1Le Parlement de Paris joua un rôle essentiel dans la défense du statut social des universitaires et dans le développement de l’emprise du pouvoir royal sur le monde scolaire1. L’écho de l’argumentation des gens d’étude nous est rapporté au fil des archives de cette cour, dont J. Verger a déjà souligné l’immense richesse2. Les historiens ont montré que les universitaires commencèrent à fréquenter le Parlement au début du XIV^e siècle et que l’intensité de leurs recours s’accrut notablement à partir de la seconde moitié de ce siècle. Ils attribuèrent cette évolution à la dépendance de plus en plus marquée des universités à l’égard du roi de France, à la diminution du rayonnement international de l’Université de Paris et à son implication dans les affaires du royaume au XV^e siècle3. Malgré tout, l’histoire approfondie des rapports entre les universités et le Parlement restait à faire. Pour cette raison, nous ne pouvons faire l’économie d’un premier chapitre qui présente les sources et qui procède au premier survol de leurs enseignements.

1. Les universités et le Parlement : l’état des sources

2On n’avait jamais procédé au dépouillement exhaustif de ce qui concerne les universités dans les sources parlementaires. Du Boulay, puis H. Denifle et É. Châtelain, dans le Chartularium Universitatis Parisiensis, ont signalé ou édité une centaine de pièces pertinentes pour comprendre les structures institutionnelles et les rapports de l’Université de Paris avec les autorités ecclésiastique et royale. M. Fournier offre une image encore plus incomplète pour les universités d’Orléans, d’Angers et de Poitiers, les seules à fréquenter régulièrement le Parlement. Les journaux de Nicolas de Baye et de Clément de Fauquembergue contiennent en revanche un grand nombre d’extraits des archives du Parlement de la première moitié du XV^e siècle sur l’Université de Paris4. Les Questiones de Jean le Coq ne citent pour leur part que dix causes débattues au Parlement par les universités à la fin du XIV^e siècle5. Enfin, les recueils les plus récents qui éditent des sources parlementaires ne concernent que très peu notre sujet6. Devant le caractère très lacunaire des sources éditées, il s’imposait de procéder au dépouillement systématique des archives pour composer une série chronologique homogène des procès universitaires au Parlement de Paris.

3La qualité même des archives du Parlement, qui débutent en 1254 et se poursuivent sans interruption ensuite, justifiait déjà qu’on les étudie. Aucune autre juridiction française, religieuse ou laïque, ne permet en effet d’étudier les rapports entre les universités et la société dans une si parfaite continuité. De plus, la richesse de l’information consignée dans ces archives permet une analyse fine des idées défendues par les parties pour faire valoir leurs droits. Malgré le caractère ingrat de leur dépouillement, on comprend que les sources parlementaires retiennent de plus en plus l’attention des historiens7. Cela dit, la masse des archives nous a tout de même imposé des choix dictés par notre perspective d’histoire sociale et intellectuelle. Nous avons donc privilégié les sources qui rendent le mieux compte du discours universitaire sur la place des gens d’étude dans la société française médiévale.

4Une première décision a été de nous limiter au Parlement civil et de laisser de côté les archives du Parlement criminel. Nous pensons en effet que la place des universitaires dans la société se manifeste davantage lors de la défense de leurs droits et privilèges, qu’à l’occasion de la répression de crimes dont ils sont tantôt les victimes, tantôt les auteurs. Après tout, le droit civil ne définit-il pas les règles des rapports sociaux entre les hommes, alors que le droit criminel vise à réprimer les déviations ? Nous limiter aux causes civiles ne nous fait pas ignorer entièrement la violence qui troublait le monde universitaire. En effet, la personne et les biens des gens d’étude se trouvaient en la sauvegarde du roi, en sorte que toute attaque à leur encontre était susceptible d’une double poursuite, en cour criminelle et en cour civile. Par exemple, celui qui blessait un écolier, ou endommageait son bien, pouvait être cité au criminel pour son délit et au civil pour infraction de la sauvegarde royale. Le premier procès entraînait souvent une peine afflictive ou infamante en cas de culpabilité, l’autre une amende au profit du roi et de la personne lésée. Le Parlement civil fut aussi le principal outil de l’extension de la juridiction royale à des matières qui relevaient jusque-là des tribunaux ecclésiastiques. Il fut enfin le lieu des débats sur les grandes questions politiques et religieuses de la fin du Moyen Âge, auxquels l’Université de Paris participait volontiers. En somme, le Parlement civil permettait de saisir d’un seul regard l’espace social que revendiquèrent les universités, autant par l’acharnement avec lequel elles luttèrent contre les atteintes à leurs privilèges, que par l’ambition de l’Université de Paris de conseiller le roi.

5Le Parlement de Paris tire ses lointaines origines du XII^e siècle, mais c’est au milieu du XIII^e siècle qu’il cesse de se déplacer avec le roi et qu’il se fixe à Paris. Au même moment débutent ses archives. À partir de cette période, il acquiert progressivement son identité institutionnelle, définitivement fixée par l’ordonnance de 1345, déterminant les grandes lignes de sa structure8. Ses archives sont organisées chronologiquement, selon un découpage par session. Très vite, au XIV^e siècle, la cour siégea en une seule session annuelle qui s’ouvrait, sauf circonstances exceptionnelles, le lendemain de la Saint-Martin d’hiver, soit le 12 novembre, ou le lundi suivant si la fête tombait un samedi ou un dimanche. La session se poursuivait jusqu’à l’été et pouvait se prolonger jusqu’en septembre, lorsque le rôle de la cour était trop chargé9. Le fonds du Parlement de Paris conservé aux Archives nationales à Paris se subdivise en différentes séries, qui n’apparaissent pas toutes au même moment de l’histoire. La seule série d’archives qui permette de suivre l’évolution du Parlement depuis ses débuts est celle des jugés, lettres et arrêts qui commence en 125410. En 1300, apparaît la série des accords et, en 1312, s’ajoute celle des arrêts du Parlement criminel11.

6À partir de 1364, le greffier du Parlement consacre une nouvelle série de registres à la transcription des plaidoiries et des délibérations en conseil12. Du lundi au samedi, sauf les jours fériés, le Parlement entendait les plaidoiries, un jour sur deux, dans la Grande Chambre. Les autres jours, il se réunissait en conseil pour discuter des procès en cours et pour décider des sentences13. Les plaidoiries constituaient la première étape incontournable d’un procès. Chacune des parties y présentait tous les arguments en faveur de sa thèse, par l’intermédiaire de son avocat. Rien ne devait être oublié, car aucun argument nouveau ne pouvait être ajouté par la suite14. La prudence exigeait de ne jamais laisser sans réplique un argument contradictoire, dès qu’il existait la moindre possibilité qu’il soit reçu favorablement par la cour. Aussi, par précaution, n’était-il pas rare de voir une partie évoquer, pour les réfuter, les arguments contre sa propre thèse. L’historien peut donc considérer que les plaidoiries expriment tout ce qui pouvait paraître acceptable à la rationalité médiévale, dans le cadre du discours judiciaire de la défense des droits. Les registres des plaidoiries offrent un compte rendu plus développé et plus complet des arguments utilisés par chacune des parties que ne le font les arrêts et les jugés, souvent laconiques sous ce rapport15.

7Malgré le caractère oral des plaidoiries, leur transcription dans les registres doit être traitée comme une source textuelle. Cl. Gauvard a souligné avec raison que les plaidoiries sont des discours codés qui obéissent à des exigences procédurières et rhétoriques bien précises16. Elles étaient prononcées en français et leur mise par écrit par le greffier du Parlement se faisait aussi dans cette langue17. À partir de notes prises au cours de la session et des documents soumis à la cour par les avocats des parties, le greffier reconstituait les interventions des plaideurs et les mettait par écrit en style indirect. La qualité paléographique des registres, exception faite des tout premiers, laisse croire à l’existence de brouillons préalables18. Les plaidoiries demeurent des textes éminemment construits et on doit considérer Nicolas de Baye, greffier de 1400 à 1417, comme un excellent prosateur. R. Delachenal a souligné avec raison que « la netteté, la précision, l’élégance même du style, font honneur au greffier qui les a rédigés »19. Le greffier se devait d’être fidèle à l’argumentation des avocats, puisque son travail servait à la préparation des arrêts souvent prononcés longtemps après l’audition des propos des parties20.

8De leur côté, les comptes rendus des séances du Parlement en conseil sont précieux, parce qu’ils consignent brièvement la teneur des sentences ensuite mises en forme dans les registres des arrêts et des jugés21. Les registres des conseils avec ceux des plaidoiries rapportent aussi les interventions de l’Université de Paris sur les questions qui agitent l’Église ou le royaume de France à partir de la fin du XIV^e siècle22. C’est en effet assez fréquemment durant les séances du conseil qu’ont lieu les grands débats sur l’état du royaume. Entre les années 1364 et 1394, les plaidoiries et les conseils se suivent pour chaque année dans un même registre. Par la suite, les plaidoiries et les conseils forment deux séries distinctes. Habituellement, le Parlement n’entendait les plaidoiries que le matin, mais certaines années où il se trouva surchargé, il recevait aussi les parties l’après-midi. Les plaidoiries de ces séances sont transcrites dans des registres distincts23.

9Afin d’analyser le rapport des universités avec le Parlement dans la continuité, nous avons opté pour le dépouillement exhaustif des séries que nous estimions les plus riches pour notre propos. Nous avons retenu la série des jugés, lettres et arrêts pour les années 1254 à 136424. À partir de 1364, nous avons privilégié les plaidoiries et les conseils qui rendent mieux compte de la richesse des arguments par lesquels les universitaires défendirent leurs droits et affirmèrent leurs ambitions. Nous avons par ailleurs renoncé à dépouiller les accords, à cause de leur volume trop énorme, et nous avons laissé de côté le Parlement criminel pour les motifs évoqués plus haut. Des sources retenues, nous avons extrait tout ce qui concerne les universités, les collèges ou les universitaires, qu’il s’agisse d’un maître, d’un étudiant ou d’un officier (bedeau, libraire ou autre). Notre dépouillement se termine avec la période de l’ordonnance royale de 1446, qui interdit dorénavant à l’Université de Paris d’en appeler directement au roi et qui la renvoyait à la juridiction du Parlement. Elle marque le début du contrôle plus strict des universités par le pouvoir royal25. Au total, nous avons dépouillé les registres suivants26 :

10Durant la domination anglo-bourguignonne de Paris, le dauphin, le futur Charles VII, mit sur pied à Poitiers un Parlement qui se voulait le continuateur légitime de l’institution parisienne28. Les différents registres de ce Parlement attestent que son activité s’étendit depuis le mois de décembre 1418 jusqu’en novembre 1436. Pour déterminer la conduite des universités d’Orléans, Angers, Poitiers, Toulouse et Montpellier situées en territoire resté fidèle au dauphin, nous avons dépouillé les registres suivants du Parlement de Poitiers :

11L’étude des procès universitaires ne pouvait se faire sans prendre en considération la législation royale. Les chartes des rois concernant l’Université de Paris se retrouvent presque toutes dans le Chartularium Universitatis Parisiensis de H. Denifle et É. Châtelain29. La législation royale à propos des autres universités françaises a été éditée par M. Fournier. On dispose également de quelques sources rapportant les délibérations des corps universitaires, qui nous apprennent comment l’Université de Paris préparait ses actions devant le Parlement et assurait leur suivi et leur financement. La première est le Livre des procureurs de la Nation anglo-germanique qui couvre les années 1333 à 149330. Son témoignage demeure cependant partiel, parce que ce sont surtout les suppôts français, membres des Nations normande, picarde et française, qui recourent aux tribunaux royaux. Il rapporte néanmoins plusieurs délibérations de la Faculté des arts et de l’Université, en sorte qu’il reste précieux. On possède aussi le Livre des receveurs de la Nation allemande (1425-1494) qui consignant les comptes de la Nation fournit des indications intéressantes sur les coûts d’un procès au Parlement. Moins riches, les Commentaires de la Faculté de médecine (1395-1560) rendent compte de quelques initiatives prises pour lutter contre la pratique illicite de la médecine dans Paris et offrent un dossier très complet sur l’important procès au Parlement pour interdire la pratique de la médecine à Jean Domprémi en 1423. Quant au Livre des procureurs de la Nation française (1443-1456), il ne couvre qu’une toute petite partie de notre période. Le livre des Délibérations de la Faculté de décret (1434-1502) demeure pour sa part d’un intérêt marginal pour notre propos. On trouve enfin des informations importantes sur l’Université de Paris dans le Compendium recenter editum de multiplici Parisiensis universitatis magnificentia, dignitate et excellentia, publié par Robert Goulet en 1517. Pour l’Université d’Orléans il n’existe que le Livre des procurateurs de la Nation allemande qui, commençant en 1444, n’apporte rien à notre sujet.

2. Les universités et le Parlement : l’état des faits

12Au terme du dépouillement de plusieurs milliers de folios d’archives, nous avions en main une masse considérable de sentences et de plaidoiries concernant le monde universitaire. Nous avons regroupé ces pièces en deux catégories : d’une part les procès, de l’autre les interventions ponctuelles. Les procès constituent la presque totalité du corpus. Par procès, nous entendons tous les litiges entre deux parties qui sont soumis au jugement du Parlement, même si parfois ils ne donnent lieu à aucune plaidoirie consignée dans les registres, comme c’est le cas des appels par écrit. Nous associons aux procès la dizaine de requêtes de l’Université de Paris pour obtenir la libération de l’un ou l’autre de ses membres détenu en prison. Celles-ci donnent souvent lieu à un débat contradictoire entre l’Université et le procureur du roi ou l’évêque, et requièrent le jugement du Parlement. Le regroupement des pièces en procès exige un travail minutieux. Une même affaire peut s’étendre sur plusieurs années et se retrouver à plusieurs endroits dans les sources. Parfois, lorsqu’un procès s’étire, il n’est pas toujours facile de déterminer s’il s’agit d’une seule et même cause ou si les parties n’amorcent pas une nouvelle action pour relancer le débat. Dans tous les cas, nous avons tranché au mieux de notre compréhension.

13Quant aux interventions ponctuelles, elles sont le fait essentiellement de l’Université de Paris qui vient faire valoir son point de vue sur les problèmes religieux et politiques de l’époque ou, éventuellement, défendre l’intégrité de ses privilèges au nom de l’intérêt public. On doit distinguer ces interventions au Parlement, où l’Université apporte son conseil au roi, des procès où elle demande à la cour de trancher un litige. D’ailleurs, bon nombre de ces interventions se font lors de réunions du Parlement en conseil. Comme pour les procès, nous avons regroupé en unités les interventions successives portant sur un même thème.

14Au seuil de notre étude, nous tenons à formuler une réserve qui s’applique à toutes les données numériques que contient ce livre. Étant donné la nature de nos sources et les erreurs inévitables de dépouillement d’une telle quantité d’archives, il faut considérer les chiffres fournis tout au long de ce livre comme des indicateurs de tendances générales, et non comme des nombres ayant une valeur historique absolue.

15Dégageons maintenant les principales caractéristiques de ce corpus en examinant en premier lieu comment se répartissent dans le temps les procès que nous avons recueillis. Dans le Tableau I à la page suivante, nous fournissons par tranche de dix ans, de 1254 à 1448, le nombre de causes et d’interventions universitaires. La décennie de transition durant laquelle nous passons des arrêts et jugés aux plaidoiries comme source a été partagée en deux tranches égales de cinq ans. Nous utilisons comme unité chronologique l’année parlementaire qui s’étend normalement du 12 novembre au mois d’août, septembre ou même octobre, de l’année suivante.

16La comptabilité des procès posait inévitablement la question de la proportion des recours universitaires au Parlement par rapport à l’activité générale de la cour. En nombre absolu, on constate un accroissement significatif des procès universitaires au fil des décennies, ponctué par des périodes de fléchissement. F. Aubert interprète l’allongement des sessions annuelles, au cours du XIV^e siècle, comme le signe d’une activité croissante de la cour35. On sait en outre que, durant certaines années perturbées par la peste, les bouleversements politiques ou les guerres, l’activité du Parlement s’était ralentie. Ainsi, le Parlement fut suspendu de 1358 à 1360 à cause de l’agitation dans le royaume36. Le début du Parlement de 1379-1380 fut retardé au 3 février 1380, et celui de 1387-1388 ne s’ouvrit que le 2 janvier 1388, en raison de la maladie qui sévissait dans Paris37. Au XV^e siècle on assiste encore à des périodes de ralentissement. Entre novembre 1417 et septembre 1420, années particulièrement troublées par la guerre civile, on constate une diminution générale du nombre de procès. Enfin, durant les années 1430 et le début des années 1440, le Parlement suspendit plusieurs fois ses activités parce que ses membres n’étaient plus rétribués38. Bref, le nombre de causes impliquant les universités devait être apprécié par rapport au rythme annuel de travail de la cour.

17Nous estimons que le nombre d’arrêts et jugés prononcés chaque année peut constituer une mesure valable de l’activité du Parlement. Nous avons donc dénombré dans les registres X^la 8 à 77 les arrêts et jugés prononcés entre 1338 et 1448. Nous ne pouvions commencer plus tôt, car les arrêts des années 1319 à 1334 sont vraisemblablement perdus39. L’inconvénient est mineur puisqu’on relève encore peu de procès universitaires à cette époque. Signalons que nous n’avons pas comptabilisé les arrêts et jugés pour les années pour lesquelles nous ne possédons pas de plaidoiries. À partir de ces données, nous avons calculé le rapport entre le nombre de causes universitaires et le nombre d’arrêts et de jugés pour chaque tranche chronologique. L’indice ainsi obtenu donne la mesure du rythme de fréquentation du Parlement par les universitaires en regard de l’activité générale de la cour.

18Prenons acte d’abord de l’homogénéité entre les données des années 1339 à 1364 tirées de la série des arrêts et jugés, et celles des années 1364 à 1379 tirées des plaidoiries, que traduit un indice de fréquentation identique d’environ 1 % pour chacune des périodes. Le tableau met également en évidence qu’il existe des paliers dans l’histoire des rapports entre les universités et le Parlement de Paris.

19Le premier palier se caractérise par l’absence quasi totale de recours universitaires au Parlement jusqu’au début du XIV^e siècle. L’affaire notée pour l’année 1277 est un accord, devant le roi Philippe III, entre la Nation anglaise et la Nation picarde. Il était intervenu à la suite d’un assaut des étudiants anglais contre la maison des Picards, entraînant le décès de quelques étudiants40. Il faut ensuite attendre le 5 septembre 1304 pour voir Jean Chochon et l’Université de Paris en appeler au Parlement de Paris du maire de Pontoise qui, au mépris des privilèges de l’Université, avait saisi les biens de l’étudiant pour un motif que ne précise pas l’arrêt41. Le Parlement donna raison au maire et rejeta l’appel de l’Université. L’absence des universitaires au Parlement durant cette première période ne manque pas de surprendre, puisqu’on compte plus de 3 200 jugés, lettres et arrêts depuis le début du Parlement jusqu’à l’affaire impliquant Jean Chochon42.

20La date suivante est le 29 mars 1311 : la cause oppose l’Université d’Orléans aux habitants de la ville qui avaient brutalisé des maîtres et des étudiants et qui refusaient de reconnaître leurs privilèges43. Le Parlement rendit cette fois une sentence favorable aux universitaires. À partir de cette date et jusqu’en 1379, on distingue un second palier caractérisé par une fréquentation régulière du Parlement et une lente croissance du nombre de causes : on vient au Parlement au rythme de une, puis de deux ou trois fois par année, pour un indice de fréquentation d’environ 1 %. Nous verrons plus loin que cette période coïncide avec les débuts de l’extension de la sauvegarde royale au monde étudiant. Les chiffres des années 1339 à 1349 et des années 1349 à 1359 sont gonflés par une surabondance d’affaires concernant le collège de Navarre, fondé en 1305 par la reine Jeanne de Navarre, l’épouse de Philippe le Bel. L’imprécision des statuts primitifs quant au mode d’attribution des bourses provoqua plusieurs conflits entre les bénéficiaires potentiels, entraînant de multiples procès44. Le Parlement s’imposait comme tribunal, puisqu’il s’agissait de régler des litiges touchant une fondation royale. On compte donc 11 causes concernant le collège de Navarre parmi les 36 affaires universitaires recensées entre 1339 et 1349, et 5 parmi les 34 de la décennie suivante. C’est la seule fois durant le siècle et demi de procès universitaires à l’étude que la cour se trouva monopolisée à ce point par une question aussi spécifique.

21Une troisième étape est délimitée par les années 1379 à 1399. Les causes universitaires y sont nettement plus abondantes. L’indice de fréquentation s’élève maintenant à 2,5 %. Cette hausse s’explique par une augmentation générale des divers types de causes soumises au Parlement par les universitaires. Cette période est aussi marquée par quelques procès très importants touchant les droits corporatifs des universités et leur fonctionnement académique. Si de telles affaires demeurent numériquement peu nombreuses, elles attestent d’une évolution importante des rapports entre les universités et le Parlement : celui-ci fut sollicité pour trancher des litiges à propos de droits institutionnels assez souvent définis par la seule autorité pontificale ou par les statuts universitaires.

22Une quatrième et dernière étape regroupe les procès des années 1399 à 1448. Elle se caractérise par un accroissement notable du nombre de causes. L’indice de fréquentation oscille entre 4 % et 5 %, pour atteindre un pic de 12 % entre 1429 et 1439. Le phénomène est d’autant plus remarquable qu’entre 1419 et 1436 l’Université de Paris demeurait la seule à pouvoir se présenter au Parlement de Paris. À cette époque, il faut en effet se tourner vers le Parlement de Poitiers pour retrouver les universités d’Orléans, d’Angers, puis de Poitiers, et celles du midi de la France, toutes en territoire resté fidèle à Charles VII. Le dépouillement des plaidoiries du Parlement de Poitiers nous a fait retrouver 20 causes universitaires pour les années 1419 à 1429, et 27 pour les années 1429 à 1439. Si l’un et l’autre Parlements recevaient les mêmes types de causes qu’aux périodes précédentes, on note cependant la multiplication des affaires bénéficiais ainsi que de celles touchant le privilège de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude. La période de 1399 à 1448 fut aussi celle des nombreuses interventions des théologiens de l’Université de Paris, devant le Parlement de Paris, sur les problèmes religieux et politiques de la France.

23La période qui va de 1399 à 1448 est marquée par une très grande fluctuation dans le nombre des arrêts et jugés prononcés par le Parlement. Nos données pour le XIV^e siècle (1339-1399) indiquent une moyenne de 200 à 300 sentences par année. Au XV^e siècle, on constate que cette moyenne oscille entre un peu plus de 300 sentences par année pour la période 1399-1409, et une cinquantaine pour les années 1429-1439. Aussi, en dépit de la diminution en nombre absolu de causes universitaires, l’indice de fréquentation augmente, pour atteindre 12 %, son niveau le plus élevé, en 1429-1439. Même si le Parlement siégea peu durant cette période très troublée, les universitaires y vinrent très fréquemment.

24Quelles sont les universités qui sollicitèrent à ce point le Parlement ? Avant de répondre à cette seconde question, il faut rappeler comment se présentent les protagonistes universitaires dans les procès, car plusieurs cas de figure sont possibles. On distingue d’abord les procès qu’une université plaide seule. Ces causes, moins nombreuses, portent souvent sur des enjeux majeurs : il s’agissait normalement de trouver une solution à un litige relatif au fonctionnement de l’institution ou de défendre un privilège sérieusement remis en cause. Beaucoup plus souvent, les universités apparaissent comme partie adjointe à l’un de leurs suppôts qui défendait un intérêt personnel en vertu de l’un des privilèges royaux de l’étude. Le soutien de son institution constituait pour tout universitaire un atout de poids quand venait le moment de défendre un droit menacé. D’autres suppôts enfin se défendaient sans l’appui de leur université.

25Il faut séparer les causes proprement universitaires de celles impliquant les collèges. D’une part, plusieurs collèges étaient des fondations royales ou avaient eu pour mécènes des grands officiers du royaume. Certains finirent par se trouver sous l’influence directe de représentants du roi, comme son aumônier ou le Parlement lui-même, ce qui eut pour effet de mettre ces collèges sous l’emprise immédiate de la justice royale, ainsi que nous avons pu le constater pour le collège de Navarre. D’autre part, dans cet agglomérat de corporations, qui formait l’université, les collèges étaient les seuls à gérer des patrimoines immobiliers et fonciers importants. Ils devaient souvent recourir à la justice royale pour défendre leurs sources de revenus, ce qui n’était jamais le cas, ou presque, des universités, facultés et nations, qui ne possédaient rien, ou très peu. Habituellement, les collèges se présentaient seuls au Parlement, bien que parfois l’université s’adjoignît à eux.

26Ces précisions apportées, examinons le Tableau II sur l’origine géographique des plaideurs universitaires, reproduit à la page suivante. Afin d’évaluer la totalité des recours au Parlement, nous y avons ajouté entre parenthèses le nombre de causes plaidées à Poitiers entre 1422 et 1435. Par la suite, nous traiterons isolément les données relatives aux deux Parlements afin de mieux les comparer45.

27On remarque d’abord que ce furent uniquement les universités situées à l’intérieur des frontières du royaume qui s’adressèrent au Parlement. Les différentes institutions ne semblent avoir profité de la cour qu’à partir du moment où elles avaient acquis leur statut corporatif. Paris, Montpellier et Toulouse, qui existaient depuis le XIII^e siècle, sont présentes très tôt. De même Orléans qui, malgré la célébrité de son enseignement en droit, n’obtint sa première charte pontificale qu’en 1306 et la confirmation de son statut par le roi en 1320. Angers en revanche, où il existait des écoles depuis longtemps, ne commença à s’adresser au Parlement que durant la dernière décennie du XIV^e siècle, au moment où elle acquit son statut d’université46. L’Université de Cahors, qui n’est citée qu’une fois, fut créée en 1332. L’Université de Poitiers, fondée en 1431, n’apparaît que tardivement.

28On compte 633 procès plaidés au Parlement de Paris : de ce nombre, 493 causes, soit 78 % du corpus, impliquent des universités ou des universitaires, alors que 140 causes, soit 22 % du total, concernent les collèges. D’emblée, on remarque l’importance de la fréquentation du Parlement par les institutions parisiennes et, plus généralement, par les universités du nord de la France. Si l’on retient les seules causes universitaires, on constate que 71 % viennent de Paris, 20 % d’Orléans, 5 % d’Angers, 2 % de Poitiers, et seulement 2 % des universités du Languedoc (Montpellier, Toulouse et Cahors). Quant aux procès de collèges, 92 % viennent de Paris et 8 % du Languedoc.

TABLEAU II. Origine géographique des causes universitaires et collégiales plaidées au Parlement de Paris et au Parlement de Poitiers

29Dans l’ensemble, 97 % des affaires universitaires et collégiales viennent des pays de langue d’oïl et 3 % du Languedoc. À elles seules, les institutions scolaires parisiennes sont à l’origine de 75 % des procès. L’Université de Paris et ses collèges façonnent le modèle statistique des rapports entre les universités et le Parlement de Paris. L’ajout des données relatives au Parlement de Poitiers montre que les universitaires d’Orléans et d’Angers affichent une certaine constance dans leurs recours au Parlement tout au long du XV^e siècle, fréquentant également Poitiers lorsque Paris leur est inaccessible. Les membres de la jeune Université de Poitiers adoptèrent vite le même comportement. Les deux seules affaires parisiennes plaidées à Poitiers furent deux causes bénéficiales, en date du 5 mai et du 15 juin 1422, où l’un des opposants appuya sa revendication sur une grâce expectative obtenue du pape, alors qu’il était étudiant à Paris51.

30Les universitaires du Midi demeurèrent à l’écart du Parlement, aussi bien de celui de Paris que de celui de Poitiers, bien qu’ils fussent gratifiés depuis longtemps des mêmes privilèges royaux que ceux du Nord. Ils ne commencèrent à compter sur la justice du roi qu’à l’époque du royaume de Bourges, lorsque, entre 1420 et 1428, une cour royale suprême pour le Languedoc exista à Toulouse, puis à Béziers, et surtout à partir de 1444, lorsque le Parlement de Toulouse fut établi de façon définitive52. Il ressort de la thèse de J. Verger que les méridionaux s’en remirent volontiers à la justice épiscopale jusqu’au milieu du XV^e siècle. Par la suite, ils se retrouvèrent régulièrement devant le Parlement de Toulouse, adoptant à son égard une attitude analogue, semble-t-il, à celle des universitaires du Nord envers Paris et Poitiers. Cette évolution se traduisit par un appesantissement de l’autorité royale sur les universités du Midi. Vers 1470, le Parlement de Toulouse commença à s’occuper de réformer les universités, voie dans laquelle le Parlement de Paris s’était engagé depuis longtemps53. Il nous paraît significatif que ce moment corresponde aussi à celui où les diplômés des universités méridionales commencèrent à être de plus en plus nombreux à occuper des charges de président ou de conseiller au sein de ce Parlement54. Nous verrons que les coûts prohibitifs d’un procès à Paris pour un plaideur éloigné expliquent sans doute cette quasi-absence des universités du Sud aux Parlements de Paris et de Poitiers55.

31Il reste à déterminer si ces nombreuses causes étaient soumises au Parlement de Paris par la volonté des universitaires ou si c’était plutôt leurs opposants qui tenaient à y plaider. En effet, l’attitude est bien différente à l’égard d’une juridiction selon qu’on y apparaît à titre de demandeur ou d’appelant, c’est-à-dire d’initiateur de la cause, ou qu’on s’y trouve ajourné comme défendeur ou comme appelé. En outre, le Parlement pouvant recevoir des causes en première instance ou en appel, il est important de prendre en compte la nature de la procédure. Les causes jugées en première instance témoignent d’une volonté de soumettre directement un litige au Parlement, alors que les appels attestent qu’on s’était d’abord adressé à un tribunal inférieur. Les parties impliquées dans les causes soumises en première instance sont désignées dans les registres soit comme demandeur ou complaignant, soit comme défendeur ou opposant. De telles causes parvinrent au Parlement soit directement, soit après qu’un premier tribunal s’en étant saisi, la partie universitaire eut contesté aussitôt sa juridiction, avant qu’aucune sentence ne fût rendue. Dans ce dernier cas, le Parlement se saisissait le plus souvent de l’affaire et jugeait du fond, en sorte que ces causes sont assimilables à celles jugées en première instance. Les procès en appel se reconnaissent au fait que les parties sont désignées comme appelantes et appelées, et que la décision d’une juridiction inférieure est explicitement contestée.

32Afin d’analyser l’attitude des universités à l’égard du Parlement de Paris, nous avons constitué un troisième tableau chronologique de toutes les causes universitaires et collégiales, selon que la partie universitaire s’y manifeste comme demandeur ou défendeur, ou comme appelant ou appelé. Nous avons isolé les causes où les deux parties sont des universités, des collèges ou des universitaires. La plupart de ces affaires, assez peu nombreuses, étant jugées en première instance, il n’y avait pas lieu de les ventiler plus finement.

33Le Tableau III livre plusieurs enseignements sur l’attitude des universitaires à l’égard du Parlement de Paris. Notons tout d’abord l’absence de différence significative entre les universités et les collèges quant à leur position dans leurs procès ; aussi les regrouperons-nous pour la présente analyse. C’est par leur volonté délibérée que les universités et les collèges arrivèrent le plus souvent au Parlement. Si l’on fait la somme des procès où les gens d’étude furent demandeurs, appelants, ou constituèrent l’une et l’autre partie, on constate que les universitaires furent les initiateurs des deux tiers de leurs procès. Ces données confirment l’observation d’A. Bossuat qui, après avoir étudié les procès de l’Université d’Orléans au Parlement, conclut qu’à la fin du Moyen Âge, les universitaires avaient une nette préférence pour cette cour de justice lorsqu’il s’agissait de défendre leurs droits56. Cette constatation se trouve renforcée par le fait que les deux tiers des causes sont soumises en première instance au Parlement de Paris.

34Un tiers des causes vinrent en appel. Un relevé des tribunaux de première instance, dont on conteste la sentence, montre que 80 % des appels concernaient les cours des conservateurs des privilèges royaux des universitaires, principalement celles des prévôts de Paris et d’Orléans. Le reste des appels porta sur des jugements rendus par d’autres instances royales comme les Requêtes de l’Hôtel, les Requêtes du Palais ou les tribunaux bailliagers qui avaient pu rendre une décision contre un universitaire avant que celui-ci n’ait pu contester leur juridiction.

TABLEAU III. Position des universités, des universitaires et des collèges dans leurs procès au Parlement de Paris

35Les archives trop lacunaires du Châtelet de Paris et de la prévôté et du bailliage d’Orléans rendent impossible l’étude du rythme de fréquentation de ces instances par les universitaires pour l’ensemble de la période considérée61. Nous ne pouvons donc évaluer la proportion de celles de leurs sentences qui faisaient l’objet d’un appel au Parlement. Néanmoins, une certaine constance dans les appels tout au long de cette période laisse croire que les universitaires s’adressèrent régulièrement aux tribunaux chargés au premier chef de la défense de leurs privilèges royaux. On note aussi que les universitaires furent presque aussi souvent appelés qu’appelants ; il existe un équilibre entre le nombre de fois où la partie adverse contesta une décision favorable aux universitaires et celui où, insatisfaits, ceux-ci revinrent à la charge.

36La première moitié du XIV^e siècle, puis les années 1439 à 1448, connurent plus d’appels, alors que, durant la période intermédiaire qui va du règne de Jean II à la fin de la domination anglo-bourguignonne sur Paris, les causes en première instance prédominèrent. Pourtant, aucune législation particulière ne justifia qu’on vînt davantage au Parlement en première instance durant cette période. Plusieurs de ces causes concernaient des excès des officiers royaux à l’encontre d’universitaires, ce qui constituait une infraction à la charte de Philippe Auguste de 1200. De nombreux conflits furent encore soumis directement au Parlement en vertu du privilège universitaire de ne pas plaider en dehors de la ville d’étude, privilège que Philippe le Bel reconnaissait dès 1306.

37Surtout, on observe que le siècle durant lequel dominent les causes en première instance englobe la période durant laquelle l’Université de Paris se trouva particulièrement impliquée dans les affaires politiques du royaume. Les années 1357-1358 furent marquées par l’intervention active de l’Université de Paris dans les affaires de la France. Durant la première quinzaine de février 1358, à l’instigation d’Étienne Marcel, l’Université entreprit une démarche solennelle auprès du duc de Normandie, le futur Charles V, pour qu’il se réconcilie avec la municipalité parisienne. Mais l’entreprise échoua : Charles reprit Paris par la force et Étienne Marcel périt au cours de ces événements. L’épisode marqua une étape importante dans l’implication des universitaires dans les affaires de l’État à la fin du Moyen Âge62. Or, c’est à cette même époque que les litiges amenés en première instance commencèrent à dominer ; un peu plus tard, soit à partir de 1379, le nombre de causes universitaires s’accrût de façon significative et, avec la fin du siècle, les interventions des théologiens au Parlement se multiplièrent.

38Quant au retournement de situation en 1439-1448, il s’explique de deux manières. Premièrement, à partir de 1439, les universitaires recoururent beaucoup plus souvent à la procédure d’appel par écrit. De telles causes, dont on compte à peine une dizaine avant cette date, se retrouvent ensuite à raison d’un petit nombre par année. L’appel par écrit se produisait lorsque les deux parties étaient d’accord pour que leur procès soit reçu à juger, sans que l’une ou l’autre veuille faire valoir quelque opposition. Dans ce cas, la cour pouvait procéder à partir des pièces écrites acheminées depuis la juridiction inférieure qui avait jugé l’affaire en première instance. De telles causes ne donnant lieu à aucune intervention orale des parties devant la Grande Chambre, les registres des plaidoiries se limitent à noter la réception de l’appel, sans préciser l’objet du litige. La procédure est attestée tout au long du XIV^e siècle, mais son usage plus fréquent au XV^e siècle témoigne sans doute d’une utilisation accrue de l’écrit par les juridictions inférieures63. Deuxièmement, la décennie au cours de laquelle on voit diminuer le nombre de causes plaidées en première instance coïncide avec la reprise en main de Paris et du royaume par Charles VII et le début de l’affaiblissement de la position politique de l’Université de Paris. Il reste que le nombre total de causes soumises durant cette période demeure élevé et qu’on ne peut parler d’une désaffection du Parlement par les universitaires. La tendance générale de recourir de plus en plus à cette cour de justice se maintint jusqu’à la fin de notre période.

39Un grand nombre de procès mettait en cause un universitaire qui, s’estimant lésé dans la jouissance d’un privilège royal de l’étude, portait sa cause au Parlement. Une parade possible de son opposant était de contester son état, afin de lui dénier son droit de jouir du privilège à l’origine du litige. Bien entendu, l’étudiant se trouvait davantage protégé si son université s’adjoignait à lui dans sa cause pour confirmer son statut. Il importait donc au plaideur d’obtenir ce soutien qui attestait de la force du lien corporatif qui unissait les universitaires64. Afin d’évaluer la qualité du support que les plaideurs universitaires pouvaient attendre de leur institution, examinons le Tableau IV de la page suivante qui montre, par tranches chronologiques, le nombre total de procès universitaires et collégiaux, le nombre de fois où les universités plaidèrent seules, et le nombre de fois où elles s’adjoignirent à l’un de leurs membres ou à l’un de leurs collèges. Ce tableau permet de mesurer l’importance de l’appui que les corporations universitaires ont apporté à leurs suppôts et à leurs collèges dans leurs causes au fil du temps, ainsi que l’activité qu’ont déployée les universités pour défendre leurs droits en plaidant elles-mêmes devant la cour. Afin d’éclairer ces chiffres, nous rappelons les données sur les interventions en conseil de l’Université de Paris.

TABLEAU IV. Implication des universités dans les procès au Parlement de Paris

40Précisons que c’est l’université comme entité corporative, représentée par le recteur, qui défendait les intérêts du monde étudiant au Parlement. Il était exceptionnel qu’une nation ou une faculté plaidât seule. Nous en avons quelques très rares exemples, tel le procès qui opposa M^e Ameilh Du Breuil à la Faculté de décret de Paris, que nous étudierons au chapitre suivant, ou cette cause du 19 juin 1416, dans laquelle le procureur de la Nation de France de l’Université d’Orléans se joignit à deux des siens, emprisonnés et torturés par le prévôt d’Orléans, qui poursuivaient le duc d’Orléans, le prévôt lui-même, deux geôliers et d’autres personnes69. La Faculté de médecine de Paris était susceptible pour sa part d’entreprendre des actions contre ceux qui pratiquaient illégalement cet art. Nous en avons repéré trois cas : une fois elle agit seule et obtint, le 9 mars 1350, la condamnation de Jeanne la Douce ; les deux autres fois l’Université de Paris se joignit à elle, soit le 11 mai 1391, lorsqu’elle fut poursuivie par Macé Revel à qui elle avait interdit toute pratique et, le 23 novembre 1423, par Jean Domprémi pour les mêmes raisons70. Enfin, nous ne disposons que d’un exemple où un collège se joignit à l’un de ses membres pour l’appuyer dans la défense de ses droits. Il s’agit d’un important procès impliquant trois maîtres, M^e Simon Fréron, M^e Bernard Putefin et M^e Hugues d’Ailly, soutenus par le Collège Cardinal Le Moine, par l’Université de Paris et par le procureur du roi, contre des officiers laïques de l’abbaye de Saint-Denis qui avaient commis des excès à leur égard, enfreignant ainsi la sauvegarde royale. Une sentence favorable aux universitaires fut prononcée le 31 août 135771.

41Le Tableau IV apporte un dernier éclairage au découpage chronologique en quatre périodes suggéré par le Tableau I. Il révèle d’abord que la proportion des causes que les universités plaidèrent seules demeure relativement constante. Ces 78 causes représentent 19 % des procès universitaires entre 1300 et 1364, et 15 % entre 1364 et 1448. Le principal changement d’attitude des universités entre la première moitié du XIV^e siècle et le reste de la période tint à l’intensification du soutien qu’elles fournirent à leurs suppôts. Jusqu’au milieu du XIV^e siècle, les universités appuyèrent peu leurs membres. Si l’on soustrait du total des procès plaidés depuis le début jusqu’en 1364 les 14 causes plaidées par des universités, on constate que celles-ci ne furent présentes que 8 fois au cours des 61 procès plaidés par l’un des leurs, soit une fois toutes les 7 causes et demi. Durant ce même temps, l’Université de Paris ne s’adjoignit qu’une fois à un collège. Si l’on reprend le même calcul pour la période allant de 1364 à 1439, il s’avère que les universités soutinrent leurs membres dans presque une cause sur deux. Cette période coïncide avec celle durant laquelle le nombre de demandes l’emporte largement sur le nombre des appels et où l’Université de Paris multiplia ses interventions hors procès sur les grandes questions politiques et religieuses de l’heure. L’implication des universités au Parlement s’affaiblit ensuite nettement durant les années 1439-1448, alors même que le nombre d’appels augmente et que les interventions hors procès de l’Université de Paris se firent très rares. Enfin, une analyse complémentaire des types de causes où les universités s’adjoignirent à leurs suppôts révèle que dans 80 % des cas, ceux-ci agissaient comme demandeur ou appelant et, dans seulement 20 % des causes, se retrouvaient comme défenseur ou appelé.

42L’Université de Paris ne s’associa à ses collèges que dans une cause sur cinq et elle ne semble n’en avoir privilégié aucun en particulier. Un seul de ces procès ne concerne pas précisément un collège, mais plutôt une pension d’étudiants. Les sergents du Châtelet avaient fait irruption chez M^e Guillaume Veulet qui logeait une cinquantaine d’étudiants. Ils abîmèrent la propriété et molestèrent ses habitants ; l’affaire aboutit au Parlement le 19 décembre 139172. Une fois, le 24 mars 1401, l’Université plaida contre un collège, celui de Cornouailles. Elle appuya Henri Perrier, demandeur, expulsé du poste de maître du Collège, qui avait été remplacé par Guillaume Pierre, auquel se joignirent le Collège et l’évêque de Paris, Pierre d’Orgemont, à titre de défendeurs dans cette cause73. Après 1430, aucun collège ne reçut l’appui de l’Université, ce qui confirme bien le ralentissement de l’implication des universités dans les procès de leurs membres au Parlement.

43Cette première analyse sommaire des sources permet de préciser le cadre temporel et spatial de notre étude de la formation du corps social universitaire en France. Elle montre qu’il exista, à partir des années 1310, une volonté manifeste des universités de s’appuyer sur le droit royal et de recourir au Parlement, qui se renforça à partir du règne de Jean II. On constate en effet que le nombre de causes en première instance s’accrut et que la présence des universités au côté de leurs suppôts se fit plus régulière après 1350. À partir du début du règne de Charles VI, en 1380, on note le développement d’une relation bien singulière entre l’Université de Paris et la première cour du royaume, dont témoignent les interventions hors procès de l’Université. Après la reprise de Paris par Charles VII, en 1436, l’implication des universités au Parlement semble se ralentir quelque peu, bien que les universitaires s’y retrouvent individuellement toujours en grand nombre. Des sources du XVI^e siècle nous apprennent d’ailleurs que les avocats de l’Université de Paris jouissaient alors, comme les pairs de France, du privilège de toujours plaider au barreau des demandeurs sans égard à leur statut dans la cause. Il était en effet d’usage au Parlement que la partie demanderesse plaide au barreau le plus proche des conseillers laïques, plus prestigieux, et la partie adverse au barreau près des conseillers clercs, qui l’était moins, règle à laquelle échappaient l’Université et les pairs de France74.

44Ce sont toutefois les seules universités du nord de la France qui défendirent régulièrement leurs droits au Parlement, qu’il siège à Paris ou à Poitiers. Bien que les universités de Cahors, Toulouse et Montpellier aient bénéficié des mêmes privilèges, elles ne fréquentèrent qu’épisodiquement la plus haute cour du royaume. L’affirmation d’une identité propre du corps universitaire dans l’ordre social du royaume demeura essentiellement le fait des Universités d’Orléans, d’Angers, de Poitiers, et singulièrement de celle de Paris. Tout semble bien donner raison à Jean Juvénal des Ursins qui, en 1452, dans son traité Verba mea auribus percipe, Domine, portait ce jugement négatif sur l’encombrement des justices de son temps : « anciennement il n’y avoit point tant de causes, et estoient traictees devant les baillifz et juges ordinaires ; mais de présent ilz ne ont que faire, et sont toutes les causes en Parlement, aux Requestes, ou Chastelet de Paris a cause de l’Université et des escoliers »75.