1Rares sont les sociétés où le pouvoir échappe à la convoitise d'une minorité dans laquelle les liens familiaux jouent un rôle essentiel. Même dans les démocraties contemporaines du XXe siècle, cette règle s'affirme avec une certaine virulence, et les "élus du peuple" assurent souvent leur cooptation, profitant des faiblesses du système pour imposer, l'un ses fils, l'autre ses gendres, ou encore pour pratiquer une "isogamie politique". Derrière cette chasse aux mandats, souvent justifiée par le prétendu désir de servir la collectivité, se dessine une bien plus sinistre facétie dans laquelle les intéressés recherchent le pouvoir et la domination d'autrui, les sinécures, la quête d'ascension sociale et la protection d'un mode de vie élitiste qui offre un confort supérieur à celui du "tout-venant". Les hommes de la fin du Moyen Age, ignorant les idéaux démocratiques, ne risquaient guère d'échapper à ce type d'attitude, et la logique la plus élémentaire nous induit à considérer que la société s'organisait ainsi. Déjà, deux petites recherches menées en suivant cette idée ont confirmé notre impression. La première démontre qu'une oligarchie composée de quelques familles de juristes et de marchands dominait l'appareil syndical de la ville royale de Chirac1. La seconde étude met à jour l'existence de liens de familles et de clientélisme entre les officiers du bailliage royal de Marvejols2. Toutefois, dans les deux cas, notre démonstration se situe dans le cadre d'une analyse des deux organes administratifs sans insister outre mesure sur cet aspect familial. Les nombreux renseignements réunis sur les familles mendoises, sur les membres du syndicat mendois et sur les officiers de justice ou de bailliage nous autorisent à approfondir la question, non plus par rapport aux structures des appareils eux-mêmes, mais uniquement en fonction de la seule relation famille et pouvoir. La finalité poursuivie consiste à établir que les mendois détournaient les mandats administratifs et judiciaires au profit de leurs parentèles.

2Nul ne contestera l’influence du pouvoir religieux à la fin du Moyen Age. A plusieurs reprises déjà, les intérêts familiaux face à ce sujet ont été effleurés, lors de la fondation des chapelles ou de la constitution des titres cléricaux. Entrer dans l'Eglise assure l'avenir de l'individu et un réseau complexe de relations se tisse entre les ecclésiastiques de tous les rangs, de l'évêque au simple chapelain, chacun tentant d'accaparer des bénéfices ou des prébendes et de les transmettre à des proches, parents, affins ou amis. Un commerce où se mêlent l'argent, sous la forme de pension, et la cooptation facilitée par l'usage de la resignatio in favorem.

3La vie ne se déroule pas toujours sans turpitude et la société produit ses propres délinquants. Tous ceux qui exploitent les lettres de rémission ou les registres des parlements constatent que les affaires judiciaires font parfaitement jouer la solidarité familiale face à la justice et aux parties civiles3. Les registres de notaires contiennent parfois des informations qu'il eût été impossible de retrouver en ne recherchant qu'elles, tant elles sont rares comparativement à la masse de documents à analyser, mais leur collecte devient possible dans le cadre d'une recherche plus vaste comme la nôtre, alors que le but initial consistait à relever l'ensemble des contrats de mariage et des testaments. En recoupant ces informations avec d'autres sources, lettres de rémission ou procédures judiciaires, nous reconstituons un ensemble de qualité, avec toutefois une particularité : cette criminalité résulte de l'action des notables, roturiers ou nobles, et non pas des indigents, errants ou autres vagabonds, peu concernés par les actes notariés.

4Enfin, peu de cités médiévales ont échappé aux révoltes, et cela même lors du règne de Louis XI, roi sous lequel la Bourgogne, la Franche-Comté, l'Artois, le Roussillon et le Rouergue furent agités par de violents soubresauts qu'André Leguai attribue à des causes fiscales, mais il prouve aussi que ces crises résultaient surtout d'une résistance des particularismes locaux en conflit avec le pouvoir central4. Pour des raisons légèrement différentes, Mende participe à cette agitation et une partie des bourgeois se soulève, en 1469, contre l'évêque du Gévaudan, bouté en dehors de la cité, et obtient du roi le droit de s'ériger en consulat. Dans ce climat, mieux que tout autre, apparaît la complexité des alliances familiales ; rupture ou solidarité, chacun détermine son camp en fonction de son sang et de ses intérêts.

I - LE POUVOIR CIVIL

A - L'administration municipale

5Nous avons déjà noté, dans notre premier chapitre, que plus de la moitié des villes du Gévaudan étaient pourvues d'un organe communal, syndicat ou consulat. Celui de Mende, qui va servir à notre démonstration, naquit des longs démêlés opposant l'évêque et les habitants de la capitale régionale. Dès 1194, ces derniers obtenaient une charte de Guillaume de Peyre, qui leur accordait quelques privilèges. En 1261, un nouveau soulèvement permet aux mendois de fonder leur syndicat. Toutefois, l'évêque Odilon de Mercoeur s'y oppose et les excommunie jusqu'à complète soumission. Par la suite, Etienne d'Auriac, nouvel évêque, confirme la charte de 1194 en en restreignant encore les effets. Ce n'est qu'au début de la guerre de Cent Ans que le syndicat s'épanouit enfin, accepté par l'évêque qui délègue ainsi une partie de ses pouvoirs locaux. A compter de cette époque, la congrégation des habitants de Mende, toujours sous la tutelle de l'évêque, élit annuellement trois syndics et douze conseillers5. Toutefois, à la suite de l'élection d'Anthoine de La Panouze, comme évêque de Mende, en 1468, une partie des mendois se soulève, met à sac le palais épiscopal et rejette l'évêque. La ville reçoit alors des lettres patentes de Louis XI qui érigent un consulat à la place du syndicat. Les détails de cette opération seront exposés plus loin. Dans l'immédiat, nous constaterons que le nombre d'élus municipaux resta le même : trois consuls et douze conseillers.

6La liste des syndics, ou consuls, et de leurs conseillers, dressée par Charles Porée, corrigée et augmentée par les informations recueillies dans les registres de notaire, a permis d'établir notre propre recensement des représentants du peuple, pour la période s'étendant de 1380 à 1499, à partir duquel nous travaillerons6. Cette étude livre le nom de cent cinquante-trois personnes, dont la plupart occupent plusieurs offices. En fait, 40,50 % sont tour à tour syndics7 et conseillers, 39,25 % syndics, et 20,25 % conseillers. Encore certains syndics ou conseillers assument-ils à plusieurs reprises leur fonction. Ainsi 51,65 % des membres du syndicat ont-ils été élus au moins à deux reprises. En fait, pour la période allant de 1380 à 1499, trois cent soixante syndics et mille quatre cent quarante conseillers furent théoriquement élus, alors que nous n'avons retrouvé l'identité que de 55 % des premiers et de 11,35 % des seconds, soit 20,10 % de l'ensemble. Les trous sont donc importants et nous ne devrons jamais l'oublier en considérant que certains individus furent bien plus souvent présents à la tête de la cité que ne le laisse présumer notre relevé.

7Nos sources ont livré la profession ou l'état de 96,75 % de ces personnages. 22,30 % exercent comme marchands, 26,35 % comme notaires8, 7,40 % comme juristes. En plus, nous répertorions 1,35 % de notaires-marchands, et 2,70 % de notaires-nobles, ainsi que 1,35 % de marchands-nobles. Enfin, 10,45 % se déclarent marchands en définissant le secteur économique de leur activité : 0,65 % pour chaque métier de cardeur, mercier, chaussetier, sellier, chirurgien et apothicaire, 1,35 % pour celui des tisserand, cordonnier et hôtelier, et 2 % pour les drapiers. Encore convient-il de prendre en compte 4,70 % de tisserands, 0,65 % de chaussetiers, 1,35 % de cordonniers, 2,70 % d'hôteliers et 1,35 % d'apothicaires qui n'arborent jamais le qualificatif de marchand. Parmi les autres, nous dénombrons, 0,65 % de médecins, 1,35 % de barbiers, 0,65 % de pareurs de draps, 3,35 % de bouchers, 0,65 % de forgerons, et 3,35 % d'hommes connus comme bourgeois ou citoyens. L'ensemble du corps médical compte 4,05 % des officiers municipaux recueillant 4,70 % des mandats ; un pourcentage somme toute important si nous tenons compte du fait que les thérapeutes ne forment qu'un contingent minoritaire de la population médiévale. Contrairement à la ville de Chirac où la noblesse se trouvait exclue de l'appareil syndical, celle-ci fournit plus de 12,15 % des responsables du syndicat mendois. Mais l'état "nobiliaire" paraît d'une authenticité assez variée. Ainsi les Alamand, les Monbel et les Valdin usurpèrent-ils leur qualité, alors que les Jourdan furent anoblis. Le chiffre de 12,15 % se révèle aussi trompeur car il accepte les membres d'une famille et en rejette d'autres. Par exemple, Jehan Valdin figure parmi les nobles, contrairement à son cousin germain Bertrand Valdin. Le statut des Atger est incertain, celui des Bressoles, des Dumond, des Montanhac et des Recoules, légèrement litigieux de par leurs activités ou leurs alliances. Seuls les Corsac portent haut leur noblesse, leurs gloires militaires, leurs fonctions, leur richesse et leurs alliances9, et leur participation perdure toujours.

8Ces cent cinquante-trois officiers municipaux se regroupent dans cent deux familles10 et apportent trois mandats et demi par maison. Toutefois, la réalité s'éloigne d’une telle statistique. En effet, quelques personnages, seuls représentants de leurs oustaux, n'interviennent qu'une seule fois, tel Raymond Archier, alors que plusieurs fils succèdent, un jour ou l'autre, à leur père. 16,65 % des familles syndicales dépêchent deux des leurs, 5,90 % en fournissent trois, et 3,90 % quatre. Enfin, d'autres maisons sont omniprésentes. Les Cobe réunissent 4,15 % des mandats et le quinzième siècle mendois ne se passe pas des représentants de cet oustau. L'hégémonie des Monbel se manifeste plus ostensiblement avec huit de ses chefs portés à la direction des affaires de la cité pour occuper 830 %, des mandats. Plusieurs magistrats municipaux recueillent chacun près de 2 % des mandats, comme Jacques Balmas, Jehan Bestion, Jehan Durand senior, Jehan de Lafont et Claude Taurand. Anthoine Olivier et Bertrand Pareur en réunissent individuellement 2,20 %, Pierre Monbel I^er, 2,25 %, et Jehan Jourdan II, 3,05 %. Il semble même certain que ces éminents mendois dirigèrent bien plus souvent leur cité. Encore cette domination n'a-t-elle rien de comparable avec celle que les chiracois Jehan Borses et Aldebert Fournier, le premier marchand, le second notaire, exercèrent sur leur ville en détenant à eux deux 21 % des mandats de Chirac11. Il est vrai que la population de cette localité comportait moins d'habitants que celle de Mende, ce qui réduisait la concurrence électorale et permettait même à six hommes de monopoliser 51 % des postes.

9Les Chiracois confiaient la responsabilité de leur paroisse à quelques groupes de familles et la cité épiscopale devait logiquement offrir le même type de comportement. L'accaparement du pouvoir par une oligarchie se démontre aisément Nous observons que 15,05 % des élus mendois seulement paraissent sans liens familiaux avec leurs confrères, comme François Basset Mais tout autorise à considérer que cet isolement apparent provient de la carence d'informations à propos de ces personnages. D'autres sont réellement solitaires car nouveaux venus dans la cité, tel Durand Teysseire, fils d'un notaire originaire de Serverette12. Ensuite, 3,90 % des magistrats municipaux appartiennent à des familles appelées à la tête de la ville, sans être alliées à d'autres, tels Raymond et Guérin Alamand. Enfin, 5,90 % de ces officiers sont simplement unis par mariage avec un nombre limité de confrères. Guillaume Charcos est e beau-père de Pierre d'Orlhac13 qui est le neveu de Bernard Morres. Ces trois familles s'éteignent au début du XVe siècle, tous les biens revenant à Naudette d'Orlhac, fille de Pierre, qui les apporte à son mari, Guillaume de Naves, seigneur de Mirandol. Toutefois, là aussi, une meilleure connaissance des généalogies permettrait sans doute d'étendre le réseau d'alliances des intéressés pour les intégrer aux suivants.

10Les 75,15 % restant s'insèrent dans un très vaste et très complexe réseau de consanguinité et d'affinité, où se mêlent isogamie, hypogamie, échange restreint et échange généralisé. Nous avons alors la surprise de constater que les trois quarts de notre personnel municipal s'unirent entre eux, soit avant, soit après avoir occupé leur fonction, épousant les filles ou les soeurs de leurs collègues, donnant leurs petits-fils à des petites-filles de syndics. La parenté, pas toujours établie au moment du mandat, se forge au moins par la suite et, puisque certaines familles interviennent sur plusieurs générations, les liens se fixent et s'enchevêtrent au point qu'il soit logique d'estimer que le degré d'affinité n'est pas forcément connu par les intéressés qui devaient simplement se savoir vaguement parents. Il suffit de se reporter à la figure VI, exposant cette réalité, pour admettre que Balmas (Pierre), gendre de Brolhet (Jaucelin) ignorait peut-être qu'il était un affin de son contemporain Cobe (Jehan), par leurs alliances avec les Brun, Recoules, Dumond, Atger, Maynier, Garsin, Leyris, et par d’autres unions encore. Nous ne chercherons pas à prouver l'existence de mariages isogamiques ou hypogamiques dans la mesure où le chapitre VII a été consacré à cette question et nous entendons seulement signaler les effets de telles pratiques au sein du syndicat.

11Les relations agnatiques et cognatiques entretenues entre syndics consolident l'influence de plusieurs pôles familiaux, représentés par les Cobe, les Malel, les Monbel, les Dumas et les Valdin. Encore notons-nous l'importance prise par certains personnages, comme Pierre Maynier, Bernard Atger, Pierre Atger "Fresquet" et les Tonel, autour desquels convergent de nombreuses lignes d'alliances. Les Cobe contractent souvent des unions avec des membres de la municipalité. Jacques Cobe est apparenté à plusieurs de ses confrères. Jehan Farsat épouse sa fille, Agnès. Laurent Chalvel est le beau-père de son frère, Privat Cobe I^er. Gaucelin Barrai est son beau-frère. Par la suite, son arrière-petit-fils, Jehan Cobe, se marie avec Hélix Chabrit, nièce de Simon Chabrit ; un autre, Pierre Cobe III, s'unit en 1459 avec Catherine Egalenc, dont la soeur, Isabelle était devenue la femme de Jacques de Leyris en 1448 ; la soeur des deux précédents, Philippa Cobe, se donne à Vital Valentin, en¹⁴⁵⁹14^. Par l'ensemble des hymens noués avec ces diverses familles, les Cobe se prévalaient d'une affinité avec les Girard, les Lafont, les Bestion, les Garsin et plus lointainement avec les Richard et les Maynier, mais nous abordons là les sphères de l’échange généralisé. Un regard sur la figure des "liens de parenté unissant les familles de syndics" ne peut que confirmer la même chose à propos de l'ensemble des familles et de la prédominance de certaines par leur rôle de "points de jonction".

12Toutefois, les mendois partageaient savamment le pouvoir en ne le confiant jamais entièrement à un seul groupe de famille, même si certains semblent avoir occasionnellement pu affirmer leur prééminence. Ainsi, en 1400, Jaucelin Barrai, syndic, se fit-il conseiller par Jehan Farsat et Laurent Chalvel, tous trois parents de Jacques Cobe, comme nous venons de le signaler. Mais, à leurs côtés, nous identifions Bernard Morres et Pierre d'Orlhac, oncle et neveu, Guillaume Monbel, Pierre Valdin, Jehan Seguron, beau-frère d'un neveu de Pons Valdin15, Raymond Boyer, dont le fils épousera, plus tard, une nièce de Pierre Valdin, et Pierre Aribert. Toutes les tendances, ou presque, de la bourgeoisie mendoise participent donc bien conjointement aux affaires. Ce partage du pouvoir entre plusieurs composantes de la bourgeoisie est permanent. En 1439, les syndics Jehan Montanhac et Jehan de Lafont se font assister par plusieurs familiers des Valdin, Jehan Valdin, son cousin Bertrand Pareur, Pierre Tonel, neveu de Bertrand, et Pierre Balmas, gendre de Tonel. Siègent aussi Guillaume Robin et Jehan Durand, alliés aux Jourdan. Les autres, André Durand, Bertrand Olivier, Guillaume Clapier, Bernard Bonhomme et Pierre Atger s'allieront plus tard avec leurs concitoyens et confrères. La multiplication de tels exemples ne présenterait aucune difficulté. En 1469, Jehan Dumond, alias Chapelle, Etienne Torrent et Pierre Dumas sont élus avec Pierre Monbel, Anthoine Olivier et Jacques Pelhicier, du parti des Monbel, Guillaume Cobe et ses affins, par les Leyris, Jehan Bestion et Bertrand Garsin. Les autres, plus isolés, sont Pierre Martin, Bernard Atger et Jehan Jourdan Toutefois, dès cette époque l'insurrection contre l'évêque Anthoine de La Panouze agit sur le processus d'alliances, et nous verrons que le parti des Monbel se scinde en deux. Les partis ajoutent alors les aspirations politiques à la solidarité présumée du sang. La certitude s'impose d'une prise en main du pouvoir communal par la bourgeoisie mendoise, une bourgeoisie constituée d'individus au rang social différent, puisqu'elle se compose de lignages nobles d'ancienne extraction, de vieilles maisons mendoises liées au commerce ou au notariat, mais aussi de nouveaux venus dont la richesse demeure à démontrer. Le but poursuivi paraît évident : le pouvoir, l'hégémonie et l'enrichissement.

FIGURE – V - Liens de parenté unissant les familles de syndics (consuls) et de conseillers mendois

13Puisque les consuls afferment les impôts, le poste devient intéressant dans la mesure où il assure le contrôle des questions fiscales, à savoir bénéfices et répartition. En 1477, les consuls Jehan Jourdan, Pierre Girard et Jehan Jaucelin chargent le notaire Guillaume Jausion de lever la taille contre un revenu de vingt-sept livres et une robe. Qui est Guillaume ? Sa soeur, Guise, avait épousé Bernard Romieu, beau-frère du syndic Jehan Badaros. En outre, Jehan Romieu junior, frère de Bernard, s'était uni à Bombare Malel, tante par alliance du susdit Jehan Jaucelin16. Un acte de 1479 prouve que Jehan Jourdan, Anthoine Olivier, André Clapier et Etienne de Melzac, tous membres de familles syndicales, frirent commis pour lever la taille à une date antérieure à 1461. En 1481, Pierre Monbel, son gendre François Cayrel, et Jacques Cavalier délèguent Jehan Monbel, fils de Pierre, à cette fonction contre une rémunération de cent vingt livres tournois, alors que Cayrel et Cavalier sont exemptés de la moitié de leur propre taille.

14D'autres revenus, moins intéressants, sont laissés à des tiers, comme l'arrentement des "courtages du vin, du sel et de l'huile" que Pierre Monbel, Pierre Malel et Bertrand Garsin confient, en 1477, à Bertrand Amorel, Etienne Rodier et Pierre Chatard17. Les deux premiers pratiquent le métier de tisserand et seul Pierre Chatard occupe une certaine place. Marchand mercier originaire de Lyon, installé à Mende, dès 1445, à la suite de son mariage avec Agnès Amat, fille d'un tisserand, il avait été institué lieutenant, en 1447, par le commissaire royal Anthoine Matusson Cette branche des Amat commence tout juste à se distinguer avec Pierre Amat, beau-frère de Chatard, notaire à partir de 1471, marié en 1474 à Delphine, fille de Bernard Atger. Le second beau-frère, Etienne Amat, tisserand, convolera une seconde fois en 1500, avec une fille Brun, après avoir donné sa propre fille au notaire Jehan Enjalvin18. Toutefois, même à cet échelon, la parenté joue un rôle et Pierre Chatard produit son gendre, Jehan Bodo, écrivain public, comme caution.

15En 1479, les consuls afferment les "courtages des tissus" à Anthoine Amat, Jehan Negre, Pierre Gay et Claude Amoros. Anthoine Amat, chaussetier et beau-frère du susdit Pierre Chatard, conforte l'entrée de cette parentèle parmi les modestes cadres de la capitale qui s'introduisent, par le biais de la perception des petites taxes, dans l'appareil communal19. L'année d'après, les consuls offrent à Jehan Bodo, le gendre de Pierre Chatard, de percevoir la taille. En compensation, la ville lui versera vingt-cinq livres. Ce contrat et celui de Guillaume Jausion attestent que Jehan Monbel lut largement avantagé avec un salaire de quatre à cinq fois supérieur aux leurs. Pour sa part, Pierre Gay avait été syndic en 1461, quand il acquiert la ferme du courtage des tissus en 1472, en compagnie de Clément Agasse. En 1482, le consul Jehan Bestion baille les mêmes courtages à Georges Agasse, frère de Clément, à Jehan Seguin et à Vital Charle20. Vital Charle se fait garantir par Hugues Bestion, fils de Jehan21. De même, en 1485, le conseil municipal commet Jehan Cobe, fils de feu Guillaume II, pour percevoir le "soquet du vin" pour les deux années à venir. C'est ce Jehan qui deviendra consul en 1488 et conseiller en 1490.

16En fait, la perception des droits fiscaux permet bien à la bourgeoisie de s'enrichir, parfois de réduire sa quote-part comme le firent Cayrel et Cavalier, mais elle sert aussi à familiariser dans les tâches collectives les fils de familles comme Jehan Monbel. Elle serait même susceptible de faciliter l'entrée des modestes mendois dans la bourgeoisie locale, comme les Amat et les Chatard. Mais elle s'accompagne toujours d'une fin hégémonique : l'occupation des postes clés ou honorifiques de la cité. Sont "ouvriers" de la Charité de Mende : Bernard Atger en 1469, Pierre Dumas ΙII en 1477, et Bertrand Garsin en 148322 ; et en sont procureurs, le juriste Jehan Durand en 1433-1459, et Bertrand Garsin en 1484. Alors que l'apothicaire Jehan Malel est gouverneur de l'hôpital en 146323.

B - L'administration régionale et la justice

17Nous venons de constater que les fermes constituaient des marchés attractifs sur lesquels les notables se précipitaient. Bien sûr, la levée des tailles de Mende ne représentait qu'un profit relativement modeste, vingt-cinq livres pour les moins bien rémunérés, cent vingt pour le fils d'une grande famille. Mais, le profit s'avérait déjà agréable puisque ces sommes permettaient, pour la première l’achat d'un ouvroir ou d'une petite maison, pour la seconde l'acquisition d'une belle demeure.

18D'autres négoces éveillent la tentation, l'arrentement des rentes ecclésiastiques ou seigneuriales, et nos syndics s'y adonnent En 1483, Guillaume Brolhet se fait affermer le prieuré Sainte-Agathe de Mende ; Jehan Cavalier junior, Claude Taurand et plusieurs autres obtiennent l'arrentement des revenus épiscopaux. En 1484, Jehan Sorrelh, maître de l'Hôtel royal et conseiller au parlement de Toulouse afferme le prieuré de Lanuéjols, alors sous séquestre, à Guidon Monbel qui produit Jehan Cavalier senior comme garant. En 1476, noble Astorg de Cénaret cède les revenus de son bénéfice de prévôt à Jaucelin Brolhet et Jehan Bestion. En 1449, Pierre Monbel accorde un lods comme fermier des revenus de l'archidiacre de Mende. En 1472, il se fait arrenter le prieuré de Salmon et la prévôté de Mende par le susdit Astorg de Cénaret. En 1479, Jehan de Montanhac, fermier des herbages du mandement d'Albuges pour le vicomte de Joyeuse, s'associe avec Vital Geymar, consul de l'année, et Guigon Albi24.

19Des désaccords surgissent parfois. Jehan Cavalier senior réussit à se faire louer le mandement de Serverette, château, ville et tous les membres, par François Alamand, vicaire de l'évêque, pour une durée de trois ans. Jehan et son associé, Jehan Agasse, tinrent leur fermage pendant plus de deux années, après lesquelles le vicaire bailla la troisième à Arthus de La Forêt, capitaine de Mende et bailli du Gévaudan. En conséquence, les deux fermiers réclamèrent à Arthus la restitution de diverses quantités de céréales et de biens qui se trouvaient audit château. Au contraire, le bailli répliqua que l'arrentement annuel fixé à neuf cents livres étant incomplet, le vicaire devait défalquer deux cents livres. L'affaire fut portée devant les Cours du parlement de Paris, de Toulouse, du sénéchal de Nîmes et devant le Grand Conseil, jusqu'en 1483, quand les parties engagèrent des arbitres pour une transaction. Jehan Cavalier, fils d'un défont syndic, s'exerçait ainsi aux grandes procédures judiciaires, et cela contre l'un des plus puissants et redoutables nobles du pays, Arthus de la Forêt, allié aux La Panouze, fortement représentés parmi les chanoines de la cathédrale après avoir donné deux évêques. Fort de cette expérience, Jehan Cavalier fut élu conseiller municipal en 1485.

20En fait, les revenus de ce type les plus rentables s'instauraient au moins à l'échelle diocésaine, ou même provinciale, et concernaient le Droit de l'Equivalent sur les finances extraordinaires du roi. Cette institution se chargeait de percevoir les impôts indirects et plus particulièrement les Aides, prélevées sur le vin, la viande et le poisson Plusieurs actes conservés dans le minutier mendois prouvent que la ferme générale de l'Equivalent du Languedoc fut à plusieurs reprises allouée à des Gabalitains. Ils ont, en outre, le mérite de démontrer que les heureux bénéficiaires de cette commission appartenaient aux familles syndicales et agissaient entre eux. Nous ignorons comment les premiers Gabalitains réussirent à obtenir cette ferme générale et comment ils opéraient leurs requêtes. Il est probable que les intéressés se déplaçaient jusqu'à Montpellier, car la constitution d'une fidéjussion en faveur de Pierre Atger et de ses deux collègues, en novembre 1455, atteste que ceux-ci forent nommés "généraux de la ferme du Droit de l'Équivalent" imposé sur les viandes, poissons et vins vendus au lieu des aides dans le pays de langue d'Oc par un acte reçu par maître Anthoine Jacillis, notaire montpelliérain. Devant dom Jehan d'Etampes, évêque de Carcassonne, conseiller du roi, et Etienne Petit, trésorier général et conseiller du roi, noble Pierre Atger, alias "Fresquet", maître Jehan Astallot, bachelier ès lois, et Jehan Conques, marchand, prirent la ferme générale pour trois années à commencer le 1er septembre 1455 et finissant le 31 août 1458, et s'engagèrent à lever 218 000 livres tournois. Entre autres conventions, ils promirent de désigner des fidéjusseurs25.

21Si ce négoce s'avérait alléchant, tant pour les capacités d'enrichissement offertes que pour le rôle influent qui l'accompagnait, il n'était pas sans risque. Jehan Conques l'apprit à ses dépens. En 1463, une partie de ses immeubles fut vendue contre six cent cinq livres, en exécution des lettres patentes du receveur général des finances du roi en pays de langue d'Oc, pour récupérer deux mille deux cents livres dues par ledit Jehan Conques en sa qualité de granaterii granerii salis26. Des difficultés surgissaient parfois et les fermiers généraux se heurtaient occasionnellement à leurs propres fermiers locaux, plus ou moins mauvais payeurs, comme nous le verrons plus loin avec François Atger, dit "Fresquet", et Pierre de Peyre, ce qui contribuait à les placer dans une situation aussi délicate que celle de Jehan Conques.

22Une fois cette question présentée, nous en venons à ce qui nous intéresse véritablement : le rôle des familles et l'intérêt des particuliers. Nous verrons que deux groupes exercèrent une influence distinctive dans ces commissions : celui des Moribel et celui des Atger "Fresquet", même si d'autres familles syndicales entrèrent également en lice. La première citation remonte au 27 janvier 1448. Ce jour-là, noble Pierre de Bressoles, son fils Louis, Pierre et Jacques Balmas, père et fils, et Pierre Monbel, tous marchands et fermiers de l'Equivalent en Languedoc, dressèrent une procuration collective27. Il est probable que les enfants, Louis de Bressoles et Jacques Balmas, n'étaient que les associés de leurs pères _à moins que ce ne fût l'inverse_, alors que la ferme appartenait réellement à un Bressoles, à un Balmas et à Pierre Monbel. Le 31 août 1450, ce sont les susdits Louis de Bressoles et Jacques Balmas qui se déclarent fermiers généraux Tous deux se subrogent alors Etienne de Melzac, marchand de Mende, pour l'année à venir. La figure VI, sur les "liens de parenté unissant les familles de syndics", montre quEtienne figure parmi les affins, assez éloignés, des Balmas et des Bressoles28. Le même jour, Pierre et Louis de Bressoles, Etienne de Melzac et Jehan Atger, alias "Fresquet", fils de Pierre, se portent caution pour Jehan Conques, marchand de Mende, commis pour recevoir les aides du diocèse de Carcassonne pour 1449. La nomination de Louis et de Jacques remontait à 1449, car le second délivrait déjà une commission à son père et à Etienne de Melzac le 5 septembre de cette année-là En outre, le 10 septembre, Pierre Balmas ratifiait un arrentement consenti par Jacques29. L'intervention du père se manifeste logiquement dans la mesure où le fils de famille demeure soumis à sa volonté. Les trois compères, Louis de Bressoles, Jacques Balmas et Jehan Conques poursuivent leurs affaires et afferment à Jehan de Lafont, marchand de Mende30, les droits de l'Equivalent sur le diocèse d'Alès et sur l'officialité de Limoux, de septembre 1450 jusqu'au dernier jour de 1451, après quoi Dulcie, femme de Jehan de Lafont, s'oblige sur ses biens pour garantir les promesses de son mari.

23A partir de 1452, Pierre Monbel et Jehan Conques agissent comme fermiers. Le 14 juillet, Jehan de Corsac, seigneur de Vallescure, Pierre et Louis de Bressoles se constituent garants de Jehan Conques, receveur des aides du diocèse de Carcassonne. Avec Jehan de Corsac, intervient le chef d'une famille syndicale dont la descendance s'unira aux Monbel. Armand Richard se fait alors sous-arrenter la ville du Malzieu et le mandement de Verdezun. Armand jouit d'une bonne expérience financière pour avoir déjà administré les rentes du prieuré de Villedieu en 144431. Il s'apparente aux Maynier par sa femme, Béatrice Chambon32. En 1453, Pierre Monbel alloue les droits sur la cité de Mende, sur la ville de Marvejols, sur les paroisses de Saint-Gervais et de Saint-Bauzile, à Claude Villar, mais une clause surprend, éveillant un certain malaise car révélatrice d'un éventuel détournement de la "chose publique" : Pierre Monbel retient que son "ostal", ceux de Pierre de Bressoles, de Jehan Dumond, de maîtres Raymond Monbel et de Jehan Durand, de Mende, et ceux d'Astorg Aragon et de la famille Blachas, de Marvejols, seront francs de toutes taxes. L'avantage accordé concerne des familiers et des notables. Le cousin, Raymond Monbel, apparaît aux côtés du collègue, Pierre de Bressoles, et du gendre de ce dernier, Astorg Aragon. La maison des Blachas est alors représentée par Jacques, consul de Marvejols en 1452. Jehan Durand et Jehan Dumond s'intègrent au cercle des alliances généralisées. Jehan Durand occupe même alors la fonction de receveur épiscopal, ce qui assure peut-être des... échanges de bons procédés entre personnages placés à des postes lucratifs et influents33. Pendant ces quelques années, nous relevons, parmi les syndics mendois, Jehan Conques en 1447, Pierre Atger "Fresquet" en 1448, Raymond Monbel en 1451 et Etienne de Melzac en 1453 ; ce qui conforte bien le monopole cultivé par ces bourgeois, tant sur l'autorité politique que sur le pouvoir financier.

24Nous avons signalé que Pierre Atger "Fresquet" se fait accompagner par maître Astallot et par Jehan Conques, comme généraux de la ferme de l'Equivalent, pour la période du 1er septembre 1455 au 31 août 1458. Le 5 novembre 1455, ils instituent fidéjusseurs : Jacques Rocos, de Florac, Anthoine Clavel, marchand de Mende, gendres de Pierre Atger "Fresquet", Anthoine Dumas, notaire et neveu dudit Pierre34, Etienne de Melzac, Bertrand Malbec, seigneur de Briges, et Natal Rives. Le seigneur de Briges avait épousé une fille de la famille Montanhac, bien connue à Mende35, et seul Natal Rives détonne dans ce réseau de relations mis à jour. Puisqu'il commerce à Alès, il est probable que sa domiciliation et son métier aient motivé son choix, peut-être même s'apparente-t-il à un mendois sans que nous ne le sachions. Le 9 novembre, Jacques Balmas et Jehan Atger "Fresquet" se portent aussi garants. La prédominance du parti des Atger s'affirme avec force, mais cela ne surprend pas puisque Jehan Conques, nouvellement implanté à Mende, ne réunit aucune clientèle personnelle, alors qu'Astallot y est totalement inconnu. Quelques mois plus tard, Atger et Conques prescrivent la reconduction de l'engagement fidéjussoire de Jehan Atger, Malbec, Balmas, Melzac et Dumas. Par un acte, aujourd'hui disparu, Anthoine Dumas et Pierre Atger cède les droits de l'Equivalent sur Mende et sur Saint-Bauzile, à Jehan Malel, apothicaire, Vincent Chambon, fournier allié aux Maynier, et Etienne Teyssier, boucher. Seul Etienne ne figure pas dans nos circuits d'affinité36.

25Pierre Atger obtient encore la ferme générale pour la période de 1458 à 1461. Il a atteint un âge respectable, soixante ans passés, et la fatigue occasionnée par les opérations inhérentes à cette besogne commence sans doute à dépasser ses capacités. Il allège donc la tâche en s'associant son neveu, Anthoine Dumas, pour le seul diocèse de Mende, chacun à parts égales. Le 5 janvier 1459, l'oncle se montre content d'Anthoine et lui délivre quittance générale, après quoi il lui abandonne l'ensemble de ses droits de l'Equivalent sur ledit diocèse, pour la totalité de l'exercice. Quelques jours plus tard, Vital Scurette ratifie l'obligation contractée par son père, Pierre Scurette, notaire de Saint-Denis, envers Pierre Atger "Fresquet" pour le reste des fermages de l'Equivalent. Anthoine Dumas entre alors en action. Le 3 juillet, il reçoit une obligation de deux habitants de Thoras pour la moitié de l'année écoulée et pour les deux restantes. Le 22 décembre, il afferme Mende et Saint-Gervais, pour les deux dernières années du mandat, à maître François Velayt, notaire de Mende. Le 21 décembre 1461, Anthoine donne quittance, en son nom et en celui de Pierre Atger, à Etienne Teyssier, déjà rencontré, et à Berthon Bérenger, également boucher, pour lesdits fermages37.

26Ce Berthon Bérenger n'est pas totalement anonyme. Natif de Barjac, il est le frère de Philippa Bérenger, mariée en 1452 au tailleur Egide Galieyras. Egide réside à Balsièges, sa paroisse natale, alors que son frère, Etienne Galieyras, s'établit à Mende, où il se fait affermer les courtages en 1472, et sert de fidéjusseur à Pierre Chatard en 1477. Le beau-père d'Etienne, Pierre de Monteilh est élu conseiller municipal en 1472. En outre, les chanoines de Mende lui concèdent, ainsi qu'à son autre frère, Guillaume Galieyras, la ferme du péage de Mende, dont ils reçoivent quittance en 147838. La situation de Berthon, certes modeste, s'améliore à la fin de ce siècle, justement par l'entrée de sa belle-famille et de lui-même dans le milieu des petits officiers et financiers de la capitale épiscopale.

27Des difficultés surviennent pour percevoir les produits de l'Equivalent, imposant parfois des délais qui contraignent la parentèle à soutenir les droits de poursuite. Pierre Atger arrente les revenus sur Lanuéjols, Saint-Bauzile et Brenoux à Pierre de Peyre, pour cent vingt-six livres. Anthoine Dumas, comme cessionnaire de son oncle Pierre Atger, récupère la créance, puis il cède tout, ultérieurement, à François Atger "Fresquet", petit-fils et héritier universel de Pierre Atger. En conséquence, François, agissant au titre de successeur de ses grand-père et cousin, exige la somme de Pierre de Peyre qu'il cite à comparaître devant la Chambre des Requêtes. Les deux parties transigent en 1468 et François s'engage à casser son ajournement en la Cour de Paris puis à faire ratifier la négociation par son père39.

28Entre temps, le marchand Pierre Monbel occupe le poste de receveur des tailles royales du diocèse en 1447, 1451, 1455, 1468, 1475 et 147640. En novembre 1463, il déclare détenir la ferme générale des tailles royales du Languedoc. Il s'occupe donc de la levée des impôts directs mais, dès septembre 1463, c'est à nouveau comme fermier de l'Equivalent du diocèse qu'il afferme des revenus. Il est accompagné par Anthoine Dumas qui a définitivement remplacé son oncle, Pierre Atger, et par Bertrand de Saint-Paul. Le 13 décembre, tous trois cèdent leurs droits sur quatre localités41. Dans le même temps, Jehan de Lafont et Anthoine Clavel sont syndics en 1461, Pierre Monbel en 1462, et Jehan Malel conseiller en 1462.

29Cet exposé indique deux choses : tout d'abord, l'omniprésence de la grande bourgeoisie à la tête des affaires financières et politiques du pays, avec une capacité à dépasser les limites du Gévaudan pour agir dans le reste du Languedoc, tout en déléguant une partie du travail à la petite classe des familles syndicales, de moindre renommées mais adhérant à la clientèle des notables éminents42 ; ensuite, même s'ils appartiennent à des partis dont les liens reposent surtout sur une affinité résultant des alliances, les généraux des fermes royales affichent indéniablement leur solidarité, ne serait-ce par intérêt, mais aussi certainement par habitude, par solidarité de classe et peut-être par amitié. Et quand la justice royale poursuit Jehan Conques et fait vendre ses immeubles, son procureur n'est autre que son confrère, Pierre Atger alias "Fresquet".

30Pour sa part, noble Jacques de Corsac, fils et père de syndics, lui-même syndic, enlève une honorable sinécure de Louis de Crussol, seigneur de Crussol, chevalier, conseiller et chambellan du roi, bailli de Caux, grand panetier de France, et d'Anthoine de Castelnau, seigneur du Lau, chevalier, conseiller et chambellan du roi, sénéchal de Guyenne et grand bouteiller43, avec la levée de tous leurs droits perçus "par toute la France", à savoir cinq sols exigés des taverniers vendant du vin à détail ou à taverne et des boulangers, de 1462 à 146444.

31Au-delà de la puissance financière, considérable si nous songeons que Pierre Atger "Fresquet" et ses collègues, Jehan Conques et Anthoine Astallot, réunirent une somme de 218 000 livres, le pouvoir judiciaire et administratif découlant des offices de juge et de bailli constitue un réel attrait. Nous laisserons de côté l'aspect purement financier, faute de documents pour le traiter ; tout au plus livrerons-nous quelques informations relevées dans le minutier mendois45. Les revenus de la Cour commune s'afferment puisqu'André Maquari en est le fermier général en 1483-148446. Quand Jehan Durand, bachelier en décret âgé de quatre-vingts ans, obtient du roi le droit de renoncer à son office de procureur de la Cour commune du Gévaudan, tenu pendant trente-cinq ans, en faveur de Vital Jourdan, déjà procureur auprès du Parlement de Toulouse, il bénéficie du privilège d'en prendre profit47. A la suite de quoi Vital Jourdan verse une rente viagère de vingt livres. De même, des lettres patentes délivrées par l'évêque Guidon de La Panouze ordonnent à son chancelier et trésorier de solder annuellement à noble Jehan Montanhac, pour son office de procureur fiscal, une somme de quarante livres. En 1481, noble Jehan Montanhac junior, fils du précédent, arrente son office de greffier épiscopal du Caylar-d'Ance à André Albi, notaire du diocèse du Puy, contre une somme de onze livres, pour un an. Louis de Liège, notaire royal de Mende, réussit à se faire instituer lieutenant par le garde du petit sceau de Montpellier ; le 18 juillet 1481, avec son père, il s'engage à rendre fidèlement compte de ses revenus au garde, et ce dernier lui assigne trente-cinq livres tournois pour chaque année où il exercera son office de lieutenant48. Ces revenus sont honnêtes lorsque l'on sait que le juge royal de Marvejols percevait trente livres entre 1461 et 1500, et le bailli de cette ville cent livres en 148549.

32Près de 21 % des membres du conseil municipal occupent des offices judiciaires ou administratifs. Ceci confirme l'accaparement du pouvoir par les notables mendois, et par la même la concentration d'un grand nombre d'offices entre les mains de certaines familles. En tête de tous, nous retrouvons à nouveau les Monbel50. Jehan Monbel I^er, bachelier en décret, dirige la Cour temporelle en 1415, et en 1422-1439. Entre-temps, de 1420 à 1421, il siège comme juge du chapitre de Mende. Son fils, Raymond Monbel, bachelier ès lois, commence sa carrière comme lieutenant de l'official en 1444, puis il occupe la jugerie du baron du Tournel en 1450-1451, mais il n'apparaît jamais à un rang élevé dans les grandes juridictions. Le frère de Raymond, Guillaume Monbel ΙII, licencié ès lois, débute en se faisant instituer lieutenant général par Pierre Mathieu, juge de la Cour commune du Gévaudan, en 1448, après quoi il succède à ce dernier dès le 8 mai 1452. Il se maintient à cette haute juridiction jusqu'au 17 janvier 1483 au moins. Son fils, Jehan Monbel VI, juge de la Cour temporelle le 18 mai 1483, le remplace dès septembre 1484 et se maintient jusqu'en 151251. Guillaume Monbel ΙII se marie avec Isabelle Pelhicier, soeur de Jacques Pelhicier, lieutenant de l'official de Mende en 1461-1463, puis juge d'Appel de la Cour commune en 1466-1477, certainement grâce audit Guillaume Monbel. En 1470, Isabelle Monbel, fille de Raymond, épouse Anthoine Grégoire, qualifié de bailli épiscopal en 1476. Cette place fut souvent occupée par les parents d'Anthoine. Son grand-père, noble Guigon de Montesquieu, fut bailli épiscopal en 1415 et 1422, son oncle, Robert de Montesquieu en 1429. Ce dernier s'unit avec Aliénos de Corsac, fille de Jehan, bailli de l'évêque de Mende de 1441 à 1462. De plus, Raymond de Borne, père de Delphine, la mère d'Isabelle Monbel, fut bailli de l'évêché de 1431 à 1440.

33En outre, François Monbel I^er, le cousin germain de Guillaume Ht, se transporte à Toulouse, comme procureur au parlement de 1441 à 1457. Il revient quelque temps en Gévaudan où il se distingue comme lieutenant du bailli royal de Marvejols en 1456 et exerce aussi en 1454 un office d'avocat et de procureur en la Cour des Aides. En 1469, son fils, Jehan Monbel II, noue l'hymen avec noble Arnalde Montanhac, fille de Jehan Montanhac senior. Ce dernier est lieutenant de plusieurs baillis de la Cour temporelle épiscopale entre 1450 et 1466, avant d'occuper lui-même le poste principal de 1469 à 1473. En outre, il est, comme nous l'avons déjà vu, procureur fiscal de l'évêque, de 1449 à 1466, et bailli de Langogne en 1469. Son propre fils, est lieutenant du juge de ladite Cour en 1475,1484, et siège comme bailli en 1476 et 1481. Cinq ans plus tard, en 1486 et en 1487, il exerce comme secrétaire de l'évêque qui n'est autre que Clément de La Rovère. Enfin, Jehan Monbel I^er, mari d'Haliene de Chaldoreilhe, présente, grâce à cette dernière, quelqu'affinité avec dom Raymond Bonot, docteur en décret, official de Mende en 1422-1426 et official du Puy en 1427-1436. En effet, Haliene est la tante de Jehan de Chaldoreilhe, époux de Gauceline Bonot, nièce de Raymond52. Par les Chaldoreilhe, il se trouve allié à Bertrand Pareur, frère d'Alimbourgis, conjointe de son beau-frère, Jehan de Chaldoreilhe. Bertrand Pareur, bachelier en décret, se caractérise par un cursus honnête : lieutenant du bailli épiscopal Guigon de Montesquieu en 1422, bailli capitulaire en 1424-1434, lieutenant du bailli du Gévaudan en 1443, puis de l'official de Mende en 1444 et 1461, en même temps que juge d'appel de 1451 à 1456. Par Bertrand Pareur, les Monbel arguent d'une parenté avec Bertrand Valdin, cousin de Pareur.

34Les généalogies des familles Valdin, Robin, Jourdan, Dumas, Chaldoreilhe, et Atger nobles, placés en annexe, prouvent qu'une foule d'officiers, tant juges que baillis, procureurs capitulaires, épiscopaux et royaux, officiaux et vicaires de l'évêque de Mende, s'avère impliquée dans des liens de parenté très étroite pour certains, ou d'affinité plus ou moins lâche pour d'autres. Le seul office qui échappe à ce cercle est celui de bailli de la Cour commune du Gévaudan, dont le recrutement s'opère dans une tranche plus élevée de la société qui ne renonce pas à la même logique, même si nos sources ne permettent guère de développer cette question.

II - LE POUVOIR RELIGIEUX

35Pouvoirs religieux et civil coexistent et suscitent certainement les mêmes comportements. Il est banal de dire que les prêtres jouent un rôle essentiel dans la société dans la mesure où ils allient leur influence découlant de leur vocation pastorale et leur puissance temporelle. En conséquence, l'apostolat des ecclésiastiques ne forme pas leur seule motivation et leur engagement se teinte souvent d'une tendance au carriérisme ; beaucoup d'entre eux, peut-être la majorité des titulaires des principaux bénéfices, se lancent dans une conquête de responsabilités toujours plus nombreuses et lucratives en s'intégrant dans des groupes de pression et en profitant des défauts du système.

36L'administration religieuse des paroisses suit le même modèle que celui décrit par Nicole Lemaître pour le Rouergue des XVe-XVIe siècles53. Un certain nombre de prieurés-cures apparaît, comme à Villedieu, Vébron et Estables-d'Olt. Le desservant, nommé par les religieux, appartient à leur ordre ou reçoit son bénéfice en commende. Il perçoit les décimes et exerce lui-même les charges de la cure. Mais un certain nombre de ces prieurés paroissiaux ont déjà donné lieu à l'institution de curés-recteurs qui ne disposent pas de toutes les décimes et dirigent la paroisse au nom du prieur. Des curés-recteurs occupent la plupart des paroisses du Gévaudan, mais les Alamand fondent encore deux cures à la fin du XVe siècle. Il est même probable que la cure de Vébron ait été fondée vers cette époque car le premier curé dont l'histoire ait à ce jour conservé le nom, Jacques Rayraud, apparaît en 1464 dans le testament d'Anthoine Astier54, alors que Pierre Alamand détient le prieuré sans y séjourner. Enfin, nous préciserons, pour mémoire, qu'outre les bénéfices de prieurs des quelques couvents et monastères du pays, et les prébendes de chanoines de Mende, le diocèse comptait quatre églises paroissiales érigées en collégiales, à Marvejols, Quézac, Bédouès et Moriès.

A - Les prêtres et leurs activités

37Outre les charges de leur sacerdoce, les prêtres assurent parfois des services qui les rapprochent d'impératifs bien séculiers. Le notariat constitue une de leurs activités non négligeables ; cette pratique, décelée en Gévaudan, n'a rien d'exceptionnel et le clergé rouergat s'y adonne également55. En fait, l'investiture d'un prêtre à l'office notarial présente sans doute une garantie de plus grande qualification, puisque nous avons constaté que 13,45 % des ecclésiastiques, contre 3,30 % des notaires seulement, passaient par une université ; parmi les ecclésiastiques notaires, ce pourcentage atteint 13,65 %. Encore s'agit-il de distinguer le véritable notariat de la simple tendance qu'avaient les prêtres à recevoir un testament, lors d'une épidémie de peste, ou tout autre instrument rédigé par eux, faute de notaire ; leur capacité ne reposait pas alors sur le droit, mais sur leur probité, et nécessitait l'enregistrement ultérieur par un notaire. Sur l'ensemble des fiches biographiques constituées pour la période 1380-1499, 1,90 % des prêtres ont obtenu un office notarial, ce qui correspond à 6,85 % du contingent des notaires. D'ailleurs, cinq des notaires dont nous avons utilisé les notes avaient été ordonnés prêtres.

3836,35 % de ces prêtres notaires occupent une cure, comme Jehan du Ranc, à Saint-Bauzile en 1445. 27,25 % ont été nommés à la tête d'un prieuré séculier, comme Guillaume Thoreyre, notaire apostolique en 1422, prieur de Sainte-Croix-Vallée-Française en 1422-1446.11,35 % ont reçu un canonicat, tel Jehan de Jagonzac, chanoine de Quézac et notaire public de 1445 à 145356. Enfin, 20,45 % de ces notaires sont de simples prêtres, souvent pourvus d'une chapellenie, et un clerc chorier. Assez curieusement, 15,90 % de ces ecclésiastiques notaires ont reçu collation d'un bénéfice dans le Collège de Tous les Saints de la cathédrale de Mende. L'explication la plus évidente réside dans le fait que les prêtres munis d'un titre notarial rendent toujours service au clergé cathédral et l’octroi d'un bénéfice dans l'un des plus prestigieux Collèges de ce dernier s'avère logique. En outre, leur office les place souvent à la disposition des chanoines et des prêtres du choeur, ce qui facilite sans doute leurs ambitions ainsi que leurs prétentions sur une chapellenie de Tous les Saints.

39Les prêtres reçoivent occasionnellement des offices de justice ou d'administration. Les évêques les désignent pour en faire leurs officiaux ou leurs vicaires, voire leurs trésoriers ou secrétaires. D'autres quittent même le pays pour rejoindre le service du pape ou d’un prince de l'Eglise, évêque ou cardinal. Jehan Coston devient, pour sa part, procureur au parlement de Toulouse. Plus curieusement, quelques-uns d'entre eux parviennent à se faire désigner à la direction d'une jugerie royale. Michel de Chabane, originaire de Chirac, étudie à Avignon à partir de 1458 et réussit son baccalauréat ès lois dès 1460. En 1468, il se dit bachelier dans les deux droits et succède, dès 1471, à son parent, Pierre de Chabane, comme juge du bailliage royal de Marvejols. En novembre 1483, Michel est déchargé de son office car il ne peut vaquer aux procès criminels en raison de sa prébende de chanoine de Marvejols57.

40Une lecture méticuleuse des actes signale une pratique bien plus surprenante : le prêt sur gage58. Seuls les inventaires après décès des prêtres nous ont permis de relever cette activité surprenante pour un homme d'Eglise. En 1424, après le décès de l'hebdomadier Guillaume Agari, ses héritiers identifient plusieurs objets laissés en gage59. Chaque fois, une petite note est fixée sur l'objet gagé et mentionne le nom du propriétaire et la valeur à laquelle il a été confié. Toutefois, parmi les biens ainsi réunis par Guillaume Agari, ses successeurs citent un anneau d'or qui semble se rattacher à ce petit commerce mais précisent qu'il ne porte aucun billet. Le livre de dettes de Guillaume indique qu'il avait de nombreux débiteurs et leurs origines géographiques, assez variées, ne permettent guère de supposer qu'il s'agissait d'arrérages de rentes féodales, même si la possibilité n'est pas à écarter. En fait, ce prêtre excellait sans doute dans les affaires et fut même l'administrateur des possessions de l'archidiacre Erailh de Mirmont. Les signes d'une activité de prêteur se manifestent à l'examen des documents concernants le chanoine Pierre Saltet en 1433, les prêtres Pierre Magot en 1435 et Raymond Dumas en 143460. Toutefois nous ignorons les conditions dans lesquelles se déroulaient ces opérations et si le prêtre en tirait des bénéfices. Cette dernière hypothèse, probable, n'exclut pas que certains prêtres estimaient ainsi aider leurs prochains, sans en abuser, en leur confiant des liquidités contre des meubles restitués au tarif d'engagement. Une certitude point : si les actes ne rapportent jamais l'existence d'un quelconque intérêt, le prêteur devait parfois s'indemniser lorsque son gagiste ne parvenait pas à le rembourser, et ce n'était certainement pas à perte. Au-delà de tout profit éventuel, l'un des bénéfices les moins ostensibles, mais sans doute le plus important, consiste dans le fait que celui qui rend ainsi service en avançant des sommes d'argent sait devenir indispensable ; et quel meilleur atout pour un carriériste que de créer un réseau d'obligés, d'individus qui le reconnaissent comme celui auquel il convient de s'adresser. N’était-ce pas, finalement, le principe des banquiers lombards qui avançaient de l'argent aux princes et aux rois, quitte parfois à créer l'effet inverse quand le débiteur se sentait menacé par une requête en restitution. Bien sûr, la démarche du prêtre gabalitain se situe à un niveau financier incomparable et limité au bon voisinage, mais le processus psychologique fonctionne de la même façon.

B - Le clientélisme et l'Eglise

41L'Eglise fonctionne réellement sur la base d'un clientélisme reposant sur la parenté, l'affinité, la confraternité et le service, et cela à tous les échelons, de la papauté à la paroisse. L'impossibilité d'analyser ce comportement au niveau de la papauté à partir des archives régionales ne surprendra pas mais nous nous livrerons à une légère approche grâce aux renseignements prélevés par Jacques Verger dans les registres des suppliques de l'Archivio segreto Vaticano61. Toutefois, en premier lieu, nous rappellerons certaines bases historiques concernant la fin du XIVe siècle. Guillaume de Grimoard fut élu pape en 1362 et prit le nom d'Urbain V. Il mourut en 1370 et fut remplacé par Pierre Rogier, sous le nom de Grégoire XI. Ce dernier disparut en 1378, mais ces deux papes avaient rétabli le Saint-Siège à Rome, ce qui leur donnait une dimension particulière en cette fin de siècle. Tous deux étaient liés au Gévaudan, Guillaume de Grimoard pour y être né d'une vieille famille de chevaliers originaires du pays, et Pierre Rogier comme fils de Guillaume Rogier, seigneur de Beaufort en Anjou, et de Guérine, héritière de la baronnie de Canilhac en Gévaudan62.

42Parmi les dignitaires les plus proches d'Urbain et de Grégoire, nous relevons plusieurs personnages de la famille d'Aigrefeuille. Guillaume I^er, cardinal de Saragosse de 1317 à 1369, parent de Grégoire XI63, et son neveu Jehan d'Aigrefeuille, maréchal de la Cour pontificale, favorisèrent l'élection de Guillaume de Grimoard et firent partie de son entourage en compagnie des deux frères de Jehan, Guillaume d'Aigrefeuille II et Faydit. Guillaume II fut institué cardinal au titre de Saint-Etienne in Monte Celio alors qu'il accompagnait Urbain V à Rome, en 1367 ; après quoi il participa à l'élection de Grégoire XI puis à celle de Robert de Genève, pape sous le nom de Clément VH. Le 2 août 1361, Raymond d'Aigrefeuille, frère de Guillaume I^er, résigna son évêché de Rodez en faveur de Faydit qui entra dans cette cité en 1365 avant de retourner vivre à Avignon dont il devint évêque le 18 juillet 1374 ; après quoi il fut créé cardinal par Clément VII en 1378 et mourut en 1391. Grégoire XI chargea Guillaume d'Aigrefeuille II d'examiner les révélations de sainte Brigitte, en compagnie de Pierre de Luna, futur Benoît XIII, et de Géraud du Puy. Ce dernier échangea son évêché de Saint-Flour contre celui de Mende en 1413, mais il se transporta en celui de Carcassonne dans la même année. Anglic de Grimoard survécut à son frère Urbain V. Il avait été nommé évêque d'Avignon en 1362, cardinal au titre de Saint-Pierre-aux-liens en 1366, évêque d'Albano en 1367 et fut rappelé à Dieu en 1388. Leur parent, Pierre Blau, lia son destin à celui de Benoît ΧΙII et obtint son chapeau de cardinal au titre de Saint-Ange en 139564. Pierre Flandin s'attacha à Grégoire XI qui le fit cardinal en 1371. Il prit ensuite le parti de Clément VH à l'élection duquel il se montra favorable et fut excommunié par Urbain VI, en 1378, trois ans avant sa mort. Son frère, Jehan Flandin, archevêque d'Auch en 1379, passa au service de Clément VU qui le nomma cardinal au titre de Saint-Jehan-et-Saint-Paul en 1390, après quoi il participa à l'élection de Benoît ΧΙII auquel il resta lié. En 1401, il séjourna dans son prieuré du monastère Saint-Sauveur, près de Chirac, en Gévaudan, mais rejoignit très vite Benoît XIII et devint évêque de Sabine en 1405. Clément VII s'était attaché la personne de Jean Allarmet, dit "de Brogny", qu'il éleva à la dignité de cardinal au titre de Saint-Anastase en 1382.

43Ces divers princes de l'Eglise appelèrent à leurs côtés un certain nombre de serviteurs originaires du Gévaudan qui constituèrent leur clientèle. Grégoire XI recruta Guillaume Gisland, licencié ès lois et bachelier en décret, qui le suivit à Rome où il enseigna en 1377, alors qu'il avait déjà dispensé son enseignement à Montpellier où il revint en 1378 et agit comme vicaire de Jehan Roger, archevêque de Narbonne et frère de Grégoire XI65. Clément VU fut servi par Jehan Amald, son chapelain d'honneur en 1380, et Privat Valdin, scripteur des lettres apostoliques en 139066. Jehan Amald occupait la cure de la Capelle en 1378 et le prieuré de Saint-Georges-de-Lévéjac en 1391, après avoir tenu la charge de chapelain du défunt cardinal Jacques de Menthonay.

44Jehan Flandin veilla sur la carrière de Pierre Telhini, licencié en décret dès 1394, chanoine de Mende de 1405 à 1411, official de ce diocèse en 1407, collecteur apostolique de la province de Toulouse, curé de Montberon, chanoine de Mirepoix et de Vaison en 140867. Le cardinal Pierre Flandin offrit sa protection à Gaucelin Boutbald, bachelier ès lois, et à Jehan Bonafos, licencié ès arts et bachelier en décret, en 1378. Ce dernier travailla ensuite comme scribe de la pénitencerie et secrétaire de Jehan Flandin. Le même Jehan patronna Etienne Ebrard, étudiant en médecine en 140368^. Géraud du Puy prit à son service un juriste chorier de la cathédrale de Mende, Pierre Bascle, qui finira sa vie comme chanoine de ce diocèse.

45Le pape Benoît XIII accueillit au moins quatre Gabalitains autour de lui. Jehan de Chabane et Guillaume Pradetas, scripteurs des lettres apostoliques en 139469. Urbain Senhoret de Grimoard, neveu du pape Urbain V, chanoine et prévôt de Mende, fut son familier en 139470^. Avec Urbain Senhoret de Grimoard, nous abordons la clientèle des Grimoard, en bonne partie issue du pontificat d'Urbain V. Le frère d'Urbain, Jehan Senhoret de Grimoard, fut chanoine de Mende de 1392 à 141571^. A la même époque, leur cousin Pierre Blau appelait cinq de ses compatriotes à son service : Hugues Aldegier, Jehan Garandel, Guillaume Passabos, Privat Robin et Jehan Villeneuve72. Hugues Aldegier, prêtre et bachelier ès lois, fut successivement familier du référendaire Pierre Ravat et des cardinaux Anglic Grimoard et Pierre Blau ; Jehan Garandel, Guillaume Passabos et Jehan de Villeneuve, bacheliers en décret, agirent comme familiers et procureurs de Pierre Blau en 1403.

46Privat Robin, natif de Mende, maître ès arts, instruisit les neveux du cardinal Anglic Grimoard en tant que précepteur, en 1378. Il entreprit des études de droit civil et obtint son baccalauréat, puis il s'inscrivit en droit canonique à Montpellier en 1393. Le 16 octobre 1403, il servait le cardinal Pierre Blau, comme camérier et chapelain, et détenait les prébendes de chanoine de Lodève et préchantre de Rieux. Entre temps, il avait résigné la cure de Ribennes, mais se maintint à son canonicat de Lodève jusqu'en 141873^. Le 10 mars 1421, Privat Robin se fit représenter par Guillaume Valdin, chanoine de Mende et neveu de ce Privat qui fut scripteur des lettres apostoliques de Clément VII, pour recevoir son investiture au bénéfice de chanoine de Mende de son neveu, Bernard Robin I^er, vicaire de l'évêque Jehan de Corbie. Ce canonicat lui avait été concédé après échange avec André de Montpeyroux auquel il avait laissé son archiprêtré de Poget, dans le diocèse de Béziers. Les Robin et les Valdin appartenaient à la grande bourgeoisie mendoise et les deux Privat favorisèrent l'avenir de leurs parents74. Outre Privat Robin et Hugues Aldegier, le cardinal Anglic Grimoard s'attacha, dès 1387, le bachelier ès arts Pierre Cabanon qui régentera les écoles d'arts d'Alès en 1394. En 1379, noble Guigon de Sévérac, étudiant en décret, se disait son familier. Enfin, en 1378, il protégeait noble Guigon de Cénaret, étudiant en droit canonique à Avignon, qui se placera sous le patronage du cardinal d'Aigrefeuille dès 1394, alors qu'il avait obtenu le prieuré de la Capelle. Pour sa part, Hugues Marron, licencié en décret, devint vicaire et chapelain des causes pieuses de Faydit d'Aigrefeuille, évêque d'Avignon, en 1380, puis demeura en activité auprès de ce dernier, devenu cardinal, comme chapelain et auditeur75.

47Le 3 décembre 1369, le mendois Bernard Alamand I^er, docteur en décret, préchantre de la cathédrale de Mende, fut appelé à la tête de l'évêché de Condom. Le 2 avril 1370, âgé de vingt-huit ans, il obtenait une dispense d'âge du pape Urbain V, son compatriote et protecteur76. Lors du grand schisme, Bernard prit d'abord parti pour Clément VII, puis il se rallia à Urbain VI et s'opposa vivement à Benoît XIII, avant de mourir le 9 mars 1401. Dans sa cité condomoise, Bernard attira au moins trois Gabalitains présents dès 1378 : Jehan Bressole, Pierre Charcos et Hugues Raymbaud77. Le premier, titulaire d'un baccalauréat en médecine, lui servit de chapelain. Le second, Pierre Charcos, bachelier en droit canonique, également prêtre, agit en tant que vicaire épiscopal. Hugues Raymbaud, licencié en décret, fut son official. Les carrières de ces personnages diffèrent largement. Bressole disparaît des documents. Pierre Charcos passa au service du cardinal Jehan de Brogny dès 1394, puis il rentra à Mende où il occupa une prébende de chanoine en 1396, et mourut avant 1421, date où sa parente, Marquèze, fille de Guillaume Charcos, femme de Pierre d'Orlhac, devint son héritière. En 1394, Jehan de Brogny engagea Guillaume Quintin qui avait commencé sa carrière, à partir de 1378, avec l'assistance du comte d'Armagnac. Guillaume Quintin, bachelier en décret et scripteur des lettres apostoliques en 1378, se disait prieur de Chasseradès en 1382-1384, chanoine de Mende en 1396-1416, et nous savons qu'il facilita la carrière de son parent, Guillaume Amelhac, prieur de Servières. Hugues Raymbaud suivit un avenir plus prometteur puisqu'il succéda à son maître sur le siège épiscopal de Condom Hugues était certainement originaire de Marvejols où deux curés de ce nom sont signalés de 1367 à 1401, Jehan et Guillaume Raymbaud78. Une autre génération de serviteurs du diocèse de Mende se présenta avec Jehan Valmela, licencié en décret, prêtre, chanoine de Lavaur, curé de Taur à Toulouse, vicaire et official d'Hugues Raymbaud79. Mais Hugues ne survécut pas longtemps et la mort le faucha le 11 octobre 1405, mettant un terme à la présence des Gabalitains à la tête de la cathédrale de Condom.

48Toutefois, les prêtres de notre pays ne cessent pas de profiter des bénéfices de ce petit diocèse pyrénéen. En 1475, Jacques Ferrier, natif de la campagne mendoise, se dit neveu d'un Jehan Valmela qui semble être l'ancien official de Condom. Juriste, Jacques Ferrier se distingue comme official de Castres en 144480. Le 16 mai 1450, il adresse une procuration à un autre Jehan Valmela, prêtre, et à maître Jehan de Limoges, pour résigner son canonicat du Mas-d'Agenais81 dans le diocèse de Condom ; ce qui nous ramène à la famille des Valmela dont un membre, Pierre, fils de Jehan, originaire de Chanac, s'établit à Condom avant 1463, année où il fait donation de tous ses biens paternels à sa soeur, Catherine. Un de ses parents, Anthoine Valmela, alias Bostes, prêtre de Chanac, s'installe à Mende comme secrétaire de l'évêque Anthoine de La Panouze de 1471 à 147382. Pierre Lebraton, neveu de Jacques Ferrier, lui succède au Mas-d'Agenais en vertu de la résignation faite en sa faveur83. D'autres prêtres Gabalitains vivent ou détiennent un bénéfice en Condomois, mais rien ne prouve que cette situation résulte d'un héritage de l'implantation antérieure de la clientèle de Bernard Alamand. Gérald Géraldon, hebdomadier de la cathédrale de Mende où il réside en permanence, est prieur de "Rocella" de 1409 à 1422. Dom Raymond Bolet, natif d'Ispagnac, habite à Condom en 1448 ; dom Pierre Doret, de Prades, y séjourne en 146084.

49L'élévation de Bernard Alamand suscita une certaine émulation au sein de sa famille. Quelques années après sa mort, son neveu Bernard Alamand II se titre bachelier en décret, après quoi il réussit sa licence. Il détient l'importante dignité de prévôt de la cathédrale de Mende pendant plus de vingt ans, de 1417 à 1440, et jouit de plusieurs bénéfices à des dates méconnues : le prieuré de Montferrier, près de Montpellier, la chapelle Sainte-Marie de Solier (Saint-Hilaire-de-Lavit) et celle de Sainte-Agathe de Mende. La notoriété de son frère, François Alamand I^er, est moins prestigieuse. Lui aussi étudie le droit canon jusqu'à la licence ; il dirige d'abord le prieuré de Colonhet, près de Marvejols, en 1410, et le plus considérable monastère de Sainte-Enimie, sur le Tarn, de 1425 à 145685. Le frère de Bernard II et de François engendre au moins deux filles et cinq fils : Maritone, Breydette, François II, Jehan, Gérald, Pierre et Ligier. Les filles et Ligier se marient, mais les quatre autres garçons entrent dans les ordres. Nous les avons déjà rencontrés à un moment de notre étude, mais nous rappellerons leurs carrières, tant elles attestent la grande vocation religieuse de cette famille. La politique pratiquée par cette dernière se révèle même catastrophique sur le plan dynastique puisque la descendance légitime de Ligier, entièrement constituée de filles, entraîne l'extinction d'une maison devenue puissante en Gévaudan, au point de détenir une magnifique forteresse sur les rives du Tarn, le château de la Caze86, et une seigneurie en Nîmois, outre de nombreux droits féodaux.

50Dès 1447, noble Gérald Alamand se retire au monastère de Sainte-Enimie dans lequel son oncle, le prieur François, le nommera à l'office de camérier. De 1456 à 1460, il préside aux destinées du prieuré de Vébron87. Son frère, Pierre, bachelier en décret dès 1462, prieur de Saint-Chély-du-Tarn de 1461 à 1462, le remplace au prieuré de Vébron de 1462 et à 1474, date à laquelle il s'installe comme doyen de Villeneuve-lès-Avignon, tout en conservant le prieuré d'Estables-d'Olt, mais il décède dans l'année qui suit88. Tous les deux ont indéniablement assis leur carrière sur l'autorité de leur oncle et de leur frère, prieurs de Sainte-Enimie. En effet, François Alamand II suit François I^er à la tête du monastère, de 1456 à 1501, sans devenir moine et comme premier prieur commendataire de cet établissement. Bachelier dans les deux droits, il est nommé protonotaire apostolique dès l'année 146089, alors qu'il jouit d'un canonicat à Mende depuis 1451. En tant que vicaire, François dirige l'évêché à plusieurs reprises : en 1473, entre la mort d'Anthoine de La Panouze et l'élection d'un neveu du pape Sixte IV, puis en 1480-1483, au nom de Julien de La Rovère, futur pape Jules II. Entre temps, il est élu évêque en 1478, mais se désiste en faveur de Julien L'importance prise par François le fait remarquer par le roi qui le nomme conseiller et maître de sa Chambre des Requêtes avant 1483. Jehan Alamand, frère des précédents, observe une carrière honorable et parallèle à celle de son frère, François. Pendant quarante ans, de 1441 à 1484, il occupe deux prébendes de chanoine, l'une dans la collégiale de Marvejols, l'autre dans la cathédrale de Mende. De 1450 à 1464 il est prieur de Monteilh, près de Montpellier. En 1464, il remplace son frère, Pierre, au prieuré de Saint-Chély-du-Tam, puis il obtient celui de Chadenet, et les conserve tous deux jusqu'en 1484. Il profite également des revenus de la chapelle Saint-lipide de Mende en 1466. En 1478, pendant la vacance de l'évêché, alors placé entre les mains du chapitre, il est désigné comme vicaire général en compagnie de dom Guidon de la Panouze.

51Un cercle plus large de la parentèle des Alamand profite de leur ascension dans l'Eglise. Tout d'abord, Jehan Sarrat, fils du juriste Piene, conseiller royal au parlement de Toulouse, et de Breydette Alamand. Natif de Toulouse, il gagne son baccalauréat ès lois, puis sa licence dans les deux droits, et rejoint ses oncles à Mende. Le 9 avril 1482, il appartient déjà au chapitre de la cathédrale, et l'année d'après il intervient comme official de Julien de La Rovère. Il travaille donc en collaboration avec son oncle, le vicaire général François Alamand, ce qui confirme que la renonciation formulée par ce dernier en faveur des Rovère a finalement été fructueuse. Pendant tout ce temps, de 1482 à 1486, Jehan profite des revenus de son prieuré de Saint-Vénérand, auxquels il s'adjoint ceux d'un canonicat à Albi.

52Un cousin des Alamand, Jacques Claret, dit de "Saint-Félix", fils du seigneur de Saint-Félix-de-Pallières, dans le diocèse de Nîmes, se place au service de François Alamand à partir de 1473, alors qu'il témoigne à une quittance donnée par celui-ci. En 1475, il prend possession du prieuré d'Estables-d'Olt, vacant après la mort de Pierre Alamand, auquel l'avait présenté François Alamand, commendataire de Sainte-Enimie. Une dizaine d'années auparavant, en 1461, Jehan Claret, seigneur de Saint-Félix, certainement le frère de Jacques, avait tenté d'obtenir un bénéfice pour son frère, noble Raymond Claret, en produisant des lettres de nomination de l'université de Montpellier où Raymond étudiait90, mais il ne semble pas avoir obtenu gain de cause. A partir de 1477 Jacques possède un bénéfice dans le diocèse de Vabres.

53En 1487, François de Castanet, dit de Montvaillant, petit-fils d'Egidie Alamand, s'est retiré dans le monastère de son cousin François Alamand, auprès duquel il assure la charge de camérier, alors qu'il deviendra sacriste aux environs de 1493. Son oncle, noble Hugon de Castanet, certainement nommé par François Alamand occupe le siège de bailli épiscopal de Mende en 1481. L'attribution d'offices administratifs récompense les parents laïcs. En 1476, Hector Alamand fils illégitime de Ligier, demeure auprès de son oncle dom François Alamand et se dit son familier. Le 24 septembre, il porte même le titre de bailli de la ville de Sainte-Enimie91.

54Egidie Alamand aïeule de François de Castanet, avait épousé Frédol de Folhaquier, seigneur de Folhaquier. La généalogie de cette famille est encore mal connue. Frédol de Folhaquier, fils d'un autre Frédol, vécut de 1414 à 1448, et son fils, Guérin, lui succéda à partir de 145192. Trois Folhaquier furent incités à se tourner vers l'Eglise, mais nous ne pouvons définir avec précision leur filiation, tout au plus estimons-nous qu'ils naquirent d'Egidie ou de son fils. En 1449, Jehan Alamand est gouverneur et commensal de Jehan de Folhaquier, clerc et vicaire de la chapelle Sainte-Anne de Mende mais, la même année, ce clerc renonce à sa chapellenie car il n'a pas pu parvenir au sacerdoce dans l'année suivant la collation. Toutefois, Folhaquier réussit à conserver un bénéfice, tout en demeurant clerc, en 1451. Nous ignorons si c'est lui qui est moine et prieur de Toro in insula Venayssini en 1456. En 1458, noble Frédol de Folhaquier, clerc de Mende, nomme procureur Jehan Alamand afin de résigner son surplis de chorier de la cathédrale en prévision d'un échange. Frédol reçoit ensuite la collation de la chapelle Sainte-Anne de Mende, puis en 1463 et 1464, ledit Jehan Alamand envisage de lui abandonner son prieuré de Monteilh, près de Montpellier93. Enfin, en 1484, Jehan Alamand adresse un legs à Marguerite, fille du défunt seigneur de Folhaquier94, sous condition qu'elle devienne religieuse95.

55Cette énumération des bénéfices démontre que les Alamand jouent de leur influence pour placer leurs parents dans l'Eglise. Les deux François profitent de leur rang de prieurs, conventuel pour le premier et commendataire pour le second, de Sainte-Enimie, monastère dont dépend le prieuré d'Estables-d'Olt. François II et Jehan usent de leurs places dans le chapitre pour faciliter les collations de prieurés ou de chapelles, et Jehan profite de la "resignatio in favorem" avec son bénéfice de Monteilh.

56Parvenu à ce stade, commence le véritable cercle de la clientèle, à savoir des étrangers au sang et à la parentèle qui s'attachent à la personne des Alamand. Pour cela, cette famille dispose d'un bel instrument hérité de l'évêque Bernard Alamand I. En effet, ce dernier ordonna la fondation d’une chapelle à Mende, en la plaçant sous le vocable des "quatre docteurs", mais que la postérité fit connaître sous le nom de "chapelle de Condom". Les Alamand disposent ainsi d'un bénéfice à concéder à ceux qui les servent Nous relevons parmi les vicaires de cette chapelle, Vital Coderc en 1434, Olivon Michel en 1469-147496, Etienne Colin, dit de Mirmont, et Pierre del Trève. Olivon Michel profite certainement de l'amitié qui avait uni son oncle, le chanoine François Bompar, et Bernard Alamand II qui désigna ce dernier comme exécuteur testamentaire en 1439. Un lods accordé en 1470, rapporte qu'Etienne Solier est le clerc et le serviteur de Jehan Alamand, chanoine et bailli du chapitre. Les services d'Etienne sont récompensés, en 1473, par noble Ligier Alamand qui le présente à la chapelle fondée par Alasacie Martin97.

57La carrière d'Etienne Colin, dit Mirmont, se révèle vraiment honorable pour un ecclésiastique issu d'une famille modeste98. En 1424, il est prêtre et prieur de Vabres en Gévaudan. En 1439, en testant, le chanoine Bernard Alamand le désigne comme son "cher et fidèle serviteur" et nous informe qu'Etienne détient le prieuré de Montferrier, près de Montpellier, à la tête duquel il a succédé à Bernard. Etienne se lance alors dans une activité débordante : procureur et économe de l'hôpital en 1441-1443, prieur de la Sainte-Trinité de Mende en 1441-1464, vicaire de la chapelle de Salvanhac en 1448-1456, curé de Saint-Etienne-du-Valdonnez en 1449-1463, chapelain du Collège de Bonconseil en 1452-1464, prieur d'Inos en 1452, de la chapelle de Boyssona en 1455, de celle de Verdeilhan en 1456 et de celle fondée par Guillaume Basset, à Aliène, en 1460. Incapable de vaquer à toutes ses responsabilités, il arrente sa cure de Saint-Etienne-du-Valdonnez, en 1449 et en 1455. En 1459, il requiert les chanoines de Quézac de l'autoriser à l'échanger en raison de sa vieillesse, mais la démarche ne se concrétise pas et il continue à l'arrenter en 1463 contre trente livres tournois et un quintal de fromage par aa Ses liens avec les Alamand demeurent continus. En 1441, Jehan Alamand l'institue procureur, avec Erailh Pelamorgue, afin de prendre possession de son bénéfice de doyen de Marvejols. Ensuite, il apparaît parmi les vicaires de la chapelle de Condom de 1451 jusqu'à sa mort survenue en 146499.

58En 1461, noble Erailh Pelamorgue, prieur de Prinsuéjols, adresse une procuration à dom Jehan Vielhadent et Pierre Alamand, étudiants d'Avignon originaires de Mende, ainsi qu'à dom Pierre Rossald, hebdomadier de la cathédrale, et à un autre Pierre Rossald, neveu du précédent, afin de résigner une chapelle dans la cathédrale d'Aigues-Mortes. Or, cet Erailh est un familier des Alamand. En 1462, comme procureur du susdit Pierre Alamand il prend possession du prieuré de Vébron. Erailh Pelamorgue descend d'une vieille famille noble originaire de la paroisse de Grèzes, près de Marvejols. Il témoigne au codicille de dom Bernard Alamand en 1440, prend possession du bénéfice de doyen de la collégiale de Marvejols au nom de Jehan Alamand en 1441, et ce chanoine lui renouvelle sa confiance en établissant une seconde procuration en 1442. En 1447, dom Pierre Rossald délivre une quittance en son nom. En 1451, en compagnie de Pierre Baldos, Erailh assiste à un appel formulé par Jehan Alamand, procureur de François Alamand, contre l'archevêque de Bourges. En 1456, lorsqu'il rédige une procuration pour comparaître devant le juge d'appel de Mende, il convoque le notaire dans la maison de Jehan Alamand, puis il étend sa délégation en faveur de ce dernier. En 1461, Jehan Alamand le nomme procureur pour résigner son prieuré de Monteilh devant le cardinal évêque d'Avignon. En 1457, Erailh charge dom Pierre Baldos de percevoir ses revenus ecclésiastiques, puis il confie cette tâche, en 1461, à Pierre et Pierre Rossald, oncle et neveu. Le 20 avril 1461, il témoigne à la procuration délivrée en faveur de son parent, Guinot Pelamorgue, par Pierre Rossald. En 1475, il assiste à des lods accordés par dom François Alamand, bailli du chapitre cathédral100. En fait, Erailh ne profite guère de cette intimité avec les Alamand ; sans doute ce prêtre ne se laisse-t-il pas conduire par l'ambition et se contente-t-il d'un rôle modeste car ses origines auraient pu le porter plus haut. L'intérêt de le citer permet de nous mettre en présence des Baldos et des Rossald, plus ambitieux.

59En 1447, dom Pierre Baldos, natif du diocèse de Rodez, succède dans la chapelle de Condom à dom Etienne Bonhomme qui vient de mourir et que le chanoine Bernard Alamand désignait en 1439 comme "son cher serviteur" en l'instituant exécuteur testamentaire. Dans le testament du vénérable chanoine, Pierre Baldos apparaît comme son "cher et fidèle familier" et "receveur des rentes de sa prévôté". Pierre conserve sa chapellenie jusqu'en 1474. Il est membre du Collège Saint-Grégoire de 1446 à 1455 et renonce à ce bénéfice en 1457, mais nous le retrouvons à cette place en 1473. Il occupe la fonction d'hebdomadier de la cathédrale de 1461 à 1494, et celle de procureur de la fabrique de la nouvelle cathédrale de 1457 à 1460. Bernard Alamand le désigne comme mandataire en 1439, noble Ligier Alamand en 1453, 1467 et 1478, et dom Pierre Rossald en 1461101. Pierre a un frère, Pierre Baldos junior102, nommé en 1457 à l'office de céroféraire de la cathédrale. Junior occupe cette fonction jusqu'en 1467. En 1481, toujours clerc, il se fait arrenter, avec son frère senior, les décimes de Saint-Georges-de-Lévéjac. Deux ans plus tard, il se voit conférer la collation, par son frère et par les autres hebdomadiers, des chapelles fondées par Gérald Fagette et par Agnès, femme de Pierre Sarrasin103. En 1458, Pierre Baldos senior constitue un titre clérical à son neveu, Pierre del Trève. La démarche permet au neveu de devenir curé de Chaudeyrac dès 1480 et hebdomadier de la cathédrale, aux côtés de doms Pierre Rossald et Pierre Baldos en 1483. Il conserve ce dernier bénéfice jusqu'en 1501, date du codicille qu'il ajoute à son testament de 1498. En 1484, la collation de la chapelle fondée par Michel de Bruel lui échoit, et de 1489 à 1501, il est vicaire de la chapelle de Condom, en compagnie de Pierre Rossald104.

60En 1439, Bernard Alamand lègue huit livres à son familier, Pierre Rossald, clerc originaire de Saint-Pierre-des-Tripiers. En 1441, Pierre reçoit l'investiture de deux chapelles, dont la chapelle Saint-Jacques de Mende qu'il a échangée avec François Alamand, contre sa chapelle de Saint-Sauveur de Mayrières (Collet-de-Dèze) et demeure à la tête de ce bénéfice jusqu'en décembre 1457. Il accède à la prêtrise vers 1443, occupe l'un des offices d'hebdomadier, dès 1460, et s'y maintient jusqu'en 1483. En 1464, représentant Jehan Alamand, il résigne le prieuré de Monteilh entre les mains de l'évêque de Maguelone ; il est exécuteur testamentaire de Jehan en 1484 et assiste, en 1501, à la fondation de la chapelle instituée par ce dernier. Dès 1451, survient à Mende Pierre Rossald junior, fils d'un autre Pierre, et neveu du susdit Pierre senior. En 1460 les hebdomadiers, parmi lesquels figure Pierre Rossald senior, investissent junior de la chapelle fondée par Privat Vedel. Cela lui permet d'étudier et de réussir au baccalauréat en droit canonique avant 1467. De 1472 à 1497, junior est curé de la Malène et fait office de bailli du clergé cathédral, en 1476,1477 et 1480, comme son oncle l'avait été en 1448, 1452 et 1453. En 1476, aux côtés de noble Jacques Claret, il assiste à une quittance donnée par noble Jehan Castellani à son oncle dom François Alamand, confirmant ainsi la proximité entretenue entre les Rossald et les Alamand. En 1473, dom Jehan Rossald délivre un mandat à ses oncle et frère, Pierre Rossald senior et junior, hebdomadier et curé de la Malène. Jehan vit déjà à Mende en 1462, année où il est mentionné avec Pierre Boysset, notaire de Lieucoux en Rouergue. C'est très certainement ce Jehan, ou l'un de ses parents, qui demande à Bertrand Boysset, notaire public apostolique et impérial de Rodez, de rédiger une procuration, en 1474, en faveur des deux Pierre Rossald, en se déclarant chanoine de Morde et commensal du préfet du pape Sixte IV. Enfin, un autre Rossald, le clerc Jehan, fils d'Etienne, est représenté par Pierre Rossald senior qui prend possession, en son nom, de la chapelle fondée par Pierre Rigald105.

61Ainsi l'ascension de Bernard Alamand I^er jusqu'à un siège épiscopal, à la fin du XIVe siècle, contribue-t-elle à développer tout un réseau de clients autour de sa famille, et cela jusqu'à la fin du XVe siècle, conduisant même certains, comme Jehan Rossald, jusqu'à Rome. Le système fonctionne simplement. Chaque génération de la maison des Alamand produit des ecclésiastiques et facilite l'implantation, tant des agnats que des cognats. Puis, profitant des bénéfices à leur disposition, en vertu du patronage familial ou du droit d'investiture découlant de leur fonction, usant aussi de leur influence dans le chapitre, les Alamand octroient les chapellenies, les cures ou les prieurés à leurs fidèles. Tout cet ensemble de personnages se rend mutuellement service, agissant comme mandataires des uns et des autres.

62Un autre exemple, assez remarquable, de constitution de clientèle, se manifeste avec la famille La Panouze, originaire du Rouergue, dont nous rappelons qu'elle fournit deux évêques au diocèse106. Le premier, Gui de La Panouze, archidiacre de Conques, fils de Jehan de La Panouze I^er, seigneur de Loupiac et sénéchal de Carcassonne, est élu le 25 août 1443 par dix des chanoines de Mende, les autres étant absents, et s'installe sur son siège épiscopal le 8 septembre. Le second, son neveu, Anthoine de La Panouze, dit de Loupiac, fils de Jehan II, seigneur de Loupiac et sénéchal de Rouergue, dépêche ses procureurs pour prendre possession de l'évêché le 11 février 1468 et procède à son entrée solennelle le 21 dudit mois107. Ces grands seigneurs surviennent à Mende dans un apparat sans doute surprenant pour les Gabalitains et Jean-Louis Gazzaniga rapporte "l'entrée spectaculaire de Guy de la Panouze, à la tête de mille chevaliers qui avaient envahi la ville". Il cite ensuite un acte du 16 juin 1449, conservé dans les registres du Parlement de Toulouse, selon lequel "on scet bien comment l'evesque fut receu car à sa reception il y avoit bien mile chevaulx en la ville de Mende entre lesquelx estoient le viscomte de Lomagne, le bastard d'Armagnac, Salezart, et Lopiac"108. Et nous verrons plus loin que l'arrivée d'Anthoine ne fut guère plus discrète.

63Jean-Louis Gazzaniga a déjà attiré l'attention sur la politique des La Panouze qui favorisèrent largement les carrières religieuses de leurs frères et a découvert la trace d'un conflit surgi à ce sujet entre le chapitre et Gui de La Panouze109. Mais cet auteur ne disposait pas d'une documentation suffisante, et ne s'était pas non plus fixé le même but que nous, pour dénoncer l'ampleur du phénomène. En fait, pendant trente ans, les La Panouze gérèrent le diocèse comme leur propre bien et distribuèrent les bénéfices selon leurs intérêts familiaux Une telle pratique entraîna de fréquentes contestations élevées par d'autres ecclésiastiques. Jehan-Louis Gazzaniga mentionne qu'Anthoine de La Panouze reçut collation d'un canonicat en la cathédrale de Mende le 28 octobre 1448, mais que le prévôt et quelques membres du chapitre acceptèrent un autre postulant, Jehan Barton110. Le conflit perdura, chaque partie demeurant sur ses positions. Il est vrai que le prévôt Guilhabert de Cénaret représentait une tendance opposée à celle des Rouergats. Il était en effet issu d'une famille de barons qui n'avait encore jamais réussi à produire un évêque, contrairement aux seigneurs de Peyre, de Canilhac, de Tournel et de Sévérac. En outre, Guilhabert occupait une stalle du chapitre depuis une vingtaine d'années quand Gui fut élu à l'évêché, il avait même été vicaire général pendant la vacance de 1443 avant d'être écarté par le nouveau maître du diocèse. L'opposition de Guilhabert et des siens à l'ascension d'Anthoine se paya une quinzaine d'années plus tard. En effet, en 1457, après la mort du chanoine Jehan Denise, Guilhabert proposa son neveu, Astorg de Cénaret, pour succéder, mais la majorité des membres du chapitre, au sein de laquelle se trouvait Anthoine de La Panouze, lui préféra un fils d'aubergiste, Etienne Boyer. Un second conflit surgit en 1465 entre Pierre de La Panouze I^er et Charles Roger de Beaufort, protonotaire apostolique et petit-neveu du défunt Grégoire XI. Le 29 décembre, Pierre, alors sous-diacre, maître ès arts et prieur de Gabriac, adressa une procuration à son frère, Anthoine chanoine de Mende et de Rodez, et à plusieurs juristes afin d'agir dans la controverse, soulevée entre lui et Charles de Beaufort, à propos du prieuré de Gabriac. Nous ignorons comment l'affaire se termina puisqu'aucun des deux hommes n'est plus cité à la tête de ce bénéfice. Le dernier cas est mentionné le 7 juillet 1484. Ce jour là, Jehan Sorrelh, du parlement de Toulouse, arrenta le prieuré de Lanuéjols pour un an, en conséquence d'un arrêt de cette Cour devant laquelle pendait une affaire indécise entre Jehan de La Panouze III et François de Montesquieu qui se contestaient mutuellement la possession de ce bénéfice. De même, en 1479-1480, dom Jehan de La Panouze ΙII et son neveu Guidon voyaient la plupart de leurs prieurés placés sous séquestre par maître Jehan Dolcet, représentant du roi, mais nous ignorons tout des motifs de cette situation111.

64En fait, dix fils de cette maison obtiennent des bénéfices dans le diocèse de Mende, en comptant les deux évêques ; à savoir, deux frères de Gui, deux d'Anthoine, trois neveux d'Anthoine, et un de ses cousins issu de la branche des seigneurs du Colombier. Leurs capacités ne sont pas contestables, puisque huit d'entre eux, au moins, portent un titre universitaire. Georges et Anthoine sont licenciés dans les deux droits, Gui I^er et Guidon II sont licenciés en l'un et bachelier en l'autre, Jehan V et Raymond ont un baccalauréat, Pierre I^er et Jehan ΙII se qualifient de maîtres ès arts. Il convient de noter que trois d'entre eux sont élevés à la dignité de protonotaire apostolique, ce qui dénote tout de même une certaine notoriété ; Jehan III l'est en 1469, Guidon II en 1482, et Jehan V en 1505. En outre, les La Panouze réservent des places à leurs parents Morlhon et Montpeyroux. Le chapitre de Mende est totalement infiltré par cette famille Sous l'épiscopat de Gui, Georges détient un canonicat de 1447 à 1448, Anthoine de 1452 à 1468, Jehan III de 1464 à 1484, ce qui porte la présence des membres de cette maison à trois entre 1464 et 1468. Quand Anthoine monte sur le siège épiscopal, Guidon II "hérite" de sa stalle et la conserve de 1468 à 1504, avant d'être rejoint dès 1502 par son frère, Jehan V. Gui de La Panouze nomme ses parents comme vicaires : ses frères, Georges au début de l'année 1448 et certainement auparavant, Raymond du 4 mars 1448 jusqu'en 1465, son neveu Anthoine dès le 10 février 1467112^. Ce dernier, devenu évêque, désigne son parent, Guyot de Montpeyroux, alias Merle, avant le 12 décembre 1472113^. Par la suite, Guidon II administre le diocèse pendant la vacance de 1478 et sous l'épiscopat de Clément de La Rovère, en 1486-1487. Gui charge son frère, Amalric de La Panouze, dit Loupiac, écuyer et seigneur du Colombier, d'assurer l'office de bailli épiscopal de Mende dès 1466114.

65Les La Panouze, grands seigneurs aux besoins proportionnels à leur noblesse, accumulent les bénéfices ecclésiastiques. Georges de La Panouze est, dans le même temps, chanoine de Mende, de Rodez, prieur de Montauban et de Servières. Anthoine de La Panouze, avant de devenir évêque, est chanoine de Mende de 1452 à 1458, prieur de Sainte-Colombe-de-Peyre en 1454, chanoine et chantre de Rodez en 1457-1467. Les mieux dotés sont Jehan ΙII et Guidon II, chanoines de Mende, le premier de 1464 à 1484, le second de 1468 à 1504. Les actes mentionnent Jehan ΙII comme prieur de Molezon de 1457 à 1480, de Fontans en 1466-1476, de La Parade en 1472-1479 et de Mondalazac en Rouergue de 1473 à 1479, alors que Guidon II est prieur de Rimeize de 1467 à 1469, après quoi il accumule, en Gévaudan, les prieurés du Fau de 1470 à 1476, de Saint-Chély-d'Apcher de 1472 à 1479, d'Aumont, de 1473 à 1482, et en Rouergue, celui de Saint-Ylaire en 1473-1480, avant de devenir préchantre de Mende en 1489. Cela signifie que Jehan et Guidon cumulent chacun au moins cinq bénéfices, dont quatre en Gévaudan, de 1473 à 1476. Vers la même époque, Pierre I^er, frère de Jehan, dirige le prieuré de Pruines en 1472, Pierre II, frère de Guidon115, celui d'Inos en Gévaudan de 1473 à 1494 et Guidon III, cousin des précédents, celui d'Albaret-le-Comtal en 1472.

66Jérémie de La Panouze, soeur d'Anthoine, avait épousé Jehan de Morlhon, seigneur de Savensa, ouvrant ainsi une parenté avec cette maison des Morlhon-Savensa. En 1457, Jehan de La Panouze adresse une procuration à plusieurs hommes, dont Anthoine de Morlhon, prieur de Serverette. En mars 1463, Biaise de Morlhon, clerc solut étudiant à Toulouse, se fait représenter par Guillaume Malros, official de Guy de La Panouze. Trois ans plus tard, Biaise détient le prieuré de Serverette qu'il arrente pour cinq ans à raison de quarante écus par an116.

67Tous les La Panouze demeurent en contact permanent, s'instituant mutuellement procureurs dans les diverses et nombreuses affaires qui les opposent à des tiers, assistant aux actes les plus variés, comme l'élection du chanoine Etienne Boyer, ou l'autorisation octroyée de reconstruire l'oratoire de Saint-Férréol. Donner les références et la liste de ces témoignages de leur omniprésence n'apporterait rien de plus, mais c'est un fait que les registres des notaires ne laissent jamais transparaître à propos des autres évêques de Mende, pas même quand ces derniers sont originaires du diocèse, comme Aldebert de Peyre. Au Moyen Age, c'est un comportement unique dans les annales du pays, sans doute attribuable aux trente ans d'épiscopat des La Panouze, ou au frit que certains évêques ne firent que passer prendre possession de leur siège avant de repartir, mais nous estimons qu'il s'agit plutôt du fruit de la politique de cette famille. Ces Rouergats s'installent à Mende, y amènent leurs serviteurs, excluent une partie des notables locaux, en conservent quelques-uns dont la fidélité s'affermit au fil du temps, et ils règnent souverainement sur le pays, jusqu'en 1468-1469, moment où une partie des mendois se soulève.

68Le clientélisme des La Panouze s'enracine dans le Rouergue avec : Jehan Constans, natif de La Panouze en Rouergue, familier de l'évêque dès 1463, recteur de Balsièges en 1472-1477 ; Guillaume Cortes, notaire de Mende en 1466, curé de Badaroux en 1467-1476 ; André Fajola, de Saint-Geniez-d'Olt, curé de Barjac par échange d'une chapellenie de l'église d'Estables (diocèse de Rodez) en 1445 ; Vésian de Monteilh, vicaire de la chapelle Saint-Jacques et Saint-Michel de Chanac en 1469 ; Bernard Solier, clerc prieur de Bessons en 1445, prêtre en 1458, prieur de Saint-Frézal-d'Albuges en 1458-1476, du Collège Saint-Lazare en 1467-1479 ; Jehan Trémol, prêtre de Lieucous, vicaire de la chapelle Sancti-Restituti dans le cimetière de Mende en 1471. Jehan Martin, prêtre au service de l'évêque dès 1449, devient son échanson en 1451, son cellérier de Grandrieu en 1462, et participe à de nombreuses actions pour les La Panouze jusqu'en 1466. Bertrand Trenc, natif de Laguiole, est prêtre bénéficier de Mende et procureur de Pierre de La Panouze en 1467, vicaire du Collège de Tous les Saints de Mende et chapelain en Rouergue en 1472 ; il devient par la suite curé de La Parade. Son parent, Pierre Trenc, sert l'évêque comme échanson en 1449 et demeure auprès du lui jusqu'en 1463, après quoi il obtient la cure de Chaudeyrac, dès 1472. Toutefois, quelques familiers des La Panouze naquirent en Gévaudan, comme Etienne Brunei, clerc de Rieutort-de-Randon, en 1464 ; Anthoine Valmela, alias Bostes, natif de Chanac, prêtre en 1468, secrétaire d'Anthoine de La Panouze en 1472-1473, chanoine de Quézac en 1476-1493117.

69La plupart de ces fidèles jouissent de bénéfices qui leur assurent des rentes, mais qu'ils sont bien évidemment dans l'impossibilité de desservir puisqu'ils n'y résident pas. Ainsi Bartholomé Barnier, prieur de Bagnols de 1449 à 1468 et de Bosquet en 1466, ne peut-il veiller sur les deux paroisses. D'ailleurs, en 1464, dom Nicolas Théodoric produit des lettres apostoliques l'autorisant à ne pas résider en sa cure de Saint-Bauzile tant qu'il se tiendra au service de l'évêque de Mende. Ce Nicolas, précédemment mentionné, natif de Saint-Bauzile, devient prêtre, notaire et greffier de la Cour spirituelle dès le 28 mai 1463, curé de Saint-Bauzile en 1463-1483, bachelier en décret et prieur de Sainte-Trinité de 1464 à 1483. Mathieu Boschet, prêtre, chancelier et trésorier de Guidon de La Panouze de 1444 à 1462, bénéficie du prieuré de Sainte-Croix-Vallée-Française, de 1452 à 1462. Raymond Bonvilar intervient comme clerc et serviteur de Guidon de La Panouze en 1449 et comme secrétaire de 1451 à 1466. Il détient le prieuré de Saint-Vénérand de 1451 à 1479 et celui de Saint-Christophe-d'Allier en 1451. En 1465, il reçoit collation du prieuré de Laval-Atger. Lui aussi renonce à administrer directement ses bénéfices et il en arrente les revenus pendant une dizaine d'années, à raison d'environ trente-neuf écus par an118.

70Les carrières des fidèles des La Panouze se consolident dans leur ombre et se poursuivent après, le cas échéant. Benoît Rotger est cellérier de l'évêque et prieur de Salces de 1463 à 1473, familier et trésorier le 3 novembre 1463, chancelier et trésorier en 1464-1472. II quitte ses fonctions avant le 8 novembre 1473. Selon un contrat d'arrentement, son prieuré de Salces lui rapporte cent quatre-vingt-douze écus par an en 1472, mais il jouit également d'une chapelle Sainte-Marie à Saint-Grégoire (diocèse de Rodez) en 1465. En outre, il prend possession de la chapelle de l'Annonciation en 1467 et la conserve jusqu'en 1481. Il se qualifie de prieur des Hermaux en Gévaudan en 1469, et de Vésolhac en Rouergue de 1476 à 1483119.

71La famille Malros, de Villefranche-de-Rouergue, attache plusieurs de ses fils à la destinée des La Panouze : Guillaume et ses deux neveux, Jacques et Guillaume "junior". Guillaume Malros senior se manifeste pour la première fois en 1452, comme licencié ès lois et curé de Saint-Bauzile. Sans doute travaille-t-il déjà pour Gui de La Panouze, mais une telle mention n'apparaît qu’en 1454. En 1461, devenu bachelier en droit canonique, prieur de Bessons, chanoine de Marvejols, il est institué official de Mende. Il conserve son prieuré de Bessons jusqu'au 8 janvier 1473 et son poste d'official jusqu'au 23 mars, obéissant ainsi successivement aux évêques Gui et Anthoine. D s'intitule prieur de Salces en Gévaudan en 1472 et de Saint-Laurent d'Albagnac dans le diocèse de Rodez en 1464-1465. Le 17 juillet 1473, il vit retiré au Val-Bénédiction, près de Villeneuve-lès-Avignon, couvent de l'ordre des Chartreux120, après avoir renoncé à l'officialité de Mende. Le neveu, Jacques Malros, apparaît comme diacre de la cathédrale et bachelier en décret le 16 septembre 1463. Ordonné prêtre avant le 28 février 1464, il désigne des procureurs pour prendre possession de son prieuré de Sainte-Colombe-de-Montauroux, et appartient au Collège de Tous les Saints le 17 avril. Ces deux bénéfices, auxquels il ajoute la chapellenie des Taurand en 1467, demeurent entre ses mains jusqu'en 1482121. Guillaume Malros junior s'installe près de son oncle, à Mende, en 1465 et l’assiste lors de nombreux contrats. Il est clerc le 30 décembre 1472, acolyte le 8 janvier 1473, prêtre le 17 juillet 1473. Le 30 décembre 1472, il succède à son oncle comme chanoine de Marvejols, puis au prieuré de Bessons dès le 17 juillet 1473 et il continue à vivre de ses bénéfices de chanoine jusqu'en 1474 et de prieur jusqu'en 1482. Il demeure lié à Nicolas Théodoric qu’il nomme procureur en 1474 et qui l'élit exécuteur testamentaire avec Jacques Malros le 15 août 1482122.

72La solidarité familiale et le développement des clientèles autour des évêques, des chanoines et parfois des simples prêtres ou officiers assurent donc le fonctionnement de la communauté ecclésiastique. Chacun se place dans le sillage d'un individu plus puissant et gravit derrière lui les degrés qui le positionneront toujours plus haut. Tout le système repose sur la confiance réciproque, l'intérêt partagé et l'accaparement des bénéfices.

C - L'appropriation des bénéfices

73L'obtention et l'appropriation des bénéfices ecclésiastiques reposent sur les règles du système dont nous rappellerons quelques principes généraux, analysés par Jean-Louis Gazzaniga, en nous appuyant sur la seule expérience gabalitaine telle qu'elle s'épanouit dans le minutier local. Le postulant à un bénéfice y est présenté par le patron, religieux ou laïc, à l'autorité qui accorde la collation. La prise de possession se réalise en produisant les lettres de collation. Ainsi Jehan Merchat survient-il à Hures, en 1454, muni des lettres patentes de l'évêque qu'il présente à Guillaume Dolcet, co-recteur d'Hures. Un acte symbolique concrétise souvent la démarche. En 1447, Bernard Robin junior, mandaté par le chapitre auquel revient l'institution réelle de la chapelle Saint-Michel et Sainte-Marie, met en possession Pierre Baldos par la tradition de main à main des clés de la porte principale et en sonnant la cloche123. Une partie des cures, prieurés et canonicats est concédée en vertu de grâces expectatives octroyées par le pape. C'est au titre de telles lettres apostoliques que Jehan Husson revendique un bénéfice contre Pierre Dalmas, curé de Sainte-Hélène et bénéficier de la cathédrale de Mende, en 1468. Mais la Pragmatique Sanction l'emporte parfois et Jehan Matusson, chanoine et représentant du chapitre de Mende, refuse d'afficher, en 1464, la notification que lui fait Robert de Pompinhac qui exhibe des lettres apostoliques et déclare que la prébende vacante par la mort de Pierre Atger relève de Rome, ce que conteste le chapitre. En 1463, Astorg Bauzile, clerc chorier de Mende, est investi de la cure de Saint-Etienne-du-Valdonnez en présentant un bulle du pape de mai 1462 qui lui accorde l'expectative d'un bénéfice dans le diocèse124.

74En fait, l'un des moyens pour détourner les rigueurs de la Pragmatique Sanction consiste à faire appel à la resignatio in curia que certains considèrent comme faisant partie des réserves contenues in corpore juris qui ressortissent encore à l'autorité du pape125. La résignation du bénéfice en la Cour pontificale remet donc le droit d'investiture entre les mains du pape, contre le collateur naturel, et plusieurs prêtres gabalitains s'adonnent à cette pratique. En 1441, Vital Malevieille, prêtre de la chapelle fondée à Mende par les Orlhac, délivre mandat à Pierre de Naves, chanoine d'Uzès, afin de résigner ladite chapelle entre les mains du pape Eugène pour l'échanger avec noble Louis de Naves, contre la cure de Saint-Etienne de Garrigues, dans le diocèse d'Uzès. Dix ans plus tard, Vital rédige une nouvelle procuration en faveur de cinq avocats et procureurs de la Curie Romaine afin de résigner la susdite cure en faveur du même Louis de Naves. Cette cession de cure suivie d'une restitution surprend mais elle répond à une tactique, mal définie mais évidente, de la famille de Naves dont Vital, né à Mirandol, fief des Naves, était un serviteur. Tout d'abord, Vital donne la cure à gérer aux Naves en 1443, ce qui conforte l’impression que les Naves demeurent les véritables détenteurs des revenus. Pendant ce temps, Louis de Naves administre le prieuré de Chambon à la tête duquel il est mentionné de 1442 à 1447126, ce qui n'exclut pas qu'il en soit encore le titulaire par la suite. Soit Louis ne peut occuper deux bénéfices à la fois, soit son statut de simple clerc non ordonné pose-t-il problème, ce qui semble moins probable dans la mesure où il n'est toujours pas prêtre en 1451.

75En 1452, Pierre Fabri, alias Fournel, bénéficier de la cathédrale, prieur de Rodes, infirme âgé de plus de soixante-dix ans, dépêche une délégation pour résigner son bénéfice à Rome en faveur de Pierre Alcays, clerc, fils de Guillaume, d'Ispagnac, moyennant une pension annuelle. En l'occurrence, les intéressés estiment qu'il sera plus facile d'obtenir l'autorisation d'échanger le bénéfice et de fixer une pension en s'en remettant à la Cour pontificale qui peut ainsi asseoir son pouvoir en rognant les contours mal définis de la Pragmatique à ce sujet. Après cette date, Pierre Fabri disparaît des sources, mais Pierre Alcays jouit bien du prieuré de Rodes de 1461 à 1476, et sans doute avant et après ces dates127.

76Le roi distribue aussi des grâces expectatives et c'est à ce titre qu'en 1440 Anthoine de Salvinhac postule à la dignité de préchantre de la cathédrale de Mende128. Mais le flot le plus important de revendications provient des gradués d'universités auxquels la Pragmatique avait consenti une place à part. La raison de ce favoritisme reposait sur une logique que Jean-Louis Gazzaniga met bien à jour en citant Piales129. Il convenait d'éviter l'attribution des bénéfices avec charge d'âmes à des clercs incultes, et l'un des justes procédés consistait à permettre à ceux qui poursuivaient des études universitaires de passer avant les autres. Des dispositions, inutiles à décrire ici, restreignaient quantitativement le nombre de bénéfices ainsi mis à disposition et décrivaient le rang des postulants afin d'éviter un effet inverse par exclusion des prêtres non gradués mais issus du terroir130. C'est pourquoi les universités, en particulier celles de Paris, Orléans, Bourges, Toulouse, Bordeaux, Cahors, Dole, Montpellier et Valence131, délivraient des lettres de nomination demandant à certains chapitres d'accorder une prébende, une cure ou un prieuré à leurs étudiants.

77Déjà, de tels cas ont été évoqués dans cette recherche et nous rien rappellerons, ou citerons que quelques-uns. En 1443, Garin Talhier, précepteur commendataire de Saint-Esprit de Montpellier, fait insinuer des lettres de l'université de Montpellier au profit de Jacques Vivere, bachelier dans les deux droits, "actu legens" en ladite université. En 1444, Pierre Audibert, bachelier en décret natif du diocèse, demande à ses procureurs de supplier l'évêque et le chapitre de le pourvoir du premier bénéfice vacant comme le commandent ses lettres de l'université de Montpellier. Peu après, sans doute bien renseigné par ses représentants, il se présente devant le vicaire de Guidon de La Panouze et revendique la prébende libérée en la collégiale Sainte-Marie de Marvejols. En 1455, le prévôt Guilhabert de Cénaret, commis par son neveu, Astorg de Cénaret, licencié en décret et bachelier ès lois, fait enregistrer les lettres octroyées par les universités de Montpellier et d'Orléans132.

78Le résultat se fait parfois attendre longtemps. En 1450, le procureur de Jehan Jurquet, bachelier en décret de Toulouse, présente au chapitre les lettres de nomination dont Jurquet a bénéficié. Mais il n'obtient sans doute pas satisfaction, car en 1459, alors qu'il est déjà recteur de Sainte-Eulalie dans le diocèse de Rodez et chanoine de Marvejols, il fait à nouveau insinuer ses lettres de 1450 en demandant à être pourvu du premier bénéfice libre dans le diocèse. A moins qu'il n'ait tardé à agir une première fois, il est probable que Guillaume Monbel dut renouveler sa propre demande. En effet, en 1448, le mandataire de Guillaume Monbel, licencié ès lois et chanoine de Mende, présente au chapitre des lettres de nomination données en 1446, à Toulouse, et lui accordant la perspective d'un bénéfice. De son côté, Bartholomé Vedel patiente un an et demi puisqu'il présente ses lettres le 16 août 1435 pour être accepté à la prébende de chanoine de la collégiale de Quézac le 23 février 1437133.

79Par contre, certains doutent de la validité d'une telle pratique. En 1487, noble Aymeric de Chapelu, commensal de noble Gilbert de Chapelu, bachelier dans les deux droits, tous les deux frères du seigneur de La Vigne, exhibe au chapitre de Mende des lettres délivrées par le recteur de l'université de Toulouse qui garantissent que Gilbert étudie à Toulouse et demandent qu'on le pourvoie d'un bénéfice en l'église de Mende. Le prévôt Astorg de Cénaret réplique qu'il ignore si de telles lettres sont admises par le roi et par la Cour du parlement mais qu'au cas où elles le seraient, il veillerait à les exécuter134. La réponse d'Astorg surprend dans la mesure où il s'agit du neveu de Guilhabert qui usa de cette méthode en 1455.

80L'un des autres moyens de conquérir un bénéfice ecclésiastique consiste à profiter d'une résignation, comme 2,90 % des prêtres mis en fiches. Mais les résignations ne servent pas spécialement à favoriser un tiers. Certaines, un minimum, résultent de l'incapacité du desservant, soit parce qu'il n'a pas accédé à la prêtrise dans l'année suivant son investiture, comme il y était tenu, soit qu'il veuille se marier. Nous avons déjà cité Jehan de Folhaquier, clerc qui renonce à la chapelle Sainte-Anne en 1448, et Jehan Laurent qui envisage de se marier en 1435. Toutefois, cette pratique avantage généralement un autre prêtre. En 1458, Jehan Arnald, bachelier en décret et chanoine de Bédouès, résigne, au nom de Pierre Molin, la cure de Saint-Julien-d'Arpaon, en faveur de Jehan Brunei. Plusieurs procèdent carrément à des échanges de bénéfices. En 1455, collation est donnée, par le prieur d'Estables, à Guillaume Jaffuer, de la chapelle Saint-Biaise, résignée par dom Jehan Masel qui a acquis en échange la chapelle Saint-Jacques-Apôtre. En 1445, Jehan Michel, bénéficier de Mende, charge Jehan Tinherie de résigner sa cure de Barjac entre les mains de l'évêque afin de la troquer contre la chapelle Saint-Jehan-Evangéliste, sise en l'église d'Estables (diocèse de Mende), que détient André Fajola. Par contre, en 1396, devant le vicaire général du diocèse, Privat Sabbatier renonce, au nom de Vital Gatbert, à la cure de Prévenchères, sans instituer de bénéficiaire135. Mais nous verrons que beaucoup de ces démarches consistent en une quasi-appropriation des bénéfices que les titulaires entendent ainsi transmettre à un proche ou dont ils souhaitent tirer un revenu, comme Pierre Fabri, cité plus haut Ces tractations ne facilitent pas toujours les relations entre prêtres, patrons et collateurs en titre, et 1,50 % des ecclésiastiques fichés ont contesté ou se sont vu contester la possession d'un bénéfice. Pour mention, nous rappellerons les conflits des La Panouze avec Montesquieu, Beaufort et Barton, ceux des postulants à la prébende de chanoine de Mende, Pompinhaco, Ressac, Ursi, enfin ceux de Pierre Gondi-Salvi, André de Montpeyroux, Jehan de Clermont et Jehan Husson. En 1483, Bertrand Grecenier, prêtre du diocèse de Clermont, et Pierre Pelet, prêtre de Saint-Martin-de-Boubaux, transigent à la suite de la polémique survenue entre eux à propos d'un canonicat en la collégiale de Bédouès. Le premier affirme avoir procédé à un échange de bénéfices avec Guillaume d'Espinasson, alors que le second déclare profiter de la résignation faite par Jehan Rovière entre les mains du pape. En 1445, un autre accord est enregistré entre Jehan de Jagonzac, chanoine de Quézac, et Etienne Scalier, chanoine de Bédouès, en procès devant la Cour spirituelle de Mende à propos de la possession du prieuré de "la Sainte Trinité de la Fage Obscure, ou de l'Hospitalet" en la paroisse de Saint-Flour du Pompidou. Jagonzac avait été présenté au prieuré après la mort de Bernard Bragose, par les chanoines de Quézac, patrons dudit bénéfice, et en avait reçu l'investiture de l'évêque Aldebert de Peyre par des lettres délivrées le 28 novembre 1442. Il en prit possession le 30 novembre devant le curé du Pompidou. Pour sa part, Etienne Scalier s'était opposé à Bernard Bragose après avoir été institué à ce prieuré par Jacques Mussot, vicaire général de l'évêque, après la mort d'Etienne André, défunt curé de Molezon Le cas de Jehan Coston, procureur au parlement de Toulouse, manifeste une certaine originalité. Le 22 avril 1472, Louis d'Arpaon, prieur de La Canourgue, le présente régulièrement au prieuré de Saint-Préjet-du-Tarn, mais Jehan ne demande pas immédiatement la collation, l'évêque de Mende étant absent du diocèse. Enfin, le 18 juin, lorsque Jehan se décide à solliciter l'investiture, l'official a pris sur lui d'accorder la collation à noble Guillaume Albert, interrompant ainsi la vacance du bénéfice, ce que Jehan refuse d'admettre en avertissant qu'il protestera auprès de l'autorité supérieure136. L'official joue sur le fait que le délai pendant lequel le bénéfice reste à pourvoir doit être réduit au minimum. Toutefois, l'espace admis étant de six mois, il est probable que le droit de Jehan Coston se trouve fondé.

81Derrière les échanges et les cessions de bénéfices, ne risquons-nous pas de déceler les prémices de la simonie ? La question inquiète les contemporains, comme le démontre la procuration faite par noble Erailh Pelamorgue, alias Palhayretz, prieur de Prinsuéjols et bénéficier de Mende, lorsque celui-ci désire résigner, ou échanger, la chapelle dont il jouit dans la cathédrale d'Aigues-Mortes. Erailh précise bien que, par cette résignation simple ou à cause d'échange, ne devait survenir aucun "dol, simonie, souillure ou autre pacte illicite"137. L'interrogation se manifeste encore plus lorsque les titulaires renoncent à leur église contre le paiement d'une pension138, mais la pratique reste admise dans la mesure où le cédant procède en raison de son âge, de son état physique ou d'incapacités l'empêchant de vaquer à ses obligations139. Encore convient-il de différencier l'arrentement accompagné de l'institution d'un vicaire chargé d'accomplir les devoirs pastoraux et ce type de cession. Dans le premier cas, le prieur, ou curé, demeure le seul titulaire, dans le second il devient "prieur pensionnaire" alors que son cessionnaire est admis à la collation comme prieur. L'évolution des titres est claire avec Arnald Runel, originaire de la Rossuègne (Brenoux), curé de Lanuéjols en 1450, puis de Brenoux en 1455-1469, avant de devenir pensionnaire de la cure de Brenoux de 1472 à 1478140. La première opération résulte du fait que l'arrentement simple ne porte que sur les revenus, non sur la "charge d'âmes", pendant que l'institution d'un vicaire s'accomplit sous la forme d'une rémunération payée au desservant en second par le détenteur du bénéfice qui continue à percevoir ses revenus. Encore la nuance s'amenuise-t-elle lorsqu'un prieuré paroissial fait l'objet d'un arrentement, comme dans la majorité des cas rencontrés. Nous l'observons parfaitement à propos du prieuré de Chaudeyrac. En 1444, le clerc Olivon Michel entre en possession de celui-ci, en présence d'André Genestorie, curé du lieu. Jusqu'en 1467, il conserve pleinement son titre, pour figurer, à partir de 1471, en tant que pensionnaire141. La situation est-elle vraiment modifiée ? Les sacrements et autres devoirs inhérents au sacerdoce sont assurés par le curé et nous savons qu'Olivon Michel réside à Mende où il dispose d’un surplis dans la cathédrale. Peut-être visite-t-il son prieuré distant d'une quarantaine de kilomètres de la cité épiscopale, mais ce sont surtout ses revenus qui l'intéressent. Le 4 juin 1444, il les afferme pour trois ans à André Genestorie et à un autre prêtre de Chaudeyrac, contre une somme de deux cent soixante-dix moutons or. Le curé et un confrère veilleront donc à tout et lui remettront sa rente annuelle. En 1449, il renouvelle l'opération, en s'adressant à un laïc, Jacques Fabri, habitant de Châteauneuf-de-Randon. Toutefois, Olivon passe un nouveau contrat en 1450, en faveur d'André Genestorie et le pacte conclut qu'André servira l'église, soldera les pensions dues annuellement au cellérier du chapitre et au vicaire de la chapelle Saint-Nicolas. Sans doute André Genestorie considéra-t-il que son titre de curé faisait de lui le fermier naturel des rentes, au point d'exercer un chantage sur le prieur qui dut modifier ses dispositions, prises en faveur de Fabri, tout en rappelant une banalité : André devait pratiquer le culte dans la paroisse. Enfin, en 1461, Olivon délivre quittance à dom Pierre Genestorie, neveu et héritier d'André Genestorie, de tout ce qu'il devait pour l'arrentement trisannuel142. L'aspect financier de la question préoccupe autant les intéressés que celui de l'observance des pratiques religieuses. Les rapports d'argent s'expriment ostensiblement dans les actes et la cession contre pension complique la situation, puisque les prieurs, les pensionnaires et, le cas échéant, les fermiers se partagent les rentes. Mais il ressort clairement que les bénéficiers monnaient leur titre et agissent comme s'il leur appartenait en propre.

82Par le biais de la resignatio in favorem s'opère la transmission familiale des bénéfices, comme la pratique le permet pour les offices judiciaires et administratifs. La cession au profit d'un parent respecte généralement le lien avunculaire. Michel André, natif du Mazel (SaintJulien-du-Tournel), occupe le prieuré du Bleymard en 1442 et y demeure jusqu'à ce qu'il l'abandonne, en 1469, à son neveu, Anthoine André, contre une somme annuelle de trente écus, comme l'y autorisent des lettres apostoliques. De même, en 1463, Vital Berlier, laboureur del Cham (Saint-Léger-du-Malzieu), constitue-t-il une rente à son oncle, Benoît Brun, sous condition que ce dernier résigne sa cure de Sainte-Eulalie, comme il en a exprimé la volonté, au profit de Biaise Berlier, frère de Vital. Biaise, prêtre et notaire public, succédera bien à Benoît et sera encore curé de cette paroisse en 1499. C'est certainement par ce procédé que quatre Montesquieu se relayèrent au prieuré de Colonhet, près de Marvejols. En effet, noble Bertrand de Montesquieu, cité dès 1417, renonce à son bénéfice en faveur de son parent, Astorg de Montesquieu, auquel il délivre quittance de trente-cinq écus or de pension le 12 novembre 1449. Après quoi nous relevons la présence de François, prieur en 1473, puis de Jacques de Montesquieu dont le procureur accorde un lods en 1481143.

83Nous avons vu qu'en général les prêtres tentaient d'éveiller, ou de favoriser, la vocation de proches parents, soit en les instituant héritiers, soit en leur attribuant des legs. En outre, les laïcs qui comptent déjà un ecclésiastique dans leur parentèle adoptent la même attitude. A Chirac, de la fin du XIVe à la fin du XVe siècle, nous avons dénombré dix-sept maisons desquelles sortirent de deux à trois prêtres, encore considérons-nous comme appartenant à ces oustaux les seuls agnats, à l'exclusion des cognats, il s'agit des familles Abelan, Aragon, Barran, Bascle, Bernard, Bot, Bresson, Fabri, Jacques, Merle, Molenchier, Molin, Monastier, Pagès, Peyre, Régis et Robin144. A Mende, le relevé atteindrait un volume excessif aussi nous limiterons-nous à citer quelques maisons dont les tableaux généalogiques figurent en annexe : Alamand, Atger, Dumas, Ferrier, Garsin, Lebraton, Monbel, Pelhicier, Robin, Valdin, Vanel. Bien des cas ont déjà été rencontrés au cours de ces travaux, les Fayssac à Vébron, les Gisquet à Balsièges, les Martin à Lanuéjols, les Genestorie à Chaudeyrac, les Ebrard à Rouvière, les Adatgier au Malzieu, les Rossald et les Baldos. D'autres encore surgissent dans les actes, Etienne et Etienne Bodet, prêtres natifs de Saint-Julien-du-Tournel qui achètent une maison à Mende en 1466. Le testament rédigé en 1454 par Pierre Amargier, curé de Chaulhac, est publié en faveur de Jehan Amargier, curé de Julianges, en 1467. Vital Tuffier senior, curé de Saint-Pierre-le-Vieux, teste le 24 mai 1441 en faveur de son neveu, Vital Tuffier, qui en demande publication, le 15 octobre 1449, alors qu'il dirige ladite cure. Le 24 mai 1475, ce second Vital Tuffier recommande que son neveu, Jacques Tuffier, parvienne à la prêtrise145. Pierre Mathieu senior, prêtre d'Arzenc en 1432-1455, a deux neveux, Pierre Mathieu junior, curé de la paroisse de 1444 à 1474, et Vital, frère de Pierre junior, clerc en 1455-1456, prêtre en 1474 ; et un petit-neveu, Pierre Mathieu, prêtre en 1472146. Des pages entières d'exemples de ce type seraient faciles à remplir, mais l'abondance finirait par nuire à la clarté. Ces ecclésiastiques demeurent souvent dans leurs paroisses d'origine, principalement quand elles abritent une Communauté de prêtres dûment organisée qu'ils monopolisent en grande partie, comme à Chirac ou au Malzieu. Par contre, les localités plus modestes, telles Balsièges ou Lanuéjols, contraignent ces "cadets de Dieu" à chercher ailleurs une cure ou un prieuré, voire une plus modeste chapelle, ou même à se rendre dans une ville, comme le font avec un relatif succès les Gisquet, ou avec une réussite exemplaire les Martin. Si certains, comme les Amargier, emportent des cures différentes, Pierre à Chaulhac, Jehan à Julianges, d'autres se suivent à la tête d'un même bénéfice, tels les Tuffier à Saint-Pierre-le-Vieux, les Alamand à Sainte-Enimie, Vébron et Saint-Chély-du-Tam, et les Morlhon à Serverette. Ces cas ne relèvent pas de l'exception et résultent du principe de la renonciation que nous venons de décrire, même si les actes ne l'explicitent pas toujours.

84Cette politique d'appropriation se satisfait de tous les types de bénéfices : chapellenies, cures, prieurés, canonicats et même épiscopat comme nous l'avons constaté avec les La Panouze. En 1482, dom Guillaume Jaffuer junior, prêtre de Saint-Denis, revendique ainsi la chapelle Saint-Privat du cimetière Saint-Pierre de Mende, auparavant occupée par son oncle, dom Guillaume Jaffuer senior.

85Pierre Chalmond est curé à Saint-Chély-du-Tam en 1450, Jehan Chalmond en 1458, Etienne Constantin à la Malène en 1434-1447, Pierre Constantin en 1468, Jehan Gay, à Antrenas en 1408-1410, et Jacques Gay en 1444. Des duos d'oncles et de neveux accaparent la cure du Born à deux reprises. Jehan Marquez est régent du Born en mai 1407 et curé de 1427 à 1435. Son neveu Jacques le remplace en obtenant l'investiture le 28 septembre 1435 et reste en fonction jusqu'à sa mort en janvier 1468. Sans doute Jacques Marquez est-il alors pensionnaire car il porte toujours son titre de curé déjà relevé par Gonet Sarrasin, bachelier en droit canonique. L'amitié règne entre Jacques Marquez et Gonet puisque le premier adresse des legs, au frère et à la nièce du second. Ce dernier demeure alors en place jusqu'en 1485, au moins, et teste le 14 juin 1491 en se qualifiant d'ancien curé. Son neveu, François Sarrasin prend alors la relève pour diriger la paroisse147.

86Notre documentation met à jour plusieurs exemples de prieurés ainsi transmis de parents à parents. Noble Robert Gitbert, alias de Brosses, est moine et prieur de Prunières de 1449 à 1466. Le 27 avril 1472, noble Jehan Gitbert, alias de Brosses, infirmier de la cathédrale de Saint-Flour, prieur de Prunières, requiert l'autorisation de l'official de Mende pour présenter son frère, noble Louis Gitbert, au rectorat d'Arcomie. L'official Jehan Strade conserve le prieuré de Cubiérettes de 1446 à 1463, après quoi son neveu, Claude Strade, fils de Pierre, le remplace de 1464 à 1483. Le prieuré de Saint-Bonnet-de-Chirac subit une assez rare transmission sur trois générations de prêtres. Privat Robin I^er, chanoine et sacriste de la cathédrale, jouit de ce bénéfice de 1430 à 1436 et sans doute jusqu'à sa mort survenue après 1437. Après lui, nous relevons la présence de son petit-neveu, Pons Jourdan, de 1439 à 1473, puis du cousin de celui-ci, Gérald Traversier, de 1473 à 1503148.

87Les canonicats des collégiales sont successivement conférés à des parents. Jehan Arnald, bachelier en décret, official des Cévennes en 1444, doyen de la collégiale de Bédouès de 1444 à 1458, précède Bertrand Arnald, bachelier en décret, doyen de 1462 à 1484149 ; Jehan Cavalade junior, chanoine de Quézac de 1451 à 1463, rattrape Jehan Cavalade senior, chanoine en 1428-1459 ; alors que Bartholomé et Vital Vital cohabitent dans le chapitre de Moriès de 1472 à 1480150.

88L'exemple des chanoines de Mende démontrent combien le chapitre de la cathédrale se soumettait à cette logique. Nous dénombrons trois Alamand, deux Atger, trois Cénaret, deux Grimoard, deux Marron, deux Martin, quatre Mirmont, cinq La Panouze, deux Peyre, quatre Robin et deux Valdin. Et seules les limites temporelles de notre étude empêchent d'en comptabiliser d'autres. En fait, Bertrand Atger appartient au chapitre de 1418 à 1425, son neveu Pierre Atger de 1433 à 1463. Après quoi une génération n'obtient pas de prébende, le neveu de Pierre, Etienne Atger, n'ayant que le prieuré d'Albaret-Sainte-Marie, de 1457 à 1475. Mais deux neveux d'Etienne, Pons et Pierre Atger, occuperont chacun une stalle de la fin du XVe au milieu du XVIe siècle. D'autres familles fournissent plusieurs chanoines à la fois, comme les La Panouze qui parviennent à être trois, en comptant l'évêque. La situation devient alors abusive et le chapitre adopte des statuts, en 1471, pour interdire la réception de plus de deux chanoines d'une même famille. Encore le terme "famille" ne tient-il pas compte des liens cognatiques assurant la formation de ces groupes de pression dévoilés lors des reconstitutions généalogiques et dont nous avons déjà prouvé l'existence lors de notre analyse des désignations à la tête du syndicat ou aux offices judiciaires et administratifs. Ainsi, les Robin sont-ils alliés à Pons Jourdan, et ce dernier aux Valdin. Mais, malgré les interdictions statutaires, une famille parvient à imposer jusqu'à quatre chanoines à la fois, ce qui constitue un score, même s'il est atteint au début du XVIe siècle. Dom Jehan de Grandmont, élu chanoine à partir de 1468, demeure dans la cathédrale jusqu'en 1508. Il arrive du diocèse de Valence, et son père, noble Robert de Grandmont, conseiller et maître de l'Hôtel du roi, préside le bailliage de la Cour commune du Gévaudan de 1462 à 1477. La carrière de Jehan concorde avec sa naissance : protonotaire apostolique en 1482 et vicaire de l'évêque Clément de La Rovère en 1499. Et ses trois frères, Robert, Guillaume et Charles le rejoignent dans le chapitre de 1504 à 1508151.

89En fait, plusieurs facteurs influaient sur la distribution des prébendes de la cathédrale : la recommandation du roi ou du pape pour quelques exceptions, ou celle de l'évêque en poste. Sinon, l'appartenance à la grande bourgeoisie dominant Mende ou à la vieille noblesse du pays offrait l'un des meilleurs arguments. Il restait encore l'adhésion à la clientèle d'une de ces familles, comme Pierre Charcos, vicaire de l'évêque de Condom, Bernard Alamand. Ensuite, une minorité de postulants joue de ses seules aptitudes. Etienne Boyer naquit d'un modeste aubergiste de Chanac. Certes, sa tante, Hélix Boyer épousa Urbain Bonot, frère de l'official Raymond, ce qui permit à Etienne d'obtenir assez vite un bénéfice, mais le minutier mendois le montre omniprésent dans la cathédrale, travaillant avec ardeur, participant à toutes les oeuvres et à tous les chantiers, dont le plus prestigieux fut la construction de la cathédrale, et il est indubitable que sa promotion résulta plus de son labeur et de sa dévotion que de sa parenté avec un official qui avait quitté Mende pour le Puy en 1427. D’autres, comme François Bompar partent étudier dans une université et leur ascension s'appuie sur leur savoir. Bien sûr, ce propos ne signifie pas que les bourgeois et les nobles étaient incultes. Au contraire, les La Panouze, les Mirmont, les Alamand, les Robin et plus de la moitié des chanoines de Mende arborent un titre universitaire.

III - LA SOLIDARITE FAMILIALE FACE A L’EXCLUSION SOCIALE

90La violence accompagne la vie quotidienne des gens du Moyen Age, tout particulièrement depuis le milieu du XIVe siècle et le déclenchement des guerres franco-anglaises. Elle perdure pendant longtemps et nous avons précédemment relevé plusieurs indices démontrant "qu'il fallut attendre la fin du règne de Louis XI pour panser les traumatismes occasionnés par l'insécurité" en Gévaudan. Les hommes du seigneur d'Apcher, ceux du bâtard d'Armagnac et de Rodrigue de Villandrando parcourent le pays pendant la première moitié du XVe siècle et y sèment la terreur. Leur passage provoque meurtres, enlèvements et viols de filles ou de femmes mariées, emprisonnements et rançonnements, pillages, attaques de villes, places et forteresses et incendies d'églises. En 1470, le manoir du seigneur de Cheminades (Ribennes) est pris par Thomas de Murs et des valets d'armes écossais avec lesquels il bat et mutile Barthormé de Cheminades, maître des séants. Les registres de notaires conservent quelques traces de ces tragiques événements : un paysan qui teste après avoir été maltraité par des gens d'armes, un autre qui déclare ne pas pouvoir prouver qu'il a payé les dots qu'il devait car ses archives ont brûlé avec sa maison incendiée par les hommes de guerre, ce curé qui construit une chambre dans le château de Laubert.

91Mais la marginalité est durement réprimée, sans pitié. Dans le Rouergue voisin, alors qu'un certain Gabriel, capitaine de plusieurs "mauvais garçons" tenant le château de Bozouls, se présente à Rodez, il y est "exécuté par justice et mis par quatre quartiers", alors que les autres, contraints de quitter leur place forte face à la menace de l'arrivée des francs archers, sont massacrés par le peuple en 1484152. La répression s'abat inflexiblement et les exécutions publiques ne sont pas contestées, du moins pas pour leur légitimité philosophique. Par contre, un conflit survenu entre le chapitre de Mende et noble Guillaume de Bresson, bailli de la Cour commune du Gévaudan, donna lieu à la rédaction d'un acte original le 22 octobre 1442153. Ce jour-là, les parties se disputèrent les fourches patibulaires du chapitre sises au lieu "lo Ventolho", dans le mandement du Chastelnouvel, sur la route allant de Mende à Rieutort-de-Randon. En effet, Guillaume de Bresson s'était déplacé en personne pour y "suspendre" deux "malfaiteurs homicides" nommés Georges Lagarde et Pierre de Nay. Le chapitre avait immédiatement dépêché son procureur, maître Jacques Traversiez afin de protester car la région ressortissait à la juridiction du chapitre de Mende et Guillaume de Bresson avait donc agi au préjudice des chanoines. Guillaume de Bresson déclara publiquement qu'il pouvait utiliser la potence et qu'il n'entendait aucunement porter atteinte à la juridiction capitulaire. Chacun sauvegarda ses droits et nul ne se soucia outre mesure des deux hommes pendus au gibet.

92Mais les crimes relevés dans notre documentation ne concernent pas les vulgaires manants, les pauvres réduits au vol, au pillage et aux excès les plus divers. La raison en est simple, leur misère ne leur permet guère de protester et la résignation les réduit à leur sort, dans le silence le plus complet, et nul n'aurait connu Pierre de Nay et Georges Lagarde si le chapitre n'eut cru ses intérêts menacés. La délinquance rencontrée provient des notables, nobles ou bourgeois, voire d'artisans modestes mais de bonne renommée. Et contrairement à ce qu'aurait pu penser un esprit du XXe siècle accoutumé à ne pas voir les "gens honnêtes" sur les bancs de la justice, les notables du XVe siècle supportent assez souvent la colère des juges. Il est vrai que la justice est une affaire d'argent et le monde d'alors, loin d'être désordonné, est minutieusement encadré par un ensemble d’interdits dont la transgression est réprimée par des amendes. Le lien entre l'argent et la justice apparaît en matière de dettes. Celui qui ne paie pas ce qu'il doit subit l'emprisonnement. Nous avons déjà cité le notaire mendois Pierre Reboul, emprisonné en 1451 sur la requête de son créancier, un marchand tourangeau154. Mais la véritable menace en ce domaine vient de l'Eglise et les hommes du Moyen Age préfèrent en appeler à la justice ecclésiastique qui fulmine des excommunications155. L’efficacité de cette condamnation est attestée par l'aventure de François Lebraton qui choisit de révoquer la donation d'un ort qu'il consentit à ses fils, afin de vendre cet immeuble à dom Jacques Ferrier, pour payer ses dettes156.

93Les excommunications s'abattent sans épargner les notables, comme le prouve une série de procurations constituées de 1475 à 1477. En juin 1475, Jehan Guillaume, dit "de Clermont", protonotaire apostolique, préchantre de la cathédrale de Mende, chanoine du Puy, Jehan Peytavin, prieur de l'autel Sainte-Croix de la cathédrale, Bertrand Trenc, recteur de la Parade, Bernard Solier, recteur de Saint-Frézal-d'Albuges, Raymond Bonvilar, prieur de Saint-Vénérand, tous bénéficiers de la cathédrale, nobles Jehan Montanhac et Vital de Recoules, maîtres François Cayrel, Anthoine Teysseire, notaires, Pierre de Monteilh, hôtelier, Raymond Filholis, tisserands, font procuration en faveur de juristes d'Avignon, à propos de l'excommunication prononcée sur la demande d'un marchand florentin de la cité rhodanienne, Michel Divi. En juillet 1476, un nouvel exclu complète ce groupe, Jehan de La Panouze, maître des Requêtes de l'Hôtel du roi, protonotaire apostolique, prieur de Molezon, la Parade, Fontans et Mondalazac, qui désire contenter ses créditeurs. En novembre 1476, ils sont rejoints par Guidon de La Panouze, chanoine de Mende, prieur d'Aumont et du Fau, dans le diocèse de Mende, et de Saint-Ilaire en Rouergue. Le temps s'écoule encore et en juillet 1477, Pierre Sarrasin, bachelier dans les deux droits, chanoine de Quézac, et Raymond Rotbert, bénéficiers de la cathédrale, rédigent également leur procuration. Tous deux placent leurs biens et les revenus de leurs bénéfices entre les mains du vice-régent de la chambre apostolique d'Avignon. A cette époque, la situation de noble Jehan Montanhac, âgé de quatre-vingt ans, n'a toujours pas trouvé de conclusion et il demande à nouveau à Guillaume Maynier d'intercéder en son nom157. La surprise à propos de cette liste de personnages frappés d'interdit porte sur le nombre d'ecclésiastiques, dont certains sont relativement puissants, comme les La Panouze ou Jehan Guillaume. Pour sa part, Jehan Bonet, pareur de Mende, menace en 1471 de faire excommunier son beau-père, Guillaume Cros, sergent royal de Mende, qui n'a pas soldé les premiers termes de la dote de sa femme. Les deux hommes décident alors de négocier afin d'éviter la dramatique issue. Si cette sanction condamne très souvent des délits économiques, elle punit occasionnellement de véritables crimes, comme celui commis par noble Louis de Bressoles qui frappa un homme jusqu'au sang dans la cathédrale de Mende. Les excommunications sont si fréquentes que leur publicité n'est pas réellement assurée. Pour preuve, en 1477, Etienne Torrent, procureur de Germain Teyssier, prêtre de Saint-Germain-de-Calberte, se présente devant l'official et le requiert de relever cette peine prononcée par la Cour spirituelle de Mende. L'official réplique alors qu'il ignorait totalement que Germain fût condamné à cette infamie158.

94D'après les actes rencontrés, la plus grande préoccupation des intéressés ne concerne pas leur vie quotidienne, mais le moment où il décéderont, étant alors traités en exclus, interdits d'inhumation dans les lieux consacrés, cimetières ou églises, et refoulés dans un coin de terre profane. Ainsi, dom Clément Jeunehomme, prieur de Villedieu, mort couvert de dettes, fut-il enterré près du cloître du couvent des frères mineurs en 1451. Après quoi, trois ans plus tard, Privat Gaus, gardien desdits moines, obtint la permission de l'exhumer afin de le mettre en terre sainte159. En conséquence, comme les débiteurs de Michel Divi, ceux qui subissent les foudres de l'Eglise agissent pour se racheter. En 1450, Jehan de Rocheblave, seigneur d'Agulhette (Ispagnac), reconnaît devoir trois écus à Mathieu Bosquet, chancelier et trésorier de l'évêque, pour les frais de son absolution réclamée par son beau-père Jehan de Corsac. La meilleure façon consiste à payer ses dettes. C'est la raison pour laquelle, en 1466, André Girard, clerc solut et notaire de Mende, réfugié à Saint-Etienne-du-Valdonnez, vend un de ses orts afin de se faire relever de la condamnation prononcée à son encontre sur la requête du chanoine Jehan Alamand pour une somme de seize moutons or160.

95Très souvent, la parenté entre en action. En 1459, alors que Jehan Malaval, de Changefèges (Balsièges), est excommunié pour dettes et incapable de se faire absoudre en raison de son agonie, sa femme, Catherine, redoutant la mort de Jehan, décide de s'obliger sur ses propres biens envers Galhard Jalvin, sous la seule condition que Jehan décède. Le mari conserve donc ses obligations financières jusqu'à la mort, mais la veuve potentielle désire garantir l'enterrement religieux en prenant sur elle la charge des indemnisations. Vivre endetté inquiète, mais périr ainsi couvre la famille de honte et d'opprobre. En 1472, c'est noble Pierre de Montchausson, de Compeyre en Rouergue, qui s'oblige envers le trésorier de l'évêque de Mende, pour faire absoudre Jehan de Montchausson, seigneur de Salices (Compeyre), interdit à la demande de Jehan Borses, marchand de Chirac161. Cet exemple démontre qu'un marchand parvenait à imposer la condamnation d'un seigneur de très ancienne noblesse.

96Après le décès de l'excommunié pour dettes, les héritiers ont deux possibilités : abandonner le défunt à son triste sort, maudit et rejeté de la Communauté des Chrétiens en renonçant à son héritage, ou accepter l'hoirie et en solder le passif. Le Chiracois Jacques Jacques senior, cité de 1363 à 1376, décéda en laissant derrière lui des créanciers insatisfaits, ce qui lui valut d'être jeté hors de l'Église. Pourtant sa vie s'était déroulée honorablement puisqu'il représenta même la Charité de sa ville en 1363. Il laissait au moins deux fils, Jehan Jacques, prêtre de 1376 à 1418, et Jacques Jacques, boucher en 1393-1394. Le 31 octobre 1393, Jacques Jacques, dom Jehan Jacques, et Hélène, femme dudit Jacques Jacques, produisent au vicaire de Chirac des lettres patentes émanant de l'official de Mende, datées du 30 octobre 1393, ordonnant la levée de l'excommunication de leur père, Jacques senior, alors que lesdits héritiers s'engageaient à contenter les créditeurs. Le 25 novembre, dom Jehan échange un de ses champs contre un ort de Bertrand Chalant qui donne trente-neuf florins en compensation de la plus-value. Le 13 décembre, le même vend un autre ort à Raymond Colombier, couvreur de Chirac, contre quatre francs or. Enfin, le 17 décembre 1393, Etienne Fournier, pelletier de Marvejols, délivre quittance à Jacques Jacques et à dom Jehan Jacques pour tout ce que devait leur défunt père.

97De même, en 1446, lors d'un accord passé par tous les ayants droit d'Etienne Nicolas, Guillaume Nicolas, notaire de Serverette et frère d'Etienne, promet de s'occuper de faire transporter la dépouille de son corps de la terre profane où il gît en une terre sacrée et de solder toutes les charges laissées par Etienne. Raymond Ferri décéda endetté, et son fils, Jehan Ferri, barbier de Mende, trépassa lui-même avant d'avoir régularisé la situation. En 1483, la veuve de Jehan Ferri et des parents à un degré méconnu transigent à propos de la succession et conviennent de faire extraire le cadavre de Raymond "de la terre profane en laquelle il est présentement"162.

98Quelques malchanceux, parmi les délinquants, échouent dans une geôle, sans perdre pour autant le soutien de leurs familles. En 1480, Jehan Romieu, chorier de la cathédrale, bachelier en décret formé dans l'université d'Avignon, se présente devant Jehan de Montcalm, juge mage et lieutenant du sénéchal de Beaucaire, comme commensal de son père, Etienne Romieu, notaire royal de Mende détenu dans le château royal de Nîmes en vertu de lettres de capture du sénéchal, et supplie le juge mage de faire venir en audience ledit Etienne, en raison de l'absence prolongée du sénéchal, afin de statuer sur son sort163. En 1470, Pierre Maynier, bachelier en médecine étudiant à Montpellier, est arrêté et incarcéré par l'official de Maguelone et son lieutenant. A Mende, le 7 juin, ses parents, Bernard Chambon, bénéficier de la cathédrale, et Bernard Atger, marchand de Mende, se réunissent et mandatent Bernard Garsin afin qu'il agisse en leurs noms. C'est une parenté assez large qui se solidarise avec le prévenu, puisque Bernard Atger est son oncle, Bernard Chambon un allié par sa tante, Agnès Maynier, femme de Vincent Chambon, et Bernard Garsin un cousin germain164. Cela ne saurait étonner puisque les historiens qui exploitent les lettres de rémission ont déjà dressé ce constat165.

99Malgré la rigueur de la morale, les viols ne sont pas exceptionnels au Moyen Age. En fait, les crimes à caractère sexuel représentent 5,10 % des actes ayant motivé des lettres de rémission, dans le Rouergue et le Gévaudan, du XVe siècle166. Au terme "malgré" nous sommes tentés de substituer l'expression "à cause de", tant l'austérité des règles de conduite suscite leur irrespect, puisque la barre des prohibitions, placée trop haut, provoque un étouffement de la personnalité qui précipite dans la délinquance celui qui ne commettrait que des fautes vénielles. Après quoi, ce premier pas dans le domaine de la marginalité enclenche-t-il souvent l'ouverture d'une spirale conduisant à un acte plus grave. Ainsi le jeune homme brimé par les tabous et les interdits sexuels éprouve-t-il un soir le désir de "partir en goguette" se déniaiser. Afin de se donner du courage, il boit en compagnie de quelques compagnons et la conjugaison des comportements de groupe, des effets de l'alcool et d'une quête inappropriée de l'image de la virilité poussent ces compères à chercher une femme dont ils sont convaincus qu'elle cédera à leur charme, en particulier s'il s'agit d'une fille réputée de moeurs légères. Qu’importe si sa frivolité ne résulte que d'une renommée et si le désir de la "femme facile" reste tout de même soumis à une règle bien particulière, le souhait qu'elle a de s'abandonner en fonction de sa propre volonté et non sur la demande exclusive de tiers. Ainsi une prostituée, elle-même, malgré sa profession, n'assouvit-elle pas tous les hommes qui la sollicitent, soit par goût, soit parce que ses heures de travail s'achèvent. Mais les jeunes garçons en quête d'aventure ne réfléchissent pas en fonction de tels arguments ; guidés par leur seule conception de la virilité, ils découvrent la fille diffamée, voire la concubine ou la maîtresse d'un prêtre, et harcèlent la luronne167. Et c'est ainsi que les violeurs se justifient dans les actes, arguant de l'immoralité de leur victime168.

100Certes, le viol n'est pas uniquement le produit des jeunes fils de bourgeois en mal d'occupation, ou même de bergers isolés "aux besoins inassouvis", il naît également du sentiment de supériorité éprouvé par la noblesse face aux gens de modestes conditions. Dans les lettres de rémission, nous avons rencontré le redoutable baron Louis de Taulignan, coupable de toutes sortes de méfaits, contre le roi et l'Eglise, mais aussi auteur de tant de ravissemens, violences de femmes mariées et à marier qu'il a prinses ou fait prendre à force pour acomplir sa voulente qu'il ne parvient pas à les énumérer, et son mépris s'annonce tel qu'il ne se souvient que du nom d'une femme, les autres n'étant finalement que des objets soumis à son esprit de luxure169. François d'Apcher, un cadet du baron d'Apcher, dépêcha cinq ou six serviteurs, dont son barbier Colin Coilhars qui avait combattu dans les guerres franco-anglaises sous les ordres du capitaine Jehan d'Apcher, pour enlever une jeune fille, Alix Chapola, après qu'un homme de guerre nommé Capdargent, lui eut dit qu'elle vivait avec un prêtre. La jeune fille résista mais succomba à la force et fut conduite jusqu'à l'hôtel de François d'Apcher, à Saint-Chély-d'Apcher, où elle subit ses ardeurs pendant un jour et une nuit, après quoi le puissant François la restitua à ses parents et amis avec une somme d'argent170.

101Les registres des notaires nous confrontent à deux situations de ce type en faisant jouer l'intervention des parentèles. La première concernent une famille noble, la seconde des bourgeois mendois. Dans la deuxième moitié du XVe siècle, la maison d'Espinasson, de vieille noblesse, détient deux seigneuries, celle d'Espinasson, en la paroisse de Saint-Etienne-Vallée-Française, fief ancestral, entre les mains de Jehan qui réside à Florac en 1468-1472 ; celle de Clamouse, à Chaudeyrac, vient certainement de l'héritage maternel et appartient à Louis, frère de Jehan, cité de 1468 à 1487. Leur frère, Guillaume, prêtre de 1461 à 1468, est mentionné avec leur parent, Jehan d'Espinasson, prieur d'Estables de 1443 à 1461. Or, dès la fin de 1467, la justice poursuit Jehan d'Espinasson pour le viol d'une jeune fille. La procédure se conclut par une transaction passée le 22 février 1468 qui nous informe des détails de cette triste aventure171. L'affaire fut rendue publique par Pierre de Fayet, habitant la ville de Florac, et par sa fille, Anthonie, qui accusaient Jehan d'Espinasson d'avoir, "de fait et malicieusement, commis le rapt de ladite Anthonie, trois mois auparavant", après quoi il la connut charnellement à plusieurs reprises et par violence. Les Fayet obtinrent alors de la Chancellerie royale de Montpellier des lettres de commission pour les bailli et juge de la Cour commune du Gévaudan. Pierre Martin, bachelier dans les deux droits, lieutenant du juge, procéda donc à une information auprès de plusieurs témoins dignes de foi, après quoi il emprisonna Jehan d'Espinassoa Le geste de ce dernier n'implique pas que le père et la fille car le crime frappa "dans les grands préjudice et déshonneur desdits père et fille et de tous les autres de leur consanguinité". Au contraire, Jehan dEspinasson répliquait n'avoir jamais souillé, ni charnellement connu, ni enlevé, ou pris et séquestré ladite Anthonie, mais il reconnaissait l'avoir notoirement gardée à son service, comme servante pendant plus de deux ans et l'avoir aussi conduite en la maison de son frère, le seigneur de Clamouse, qui était marié et vivait en famille, ajoutant qu'ils s'y fréquentèrent honnêtement. Le prévenu niait donc tout, proclamait la narration des Fayet fallacieuse et évaluait l'injure subie par lui à mille livres tournois.

102Le 18 février 1468, Pierre et Anthonie de Fayet adressent une procuration à Guillaume et Jacques de Fayet, frère et fils de Pierre, afin d'agir contre le seigneur d'Espinasson. Ils exigent cent livres tournois et des robes convenables pour doter Anthonie, ainsi que cent autres livres pour les injures et dépenses subies par Pierre et Anthonie. En outre, ils demandent à être relevés des cens annuels dus audit Jehan pour leur maison et pour des terres sur lesquelles il jouit aussi de la seigneurie directe. Finalement, le 22 février, les procureurs des Fayet, d'une part, et nobles Jehan et Louis d'Espinasson, d'autre part, s'accordent pacifiquement et conviennent que le noble soldera quarante livres, une cotte en tissu de France, une autre en tissu des terres basses, et une gonelle dans ce dernier tissu, pour doter Anthonie, et cinq écus, payables : cinq écus à la Pentecôte, puis quinze livres et les robes l'année suivante ou dans l'intérim si Anthonie se marie entre temps, et enfin quatre livres par an jusqu'à extinction des quarante dues. De plus, les deux frères, promettant de faire ratifier par dom Guillaume d'Espinasson, se dessaisissent en faveur de Pierre et d'Anthonie de la totalité des rentes et cens qu'ils perçoivent sur leur maison et leurs terres, sauf que Jehan se retient la domination directe et les droits de lods, ainsi qu'un denier tournois sur me pièce de terre. Enfin, Jehan d'Espinasson conserve à sa charge toutes les dettes des Fayet envers maître Pierre Martin et son notaire, commis pour cette affaire, et envers tous les sergents qui y ont participé. Le même jour, dans me autre maison, Anthonie de Fayet, majeure de seize ans, mineure de vingt-cinq, autorisée par son père et renonçant à la protection légale accordée aux mineurs, homologue la transaction sur les conseils de ses procureurs. Ainsi, la parentèle des Fayet, modestes floracois, réunie autour de la jeune fille outragée, parvint-elle, non seulement à faire payer me indemnité à la noble maison des Espinasson, mais encore à frire incarcérer son chef ; le fils aîné, même si ce ne fut que pour me brève période. Pour leur part, les Espinasson réussirent à frire absoudre Jehan en trois mois, contre me compensation financière.

103La seconde famille impliquée dans des affaires criminelles occupe me place honorable dans la cité épiscopale, comme nous l'avons déjà signalé. Trois fils des Cobe, puisqu'il s'agit d'eux, se rendirent coupables, le premier d'un homicide, le second d'un viol et le dernier d'un adultère. Le premier drame concerne Pierre Cobe II et l'histoire en a été conservée grâce au procès-verbal rédigé en 1430 et conservé aux Archives départementales sous la cote G.943, et par me quittance enregistrée dans le minutier mendois172. La seconde tragédie met en cause Guillaume Cobe II, frère du précédent, et son récit nous est parvenu par l'intermédiaire de lettres de rémission extraites du trésor des chartes173 et de plusieurs quittances instrumentées par les notaires mendois174. Enfin, le troisième scandale suscité par François Cobe, fils du susdit Pierre, est révélé par les seuls actes notariés du Gévaudan175.

104Le procès-verbal dressé à propos de Pierre Cobe II intéresse à plus d'un titre et ses principales parties sont dignes d'être décrites avant d'entrer dans le vif du sujet Pierre Cobe tua m homme et prit la fuite. II demanda des lettres de rémission au roi et à l'évêque de Mende qui répondirent favorablement. Toutefois, la mère de la victime, courroucée de le voir échapper à sa punition, contesta l'exécution des lettres de grâce en considérant que Pierre Cobe avait menti, et qu'en tant que clerc il relevait des juridictions ecclésiastiques sur lesquelles le roi n'exerçait aucun pouvoir, comme il rien avait pas plus sur les terres de l'évêque qui jouissait de droits régaliens. La protestation de cette femme nous permet de suivre l'affaire en détail car Pierre Atger, lieutenant d'Olivier de Chirac, bailli de la Cour commune du Gévaudan, lance me information avec tentative de conciliation, production de pièces et convocation de témoins. L'enquête, ouverte le mardi 7 août 1428, s'achève certainement en septembre 1430.

105En 1427, Pierre Cobe II vient d'atteindre sa vingtième année, il est clerc solut. Son père, Guillaume I^er, est m marchand connu élevé au syndicat en 1417 et en 1426. Le 2 février 1427, vers la fin de son mandat, il reçoit le serment de l'évêque Ranulphe de Peyrusse qui s'engage à respecter les franchises de la ville et de ses habitants176. Le grand-père, Jacques Cobe, mort peu auparavant, a fondé une chapelle dans l'église de Rieutort-de-Randon et exercé le métier de notaire, comme l'arrière-grand-père, Pierre Cobe I^er. La tante de Pierre, Agnès Cobe, est la veuve du notaire Jehan Farsat, neveu et frère des prêtres Jehan et Pierre Farsat, le dernier vivant encore. Le grand-oncle, Privât Cobe I^er, pratique encore comme notaire et s'est uni à Aygline Chalvel, fille d'un notaire décédé et d'Agnès qui testera en 1428. La soeur d'Aygline s'est offerte à Jehan Girard, notaire de Mende. Enfin, la grand-tante, Agnès Cobe, veuve de maître Gaucelin Barrai, a donné le jour à maître Jacques Barrai. Jacques Cobe a naguère été chargé de lever les tailles pour mettre le Gévaudan en défense. Gaucelin Barrai a dirigé le syndicat en 1400, Jehan Farsat en 1418, 1419, après avoir été conseiller en 1400, 1407 et 1415, Laurent Chalvel, père d'Aygline, les a précédés en 1398 et accompagnés en 1400.

106Pierre Cobe II mène donc la vie insouciante des fils de la bourgeoisie en place. Si les lettres de rémission le présentent comme un garçon sans problèmes, une enquête préliminaire réalisée sur ordre de l'official de Mende nous conduirait à le considérer comme un mauvais élément, mais il convient de noter que les informations recueillies le sont juste après le meurtre qu'il a commis, alors qu'il est en fuite. Ces griefs, peut-être fondés, doivent donc être considérés avec prudence. D'ailleurs, tous les propos concernant cette affaire ne peuvent être reçus comme totalement certains, tant l'accusation, qui cherche à établir le pire, et la défense, le meilleur, déforment toujours l'image de la vérité en matière criminelle. Tout au plus les conclusions finales autorisent-elles une reconstitution assez floue des faits. Pour en revenir à Pierre Cobe, alors qu'il a vingt ans, il aurait déjà été vu, à plusieurs reprises, deux ans auparavant, en train de porter nuitamment des armes, dans la cité. II aurait également commis plusieurs agressions sexuelles et des rapts, parmi lesquels le viol de Jehanne, femme Badaros. L'accumulation des reproches semble au moins permettre d’affirmer que Pierre Cobe avait déjà eu le temps de se faire de nombreux ennemis, malgré sa jeunesse. En 1427, la peste sévit à Mende et Guillaume Cobe a perdu quatre de ses fils. L'aîné, Pierre Cobe II, et un gamin de sept ans, Jehan, ont survécu. La peste ayant frappé dans sa maison, Guillaume envoie ses deux garçons survivants dans celle de la chapelle Saint-Privat, normalement habitée, mais alors désertée par Jehan Boyssier, chapelain en titre. Le drame survient pendant la nuit du 14 juillet. Pierre Chabrit tente alors de reprendre une fille, Hélix du Masel, à son amant Pierre Cobe. D se fait escorter par trois compagnons, se dispute avec Pierre Cobe, son parent, qui le tue d'un coup de hache, alors que tous les deux étaient clercs, tonsurés et en habit. Le crime de "cléricide" est grave et déclenche des poursuites pour sacrilège.

107Si nous nous en tenons aux déclarations des témoins, Pierre Chabrit partit demander à Martin Vayssota, fils de Biaise, de venir avec lui reprendre une fille confiée à Cobe qui a promis de la lui rendre ce jour-là Ils sont rejoints par un troisième larron, Jehan Chaldoreilhe, fils du défont maître Jehan. Tous trois vont alors convaincre, Jehan Balmas, fils de Bartholomé, le seul à se montrer hésitant. Le groupe boit et se dirige vers la maison de Jehan Boyssier. Pierre Chabrit martèle à la porte. Pierre Cobe dort en compagnie d'Hélix ; la violence des coups et du bruit le réveille. Il se rend vers la porte, entièrement nu, et découvre avec surprise le groupe d'individus. Chabrit et Chaldoreilhe pénètrent les premiers ; Vayssota les suit alors que Balmas demeure à l'extérieur. Pierre Chabrit exige d'avoir la fille, ce que Pierre Cobe refuse. Le ton monte. Selon Vayssota, Cobe tient des propos provocants, mais Pierre Cobe et Hélix du Masel affirment que Chabrit profère des injures et déclare qu'il aura Hélix, que Cobe le veuille ou non. En fait, Vayssota tente apparemment de réduire le rôle agressif de Chabrit afin d'amoindrir son éventuelle responsabilité. D semble bien qu'Hélix ne souhaite pas quitter son amant qui ne désire guère plus la voir partir, alors que Chabrit la veut à tout prix. Selon Martin Vayssota, Pierre Cobe recule vers sa chambre, prend un long glaive et tente de frapper d'estoc Chabrit qui se protège avec sa taloche, il assène un second coup de pointe mais Vayssota le désarme. Cobe part alors dans la chambre, saisit une hache au râtelier et frappe à la tête Vayssota qui pare avec son bras du mieux qu'il peut. Martin esquisse un mouvement de fuite hors de la chambre, pendant que Cobe se précipite vers le fourneau où attend Hélix afin de la garder. Chabrit marche vers elle mais, frappé au sein, il recule, sort de la chambre et s'écroule entre les deux portes. Martin sort informer Chaldoreilhe que Chabrit agonise et les trois comparses de ce dernier s'esquivent. Pour Pierre Cobe, les faits se déroulent autrement. Chabrit dégaine son épée en premier et s'avance sur lui. D'ailleurs Vayssota reconnaît que Chabrit porte une épée au côté, mais il en nie l'usage. Pierre, ainsi menacé, de nuit, par quatre à cinq adversaires, a peur et fuit dans sa chambre, prend une épée et commande à Hélix de s'enfermer. Martin Vayssota le désarme et Pierre Cobe s'empare de la hache. Rien ne prouve que Martin ait bien été attaqué. Alors que les deux Pierre s'avancent l'un sur l'autre, Chabrit reçoit le coup mortel.

108Pierre Cobe, entièrement nu, prend son jeune frère par la main et s'éloigne. Jehan Balmas le voit revenir vers lui, et l'entend dire qu'il a tué Pierre Chabrit. Les Cobe partent alors vers la maison de leur père. Ce dernier se hâte vers la maison du crime. En chemin, il rencontre Guillaume Rabayroles et Pierre Gui et leur demande de le suivre. Parvenu devant la maison de Marchastel, Guillaume Cobe recommande à tous de s'armer de pierres, ce qui surprend ses compagnons. Ils entrent dans la bâtisse désertée et découvrent le corps agonisant de Chabrit qui tient une épée à la main. Tous trois s'élancent alors chez Guillaume Jourdan qu'ils réveillent en l'informant du drame, et la troupe se rue chez Jehan Girard, lieutenant du bailli, qui sort de son lit. Avec Biaise Ramadier, tous retournent à la maison de la chapelle Saint-Privat et constatent que Chabrit, mourant, tient son arme à la main. Rabayroles, Gui et Ramadier portent le jeune homme jusqu'à son oustau où ils constatent le décès. Sa chemise tachée de sang, écartée, laisse voir une blessure sous le sein gauche. Tout le monde décide d'aller chez Guillaume Cobe, mais le jeune Jehan ne communique aucun renseignement. Surviennent alors, Jehan Durand, lieutenant du juge, et un peloton de sergents. Un retour sur place confirme la découverte d'une longue épée et de la hache maculée de sang et Pierre Couhde, notaire de la Cour temporelle, dresse le premier constat.

109Pierre Cobe II, tant par peur des complices de Pierre Chabrit, que par épouvante face à son geste s'enfuit dans la cathédrale et se réfugie dans le clocher. Tout s'achève, le drame est joué. En fait, Hélix du Masel confirme l'essentiel. Pierre Chabrit a menacé de ne pas repartir sans elle et fait usage de son arme. Elle ménage Martin Vayssota dont elle dit qu'il essaya de ramener la paix entre les deux Pierre. Chabrit se présenta armé d'une épée et d'une taloche, équipement surprenant pour un parent pacifique qui déclare que Cobe avait promis de lui donner Hélix et ne devait donc logiquement pas s'attendre à un refus. Pierre Cobe, réveillé dans son lit, a donc vu une bande de quatre hommes, peut-être cinq estime-t-il dans l'obscurité, dont un au moins armé en guerre, exiger sa maîtresse. Bien des points de détail restent confus, sans doute à cause de la fuite du coupable. Dans le clocher, Pierre Cobe est aperçu, deux jours après le crime, par Jehan Galieyras, marguillier, et par Jehan Afflatet. Mais tous deux ignorent tout de l'affaire. Le 16 juillet, les lieutenants Jehan Girard et Jehan Durand, et André Durand, procureur de l'évêque, le visitent "dans un lieu sacré, à savoir dans le clocher de l'église cathédrale", afin de s'enquérir de la vérité. Cobe nie tout meurtre, explique s'être défendu et avoir fui vers la maison de son père, pour y accompagner son frère, puis ici par peur des autres. Interrogé sur l'identité de celui qui aurait tué Chabrit, il dit qu'il n'en sait rien, mais croit que c'est Jehan Chaldoreilhe qui portait une arme sous son manteau. Les officiers lui demandent qui possédait une hache dans la chambre, il réplique qu’il l'ignore car la maison appartient à Jehan Boyssier. A la suite de quoi les magistrats le convoquent à heure tierce et confient le clocher à la garde de deux sergents177. Par la suite, le notaire Guillaume Clapier rapportera que les sergents furent négligents et que Cobe s'échappa et se réfugia au couvent des frères mineurs avant de s'enfuir du pays. Pour sa part, Bernard Bonhomme affirmera que Pierre Cobe fut aidé par des amis.

110En novembre 1427, Charles VII octroie des "lettres d'indulgence, d'abolition et de rémission", en admettant que Pierre Cobe a agi par peur, alors que Chabrit et lui sont "de race, affinité ou amitié communes", et que le défunt avait nuitamment envahi sa maison. Pierre Cobe est reconnu de bonne fame, de vie louable et de conversation honnête, sans autre crime ou infamie sur la conscience. En outre, il est le premier-né de bons parents. L'évêque accorde également des "lettres d'indulgence, d'abolition et de rémission" le 18 mai 1428, en tenant compte des mêmes arguments et en considérant que Pierre Cobe fit face à la fureur de Chabrit et qu'il le frappa pour se protéger. C'est alors que Pierre Atger, lieutenant du bailli de la Cour commune, est commis pour procéder à l'exécution des lettres de grâce. Mais le 7 août 1428, alors que Jehan Durand représente Guillaume Cobe, Guillaume Jourdan, procureur d'Astruge, veuve d'Etienne Chabrit et mère du défont, s'élève contre l'enregistrement. La protestation d'Astruge s'étaie sur plusieurs points. Tout d'abord, Pierre Cobe relève du fors ecclésiastique puisqu'il était clerc solut au temps du crime, et le roi n'a donc aucune compétence pour accorder des lettres de rémission. D'ailleurs, le cléricide est un sacrilège et ressortit à la justice ecclésiastique, non séculière ; en outre, "le sacrilège de mort commis contre la personne dudit Chabrit, clerc, est tellement horrible" que ledit Cobe a été excommunié. Enfin, si l'autorité du roi était fondée, elle conteste, en plus, le fond et la forme des lettres. Sur le fond, elle affirme que Pierre Cobe a fait une fausse déclaration en niant être coupable à cause de la violence et de l'heure tardive de la prétendue agression. Sur la forme, elle critique le mandat et surtout le critère d'abolition dans la mesure où celle-ci est donnée à quelqu'un qui n'est pas encore poursuivi par la justice, alors que la justice est déjà saisie même si elle ria pas encore statué178. Nous avons signalé que la procédure ouverte fut longue, plus de deux ans, mais il ne paraît pas nécessaire d'entrer dans ses détails. Pour nous, l'essentiel concerne l’identification des liens existant entre les parties et les éventuelles preuves de solidarité familiale. Tout d'abord, Pierre Chabrit et Pierre Cobe sont des parents et affins, mais le lien demeure inconnu179.

111Une surprise : Jehan Chaldoreilhe, mentionné dans les actes, accusé à tort par Pierre Cobe, n'est même pas entendu comme témoin et jouit d’une certaine protection. Or, Jehan est le "neveu par affinité" de Bertrand Pareur, bailli du chapitre, et de Jehan Monbel, juge temporel. La probabilité s'impose d'une protection particulière afin de le ménager. Aucun lien de famille n'apparaît, à cette époque, entre Jehan Chaldoreilhe, Martin Vayssota180, Pierre Chabrit et Jehan Balmas. Leur intimité résulte des plaisirs partagés en commun, à boire et à courir les filles. En tout cas, leur complicité ne provient pas de leurs activités professionnelles puisque Chaldoreilhe, fils de notaire, est ou deviendra marchand, alors que Martin Vayssota et Jehan Balmas sont tisserands, et Pierre Chabrit apothicaire. Parmi les personnes venues constater le crime, nous relevons Guillaume Cobe, père de Pierre, Guillaume Jourdan, beau-frère de Pierre Chabrit, Jehan Girard, beau-frère du grand-oncle de Pierre Cobe, Jehan Durand, parent de Jehan Jourdan que nous croyons être l'oncle de Guillaume Jourdan. En somme, maîtres Jehan Girard et Jehan Durand, lieutenants des deux responsables de la justice épiscopale, sont parents des parties.

112Par la suite, la mère de Pierre Chabrit, Astruge, sexagénaire, s'insurge et mène un combat de longue haleine afin d'obtenir une sentence contre celui qu'elle considère comme un meurtrier. Elle poursuit deux autres buts. Elle désire réhabiliter l'honneur de son fils qui passe pour coupable d'une attaque nocturne et même pour un clerc aux moeurs dissolues qui voulait ravir une fille sans son consentement. Enfin, elle déclare que son mari, Etienne Chabrit, est mort en laissant sa boutique d'apothicaire, reprise par le défont Pierre Chabrit. Ce dernier décéda avec un fils unique en bas âge. Alors qu'ils vivaient dans l'opulence, elle se retrouve donc avec un bébé tout en étant incapable d'administrer l'échoppe familiale. Elle institue plusieurs procureurs, quatorze juristes mendois et onze marvejolais, parmi lesquels son gendre, Guillaume Jourdan. Dans toute la procédure, ce dernier la défendra ardemment.

113Si Pierre Cobe demande personnellement ses lettres de rémission, il argue de son rang de fils aîné pour les impétrer et se réfère à l'honorabilité de ses ascendants. Ensuite, son père, Guillaume Cobe, adresse une procuration en disant agir en son nom et comme père et légitime administrateur. La partie adverse conteste d'ailleurs cette forme de procuration de Guillaume, "en son nom et en celui du fils". Les procureurs cités sont les mêmes que ceux de la veuve Chabrit, sauf Guillaume Jourdan et Guillaume Fournier. Mais la défense est assurée par Jehan Durand, qui figure parmi les procureurs d'Astruge. Il fout attendre le 6 novembre 1429 pour que Pierre Cobe, présent à Mende, demande à son grand-oncle, maître Privat Cobe, d'enregistrer une procuration en faveur du seul Jehan Durand. Le 2 juin 1430, Privat Cobe représente Pierre Cobe en raison de l'empêchement de Jehan Durand.

114L'affaire a donc secoué toute la société mendoise, les liens de parenté s'enchevêtrent entre victime et coupable. Qui d'ailleurs est coupable ? Tout le monde souhaite effacer cette lamentable et dramatique aventure, sauf la mère de Pierre Chabrit dont le seul fils avait disparu Pierre Cobe obtient donc sa réhabilitation, et Astruge, veuve d'Etienne Chabrit, se remarie dans la famille Malel, mais elle ne cesse pas ses poursuites à l'encontre de Pierre Cobe. Elle rédige un codicille en 1435 et décède peu après. Sa fille, Hélix Chabrit, épouse de Guillaume Jourdan, prend la relève. L'action civile n'a pas été abandonnée afin d'obtenir satisfaction "pour le lèse et le préjudice de l'homicide ou du cléricide" commis contre Pierre Chabrit. Hélix requiert Bernard Picon, professeur en décret, official de Mende, juge et commissaire apostolique spécialement député, d'excommunier Pierre et de le condamner à payer cent cinquante écus, alors que Pierre rappelle avoir été poussé à l'homicide pour se défendre et sous influence du vin et de la nuit Finalement, le 13 mars 1437, Hélix Chabrit, son mari et Pierre Cobe, désirant éviter des fiais, décident de s'en remettre à l'arbitrage de leur ami commun, Bernard Robin, chanoine de Mende. Le 19 mars, devant Bernard, comparaissent Guillaume Jourdan et Pierre Cobe. Ce dernier devra solder ladite somme de cent cinquante écus, la moitié à Pâques, l'autre à la Pentecôte, et chacune des parties quittera l'autre de toutes injures, offenses et rancunes. L'indemnité est élevée et correspond au prix d'une très belle maison, mais elle libère Pierre Cobe de tout conflit et complète les lettres de rémission. Six ans plus tard, en 1443 et en 1444, il occupera même la fonction de syndic. En outre, dès 1442, il épousera une nièce du chanoine François Bompar, confirmant ainsi symboliquement sa réintégration complète dans le sein de l'Eglise.

115Guillaume Cobe eut d'autres fils, parmi lesquels Guillaume II, sans doute né peu après le drame que nous venons de conter. Guillaume Cobe II épousa Alaycette Galin, fille de Jehan et soeur d'un juriste de Meyrueis. Alaycette testa le 4 janvier 1449181. Les lettres de rémission qu’il obtient en avril 1450 relatent le nouveau drame impliquant les Cobe. En mai 1449, Guillaume, veuf de vingt-trois ans, errait dans la ville de Mende avec un de ses compagnons et se rendit devant la maison de Marquèze, femme d'Henri Charpentier. Il demanda à cette dernière d'ouvrir sa porte, ce qu'elle refusa de faire. Les deux jeunes gens, qui avaient envie de lui faire l'amour, essayèrent de forcer l'entrée sans y parvenir. Marquèze réussit à les faire fuir en se mettant à sa fenêtre. Guillaume expliquera plus tard qu'il avait agi ainsi car Marquèze estoit femme publique et par plusieurs foiz avoit esté appréhendée en adultère. Nous verrons plus loin que cette assertion reste sans preuve.

116Les pulsions sexuelles de Guillaume Cobe II demeuraient inassouvies et son veuvage éveillait chez lui une lubricité incontrôlée. En juillet, il entendit dire qu'une fille de seize ans, Agnès, fille de Jehan Bruguière, de Ribennes, estoit suspecte et avoit esté appréhendée plusieurs foiz en adultère [...] avoit esté ung certain jour es estuves en ladite ville avec aucuns jeunes compaignons. En conséquence, escorté d'autres gars, il chercha Agnès et apprit qu'elle stationnait devant la maison de Jehan Brunei. Le groupe se dirigea jusqu'à cet oustau pour la voir. Mais, Agnès refusant avec virulence de les suivre, Guillaume la saisit par le bras et lui dit qu'elle viendrait avec eux, de gré ou de force, et il commença à la tirer avec violence. Son entreprise eût réussi si Brunei et sa femme n'étaient sortis de leur maison pour libérer Agnès et l'entraîner à l'intérieur. Guillaume Cobe et ses complices restèrent là en guettant la sortie de la fille jusqu'à ce que Brunei apparaisse à nouveau, un grand bâton à la main, en s'exclamant et que viennent ici fous ces ruffians et, assisté de son épouse, il ajouta des paroles injurieuses et des menaces. Guillaume et ses comparses ramassèrent des pierres pour les jeter puis s'éclipsèrent.

117Agnès Jourdan182, alors veuve, qui assista à la scène, appela ladite Agnès Bruguière et lui dit de rentrer chez son père. Pour la faire reconduire, elle appela un certain Vital Dedon et le chargea d'escorter Agnès. En cours de route, le duo fut rattrapé par Guillaume Cobe et plusieurs complices qui tentèrent à nouveau de parvenir à leurs fins. Agnès se refusait toujours, mais Vital Dedon, piètre cavalier empli de peur, exprima le souhait de retourner en ville et abandonna la jeune fille à son sort Guillaume Cobe et Bertrand Garsin183 la saisirent alors violemment et l'entraînèrent hors du chemin, dans des buissons. Guillaume Cobe se justifiera par la suite en déclarant qu'à ce moment précis, Agnès discuta avec lui sans aucune résistance et lui dit qu'elle ne se laisserait point à lui s'il ne la paioit. Il lui bailla alors quatre deniers tournois et fit d'elle à son plaisir et la congneut charnellement, et pareillement feirent les autres ses complices. Après quoi Agnès leur déclara vous autres valez bien peu que vous ne donnez quatre coups de baston à ce villain qui me emmenoit car je ne m'en vouloit point aler avecques lui La bande de mauvais garçons raccompagna Agnès de l'autre côté du Lot où s'était réfugié Vital Dedon afin qu'il la ramenât à Ribennes, et eux-mêmes retournèrent à Mende.

118Quelques jours plus tard, alors qu'il se promenait sur la place publique de Mende, Guillaume Cobe II fut interpellé par quatre sergents agissant sur ordre de Jehan Montanhac, procureur fiscal en la Cour spirituelle de l'évêque, qui l'enfermèrent dans les prisons épiscopales. Au bout de trois heures, Guillaume comparut devant le procureur et l'official Jehan Strade qui l'interrogèrent sur les faits. Guillaume esmeu de chaleur menaça alors le procureur d'une vengeance ultérieure. A la suite de cette audience, Guillaume fut "enferré" dans sa geôle pendant près de cinq semaines, nonobstant plusieurs cautions pour ester et pour satisfaire au droit Son frère et son curateur184, constatant que l'officialité différait indéfiniment la comparution de la défense, convinrent d'en appeler à l'archevêque de Bourges et à son official devant lesquels l'affaire demeure encore pendante en 1450. De son côté, Guillaume Cobe pensa que l'on voulait le punir corporellement ou le détenir pour une longue durée et trouva le moyen de rompre ses fers et de s'évader en laissant les instruments dont il s'était servi aux autres prisonniers. Libre, il quitta la cité et les terres épiscopales.

119Guillaume se remaria avec Catherine de Chabane, fille d'un marchand chiracois, et surtout nièce de Pierre de Chabane, juge royal de Marvejols de 1429 à 1468. Entre-temps, Guillaume Cobe adressa une supplication à Charles VII qui lui accorda sa grâce en avril 1450, en considérant la jeunesse du suppliant, le fait qu'Agnès Bruguière était diffamée de fornication et que en prenant lesdiz IIII deniers tournois ladite Agnès s'accorda à faire le plaisir dudit suppliant, le temps de sa détention, la déloyauté des officiers de l'évêque qui refusèrent d'entendre sa défense et le frit qu'aucun prisonnier n'avait profité de ses outils pour fuir. Il est vrai que les Cobe réussirent à satisfaire les parties adverses juste avant que Guillaume ne fut gracié. Le 23 octobre 1449, la victime, Agnès Bruguière, et son père donnèrent quittance et absolution générale à Guillaume, absent, représenté par le notaire récipiendaire, Galhard Jalvin. L'acte adopte une forme solennelle par la présence de Pierre Richard, capitaine du Chastel-nouvel, et par celle d'un second notaire mendois, Etienne Torrent, alors qu'aucun Cobe n'y assiste. Il n'est pas impossible que les parties aient ainsi entendu signifier que les Bruguière agissaient sans contrainte et dans la plus grande liberté. Le 17 mars 1450, Marquèze, femme d'Henri Charpentier, délivrait également quittance générale à Pierre Cobe, représentant de Guillaume qu'elle poursuivait devant la Cour épiscopale à la suite des injures qu'il avait proférées contre elle et de la tentative de viol dont elle avait été victime. Marquèze précisait ne pas avoir subi de violences. Une petite mention s'impose sur cette femme que les lettres de rémission calomnient en la traitant de femme publique. Un abus est vraisemblablement commis afin de justifier l'acte de Guillaume, car rien n'atteste une éventuelle inconduite de cette femme, épouse légitime d'un sergent épiscopal.

120Ainsi les Cobe avaient-ils satisfait les parties civiles dont les lettres royales réservaient toujours les droits. Imaginer les démarches des familiers devient aisé. Pierre Cobe II jouissait d'une certaine expérience puisqu'il avait vécu la même situation vingt ans auparavant : crime, évasion et fuite hors du pays. Il pouvait compter sur l'aide de son beau-frère, Olivon Michel, bénéficier de la cathédrale, de ses collatéraux, les notaires Jacques Barrai et Jehan Girard185. Peut-être le frère de la première femme de Guillaume Cobe, le juriste Etienne Galin, leur apporta-t-il son aide, et il est évident que le juge royal Pierre de Chabane n'a pas laissé sa nièce convoler avec un fuyard sans vouloir obtenir la réhabilitation de celui-ci.

121Les Cobe continuent toutefois à se distinguer, mais leurs débauches diminuent en gravité et concernent plus la morale que la délinquance ou la criminalité. Pierre Cobe II perdit sa femme vers 1453. Quelques années plus tard, alors qu'il devait mal supporter la solitude, il se divertit avec sa servante, Delphine Boscarel, qui lui donna deux filles et un fils illégitimes. Un pacte passé en 1463 nous informe que Pierre Cobe se sentait trop vieux pour épouser Delphine et s'engageait à la doter. Peu après, Pierre négociait un pacte de mariage, apparemment sans effet, avec Guillaume Boscarel, père de Delphine'186. Pierre Cobe II eut plusieurs fils, dont François, clerc au profit duquel Jehan Scot résigna son surplis de chorier de la cathédrale en juillet 1444. François tint sa place dans le choeur de 1444 à 1459, sous le regard de son oncle, dom Olivon Michel, qui lui légua un bréviaire en 1455. Toutefois, nous avons déjà vu qu'en 1459, il était poursuivi par Agnès Ranc, femme de Raymond Tornamira, absent de Mende, ancienne servante de son père qu'il avait mise enceinte187.

122L'honneur des Cobe est lavé et cette famille s'intégre parfaitement dans la bourgeoisie mendoise comme le prouve la liste des témoins qui assistent aux principaux actes qu'ils passent devant les notaires, pour marier leurs enfants ou pour tester188. Ils invitent alors deux nobles, le juge de la Cour commune, le préchantre de la cathédrale, cinq chanoines, onze notaires et cinq riches marchands. En 1459, Jehan de Strade, l'official qui poursuivit Guillaume Cobe avec déloyauté, comme le signale la chancellerie royale, Guillaume Jourdan, qui plaida contre Pierre Cobe II, et Pons Jourdan, fils de Guillaume, sont conviés aux contrats de mariage de deux enfants de Pierre Cobe ; ce qui confirme la réconciliation entre les lignages des Cobe et des Chabrit, alliés des Jourdan. En 1466, dans les testaments de Pierre et Guillaume Cobe, nous relevons la présence de François Garsin, barbier, et de Bernard Garsin, bénéficier de la cathédrale, père et frère de Bertrand, le complice de Guillaume II189.

123Guillaume devient conseiller municipal en 1465, 1469, 1470, et syndic en 1468 et 1474. En 1469, il siège même au côté de son complice, Bertrand Garsin. Le souvenir de leur complicité passée les rapproche sans doute. La fortune de Guillaume en impose à ses contemporains puisqu'il achète des immeubles pour quatre-vingt-dix livres en 1467, pour cent cinquante livres en 1474, pour cent moutons or en 1474, pour soixante moutons or et les arriérés de six ans de loyer en janvier 1475, pour deux cent vingt moutons or en février 1475 ; alors qu'il en vend d'autres pour quatre-vingts moutons or en 1476, et pour cent cinquante livres en 1477190.

124A la fin de leurs vies, les deux frères Pierre II et Guillaume II augmentent la dotation de la chapelle Saint-Jacques fondée par leur aïeul à Rieutort-de-Randon191. Jehan Cobe II, fils de Guillaume, dirige à plusieurs reprises la cité, comme syndic en 1488 et conseiller en 1485 et 1490. Lorsque nous comparons la famille Cobe à celles des Valdin et des Monbel qui usurpèrent le titre nobiliaire, ou aux Robin qui tinrent une place prépondérante dans la société, nous concluons que deux choses freinèrent l'ascension de cette maison et la maintinrent à un rang inférieur à celui de la grande bourgeoisie : l'absence de fils ayant poursuivi une belle carrière ecclésiastique, et le souvenir laissé par le comportement de ces garçons turbulents. En fait, dans la seconde moitié du XVe siècle, le seul fils voué à l'Eglise, François Cobe, imite ses père et oncle en se dissipant. Les Cobe, riches marchands, alliés à de nombreux notaires et officiers, offrent un potentiel incontestable pour s'élever dans l'ordre social. Il n'en fut rien, mais leur arrogance en imposa à leurs concitoyens pendant toute cette fin du Moyen Age. Nous sommes surpris du faible intérêt porté à l'Eglise par les hommes de cette famille Certes, ils possèdent leur chapelle et président, comme patrons, aux destinées de ce bénéfice. Ainsi Guillaume et Pierre y présentèrent-ils dom Bartholomé Lebraton en 1465192. Bien sûr, Pierre Cobe épouse la nièce d'un chanoine, mais ces actions répondent à une tactique de sociabilité. La chapelle conforte leur rang, la nièce du chanoine réconcilie avec l'Eglise un homme qui frôla l'excommunication. Les Cobe passeraient presque pour des agnostiques, et cela d'autant plus qu'ils opèrent intelligemment, quand ils ne s'abandonnent pas à leurs dépravations. Ils négocient leurs alliances avec sagesse, comme leurs affaires immobilières et sans doute commerciales ; ils arrangent leurs problèmes judiciaires en recourant à l'archevêque de Bourges ou au roi en personne. Or, ils ne peuvent ignorer ce que tout le monde sait, placer des fils dans l'Eglise facilite tout, mais ils ne le font pas, ou presque pas, malgré le nombre de mâles nés dans leurs oustaux.

IV - LA REVOLTE DE 1468-1469

125A plusieurs reprises nous avons évoqué la révolte des mendois contre l'évêque de Mende, survenue en 1468-1469. A l'époque, Gui de La Panouze a renoncé à son évêché et facilité l'élection de son neveu, Anthoine de La Panouze, déjà membre du chapitre. Guidon, devenu archevêque de Damas, se retire au château épiscopal de Chanac, pendant qu'Anthoine prend en main le diocèse. Mais deux problèmes surgissent alors. Les La Panouze, originaires du Rouergue, conservent leur fidélité aux Armagnac que Louis XI a précisément entrepris d'abattre193, et à ce titre ils indisposent le roi. En outre, les vingt-cinq années de soumission à cette maison rouergate commencent à exaspérer les mendois, généralement habitués à occuper, de temps en temps, le siège de l'officialité, comme Bernard Robin senior official en 1413-1418, Louis Galtier en 1426-1427, ou la fonction de vicaire général, tel le même Bernard Robin en 1420-1422. Gui de La Panouze les exclut factuellement de ces postes et institue vicaires, ses parents La Panouze. Pour diriger l'officialité, il appelle des Rouergats, Jehan de Strade, official en 1444-1460, et Guillaume Malros de 1461 à 1468, reconduit ensuite jusqu'en 1473. Certes l'office de bailli octroyé en 1441, par un prédécesseur de Guidon, à noble Jehan de Corsac reste entre les mains de ce puissant mendois, mais, dès 1466, c'est Amalric de La Panouze qui l'occupe, sans doute après la mort de Corsac194. En fait, seuls les offices de juge temporel et les lieutenances reviennent à des Gabalitains. Gui de La Panouze développe tout de même une clientèle dans la bourgeoisie mendoise, principalement réunie autour de deux personnages, Pierre Monbel I^er et Jehan de Montanhac, mais une grande partie des puissantes familles se sent, à juste titre, négligée, comme les Alamand, les Valdin et l'autre branche des Monbel.

126Charles Porée a narré l'histoire du consulat mendois, mais, en abordant la question de la révolte de 1468-1469, son bel ouvrage, reposant sur les archives des évêques, en particulier sur leurs mémoires dénonçant les exactions dont ils prétendaient avoir été victimes, offre une description très manichéenne ; d'un côté l'évêque de Mende et son parti, honorables martyrs, de l'autre, des bourgeois avides de pouvoir, guidés par l'âpre désir de se venger. L'auteur accepte toutes les accusations portées par l'évêque et rejette celles qui l'incriminaient, allant même parfois jusqu'à douter de la réalité des titres portés par les principaux défenseurs du consulat195. Deux partis s'affrontent : l'évêque et ceux qui jouirent des libéralités de son oncle, d'un côté, le reste de la bourgeoisie, petite, moyenne et grande, appuyé par le roi, de l'autre. Les partisans de Louis XI sont, comme le dit Charles Porée, guidés par des intérêts personnels et des inimitiés plus ou moins anciennes, ainsi Guillaume Cobe agit-il pour le roi, et Jehan Montanhac, auquel il avait naguère juré de se venger, pour l'évêque. François Atger, dit "Fresquet", condamné à une amende par l'évêque joue un rôle actif dans la révolte. Mais l'identité des défenseurs de l'évêque prouve que ceux-ci pensaient aussi à leurs privilèges.

127Quand Anthoine de La Panouze pénètre dans la cité épiscopale, le 21 février 1468196, il se livre à l'une de ces entrées aussi fracassantes que celle de Gui. Des témoins déposeront ultérieurement qu'il fit crier "Armagnac ! Armagnac !", qu'il interdit dans la cathédrale la pose d'un vitrail où figuraient les armes royales. En outre, parmi les accusations officiellement portées contre lui, sont signalés, une lettre adressée au comte d'Armagnac avec quelques "ribaudisés" sur le roi, le fait qu'il s'était rendu à Sévérac auprès du comte avec des gens armés et que les troupes du rebelle avaient trouvé asile dans ses domaines197. Anthoine maintient les mêmes officiers en place, et se situe dans la continuité de l'épiscopat de son oncle. Dès ce moment, les germes de l'insoumission naissent dans les rangs de la bourgeoisie. Mais la révolte n'explose qu'en octobre 1469, avec l'arrivée à Mende de noble Jehan Lansot, secrétaire et commissaire du roi député en cette partie du royaume. Cet homme, également lieutenant du sénéchal de Beaucaire, séjourne à Mende pendant plus de deux ans et joue l'un des principaux rôles, comme agent du roi198. Pendant l'absence d'Anthoine de La Panouze, les 1er et 2 novembre, sous les cris de "Vive le Roi", les armes royales sont placées au-dessus des portes du tribunal épiscopal, les officiers de l'évêque destitués par Jehan Lansot qui nomme Pierre Salvanh juge temporel et Etienne Romieu greffier. Le château épiscopal de Balsièges est confié à Pierre de Peyre et le palais épiscopal mis à sac. Le 25 novembre, le roi ordonne la mise sous séquestre de l'évêché et saisit les châteaux de l'évêque, à Chanac, Villard, Badaroux, Serverette, Cheylard et Grandrieu. En décembre, en raison de la fidélité des mendois envers le roi, tant durant les guerres anglaises que pendant la Ligue du bien public, Louis XI érige le syndicat en consulat et limite les pouvoirs de l'évêque. Charles Porée estime alors que la plupart des mendois sont contre le consulat, mais il s'appuie toujours sur les protestations des évêques, partisanes et peu crédibles. En réalité, outre le désir qu'ont les évêques successifs d'abattre le consulat, il ne faut pas oublier que les premiers mémoires sont rédigés par Anthoine de La Panouze, partisan du comte d'Armagnac, contre lequel des preuves ont été découvertes, et qui doit à tout prix charger ses adversaires afin de se réhabiliter dans l'esprit du roi. Ses continuateurs n'ont plus qu'à reprendre le même genre de témoignages et à contester la valeur juridique des lettres royales érigeant un consulat dans la capitale du comte-évêque.

128Anthoine de La Panouze ne sombre pas dans l’apathie, il proteste auprès du roi en l'assurant de sa fidélité et assigne les consuls devant le parlement de Toulouse et le Grand Conseil. Afin de garantir ses intérêts, il se déplace personnellement à Paris et un acte du 27 avril 1472 stipule qu'il y séjourne pour défendre son Eglise devant la Cour royale, et qu'il a confié le diocèse à son official ; mais il revient dès le 31 août, époque où il autorise la reconstruction de l'oratoire de Saint-Férréol à Rieutort. Il réalise son voyage à Paris en compagnie de son frère, Jehan, qui y est cité alors qu'il adresse une procuration, le 16 mars 1472, afin de faire arrenter ses bénéfices, ce que font ses mandataires les 29 avril et 14 mai199. Les consuls envoient Simon Chabrit, dès la fin 1471, pour les représenter et arguer de la validité de leur cause. Si les La Panouze parvinrent à attirer suffisamment l'attention du roi pour commencer à le faire fléchir en leur faveur200, les tenants du consulat demeurèrent puissants jusqu'à la mort d'Anthoine, en 1473. A compter de ce moment, les priorités de Louis XI se modifient et seule la logique de la continuité, défendue sur place par ses officiers, en particulier Robert de Grand-mont, bailli de la Cour commune, alimente la force des bourgeois. Par contre, les évêques tentent de restaurer la plénitude de leurs droits, dès Jehan de Petit qui jouit d'un crédit personnel auprès du roi201. L'épiscopat de celui-ci, relativement bref, s'étend de 1474 à 1478. Les Rovère le remplacent, Julien, de 1478 à 1483, Clément, de 1483 à 1503, et François de 1504 à 1524. En 1475, le roi réduit les pouvoirs des consuls en renforçant leur dépendance vis à vis du comte du Gévaudan et en ne leur laissant que le titre de consul. Julien de La Rovère, trop absorbé par ses intrigues pontificales, ne se passionne guère pour ce petit diocèse dont son biographe Ivan Cloulas démontre qu'il ne s'agit que d'un bénéfice parmi bien d'autres202. Mais l'arrivée de son neveu, Clément Grosso de La Rovère, ranime le conflit. Pour son entrée dans la cité, en octobre 1485, les mendois se barricadent et exigent qu'il jure de maintenir le consulat Clément obtempère mais il se fait relever de son serment, deux ans plus tard, par l'archevêque de Bourges, et se lance alors dans une grande entreprise de démolition de l'appareil consulaire par la violence, par la procédure judiciaire et par la distribution d'offices aux anciens adversaires des La Panouze. Finalement, en 1494, alors que Charles VIII s'implique dans les guerres italiennes, Clément de La Rovère obtient le retour au syndicat. Les intérêts d'un roi avaient permis aux mendois de gagner une liberté que ceux d'un autre roi leur firent perdre.

129Dresser les listes des partisans du consulat et de ceux des La Panouze s'avère assez difficile, mais une esquisse en est partiellement réalisable. Le 22 septembre 1471, Béraud de Lestang, conseiller et chambellan du roi, bailli royal de Marvejols, reçoit une commission du roi, sur la demande de l'évêque, afin d'intervenir dans le litige. Le 14 décembre, ledit bailli se transporte à Mende afin d'enregistrer les droits des habitants de Mende et ceux de l'évêque. Cet acte, conservé sous la cote G.275, livre l'identité d'une partie des personnes favorables au consulat, et d'une partie de celles ralliées à l'évêque. L'ouvrage de Charles Porée et divers actes conservés dans les registres des notaires mendois fournissent d'autres noms.

130Au début de la crise, le consulat compte une grande partie des notables de la ville, nobles, marchands et notaires203, alors que l'évêque, même s'il n'est pas en reste204, s'attire la sympathie de onze tisserands et de huit individus dont la profession est ignorée, ce qui laisse augurer un statut social relativement bas, ou pas assez notable pour permettre à ces gens de se distinguer par une quelconque activité au service de la communauté. Devons-nous en conclure, comme le fit Charles Porée qui suivait les mémoires des évêques, que le petit peuple se rallia à l'évêque face à la bourgeoisie ? Ce n'est pas exclu, mais les La Panouze n'ont jamais offert l'image de pasteurs dévots et bonasses. Nous avons vu qu'ils s'accaparèrent le diocèse et leur attitude fut celle de grands féodaux venus conquérir le Gévaudan. En fait, ces modestes mendois sont connus grâce à leur protestation de fidélité énoncée devant le bailli de Marvejols, et il est fort probable que les partisans de l'évêque aient racolé une clientèle à bon marché dans les quartiers pauvres de la cité. D'ailleurs, il ne faut pas s'y tromper, la dizaine de tisserands démasque bien une telle pratique. Ces artisans se regroupent dans leur confrérie, et c'est là qu'ils ont été recrutés205. La frange populaire du parti de l’évêque obéit principalement aux consignes de Jehan Montanhac et de Pierre Monbel. Le 14 décembre 1471, l'ordre de citation des mendois qui s'élèvent contre le consulat commence par ces deux personnages, suivis par Guillaume Clapier et François Cayrel, gendres de Pierre Monbel. Ensuite, les autres se font connaître, et cet agencement atteste bien la responsabilité de chacun. Pierre Monbel est un riche marchand de draps et les tisserands, au moins une partie d'entre eux, sont ses sous-traitants. La puissance commerciale de Pierre Monbel demeure inconnue, mais ses fonctions de fermier général lui ouvrent de nombreuses voies sur le Languedoc et le Rhône. Pour preuve de l'aspect commandité de cette démarche par les quelques notables au service de l'évêque, un acte légèrement antérieur : le 4 octobre 1471, deux mois auparavant donc, Pierre Sarrasin, bachelier dans les deux droits, substitut du procureur épiscopal, Jehan Montanhac fils, Jehan Monbel, fils de Pierre, en son nom et aux noms de François Cayrel et de Guillaume Clapier, Garin Dumond, comme commensal de son père Jehan Dumond, interjettent appel devant Jehan Lansot et noble Robert de Grandmont, contre les lettres royales instituant le consulat206.

131Répliquerait-on que ces mendois développent un beau courage en se dressant face à la bourgeoisie alors en pleine possession du pouvoir consulaire, qu'un tel argument, potentiellement fondé, ne nous paraîtrait guère probant car les premières scènes de violence et de risques physiques sont passées. En outre, la venue à Mende du bailli royal de Marvejols démontre aux habitants qu'un officier impartial prend l'affaire en charge. Pour preuve de la modération des partisans du consulat, quand le bailli de la Cour commune, Robert de Grandmont, s'irrite après le notaire Anthoine Teysseire, Jacques de Corsac et Jehan Dumond "Chapelle" retiennent Robert, quitte à subir son courroux. Enfin, les chartes royales ne s'y trompent pas et considèrent que le conflit se déroule entre les habitants de Mende d'un côté et l'évêque de l'autre. Ce sont les évêques qui ont ultérieurement "popularisé" leur parti, non dans le concret mais lors de leurs contestations. Leur but se devine très aisément, ils cherchent à démontrer que leurs ennemis sont voleurs, vicieux, faux, guidés par l'appât du gain et qu'ils pressurent le petit peuple. Ils se posent en victimes absolues et exploitent les malheurs survenus à des pêcheurs et à des chasseurs, dont un pauvre, qui venaient porter une partie de leurs produits au palais épiscopal, malgré l'interdiction des officiers royaux, et qui subirent la colère de ces derniers.

132Le mardi 24 octobre 1469, Jehan Lansot ordonne l'arrestation de Jehan Montanhac, bailli épiscopal, et de Vital Murat, procureur fiscal, après quoi Jehan Brun, Giscard Garnier et Pierre Salvanh saisissent leurs biens. Le mardi 14 novembre, Pierre Salvanh et Guillaume Cros incarcèrent Jehan Murat207. Les officiers du roi frappent donc fort, mais le fils de Jehan Montanhac, encore libre, est en âge de le représenter, ce qu'il fait, peu après, lors d'une obligation datée du 23 octobre 1470208.

133Si des intérêts personnels animent les bourgeois révoltés contre l'évêque, il en est de même de ses principaux partisans. Jehan Montanhac a fait toute sa carrière sous les ordres de Gui de La Panouze. Nous l'avons déjà rencontré lors de l'arrestation de Guillaume Cobe, comme procureur fiscal de 1449 à 1466, après quoi il devient bailli épiscopal d'Anthoine de La Panouze. Sa fille se marie, en 1469, à un neveu de Pierre Monbel. Ce dernier espère tout des La Panouze et sa fille a épousé le notaire François Cayrel. Or, celui-ci est le fils de Guillaume Cayrel, physicien et médecin des évêques Ranulphe de Peyrusse et Gui de La Panouze209. Guillaume Clapier s'est uni à une autre fille de Pierre. Vital de Recoules n'a pas spécialement l'air lié aux La Panouze avant la crise, mais Jehan Montanhac l'accrédite d’une lieutenance. Vital de Recoules a épousé Catherine Brun, fille du boucher Guigon Brun, rallié aux Monbel, comme son autre gendre, Jehan Delclaus, mari d'Isabelle Brun210. Vital Murat est institué procureur fiscal de 1466 à 1472, après le départ de Montanhac211. Etienne Tribulat, notaire de 1441 à 1481, reçoit le greffe de la Cour spirituelle dès le 19 juin 1452. Guillaume Romieu, notaire de 1448 à 1497, devient substitut de Jehan Montanhac en 1457 et entre à la Cour de l'officialité en 1460. Ces hommes ont donc tout à gagner en adhérant au parti de leur maître et n'ont aucun bénéfice à espérer en trahissant ce dernier ; en outre, ils appartiennent presque tous au "clan" de Pierre Monbel, par alliance, affinité ou clientélisme. Leur fidélité, naturelle, s'insère dans un cadre politique, professionnel et familial. Pierre Sarrasin, trop jeune pour avoir servi Gui de La Panouze, étudie à Montpellier en 1468 et rentre promptement à Mende pour se placer sous la bannière d'Anthoine qui le nomme d'abord procureur, dès 1471. En 1472, l'official Guillaume Malros lui délivre une lieutenance, alors qu'il est déjà juge de la Cour temporelle. Il conserve ensuite cette jugerie pendant la vacance de l'évêché en 1473212.

134Alors que les La Panouze bénéficient presque exclusivement du soutien de Pierre Monbel et de son groupe de pression, le consulat ratisse beaucoup plus large et la liste des nombreux notables laisse percevoir que chacun d'entre eux entraîne une certaine quantité d'aussi modestes gens que ces tisserands et ces inconnus cités dans la protestation des partisans de l'évêque du 14 décembre 1471. Le premier pôle de cohésion des "consulaires" se forme autour du roi et du service auprès de la Cour commune dont la plupart des officiers agissent alors pour le maître du royaume. Le bailli de la Cour commune, Robert de Grandmont, seigneur de Gigors et de Vacheri en Valentinois, entre dans le sillage des serviteurs de Louis XI. Il est cité comme conseiller de 1462 à 1477 et comme maître de son Hôtel en 1461213. Son rôle est quasi constant et Antboine de La Panouze lui consacre exclusivement l'un de ses mémoires afin de dénoncer ses abus lors du conflit214. Noble Jehan Dumond, alias Chapelle, est institué lieutenant par le précédent, de 1462 à 1465215, et l'écuyer Giscard Garnier lui succède de 1467 à 1477216. Guillaume Monbel est juge de la Cour commune de 1452 à 1483, Jacques Pelhicier juge d'Appel auprès de la Cour commune de 1466 à 1477217. Dans sa jeunesse, Jacques de Corsac a combattu pour Charles VH en Guyenne. Louis de Bressoles a servi Guillaume de Bresson, conseiller et chancelier du roi, bailli de la Cour commune, comme lieutenant de 1455 à 1458218. François Atger, dit "Fresquet", est panetier du roi en 1469219, Anthoine Dumas secrétaire du roi en 1472. Dom Astorg de Cénaret se qualifie conseiller du roi dès 1471220. Dom Jehan Matusson, chanoine de Mende de 1453 à 1495, a deux frères, Jehan, prieur de Villedieu de 1448 à 1476221, et Jehan Matusson, secrétaire du roi, de 1448 à 1467222. Jehan de Liège détient un office de sergent d'armes du roi. Enfin, d'autres gagnent leurs galons dans la bataille. En 1469, lorsqu'il saisit le temporel de l'évêque, Jehan Lansot confie à Pierre Salvanh la charge de la justice et à Etienne Romieu celle du greffe ; Pierre de Peyre et Jehan de Liège sont commis pour garder le château de Balsièges223, Asperges de Lasfons et Guillaume Cortusson, sergents royaux, gardent celui de Chanac et plusieurs autres placés sous la main du roi224.

135Par contre, un certain nombre des partisans du consulat agissent par mécontentement envers les La Panouze. Dom Jehan Alamand revendiqua une maison canoniale qui fut donnée à dom Jehan de La Panouze. Astorg de Cénaret avait espéré succéder à Gui, mais il fut frustré par le trafic orchestré entre l'oncle et le neveu La Panouze225. De plus, nous avons déjà signalé que le parti des La Panouze avait facilité l'élection d'un fils d'aubergiste, Etienne Boyer, contre lui alors que son oncle le prévôt Guilhabert de Cénaret l'avait proposé à une prébende vacante. Ce Guilhabert, vicaire général en 1443, avait été écarté des hautes responsabilités. Louis de Bressoles a été excommunié en 1463. Robert de Grandmont subit l'opposition des Rouergats pour l'élection de son fils à une stalle de chanoine disponible, même s'il a atteint son but. Pons Jourdan, official de 1441 à 1443, n'a jamais plus occupé cette fonction. Les Corsac, seuls grands seigneurs de Mende, n'obtiennent plus de poste à leur juste mesure.

136Toutefois, le parti des consuls puise également sa cohésion dans des rapports d'amitié et de clientélisme. Quand Pierre Atger, alias "Fresquet", grand-père de François Atger, rédige ses dernières volontés, en 1467, il demande qu'aucun de ses biens ne puisse être vendu, sauf en cas de besoin, et s'en remet alors à l'arbitrage de nobles Robert de Grandmont, Jacques de Corsac, dom Guillaume Monbel et Jacques Pelhicier. Parmi ses témoins, il appelle lesdits Grandmont, Corsac, Pelhicier, ainsi que Giscard Garnier, Pierre de Lizieus, Jacques Cavalier et Jehan Chabrit, frère de Simon Le testament de sa femme, en 1464, est dressé devant Jehan Bestion et Pierre de Peyre226. A celui de noble Jehan de Corsac, nous trouvons Jehan Chabrit, François Garsin, père de Bertrand, Guillaume Cobe et Bernard Born227. En 1462, Jacques de Corsac, fermier général des droits des grands panetier et bouteiller, se substitue nobles Claude Beneyt et Thomelun Matusson, du Puy, pour lever lesdites taxes sur les diocèses d'Uzès, d'Avignon et d'Alès. Après quoi, ces derniers produisent Jehan Matusson, chanoine de Mende, comme fidéjusseur. Lors d'une négociation, en 1469, le même Jacques et son frère, noble Bertrand de Corsac, prennent le prévôt Astorg de Cénaret comme arbitre. Noble Guidon de Cénaret, chevalier et seigneur de Saint-Amans, assiste au contrat de mariage de Jehan Valdin, cousin de François Valdin, en compagnie du prévôt Guilhabert de Cénaret, en 1457228. Le 11 novembre 1465, maître Pierre Enjalvin en appelle au juge de la Cour commune en tant que procureur du baron de Cénaret. Guillaume Sabbatier est sans doute un familier des Cénaret et, une quarantaine d'années avant la crise de 1469, alors qu'il se languissait à Rome, dans le besoin, ce fut Astorg de Cénaret, abbé de Bonnecombe, oncle de l'actuel prévôt de la cathédrale, qui lui apporta une somme de douze moutons or prêtée par un chanoine de Quézac229.

137Enfin, l'union la plus solide s'enracine dans les liens du sang et de l'alliance repérés entre ces nombreux personnages. Nous revenons brièvement sur la parenté existant entre dom Astorg de Cénaret, son frère Bernard, baron de Cénaret, et leur neveu Sigismon de Châteauneuf, baron d'Allenc et du Tournel, pour signaler que noble Jehan Dumond, alias Chapelle, fut tuteur du jeune Sigismon en 1459230. Des cercles d'affinités assez étroits favorisent l'identification de plusieurs groupes de parentèles qui s’élargissent en vertu du principe d'échange généralisé. Jacques de Leyris (C231) est le beau-père de Guilabert Garsin, parent de Bertrand Garsin (C), allié des Maynier. Philippa et Pierre Maynier sont mariés à Bertrand et Hélix Atger, cousin et soeur de Bernard Atger (C). Gérald Maynier s'unit à Hélix Traversier soeur de Jehan (C), cousin de Guillaume Robin (C). Pierre Tonel, oncle de la conjointe de Jehan Traversier (C), a pour beau-frère, Jacques Balmas (C). Guillaume Robin (C) a pour cousin Pons Jourdan (C), demi-frère de Vital Jourdan, gendre de François Valdin (C). Ces Jourdan sont probablement des cousins de Jehan Jourdan (C). Les cousins Anthoine (C) Dumas et Pierre Dumas ΙII (C) sont les neveux de Pierre Atger "Fresquet", grand-père de François Atger (C), neveu de Louis de Bressoles (C). Le frère de Pierre Malel (C) s'apparente lointainement aux Traversier par les Tonel et aux Monbel par les Pelhicier. Enfin, Jaucelin Brolhet (C) est le beau-père de Jehan Brun (C), beau-frère d'Etienne Amat, beau-frère de Pierre Chatard (C). Certains contractent des alliances à cette époque, comme Jehan Bestion (C) qui prend Agnès de Leyris pour femme en 1483, ou Giscard Garnier (C), dont la femme est la belle-soeur d'Anthoine Olivier (C). Isabelle Brun, fille de Jehan (C), se donne à Louis de Liège, fils de Jehan (C), alors que sa soeur, Béatrice de Liège, s'offre à un neveu de Pierre Enjalvin (C). Enfin Pierre Amat, beau-frère de Pierre Chatard (C), épouse Delphine Atger, fille de Bernard Atger (C).

138Toutefois, il ne faut pas croire que les liens familiaux impliquent obligatoirement l'adhésion au même parti. Plusieurs exemples de rupture se manifestent Chez les Brun, alors que Jehan Brun (C) et son beau-frère Pierre Chatard (C) rallient les consuls avec le beau-père du premier. Guigon Brun (E), père de Jehan (C), ses gendres Jehan Delclaus (E) et Vital de Recoules (E) se rangent du côté de Pierre Monbel (E) et Jehan Montanhac (E). Les deux principales branches des Monbel adoptent chacune leur parti, Guillaume Monbel (C) pour le consulat, et Pierre Monbel (E) pour l'évêque. Au sein même de cette branche, alors que Guillaume Clapier (E) rejoint son beau-père Pierre Monbel (E), son beau-frère Anthoine Olivier (C), marié en 1452 à Catherine Clapier232, pactise avec les consuls. Vital de Recoules (E) et son parâtre Jehan Dumond, alias Chapelle (C), veuf de Jehanne Julien, s'inscrivent chacun dans une faction, comme les deux frères Etienne (C) et Guillaume Romieu (E). Les actes ne dévoilent pas les raisons de ces apparentes dissensions. S'agit-il d'anciennes adhésions à des sensibilités différentes dont la force s'exprime plus intensément que la consanguinité, comme chez les Monbel, où Pierre appartient à l'évêque alors que Guillaume maintient son rang de juge de la Cour commune, proche du bailli Robert de Grandmont. Dans ce cas le sang se révélerait moins puissant que le clientélisme. Peut-être les familles s'entendent-elles pour se placer dans chaque camp, assurant ainsi au vaincu la protection familiale du vainqueur. Impossible de trancher entre ces deux hypothèses. De toute façon, les mendois ne se lancent pas dans de grandes querelles et les familles se réconcilient facilement. Ainsi Pierre Vanel II, fils de Pierre I (E), épouse-t-il Marguerite Olivier, fille d'Anthoine (C)233.

139C'est donc un triple mouvement politique qui se dessine : opposition du roi à l'évêque allié du comte d'Armagnac, inimitiés de plusieurs Gabalitains envers les omnipotents La Panouze, et désir d'instaurer un consulat dans la ville de Mende. La lutte, quant à elle, s'enchaîne autour des partis, comme dans les villes italiennes234. Après la mort d'Anthoine de La Panouze, les nouveaux évêques développent une grande entreprise de séduction du parti adverse, en particulier les La Rovère, accoutumés à la tortueuse diplomatie italienne. Maître Simon Chabrit est l'un des membres les plus ardents du consulat. Le 13 octobre 1470, les consuls lui cèdent une créance de quarante-deux moutons or pour son travail accompli afin d'obtenir du roi l'érection du consulat. Le 17 janvier 1477, il est créé procureur par plusieurs de ses compagnons pour les représenter devant le Grand Conseil235. Mais Charles Porée rapporte qu'il entre au service de Clément de La Rovère à partir de 1485 et qu'il arrache de force les clés de la ville aux consuls de l'année236. Cette attitude permettra à son fils, Philippe, bachelier dans les deux droits, de diriger la Cour temporelle en 1497-1498237. Etienne Romieu, un autre adversaire convaincu des La Panouze, nommé pour diriger le greffe de la Cour temporelle par Jehan Lansot, se rallie encore plus tôt à Jehan de Petit, dont il est le procureur général en mai 1477. Cela ne lui porte pas bonheur puisqu'on 1480 il se morfond dans les geôles du sénéchal de Beaucaire, à Nîmes. D'ailleurs, Etienne, assez versatile, reprend le parti des consuls qu'il défend en 1494 en réclamant la réunion du peuple238.

140Comme nous l'avons déjà vu, les Alamand s'imposent très rapidement dans le diocèse. Pendant la vacance de l'évêché, en 1478, dom Jehan Alamand assure la fonction de vicaire général, au temporel et au spirituel, en collaboration avec dom Guidon de La Panouze. La même année, le roi le délègue pour accorder un lods. D'abord ennemis jurés d'Anthoine de La Panouze, Jehan et son frère François savent plier et sympathisent avec les Rouergats, peut-être grâce à François Alamand dont l'honnêteté, la probité et la piété transparaissent souvent dans les actes et l'imposent à ses contemporains. Toujours est-il qu'en 1475 les deux frères agissent comme procureurs des principaux adversaires à leur cause : nobles Philippe de La Panouze, seigneur de Loupiac, Jehan de La Panouze, coseigneur de Servières, son fils, dom Jehan de La Panouze, protonotaire apostolique, Guidon de La Panouze, chanoines de Mende, Pierre de La Panouze, prieur d'Inos, noble Jehan Montanhac, et Pierre Monbel bourgeois de Mende. Le respect des deux partis favorise l'élection de François Alamand, comme évêque, en 1478, après la mort de Jehan de Petit. Mais, sur l'invitation du pape et du roi, le modeste François renonce à son intronisation au profit de Julien de La Rovère, qu'il représente en tant que vicaire général de 1480 à 1483.

141Toutefois, la manne offerte par les La Rovère aux adversaires des La Panouze est antérieure à leur ascension au siège épiscopal de Mende. Le 26 août 1472, Sixte IV, oncle de Pierre Riaro qui succédera à Anthoine de La Panouze de 1473 à 1474 et de Julien de La Rovère, évêque de 1478 à 1483, délivre des lettres apostoliques accordant le prieuré de Saint-Paul à dom Jehan de Grandmont, chanoine de Mende et fils du bailli Robert. La collation audit bénéfice a lieu le 1er janvier 1473, en présence de noble Jehan Dumond, de maîtres Etienne Torrent, Anthoine Dumas, Simon Chabrit, et de dom Guillaume Monbel, tous défenseurs du consulat239. Le pape avait-il déjà jeté son dévolu sur cet évêché confronté à une situation délicate, comme le laisse supposer l'esprit roué de cette famille italienne ? Toujours est-il que, volontairement ou non, il commença à s'attacher la fidélité d'une partie des plus puissants ennemis du pouvoir épiscopal.

142La cause des consuls ne pouvait décemment plus tenir. Le roi les a abandonnés et la bourgeoisie, partiellement exclue des responsabilités par les évêques Guidon et Anthoine, retrouve son importance. La mort de ces derniers dissipe les inimitiés. Enfin, à l'époque où Julien de La Rovère reçoit le diocèse, le bailli Robert de Grandmont disparaît. Dès 1479, un nouveau venu surgit : noble Arthus de La Forêt, écuyer de l'Ecurie du roi, capitaine et gouverneur de Mende. C'est lui qui, en 1481, tue un compagnon de Jehan, bâtard de Clermont, alors qu'il tentait d'arrêter ce dernier. Dès 1483, ce personnage porte le titre de bailli de la Cour commune, qu'il conserve jusqu'en 1502. Or, Arthus était le mari de noble Blanche de Marcenac240, parente d'Isabelle de Marcenac, femme de Jehan de La Panouze IV, neveu de l'évêque Anthoine. Tous les soutiens des consuls sont épuisés, même si Jehan Martin et Jehan Garsin, médecins de Charles VIII, sont les parents des consuls Jehan Jourdan (C) et Bertrand Garsin (C).

CONCLUSION

143Le pouvoir repose entre les mains d'une oligarchie principalement composée des familles de marchands et de juristes, maintenant à l'écart toute une partie de la population, même si d'autres corps de métiers participent aux structures de commandement, en raison de la richesse acquise par un personnage, de ses alliances ou de futilité publique de sa profession. Mais la principale caractéristique réside dans le fait que les intérêts individuels sont indissociables de ceux de la famille et que nul ne saurait faire carrière isolément. Cette affirmation présente certainement une constance repérable dans toutes formes de sociétés, même dans celles qui développent un individualisme forcené. La différence affirmée au Moyen Age tient sans doute à la prépondérance prise par la famille. L'homme existera socialement s'il se rattache à un lignage. Dans le cas contraire, il entrera dans un groupe préexistant en tant que client, à une place inférieure à partir de laquelle il devra s'élever en démontrant sa fidélité, et si la chance le favorise il y contractera une union avec la fille d'un de ses homologues. D'ailleurs, en raison du système d'échange généralisé, il est bien rare qu'un des dirigeants ne puisse se targuer d'être, ou de devenir, le parent des autres.

144Toutes les structures du pouvoir, tant laïques qu'ecclésiastiques, sont commandées par le népotisme et le clientélisme. Les magistrats municipaux, à Mende comme à Chirac, se succèdent de père en fils, de beau-père à gendre, d'oncle à neveu, de cousin à cousin, et les mêmes parentèles monopolisent les mandats. L'entrée dans l'appareil syndical, ou consulaire, tout en résultant des élections, s'opère bien du fait de l'affiliation de l'élu à une famille ou à un groupe de pression, et les nouveaux venus se font d'abord accepter en participant à une tâche subalterne, comme la levée des impôts, démontrant ainsi leurs aptitudes et leur probité. Un mauvais esprit, confronté à certaines malversations, se demandera si l'initiation ne consiste pas aussi à vérifier que l'arrivant se montre disposé à accepter certaines règles occultes et à ne pas perturber l'ordre tel qu'il est établi par les familles en place. Il faut tolérer les exonérations accordées à certains oustaux, les sous-arrentements délivrés à un tiers auquel on associe un parent quelques jours plus tard, les fermes parfois cédées à faible rendement si le délégué est un modeste habitant, ou avec un fort profit s'il s'agit du fils de Pierre Monbel. Enfin, ces notables placés à la tête de l'administration partagent parfois de vieilles complicités dont il est malvenu de rappeler le souvenir, comme à propos de Guillaume Cobe et Bertrand Garsin, associés dans un viol.

145Ces grandes familles bourgeoises, généralement enrichies dans le commerce, et la noblesse destinent une partie de leurs fils aux études, et s'accaparent ainsi les offices de justice et de bailliage. Le début de l'appropriation des offices est manifeste ; il suffit de penser à Guillaume Monbel IIΙ et son fils Jehan VI, juge de la Cour commune de 1452 à 1512, alors qu'à Marvejols, Pierre et Michel de Chabane occupent la jugerie royale de 1429 à 1483241. Et quand le père et le fils ne siègent pas au même poste, du moins suivent-ils des carrières parallèles, constituant déjà une catégorie de fonctionnaires polyvalents. Polyvalents dans la mesure où ces hommes passent de la justice à l'administration du bailliage, d'une seigneurie ou de la commune, voire du fisc, consécutivement ou simultanément. L'Eglise elle-même se plie à une pratique identique et ses bénéfices sont distribués en vertu de nombreux marchandages, intrigues et accommodements qui assurent aux fils de famille d'obtenir une place en fonction de leurs rangs : l'évêché de Mende, les prébendes cathédrales ou collégiales, prieurés, cures, rectorats et chapelles.

146Si certaines familles se contentent de s'infiltrer dans un seul secteur, comme les ruraux, plutôt tournés vers l'Eglise car trop loin des intrigues citadines, ou comme les artisans, incapables de fournir des fils à la municipalité, à l'Eglise et à l'administration régionale, les plus grandes s'installent bien à tous les postes. Et certaines réussissent même à envoyer des procureurs au parlement de Toulouse.

147En période de crise, que celle-ci résulte d'un crime de droit commun ou qu'elle soit politique, comme lors de la révolte de 1468-1469, les structures familiales et les clientèles servent de base à la constitution de factions. Et même si quelques parentèles s’entre-déchirent, ou se séparent un moment en raison d'intérêts divergents, la consanguinité et le noeud de l'hymen jouent toujours un rôle important Les partisans se regroupent en fonction de leur appartenance à une famille, et si deux branches d'une même maison adoptent des partis opposés, nous constatons que la réconciliation survient un jour ou l'autre et nous pouvons nous demander combien la diplomatie et le calcul n'anticipent pas sur des prises de position distinctes.