1Les universitaires s’appuyèrent largement sur le Parlement pour défendre leurs droits et s’affirmer comme corps dans la société française des XIV^e et XV^e siècles. Au départ de l’étude de cette question, il s’impose de dégager les raisons qui les incitèrent à s’adresser à cette cour, ainsi que la nature et l’étendue des droits et privilèges qu’ils venaient défendre au Parlement. Nous mesurerons ensuite l’importance que les universités accordèrent au Parlement pour la défense de leurs droits en examinant les stratégies qu’elles déployèrent pour s’assurer du succès de leurs procès. Nous évaluerons également les ressources financières qu’elles étaient prêtes à y investir. Mais si les universités allèrent si souvent au Parlement, n’était-ce pas qu’elles y recevaient un accueil plutôt favorable ? Nous découvrirons l’attitude de l’autorité publique à leur égard en analysant le comportement du procureur du roi dans leurs causes. Celui-ci leur fut plutôt favorable pendant une très longue période, mais il commença à manifester une certaine impatience à leur endroit à partir du milieu des années 1420. Nous retrouverons cette même attitude chez le procureur du roi à Poitiers. Nous terminerons avec l’examen des causes soumises au Parlement de Poitiers, à l’époque du royaume de Bourges, mettant en relief certaines tendances déjà notées, à côté de l’existence de traits propres à ces procès débattus à Poitiers.

1. L’emprise croissante du Parlement sur le monde universitaire

2Beaucoup de confusion entoure encore la question des motifs qui amenèrent les universitaires devant le Parlement. F. Aubert rappelle qu’au XIII^e siècle ils relevaient en tant que clercs des officialités. Au siècle suivant, leurs affaires pouvaient se retrouver au Parlement soit parce qu’on en appelait de la sentence du prévôt devenu entre-temps leur juge ordinaire au civil, soit en vertu de l’extension de la compétence de la cour à des matières ecclésiastiques. F. Aubert ajoute que les membres de l’Université de Paris « obtinrent même de Charles VI de faire juger leurs causes directement au Parlement », en invoquant une ordonnance du 26 avril 14121. Cette ordonnance est précisément celle qui affirmait la compétence exclusive du Parlement dans tous les conflits au sujet des bénéfices accordés durant la soustraction d’obédience, en particulier au profit des universitaires2. On ne peut suivre F. Aubert quand il en élargit la portée à l’ensemble des litiges universitaires. J. Favier donne une image plus juste de la réalité lorsqu’il décrit ainsi la situation juridique de l’Université de Paris à la fin du Moyen Âge : « justiciables du Châtelet pour leurs affaires civiles, les écoliers l’étaient de l’officiai pour les crimes et délits, du recteur pour leurs différends universitaires et, pour les affaires bénéficiales, d’un vice-gérant des conservateurs des privilèges apostoliques, lesquels étaient trois évêques désignés par le pape »3. Il ajoute que le Parlement pouvait intervenir soit comme cour d’appel des sentences du prévôt de Paris, soit afin de régler les nombreux conflits de juridictions découlant de la grande complexité juridique du monde universitaire.

3Notre propre analyse de plusieurs centaines de causes a révélé des cas pour lesquels il est difficile de déterminer avec certitude pourquoi certaines affaires parvenaient au Parlement de Paris. Les motifs n’apparaissent en effet pas toujours clairement dans les sources. En réalité, c’est un faisceau de raisons juridiques et de considérations institutionnelles ou sociologiques qui explique de façon satisfaisante le recours croissant des universités au Parlement de Paris à partir du XIV^e siècle. L’enchevêtrement des pouvoirs des tribunaux médiévaux, laïques et ecclésiastiques, avait pour conséquence qu’il n’était pas rare qu’une même cause fût recevable par plus d’un tribunal. Ultimement, l’aptitude d’un tribunal de juger une affaire se fondait sur la volonté des parties de lui soumettre leur litige et sur le fait que la cour choisie s’estimait apte à en juger4. Il n’est pas alors surprenant que la compétence d’un tribunal sur certaines matières ait pu évoluer, comme c’est le cas du Parlement à l’égard des affaires universitaires. Examinons tout d’abord les raisons juridiques, les unes tenant à la nature des privilèges des universités, les autres à l’évolution générale des rapports du Parlement avec les juridictions ecclésiastiques, qui rendirent cette cour compétente dans des matières toujours plus nombreuses relatives au monde de l’étude.

4Les recours au Parlement étaient d’abord motivés par les privilèges royaux attribués aux universités. La défense de ces privilèges relevait en premier lieu de celui que le roi désignait comme le conservateur des privilèges royaux des universités, c’est-à-dire le titulaire de la justice royale dans la ville universitaire. À Paris, cette responsabilité incombait au prévôt qui jugeait ces causes à la cour du Châtelet, alors qu’à Orléans ce rôle appartenait au prévôt et au bailli local, qu’à Angers il était confié au sénéchal ou au prévôt d’Angers, et à Poitiers au sénéchal de Poitou5. Les conservateurs royaux pouvaient donc juger, en première instance, les litiges relatifs aux privilèges universitaires.

5Le roi conservait toujours ses droits en matière universitaire lorsqu’une ville passait sous l’autorité d’un prince apanagé. Ainsi en fut-il à Orléans qui, depuis longtemps ville du domaine royal, fut, pour une première fois de 1344 à 1375, ville d’apanage6. Peu de temps après l’avoir confiée à son fils Philippe en 1344, le roi Philippe VI prit soin de préciser que les privilèges royaux y avaient toujours cours7. Orléans fut à nouveau ville d’apanage à partir de 1392. À cette occasion, Charles VI se réserva la garde de l’Université8. Angers connut le même sort. Sauf en de rares périodes, l’Anjou faisait partie de l’apanage de l’un ou l’autre des princes de sang, depuis Louis IX qui donna ce domaine à son frère Charles en 1246, jusqu’à la fin de la période que nous étudions9. Cette situation n’empêcha nullement les rois de France d’intervenir dans les affaires des écoles d’Angers à partir du XIV^e siècle. C’est par exemple à la demande du duc d’Anjou que Charles V confirma les privilèges du studium d’Angers en 136410. Ce sont autant d’indices qui montrent la nature régalienne du droit de légiférer en matière scolaire. En revanche, selon la situation qui prévalait, le conservateur des privilèges royaux était un officier, tantôt royal, tantôt ducal, ainsi que l’illustre la confirmation des officiers ducaux comme gardiens des privilèges de l’Université d’Orléans en 134611. Le prince apanagé était habituellement institué lieutenant du roi et ses officiers avaient également pour tâche de faire respecter le droit royal. La compétence du Parlement n’était pas non plus entamée, puisque les universités tenaient leur droit du roi et que le droit d’appel au Parlement était normalement maintenu dans les apanages12.

6Le Parlement recevait aussi les plaintes relatives aux écarts de conduite des officiers royaux dans l’exercice de leurs fonctions. De telles fautes, considérées comme des cas royaux, justifièrent l’introduction en première instance de nombreuses causes universitaires. Assez souvent, les prévôts de Paris ou d’Orléans et leurs sergents étaient amenés à user de la force contre les universitaires, voire à les emprisonner, pour faire régner l’ordre dans la ville. De telles interventions allaient à l’encontre des libertés des universités garanties par les privilèges royaux. Invariablement, celles-ci s’adressaient directement au Parlement ou au roi pour faire sanctionner la conduite des officiers délinquants. Un autre motif de plainte à l’égard des gens du roi tenait au privilège des universitaires de ne pas pouvoir être cités en justice en dehors de leur ville d’étude. Les conflits furent nombreux avec les instances bailliagères, en particulier avec l’Échiquier de Normandie, qui voulaient se saisir de litiges normalement de leur compétence, mais qui devaient être plaidés à Paris, à Orléans, à Angers ou à Poitiers, parce que l’une des parties était un universitaire. De tels conflits de juridictions entre les justices royales relevaient normalement du Parlement13.

7La multiplication des causes universitaires au Parlement durant le XIV^e siècle s’explique aussi par l’extension des compétences des tribunaux royaux au détriment des cours ecclésiastiques14. Rappelons que les universitaires étaient concernés surtout par trois avancées à ce niveau du pouvoir royal. L’une est l’affirmation de la compétence des tribunaux du roi sur toutes les matières réelles, c’est-à-dire sur tout ce qui concerne les biens, même lorsque les intéressés étaient des clercs. Ainsi, de nombreux cas de succession, d’entretien d’immeubles ou de possession de droits seigneuriaux, impliquant des universitaires ou des collèges, pouvaient-ils remonter un jour jusqu’au Parlement. La sauvegarde royale, dont bénéficiaient plusieurs institutions religieuses, constituait un autre motif d’intervention du tribunal laïque dans les affaires ecclésiastiques. Enfin, les universitaires furent touchés par l’élargissement progressif de la compétence des tribunaux royaux aux questions bénéficiâtes. Ne s’occupant au départ que des causes relatives aux bénéfices dont le roi était le collateur, ou qui avaient été attribués en temps de régale, le Parlement finit par accepter tous les litiges touchant la possession de bénéfices ecclésiastiques15. De plus, à partir de la soustraction d’obédience, les ordonnances royales sur l’attribution des bénéfices se multiplièrent, jusqu’à la Pragmatique sanction de Bourges de 1438. Toutes ces raisons font qu’un très grand nombre de causes bénéficiales se retrouvèrent devant le Parlement à la fin du Moyen Âge. L’extension de sa compétence aux droits ecclésiastiques amena également le Parlement à arbitrer les conflits de juridictions entre les justices ecclésiastiques. Les universitaires utilisèrent cette voie pour contester devant le Parlement la compétence des officialités diocésaines sur des questions les concernant. À la fin du XIV^e siècle, on plaida aussi en cas de saisine l’exercice de droits académiques.

8Les ecclésiastiques trouvaient avantageux de soumettre leurs litiges aux tribunaux laïques afin d’obtenir l’aide du bras séculier pour faire respecter la sentence. Le cloisonnement entre les juridictions du roi et celles de l’Église avait pour effet que le pouvoir royal n’intervenait habituellement dans les affaires religieuses que si ses propres tribunaux en avaient été saisis. Ce principe dut s’affirmer assez tôt, comme le suggère cet événement exemplaire de la Vie de saint Louis raconté par Joinville. Aux archevêques et évêques qui demandaient que les prévôts et baillis obligent les personnes excommuniées depuis plus d’un an à se repentir, le roi répondit qu’il l’ordonnerait volontiers, pourvu « que on li donnast la congnoissance se la sentence estoit droituriere ou non »16. L’appui du bras séculier pouvait aussi s’avérer utile pour la prise de possession ou pour la conservation d’un bénéfice. C’est ce que suggère l’Art notarié de la chancellerie royale, compilé en 1427 par Odart Morchesne. Dans son chapitre regroupant les modèles de lettres royales à propos des questions bénéficiales, on en remarque deux montrant que les baillis et les prévôts royaux pouvaient intervenir pour maintenir le titulaire d’un bénéfice dans sa charge contre un prétendant ou pour installer un nouveau titulaire17. La recherche de l’aide du bras séculier fut sans doute un autre facteur qui incita les ecclésiastiques, dont les universitaires, à soumettre plusieurs de leurs litiges au Parlement.

9Le Parlement remplit encore deux autres fonctions importantes qui conditionnent ses rapports avec les universités18. Tôt dans son histoire, il devint un lieu de lecture publique et d’enregistrement des ordonnances. À partir du milieu du XIV^e siècle, nombre d’ordonnances, mais pas toutes, lui étaient transmises pour être transcrites dans des registres particuliers affectés à cette fin19. Parallèlement, le Parlement développa son droit de remontrance, c’est-à-dire de critique et de suggestion de corrections à apporter aux ordonnances, droit qu’il exerça de façon particulièrement active à partir du règne de Charles VI. Ce pouvoir intéressa parfois l’Université de Paris, soit qu’il s’agît d’enregistrer des confirmations royales de ses privilèges, soit qu’elle voulût faire entériner par le Parlement certains de ses avis adressés au roi pour le bien de la chose publique, comme il arriva au début du XV^e siècle. En second lieu, le Parlement garda toujours une responsabilité de conseil et devint le lieu des grandes discussions politiques et religieuses qui agitèrent le royaume, déjà sous le règne de Charles V, mais surtout à l’époque de Charles VI. Au début du XV^e siècle, l’Université de Paris participa à plusieurs de ces débats, dont nous retrouvons la trace dans les registres du Parlement.

10Enfin, aux motifs juridiques et institutionnels qui conduisirent les universitaires à multiplier leurs recours au Parlement de Paris, s’ajoutent certaines considérations sociologiques qui purent influencer leur comportement. Le Parlement était composé de membres qui pour une moitié, ou davantage, étaient des clercs, et le reste des laïcs20. Formé de représentants des deux grandes composantes de la société, il était en mesure d’examiner les problèmes des uns et des autres dans leur globalité. Le témoignage d’un certain Jean de Ribemont, qui conseilla à la commune de Saint-Quentin d’éviter de soumettre ses litiges à cette cour, suggère même une certaine montée en puissance des clercs au Parlement dès la fin du XIII^e siècle : « car li clergiés en la court le roy est au desseure, et vous i estes au-dessous »21. J.-P. Royer a souligné que ce sont les clercs eux-mêmes, tant à titre de plaideurs que de membres du Parlement, qui contribuèrent à l’élargissement des compétences de la cour à un si grand nombre de matières ecclésiastiques22. Ajoutons que le Parlement regroupait des membres qui, sans doute pour la plupart, avaient étudié à Paris, Orléans ou Angers23. L’avocat de l’Université d’Orléans ose même une fois le rappeler, au début d’une plaidoirie prononcée le 9 juin 1444 : « Luilier pour les demandeurs dit que l’Université d’Orleans, de toute ancienneté moult noble, et ceulx qui ont gouverné la justice de ce royaume communement y ont est é instruiz »24. Le serment prêté par l’étudiant à son université l’engageait pour la vie ; lorsque des universitaires soumettaient leurs litiges au Parlement, ils choisissaient des confrères comme juges25. De leur côté, les gens du Parlement devaient être soucieux d’étendre l’emprise du pouvoir royal sur des institutions dont dépendait pour une bonne part la formation des grands serviteurs du royaume26.

2. L’objet des litiges soumis au Parlement

11Quelle était la nature des litiges que les universités soumettaient au Parlement de Paris ? Parmi les 633 affaires universitaires que nous avons relevées, on peut déterminer l’objet contentieux de 529 procès, tandis que 104 cas demeurent inclassables. En effet, à plusieurs reprises, l’objet du litige n’est pas évoqué par le greffier du Parlement, soit que la requête adressée au Parlement porte sur un point de procédure, soit qu’il s’agisse de l’enregistrement d’un appel par écrit, soit enfin qu’il y ait ajournement, défaut, ou permission de s’accorder sans plus. Examinons le Tableau V qui résume l’état de la question.

12Les procès universitaires se partagent entre sept catégories. Intégrité de la personne, qui rassemble près du tiers du corpus, concerne les assauts physiques contre des universitaires (violence, blessure et mort), les injures et les diffamations, les séquestrations, les rançons et les emprisonnements. La seconde catégorie, Matières réelles, d’importance égale, englobe tous les litiges au sujet de biens fonciers et immobiliers, de revenus, d’héritages et de droits seigneuriaux. La troisième, Exemptions fiscales et privilèges commerciaux, se rapporte aux litiges à propos des exemptions de tailles, de tonlieux, voire de décimes dont jouissaient les universitaires, ou à propos de leur privilège pour l’achat du parchemin. Un nombre élevé de causes regroupées sous Bénéfices ecclésiastiques concerne le débat entre deux opposants, dont l’un au moins était un universitaire, qui soutenaient leur droit respectif à la possession d’un même bénéfice ecclésiastique. Les procès classés sous Fonctionnement interne des universités ont pour objet le régime des études et les rapports des universités avec le chancelier ou le maître-école de la cathédrale. Ils témoignent d’avancées importantes de l’autorité royale dans des domaines qui relevaient normalement de l’Église. Un petit nombre d’affaires sont regroupées sous la rubrique Matières ecclésiastiques. La plupart n’ont pas trait aux intérêts universitaires immédiats. Il s’agit soit de conflits de juridiction impliquant un tribunal ecclésiastique et une cour laïque, soit de procès découlant de la soustraction d’obédience au moment du Grand Schisme. Dans tous les cas, l’Université de Paris, et elle seule, était présente à titre d’autorité en matière de la foi. Enfin, la catégorie Divers regroupe des causes atypiques, souvent assez peu intéressantes pour notre propos, mais qu’il nous faut tout de même comptabiliser.

13Les procès impliquant des collèges se classent en deux catégories. Une majorité concerne des matières réelles. Les collèges étaient des institutions richement dotées en patrimoines immobiliers et fonciers. Leurs litiges sont nombreux au sujet de rentes non payées ou d’héritages à toucher. Quant aux procès relatifs au fonctionnement interne des collèges, ils portent pour l’essentiel sur l’attribution de bourses ou sur la possession de l’office de maître d’un collège. Leur nombre est un peu gonflé par les seize causes impliquant le collège de Navarre, au milieu du XIV^e siècle.

14Les différents types de procès universitaires n’apparaissent pas tous selon une même chronologie, ni selon les mêmes modalités. Certaines causes ne s’expliquent que par une évolution de la doctrine juridique, alors que d’autres apparaissent davantage liées aux circonstances historiques ou au milieu d’implantation d’une université. Reprenons les différentes catégories de procès en faisant les remarques qui s’imposent.

15Plusieurs procès plaidés par les universités ont trait à la défense de l’intégrité de la personne. Le milieu universitaire n’échappait pas à la violence inhérente à la société de l’époque27. La plupart du temps, ces litiges étaient soumis à la cour parce que la sauvegarde royale ou le privilège des étudiants d’échapper à la prison laïque avaient été bafoués. On relève plusieurs causes que les universités d’Orléans et de Paris poursuivirent à ce sujet. Si, par certains aspects, la situation dans les deux villes semble proche, par d’autres elle diffère passablement. Dans les deux villes, les sergents royaux étaient la cible des mêmes poursuites ; on les accusait de trop souvent brutaliser les universitaires28. L’Université d’Orléans se distinguait cependant par ses procès avec l’ensemble des habitants de la ville ou avec des particuliers qui se livraient à des actes de violence contre des étudiants29. Celle-ci connut en effet plus que sa part de conflits avec son milieu urbain. Les premiers affrontements se produisirent dès le XIII^e siècle, avant même que l’institution n’obtînt son statut d’université. Entre 1316 et 1320, l’Université s’exila même à Nevers. Elle n’y trouva pas davantage la paix, puisqu’on la retrouve en procès au Parlement avec les habitants de Nevers, en 1319-1320 puis en 1328, à cause de violences commises à l’endroit d’étudiants30. L’opposition entre l’Université d’Orléans et la ville se perpétua sous diverses formes tout au long du Moyen Âge31.

16De tels conflits semblent moins importants à Paris et impliquent généralement moins d’habitants. Dans la capitale, l’opposition se catalysait plutôt autour du prévôt, parce qu’il occupait une fonction de tout premier plan dans l’administration royale et que la politique colorait parfois son action. L’Université de Paris poursuivit quelques luttes épiques contre des prévôts, dont deux firent l’objet de longs débats au Parlement. La première l’opposa, en 1380, à Hugues Aubriot qui était intervenu violemment avec ses sergents, lors d’une bousculade entre des universitaires et des membres de l’évêché, à propos du rang protocolaire des uns et des autres dans le cortège funéraire de Charles V. L’affaire lui coûta son office32. Le prédécesseur d’Aubriot, Jean Bemier, avait aussi connu de sérieuses difficultés avec les universitaires en 1364-1366, mais l’Université s’adressa plutôt directement au roi pour obtenir justice et obliger le prévôt à jurer de respecter les privilèges universitaires33.

17En 1407, une autre affaire, également célèbre, opposa l’Université de Paris à Guillaume de Tignonville, poursuivi pour avoir jugé et condamné à la peine capitale deux étudiants, au mépris du privilège des universitaires de n’être jugés que par l’Université ou l’évêque de Paris. L’exécution avait eu lieu le 26 octobre 1406. L’Université s’adressa au roi pour que justice lui soit rendue. Le prévôt fut remplacé par Pierre des Essarts, le 5 mai 140834. Le 16 mai suivant, eut lieu la cérémonie de dépendaison des deux cadavres qui furent ramenés en procession jusqu’à la cathédrale pour le service funèbre35. Comme l’affaire Aubriot, qui se déroula sur l’arrière-fond du Grand Schisme, la querelle avec de Tignonville avait aussi des motifs politiques : le prévôt appartenait au parti Orléanais et il avait tenté, quelques années auparavant, de protéger Charles de Savoisy contre la fureur de l’Université36. L’Université obtint sa condamnation au moment où les Bourguignons avaient repris le pouvoir. Mais plus choyé par la fortune qu’Aubriot, de Tignonville continua sa carrière comme président de la Chambre des Comptes37. Une seule fois, le 12 février 1323, l’Université d’Orléans poursuivit pour violence un ancien prévôt de la ville, Nicolas Trouillart, et deux sergents, qui furent condamnés ; mais cette affaire n’eut pas du tout l’ampleur des causes parisiennes38.

18Ces litiges, amenés au Parlement parce qu’ils mettaient en cause la sauvegarde royale des étudiants, disparurent pratiquement après le début du XV^e siècle. Si l’on partage en deux les 633 causes de notre corpus, on constate que la moitié des causes fut plaidée entre 1304 et 1405, et l’autre moitié entre 1406 et 1448. Cependant, les trois quarts des 69 procès qui invoquent la sauvegarde enfreinte se déroulèrent avant 1406. Tout porte à croire que, durant les périodes très troublées par les conflits entre Armagnacs et Bourguignons et par la domination anglaise de Paris, la sauvegarde royale des personnes perdit de son sens. L’exemple extrême de l’inadéquation d’un tel privilège en période de guerre civile demeure le sac du collège de Navarre, en 1418, lors de l’entrée des Bourguignons dans Paris. De grands lettrés, comme Jean de Montreuil, Gontier Col et Laurent de Premier fait, perdirent la vie au cours de ces événements39. Rien de tout cela n’a laissé de trace dans les archives du Parlement, bien que le collège de Navarre fût une fondation royale.

19Aux procès touchant à l’intégrité de la personne, il faut associer les affaires où l’Université de Paris intervint pour faire libérer l’un des siens des prisons du Châtelet ou de celles de l’évêque, ou pour empêcher que les autorités épiscopales ne se saisissent de l’un de ses membres40.

20D’autres procès opposent directement les universités ou parfois leur conservateur apostolique, à leur évêque ou à celui d’un autre diocèse, au sujet du droit de juger et d’emprisonner les étudiants41. Les problèmes liés à l’emprisonnement des étudiants se répètent tout au long de la période que nous étudions.

21La plupart des procès touchant des matières réelles émanent d’universitaires procédant à titre personnel ou de collèges. Très peu traitent des intérêts économiques des universités elles-mêmes, car celles-ci disposaient de revenus modestes et ne possédaient pas de patrimoine important. Les quelques causes réelles plaidées par des universités seules concernent des intérêts financiers modestes. Le 10 septembre 1378, l’Université d’Orléans poursuivit Antoine de Marin, Lombard, qui n’avait pas acheminé à Rome trois cent neuf florins, payables sur une somme que lui avait versée l’Université42. Le 27 janvier 1385, les registres du conseil rapportent une bien curieuse affaire43. L’Université et la Nation française se retrouvèrent en conflit avec les exécuteurs de la succession de feu M^e Jacques de Paneillon, jadis bedeau de la Nation, à propos de la verge de la Nation. On comprend que celle-ci avait dû coûter soixante-dix francs, dont cinquante avaient été fournis par le défunt roi Charles V et le reste sans doute par le bedeau lui-même. Le Parlement convint que la somme donnée par le roi appartenait à la Nation. Il offrit donc à celle-ci le choix de reprendre la verge et de verser vingt francs à la succession, ou de laisser la verge aux héritiers moyennant une compensation de cinquante francs de leur part au profit de la Nation. On ne sait quelle solution fut retenue, mais cette cause illustre que les universités venaient parfois au Parlement pour des affaires qui nous semblent bien bénignes.

22La plupart des 120 procès concernant des matières réelles furent soumis au Parlement en vertu du privilège universitaire de ne pas plaider en dehors de leur ville, le jus non trahi44. On constate que parmi ces causes, 60 % furent débattues après 1406. Il existe donc un certain déplacement des sujets de litige, entre le XIV^e et le XV^e siècle, de la sauvegarde royale des personnes au droit de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude. Ce privilège royal fut d’ailleurs le premier contesté à mesure que l’on avance dans le XV^e siècle. À partir du milieu des années 1420, il arriva même que le procureur du roi affiche des réticences sérieuses à son sujet.

23Les universités défendaient avec la même vigilance les privilèges fiscaux et commerciaux de leurs membres45. La résistance aux impôts urbains conduisit quelquefois l’Université d’Orléans au Parlement46. S’ajoutant aux causes reliées à la violence physique, ces litiges fiscaux témoignent des tensions constantes entre l’Université d’Orléans et les habitants de la ville. En quelques occasions, des universitaires parisiens vinrent défendre leur droit de faire entrer librement des denrées dans la ville, mais ces accrochages ne donnèrent lieu à aucune crise grave entre les habitants de Paris et l’Université, contrairement à ce qui fut le cas à Orléans. Il faut rappeler que de telles causes pouvaient aussi être débattues devant la Cour des aides qui apparaît à l’extrême fin du XIV^e siècle. Les sources parlementaires ne témoignent sans doute pas de l’ampleur réelle des conflits occasionnés par les privilèges fiscaux des universitaires47.

24L’Université de Paris se préoccupa également de la levée des décimes ecclésiastiques. Parfois, elle la soutint ; ainsi le 25 juin 1409 contre l’archevêque de Rouen, Louis de Harcourt, qui refusait de s’y soumettre ; mais plus tard, le 21 juillet 1435, elle s’y opposa lorsqu’on pressa ses membres d’y contribuer48. Le 11 septembre 1406, l’Université s’était aussi jointe au procureur du roi, Denis de Mauroy, et au duc de Berry, pour faire cesser la levée de la décime par les collecteurs de Benoît XIII, dans le royaume et le Dauphiné, au moment de ce que l’on a appelé parfois la seconde soustraction d’obédience49.

25Les questions bénéficiales sont presque toujours introduites par des individus qui, à l’occasion, pouvaient recevoir l’appui de leur université. On sait qu’au cours du XIV^e siècle, le Parlement étendit de plus en plus son emprise sur les conflits entourant la possession d’un bénéfice. Les causes bénéficiales concernant des gens d’étude s’y retrouvèrent donc au même titre que les autres. On n’en relève qu’une qui fut plaidée par une université seule. Le 13 décembre 1423, l’Université de Paris défendit son droit de patronage sur l’office de curé à l’église Saint-André-des-Arts à Paris. La cause fut soumise à la cour en première instance et, selon l’usage, elle fut plaidée « en cas de saisine et de novelleté »50. L’Université possédait en effet des droits sur un certain nombre de bénéfices parisiens qu’énumère Robert Goulet dans son Compendium, parmi lesquels la cure, enjeu du litige, ainsi que celles de Saint-Côme-et-Saint-Damien et Saint-Germain-le-Vieux, qui sera l’objet d’un autre procès un peu plus tard51. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés avait cédé à l’Université son droit de patronage sur Saint-André-des-Arts et sur Saint-Côme-et-Saint-Damien, par un accord de 1335, confirmé en 1345, réglant un lourd contentieux entre les deux parties à propos du Pré-aux-Clercs. Quant à son droit sur Saint-Germain-le-Vieux, l’Université l’avait également obtenu de Saint-Germain, en 1368, en échange de celui qu’elle possédait sur la chapelle Saint-Martin tout près de l’abbaye. Cette dernière chapelle avait été fondée par Saint-Germain au profit de l’Université, en 1278, en réparation d’actes de violence commis par les hommes de l’abbaye contre des universitaires52.

26Il arrivait que les universités soumettent au Parlement des litiges qui affectaient plus directement leur fonction académique. Certaines de ces causes témoignent que l’emprise du pouvoir royal sur les affaires scolaires se resserrait à mesure que l’on se rapprochait du XV^e siècle. Quelques-unes relevaient indéniablement des compétences de la justice royale. Deux fois, l’Université de Paris vint au Parlement pour faire clarifier ses droits de justice. Entre les années 1314 et 1318, elle débattit, avec l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, de ses droits sur le Pré-aux-Clercs53. En 1322, le Parlement confirma la juridiction de l’Université de Paris sur la taxation des loyers et ses droits étendus quant à l’utilisation des ressources immobilières, dans l’île de la Cité et sur la rive gauche54. Plus tard, le 18 mai 1366, l’Université de Paris s’adressa à la cour pour limiter, au nom de la salubrité, la multiplication des bouchers dans les rues de la ville qu’elle occupait55. Le 22 mai 1393, ce fut au tour de l’Université d’Orléans de venir défendre son droit d’installer une cloche pour sonner les heures académiques, droit que la ville et le procureur du roi lui contestaient, mais que le roi lui accorda deux ans plus tard56. Enfin, trois causes concernent le contrôle de la pratique de la médecine dans Paris, réservée aux seuls diplômés universitaires57. Les droits de l’Université de Paris sur les loyers et la pratique de la médecine lui avaient été reconnus explicitement par diverses chartes royales ; il était donc normal que de telles affaires puissent arriver au Parlement.

27D’autres litiges soumis au Parlement concernent des droits qui n’avaient jamais fait l’objet d’une législation royale, mais qui trouvaient leurs sources dans des bulles pontificales ou dans des statuts universitaires. Dans notre corpus, ces procès se manifestent plus tardivement. Les historiens ont montré l’évolution de la jurisprudence du Parlement, au XIV^e siècle, quant à la recevabilité des causes touchant l’exercice de droits ecclésiastiques58. Après quelques tâtonnements, le Parlement se reconnut la compétence de juger au possessoire des conflits concernant des droits incorporels, comme ceux touchant l’exercice des droits de justice, qui opposaient si souvent l’évêque et son chapitre. Bien sûr, de telles questions relevaient exclusivement du droit canon et la cour royale n’eut jamais la prétention de juger de la nature ou de l’existence de tels droits. Elle se refusait à en débattre au pétitoire. Elle accepta cependant de recevoir ces conflits en assimilant l’empêchement d’exercer un droit ecclésiastique à une atteinte à sa saisine59. Ainsi, les causes concernant des droits ecclésiastiques trouvaient leur formulation dans un cadre de droit coutumier et pouvaient être plaidées au Parlement. Le procès qui marque ce tournant opposa, en 1381, l’évêque de Beauvais, Jean de Dormans, au doyen et au chapitre de Beauvais qui avaient prononcé une excommunication, prérogative que l’évêque estimait lui être réservée. Jean de Dormans vint plaider sa cause au possessoire, en termes coutumiers de saisine et nouvelleté, arguant qu’il avait été lésé dans la possession de son droit. La cour accepta d’assimiler la nuisance dans l’exercice d’un droit ecclésiastique à une complainte en cas de nouvelleté et elle reçut le procès au possessoire. À partir de cette date, les causes à propos de l’exercice de droits ecclésiastiques se multiplièrent et, dans la foulée de ce jugement, de nouveaux problèmes universitaires furent soumis au Parlement.

28À la fin du XIV^e siècle, on n’hésitait plus à soumettre au jugement du Parlement des litiges touchant le régime des études. Quelques procès se rapportent à l’organisation de l’enseignement et à l’application des statuts universitaires ou facultaires. Ils comptent parmi les avancées les plus profondes de la justice royale dans les affaires internes de l’université. Par exemple, le 28 mars 1384, commencèrent les plaidoiries d’un important procès amorcé par la Faculté de décret et l’Université contre M^e Jacques Le Riche, régent en décret, parce que celui-ci dispensait son enseignement dans l’enceinte du chapitre cathédral de Paris, plutôt qu’au Clos Brunei comme l’imposaient les statuts de la Faculté. Le texte de l’arrêt dit très clairement que les droits respectifs des parties, l’un d’imposer que les cours de droit canon se donnent au Clos Brunei, l’autre que M^e Le Riche enseigne dans l’enceinte du chapitre, furent défendus en terme de saisine et de nouvelleté. Nous analyserons les tenants et les aboutissants de cette cause au chapitre 5 ; pour l’instant, nous allons examiner une autre affaire, aussi éclairante sur la compétence du Parlement dans les affaires académiques.

29Le 15 mai 1386 débutèrent les plaidoiries d’une autre affaire très importante, opposant M^e Ameilh du Breuil à la Faculté de décret de Paris. C’est l’une des rares causes plaidées par une faculté seule ; l’affaire est complexe et nous nous limiterons aux seuls éléments essentiels pour notre propos60. Les statuts de la Faculté réservaient aux bacheliers les leçons matinales, avant le lever du soleil, alors que les docteurs régents enseignaient à la première heure du jour. M^e du Breuil était docteur en décret et il semble qu’on lui avait permis une année d’enseigner à l’heure des bacheliers. Il persistait à vouloir poursuivre cette pratique, tout en conservant son statut de régent et ses privilèges. Ainsi, exigeait-il de porter la cape rouge des régents, d’enseigner à l’éclairage d’une bougie et de faire porter ses leçons sur le Décret de Gratien, toutes choses interdites aux bacheliers. Il voulait aussi pouvoir signer des cédules confirmant le statut universitaire d’étudiants, comme les régents en avaient le droit61. D’entrée de jeu, M^e du Breuil soumit à la cour sa « complaincte… en cas de saisine et de nouvelleté »62. La Faculté s’opposa aux prétentions de M^e du Breuil, l’enjoignant de respecter tous ses statuts s’il voulait bénéficier du titre de régent.

30Mais pourquoi celui-ci tenait-il si fort à enseigner tôt le matin ? Il ne fut pas très bavard sur ce point devant la cour, mais quelques phrases glanées dans les très longues plaidoiries nous livrent peut-être l’explication. M^e du Breuil avait bien d’autres activités qui l’accaparaient. S’il tenait à enseigner, c’était dans l’intérêt des étudiants, et non pour ce que cela pouvait lui rapporter : « et se il gaigne en la collecte du matin II^c ou II^c cinquante frans, ce ne le muet point, car il gaigneroit plus ailleurs, car il est maistre des requestes de l’ostel du roy nostre sire, et se il suiyoit la chancelerie, il gaigneroit plus, et aurait des dons du roy »63. Le 29 novembre 1386, la Faculté revint devant le Parlement se plaindre de ce que le valet de M^e du Breuil avait tenté d’intimider physiquement des collègues pour qu’ils se rallient à sa cause, au mépris de la sauvegarde royale, alors que d’autres « ont est é menacés par aucuns des gens de monseigneur de Berry »64. M^e du Breuil semble avoir été un protégé du duc de Berry et il se dit maître de requêtes de l’hôtel65. D’abord chantre de la cathédrale de Tours, il fut archevêque de Tours de 1395 jusqu’à sa mort, en 141466. Auparavant, il avait d’abord été auditeur de rote et, en 1379, il vint à Paris en tant qu’émissaire du pape et du Sacré collège67. Il est l’exemple même du diplômé en droit qui poursuivait de front une carrière politique et ecclésiastique, aussi tenait-il sans doute à expédier ses enseignements très tôt le matin pour vaquer ensuite à ses autres occupations.

31M^e du Breuil prit l’initiative de faire juger de son bon droit par le Parlement. Notons qu’en aucune occasion la Faculté de décret ne contesta la juridiction de la cour dans cette affaire. Les universitaires reconnaissaient la compétence du Parlement en matière d’interprétation d’un statut facultaire. La cour jugea au possessoire du droit de M^e du Breuil d’enseigner le matin, ainsi que du droit de la Faculté de statuer sur la question et d’imposer ses décisions. M^e du Breuil saisit en même temps le tribunal de l’Université du même problème au pétitoire. Celui-ci rendit un jugement complètement favorable à la Faculté, le 5 septembre 138668. Ce procès conduisit le Parlement à intervenir dans les affaires internes de la Faculté. En effet, M^e du Breuil avait demandé à la cour de pouvoir poursuivre son enseignement matinal, tant qu’il n’y aurait pas de jugement. Le 21 novembre 1386, « la court ordonne que par la main du roy nostre sire, comme souveraine, et jusques a ce que par la dite court en soit autrement ordonné, Maistre Pierre le Maigre, licentié en droit canon, lira la dite lecton du matin, et a ce le commet la court. Et ordonne la court que tant que le dit Maistre Pierre lira, les escoliers qui oront sa lecton acqueriont leurs temps et joyront des autres privilèges des escoliers de la dite Faculté »69. Finalement, le Parlement rendit, le 9 mai 1388, un arrêt complètement défavorable à M^e Ameilh du Breuil et confirma le droit de la Faculté d’agir comme elle l’avait fait70.

32Un peu plus tard, en janvier 1392 (n.st.), un procès opposa M^e Michel Lévêque à M^e Simon le Breton. Les deux se disputaient le poste de régent en droit à la Nation de Normandie de l’école de droit d’Angers qui ne devint une université à part entière qu’en 1398. Les statuts étaient muets sur la procédure de nomination d’un nouveau maître. Ce procès nous fait comprendre que celle-ci se déroulait en deux temps. Les diplômés et les étudiants de la Nation procédaient à son élection, puis le maître-école l’installait dans sa chaire. M^e Lévêque l’avait emporté de justesse sur M^e le Breton. Estimant qu’à défaut de jouir d’un appui majoritaire M^e le Breton avait celui de la sanior pars de la Nation, le maître-école imposa ce dernier candidat. M^e Lévêque soumit l’affaire au Parlement en cas de saisine et nouvelleté. La cour trancha en faveur de son opposant, ce qui l’amena à expliciter par écrit dans son arrêt la procédure qui jusque-là n’avait fait l’objet d’aucun statut explicite71.

33Le débat pouvait aussi porter sur l’octroi des titres académiques. Le 16 mai 1392, l’Université d’Orléans poursuivit M^e Jean de la Côte qui avait étudié le droit chez elle, mais s’était adressé à l’Université de Toulouse pour recevoir son doctorat, sans avoir reçu la permission de le faire72. Elle revint pour le même motif, le 27 juin 1401, contre Geoffroy de Breze qui avait reçu son doctorat à Angers73. Il était d’usage que les statuts des facultés médiévales imposent à l’étudiant de poursuivre toutes ses études sous l’autorité d’un même maître, jusqu’à l’obtention de son dernier titre académique74. Dans les deux causes plaidées en première instance, l’Université d’Orléans demanda à la cour que l’exercice de son droit ne soit pas entravé. Elle obtint vite gain de cause dans le second procès, clos le jour même par un accord devant la cour selon lequel Geoffroy de Breze accepta de lui verser cent écus.

34L’octroi des titres académiques donna encore lieu à d’autres conflits entre le chancelier, ou le maître-école de la cathédrale, et l’université. Les reproches des universitaires portaient soit sur les rétributions demandées par le chancelier pour les conférer, soit sur les initiatives qu’il prenait pour évaluer lui-même la valeur académique des candidats, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, était contraire aux privilèges universitaires reconnus par le pape dès le XIII^e siècle. Une cause importante impliqua le chancelier Jean Blanchard auquel les maîtres de l’Université de Paris reprochaient d’exiger des frais abusifs pour l’obtention des titres académiques. L’affaire semble commencer en octobre 1384. Après une année de tensions et de luttes entre les deux parties, l’Université soumit le litige au Parlement, le 1^er février 1386. Ce jour s’ouvrit la cause « entre le recteur et Université de Paris d’une part, et le chancelier de Nostre Dame de Paris d’autre part, sur le contenu en la complainte du recteur et Université en cas de saisine et de nouvelleté pour occasion des bacheliers a licencier en théologie »75. Les plaidoiries se poursuivirent les 5 et 6 du même mois. Mais, ni le Parlement, ni le pape Clément VII à qui on avait aussi soumis le litige, ne parvinrent à quelque conclusion. Conscient que la rupture était irrémédiable entre l’Université et le chancelier, le pape finit par démettre Blanchard de ses fonctions, le 28 septembre 138676.

35Une cause semblable opposa le maître-école de la cathédrale à l’Université d’Angers en 1395. Il faut rappeler que le studium d’Angers n’acquit son statut complet d’université qu’avec la réforme de 1398. Jusqu’à cette date, le maître-école de la cathédrale exerçait une grande autorité sur l’organisation des études et sur l’octroi des titres académiques77. Tout au long du XIV^e siècle, les maîtres d’Angers luttèrent pour obtenir les mêmes droits et privilèges que leurs collègues de Paris et surtout d’Orléans. Au cours de la seconde moitié du XIV^e siècle, ils reçurent plusieurs privilèges personnels des autorités pontificale et royale, mais ils demeuraient toujours sous l’autorité du maître-école, ce qui maintenait les occasions de conflits78. Le 6 juin 1390, le Parlement homologua un accord entre les deux parties qui assurait une meilleure représentation des maîtres et étudiants auprès du maître-école, accord qui ne fut pas respecté. Le conflit se perpétuant, à la fin de l’été 1395 Charles VI créa une commission composée des parlementaires Guillaume de Sens et Henri de Marie, tous deux présidents, Jean Blanchet et Jacques Bouju, conseillers, pour procéder à la réforme de l’Université. L’issue lui apparaissant très vite défavorable, le maître-école, messire Briant, et deux autres maîtres, Nicolas Bertrand et Thomas Giroust, firent appel au Parlement des décisions de la commission. Les plaidoiries furent entendues le 30 décembre 1395 et le 3 janvier 1396 (n.st.)79. Le débat porta sur les différents pouvoirs que le maître-école voulait conserver. Le procureur du roi prit fait contre lui. L’affaire se termina par un accord entre les parties le 4 avril 1398, homologué six jours après par le Parlement. Angers devenait une université de plein droit et un premier recteur fut désigné80.

36De tels conflits se reproduisirent au XV^e siècle. Le 22 mai 1444, l’Université d’Orléans soumit au Parlement le litige l’opposant au maître-école d’Orléans, qui voulait administrer ses propres examens aux candidats81. Un peu au-delà des limites chronologiques de notre dépouillement des sources parlementaires, entre le 26 novembre 1450 et le 4 février 1451, le Chartularium signale un procès intenté par l’Université de Paris et l’abbé de Sainte-Geneviève contre le chancelier de Sainte-Geneviève, qui exigeait des dons pour l’octroi de la licence en arts82. Ces procès sont révélateurs des mécanismes juridiques qui permirent au Parlement d’étendre son emprise sur les institutions scolaires, ainsi que les historiens l’ont déjà signalé. Rappelons que dès le début du XIV^e siècle, Philippe le Bel avait affirmé son droit de regard sur l’érection d’un studium en corporation. L’école de droit d’Orléans, pourtant si réputée, avait dû attendre une bulle de Clément V, en date du 27 janvier 1306, pour qu’on lui reconnût le droit de former une corporation universitaire, sur le modèle de l’Université de Toulouse, et de jouir de tous les droits inhérents à cette forme d’organisation. L’Université se dota de ses premiers statuts l’année suivante83. Philippe le Bel se montra très attentif à l’évolution du statut de l’école orléanaise, d’autant que les rapports de celle-ci avec les habitants de la ville étaient souvent tendus. Durant les années 1310 à 1312, Philippe le Bel prit donc diverses mesures pour assurer le bien-être et la protection des écoliers Orléanais et pour apaiser les tensions avec la ville. Le 21 décembre 1312, il leur interdit toutefois de se constituer en corporation universitaire ; le roi semblait vouloir éviter que le milieu scolaire ne constitue un bloc trop homogène face à la ville. Le 11 avril 1313, il adopta une mesure analogue à l’égard des habitants, auxquels il interdit de se réunir pour discuter de leurs intérêts communs, malgré leur privilège ancien à cet égard84. Le studium Orléanais dut patienter jusqu’en 1320, pour que Philippe V lui reconnût le droit de s’ériger en corporation. Pour la première fois, les rois de France avaient légiféré sur le statut corporatif d’un studium, allant même jusqu’à contredire une initiative du souverain pontife85.

37Dans la foulée de l’évolution de la pensée juridique, dont témoignent les procès que nous avons évoqués, le Parlement se sentit aussi autorisé à prendre en main la réforme d’universités, comme ce fut le cas à Angers en 1398. Mais ce n’était pas là sa première initiative en ce sens. Les universitaires d’Orléans avaient connu de nombreuses difficultés avec les habitants de la ville, durant les années 1370 à 1380. On avait assisté à plusieurs soulèvements anti-fiscaux durant les années 1380. Cette situation conduisit le Parlement à créer, en 1389, une commission de réforme destinée à assainir les rapports entre la ville et l’Université, en édictant de nouvelles règles qui furent homologuées la même année86. Le 12 juillet 1392, l’Université revint cependant à la charge pour demander au Parlement que l’on sursoit à l’application des nouvelles ordonnances87. Il semble qu’elle eut temporairement gain de cause, mais, le 14 février 1393, la nouvelle charte régissant les rapports entre Orléans et son université fut remise au procureur de la ville88.

38Le Parlement procéda à une autre réforme de l’Université d’Orléans, sous le règne de Charles VII, en 144789. Celle-ci en laissait présager une autre, beaucoup plus importante, qui allait toucher cette fois l’Université de Paris. En 1452, le roi Charles VII confia au légat pontifical, le cardinal d’Estouteville, la mission de réformer l’institution. La réforme fut conçue de fait par une commission de membres du Parlement, et d’Estouteville lui-même, s’il était représentant du pape, n’en était pas moins membre d’une grande famille de serviteurs du roi90. Pour la première fois, le pouvoir royal s’intéressait directement aux droits corporatifs de l’Université qui avait été l’inspiration de toutes les autres. D’ailleurs, au XV^e siècle, la puissance royale était présente aux côtés du pouvoir pontifical, lors de la fondation de chaque nouvelle université. La bulle de fondation de l’Université de Poitiers avait été octroyée par le pape Eugène IV, le 28 mai 1431, à la requête des autorités royale et municipale. Charles VII confirma à son tour la fondation du studium et lui reconnut ses privilèges universitaires, dans une charte du 16 mars 143291. L’Université de Caen, qui jouissait depuis sa fondation d’une charte d’Henri VI, fut en quelque sorte fondée de nouveau par Charles VII en 1452. Après quelques hésitations, le roi de France décida de maintenir l’Université par une charte qui ignorait les actes antérieurs du roi d’Angleterre et avait l’allure d’un véritable acte de fondation92.

39Il ne faut donc pas s’étonner de voir le procureur du roi au Parlement rappeler aux universités qu’elles devaient au roi lui-même leur existence à titre de corporation. Nous verrons l’argument évoqué à quelques reprises, mais pour l’instant limitons-nous à ce cas où il est affirmé de façon assez brutale. Le 22 février 1446, l’avocat du roi, M^e Jean Barbin, qui jugeait abusive l’intervention de l’Université de Paris pour demander la libération de deux maîtres et sept étudiants de la Nation anglaise, avait rappelé que le roi était empereur en son royaume et que, par conséquent, « appartient seul, et non a pape, ne autre, créer corps ne commune. Il a créé le corps de l’Université et grandement privilégié et c’est bien a raison, et est l’Université sa fille, ainsi lui doit reverence, honneur et subjection »93. Il reste que nous n’avons rencontré aucun procès au cours duquel l’existence même d’une corporation universitaire fut directement mise en cause. On trouve le même principe énoncé dans une liste des droits que le roi possédait au titre de son pouvoir souverain, qui semble dater du début du XV^e siècle, et qu’a éditée E. Perrot. Le onzième droit cité se lit comme suit : « Item les universités des estudes sont de fondacion et creacion royal et sont en la saulve garde du Roy, tant en corps comme en suppos et en appartient au Roy et ses officiers la congnoissance »94.

40L’analyse des procès se rapportant au fonctionnement interne des universités montre que plus rien de ce qui concerne ces institutions n’échappait à la compétence royale à partir de la fin du XIV^e siècle. L’action judiciaire du Parlement contribua sans doute autant que l’activité législatrice du roi à l’extension du pouvoir civil sur les universités. En même temps, il faut se rappeler que c’est d’abord par leur propre volonté que les universités s’adressèrent si souvent au Parlement. On peut donc supposer que l’extension du droit du roi en matière universitaire résulta d’une convergence des intérêts du pouvoir politique et du monde académique. Notons enfin que c’est aussi à partir de la toute fin du XIV^e siècle que sont plaidées les causes rangées sous la rubrique Matières ecclésiastiques, au cours desquelles l’Université de Paris intervenait à la cour comme gardienne de la foi. Pour mieux juger de la question du resserrement des liens entre universités et Parlement, nous nous proposons maintenant de décrire le soin que les universités mettaient à la préparation de leurs causes, avant de nous arrêter ensuite à l’attitude de l’autorité publique à leur endroit, telle qu’elle était exprimée par le procureur du roi au Parlement.

3. La préparation, le suivi et les coûts des causes universitaires

41Défendre ses droits devant le Parlement de Paris constituait une entreprise onéreuse et périlleuse. Pour mettre toutes les chances de son côté, il fallait s’assurer de son bon droit auprès des experts, disposer des services d’avocats et de procureurs réputés, enfin prévoir un financement adéquat. On devait ensuite se montrer attentif au déroulement de son affaire et intervenir au besoin auprès des personnes compétentes pour en accélérer l’issue, car un procès pouvait tramer plusieurs années. Les universitaires se comportaient à cet égard comme tous les plaideurs. Grâce aux Livres des procureurs des Nations anglaise et française et aux Commentaires de la Faculté de médecine, nous sommes informés des démarches qui accompagnèrent quelques procès importants. Voyons donc comment l’Université de Paris s’occupait de ses affaires au Parlement de Paris.

a. Le choix des avocats et des procureurs

42Quiconque comparaissait devant le Parlement de Paris avait intérêt à s’entourer des meilleurs conseillers. Seuls les avocats et procureurs jurés du Parlement pouvaient plaider et représenter leur client devant la cour. Les avocats plaidaient, agissaient à titre de conseillers, et faisaient exécuter par leurs clercs les nombreuses pièces d’écriture nécessaires dans un procès. Ils étaient normalement quelques-uns à défendre une même personne au cours d’un procès, même si un seul prenait la parole. Les procureurs avaient pour tâche de représenter les parties dans l’impossibilité d’être à leur procès ; ils prenaient en leur nom toutes les initiatives et toutes les décisions qui s’imposaient au cours du procès. Leur formation juridique était habituellement inférieure à celle des avocats et leur rétribution était beaucoup moindre. Seul l’office de procureur du roi, qui situait son titulaire au sommet de la hiérarchie des plaideurs au Parlement, échappait à cette règle. Rappelons qu’il fallait être au moins licencié en droit pour être avocat au Parlement de Paris. Les grands personnages et les institutions importantes, qui plaidaient régulièrement devant le Parlement, s’assuraient des services des avocats ou des procureurs les plus réputés en les pensionnant, c’est-à-dire en leur versant une rétribution annuelle pour se réserver l’exclusivité de leurs services. La pension ne remplaçait pas les honoraires que le commanditaire devait verser chaque fois qu’il requérait les services de ses avocats et procureurs dans une cause. L’intérêt de la pension était de s’attacher les meilleurs praticiens et d’éviter qu’ils ne se trouvent au service de la partie adverse95.

43Les universités, qui plaidaient souvent au Parlement, devaient pensionner des avocats et des procureurs. Bien qu’il couvre presque toute la période qui nous intéresse, le Livre des procureurs de la Nation anglo-germanique n’atteste que très peu, et très tardivement, de cette pratique. Il nous apprend tout de même que, le 20 octobre 1430, lors d’une réunion de l’Université à Saint-Mathurin, M^e Jean Paris fut désigné comme procureur au Parlement, en remplacement de M^e Guillaume Camus qui était décédé96. Quinze ans plus tard, le 20 novembre 1445, le Livre des procureurs de la Nation anglo-germanique et celui de la Nation française nous apprennent que l’avocat de l’Université, M^e Henri Roussel, était décédé. Après de longues discussions sur les mérites respectifs de M^e Jean Rapiout, de M^e Jean de Popaincourt, de M^e Arnaud Boucher et de M^e Philippe Lhuillier, l’Université de Paris retint les services de ce dernier comme avocat97.

44Les comptes rendus des plaidoiries du Parlement de Paris ne fournissent le nom des avocats des parties qu’à partir du registre X^la 4798 commençant en janvier 1439 (n.st.), année qui est aussi celle de la reprise en main de l’institution par Charles VII de retour à Paris. Cette pratique était déjà établie au Parlement de Poitiers. Avant cette date, il arrivait, mais très rarement, que le greffier mentionne le nom des plaideurs. Entre 1439 et 1448, qui marque la fin de notre dépouillement, l’Université de Paris utilisait toujours les services des mêmes avocats. Les registres donnent le plus souvent le nom de Lhuillier. Il s’agit de deux avocats, le père et le fils, qui se succédèrent dans la charge, M^e Jean Lhuillier, puis M^e Philippe Lhuillier, pensionné à partir de 144598. M^e Jean Lhuillier était déjà avocat de l’Université dans une affaire en date du 10 septembre 142099. Mais, à cette époque, il ne plaidait pas toujours pour elle : le 30 juin 1419 et le 13 septembre 1425, il fut désigné pour plaider contre l’Université par distribution en conseil100. M^e Jean Lhuillier était aussi le défenseur de l’Université d’Orléans dans les deux seules causes où elle fut impliquée après 1439. Le premier procès, le 6 juillet 1439, opposa l’Université aux habitants d’Orléans à propos d’une aide royale dont celle-ci se disait exemptée ; le second, le 9 juin 1444, porta sur un conflit avec le maître-école de la cathédrale à propos de l’octroi des titres académiques aux étudiants101. Notons enfin que le même Lhuillier défendit un étudiant de Poitiers le 7 janvier 1445 (n.st.)102. L’Université de Paris recourait parfois aux services d’un second avocat, M^e Jean Piedefer103. Entre 1441 et 1446, il intervint dans trois procès avec les Lhuillier. Par ailleurs, il défendit seul les intérêts de l’Université de Paris, le 23 février 1446, dans cette affaire extrêmement importante concernant la libération de deux maîtres et de sept étudiants de la Nation allemande, emprisonnés au Châtelet104. Jean Piedefer ne plaida jamais contre les Lhuillier lorsqu’ils défendaient Paris ou Orléans, ce qui laisse supposer qu’il était également pensionné par l’Université.

45Nos sources permettent de conclure avec certitude que, durant les années 1440, l’Université de Paris pensionnait un, sinon deux avocats, et qu’elle retenait les services exclusifs d’un procureur de la même façon. Malgré le mutisme général des sources avant cette date, il arrive exceptionnellement que le greffier mentionne un nom d’avocat. Ainsi, M^e Jean de Mailly est cité une fois comme avocat de l’Université le 30 janvier 1403105. M^e André Cotin est désigné comme avocat de l’Université de Paris dans l’affaire Charles de Savoisy, le 20 août 1404, et dans le procès de M^e Nicole Fraillon, le 30 août 1408106. L’Université appuya un peu plus tard M^e Cotin dans une cause bénéficiale, dans laquelle il apparaît comme demandeur, le 20 juillet 1413. Au début de 1408, il participait avec Jean Petit et d’autres à la rédaction de la justification de l’assassinat de Louis d’Orléans par les gens du duc de Bourgogne. M^e Cotin, déjà avocat au Parlement en 1403, fut élu avocat du roi le 29 décembre 1413 et il était alors désigné comme archidiacre d’Angers ; il perdit son office à l’entrée des Bourguignons dans Paris, en 1418107. Il paraît clair que M^e André Cotin fut pensionné par l’Université pendant un certain nombre d’années, peut-être jusqu’à sa nomination comme avocat du roi en 1413. En 1420, M^e Nicolas Rolin est aussi cité comme avocat de l’Université108. Dans les années 1424 et 1425, il semble que l’Université de Paris se soit attaché les services de M^e Nicole de Savigny.

46Dans une cause bénéfïciale où il apparaît comme partie, celui-ci dit avoir participé à une ambassade de l'Université auprès du pape en 1424109. Le 13 septembre 1425, son nom est également cité dans une distribution en conseil en faveur de l’Université110. On peut penser que la pratique de pensionner des avocats et des procureurs remonte assez loin dans le temps, vu le nombre important de procès débattus par l’Université de Paris et, dans une moindre mesure, par celle d’Orléans, à partir de la seconde moitié du XIV^e siècle. On ignore cependant à quel moment les universités inaugurèrent cette pratique. Une ordonnance tardive de Charles VIII, de 1489, reconnaît que les quatre avocats et les deux procureurs de l’Université au Parlement, de même que ses deux avocats et son procureur au Châtelet, bénéficient des exemptions fiscales universitaires, au même titre que les autres officiers, comme les libraires ou les parcheminiers111.

47Les registres des plaidoiries montrent aussi que l’avocat de l’université défendait souvent les universitaires, même lorsque leur université ne s’adjoignait pas à leur cause. Par exemple, le 7 janvier 1445 (n.st.), M^e Jean Lhuillier défendit frère Guy de Monac, curé et prieur de Saint-Pierre d’Oléron, et étudiant à l’Université de Poitiers, contre le procureur du roi en Saintonge et l’abbaye de Grandmont, pour une question de rente due à l’abbaye112. Défenseur des universitaires de Paris, Orléans et Poitiers, on a l’impression que Lhuillier avait en quelque sorte le monopole des causes universitaires à son époque.

48La pratique de pensionner des avocats par des institutions scolaires se laisse mieux appréhender si l’on dispose de comptes détaillés, ce qui n’est pas le cas pour les universités. Un rapide sondage dans les plus anciens comptes du collège de Dormans-Beauvais révèle qu’on gratifiait Jean de Neuilly d’une telle pension113. La somme n’était pas versée régulièrement chaque année, mais elle semble avoir tourné autour d’une vingtaine de sous parisis en moyenne, durant les années 1380. B. Guenée estime que la pension était d’autant plus élevée que le plaideur était riche ; aussi cite-t-il des sommes plus importantes, s’élevant jusqu’à dix livres, pour la commune de Beauvais, le chapitre cathédral de la ville ou l’abbaye de Maubuisson114.

49Outre les pensions, les universités disposaient encore d’un autre moyen pour, sinon empêcher, du moins compliquer le choix d’un bon avocat par leurs adversaires. Plusieurs facteurs sociaux pouvaient empêcher un avocat de prendre en charge une cause ou à le faire hésiter. Il pouvait prétexter la fidélité à son hommage féodal pour refuser de plaider contre les intérêts de son seigneur ou, de façon générale, hésiter à défendre quelqu’un lorsque la partie adverse était le roi. Pour obtenir malgré tout les services d’un bon avocat et lutter à armes égales avec son opposant, on pouvait demander à la cour l’assignation d’un défenseur par distribution de conseil. Par cette procédure, la cour obligeait un avocat à se charger de la cause ; c’était pour celui-ci une façon de s’assurer la protection par le Parlement de sa liberté de parole, face à un adversaire susceptible d’exercer des rétorsions à son endroit115. Les universités cherchèrent parfois à empêcher certains avocats de plaider contre elles en invoquant le serment de fidélité qu’ils avaient jadis prêté en tant qu’étudiants. Tous les avocats étant au minimum licenciés en droit, nombreux étaient ceux qui avaient étudié le droit civil à Orléans, ou fréquenté les facultés des arts ou de décret à Paris, et qui, par conséquent, se trouvaient liés à vie par leur serment universitaire. J. Verger souligne l’utilisation de la même tactique par les universités du Midi dans toutes les cours où elles plaidaient116.

50La distribution de conseil fut souvent utilisée pour relever temporairement un avocat de son serment de ne jamais rien entreprendre contre son université. R. Delachenal cite l’exemple de la Faculté de décret de l’Université de Paris qui s’opposa à ce que le chapitre de Notre-Dame retint les services de M^e Jean Canart, dans le procès portant sur le droit de M^e Jacques Le Riche de dispenser son enseignement de droit canon dans le cloître de Notre-Dame117. L’affaire se passa le 11 mars 1384 (n.st.).M^e Canart était chanoine du chapitre qui le réclamait pour sa défense, au nom du serment prêté à son endroit. La Faculté soutenait que le serment prêté par M^e Canart à l’Université l’engageait davantage. Ayant entendu les parties, le Parlement « a ordonné que le diz maistre Jehan sera du conseil des diz doyan et chapitre contre les diz de la Faculté »118. Une telle objection de la part d’une université n’était pas exceptionnelle ; nous en avons noté plusieurs exemples119. Des mesures semblables pouvaient s’appliquer à un procureur, comme M^e Pierre de Dreux que le Parlement assigna à M^e Pierre Gilbert dans sa cause contre l’Université de Paris, le 1^er avril 1389120. Le nombre d’avocats affectés à une cause pouvait être plus important : le 21 mars 1401 (n.st.), M^e Pierre de Marigny, M^e Guillaume Cousinot, M^e Guillaume le Tur et M^e Jean Haguenin rappelèrent que la cour leur avait permis de soutenir l’évêque d’Orléans, Guy de Prunelé, dans sa cause contre l’Université d’Orléans121. Le même M^e Cousinot avait aussi étudié à Paris, puisque trois jours plus tard la cour l’assignait à plaider contre elle122. C’était aussi le cas de M^e Le Tur, comme le suggère une distribution de conseil en date du 11 janvier 1412123. On pourrait en citer d’autres qui concernent aussi bien Paris qu’Orléans. Toujours, on constate que le Parlement permettait aux avocats de plaider contre leurs universités. Les requêtes répétées des universités pour les en empêcher ne semblent avoir eu qu’une fonction dilatoire.

51Les universités assortissaient leur requête de la menace implicite de priver l’avocat de son statut universitaire. Le serment de fidélité à l’université avait un caractère perpétuel et ceux qui l’avaient prêté jouissaient des privilèges universitaires jusqu’à la fin de leurs jours. C’est du moins ce que l’on peut déduire d’un acte de privation, édité par R. Delachenal, encore que dans ce cas il s’agisse d’un suppôt qui habitait le collège de Sorbon124.

52Il arrivait que l’Université de Paris mette sa menace à exécution et prive de son statut un juriste qui s’activait contre elle ou un suppôt qui se constituait comme partie adverse dans un procès. De tels cas demeurent toutefois exceptionnels. On trouve un exemple dans un important jugement prononcé par le roi Jean le Bon en Parlement, le 6 septembre 1354, en vue de rétablir la paix entre l’Université de Paris et le prévôt de Paris, Guillaume Staise, et l’avocat du roi, M^e Renaud d’Acy. Ce dernier avait osé poursuivre l’Université, au nom du souverain, pour l’obliger à cesser la grève entreprise après que des actes violents eurent été commis par les sergents de la prévôté contre des étudiants du collège Saint-Nicolas-du-Louvre. L’Université exclut M^e d’Acy parce qu’il avait entrepris cette poursuite sans qu’elle lui en eût donné la permission125. Un tel geste équivalait à calomnier l’Université et ses membres devant le roi et les grands du royaume. Elle l’accusait de parjure, puisqu’il avait enfreint son serment universitaire de ne jamais rien entreprendre à son encontre. L’Université soutint même que le serment universitaire prévalait sur celui prêté au roi au moment de devenir son avocat. Le roi rétablit la paix en demandant à chacun d’oublier tout ce qui avait été dit, d’arrêter leurs actions et de s’accorder leur pardon mutuel. Il pria aussi l’Université d’annuler la privation de droits prononcée contre M^e d’Acy.

53À la fin de l’année 1424, les procureurs du roi au Châtelet et au Parlement furent encore menacés des foudres de l’Université de Paris. Le 7 décembre, par l’intermédiaire de Jean Larchier, maître en théologie, l’Université vint rappeler au Parlement qu’avant son décès, Charles VI avait émis des lettres confirmant ses privilèges126. Ces lettres avaient été transmises au Parlement pour être enregistrées et publiées comme c’était l’usage. L’Université venait donc presser le Parlement de s’exécuter après plus de deux ans d’attente. Le procureur du roi, M^e Guillaume Barthélemy, qui avait droit de regard sur la procédure, s’y opposa et demanda à voir les dites lettres ; l’Université le menaça alors de privation de ses droits127. Quelques jours plus tard, le 15 décembre, le chancelier de France, M^e Pierre de Marigny, accompagné de trois maîtres des requêtes de l’Hôtel, vint discuter avec les membres du Parlement de l’intention de l’Université de priver également de son statut universitaire M^e Jean le Roy, procureur du roi au Châtelet, parce qu’il s’était joint à Guillaume Sanguin dans une cause contre Pierre Chaussée et Michel de Rive, respectivement libraire et promoteur de l’Université. L’Université, qui s’était présentée au même moment pour obtenir la réponse à sa première requête, fut alors introduite dans la Grande Chambre et se fit vertement reprocher, par le chancelier lui-même, ses manœuvres à l’encontre des gens du roi. Il lui interdit de procéder à quelque suspension ou poursuite que ce fût contre les deux procureurs. Des maîtres des requêtes s’engagèrent même à communiquer ces interdictions à l’assemblée de l’Université dans les jours suivants. Quant à la délivrance des ordonnances, il fut dit aux universitaires que la cour étudierait les oppositions du procureur du roi et statuerait ensuite. Les pouvoirs publics se montraient décidément moins complaisants pour l’Université de Paris qu’à l’époque du roi Jean le Bon.

54La menace de privation des privilèges s’étendait aussi aux suppôts qui s’opposaient à leur université. Le 12 juin 1443, le Livre des procureurs de la Nation anglo-germanique rapporte que le responsable du Pré-aux-Clercs voulut en chasser, au nom de l’Université, des animaux qui appartenaient à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. Les hommes de l’abbaye le rudoyèrent pour l’en empêcher. Le contentieux sur cet espace existait depuis le XIII^e siècle entre l’Université de Paris et Saint-Germain128. Sans égard pour les droits de justice de l’Université sur le Pré-aux-Clercs, l’abbé voulut faire juger l’affaire par le Châtelet ou le Parlement. Aussi, ce jour-là, l’assemblée universitaire prit acte que l’abbé avait refusé de répondre à trois convocations pour venir s’expliquer devant elle. Il fut aussitôt privé de son statut d’universitaire. L’affaire n’alla pourtant pas très loin. Le 13 août, on parvint à un accord, l’abbé mit fin à ses poursuites et il retrouva son statut129.

55Le même scénario se répéta lors de l’affaire de l’emprisonnement au Châtelet de deux maîtres et de sept étudiants de la Nation anglo-germanique. L’évêque de Paris, Denis du Moulin, s’était opposé à la requête de libération de l’Université, proposant plutôt que les étudiants lui fussent remis pour jugement. Comme toujours en pareilles circonstances, l’initiative choqua l’Université. Le 23 février 1446 (n.st.), l’évêque en personne comparut au Parlement et « dit que l’en menaça de priver de l’Université comme parjurez les gens de son conseil et mesme maistre Jehan Rapiout et maistre Guy Billet ses advocaz, et maistre Jehan de Saint Germain son procureur »130. Mais la menace ne fut pas mise à exécution. Dans les jours qui suivirent, l’Université dut adoucir sa position, car sa situation dans l’affaire devenait de plus en plus précaire. Elle avait irrité trop d’institutions puissantes, dont le Parlement.

56Si la privation du statut universitaire avait des conséquences graves pour un étudiant ou un maître, qu’elle empêchait de poursuivre ses activités académiques, il est plus difficile d’évaluer ce qu’elle représentait pour des personnes qui ne fréquentaient plus l’université et qui jouissaient d’une grande notoriété sociale, comme l’abbé de Saint-Germain ou l’évêque de Paris. Est-ce la privation elle-même, l’accusation de parjure dont elle était assortie, ou la perte des titres académiques qui peut-être en résultait, qui les émouvaient à ce point ? On manque d’exemples, pour juger, de grands personnages qui aient été l’objet de pareilles sanctions. Nous nous limiterons donc au constat que l’appartenance à l’université valait pour la vie entière et qu’elle pouvait constituer une composante appréciée de la notoriété, si essentielle au statut social de l’individu au Moyen Âge131.

b. L’engagement de l’université dans ses procès

57Quand l’université engageait un procès en son nom au Parlement, elle devait s’assurer du financement de l’affaire et évaluer ses chances de l’emporter. Il en coûtait cher d’avoir recours au plus haut tribunal du royaume, surtout lorsqu’on perdait son procès. En effet, la cour assortissait sa sentence de l’obligation, pour la partie perdante, de rembourser tous ses frais à son adversaire. Dans les jours qui suivaient le procès, la partie gagnante présentait une évaluation de ses dépenses, dont deux membres du Parlement jugeaient du bien-fondé après avoir vu les représentations du perdant, et ajustaient les sommes en conséquence. Cette procédure s’appelait la taxation des dépens. On possède très peu d’études sur les coûts d’un procès au Parlement. On ne peut étudier cette question qu’à partir des sources comptables de ceux qui y plaidaient, car il ne reste à peu près rien dans les archives parlementaires sur les frais de justice.

58H. Lot a publié et analysé les quatre uniques listes de taxation retrouvées jusqu’à maintenant dans les sources parlementaires132. Il a pu montrer que la cour n’accordait au gagnant que le tiers ou le quart des sommes demandées, ce qui laisse supposer qu’il y avait surenchère de la part de celui-ci et que les coûts réels n’étaient peut-être pas si élevés que ceux réclamés. Ces quatre listes de taxation présentent des demandes concernant des procès du XIV^e siècle venant de régions bien différentes. Voici un tableau qui met en parallèle la somme demandée, la somme admise par le Parlement, le lieu d’origine de l’affaire et la date du procès.

59Les compensations demandées pour les honoraires des avocats et des procureurs au Parlement totalisent 23£t pour le procès de Montredon, 10£p8s. pour celui du Ponthieu, et respectivement 12£p et 4£p pour les deux derniers procès, que le Parlement taxa à 10£t, 3£p, 4£p, et l£p 12s. Ce sont les longs déplacements des procureurs de Montredon-des-Corbières (Aude) qui expliquent le coût beaucoup plus élevé du premier procès. Ainsi, les deux représentants des habitants des terres de Montredon, qui durent s’absenter 74 jours pour s’occuper à Paris de leur procès contre le seigneur du lieu, demandèrent 33£t 16s. de compensation ; le Parlement leur en accorda 15£t. Il reste que ces sommes demeurent faibles par rapport à d’autres coûts de procès que nous connaissons par ailleurs. À partir d’évaluations de dépens dans divers procès venant de la région de Senlis, B. Guenée a suggéré qu’un procès en Parlement pouvait coûter de 100 à 500 livres parisis, « plus près de cent livres dans la première moitié du XV^e siècle, et plus près de 500 dans la première moitié du siècle suivant »133.

60L’hypothèse qui fait dépendre la variation des coûts d’un procès au Parlement de la distance qui séparait les plaignants de Paris est confirmée par deux études récentes. A. Rigaudière a montré que la ville de Saint-Flour (Cantal) investissait des sommes considérables lorsqu’elle devait défendre ses droits devant le Parlement : « durant l’exercice 1378-1379, 1 155 1. sont ainsi dépensées, dont 369 1. en une seule fois, pour couvrir les frais de l’enquête que font sur place plusieurs membres du Parlement »134. L’investissement d’une à plusieurs centaines de livres pour plaider à Paris n’est pas exceptionnel à Saint-Flour. La plus grande partie de ces sommes était dévolue aux déplacements, aux représentations et aux enquêtes ; la rémunération des avocats parisiens pour leurs conseils et leurs plaidoiries comptait pour peu, de l’ordre de quelques francs à quelques livres135. Une étude de S. Dauchy, sur les coûts de quelques procès flamands au Parlement de Paris, confirme que la distance demeurait un facteur déterminant136. Ainsi, le procès soutenu par la ville de Bruges contre celle de Gand, entre 1432 et 1435, coûta 1 658£p. On relève, parmi les sommes mentionnées, 22£p 3s. pour les messagers, 240£p pour les frais de séjour à Paris du procureur de la ville et 257£p 14s. pour les indemnités et les déplacements des sergents royaux. De telles dépenses occasionnées par la distance entre Paris et Bruges représentaient 31 % des frais engagés par la ville.

61Trop fragmentaires et dispersées dans le temps pour qu’on en tire des conclusions définitives, les données n’en suggèrent pas moins qu’il semble avoir été considérablement moins cher de plaider au Parlement de Paris des affaires parisiennes ou celles de villes environnantes. Sous ce rapport, les universités de Paris et d’Orléans se trouvaient nettement avantagées. C’est peut-être même ce qui explique que l’Université de Paris soit la seule à s’adresser régulièrement au Parlement pour réclamer un étudiant emprisonné au Châtelet. Orléans, qui entretenait pourtant des relations houleuses avec son milieu urbain, était sans doute déjà trop éloignée de la capitale pour se permettre de telles démarches ponctuelles et rapides.

62On sait très peu de choses sur l’histoire financière des universités du nord de la France, mais il semble qu’elles disposaient de revenus assez peu élevés. Tout au plus les nations possédaient-elles quelques écoles qu’elles louaient à leurs maîtres137. De plus, contrairement à Poitiers qui recevait des aides substantielles de sa ville durant les premières décennies de son existence, les universités d’Orléans138, de Paris, et également semble-t-il d’Angers, ne pouvaient compter sur aucune aide municipale. Les entrées d’argent des universités provenaient essentiellement des frais d’immatriculation et de graduation des étudiants, des amendes imposées par les tribunaux universitaires, des quêtes pour payer les officiers, comme les bedeaux, financer les procès ou envoyer des messagers auprès du pape. J. Verger fait le même constat pour l’Université d’Avignon, la seule université française pour laquelle il reste des comptes détaillés au XV^e siècle139. Les universités avaient donc intérêt à ce que leurs étudiants disposent de revenus suffisants ; cela peut expliquer en partie pourquoi elles défendirent avec ardeur les privilèges fiscaux qui contribuaient à améliorer les conditions financières de leurs membres. Ajoutons que l’organisation budgétaire des institutions était éclatée : l’université, chaque faculté supérieure et chaque nation constituaient des entités distinctes et financièrement autonomes. Ainsi, ce sont les facultés et les nations qui bénéficiaient des revenus provenant des sommes payées par les étudiants pour l’obtention de leurs titres académiques140. L’organisation financière de chaque université apparaît aussi fragmentée que le sont ses structures.

63On trouve quelques indications sur le financement des procès au Parlement dans le Livre des procureurs de la Nation anglo-germanique, le Livre du receveur de la Nation allemande et les Commentaires de la Faculté de médecine. Ainsi, le 12 avril 1383, lors d’une réunion de l’Université, la Nation anglaise débattit avec les autres nations des moyens de trouver un financement pour une affaire devant le Parlement, dont la teneur est passée sous silence. Quelques jours plus tard, le 20 avril, le problème trouva sa solution, puisque les gens de l’Université, touchés par la menace d’un impôt royal, acceptèrent de verser cinquante-deux francs à leur institution141. Il arrivait en effet qu’on tentât d’astreindre à l’impôt certaines catégories de suppôts, tels que les libraires ou autres officiers jurés. Ceux-ci étaient habituellement assurés du soutien de l’Université, laquelle ne tolérait aucune brèche dans ses privilèges. Or, on sait que le début de l’année 1382 marqua le rétablissement des impôts indirects, confirmés l’année suivante, après la révolte des Maillotins. L’affaire débattue au Parlement pourrait se situer dans la foulée de cette décision142.

64On peut évaluer ce qu’il pouvait en coûter à l’université lorsqu’elle défendait ses droits devant le Parlement, grâce à deux procès pour lesquels nous possédons à la fois les plaidoiries et le compte rendu des déboursés de la partie universitaire. Nous analyserons en premier lieu le procès contre Jean Domprémi143. Le 22 juillet 1423, la Faculté de médecine avait interdit officiellement à celui-ci de pratiquer la médecine à Paris, parce qu’il n’avait jamais subi les examens prescrits par ses statuts. Cette interdiction équivalait à une sentence de tribunal et, le 23 novembre suivant, Domprémi en appela au Parlement. Alors, commença l’un des plus gros procès universitaires, dont les plaidoiries occupent plusieurs folios. Examinons les frais que la Faculté a dû débourser dans cette affaire.

65Les comptes de la Faculté de médecine sont dressés annuellement dans les Commentaires de la Faculté de médecine, pour la période qui correspond au mandat du doyen débutant chaque année au début du mois de novembre. Le premier compte qui atteste de dépenses dans l’affaire Domprémi va du 7 novembre 1422 au 6 novembre 1423144. Il se termine avant que ne commence le procès au Parlement. Cette année-là, la Faculté dépensa au total 15£p 18s. 8d. pour lutter contre Jean Domprémi et d’autres « faux médecins ». Une première série de dépenses est liée à l’interdiction officielle de pratiquer, qui lui avait été faite par la Faculté de médecine, lors d’une réunion à Saint-Mathurin, le 22 juillet 1423. Les deux autorités, pontificale et royale, avaient confirmé dans le passé la juridiction exclusive de la Faculté sur la pratique de la médecine dans Paris145. Celle-ci prépara donc sa poursuite contre Domprémi en commandant des copies officielles des deux séries de privilèges. Elle fit aussi rédiger une lettre, visée par des experts en droit, qui défendait son droit de contrôler la pratique de la médecine. Cinq exemplaires de cette lettre furent copiés pour être affichés aux églises de Paris, accompagnés d’une traduction en français sur papier. On compte même les 8 deniers que coûtèrent les clous pour fixer les documents aux portes. On fit afficher également les privilèges royaux. Enfin, on rédigea un avis à l’intention des prêtres de paroisse, vraisemblablement pour être lu publiquement, qu’on traduisit aussi en français. La condamnation de Domprémi fut accompagnée d’une campagne d’information publique. L’ensemble de ces documents, les sceaux nécessaires et l’avis des experts coûtèrent à eux seuls 10£p 8s.

66La Faculté s’étant appuyée sur ses privilèges à la fois royaux et apostoliques pour condamner Domprémi, elle se tourna ensuite vers le prévôt et l’official afin qu’ils usent de leur autorité pour faire respecter sa sentence. Le prévôt disposait à cette fin de la force de police et l’évêque de l’excommunication. Domprémi ne fut pas long à ajourner la Faculté devant l’official pour faire lever l’excommunication, ainsi que nous l’apprennent les plaidoiries, information confirmée par le compte de 1422-1423146. Le reste des 15£p 18s. 8d. investies cette année dans l’affaire, soit 5£p 10s. 8d., couvre les frais encourus par la Faculté lorsqu’elle fut appelée devant le tribunal de l’official. À cette occasion, le recteur alla manifester au tribunal son appui à la Faculté, ce qui entraîna des frais de 4s., que celle-ci prit à sa charge.

67La Faculté s’était aussi adressée au prévôt pour qu’il fît respecter l’interdit contre Domprémi147. C’est pour faire obstacle aux actions que le prévôt pouvait entreprendre à son encontre, que Domprémi s’adressa au Parlement ; il inscrivit donc sa cause suivant une procédure de requête. Dès le début, l’Université se joignit à sa Faculté, mais il semble bien que ce fût cette dernière qui assuma la totalité des frais du procès. Comme c’est l’habitude dans tous ces litiges universitaires sur lesquels plusieurs juridictions, religieuses et laïques, pouvaient avoir compétence, le Parlement, dès qu’il s’en fut saisi, en fit son affaire propre et exclusive. En cours de procès, Domprémi tenta d’annuler son échec devant l’official diocésain en déposant un appel auprès de l’official de l’archevêché de Sens. La démarche fut vite arrêtée, car la Faculté lui opposa son privilège de ne pas plaider en dehors de Paris et le Parlement lui rappela son interdit d’intenter toute autre procédure, aussi longtemps qu’il restait saisi de la cause148.

68Le procès donna lieu à des plaidoiries qui comptent parmi les plus longues de notre corpus. On plaida à diverses reprises entre le mardi 23 novembre 1423 et le mardi 4 janvier 1424 (n.st.)149. Dès le 6 septembre 1423, la Faculté avait demandé à l’Université de se joindre à elle dans cette cause150. En cours de procès, le procureur du roi, Guillaume Barthélemy, accorda son appui à l’Université et à la Faculté. Mais l’affaire traîna en longueur. Le 16 novembre 1426, la Faculté décida d’envoyer des représentants auprès de deux présidents du Parlement pour les presser de faire avancer la cause151. Les délibérations du Parlement en conseil n’attestent que d’une seule décision, prise le 26 février 1427, quand la cour décida de poursuivre son enquête, estimant avoir besoin d’un supplément d’informations. C’est la dernière mention du procès Domprémi dans les sources parlementaires.

69On n’a jamais trouvé d’arrêt final dans cette cause. On sait, par les comptes de la Faculté, que le dossier était encore ouvert en 1430-1431152. La Faculté continua ses représentations auprès de la cour pour que l’affaire trouve son dénouement, mais en vain. Le procès Domprémi est typique de plusieurs causes importantes qui ne débouchent sur aucune sentence finale du Parlement, mais se concluent par un accord ou peut-être par le décès de l’une des parties. Est-ce le cas dans l’affaire Domprémi ? Son avocat affirmait dans la plaidoirie qu’il avait pratiqué la médecine pendant quarante ans, ce qui laissait supposer qu’il était déjà avancé en âge. On sait pourtant qu’en 1441 il était toujours bien vivant. Pour une raison que l’on ignore, il était à ce moment prisonnier au Châtelet et appela au Parlement de son transfert à la Conciergerie. La cour le remit plutôt à l’évêque de Paris, Denis du Moulin153. Quoiqu’il en soit, en 1470-1471, près de cinquante ans après le début de l’affaire, la Faculté versa 2s. au greffier du Parlement pour qu’il retrouve les lettres et les bulles déposées en 1425154.

70Les frais afférents au procès au Parlement s’étendent pour l’essentiel sur trois années, soit 1423-1424, 1424-1425 et 1425-1426. Ils totalisent 65£p 3s. 8d., soit 18£p 1s. la première année, 22£p 18s. 8d. la seconde, et 24£p 4s. la dernière155. Ce sont principalement des honoraires versés aux avocats et aux procureurs, et des frais d’écriture. On sait que, lors d’un procès au Parlement, de nombreuses pièces écrites devaient être présentées, souvent préparées pour leur client par les clercs des avocats156. La Faculté avait retenu M^e Guillaume Intrant et M^e Henri Roussel comme avocats, et M^e Hébert Camus et M^e Jean Hutin comme procureurs157. Il s’agissait probablement des avocats et procureurs pensionnés alors par l’Université. M^e Camus est cité comme procureur de l’Université dans d’autres causes, le 8 mai 1422 et le 4 septembre 1424, et Montrant se retrouve encore à son service le 22 avril 1434158. Comme l’Université s’était jointe à la Faculté, on note une dépense de 6s. pour offrir du vin au recteur159.

71Si les coûts de cette affaire sont élevés, ils n’apparaissent pas au-dessus des moyens de la Faculté, puisque ses revenus pour les trois années en question sont respectivement de 31 £p 12s., 38£p 1s. et de 62£p 15s. 8d.

72Il reste que la Faculté engouffra durant trois ans près de la moitié de ces sommes pour continuer ce procès ; c’est dire l’importance qu’elle accordait à la défense de ses privilèges. Mais un tel investissement n’est peut-être pas exceptionnel : au moins par deux fois Saint-Flour consacra 40 % de ses revenus annuels à ses procès160. Nous sommes enclin à penser que l’affaire Domprémi fut l’un des procès universitaires qui coûta le plus cher, à cause de l’ampleur exceptionnelle que prit la procédure. Nous disposons d’un point de comparaison avec la poursuite que la Faculté de médecine entama, en 1448, au Châtelet, puis au Parlement, contre d’autres contrevenants parmi lesquels Jean Jubin161. La Faculté dépensa 5£p 2s. 6d. pour l’ensemble des procédures. Elle retint les services d’un seul avocat et d’un seul procureur. M^e Jean Popaincourt reçut 22s. pour sa plaidoirie au Parlement, alors que dans l’affaire Domprémi on avait versé 48s. à M^e Intrant en 1423-1424 pour la même performance. Ces données prouvent le caractère exceptionnel de cette dernière cause. Rappelons d’ailleurs qu’en 1383, 52 francs semblaient suffire à défendre les suppôts au Parlement contre l’impôt royal162.

73Un autre procès éclairant opposa M^e Paul Nicolas à l’Université de Paris et à la Nation anglaise à partir du 5 décembre 1426. Slovène d’origine, M^e Paul Nicolas était membre de la Nation anglaise et, après ses études en arts, il poursuivait des études en théologie. En 1423 et en 1424, il avait été le délégué de la Nation pour l’élection du recteur163. Il avait même failli en être élu procureur le 10 avril 1424164. Mais dès l’année suivante, commencèrent ses difficultés avec elle. Responsable du collège de Dacie, il avait refusé d’y loger des étudiants danois165. Il eut, à la même époque, un conflit important avec deux maîtres de la Nation, Jean Flicke et Martin Bereck166. Les relations entre M^e Nicolas et la Nation s’envenimèrent et une cascade d’accusations s’abattit sur lui, entre autres celle d’avoir fait un faux serment au moment de sa maîtrise. Il avait juré à tort qu’il était pauvre, afin d’être exempté de payer les cinq bourses dues pour son titre académique en arts, comme le prévoyaient les statuts167. La bourse était l’unité de compte pour déterminer les différents frais encourus par les étudiants au cours de leurs études. Elle représentait le coût de subsistance de l’étudiant pour une semaine, exception faite du loyer ou du salaire de son domestique. Le montant de la bourse variait donc selon le degré de fortune de l’étudiant, mais sans doute également, comme l’a suggéré É. Mornet, en fonction du nombre de diplômés de la Nation168.

74Le 25 juin 1425, M^e Paul Nicolas fut exclu de la Nation anglaise. Comme, à la même époque, il devait accéder à la licence en théologie, la Nation intervint auprès de la Faculté pour qu’elle la lui refuse169. Le litige pouvait intéresser autant la justice laïque qu’ecclésiastique et M^e Nicolas était vindicatif. Il se précipita auprès de toutes les autorités, épiscopale, pontificale et royale, afin d’être rétabli dans ses droits. En avril 1426, la justice laïque fut sollicitée au Châtelet, où manifestement le prévôt lui donna tort170. M^e Nicolas appela de cette sentence au Parlement ; les plaidoiries débutèrent le 5 décembre 1426 et elles s’étirèrent jusqu’au mois d’août suivant171. L’Université se joignit à la Nation dans cette cause où l’on voit que M^e Nicolas attendait de la justice laïque d’être rétabli dans son statut d’étudiant. À sa réunion du 26 avril 1426, la Nation avait proposé son exclusion de l’Université, ce qui fut fait172. L’affaire, encore entre les mains du Parlement au début de 1430, traîna en longueur173.

75M^e Paul Nicolas s’adressa aussi à Rome, en 1429, pour la même requête, et surtout pour demander au pape d’imposer qu’on lui accordât sa licence en théologie. Cette fois, la cause intéressa la Faculté de théologie autant que la Nation anglaise. Le 7 novembre 1429, le procureur prit l’avis de la Nation quant à la réponse à faire à la demande de la Faculté de s’unir à elle dans cette affaire et de partager les frais174. La Nation acquiesça à cette requête. Par ailleurs, pour ne pas avoir payé les dépens consécutifs à un autre procès perdu devant l’official de l’évêque, sans doute à cause du délit de parjure, M^e Nicolas fut enfermé dans les prisons épiscopales. Il porta à nouveau plainte au Parlement ; les plaidoiries s’étendirent du 20 septembre 1432 au 9 mars 1433, et l’Université en profita pour faire entendre à nouveau son point de vue175. Mais, comme il arrive plus d’une fois dans nos procès, l’affaire se termina beaucoup plus tard, par la réconciliation des parties, peut-être vaincues de fatigue. Le 29 mai 1439, M^e Paul Nicolas réintégra la communauté universitaire après quatorze années de conflit176.

76Les multiples démarches entreprises par M^e Nicolas attestent, à n’en pas douter, qu’il jouissait d’une certaine aisance financière. Ces actions en justice entraînèrent aussi des frais pour la Nation, que nous pouvons évaluer grâce aux comptes du receveur. Ceux-ci étaient tenus annuellement, à partir du 21 septembre de chaque année177. Le Livre du receveur de la Nation qu’il nous reste commence en 1425, au moment où éclatait le conflit avec M^e Paul Nicolas. Pour la première année, 1425-1426, il atteste de dépenses totalisant environ 3£p 16s. 8d., qui semblent pour la plupart reliées à l’action entreprise par M^e Nicolas devant le prévôt de Paris au Châtelet pour recouvrer son statut universitaire178. L’avocat qui défendit la Nation reçut pour sa plaidoirie un mouton, soit 15s.p. Les comptes de l’année suivante couvrent la période durant laquelle M^e Nicolas contesta la sentence du prévôt devant le Parlement. Les registres de la cour montrent que l’affaire fut plaidée le 5 décembre 1426, et les 9 et 27 janvier 1427179. Elle revint brièvement les 21 mars, 15 juillet et 4 août 1427, pour des questions d’asseurement et d’emprisonnement de M^e Nicolas au Châtelet180. Cette année 1426-1427, la Nation déboursa environ 20£p 1s. 6d. pour ses actions auprès des tribunaux181. On compte au moins 10£p 7s. de dépenses reliées à une poursuite lancée en cour de Rome. La conduite de l’affaire au Parlement coûta peut-être une dizaine de livres parisis. L’avocat de la Nation paraît recevoir, en deux versements, 2£p pour ses services au Parlement. Il ne se passe presque rien en 1427-1428 : on ne dépensa que 17s. 8d.p.182. En 1428-1429, on voit les dernières dépenses importantes dans l’affaire, d’un montant d’environ 8£p 4s.183. Elles semblent principalement occasionnées par la poursuite des débats en cour de Rome. On note encore quelques dépenses minimes à ce sujet au cours des années suivantes.

77Les procès soutenus devant les diverses juridictions contre M^e Paul Nicolas, entre 1425 et 1429, coûtèrent près de 33£p, soit la moitié de ce que dépensa la Faculté de médecine, un peu auparavant, contre Jean Domprémi au Parlement. En même temps la Nation anglaise jouissait de revenus plus confortables, du moins pendant les trois premières années de cette affaire. Elle affiche des rentrées s’élevant jusqu’à 5 couronnes d’or et 55£p 8s. 2d. en 1425-1426, de 128£p 18s. 1d. en 1426-1427, de 138£p 13s. 6d. en 1427-1428184. À partir de 1428-1429, les temps devinrent plus difficiles pour la Nation et nos calculs nous font estimer un revenu d’environ 38£p pour cette même année185.

78En fin de compte, les chiffres que nous avons pu recueillir et comparer portent à croire qu’un procès au Parlement pour une affaire universitaire parisienne coûtait assez peu cher et que, malgré des revenus plutôt modestes, les universités pouvaient en défrayer les coûts. Les sommes que nous avons pu déterminer se rapprochent des frais de taxation accordés par la cour, pour des affaires venant de Paris ou de la région parisienne, étudiées par H. Lot. Les honoraires des avocats, payés par la Faculté de médecine ou par la Nation anglaise, sont du même ordre que les frais admis par les taxateurs au siècle précédent. Cette approche économique nous fait un peu mieux comprendre comment les universités ont pu plaider seules un aussi grand nombre de causes devant le Parlement, ainsi que le fait ressortir notre Tableau IV.

79La comparaison avec les procès de Montredon-des-Corbières, de Saint-Flour et des villes flamandes explique la modestie des coûts des causes universitaires parisiennes ; c’est qu’ils n’exigeaient aucun déplacement ni des plaideurs, ni des membres du Parlement pour faire enquête. Fondés en droit sur des privilèges royaux ou sur des statuts de corps constitués, ces litiges entraînaient surtout des frais de conseil, de plaidoirie, de représentation, d’écriture et d’apposition de sceaux. Selon les données parisiennes, un procès d’une dizaine, ou de quelques dizaines de livres, demeurait dans les limites des capacités budgétaires d’une université, mais il aurait été difficile de financer une entreprise dépassant les centaines de livres, comme c’eût été sans doute le cas de toute affaire venant de Toulouse ou de Montpellier. C’est vraisemblablement ce qui explique la très faible fréquentation du Parlement de Paris par les universités du Midi. Les remarques de M. Fournier et de J. Verger suggèrent d’ailleurs que les universités du Midi fréquentèrent assidûment le Parlement de Toulouse, dès que celui-ci devint un recours possible au XV^e siècle186. On note enfin que les collèges méridionaux fréquentèrent légèrement plus le Parlement de Paris que leurs universités. Les collèges disposaient de revenus habituellement plus importants que ceux des universités, en raison de leur patrimoine foncier187. On discerne là des indices assez probants qui expliquent pourquoi la quasi-totalité des procès universitaires au Parlement de Paris viennent du nord de la France, et avant tout de Paris même.

80Néanmoins, l’Université de Paris ne se lançait pas à la légère dans un procès au Parlement ; elle prenait soin au départ de requérir l’avis de ses conseillers juridiques. Ainsi, en avril 1445, l’assemblée universitaire chargea le recteur de consulter ses députés et conseillers, tant au Châtelet qu’au Parlement, pour demander leur avis sur des documents déposés par des adversaires de l’Université. S’agissait-il d’une citation en justice qui serait l’amorce d’un procès ou de pièces versées à l’occasion d’un procès en cours ? Le Livre de la Nation anglo-germanique demeure vague sur la question de fond. Il retient cependant que l’assemblée recommanda au recteur d’agir selon les conseils qu’il allait recevoir188. Il peut arriver que l’Université consulte pour une affaire des conseillers du Parlement, plutôt que ses avocats. Ce fut le cas à propos de blessures qu’avait subies l’ancien recteur, Albert L’Écrivain, en septembre 1444, au cours d’une altercation avec les élus des aides qui voulaient astreindre les universitaires à payer une taille. Un tel geste allait à l’encontre de la sauvegarde royale de l’Université et celle-ci fit grève189. À l’assemblée du 12 février 1446 (n.st.), plusieurs estimèrent bien chères les compensations demandées par les conseillers du Parlement qu’on avait consultés, d’autant plus, disait-on, qu’ils étaient jurés de l’Université et auraient dû se satisfaire des remerciements et de la reconnaissance de l’institution. En tout état de cause, on décida d’aller voir le roi pour obtenir de ces conseillers de se montrer moins exigeants à l’avenir190. Cette histoire, un peu surprenante, laisse soupçonner que l’Université avait pu s’adresser à des membres du Parlement pour éviter les honoraires des avocats ou pour mieux se positionner dans l’affaire.

81Lorsqu’une cause s’étirait et que vraisemblablement les frais s’accumulaient, on pouvait demander conseil sur les suites à donner. À sa réunion du 4 mai 1428, près de deux ans après le début du procès contre M^e Paul Nicolas, la Nation anglaise chargea son procureur et quelques maîtres de s’enquérir auprès de leurs conseils s’il était préférable de demander au Parlement le prononcé de sa sentence ou de continuer leur défense191. On les pria d’expliquer clairement le point de vue de la Nation et d’évaluer si les conseils donnés défendaient bien leurs intérêts, auquel cas on n’hésiterait pas à les suivre. Le Livre du procureur ne précise pas ce qu’il en advint, mais sans doute décida-t-on de poursuivre la lutte, puisque cette affaire ne se termina que beaucoup plus tard. L’année suivante encore, on consulta le procureur de la Nation au Parlement sur les suites à donner dans cette affaire192.

82Une cause qui durait trop longtemps pouvait parfois devenir difficile à suivre, surtout quand les conditions politiques entraînaient une certaine désertion de l’Université. La Nation anglaise, qui depuis 1429 se dépeuplait en raison du climat politique et religieux, fut confrontée à ce problème au cours de son interminable procès avec M^e Paul Nicolas. Le 13 janvier 1430, on constate qu’il ne reste plus que M^e Martin Bereck qui se souvienne, et pour cause, des faits à l’origine du conflit. Lui seul pouvait aller exposer le point de vue de la Nation au Parlement193. La baisse des effectifs provoquait également la diminution des revenus. Le 28 août 1431, l’assemblée de la Nation ordonna au procureur de payer les honoraires des avocats et du procureur qui la représentaient contre M^e Paul Nicolas et qui se plaignaient de n’avoir rien touché depuis longtemps194. L’Université pouvait bien appuyer l’une de ses composantes au Parlement, mais celle-ci assumait seule le fardeau financier du procès, comme l’a aussi montré le procès Domprémi.

83On a souligné plus haut l’importance dans une cause de recevoir l’appui du procureur du roi. Il était normal, à cette époque, de distribuer des gratifications aux gens du roi qui s’y étaient montrés favorables, fussent-ils les magistrats qui l’avaient jugée. Les ordonnances royales tentèrent parfois d’interdire, ou du moins de limiter, de tels dons qu’on appelait les épices. La coutume d’en distribuer persista durant toute notre période195. Nous en trouvons un exemple dans les Commentaires de la Faculté de médecine. Dans les comptes de 1409-1410, on remboursa 36s. à M^e Henri Doigni, régent de la Faculté, qui avait fait plusieurs dépenses en faveur du procureur et de l’avocat du roi, à l’occasion d’un procès contre Jean le Rouge qui pratiquait la médecine et la chirurgie sans en avoir le droit196. La poursuite avait été intentée à la fois par la Faculté et les chirurgiens. Le silence des Commentaires sur le tribunal qui jugea l’affaire, ainsi que l’absence de toute trace de ce procès dans les sources parlementaires, laissent penser qu’elle fut plaidée au Châtelet. Les bénéficiaires de ces largesses seraient donc le procureur et l’avocat du roi auprès de cette cour.

84Enfin, lorsqu’un conflit se produisait entre deux corps universitaires, chacun déployait ses efforts pour rallier les autres corps à sa cause. En 1424 éclata une dispute entre la Nation normande et la Nation française, à propos des bénéficiaires des bourses au collège du Plessis. Fondé en 1322 par Geoffroy du Plessis, notaire apostolique et secrétaire de Philippe V, le collège recevait à l’origine quarante boursiers, dont le nombre fut réduit à vingt-cinq, lorsque le même Geoffroy fonda le collège de Marmoutier, six ans plus tard en 1328, pour les religieux de cette abbaye197. La Nation normande dénonçait la prétention de la Nation française à exiger que les boursiers fussent originaires de la seule province de Tours, en particulier des diocèses de Saint-Malo et de Saint-Pol-de-Léon, alors qu’elle-même soutenait que six boursiers devaient venir du diocèse d’Évreux et six autres de n’importe où ailleurs. La première hypothèse limitait l’accès du collège aux seuls membres de la Nation française, alors que la seconde permettait au collège d’accueillir des étudiants normands ainsi que des deux autres nations. Les Normands vinrent donc demander à la Nation anglaise de se joindre à eux dans cette cause qui devait être plaidée aux Requêtes de l’hôtel, le lieu habituel de soumission des litiges pour les bénéficiaires du privilège royal de committimus, ce qui était souvent le cas pour les collèges fondés par les grands serviteurs du roi198. La Nation anglaise accepta de se joindre aux Normands à sa réunion du 19 juillet 1425199. Le compte rendu des débats porte à penser qu’une démarche semblable fut entreprise auprès de la Nation picarde.

85Si les universités recouraient au Parlement pour défendre leurs privilèges, elles y venaient beaucoup plus souvent pour appuyer l’un ou l’autre de leurs suppôts dans la défense de leurs droits. Le Tableau IV nous a montré qu’entre 1300 et 1364 les universités appuyèrent leurs suppôts dans un tiers de leurs procès, que cet appui s’éleva à 50 % entre 1364 et les années 1430, et retomba ensuite. Quelques exemples tirés du Livre de la Nation anglo-germanique et des Commentaires de la Faculté de médecine révèlent que la corporation ne s’engageait pas sans certaines précautions200. Ainsi, le 29 décembre 1420, M^e Adam d’Origny demanda à la Faculté de médecine de l’appuyer dans sa poursuite contre un faux médecin à Reims201. D’Origny avait étudié à la Faculté où il apparaît une fois comme régent en 1418. Membre de la Nation picarde, sans doute était-il originaire d’Origny-en-Thiérache (Aisne) ; il était donc plausible qu’après ses études il se fût établi à Reims. La Faculté décida de se joindre à lui, après s’être bien informée de la cause et avoir pris conseil. Mais l’affaire n’alla pas plus loin car, nota le doyen, la poursuite avait cessé à la suite du décès du faux médecin. Le 25 octobre 1447, M^e Nicolas de Coquerel, bachelier en théologie, qui avait été recteur en 1432202, demanda à la Nation anglo-germanique de l’appuyer dans un procès touchant son privilège étudiant de vendre son vin franc de tout droit. À la même assemblée, M^e Dodo Nicolas fit la même requête pour un litige concernant un transfert de biens dont la nature n’est pas précisée. Dans les deux cas, la Nation élut des représentants à qui elle recommanda, avant de s’engager, d’évaluer le mérite de la cause203.

86Mais les demandes d’adjonction devaient ultimement être soumises à l'assemblée de l’université. On a vu que c’était toujours le recteur, comme représentant de l’université, qui se apparaissait au côté des suppôts devant le Parlement. Ainsi, le Livre de la Nation anglaise rapporte que, le 27 février 1381, M^e Jean Golein, de l’ordre des Carmes, obtint l’appui de l’assemblée de l’Université et du recteur dans un procès au Parlement qui concernait ses propres intérêts et ceux de son ordre204. Maître en théologie et personnage important, comme l’attestent les nombreuses mentions de son nom dans le Chartularium, il fut aussi l’un des traducteurs de Charles V. L’affaire concernait la succession d’une certaine Pernelle de Crépon. Le 15 mars 1381, plusieurs Carmes vinrent assurer le Parlement qu’ils n’avaient pas reçu le dernier legs de cette dame205. Ni Golein ni l’Université de Paris ne s’étaient alors présentés. L’affaire s’éternisa ; on plaidait encore le 14 juin et le 19 juillet 1390206. Golein avait été le confesseur de Pernelle et les exécuteurs le soupçonnaient d’avoir influencé abusivement sa pénitente en sa faveur lors de la rédaction de son testament, par lequel elle lui léguait une maison. Golein ne devait pas être innocent dans l’affaire. Aussi, l’appui de l’Université se matérialisa-t-il timidement et tardivement : le 5 mai 1391, elle vint demander au Parlement d’être compréhensif à l’égard des Carmes et de Jean Golein207. Finalement, deux décisions en conseil, prises le 7 février 1394 et le 30 janvier 1395, imposèrent la transformation de la maison en chapelle et contraignirent Golein à verser 300 francs pour assurer cette fondation208.

87D’autres exemples confirment que les demandes d’appui relevaient de l’assemblée de l’Université. Le 12 avril 1383, la Nation anglaise conseilla à celle-ci de s’adjoindre à deux maîtres, qui voulaient poursuivre des personnes laïques devant le Parlement pour blessures, s’il s’avérait qu’ils fussent dans leur bon droit209. Beaucoup plus tard, le 23 novembre 1444, M^e Jean François demanda à la Nation française d’intercéder en sa faveur pour que l’Université se joignît à lui, ainsi qu’au collège de Fortet et au chapitre de Paris. Le compte rendu ne mentionne pas devant quel tribunal fut plaidée la cause. Le 1^er décembre suivant, la Nation adressa effectivement la requête de son suppôt à l’assemblée de l’Université210.

88Il apparaît assez clairement que l’Université ne s’impliquait pas financièrement dans les procès où elle appuyait ses suppôts. Au moins deux fois, en 1383 et en 1392, le Livre de la Nation anglaise rapporte qu’au moment de se joindre à un suppôt, l’Université précisa que le procès serait, selon la coutume, à ses propres frais211. Il pouvait aussi arriver que la poursuite qu’un suppôt souhaitait engager intéresse directement une nation. Au début du mois de mai 1445, un maître de la Nation française, Philippe Langlois, moine de Sainte-Geneviève, estimait que l’office de chancelier de l’abbaye lui revenait en vertu des privilèges apostoliques. Il alléguait que l’abbé lui avait préféré un moine non diplômé, Jean du Puits. La Nation française appuyait Langlois, alors que les trois autres nations favorisaient du Puits. Le 3 mai, l’assemblée de la Faculté, au sein de laquelle la Nation française figurait en minorité, refusa d’appuyer Langlois212. Cependant, le lendemain, la Nation française lui accorda non seulement son appui, mais aussi son aide financière, dans le cas où Langlois viendrait à manquer de ressources. L’affaire fut soumise au Châtelet. Le livre de la Nation enregistre effectivement une dépense de 33s.p. à ce sujet213.

89S’il ne tirait aucune aide financière de la corporation, celui qui bénéficiait de l’adjonction de l’université profitait d’un surcroît de crédibilité juridique et de notoriété sociale. La plupart des procès concernait des privilèges dont jouissaient les universitaires en vertu de leur appartenance corporative. La présence de l’université à ses côtés authentifiait en quelque sorte le bon droit du plaideur universitaire et minimisait les possibilités de voir contesté par l’adversaire son statut de membre de la corporation. Tout aussi importante était la confirmation de la notoriété sociale du plaideur, qu’apportait la présence à ses côtés d’un corps aussi prestigieux que l’université. Les comptes rendus des plaidoiries laissent percevoir l’immense différence existant entre le pauvre écolier qui arrivait seul devant la cour pour défendre ses droits et celui qui se présentait accompagné du recteur de son université, voire bénéficiait du soutien du procureur du roi. Leur position sociale n’était pas la même et l’avocat de la partie adverse n’abordait pas la cause de la même façon214. De telles considérations s’avéraient primordiales dans une société comme celle du Moyen Âge, dans laquelle le status et la qualité des groupes d’appartenance définissaient l’image sociale de l’individu. Pour les universités, leur présence aux côtés de leurs suppôts affichait leur détermination à ne tolérer aucune attaque contre leurs privilèges.

4. Le procureur du roi et les causes universitaires

90Considérant le nombre des procès et l’attention que les universités leur accordaient, on soupçonne que les universitaires trouvaient des appuis au Parlement. M. Fournier note qu’à la fin du XIV^e siècle, la cour donnait le plus souvent raison à l’Université d’Orléans dans ses nombreux procès, et il cite un document de 1389 faisant mention du refus que les avocats et les procureurs préféraient opposer, lorsqu’on les requérait pour plaider contre l’Université'215. Quelle fut donc l’attitude générale des pouvoirs publics à l’égard des nombreux recours des universitaires au Parlement de Paris et de leur pugnacité à défendre leurs droits ? On peut répondre précisément à cette question en examinant l’attitude du procureur du roi dans les causes concernant le monde des écoles.

91La fonction de procureur du roi prit forme au cours du règne de Philippe III. Elle existait déjà quand les universités commencèrent à fréquenter régulièrement le Parlement. Premier représentant du souverain à la cour, le procureur du roi se recrutait parmi les meilleurs juristes. Il jouissait d’ailleurs des mêmes droits et privilèges que les membres du Parlement. Le procureur du roi pouvait intervenir dans toutes les causes, dès qu’il estimait que l’affaire touchait les intérêts du monarque. Il avait aussi un droit de regard sur les ordonnances royales, avant que le Parlement ne procède à leur enregistrement et à leur publication. Le procureur du roi était assisté dans ses fonctions par les deux avocats du roi au Parlement, qui lui étaient subordonnés216.

92La présence du procureur du roi comme tiers intervenant dans un procès pouvait prendre plusieurs formes217. Au niveau le plus simple, il lui arrivait d’exprimer son avis sur un point débattu au cours des plaidoiries. Dans les procès universitaires, il s’agissait par exemple de rectifier l’interprétation d’un droit royal faite par l’une des parties. Lorsqu’il estimait que la position défendue par une partie allait à l’encontre du droit royal, il lui arrivait de se joindre à son adversaire. Son adjonction pouvait se faire dès le départ : il était alors cité dans la désignation des parties, comme dans ce procès qui s’ouvre le 19 novembre 1377, « entre le procureur du roy et l’Université d’Orliens d’une part, Jehan Chenart et Noël Sauvage pour eux d’autre part »218. Il s’agissait d’un cas d’atteinte à la sauvegarde royale des universitaires par deux sergents de la ville. Les deux officiers avaient enfreint un privilège royal et le procureur se joignit à la partie lésée. Il arrivait aussi que le procureur décidât de s’adjoindre à l’une des parties en cours de procès. Enfin, il pouvait se constituer lui-même partie, lorsqu’un individu ou une institution contrevenaient au droit royal. Ainsi, le 7 juin 1409, s’ouvre le procès « en la cause du procureur du roy, et maistre Philippe de Ver d’autre part »219. M^e Philippe, qui se disait écolier, reçut un peu plus tard l’appui de l’Université de Paris. Il voulait plaider, au Châtelet de Paris ou au Parlement, un litige à propos de dix masures à Ver-sur-Mer (Calvados), pour lesquelles il devait une rente au roi. Le procureur du roi, Denis de Mauroy, demandait le renvoi de l’affaire devant le tribunal du bailliage, mieux placé selon lui pour en connaître, mais Philippe de Ver et l’Université invoquaient leur privilège de ne pas plaider en dehors de Paris. Le procureur du roi estimait qu’il s’agissait-là d’un usage déraisonnable du privilège, qui allait contre le droit du roi.

93Il va sans dire que l’appui du procureur du roi était précieux et la partie qui en bénéficiait pouvait espérer qu’elle influe sur le verdict de la cour. Il n’est pas rare de lire dans les registres que la partie favorisée par son intervention se réclame ensuite de son autorité. C’est le cas, en 1429, de messire Jean Nivard en procès contre son fils M^e Bernard Nivard, maître à la Faculté de médecine, à propos de l’exploitation de vignes appartenant à ce dernier. Bernard Nivard avait été doyen de la Faculté de médecine en 1422-1423 et on peut suivre sa carrière dans les Commentaires de la Faculté de médecine220. Dans une courte intervention, le procureur M^e Guillaume Barthélemy estimait la position de M^e Bernard abusive. Aussitôt, « messire Jehan Nivard emploie le propos du procureur du roy et requiert estre premier paie »221. Cela dit, il pouvait arriver que le Parlement aille à l’encontre de l’avis du procureur du roi, comme le rappelle Jean le Coq, lui-même avocat du roi, dans la question 131 de son traité222.

94Le procureur du roi remplissait en quelque sorte la fonction de ministère public. Il était amené à intervenir fréquemment dans les procès universitaires, car les débats portaient le plus souvent sur des privilèges royaux. La position qu’il adoptait alors témoignait de l’attitude des pouvoirs publics à l’égard de l’usage fait par les universités de leurs privilèges royaux. Il est possible de connaître son opinion dans une cause, soit parce qu’il s’érige en partie ou se joint comme partie dans un procès, soit parce qu’il émet un avis qui favorise le point de vue de l’une des deux parties. Pour cette raison, son attitude est beaucoup plus facile à saisir dans les plaidoiries que dans les arrêts et jugés. Si les deux source enregistrent son adjonction, seules les plaidoiries consignent ses avis ponctuels. Nous avons donc procédé à l’analyse du rôle du procureur du roi chaque fois qu’il apparaît dans nos procès. Le tableau de la page suivante indique le nombre de procès universitaires et collégiaux pour chaque tranche chronologique, et le nombre de fois où le procureur intervint pour ou contre les gens d’étude. Nous comptons parmi les attitudes favorables aux gens d’étude les quelques rares cas où le procureur du roi intervint dans un procès dans lequel les deux parties appartenaient au milieu universitaire.

95On constate que le procureur du roi intervint 89 fois en faveur des universitaires et 57 fois contre, soit au total dans 146 procès universitaires, ce qui représente 30 % du corpus. En général, il apparaît alors favorable aux universités et à leurs membres dans un rapport moyen de deux causes sur trois, sauf durant les trois dernières décennies où son attitude changea radicalement. S’il restait dans l’ensemble un allié précieux, on ne peut le considérer pour autant comme un défenseur inconditionnel des universitaires. En revanche, le procureur du roi se manifesta peu dans les procès des collèges ; il n’y intervint que 20 fois, soit dans 14 % des causes. Il parla tout autant en faveur que contre les collèges. Le petit nombre de causes nous interdit toutefois toute généralisation quant à l’attitude du procureur du roi à leur égard.

96Concentrons notre attention sur les universités. Entre 1309 et 1364, la présence du procureur est faible, mais significative. Des 10 causes dans lesquelles il intervient favorablement, une université n’est présente qu’une seule fois comme partie. Il s’agit d’un procès qui opposa, en 1355, le procureur du roi et l’Université d’Orléans à des sergents d’Orléans qu’ils accusaient de négligence dans l’exercice de leurs fonctions223. Les universités furent totalement absentes des 9 autres causes dans lesquelles le procureur du roi appuya des universitaires. La comparaison des Tableaux IV et VII montre que parmi les 60 suppôts qui vinrent défendre leurs intérêts devant le Parlement, de 1304 à 1364, 8 reçurent l’appui de leur université et 9 celui du procureur du roi, mais jamais celui des deux en même temps.

97Entre 1364 et 1448, on note deux phases dans l’attitude du procureur du roi à l’endroit des universitaires. Entre 1364 et 1419, il appuya ceux-ci 68 fois et leurs adversaires 33 fois. Il se révéla à cette période un allié important dans la défense des droits des gens d’étude. À la différence de la période précédente, l’université fut le plus souvent présente lorsque le procureur favorisa ses gens. On recense seulement 16 cas où une affaire universitaire reçut son appui, sans qu’une université n’intervienne. C’est peu, si l’on considère que durant la même période les universités soutinrent leurs suppôts 98 fois dans la défense de leurs droits. Sans l’appui de son université, un suppôt n’était plus guère susceptible de recevoir l’aide du procureur du roi, comme c’était le cas durant la première moitié du XIV^e siècle.

TABLEAU VII. Attitude du procureur du roi dans les procès universitaires et collégiaux au Parlement de Paris

98Entre 1419 et 1448, le procureur du roi se montra très nettement défavorable aux universitaires. Plus précisément, c’est à partir de 1424 que presque chaque année, et parfois plus d’une fois la même année, le procureur du roi s’opposa aux universitaires. Ce revirement d’attitude est d’autant plus significatif qu’il se manifesta autant de la part du procureur du roi du Parlement de Paris anglo-bourguignon de 1422 à 1436, M^e Guillaume Barthélemy, que de celle de son vis-à-vis, M^e Pierre Cousinot, au Parlement de Poitiers228. Ce dernier conserva la même attitude lorsqu’il devint procureur du roi Charles VII au Parlement de Paris, après 1436. Quelques interventions des deux hommes se firent très virulentes à l’égard des privilèges des universités, dont ils plaidaient la limitation. C’est le privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude qui se trouva particulièrement visé. L’attitude des procureurs du roi de cette époque laisse prévoir la promulgation d’ordonnances pour encadrer plus strictement l’usage des privilèges universitaires, ce qui sera effectivement le cas au cours de la seconde moitié du XV^e siècle ; ces restrictions culminèrent avec la perte du droit de faire grève, d’abord décrétée par le pape à la demande de Louis XI, en 1462, puis par Louis XII, en 1499229.

99La matière du litige semble avoir été le principal facteur qui déterminait les interventions favorables ou défavorables du procureur du roi. Le Tableau VIII indique le nombre total de procès et le nombre d’interventions du procureur du roi, dans un sens ou dans l’autre, selon les matières contentieuses faisant l’objet du litige, telles qu’elles ont été définies pour le Tableau V.

TABLEAU VIII. Attitude du procureur du roi selon la matière des causes universitaires

100Le Tableau VIII se prête à plusieurs commentaires. Tout d’abord, il confirme que le procureur du roi intervenait principalement à propos de la législation royale. Les causes touchant l’intégrité de la personne avaient le plus souvent comme enjeu l’infraction de la sauvegarde royale des universitaires ou leur emprisonnement abusif par les officiers royaux. Le procureur du roi intervint dans près de la moitié de ces causes. De même en est-il pour les litiges qui avaient pour origine les différents privilèges fiscaux accordés par le roi aux universitaires. En revanche, le procureur du roi s’intéressait moins aux nombreux procès lors desquels les universitaires défendaient leurs biens et leurs revenus. Toutes ces causes étaient plaidées dans les villes d’étude ou venaient au Parlement en vertu du privilège universitaire de ne pas plaider en dehors du lieu scolaire. Le procureur intervenait surtout lorsque le débat se concentrait sur la légitimité même à invoquer ce privilège dans la cause, plutôt que sur la matière réelle débattue. De même, il se mêlait très peu des questions bénéficiales et des procès sur les droits corporatifs des universités, qui étaient plaidés en termes de saisine et nouvelleté.

101Le Tableau VIII indique également que les causes dans lesquelles le procureur du roi appuyait le plus souvent les universitaires étaient relatives à l’intégrité de la personne. Des 16 cas où il s’opposa aux universitaires, 8 se rapportent à des demandes de libération de suppôts parisiens emprisonnés au Châtelet ou à la Conciergerie. Le procureur pouvait alors exprimer le désir d’examiner plus à fond les motifs invoqués, soit qu’il doutât que l’inculpé soit vraiment un étudiant, soit que le délit dût être réservé à la justice royale. Par exemple, le 23 août 1403, le procureur affirma que le curé de Saint-Eustache à Paris, emprisonné au Châtelet, dont l’évêque de Paris, Pierre d’Orgemont, et l’Université réclamaient conjointement la libération, devait être jugé par le prévôt de Paris, parce qu’il était accusé de faux, ce crime étant en effet réservé à la justice royale230. La cour décida sur-le-champ de conserver la cause à la prévôté, mais libéra le curé sous caution.

102Il arrivait aussi que le procureur du roi prît parti contre les universités ou leurs suppôts dans des cas de sauvegarde enfreinte, soit qu’il doutât du statut réel de la personne en cause et de son droit de jouir de la sauvegarde royale, soit que la partie adverse ou les circonstances du délit concernassent directement le roi. Le 2 janvier 1430, le procureur du roi, M^e Barthélemy, se joignit à M^e Macé Ogier, notaire, qu’un suppôt de l’Université, M^e Philippe de Vitry, avait menacé de son couteau, au cours d’une altercation à l’extérieur de la chambre du Parlement. Le cas étant criminel, Vitry se réclama de son statut d’étudiant pour être jugé par l’évêque231. Le procureur soutint qu’il devait être présenté au Parlement en raison du lieu de l’offense. Lorsque des actes de violence se produisaient entre des étudiants et des officiers royaux qui jouissaient également de la sauvegarde royale, il arrivait que le procureur soutînt plutôt les serviteurs du roi, surtout s’ils étaient d’un certain rang. Le 27 août 1403, M^e Pierre le Cerf appuya Jean Arnault, clerc de la Chambre des deniers de la reine, dans sa cause contre M^e Nicole Gousu, maître du collège de Boissy, avec qui il avait eu une altercation violente232.

103Le procureur du roi se montrait beaucoup moins favorable aux gens d’étude lorsque la matière de la cause était réelle. Quelques-unes de ses interventions négatives portèrent sur la matière même du litige, mais la plupart se produisirent lorsque le débat se déplaçait sur la pertinence d’invoquer le privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude. En effet, 14 des 19 interventions négatives du procureur dans des causes réelles dénoncent des abus de ce privilège. Trois types d’arguments étaient utilisés. Parfois, le procureur contestait le statut d’étudiant de celui qui réclamait la jouissance du privilège. D’autres fois, il estimait que l’étudiant poursuivait en son nom une cause qui concernait en fait l’un de ses proches, afin d’ajourner l’adversaire dans une ville universitaire plus éloignée. Enfin, il arrivait au procureur du roi de soutenir qu’un procès concernant un universitaire devait rester devant la justice d’un bailliage233.

104L’attitude du procureur du roi semble avoir été plus partagée lorsque l’enjeu du procès était l’usage de privilèges fiscaux et économiques. S’il en appuyait l’usage légitime, il se montrait prompt à réprimer les abus. Ainsi, le 22 mars 1387, M^e Jean Anchier, se constitua comme partie adverse dans un appel de M^e Jacques de Pronerville contre le prévôt de Paris. Ce dernier avait fait saisir les 500 carpes que M^e Jacques avait introduit dans la ville, en toute franchise comme il en avait le privilège, et qu’il avait ensuite vendues à des marchands de poissons. Le procureur du roi n’hésita pas à soutenir la décision du prévôt de Paris, Audoin Chauveron234. De même, le 19 avril 1414, le procureur du roi, M^e Jean Aguenin, accorda son appui à Gilet Hannequin, fermier des impôts à Troyes, contre l’Université de Paris adjointe à Jean Parisot, père, et Jean Parisot, fils, ce dernier étant étudiant235. Les deux avaient voulu faire entrer dans la ville, sans payer de droits, le fruit de leur vendange qui, pour cette raison, fut saisi par le fermier des impôts de Troyes. Les deux Parisot poussèrent l’outrecuidance jusqu’à citer le fermier devant le prévôt de Paris en vertu du privilège étudiant du fils de ne pas plaider en dehors de Paris, bien qu’on leur ait interdit par lettres royaux d’entamer une telle poursuite. Le Parlement n’hésita pas à suivre l’avis du procureur du roi et à interdire toute action à l’universitaire avant qu’il n’ait mieux examiné l’affaire, sous peine d’une amende de cent marcs d’argent.

105Lors de ses quatre interventions négatives dans des causes bénéficiales, le procureur du roi critiquait à nouveau l’usage abusif du privilège de ne pas plaider en dehors de la ville universitaire et demandait le renvoi des causes au tribunal de bailliage. Le procureur défendait aussi la justice royale lorsque des universitaires parisiens voulaient porter devant le tribunal du conservateur des privilèges apostoliques des litiges sur lesquels la justice royale s’était déjà penchée. Par exemple le 6 juin 1366, le Parlement en conseil condamna le curé de Flavacourt (Oise) ainsi que le conservateur des privilèges apostoliques de l’Université. Le curé avait voulu se soustraire à l’exécution d’une sentence du Parlement le forçant à payer la rente qu’il devait pour sa cure à l’abbaye de Saint-Germer-de-Flay, en transportant l’affaire devant le conservateur236. La démarche allait à l’encontre du droit royal, aussi le procureur s’adjoignit-il aux religieux contre l’universitaire.

106La plupart des procès qui retinrent l’attention du procureur du roi s’avèrent habituellement d’un enjeu important. Mais il pouvait aussi intervenir dans des affaires tout à fait mineures, voire assez cocasses, que l’historien moderne est surpris de voir traiter par une instance aussi solennelle que le Parlement de Paris. Voici la transcription in extenso de l’une des causes les plus curieuses de notre corpus, en date du 7 mars 1429 :

« En la cause d’entre (le greffier a laissé un espace blanc) escholier demandeur d’une part, et le procureur du roy defendeur d’autre part. Le demandeur recite le contenu en sa requeste bailliee par escript pour avoir sa robe et son chaperon. Le procureur du roy defend et dit que nul ne doit aler en habit desguisé ou contrefait et sur les peines contenuez es ordonnances qu’il recite. Et dit que nagaires une jeune fille tu prise vestue d’une robe et d’un chaperon d’escholier ; si a esté amenee en prison, et a esté la robe d’escholier confisquée, et si a esté distribuée ou le prouffit d’icelle selon les ordonnances. Et n’estoit mie la robe audit demandeur et n’est mie vraisemblable qu’il l’eust baillié pour vestir ladite fille. Et si l’avoit fait vestir en sa chambre alléguant suam turpitudinem, et ne seroit receu. Si conclut a fin d’absolution. Appert que le demandeur informera la court du contenu de sa dite requeste et ce fait, la court fera ce qu’il appartiendra »237.

107Quelles conclusions peut-on tirer de cette analyse de l’attitude du procureur du roi ? Premièrement, on constate qu’il se montra plutôt favorable aux universitaires jusqu’au début des années 1420. Son attitude pouvait donc constituer pour les gens d’étude un encouragement à venir au Parlement. Mais, on ne peut parler pour autant de complaisance à leur égard. Tout au long de notre période, il arrive que le procureur prenne parti contre des membres des universités, soit qu’il juge qu’un universitaire utilise ses droits de façon abusive, soit qu’il conteste le statut d’étudiant à celui qui réclame le bénéfice d’un privilège. Dès le début du XIV^e siècle, l’Université commença d’ailleurs à adopter des mesures pour contrer ces abus et pour s’assurer que seuls les vrais étudiants bénéficiaient des privilèges de l’étude238. Deuxièmement, on constate que parmi les privilèges, c’est la sauvegarde royale qui est la moins remise en question par le procureur du roi. Ce privilège ayant été surtout invoqué avant les années 1410, nous tenons là sans doute l’une des explications de son attitude davantage favorable notée jusqu’alors239. À l’opposé, on sent que le privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude suscitait progressivement sa méfiance. À partir du XV^e siècle, sa critique ne portait pas seulement sur l’abus, mais sur le fond même de ce privilège. Il arrivait alors, comme nous le verrons, que le procureur du roi soutienne qu’un tribunal de bailliage se trouvait mieux éclairé pour juger d’une affaire locale, même si l’un des intéressés était un étudiant. Enfin, il faut souligner que sa préoccupation première étant la défense des intérêts du souverain, le procureur du roi a certainement contribué par ses nombreuses interventions à étendre l’emprise du pouvoir civil sur le monde universitaire.

5. Les universitaires devant le Parlement de Poitiers (1418-1436)

108Après la fuite de Paris du dauphin, le futur Charles VII, en 1418, on assiste au dédoublement des institutions administratives du royaume : deux Chambres des comptes à Paris et à Bourges, deux Parlements à Paris et à Poitiers240. Au départ modeste, le Parlement de Poitiers, établi par l’ordonnance de Niort du 21 septembre 1418, siégea depuis décembre de cette année jusqu’en novembre 1436, comme l’attestent les archives qu’il a laissées241. Dès 1429, il comptait déjà 18 conseillers. En 1430, le Parlement de Poitiers regroupait 44 membres, sous la présidence de Jean Jouvenel, dont 29 conseillers. Les universités d’Orléans, d’Angers, la nouvelle Université de Poitiers, et les universités languedociennes se trouvaient dans la partie du royaume restée fidèle à Charles VII. Mais, comme l’a montré le Tableau II, les universités du Midi ne fréquentèrent pas davantage Poitiers que Paris, et ce sont essentiellement les universitaires d’Orléans, d’Angers et de Poitiers qui recoururent au nouveau Parlement. Nous allons donc conclure ce chapitre en examinant quels furent les rapports des gens d’étude avec le Parlement de Poitiers, en reprenant les paramètres utilisés pour Paris.

109En ce qui concerne la matière des litiges, on assiste au Parlement de Poitiers aux mêmes types de débats qu’à Paris et à la même évolution de la procédure. Parmi les 47 procès universitaires débattus entre 1422 et 1435, plusieurs sont des appels soumis par écrit ou des discussions de procédure, sans enseignement quant à la nature du litige. Il reste 31 causes dont on peut déterminer l’objet : 3 portent sur l’intégrité de la personne, 16 sur des matières réelles, 2 sur des exemptions fiscales, 9 sont des causes bénéficiales, et une dernière concerne le fonctionnement de l’Université d’Angers. Comme à Paris à la même époque, la protection de l’intégrité de la personne est passée au second plan, et ce sont essentiellement la défense des biens, des revenus, des héritages et les querelles bénéficiales qui amènent les universitaires au Parlement.

110On constate cependant que les universités appuient beaucoup moins fermement leurs membres que durant les décennies précédentes à Paris. Entre 1364 et 1419, les universités d’Orléans et d’Angers s’étaient adjointes 20 fois à leurs membres dans leurs 79 causes devant le Parlement de Paris. Au Parlement de Poitiers, où l’on compte 45 procès venant d’Orléans, d’Angers, puis de Poitiers, on note seulement 4 cas pour lesquels les universités s’adjoignirent à leurs membres, et une seule cause que l’Université d’Angers plaida seule. Les universités d’Orléans et d’Angers furent beaucoup moins présentes au Parlement de Poitiers qu’elles ne l’avaient été précédemment à Paris, alors que, durant cette même période, l’Université de Paris demeura assez assidue au Parlement de Paris. Ce n’est qu’à partir de 1439 qu’on constate un certain fléchissement plus général dans l’appui des universités à leurs membres au Parlement de Paris. Après le retour de Charles VII à Paris et la réorganisation du Parlement, les universités d’Orléans, d’Angers et de Poitiers ne vinrent que 5 fois à Paris, pour les 31 causes qu’y plaidèrent leurs suppôts, entre 1439 et 1448.

111Le désengagement des universités se perçoit aussi dans le type de causes et dans la position des universitaires dans leurs procès à Poitiers. On se souvient qu’à Paris le nombre d’affaires soumises en première instance l’emportait largement sur les appels de sentences de tribunaux inférieurs. À Poitiers, on ne compte que 12 procès qui arrivèrent au Parlement en première instance, alors que 35 cas vinrent en appel. Dans le premier type de causes, les universitaires furent 2 fois demandeurs et 10 fois défendeurs. Il est plus difficile de déterminer leur position dans les cas d’appel. Plusieurs sont des appels par écrit, le plus souvent d’une sentence du conservateur royal des privilèges universitaires, pour lesquels les registres n’indiquent pas clairement qui, de l’appelant ou de l’appelé, se réclame du statut d’universitaire. On peut cependant estimer, à partir des exemples où l’on peut saisir le statut des parties, que les universitaires seraient deux fois plus souvent appelés qu’appelants au Parlement de Poitiers. Notre impression est donc que les universitaires furent beaucoup moins souvent les initiateurs des actions qu’au Parlement de Paris.

112Ce désengagement des universités à l’égard du Parlement transparaît encore à travers ce procès, le plus intéressant pour notre propos, qui, en 1434, opposa le maître-école de l’Université d’Angers au doyen de la collégiale Saint-Jean-Baptiste d’Angers. Jusqu’en 1432, l’Université d’Angers ne dispensait qu’un enseignement de droit canon et de droit civil. Une première bulle du pape Eugène IV, en date du 8 octobre 1432, lui permit de devenir une université complète avec une Faculté des arts, une Faculté de médecine et une Faculté de théologie. Charles VII confirma cette création en mai 143 3242. Mais ces documents restent muets sur le droit de collation des titres académiques. Plus tard, une autre bulle, aujourd’hui perdue, étendit les droits du maître-école de l’Université, qui décernait déjà les diplômes en droit, aux deux nouvelles facultés supérieures de théologie et de médecine. Par ailleurs, la collation des diplômes ès arts était réservée au doyen de la collégiale de Saint-Jean-Baptiste243. Ce partage des responsabilités, promulgué par le pape, nous est seulement connu par la confirmation qu’en fit Charles VII en décembre 1434244. On créait ainsi une situation qui rappelait un peu celle de l’Université de Paris, où le chancelier de Notre-Dame conférait les titres académiques des trois facultés supérieures, mais partageait son droit sur la licence ès arts avec le chancelier de Sainte-Geneviève245. Cette situation s’avéra tout de suite une source de conflits. Le 16 décembre 1434 débuta un important procès où M^e Jean Bohale, maître-école d’Angers, contesta le droit de conférer les degrés ès arts à M^e Jean Boucher, doyen de Saint-Jean-Baptiste. Les parties vinrent plaider plusieurs fois, jusqu’au 10 février 1435246.

113Ce procès, très riche d’enseignements sur l’histoire de l’Université d’Angers, mériterait une analyse plus complète. Le pape et le roi avaient accordé l’extension des compétences de l’Université à la demande de la reine, Yolande d’Aragon. Celle-ci était la veuve de Louis II d’Anjou, mort en 1417, et la mère des deux ducs qui gouvernèrent ensuite le duché, Louis III, mort le 12 novembre 1434, et René qui lui succéda, ainsi que de Marie, l’épouse de Charles VII. C’est pour plaire à la maison d’Anjou, rappelle M^e Jean Boucher, que le pape et le roi accordèrent le droit d’attribuer les titres académiques ès arts au doyen de Saint-Jean-Baptiste d’Angers : la collégiale était une très noble église, où reposait le corps de « saint Lezin qui fut conte d’Anjou et evesque d’Angiers et estait de stirpe regis ». Saint Lézin, réputé de lignage curial, avait été comte et évêque d’Angers au VII^e siècle. Il avait fondé le monastère de Saint-Jean-Baptiste, qui se transforma plus tard en une collégiale247.

114M^e Jean Bohale, maître-école d’Angers et, à ce titre, membre du chapitre cathédral, s’adressa au Parlement pour défendre l’exclusivité de son droit d’attribuer la licence en plaidant son ancienneté. Il faut rappeler au départ que le maître-école fut vraiment le personnage le plus important de l’Université jusque très tardivement au XIV^e siècle. Ce n’est qu’à la suite de la réforme de 1398, conduite par le Parlement, qu’Angers acquit son plein statut d’université et fut dotée d’un recteur248. Devant le Parlement de Poitiers, M^e Bohale prétendit donc que l’Université avait eu de tout temps le droit d’enseigner les arts, la médecine et la théologie, et même qu’elle avait déjà dispensé des enseignements dans ces domaines. Seulement, les étudiants préférant recevoir leurs titres académiques de l’Université de Paris, Angers ne s’afficha jamais officiellement dans ces domaines, bien qu’elle en eût le droit. Aussi, depuis que Paris était devenue interdite à ses étudiants à cause de la guerre, il était normal qu’elle étendît son champ d’action académique et que le maître-école exerçât ses droits. L’argument de M^e Bohale nous rappelle que la division de la France à cette époque avait introduit une fracture dans le réseau scolaire constitué par les universités de Paris, d’Orléans et d’Angers. C’est d’ailleurs parce que les étudiants parisiens ne pouvaient plus poursuivre leur formation en droit civil à Orléans, que Henri VI fonda l’Université de Caen à la même époque249. Des lettres de rémission du même roi montrent bien qu’un étudiant parisien pouvait facilement être soupçonné de traîtrise s’il se rendait à Orléans250.

115M^e Bohale argua donc de la plus grande ancienneté de son droit par rapport à M^e Boucher qui n’avait été avantagé que très récemment par la bulle pontificale. Son propos est tout à fait conforme à l’esprit du droit coutumier : sa juridiction sur la licence ès arts est plaidée en termes de saisine et de nouvelleté. L’avocat de M^e Boucher s’opposa à l’argument en tentant de démontrer que cette juridiction était une création nouvelle et qu’elle ne pouvait en rien être assimilée à une extension d’un droit ancien.

116Le plus étonnant dans l’affaire demeure l’absence de l’Université d’Angers. Visiblement, le partage des responsabilités dans l’attribution des titres académiques avait divisé la communauté universitaire. L’avocat de M^e Boucher note que quatre nations, sans préciser lesquelles, appuyèrent d’emblée l’initiative, mais que les deux autres ne se rallièrent que plus tard. Il avait aussi requis, dès le début du procès, que le Parlement procède avec célérité dans l’affaire car « l’Université d’Angiers est moult troublée a bailler les degrez es sciences ou facultés ». Une dizaine de maîtres soutenaient effectivement M^e Jean Boucher et leurs noms sont cités comme parties adjointes dans le compte rendu des plaidoiries du 3 janvier 1435. Leur appui s’ajoutait à celui de Yolande d’Aragon. En revanche, M^e Jean Bohale ne semble avoir reçu le soutien de personne. Le procureur de l’Université n’intervint qu’à la fin du procès et, sans prendre parti, requit l’expédition des lettres royales sur les nouveaux privilèges de l’institution. Le procureur du roi, M^e Pierre Cousinot, fit à cette occasion sa seule intervention dans ce procès pour prier l’Université de ne pas abuser de ses nouveaux privilèges. Dans l’ensemble, l’Université d’Angers et le procureur du roi restèrent à l’écart du débat.

117Finalement, malgré les confirmations, pontificale et royale, du droit de M^e Boucher et l’appui de la reine Yolande, le 5 septembre 1435, le Parlement donna complètement raison à M^e Bohale, le maître-école de l’Université, et débouta son adversaire qui fut condamné aux dépens251. Il dut se dérouler à la même période des tractations entre l’Université et le maître-école dont la position se renforçait, car une bulle d’Eugène IV, datée du 10 septembre 1435, annula toutes les dispositions antérieures sur la collation des titres académiques, en théologie et en médecine, et reconnut au maître-école des droits aussi étendus que ceux du chancelier de Paris252. Le document reste muet sur la question de la Faculté des arts. Il semble cependant que le maître-école soit parvenu à s’imposer là aussi. Soixante ans plus tard, en 1494, une enquête sur le fonctionnement de l’Université fut menée par deux parlementaires253. L’un des témoins entendus fut le doyen de Saint-Jean-Baptiste, qui se plaignit de ne pouvoir exercer son droit que le maître-école avait confisqué à son profit. Les enquêteurs demandèrent aux parties de déposer leurs pièces à l’appui. On dut trancher en faveur du maître-école, car l’article 98 des nouveaux statuts de 1494 précise que les diplômés ès arts doivent lui être présentés254.

118Dans l’ensemble des procès plaidés à Poitiers, on constate que M^e Pierre Cousinot, procureur du roi durant toute cette période, manifesta la même attitude négative à l’égard des universités que le procureur du roi à Paris. On se rappelle qu’à partir du milieu des années 1420, son homologue au Parlement de Paris critiquait de plus en plus les universitaires, en particulier pour leur utilisation, qualifiée assez souvent d’abusive, du privilège de ne pas plaider en dehors de leur ville d’étude. Le même scénario se répète au Parlement de Poitiers. Le procureur du roi intervint dans 9 procès. Une seule fois, le 7 mai 1426, il favorisa plutôt Étienne des Tousches, étudiant d’Orléans, que son opposant, Jean Le Dunois, dans une cause bénéficiale255. Six fois, il s’adjoignit à la partie adverse, et deux fois, il intervint très brièvement en s’abstenant de prendre parti256.

119S’il existe un thème récurrent dans les procès plaidés à Poitiers, c’est bien l’usage abusif du privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude, le jus non trahi. Il est évoqué dans presque toutes les causes portant sur des bénéfices ecclésiastiques ou sur des matières réelles. Ce droit posait beaucoup de problèmes à ceux qui se trouvaient en conflit avec un étudiant. En gros, l’aire géographique des litiges universitaires plaidés à Poitiers est circonscrite par un périmètre dont les extrémités sont l’Anjou, l’Orléanais, le Berry et la Saintonge. On assiste à des chassés-croisés des parties, sur des distances parfois importantes, entre les juridictions locales et les deux villes universitaires principalement concernées, Angers et Orléans. Les suppôts de l’Université de Poitiers, fondée en 1431, ne plaidèrent que deux fois à Poitiers. Ces déplacements entravaient grandement la poursuite d’un procès contre un étudiant.

120Le premier problème tient aux coûts qu’entraînait, pour la partie adverse, l’ajournement de la cause dans la ville universitaire. Prenons l’exemple de ce procès plaidé le 30 janvier 1430 : il opposa l’abbé et le couvent de Notre-Dame de la Roë, de l’ordre de Saint-Augustin, à M^e Thibaut Dauxigue, étudiant à Orléans, à propos d’une rente sur héritage vendue aux religieux par les parents de M^e Thibaut257. Comme souvent dans ces cas, chaque partie assigna l’autre à la juridiction de son choix : les religieux citèrent M^e Thibaut à comparaître à Angers, à une soixantaine de kilomètres de leur couvent, alors que M^e Thibaut ajourna les religieux devant le prévôt d’Orléans, ce qui leur imposait un déplacement d’un bon deux cents kilomètres. Le privilège étudiant l’emporta, M^e Thibaut ne se présenta pas à Angers et les religieux se retrouvèrent à Orléans pour défendre leur cause, le mercredi 31 août et le vendredi 2 septembre 1429. Ce dernier jour, M^e Thibaut demanda un délai jusqu’à la saint Rémi, le premier octobre. Le prévôt reporta plutôt l’affaire au lundi 17 septembre. Cet ajournement imposait au procureur des religieux de séjourner à Orléans tout ce temps ; il ne pouvait se permettre un aller et retour au couvent, d’autant moins, ne manquèrent-ils pas de souligner, que la route était périlleuse. Le procureur devait voyager pratiquement le long de la ligne de démarcation du royaume de Bourges et de la France anglo-bourguignonne. Les religieux décidèrent donc de se retirer et d’en appeler à Poitiers de la décision du prévôt d’Orléans. Dans sa plaidoirie, leur avocat contesta le bien-fondé de la décision et souligna qu’il y avait grand inconvénient car « eust convenu au procureur des religieux qui estoit venu d’Anjou illec séjourner a grans despens ».

121Le privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude devenait particulièrement irritant lorsqu’il y avait transfert du droit litigieux d’un père à son fils, comme dans le procès de Jean Éveillé, barbier à Bourges, contre Gilbert Vallée et son fils M^e Étienne, étudiant à Orléans, plaidé le 6 décembre 1434. Jusqu’à ce que M^e Étienne devienne partie dans le procès, tout s’était déroulé devant le prévôt de Bourges. Celui-ci, prévoyant la manœuvre dilatoire de Vallée, lui avait même interdit d’assigner Éveillé ailleurs qu’à Bourges. M^e Étienne n’en procéda pas moins à Orléans, ce qui obligea Eveillé à se déplacer et à délaisser « son ouvrement et pratique, par quoy ses chalans (clients) le laissèrent »258. Éveillé gagna pourtant sa cause et Vallée fut condamné à réparer le mur mitoyen, objet du litige entre les deux parties. Il tenta un appel au Parlement, qui fut rejeté, et c’est au terme de toutes ces manœuvres qu’Éveillé et le procureur du roi poursuivirent, avec succès, les deux Vallée pour fraude et abus de privilège.

122L’exaspération des parties se lit dans une autre affaire plaidée le 24 mars 1433. Thomassin Causse exerçait à Saumur le métier de paelerie : il fabriquait des ustensiles de cuisine. Son métier l’obligeait à faire fondre du métal dans sa maison, ce que voulut empêcher le propriétaire de la maison voisine, M^e Jean Hubert, parce que cette pratique l’incommodait. Étudiant à Angers, M^e Hubert l’ajourna dans cette ville. Causse en appela au Parlement de Poitiers, arguant de la légitimité de sa pratique et des inconvénients pour lui d’aller plaider aussi loin qu’à Angers. En outre, Causse ajouta que M^e Hubert était bien en vue à Angers, alors que lui, pauvre ouvrier, risquait de perdre son procès s’il plaidait dans la ville universitaire. Aussi, à tout prendre, préférait-il que l’affaire restât au Parlement de Poitiers, ajoutant, avec une pointe d’ironie, que cela n’allait pas distraire M^e Hubert de ses études puisqu’il pouvait plaider par procureur, et même qu’il pouvait « aussi bien estudier en l’Université de Poictiers »259. Le Parlement prit en main la cause et, finalement, donna raison à Thomassin Causse, le 6 avril suivant260.

123Il ressort des nombreux litiges occasionnés par le jus non trahi que les étudiants se prévalaient largement de ce droit. Embarrassés, leurs opposants s’adressaient au Parlement de Poitiers pour tenter d’en restreindre les effets. Les universitaires se trouvaient presque toujours sur la défensive. On constate que le Parlement de Poitiers ne remplissait pas du tout pour eux la même fonction que celui de Paris. Au Parlement de Paris, les universitaires étaient le plus souvent les initiateurs des procès, alors que dans le royaume de Bourges ils comptaient, pour défendre leurs droits, essentiellement sur le conservateur de leurs privilèges dans leur ville d’étude. Le Parlement de Poitiers s’offrait surtout comme un recours à leurs adversaires. On peut même penser que ceux-ci se trouvaient encouragés dans cette voie par les appuis sporadiques qu’ils recevaient du procureur du roi.

124Le désengagement des universités au Parlement de Poitiers se manifeste enfin dans le fait qu’elles ne semblent pas avoir pensionné d’avocats auprès de cette cour. Dès le début, le greffier de Poitiers prit l’habitude de fournir le nom des avocats des parties, comme on le fera ensuite à Paris, lorsque le Parlement de Charles VII y sera restauré. L’examen des noms des avocats dans les causes universitaires révèle qu’un même avocat représentait tantôt les intérêts des universitaires, tantôt ceux de leurs opposants. Les universités d’Orléans et d’Angers ne semblent avoir développé aucun lien organique avec le Parlement de Poitiers, et celle de Poitiers était de fondation trop récente pour que l’on puisse porter un jugement. Pour l’Université d’Orléans, cette situation s’explique sans doute par le fait qu’elle connut à cette époque un ralentissement général de toutes ses activités, ainsi que l’a remarqué Ch. Vulliez. La reprise ne s’effectua vraiment pour elle que durant « les années 40 », pour reprendre l’expression de ce dernier261. L’Université retrouva alors un peu de sa pugnacité d’antan ; le 6 juillet 1439, elle poursuivit les habitants d’Orléans au Parlement de Paris pour une question fiscale, et le 22 mai 1444, elle ajourna le maître-école de la cathédrale, qu’elle accusait d’abuser de ses pouvoirs dans la distribution des titres académiques262.