1L'historien de l'art Arthur Haseloff avait, au début de ce siècle, sous l'égide de l'Institut Historique Prussien de Rome (ancêtre de l'actuel Institut Historique Allemand), entrepris une étude systématique des « constructions des Hohenstaufen en Italie méridionale ». Il s'était adjoint, pour ce travail, un historien des textes, Eduard Sthamer, qui avait dû, les documents de l'époque “souabe” étant rares, dépouiller surtout les Registres de Charles Ier d'Anjou, disparus depuis dans l'incendie de 1943. De cette collaboration sont sortis cinq volumes1. Les deux premiers, dus à Haseloff, sont une étude des constructions de Frédéric II en Capitanate ; dans les trois autres, Sthamer avait commencé à rassembler des textes : un volume est axé sur le statut de réparation des châteaux, qui date de la fin du règne de Frédéric II, les deux autres éditent des extraits des registres angevins ayant trait aux constructions royales d'une part en Capitanate, de l'autre dans le reste de la Pouille (provinces de Terre de Bari, Terre d'Otrante et Basilicate). Le livre de Haseloff et le premier volume de Sthamer ont fait récemment l'objet d'une édition italienne2 ; les textes publiés par Sthamer ont également été intégrés à la grande entreprise napolitaine de reconstrution des registres angevins3. En outre, après la chute du mur de Berlin, ont été découverts au siège de l'Académie des Sciences de l'ancienne D.D.R. de nombreuses autres transcriptions d'extraits des registres angevins, faites par Sthamer ; ceux qui concernent les constructions royales dans les autres provinces du Royaume de Sicile doivent être publiés.

2Or les registres angevins contenaient, certes, de nombreux renseignements sur les châteaux et domus solatiorum (résidences de loisirs) de Frédéric II, entretenus et parfois modifiés par Charles d'Anjou qui, comme son impérial prédécesseur, menait une vie passablement errante, notamment à l'intérieur de son royaume. Mais ils nous ont également laissé des informations parfois très précises sur les réalisations propres au premier roi angevin, que Sthamer n'a pas négligées. Nous avons déjà eu l'occasion de présenter les documents concernant la construction des villes neuves de Pouille (Mola di Bari, Villanova près d'Ostuni, Manfredonia dont les défenses ont été réalisées par Charles Ier)4. Le dossier le plus consistant est celui de la grande enceinte construite à la fin du XIIIe siècle à Lucera (qui est encore debout)5.

3Nous voudrions évoquer ici quelques palais construits dans les provinces apuliennes par Charles Ier, en exploitant des données contenues dans le dernier volume de Sthamer6. Le roi angevin a fait édifier des palais non pas en Capitanate, où il a hérité de Frédéric II un nombre impressionnant de domus solatiorum, mais en Terre de Bari, en Terre d'Otrante et, accessoirement, en Basilicate (où les domus frédériciennes étaient assez nombreuses). Il les a fait bâtir d'une part à l'intérieur de châteaux défensifs préexistants (Barletta, Bari, Melfi, Brindisi), d'autre part dans les deux villes neuves qu'il a créées, Mola et Villanova.

Problèmes de typologie

4Si on compare les palatia de Charles Ier aux domus solatiorum de Frédéric II, quelques constatations s'imposent d'emblée. En premier lieu, ces bâtiments résidentiels sont situés à l'intérieur d'une enceinte ; c'est évident pour ceux que Charles d'Anjou bâtit dans des châteaux ; celui de Mola doit s'appuyer à ses deux extrémités sur les murailles de la ville7, celui de Villanova doit être lié à l'enceinte de l'habitat8. Par ailleurs, dans tous les cas où on peut se faire une idée du plan (Brindisi, Mola, Villanova), il s'agit d'une seule construction rectangulaire. Ces deux faits manifestent une évidente originalité de conception de la résidence royale par rapport au modèle frédéricien.

5On sait9 que l'empereur résidait normalement dans des domus solatiorum, fréquemment peu protégées, ouvertes sur la nature, parfois flanquées d'un casale, petit habitat rural peu défendu. Même la domus urbaine de Foggia, résidence principale de l'empereur, était sans doute entourée d'un mur d'enceinte, qui ne constituait toutefois pas une véritable fortification si on admet, avec Haseloff10, que le grand porche qui en est le seul élément conservé, haut de 7,38 m et large de 3,20 m, constituait l'entrée principale qui perçait cette enceinte. D'autre part ces résidences, qui s'inspiraient du palais normand de Palerme et des grandes villas royales des alentours de la ville (Favara, Cuba, Zisa), étaient souvent formées de plusieurs bâtiments : la domus pantani Sancti Laurentii, proche de Foggia11, comprenait plusieurs bâtiments dans un parc, et Charles Ier dut y faire refaire cent portes et cent fenêtres12 ; l'enceinte de la domus de Foggia abritait, outre le bâtiment principal (appelé hospitium à l'époque angevine), d'autres constructions.

6Tel n'était toutefois pas toujours le cas. La domus située près de Gravina, encore visible, était constituée d'un bâtiment rectangulaire que bordait sur un côté une cour (ou un jardin) fermée sur les trois autres par des murs. La domus de Fiorentino, récemment fouillée par Patrice Beck, était un bâtiment rectangulaire divisé en deux salles allongées par un mur médian édifié dans le sens de la longueur13. Enfin, après sa croisade (1128-1129), Frédéric II avait édifié des châteaux, dont certains à vocation manifestement résidentielle (comme celui de Lucera et Castel del Monte) à plan central, carré ou octogonal ; dans les deux cas qu'on vient d'évoquer, les bâtiments se déployaient autour d'une cour centrale.

7Dernier point au sujet de cette évolution. Le mot palatium désignait, pendant le haut Moyen Âge comme dans la basse Antiquité, le centre administratif et résidentiel du pouvoir souverain. Le mot se raréfie ensuite en Italie méridionale. Il est parfois (mais rarement) utilisé pour désigner un château comtal à la fin du XIe et encore au XIIe siècle et traduit souvent, dans ce cas, la prétention à la souveraineté de celui à la demeure de qui il s'applique14. Au XIIe siècle, la résidence royale de Palerme, peu fortifiée et centre d'une administration complexe, est appelée palatium novum ; son enceinte enferme également des palatiola, probablement des sortes de kiosques. Mais, dans le vocabulaire officiel du règne de Frédéric II, le mot palatium n'a pas cours : les châteaux à vocation militaire sont appelés castellum, les multiples résidences du souverain, domus solatiorum même quand (dans le cas de Foggia) elles sont au centre du dispositif administratif de la monarchie ; enfin, les imposantes résidences à plan central construites après 1230 sont qualifiées de castellum.

8Le mot palatium reparaît sous le règne de Charles d'Anjou avec une acception nouvelle. On appelle désormais palatium certaines domus frédériciennes : ainsi celle de Foggia en 128115. Le mot désigne d'autre part les nouvelles résidences édifiées par le roi angevin, qui évoque couramment le palatium castri Bari, castri Brundusii, castri Baroli, castri Melfie, le palatium Mauli, Villanove ; le terme domus n'est pas complètement abandonné, mais désigne très rarement ces nouvelles constructions. Le mot palatium peut encore avoir un sens plus restreint et précis. Tous les nouveaux palais qu'on vient d'évoquer comprennent d'une part une sala, plus grande, d'autre part des camere, plus petites ; or il arrive que la sala soit appelée palatium : en 1279, à Villanova, le roi prescrit de faire unus paries, qui dividat dictam cameram a dicto palacio16 ; en 1277, il affirme vouloir réaliser palacium unum cum cameris au château de Bari17.

9Le terme antique revient donc en usage pour désigner soit certaines des domus de Frédéric II, soit les nouvelles constructions du roi angevin, qui s'inspirent certes des premières, mais s'en distinguent notamment par la protection d'une enceinte et l'adoption d'un plan rectangulaire sans fantaisie. Le palais est désormais un édifice de taille relativement restreinte, à l'organisation simple : une grande sala, une ou, en général, plusieurs camere plus petites, parfois une chapelle. Loin de la complexité du palatium de la basse Antiquité et même du haut Moyen Âge, le palais angevin est une résidence occasionnelle du souverain, pourvue d'un certain confort, qui conserve une certaine solennité, mais dont le rôle administratif se réduit à presque rien : on trouve certes des garde-robes à Brindisi et à Melfi18, mais aucun service proprement administratif n'y a sa place. Le nouveau palais tient donc plus de la domus frédéricienne, simplifiée, que du complexe organisme palatin antique.

Conditions de la construction

10L'ensemble des palatia dont il est ici question sont édifiés entre la fin des anées 1270 et le début des années 1280, soit entre la fin des derniers soulèvements pro-souabes liés à l'expédition de Conradin et la révolte sicilienne des Vêpres. Certains reprennent manifestement des projets antérieurs : en 1269 il est question d'achever les domus castri Melfie ; mais le palatium (qui manifestement en prend la place) n'est pas évoqué avant le 3 novembre 127719. De même, en juin 1277, on parle de la sala Petrolle, alors que le palais de Villanova (nouveau nom donné au site de Petrolla, où on entreprend d'édifier une ville neuve en 1277) n'apparaît à la documentation que le 19 janvier 127920.

11L'exécution des travaux est plus ou moins rapide, en dépit des objurgations du souverain. Le palais de Barletta est mentionné pour la première fois le 28 mars 1276 ; en juillet 1280 la construction semble avancée ; mais à la fin d'avril 1282 la chapelle reste à faire21. Celui de Brindisi est commencé peu après le 2 mai 1277, puisque les travaux sont déjà concédés en extallium à Rogerius de Dona Bella de Brindisi ; les travaux semblent à peu près terminés seize mois plus tard, le 22 septembre 1278 ; mais le 18 février 1279 le roi ordonne de surélever une partie de l'édifice pour y faire un troisième niveau22. Le palais du château de Bari est cité pour la première fois le 8 juin 1277 ; le 21 mars 1279 la sala est achevée, mais pas la terrasse ; le 13 juillet 1280, seule la chapelle reste à achever23. À Melfi, la décision d'édifier un palais est exprimée le 3 novembre 1277 ; près de quatre ans plus tard, le 25 juillet 1281, le roi demande qu'on le termine rapidement24, mais on verra que cette construction a suscité des difficultés particulièrement nombreuses. Quant aux petits palais de Mola et de Villanova, dont l'édification accompagne celle des murs d'enceinte des deux villes neuves, ils sont tous deux évoqués pour la première fois le 19 janvier 1279 ; celui de Villanova semble achevé (sauf la citerne) le 9 décembre 1279, celui de Mola le 13 juillet 128025. Il est possible qu'à la même époque Charles Ier ait fait entreprendre de semblables travaux dans d'autres provinces du Royaume ; mais on pense que la guerre avec la Sicile a en tout cas mis fin à cette débauche de constructions à la manière frédéricienne.

12Les textes nous permettent de saisir les grands principes de l'organisation des travaux. Du point de vue financier, deux systèmes sont employés concurremment (avec toutefois une préférence pour le premier) : l'extallium et la credentia. L'extallium est une sorte d'affermage avec versement progressif par la curia de sommes fixées à l'avance ; la credentia est la gestion directe par des représentants du roi qui perçoivent des gages.

13Avant novembre 127726, les travaux du château de Bari ont été confiés en extallium à une société de muratores de Bari, qui s'occupe dans les mêmes conditions de la construction des murailles de Mola ; mais le justicier de la Terre de Bari a nommé deux superastantes qui reçoivent des gages de la cour27. Les travaux de Barletta doivent être concédés en extallium selon une prescription du 3 juin 1277 ; mais le 10 août suivant, le roi décide que, si aucun candidat ne se présente, les travaux seront directement gérés par la cour28 ; d'où sans doute la présence d'expensores, déjà mentionnés le 28 mars 1276, et encore le 18 avril 127829. Le 27 mars 1279, Balzolinus de Lonegio (le Français Baucelin de Linais30) est nommé superastans et prothomagister des palais et citernes de Mola et de Villanova ; quelques jours plus tard, on lui adjoint (plus probablement qu'on ne le remplace par) magister Guido de Monasterio S. Iohannis (sans doute Moutiers-Saint-Jean, Côte d'Or), qui est en 1280 prothomagister operum nostrorum Brundusii31. Les murs du palais de Mola sont concédés en extallium à l'homme qui avait déjà reçu concession de la muraille de la ville32 ; mais les fenêtres du palais et la citerne sont gardées par la cour in credentiam ; une solution semblable (qui laisse hors de l'extallium non seulement les fenêtres et la citerne, mais aussi les cheminées et l'escalier) est adoptée quelques mois plus tard à Villanova33 : ce sont manifestement les parties les plus coûteuses de la construction que les extallerii refusent de prendre en charge ; on se demande si les superastantes ne sont pas précisément nommés pour surveiller les travaux réalisés in credentiam.

14Le palais de Melfi doit être, dès le début, concédé en extallium, et il l'est de fait à un juge de Melfi34, qui n'est toutefois pas responsable de l'ensemble du chantier35 ; mais six mois plus tard, le 27 août 1278, on estime qu'il n'a pas bien travaillé (les travaux ne sont toujours pas commencés) et le roi demande au justicier de Basilicate de saisir ses biens ; le lendemain, le roi nomme un prepositus operum (le vallectus Iohannes Barba) et prévoit de le flanquer d'un expensor (on est donc désormais en credentia)36 ; dès avril, on avait fourni à l'extallerius un prothomagister ou superastans en la personne du Français Baucelin (sans doute le même qu'à Mola et Villanova)37 À Brindisi, le 2 mai 1277, on l'a dit, les travaux ont été confiés en extallium à un homme de la ville, mais les fondations sont directement réalisées aux frais de la curia par les superastantes, Rogerius de Ripa et Nicola d'Ugento38. L'extallium se réduit donc souvent aux parties des murs qui ne posent pas de problème, et pour lesquelles une somme fixée sera versée par l'État, qui édicte d'autre part des normes techniques précises, on le verra.

15Quant à la conception, on retrouve à peu près partout les mêmes personnages. Le premier est le Français Pierre d'Angicourt, à qui le roi a conféré le titre de prothomagister operum curie39 Le 2 septembre 1279, le roi lui demande de visiter les travaux de Brindisi (notamment le palais en construction), de Villanova, de Mola, de Bari et de Barletta40. Plus précisément, le 11 juin 1277, on l'envoyait au château de Bari avec Jean de Toul (dont on reparlera) pour en prévoir les travaux41 ; il décide notamment de réutiliser les pierres d'un mur qu'on abat ; l'année suivante, c'est lui qui fixe la quantité de fer à acheter, notamment pour les barres des fenêtres et qui, avec Jean de Toul, s'occupe de la terrasse ; en 1280, il s'emploie à faire dans la chapelle en construction une baie semblable à celle de la chapelle du pantanum Sancti Laurentii42 Pierre d'Angicourt établit et modifie les projets du palais de Barletta43 ; il est, avec Jean de Toul, chargé de la conception d'ensemble des palais de Mola et de Villanova44 Il est également l'architecte de celui de Melfi, où toutefois il travaille avec Richard de Foggia, un Italien45 ; il apporte, seul, des compléments aux plans et veille personnellement aux travaux qui ne sont pas du ressort de l'extallerius46. À Brindisi, on ne le voit intervenir que tardivement pour l'installation du système de gouttières ; avec Jean de Toul, d'autre part, il établit les projets pour la surélévation d'une partie de l'édifice47.

16Jean de Toul est apparemment un homme de métier promu ingenierius48 ; il s'occupe souvent, avec Pierre d'Angicourt, de l'architecture générale ; mais il est plus particulièrement spécialiste des charpentes : il travaille à la couverture des palais de Bari et de Melfi49 On voit également à l'œuvre un autre spécialiste de la charpente, mais de rang probablement inférieur : Richard de Berberia (Barbaria, Verberia : peut-être Verberie, Oise), qui porte le titre de prothomagister operis carpentarie lignaminum castri Bari et castri Melfie50. Sans doute la présence, non exclusive, mais massive d'architectes et de techniciens français, qui travaillent sur plusieurs chantiers, est-elle pour quelque chose dans l'uniformisation et la simplification des formes architecturales.

Les constructions

17Les documents permettent de saisir avec une certaine précision le plan et l'élévation de certains bâtiments51 ; décrivons ce qu'ils nous en apprennent Les mesures de longueur utilisées sont la canna (environ 2,11 m) et le palmus (1/8 de canna, soit un peu plu de 0,26 m)52 ; la superficie des murs est évaluée en canne carrées (4,45 m²).

18La description la plus complète qui nous soit fournie est celle du palais de Brindisi avant la surélévation53. La sala sera longue de 10 canne (21,1 m) ; à son extrémité orientale, on édifiera deux camere identiques, chacune longue (à l'intérieur des murs) de 5 canne et 6 palmi (12,13 m). La longueur totale étant de 22 canne (46,4 m), on voit que les trois pièces sont en enfilade. De la longueur de chaque camera, on déduira l'épaisseur d'une cloison, soit 2 palmi (0,52 m). Quant à la largeur, elle sera, à l'intérieur, de 3 canne et demie (7,40 m). On voit que le bâtiment ainsi décrit, dont le palais occupera le premier étage, est un rectangle allongé de 46,4 x 7,4 m. La largeur, qu'on retrouve dans d'autres palais, est sans doute limitée par la longueur maximum des poutres : les plus longues qu'on commande sont des poutres de sapin de 5 canne et demie (11,60 m), destinées au palais de Bari54.

19À vrai dire, il semble bien que l'un des longs murs et ceux des deux extrémités existent déjà dans le château de Brindisi55 : il ne s'agit que de bâtir l'autre mur long, dont l'épaisseur sera de 4 palmi (1,04 m). C'est ce mur qui est soigneusement décrit, à l'étage. En commençant par l'extrémité occidentale, on trouve d'abord une porte large de 6 palmi (1,58 m) ; après un espace de 2 canne (4,22 m), une fenêtre double large de 6 palmi ; après un espace de 9 palmi (2,34 m), une cheminée longue de 12 palmi (3,15 m) ; un espace de 2 canne et 1 palmus (4,48 m), puis une fenêtre double aussi large que la première ; reste 1 canna libre juqu'à la cloison séparant la sala de la première camera. Dans chacune des deux camere, on fera une cheminée d'angle prenant sur chaque mur 5 palmi (1,30 m), puis, après un espace de 6 palmi, une fenêtre large de 5 palmi ; après un espace de 2 canne et 1 palmus (4,48 m), une autre fenêtre de même largeur ; reste, juqu'à la cloison ou juqu'au mur, 1 canna. Un document émis quatre mois et demi plus tard56 expose que la cheminée de la sala doit déborder, à l'intérieur, de 6 palmi (1,58 m), sans compter la place occupée dans l'épaisseur du mur ; aussi, au droit de la cheminée, le mur doit-il être renforcé, à l'extérieur, d'une épaisseur de 3 palmi (0,78 m) ; de l'épaisseur totale ainsi obtenue (7 palmi), le creux de la cheminée occupera 2 palmi, le mur 6 (il y a manifestement une petite erreur).

20Le rez-de-chaussée doit avoir une disposition en tout point semblable, y compris pour les fenêtres et les cheminées, mais à l'exception de la porte, qui doit être placée près de l'escalier. Sous le mur des camere, on construira deux arcs en tuf blanc de Corigliano (Corigliano d'Otranto, dans le Salento, à mi-chemin d'Otrante et de Nardò : il s'agit sans doute d'une pierre semblable à la pietra leccese). On fera un escalier de pierre, muni de parapets en pierre d'Olivola ; son emplacement n'est pas indiqué, bien qu'il doive évidemment arriver à la porte du premier étage ; on ajoute que les fenêtres doivent être semblables à celles du « traître Aroldus de Ripalta ».

21Quant à l'élévation, le rez-de-chaussée sera haut de 2 canne et demie (5,28 m), y compris la hauteur du plancher du premier étage ; celui-ci aura la même hauteur. La cour se charge de construire, en dehors de l'extallium, d'une part les fondations, qui seront épaisses de 5 palmi (un de plus que les murs eux-mêmes) et dont la profondeur sera déterminée par les superastantes, d'autre part le plancher du premier étage ; toutefois, l'extallerius devra couvrir ce plancher, comme celui du rez-de-chausée, de petits carreaux de terre cuite (astracare de parvis mattuncellis).

22On calcule la surface du mur à construire : 110 canne carrées ; si le mode de construction n'est pas précisé, il est toutefois spécifié qu'on utilisera un mortier comprenant un tiers de chaux et deux tiers « de sable ou de bonne terre » (arene vel bone terre) ; pour les parties en tuf ou en pierre (in elementis tuforum vel lapidum), le mortier comprendra de la chaux pour moitié. Il est probable que ce mur, comme ceux de l'enceinte et du palais de Mola, qui ont la même épaisseur, doive être fait d'un blocage entre deux parements de pierre ; mais le prix du mur est estimé à 19 tarins la canna carrée, soit plus de trois fois celui des murailles de Mola (6 tarins), dans lesquelles pourtant le taux de chaux est supérieur : peut-être la qualité de la pierre (ou la nécessité de la transporter) explique-t-elle cette différence. Pour les cloisons internes, le chiffre retenu est de 12 tarins la canna carrée, ce qui devrait donner un prix de 14 onces d'or, mais on en compte apparemment 1657. On dresse ainsi le devis complet de ce qui devra être versé à l'extallerius : 69 onces 20 tarins pour le mur extérieur, 16 onces pour les cloisons intérieures, 24 onces pour les six cheminées, 12 onces pour les douze fenêtres, 6 onces 27 tarins 12 grains pour les arcs et l'escalier, 9 onces 25 tarins pour le pavement, soit un total de 138 onces 12 tarins 12 grains (en théorie près de 2,5 kg d'or pur). Il est possible que les prix proposés, apparemment élevés, aient poussé l'extallerius à accepter de prendre en charge cheminées et fenêtres.

23Le 8 mai 127758, on indique aux deux superastantes les pièces de bois nécessaires au plancher, aux huisseries et à la charpente ; leur énumération est longue, et nous avouons ne pas comprendre tout le vocabulaire technique employé. Les poutres sont en général de sapin (trabes de abiete) : 378 en tout, dont la longueur va de 30 à 19 palmi (de 7, 80 m à 4,94 m) ; 23 poutres de chêne longues de 2 canne (4,22 m) serviront (sans doute une fois débitées) à faire 180 cantuli super quibus debent statui capita currentium ; s'y ajoutent des planches de sapin (tabule de abiete, plancones de abiete) et des tabule de simia (nous ignorons le sens de ce dernier mot), ainsi que des centre (apparemment des chevilles) ; les montants des portes seront en orme (trabes de ulmo) ; les grandes portes seront en sapin, les petites portes, les volets des fenêtres et les barres des portes en orme. On prévoit enfin d'utiliser 12000 tuiles (imbrices), et 6 salme (peut-être 7,80 m³) de chaux pour les fixer ; le prix des tuiles est estimé à 7 tarins et demi les 1000. Trois cents journées de travail de magistri seront nécessaires, au prix unitaire d'un tarin – sans compter 10 tarins pro vino magistrorum assie. Le total des travaux de couverture et d'huisseries s'élèvera donc à 73 onces 10 tarins 13 grains (théoriquement 1,32 kg d'or).

24Mais en juillet 1277 on s'aperçoit que la longueur du palais est de 24 canne au lieu des 22 prévues ; on se pose des questions sur le nombre de fenêtres à faire au rez-de-chaussée et sur leur élévation au-dessus du sol59. En mai 1278, alors que le bois n'est pas encore arrivé, se pose le problème des gouttières : on ne pourra loger les tuyaux d'écoulement qu'au-dessus de la charpente ; on en fera un à l'est sous la couverture de la dernière camera, avec une pente du nord au sud ; mais le système global sera ad duas aquas (sans doute avec deux pentes d'écoulement)60.

25Enfin, en février 1279, on décide de surélever d'un étage (soit 2 canne et demie) la partie occidentale du bâtiment, à partir de la fenêtre proche de la cheminée61 ; à l'ouest, sur une longueur de 5 canne et demie (11,61 m), on fera une camera pour le roi, fermée par une cloison de bois (castrum de lignaminibus) épaisse d'un demi-palmus (0,13 m) ; les 6 canne et 1 palmus et demi restants feront une sala. On mettra une cheminée dans l'angle de la chambre et une au milieu de la longueur de la sala. La camera, proche de la garde-robe située dans une tour du château, aura trois fenêtres doubles, larges et hautes de 6 palmi. On fera encore au troisième étage (mais la description n'est pas bien claire pour nous) une autre camera longue de 5 canne et 7 palmi (15,11 m), munie de deux fenêtres de chaque côté et d'une cheminée placée au-dessus d'une autre, ainsi qu'une nouvelle garde-robe longue de 6 palmi (12,66 m), également garnie de trois fenêtres et d'une cheminée. Toutes les fenêtres donnant sur le port seront munies de barres de fer, séparées entre elles d'un demi-pied (environ 16 cm). Un escalier de bois large de 6 palmi mènera au nouvel étage. La sala et la camera seront couvertes de bois. On envisage enfin la construction d'un « appendice » de 12 x 3 canne et demie (25,32 x 7,40 m), éclairé par dix fenêtres. Il faut trouver des pièces de bois pour le plancher : en août 1279, le roi ordonne qu'on expédie quatre des sept grosses planches de sapin qui restent au château de Bari62 ; le reste du matériau nécessaire (notamment 70 poutres de sapin longues de 4 canne) a été expédié de la Terre de Bari au mois d'août63. La fin des travaux est d'abord réclamée pour septembre 1279, puis pour le 7 novembre ; le roi recommande qu'on fasse un feu pour chasser la vapor calcis64.

26Si l'ensemble des ajouts n'est pour nous pas très clair, il n'en est pas de même, on l'a vu, pour l'état primitif du palais, que les textes permettent de reconstituer avec une grande précision.

27Les autres édifices sont moins précisément décrits. Deux cas sont assez simples : ceux de Mola et de Villanova, où les palais n'ont à tenir compte d'aucune structure préexistante. Les normes prévues à Villanova sont assez semblables à celles de Brindisi65 ; l'édifice ne sera long que de 11 canne (23,21 m, la moitié de la longueur du palais de Brindisi) ; sa largeur sera, comme à Brindisi, de 3,5 canne, les murs extérieurs seront épais de 4 palmi. Dans la longueur, on ménagera une camera de 5 canne (10,55 m), séparée du palacium (c'est-à-dire de la sala) par une cloison épaisse de 2 palmi (pris par moitié sur la longueur de l'une et de l'autre pièce). La camera possédera trois fenêtres, une par côté : deux carrate et ferrate, de lapidibus vivis, larges de 3 palmi et hautes de 4 (0,78 x 1,04 m, ce qui n'est pas grand) ; la troisième, pourvue d'une colonnette au milieu, sera haute et large de 6 palmi ; chacune sera munie d'un sedium, sans doute un banc de pierre ; la camera disposera aussi d'une cheminée d'angle. Le palacium sera muni, au milieu d'un de ses côtés, d'une cheminée longue de 10 palmi (2,6 m), qui s'élèvera au-dessus de la salle de 5 palmi (1,3 m) ; elle sera flanquée de deux fenêtres doubles (du même type que celle de la camera), une troisième perçant le mur opposé.

28Le bâtiment aura deux niveaux : un rez-de-chaussée haut de 2 canne (4,22 m), plus 3 palmi (0,78 m) correspondant à l'épaisseur du plancher ; l'étage sera haut de 2 canne et demie (5,28 m) usque ad tectum. Un escalier de tuf, large de 6 palmi, mènera à la porte de la camera, large de 6 palmi et haute de 8 (1,56 x 2,11 m) et à celle du palacium, large de 5 palmi et haute de 7 (1,30 x 1,82 m) ; la première sera placée subtus scalam, la seconde supra scalam (est-elle située plus haut ?). Enfin, une citerne longue de 10 canne, large de 3 (21,1 x 6,33 m) et de profondeur convenable (on peut aller jusqu'à 2 canne, mais il faudra éviter l'eau du sous-sol dans ce site de bord de mer66) ; une cloison la partagera en deux : 4 des 10 canne de la longueur serviront au palais, 6 à la population. On envisage enfin de prolonger un mur juqu'à la muraille d'enceinte. Quant au bois, on estime nécessaire d'acheter environ 300 poutres et des planches ; leurs caractéristiques ne semblent pas bien différentes de celles qu'on prévoit pour le palais de Brindisi.

29À Mola, le palais, toujours large de 3 canne et demie, ne sera long que de 10 canne ; le rez-de-chaussée ne sera haut que de 2 canne, l'étage de 2 et demie. Les murs, épais de 4 palmi (les fondations l'étant de 5) comporteront un blocage entre deux parements ; le mortier des parements doit contenir deux tiers de chaux, celui du blocage la moitié ; leur prix est fixé à 6 tarins la canna carrée. On sait seulement que l'édifice comprendra une sala et des camere, et qu'il sera muni de cheminées et de fenêtres, mais on ignore tout de leur distribution. Quant à la citerne projetée, on y renonce quand on s'aperçoit de l'existence d'un puits dans les environs.

30Des autres palais, édifiés dans des châteaux, on a une idée moins nette encore. À Barletta, le palais comprend sala et camere ; il est question d'ériger un mur de tuf large de 2 palmi et demi (0,65 m), d'une cheminée, enfin d'une chapelle qui aura des fenêtres au-dessus de l'autel67 ; la superficie des murs à bâtir est de 32 canne carrées (142,40 m²) et le prix de 12 tarins la canna carrée. Dernier détail intéressant : en 1281, on prescrit de poser une conduite de terre cuite (aque ductus de creta) pour envoyer vers la citerne les eaux de pluie68.

31Le palatium du château de Bari est un peu mieux documenté. Il doit comprendre une sala, deux camere, une ecclesia, avec portes, fenêtres et cheminées69. On doit édifier un mur long de 27 canne (près de 57 m), haut de 3 (6,33 m) (sa superficie est donc de 81 canne carrées) et épais de 4 palmi ; un autre mur, manifestement perpendiculaire, de même épaisseur, sera long de 4 canne et 1 palmus (8,70 m), et haut de 4 canne, car il tient compte de la hauteur des combles (picçiolum) usque ad summitatem tecti ; sa superficie est de 16 canne carrées et demie ; un troisième mur, sans doute parallèle au second, doit avoir les mêmes dimensions ; la superficie totale des murs à constuire est donc de 101 canne et 4 palmi carrés (nous comptons, en réalité, 114 canne carrées). Il est spécifié que les murs comprendront deux parements (on évoque l'utilisation de boni quatrelli, sans doute pour ces parements), dont le mortier sera composé pour deux tiers de chaux et pour un tiers de sable, et d'un blocage (çaburratura) dont le mortier ne contiendra de chaux que pour moitié. Le prix est fixé à 8 tarins 3/4 la canna carrée. Deux cloisons intérieures, épaisses de 2 palmi, seront payées 6 tarins 1/4 la canna carrée.

32La sala et chaque camera disposeront d'une cheminée ; la sala sera éclairée par deux fenêtres, chaque camera par une seule ; ces fenêtres, doubles, seront garnies d'une colonnette de pierre et d'un entourage (arcs, montants et appuis) également de pierre ; quatre portes devront également être ménagées (les fenêtres seront payées 12 onces, les portes 4). La chapelle, apparemment logée entre la sala et les camere, exigera la construction d'un mur long de 5 canne (10,55 m) et haut de 8 (16,88 m), ainsi que l'agrandissement de deux autres murs ; l'ensemble (épais de 4 palmi et d'une superficie de 91 canne carrées et demie) sera payé 8 tarins 3/4 la canna carrée, soit 26 onces 21 tarins 14 grains (théoriquement 480 g d'or) ; la chapelle disposera d'une porte large de 4 palmi (1,05 m) et de deux fenêtres hautes à encadrement de pierre.

33En 127970, le roi demande que soit construite une camera supplémentaire, contiguë au mur du palais, et que la porte soit déplacée en conséquence. En avril 128071, il décide de faire dans la chapelle une verrière (forma) semblable à celle du pantanum Sancti Laurentii ; elle sera simple, de verre blanc, sans images, et ne devra pas coûter plus de 100 onces (ce qui est déjà énorme).

34D'autre part, dès août 127772, on prescrit d'utiliser pour le blocage des murs des pierres d'un mur à détruire. En mars 127973, il est précisé que tous les planchers doivent être pavés de carreaux de terre cuite (de matuncellis coctis) ; mais on ne trouve pas de spécialistes pour les fabriquer74 : les premiers recrutés étant incompétents, on a fait appel à des Calabrais, qu'on a installés à Rutigliano ; mais ils proposent de vendre leurs carreaux au prix de 9 tarins les 1000, soit une fois et demie le tarif pratiqué à Lucera.

35Le principal problème est, à Bari, celui de la couverture. Le 8 juin 127775, le roi demande au magister salis curie in Apulia (fermier régional du monopole d'État de la vente du sel) d'importer du bois de Sclavonie (de l'autre côté de l'Adriatique) en y vendant du sel ; ce bois servira aux palais de Bari et de Brindisi, ainsi qu'à d'autres chantiers. Pour Bari, près de 1000 poutres, toutes de sapin, sont prévues ; les plus longues mesureront 5 canne et demie (11,60 m) ; les planches destinées aux portes seront d'orme, de salicone76 ou de frêne. Le bois de Sclavonie est bien arivé en mars 1278, mais les pièces ne correspondent pas à la commande ; une partie au moins de ce bois sera utilisée à Melfi, car on ne trouve pas de bois sur place77. Au mois d'août, le roi écrit au châtelain de Bari qu'il a fait acheter du bois en Terre d'Otrante, et qu'il faut aussi réutiliser le bois d'édifices détruits78 ; en avril 1279, on demande encore d'acheter trois poutres de sapin longues de 4 canne (8,44 m), ainsi que des planches de frêne ou de salicone pour les portes et fenêtres79.

36Une innovation est apparemment intervenue en juillet 127880 (peut-être à la suite du manque de bois de Sclavonie) : on nivellera tous les murs à la même hauteur, de façon à faire une terrasse (terracia) communiquant avec l'entrée du château, et surmontée d'une loggia faite de piliers de tuf et couverte de tuiles (imbrices) ; on fera appel à des spécialistes de la Terre de Labour (Campanie septentrionale). De fait, on demande au justicier de Terre de Labour d'envoyer huit magistri de Naples, Capoue et Aversa qui sciant bene facere terracias seu astracos, quatre pour Bari et quatre pour Brindisi (mais il ne semble pas que le projet ait été réalisé dans ce dernier cas) ; le 2 septembre81, on prescrit au justicier de Terre de Bari d'acheter, pour la terrasse de Bari, 360 planches de sapin longues de 3 canne, larges d'1 1/4 (6,33 x 2,64 m) et épaisses de 2 doigts, de faire fabriquer 3600 clous de fer longs de 4 doigts et 300 longs d'un demi-pied (16 cm). En novembre, le roi décide de confier la construction de la terrasse à iaconus Léon de Bitonto, un homme de la région, qui a déjà réalisé celle des Hospitaliers de Barletta ; il ne devra toutefois pas la couvrir de tuiles comme cette dernière82. De ces tâtonnements et de la difficulté à trouver des artisans spécialisés, on déduira que la couverture en terrassé, du moins d'une grande surface, est une technique mal maîtrisée, alors que Castel del Monte, édifié moins de quarante ans plus tôt, est couvert de cette manière.

37Les données concernant le palais du château de Melfi sont plus floues. On commence, en novembre 1277, par demander au justicier de Basilicate (province dans laquelle se trouve Melfi) de fournir huit scappatores lapidum (carriers), et au justicier des Abruzzes d'en envoyer quatre ; le premier devra encore trouver trente magistri muratores et des manœuvres83. On précise à l'extallerius que le mortier devra comprendre deux tiers de chaux non éteinte et que les fenêtres devront être de opere plano, cum columpnellis84 ; en avril 1278, le roi demande au secretus Apulie (fermier régional des taxes indirectes) de fournir du fer pour les barres des fenêtres85. À la requête de l'extallerius, on lui fournit un prothomagister, qui n'est autre que le Français Baucelin86. Le roi demande qu'on laisse couper du bois pour les fours à chaux et que, à défaut d'Abruzzais, on fasse venir trois scappatores de Corleto (dans le sud de la Capitanate, non loin de Melfi). Le 7 juin87, il prescrit qu'on attende son arrivée pour qu'il entérine les derniers projets de Pierre d'Angicourt : faire deux private... extra murum cortine... palacii, d'une longueur de 4 canne et d'une largeur de 2 de chaque côté, ainsi que deux cheminées et trois arcs pour séparer les camere. En juillet88, il ordonne au justicier de faire faire 10000 mattuncelli et de faire préparer du plâtre (quedam quantitas gipsi) ; ces mattuncelli, qui semblent être de vraies briques, auront pour dimensions 1 pied, 1/2 pied (0,32 et 0,16 m) et 3 doigts, comme ceux de Lucera (qu'on peut encore mesurer précisément aujourd'hui) ; ils serviront à monter les cloisons entre les camere : on doit en effet les remettre à magister Adam de Merri Gallicus, statutus super faciendis mezanellis pro clausuris camerarum (il existe en France plusieurs toponymes Merrey, Merri, Merry). On décide finalement d'en faire 12000 sur place, au même prix qu'à Lucera (6 tarins les 1000)89.

38En juillet, on évoque la construction d'une terrasse, qu'on pense confier, comme celle de Bari, à des magistri de Terre de Labour90 ; pour ce faire, le mois suivant, on demande au magister salis Apulie d'acheter 50 poutres de sapin de 3 canne et demie (sans doute la largeur du bâtiment), 50 lattoni de abiete et 40 planches, et de faire fabriquer 10000 clous91 ; la terrasse portera, comme à Bari, une loggia, ici couverte de bardeaux de châtaignier sauvage (il y en a dans la région)92 ; en septembre, on prescrit au magister salis d'acheter encore 150 poutres de sapin longues de 3 canne (6,33 m) et épaisses d'un demi-pied (0,16 m) pour faire les chabrones (chevrons ?) de la loggia93. On apprend encore, à l'occasion de travaux annexes, que le palais est flanqué d'un jardin94.

39Mais les documents permettent surtout de mesurer les difficultés rencontrées pour trouver les ouvriers et le matériel nécessaires. En août 1278, on veut faire revenir des magistri muratores de Potenza qui ont déserté le chantier95 ; on décide la saisie des biens de l'extallerius, qui n'a pas fait son travail96. Le 28 août, le justicier est chargé de trouver vingt-quatre magistri fabricatores, cent vingt manœuvres, seize carriers, douze tailleurs de pierre et des animaux pour le transport des matériaux97 ; en septembre, on lui prescrit de faire monter cinq fours à chaux et on demande aussi quatorze magistri muratores au justicier du Principat (région de Salerne)98 ; le justicier de Basilicate doit encore prêter pendant quelques jours cent manœuvres sarrasins et cent ânes99. La chaux persistant à manquer, le roi décide en février 1279 de prendre du bois dans la forêt de Lavello (ville située à 13 km au nord-est de Melfi) ; mais on y coupe de beaux arbres et on fait fuir le gibier100.

40On voit que les difficultés ne manquent pas, dans une région, il est vrai, montagneuse et située loin de la mer et des centres économiques du Royaume ; mais Melfi est proche de Lagopesole, où Frédéric II avait fait édifier, dans un site isolé, un grand palais que le roi angevin continuait de fréquenter. On a d'ailleurs dit que de semblables problèmes s'étaient posés à Bari, où le bois acheté ne correspondait pas à la commande et où certains artisans s'étaient montrés incompétents, sans parler des problèmes spécifiques de la terrasse.

41En outre, quand le résultat attendu finit par apparaître, c'est souvent hors des délais prévus. Le 22 septembre 1279, Charles d'Anjou, s'étonnant que le palais de Mola ne soit pas encore achevé, exige qu'il le soit pour le 15 octobre et demande qu'on fasse un feu à l'intérieur pour enlever l'odeur de chaux101 ; mais il doit reprendre ses exhortations au début d'octobre, annonçant qu'il viendra dans la région pour la Toussaint102 ; c'est encore en prévenant de son arrivée le 7 novembre qu'il exige qu'on achève les travaux de Brindisi et de Villanova103. Même exigence à Melfi : le 17 juin 1279, le roi demande que tout soit prêt pour son arrivée, le 6 juillet ; mais il doit encore formuler la même exigence deux ans plus tard104.

42Il semble toutefois que la plupart des projets des années 1270 aient finalement été, tant bien que mal, réalisés. Ils concernent les trois provinces méridionales de la Pouille : la Capitanate était déjà suréquipée depuis le règne de Frédéric II ; l'attrait pour la Pouille méridionale peut aussi s'expliquer positivement par la politique orientale de Charles d'Anjou : roi d'Albanie depuis 1272, roi titulaire de Jérusalem depuis 1277, il domine Corfou et gouverne en outre directement la principauté d'Achaïe de 1278 à 1289 ; il a conclu des alliances avec le roi de Hongrie et l'empereur latin de Constantinople ; or la Pouille est la région du Royaume la plus proche, notamment, de l'Albanie, de Corfou et de l'Achaïe. En outre, les massarie et haras royaux ne manquent pas dans ces provinces ; d'où l'emprise massive de la curia de Charles Ier, semblable à celle de Frédéric II en Capitanate (et, déjà, en Basilicate).

43Dans le domaine des résidences royales, comme dans celui de l'administration et de la fiscalité, Charles Ier se présente bien comme le successeur de Frédéric II105, dont il reprend le mode de vie nomade à travers le Royaume et le goût pour les résidences multiples, qu'il étend à de nouvelles régions. C'est Charles II qui fixera la résidence royale à Naples, dans le château fortifié construit par son père en bordure de la cité.

44On sait très peu de choses sur les modalités de construction des domus frédériciennes ; on voit au contraire que l'édification des palatia apuliens de Charles d'Anjou a rencontré bien des obstacles, même si certains ont été bâtis en un temps relativement court : coexistence de l'extallium et de la credentia, mauvaise volonté de certains extallerii et magistri. Mais on est surtout frappé par le fréquent manque de matériaux, notamment de bois de construction dans une région où, il est vrai, poussent peu de grands arbres, et de main-d’œuvre qualifiée : la difficulté rencontrée à propos des terracie le montre ; en matière de briques, la référence permanente est Lucera, qui disposait d'une main-d’œuvre musulmane ; on se demande, par contraste, si les musulmans n'ont pas joué un rôle significatif dans la réalisation de certaines domus frédériciennes. Enfin, les difficultés de financement sont évidentes. Il est probable que c'est la guerre consécutive aux Vêpres Siciliennes qui a mis fin à la politique débridée de constructions palatines.

45Les palatia de Charles Ier, enfin, semblent assez différents des domus frédériciennes. Ils sont, on l'a dit, abrités par des enceintes ; surtout, leur forme semble uniformément rectangulaire, même quand, comme à Brindisi, on réutilise des murs préexistants. La largeur de ces rectangles est le plus souvent de 3 canne et demie, sans doute parce qu'il était difficile de trouver des poutres d'une longueur supérieure ; la hauteur est presque uniforme. Il n'est pas impossible que, même pour la longueur, certaines normes soient préférées : le palais de Villanova est long de 11 canne, celui de Brindisi devait l'être de 22 ; s'il l'est de 24, c'est, semble-t-il, parce que la mesure de l'espace disponible a été mal prise, ou truquée au départ ; si le palais de Mola n'a que 10 canne, c'est qu'il est limité des deux côtés par le mur de la ville.

46Les éléments de confort, enfin, se limitent apparemment à la présence de fenêtres, souvent doubles, mais parfois simples et assez petites, de cheminées (on en prévoit systématiquement une par pièce), enfin, à Bari et Melfi, d'une terrasse avec une loggia. Mais les prescriptions concernant l'eau sont des plus réduites : on a vu qu'à Mola la présence d'un puits dans les environs permettait d'éviter de creuser une citerne ; on est loin des citernes suspendues de Castel del Monte fournissant de l'eau courante dans le château. Sans doute certaines techniques de pointe, notamment d'origine arabe, ont-elles été oubliées. Plus étonnante de la part d'architectes français est l'absence de couverture en voûtes d'ogives, qui était systématiquement utilisée dans les châteaux frédériciens à plan central : on peut évoquer un souci d'économie, qui pourrait également expliquer l'uniformité du plan et de la forme des fenêtres. Les palais angevins ont un aspect standardisé qui aurait dû en faciliter la construction ; mais cela ne supprimait ni les difficultés financières, ni les lacunes techniques signalées.