois.
40 À Nottonville, des pêcheries sont exploitées dans les biefs de dérivation des moulins et près des écluses ou bondes édifiées sur la Conie.
41 Plusieurs viviers, au Courtillet, à La Gatelière et dans l'enclos du prieuré, assuraient le ravitaillement en poissons des moines de Saint-Nicolas d'Acy (Fig. 1).
42 AN S 1409, no 8.
43 AD Yonne H 658.
44 Paris, BNF, Lat 5460, no 35.
45 Ces deux fonctions se confondent souvent au Moyen Âge.
46 On pourrait certainement dire la même chose du verger.
47 G. Germand, L. M. Champene, L. Fernandez, Le problème archéologique des garennes, dans Archéologie médiévale, 18, 1988, p. 239-254.
48 On connaît également l'exemple de Toury (Eure-et-Loir), centre administratif des domaines beaucerons de Saint-Denis. Vers 1122, l'abbé Suger, qui y avait été prévôt, remplaça les palissades et les clayonnages « par un château muni de bonnes murailles avec, sur la porte, une tour de défense » (Suger, De administratione, ΧII, passage cité par M. Bur, Suger, Paris, 1991, p. 107).
49 La cartographie de ces lieux permet, à chaque fois, de mesurer le poids des moines dans les campagnes. Cf. par exemple, P. Racinet, Le prieuré de Sainte-Foy de Longueville : aspects de la constitution et du développement d'un temporel monastique au XIIe siècle en Normandie, dans Commerce, Finances et Société (XIe-XVIe siècle). Recueil de travaux d'histoire médiévale offert à M. le Professeur H. Dubois, Paris, 1993, p. 417-441.
50 AN L 858(14) et S 1426, no 29.
51 Dom G. Charvin, op. cit. à la note 19, V, p. 292. Les reconstructions ou les réparations sont aussi assurées grâce à des accensements sous condition : en 1443, le même prieur avait passé un bail d'accense pour vingt ans du « sault de la vieille forge » et de l'étang de la Loge pour faire une fonderie à cet endroit. Cf. R. De Lespinasse, op. cit. à la note 17, charte non numérotée du 26 mars 1443.
52 AD Cher 4 H 800, no 1.
53 J. Depoin, op. cit. à la note 3, no 49.
54 Deux prescriptions montrent que nous n'avons pas affaire à une donation ordinaire mais bien à un contrat. La cession est faite sous la condition que les hôtes n'iront pas travailler ailleurs tant que le sol concédé suffira. Par ailleurs, Rambert maintient sa présence effective en se réservant, in dominio autem suo, deux aires dont l'une sûrement plantée en bois pour construire sa maison et l'autre pour mettre ses récoltes. Il retient également l'hostise d'un nommé Hilduin, rusticus, qui pourrait bien être son agent seigneurial.
55 J. Depoin, op. cit. à la note 3, no 66 et 268.
56 J. Depoin, op. cit. à la note 3, no 597, 597 bis, 642,1016 et 1191.
57 AN LL 1355, f. 31.
58 L. Leciejewicz, J.-M. Pesez, M. Rulewicz, S. Tabaczynski, Sur le Lévezou, l'établissement médiéval de Saint-Jean-le-Froid, dans Archéologie du village déserté, 2 vol., Paris, 1970, p. 55-93.
59 G. Manière, Un établissement des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, La Salvetat de Serres (commune de Lavelanet-de-Comminges, Haute-Garonne), dans Archéologie médiévale, 7, 1977, p. 179-227.
60 Ce phénomène peut, bien entendu, être lié au type d'habitat prédominant d'une région. S'il est dispersé, l'isolement du prieuré apparaîtra plus évident.
61 G. Barruol, M. Fixot, Ganagobie, Gap, 1986.
62 AD Oise H 2650, f. 2, 3 v, 7 v et 9 v ; H 2651 ; H 2718.
63 La fouille archéologique se heurte à deux difficultés liées à la nature même des installations. D'une part, la permanence des sites jusqu'à nos jours s'explique par l'utilisation d'énergies et de matières premières renouvelables qui rend inutiles les déplacements, contrairement à certaines installations de type industriel. L'archéologue doit donc composer avec les constructions postérieures à l'époque médiévale. D'autre part, les nombreuses reconstructions d'édifices agricoles sont rendues nécessaires à la fois par les types de construction employés, qui sont souvent légers, et par le fait qu'ils sont l'objet de destructions accidentelles ou guerrières. Les guerres jouent en effet un rôle primordial dans les destructions d'installations agricoles situées en dehors des enclos monastiques. En 1449, par exemple, les granges et la maison appartenant au prieuré de Saint-Étienne de Nevers « qui sont au dehors », corruerunt tempore guerre (Dom G. Charvin, op. cit. à la note 19, V, p. 248). Ce fait ainsi que le type de construction souvent en bois expliquent que les incendies constituent la forme majeure de destruction. Ces éléments rendent la fouille délicate tout en offrant cependant des possibilités de chronologie relative, bien utiles si l'on considère la faiblesse fréquente du mobilier retrouvé sur ces sites à vocation agricole.
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Le village médiéval et son environnement
Ce livre est cité par
- Verhulst, Adriaan. (2002) The Carolingian Economy. DOI: 10.1017/CBO9780511817083
- Le Jan, Régine. (2003) La société du haut Moyen Âge. DOI: 10.3917/arco.lejan.2003.01.0285
- Villanueva Morte, Concepción. Rodrigo Estevan, María Luz. (2022) Reutilizar y reciclar. Prácticas cotidianas y modelos de negocio en el Aragón bajomedieval. Anuario de Estudios Medievales, 52. DOI: 10.3989/aem.2022.52.1.06
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