1L'instruction, assurée par l'intermédiaire des écoles ou par l'apprentissage, se révèle incontestablement le meilleur agent pour garantir l'avenir des individus non privilégiés par la naissance et pour les positionner dans le reste du corps social ; nul ne saurait le contester, même au Moyen Age. En cela, elle joue un rôle essentiel dans les rapports famille-société. Le fils reprendra-t-il le métier du père ? Sera-t-il formé par ce dernier ou par un tiers ? Partira-t-il étudier au loin, dans une université ? Les parents désireront-ils lui permettre de dépasser leur propre condition sociale ? Que signifie le respect de la tradition professionnelle ? Que déduire d'un changement de carrière entre deux générations ?

2Tant de questions se présentent Afin d'y répondre, il convient d'élargir nos outils de travail à d'autres documents que les testaments et les contrats de mariage, même si le premier type de documents se révèle très utile dans la mesure où un certain nombre de testateurs prévoient l'avenir professionnel de leurs fils en terme relativement précis. Toutefois, nous recourrons aussi aux titres cléricaux et aux contrats d'apprentissage rencontrés lors du dépouillement des registres de notaires. Nous utiliserons également la prosopographie en nous appuyant sur près de quatre mille fiches biographiques concernant les ecclésiastiques, les notaires, les officiers, les médecins et les universitaires gabalitains vivant entre 1350 et la fin du Moyen Age. Enfin, les notes collectées sur les familles de ce pays révéleront également des informations particulières afin de déceler la perpétuation, ou non, des métiers au sein d'un même lignage.

3La problématique est bipartite et nous interroge sur deux points essentiels : la formation et la tradition. Derrière la formation se pose précisément la question des études, de l'apprentissage et de l'entretien des jeunes postulants au sacerdoce.

I - LA FORMATION

A - Les études

1°) Les lieux d'études

4L'enseignement au Moyen Age demeure assez mal connu dès qu'il s'agit de traiter des petites écoles et des collèges qui précédaient le départ d'un jeune clerc pour l'université. Qui formait les jeunes ? L'image assez répandue montre le prêtre du village dispensant son savoir aux jeunes paroissiens, élisant son élève le plus doué pour le destiner à un avenir plus prometteur, alors que les autres iront travailler aux champs, avec leur père, ou dans l'échoppe familiale. Cette perspective inquiète, si nous l'accolons à celle d'un clergé considéré comme inculte, parfois même illettré. Jean-Louis Gazzaniga cite des textes selon lesquels : "Nous voyons quasi tous les prestres savoir lire, sinon à grand'peine, et en contant les syllabes" ; il rapporte que le curé d'Aubiet "ne scet lire ne escrire" et qu'une religieuse converse de Notre Dame de Leyme "ne sait lire ne chanter". Il ajoute que l'on "déplore sans cesse l'ignorance du bas clergé"1. Pierre Chaunu déclare que "le service auprès des paysans est assuré par les clercs dont la formation a été acquise par le système commun de l'apprentissage"2. La réalité n'est peut-être pas aussi totalement sombre que cela dans le Gévaudan de la fin du Moyen Age, et cette contrée entourée par les montagnes d'Auvergne et par les terres basses du Languedoc paraît relativement bien desservie en pôles culturels3.

5L'enseignement en Gévaudan demeure méconnu pour notre période. Nos sources permettent de déceler la présence d'établissements scolaires dispensant l'enseignement de la grammaire et du chant dans huit paroisses différentes : Jehan Bonet enseigna à Rieutort-de-Randon en 1477, Pierre Atrasic dans les écoles de musique d'Auroux en 1461, Vital Bodo dans celles de grammaire du Malzieu en 1461, après quoi Guillaume Olier lui succéda en 1463, Jehan Cavalier dans celles de La Canourgue en 1503, et Jehan Guitbald à Gabriac en 1480. Pierre Albiac était recteur des écoles de Marvejols en 1470, et Jehan Albi le remplaça dès 14824 ·. La très bonne synthèse réalisée sur le pays par Félix Buffière cite l'école de Mende en 1407, et le "studium" de Saint-Germain-de-Calberte fondé par le pape Urbain V en 1363, mais considère que le premier collège d'enseignement fut fondé en 1554 à Mende par le chanoine Pierre Atger. Ces deux villes sont les plus renommées pour leurs études. Les clercs recevaient l'enseignement de la grammaire et du chant au "studium" de Saint-Germain-de-Calberte et les plus instruits allaient passer un examen à Avignon, avant d'entrer, pour les meilleurs, dans les universités de la cité papale ou de Montpellier5. Dans nos sources, les écoles de Mende apparaissent, pour la première fois, en 1399 et nous connaissons dix ou onze des recteurs qui se succédèrent. Pierre Decero, en 13996, Vital Tamescha, prêtre et recteur de Saint-Gervais, en 14057, Pierre Dupuy, de 1444 à 1449, le prêtre Astorg Saysi, de 1455 à 1460, Anthoine de Serre, avant 1475. Enfin Durand Feudi, prêtre, dirigea les écoles en 1470 et de 1481 jusqu'à sa mort au début de 1485. Entre temps, un conflit surgit entre Jehan Vital et Gérald Achealme, sur la régence des écoles d'arts ; et le premier se désista en faveur du second contre une indemnité de huit écus, en 1465. En 1472, Pierre Delcros céda sa place à Bartholomé de Lisieux, mais Bartholomé n'obtint certainement pas le poste, ou ne le conserva que quelques jours, car Pierre Bodet était en poste trois semaines plus tard8.

6Comme toujours au Moyen Age, les établissements d'enseignement se composaient d'une multitude de petits locaux. L'exemple de l'université de Paris se montre à ce sujet significatif puisque cette institution regroupait au moins "trente-cinq collèges fondés par des prélats ou des chanoines bretons, normands, picards ou champenois pour leurs compatriotes"9. L'université de Montpellier n'échappe pas à la règle, comme nous le verrons plus loin. Les simples écoles suivent le même principe, ce qui explique pourquoi les actes utilisent toujours le pluriel pour les désigner. A Mende, nous avons la preuve que les écoles de grammaire s'agrandirent progressivement au gré des donations. Alors qu'elles sont déjà mentionnées en 1399, un siècle plus tard, en 1482, Anthoine Ferrier lègue l'une de ses maisons, composée de cinq étages, à la chapelle Saint-Anthoine, qu'il vient d'instituer, tout en ordonnant que les deux chapelains y tiennent une école de grammaire10. Les compétences des enseignants paraissent reconnues. Vital Bodo, Jehan Bonet, Jehan Cavalier, Pierre Atrasic, Pierre Decero et Guillaume Olier se qualifient de "maîtres". Ce terme dissimule-t-il un titre universitaire non révélé dans l'acte ? C'est fort possible, et même probable en ce qui concerne Jehan Bonet11. Par contre, tous les autres professeurs ont obtenu un diplôme universitaire. La distinction dans les arts est la plus fréquente. Vital Tamescha n'arbore jamais le moindre titre universitaire, mais nous savons qu’il est licencié ès arts de l'université de Toulouse en 140312. Jehan Albi et Astorg Saysi détiennent leur maîtrise. Pierre Bodet, Durand Feudi et Pierre Dupuy ont passé le même examen, mais le premier a été reçu aux deux baccalauréats en lois et en décret, le second n'a que celui de décret mais s'est inscrit en théologie ; quant au troisième il a délaissé le droit pour son premier degré en théologie. Les syndics de Mende et les consuls de Marvejols confient donc la direction de leurs écoles à des maîtres compétents, spécialisés dans les arts, mais parfois même ès droits ou en théologie.

7L'ambition professionnelle de ces personnages ne les limite pas au plaisir de l'enseignement et certains aspirent à s'élever encore. Astorg Saysi, prêtre de Mende de 1454 à 1478, et maître de chant, quitte la régence des écoles et part étudier à l'université de Paris en 1462. Il ne reste toutefois pas longtemps dans la capitale puisque le minutier le mentionne à nouveau à Mende en 146413. Pierre Dupuy abandonne Mende pour exercer ses talents comme régent des écoles de Nîmes, de 1451 à 1460, et il parvient au grade de licencié en théologie. Les professeurs de la cité épiscopale assurent une renommée suffisamment attractive pour que des étudiants se déplacent de l'ensemble du pays. Une donation datée de 1491 livre l'identité de sept d'entre eux : et démontre que les jeunes gens venaient aussi bien de la région de Mende Saint-Bauzile, Balsièges, Servières_, que du sud Hures, dans le Causse Méjean, Ispagnac_, voire du nord-ouest Arzenc-d'Apcher_, ou du nord-est _Saint-Jehan-la-Fouillouse14. La documentation n'indique pas toujours l'origine géographique des professeurs. Bartholomé de Lisieux est le fils d'un mendois et le petit fils du notaire Jehan Durand. Parmi ses frères, nous connaissons Anthoine, prêtre bénéficier dans le diocèse de Valence, ainsi que Jehan et Pierre, tondeurs de draps à Mende15. Vital Tamescha naît à Verreyrolles, dans le nord du Gévaudan. Pierre Bodet, originaire de Saint-Flour, a deux frères, marchands dans la grande cité auvergnate, alors que sa soeur se marie à Mende. Durand Feudi occupe un canonicat, dans le diocèse de Saint-Flour, à Vastres où vit sa famille. Le recrutement ne se restreint pas au Gévaudan, même s'il reste circonscrit aux limites du Languedoc et de l'Auvergne. Nous sommes en présence "d'enseignants migrateurs", comme nous l'avons déjà constaté avec Pierre Dupuy. Une fois de plus nous observons que les Gabalitains ne vivent pas en vase clos, repliés sur eux-mêmes. Le contact reste permanent avec les autres régions du royaume. Et même après son départ, Pierre Dupuy demeure toujours en relation avec le diocèse de Mende dans lequel il possède des intérêts16.

8Une fois préparée dans l'une des écoles gabalitaines, une partie des jeunes clercs partait pour acquérir une formation universitaire. Si nous nous en tenons à la liste, dressée par Jacques Verger, des Gabalitains ayant adressé une supplication aux papes d'Avignon entre 1378 et 1403, afin d'obtenir un bénéfice ecclésiastique, nous constatons que 46,25 % de ceux dont l'université d'origine est connue étaient inscrits à Toulouse, 26,85 % à Avignon et 26,85 % à Montpellier17, ce qui nous autorise à conclure que le plus gros contingent d'étudiants se rendait dans le sud-ouest. Le choix de l'université et de la spécialité fait par un peu plus de trois cent trente étudiants nous est parvenu, ce qui nous permet de constater l'influence de la matière enseignée dans la sélection de l'université, en tenant compte du fait que l'intéressé a fait, ou fera par la suite, une carrière dans l'Eglise ou dans le monde laïc. Les inscriptions en droit canonique parmi les ecclésiastiques représentent 80,70 % du corpus d'Avignon, 61,30 % de celui de Montpellier et 59,35 % de celui de Toulouse18. Chez les laïcs19, les pourcentages passent respectivement à 57,50 %, à 18,30 % et à 37,50 %. L'enregistrement des premiers en droit civil descend à 14,05 % à Avignon, 32,25 % à Montpellier et 12,50 % à Toulouse, alors que les taux concernant les laïcs sont respectivement de 33,75 %, de 15,50 % et de 20 %. La nette prédilection des ecclésiastiques pour le droit canonique et le fait que cette matière représente le plus gros pourcentage des inscriptions à Avignon ne surprend pas. De même l'importance générale accordée aux droits, soit en décret, soit en lois civiles, ne saurait étonner dans la mesure où le réseau universitaire méridional s'orientait plutôt vers ce type de spécialité, négligeant la philosophie et la théologie20. Si quelques étudiants ès arts et en théologie se présentent à Avignon et à Montpellier, c'est principalement l’université de Toulouse qui se charge de les former. En effet, parmi les étudiants ecclésiastiques de Toulouse nous relevons 15,50 % d'inscrits ès arts, 9,35 % en théologie et 3,10 % en grammaire, les proportions pour les laïcs passant respectivement à 27,50 %, à 2,50 % et à 10 %.

DIAGRAMME - XXIII. Répartition des matières enseignées selon les universités et l'état des étudiants (*)

9Enfin, 64,80 % des laïcs et 3,20 % des ecclésiastiques qui se rendent à Montpellier s'orientent vers la médecine. L'étude de cette science a été favorisée chez les Gabafitains par l'influence du pape Urbain V. Le 25 septembre 1369, alors qu'il se trouvait à Viterbe, ce dernier ordonna la fondation à Montpellier du Collège Saint-Mathieu, aussi nommé Collège des ΧII médecins du Gévaudan. Le pape réservait cet établissement à douze étudiants en médecine originaires du diocèse de Mende. La direction en était confiée à un recteur élu par les élèves qui nommeraient le plus ancien et le plus élevé en grade dans la science médicale21. Ce Collège assura une grande renommée aux Gabafitains dont plusieurs devinrent médecins du roi ou chanceliers de l'université de médecine de Montpellier. Bernard Corsier fut médecin de Charles VI qui l'anoblit en 139222. Jehan Martin devint médecin du Dauphin en 1480, puis resta à son service quand ce dernier monta sur le trône, et obtint la confirmation des privilèges de l'université de Montpellier, en 1485, avant d'en devenir le doyen, tout en occupant le rang de premier médecin de Charles VIII jusqu'à sa mort, à Blois, en 1491. Jehan Garsin passa au service de Charles VIH en 1486 avant d'être anobli en 149523. Jehan Trosselier, élu chancelier de l’université de Montpellier, fut nommé premier médecin de Charles VIII qu'il accompagna en Italie où il mourut, près de Sienne, en 149524. Jacques Angeli fut chancelier de l'université de médecine de 1433 à 1455, comme Martial de Genouillac en 1470. Déodat Bassol occupa la même fonction de 1474 à 1479 après avoir successivement servi Charles VH et Louis XI25.

10Pierre Etienne, membre du Collège en 1432, licencié en médecine établi à Albi de 1447 à 1458, fils d'un cordonnier mendois, correspondait avec son ami Jacques Coitier, médecin de Louis XI26. Et cette célébrité franchit le cap du XVIe siècle, puisque le mendois Jehan Bragaho senior régentait l'université de médecine de Montpellier en septembre 151627.

11Quelques Gabalitains, peu nombreux, se rendirent dans d'autres universités. Pierre Valdin, fils et frère de notaires mendois28, partit à Bologne où il conquit sa licence ès lois29. Pierre Monbel et Astorg Saysi, dont nous avons déjà parlé, allèrent suivre leurs études à Paris. Noble Astorg de Cénaret, fils du baron de Cénaret, licencié en décret et bachelier ès lois, étudia à Orléans et à Montpellier30. La plus proche ville de Cahors n'offrait guère d'attrait et nous ne connaissons qu'un personnage à y avoir effectué son cursus universitaire ; encore est-ce après notre période.

2°) La dotation

Le legs testamentaire

12Le désir de faciliter ou de renforcer l'établissement d'un prêtre issu de la parenté, tant par le sang que par l'affinité, se manifeste dans 18,30 % des testaments. Toutefois, une différence s'affirme selon l'état du testateur et cette démarche est adoptée par 32,10 % des prêtres, 18,20 % des hommes laïcs, et 10,40 % des femmes31. En outre, le nombre de parents bénéficiant d'une gratification à ce titre n'est pas toujours le même. Si nous ne considérons que les instruments dans lesquels les testateurs attribuent de tels legs, nous constatons que 10,35 % des femmes se préoccupent de deux personnes et 3,45 % de trois, alors que toutes les autres ne s'intéressent qu'à une seule à la fois. Chez les hommes, les rapports sont respectivement de 8,55 % et de 4,85 %. Par contre, 22,65 % des prêtres allouent un legs à deux parents voués à l'Eglise, 1,90 % à trois et 3,75 % à quatre, comme le chanoine François Bompar32. 75 % des légataires des femmes entrés dans les ordres ou voués à l'Eglise et 82,90 % de ceux des hommes sont choisis parmi leurs garçons, alors que les filles ne représentent que 6,25 % des premiers et 1,05 % des seconds. Ensuite, les hommes portent leur attention sur leurs neveux et leurs frères, ce que les épouses font moins fréquemment ; les petits-enfants et les cognats constituant une faible part des bénéficiaires. De leur côté, les prêtres privilégient leurs neveux qui forment 61,95 % de l'ensemble de leurs légataires particuliers attachés au sacerdoce, à leurs petits-neveux correspondant à 12,65 % de ces donataires, à leurs frères pour 11,25 % ; les autres parents ainsi distingués étant leurs cousin, tante, soeur et nièce, ainsi que divers proches mal identifiés.

13Assez curieusement, l’encouragement à la prêtrise s'affirme plus comme un phénomène rural. En effet, si nous excluons les prêtres dont la majorité s'est installée à Mende sans que nous ne connaissions toujours avec certitude le lieu d'origine, pour n'étudier que le cas des laïcs, nous notons que 54,85 % des testatrices et 51,60 % des testateurs ayant un parent prêtre, ou destiné à le devenir, vivent à la campagne alors que 43,90 % des testaments émanaient de campagnards. Dans les Cévennes, citadins et paysans confondus, seuls 16,65 % des hommes et 41,15 % des femmes se soucient de voir un parent se consacrer au service de Dieu, ce qui confirme à nouveau la faible expression de la Foi chrétienne des Cévenols. Parmi les citadins les plus portés à formuler un tel legs figurent les notaires et leurs épouses, suivis de près par les marchands et les tisserands33. Toutefois, à propos de ces derniers, nous devons pondérer l'information car cette corporation a fourni de très nombreux testateurs. Ensuite, nous rencontrons des boucher, cardeur, hôtelier, homme d'armes, juriste, mercier, officier, pareur de draps, serrurier, tailleur, teinturier, des épouses de tisserand, de forgeron, de carrier et des nobles, hommes et femmes. En ce qui concerne les prêtres, nous enregistrons que 33,35 % des chanoines et 19,35 % des curés prodiguent une telle libéralité.

14La nature de ces allocations adopte des formes très diverses. Soit les testateurs adressent une somme d'argent, des meubles ou des immeubles, voire un mélange des uns et des autres, à un parent déjà entré dans les ordres, ou à un jeune qui devra faire carrière ecclésiastique, soit ils offrent les moyens d'étudier à un enfant ou le victum et vestitum à un membre du clergé.

15Les femmes prodiguent principalement leur bonté à ceux qui sont déjà parvenus à la prêtrise, comme Aygline, femme de Pierre Alègre et mère d'un moine de Castres. Leurs legs ne représentent parfois qu'un bien modeste symbole ; Hélix Couhde, veuve de Jehan Girard, n'offre que cinq sous à son frère, Guillaume Couhde, prieur de Saint-Julien-du-Tournel. Les ecclésiastiques se montrent presque aussi nombreux que les femmes à privilégier les parents qui ont suivi la même vocation. Ainsi François Bompar, chanoine de Mende, octroie-t-il quatre livres à son neveu, Anthoine Chasal, curé de Saint-Gai, en 1442. Mais les hommes confortent également la position d’un familier entré dans les ordres, comme le tisserand Jehan Amat qui baille vingt-cinq écus à son fils, dom Jacques Amat, en 1424.

16Les ecclésiastiques contribuent principalement à encourager ceux qui pourraient accéder aux ordres majeurs et offrent fréquemment un bréviaire, comme Vital Balmelas qui laisse les deux siens à ses neveux Vincent Bastier et Guillaume Balmelas, sous condition qu'ils deviennent, l'un et l'autre, prêtres. Cette intention inspire rarement les laïcs des deux sexes, mais dans ce cas le legs de ces derniers atteint parfois une grande valeur puisqu'en 1429 Raymonde, veuve de Vital Sabbatier, attribue sa maison du pan de Claustre à son fils, Guillaume, clerc chorier de la cathédrale qui deviendra plus tard chanoine de Mende.

17Pour leur part, les hommes s'intéressent essentiellement à la formation et à l'instruction des jeunes. Ainsi, 53,70 % de leurs légataires élus parmi les familiers voués à l'Eglise, ou déjà intégrés à celle-ci, reçoivent-ils un don leur permettant de suivre des études. Nous pouvons ajouter 16,85 % de bénéficiaires, parvenus aux ordres majeurs, qui jouiront du victum et vestitum afin d'exercer tranquillement leur sacerdoce. Les pourcentages descendent à 18,75 % et 9,40 % chez les mêmes héritiers particuliers institués par les femmes et à 8,45 % et 1,40 % chez ceux des prêtres. Le père assure donc en tout premier la responsabilité financière de l'avenir professionnel des jeunes, même s'il en délègue l'exécution à son successeur, généralement un frère du futur ecclésiastique.

18Plusieurs testaments mentionnent un legs en argent à remettre quand l'intéressé aura atteint l'âge mûr et le devoir imposé à l'héritier de tenir le jeune fils in scolis, comme ceux de Bartholoma Bonald et de son mari, Raymond Companch, de Balsièges, en 1411. En 1476, Privat Bardon ajoute que son fils Pierre sera pourvu de cibo, potu, vestitu, habitatione et lecto34. Comme nous le verrons plus loin, d'autres instruments détaillent les conditions dans lesquelles se dérouleront les études.

19Quand les testateurs pensent à l'avenir de prêtres déjà ordonnés, ils s'expriment de diverses façons. En 1452, Béatrice, veuve de Privat Almueys, défunt notaire de Vébron, grève son fils, dom Bertrand Almueys, d'un fidéicommis résidant en un droit d'administration, de domination et d'usufruit jusqu'à sa mort. Raymonde Fabri, de Chirac, déclare que son garçon, Pierre Monastier, jouira de tout ce qui lui sera nécessaire pour vivre. En 1462, noble Pierre de Corsac, prieur de Saint-Geniez-d'Olt, obtient de son père le victum aux frais de l'héritier paternel. La soeur de Pierre, noble Catherine de Corsac, moniale de l'Arpajonie, à Millau, se voit octroyer une pension annuelle. Mais les testaments ne sont pas les seuls instruments à conforter l'établissement des ecclésiastiques qui se trouve parfois renforcé par des donations entre vifs comme celle du marchand Anthoine Molenchier en 1448. Ces donations "post-ordinations" correspondent factuellement à des titres cléricaux et c'est ainsi que Jehanne, femme de Bernard Ambert, de Vaissière (Saint-Léger-du-Malzieu), dénomme son legs en 1451. Quand un garçon ne bénéficie que de l'aide pour s'instruire, il lui faudra ensuite "courir" après un bénéfice ou un titre clérical. En 1466, Jehan Badaros senior offre l'entretien in scolis à son neveu Privat Badaros ; dix ans plus tard, un autre Jehan Badaros, neveu du précédent et cousin germain de Privat, constitue un titre clérical à ce dernier35. En fait, les deux démarches, paiement des études et entretien "post-ordination", se complètent ; la première est parfois assortie de ce titre clérical, alors que l'obtention du second ne se concrétise que si le postulant a bénéficié d'une allocation antérieure pour rémunérer ses maîtres et acheter ses livres.

20On avantage généralement le garçon voué à la prêtrise par rapport à ses frères. En 1427, Eldine, veuve de Jehan Vanel, carrier mendois, remet vingt-quatre écus à son fils Pierre, alors que Jacques Vanel, prêtre de Mende, en enlève soixante avec une tasse pesant quatre onces d'argent. En compensation, Jacques priera pour elle. Les testaments des femmes imposent souvent une telle pratique religieuse en les assortissant de l'obligation de prier pour elles et leurs familles. Toutefois, des exceptions surgissent et quelques testateurs avantagent les garçons demeurant dans "le siècle" ; cependant, cette dernière attitude caractérise sans doute un comportement, avant tout, nobiliaire. En 1462, noble Jehan de Corsac prodigue douze cents écus à son fils marié, Bertrand, et ne consacre que dix livres et l'entretien à vie à son second fils, Pierre, prieur de Saint-Geniez-d'Olt. La grande bourgeoisie qui épouse occasionnellement les manières de la noblesse ne délaisse pas celle-là. En 1482, Pierre Monbel livre l'universalité de sa succession à son fils Jehan. Un frère de ce dernier, Pierre, prieur de Lanuéjols, ne disposera que d'une maison et d'un ort, alors que Guidon obtiendra tous les biens immobiliers et rentes que le testateur possède à Marvejols et à Montrodat, ainsi que six cents livres de créances à prendre dans ses livres de comptes. Il est vrai que Pierre avait déjà dû coûter cher à son père puisqu'il avait étudié à Montpellier et à Paris. Parfois, une ostensible égalité cèle une évidente inégalité. En 1434, Pierre Pelhicier, opulent marchand mendois, destine cent moutons or à chacun de ses fils, Jehan et Jacques, aplanissant toute jalousie. Mais, dans les faits, le second est clerc et prieur de Saint-Etienne près de Millau, ce qui atteste qu'il a déjà dû grever le budget familial en frais d'études qui n'apparaissent pas dans ce décompte36.

21Cette valeur non identifiée représentée par les débours d'entretien marque précisément la différence avec d'apparents préjudices. En 1454, Urbain Aragon, riche boucher chiracois, lègue deux cents livres sur ses biens à son fils, Philippe, et cent autres Sur la dot de sa femme, alors que Guillaume, ne recevra que cent livres sur les siens et cent sur la dot maternelle. En compensation, Guillaume pourra étudier pour devenir prêtre et bénéficiera du vivre jusqu'à la fin de ses jours. En 1482, le marchand Jaucelin Brolhet laisse trois fils ; l'un est cohéritier avec sa femme, l'autre, Jehan, notaire à Toulouse, reçoit quarante livres, le dernier, Jacques, prêtre de Mende, n'obtient que vingt livres, deux tasses pesant six onces d'argent chacune et un collier d'argent. Par d'autres actes nous savons que Jacques était bénéficier et possédait ses propres revenus. La valeur des objets précieux compense presque l'écart entre les deux sommes d'argent, et cet exemple démontre qu'une fois le prêtre établi, l'inégalité observée à son profit se révèle inutile et injustifiée37. En fait, l'établissement d'un enfant dans l'Eglise exige un revenu minimum, tant pour l'instruire, que pour lui permettre de vivre jusqu'à ce qu'il se voie conférer un bénéfice lui assurant les subsides nécessaires pour se nourrir, se loger, se vêtir et assumer ses responsabilités de pasteur. Moins un homme est riche, plus ce coût s'avérera proportionnellement important dans le budget familial, contraignant ainsi le père à désavantager les autres garçons. Ainsi le paysan doit-il plus fortement pourvoir le futur prêtre que les autres mâles, parfois livrés à leur propre destin, alors que le noble ou le riche bourgeois dotent les religieux plus modestement que les fils à établir dans le siècle, pendant que les gens modestes, mais relativement aisés, maintiennent un équilibre approximatif.

22Le prêtre reste souvent à la charge de la famille qui doit l'entretenir, en particulier tant qu'il ne possède aucun bénéfice ecclésiastique38. En 1437, Pierre Bonet, de Rieutortet (Rieutort-de-Randon), évoque cette dernière condition. Les testateurs prescrivent donc souvent la vie commune entre l'homme d'Eglise et ses proches, mais le bénéficiaire de cette pratique doit se montrer honorable. En 1461, le notaire mendois Jehan Enjalvin prodigue à son fils, dom Martial Enjalvin, les aliments nécessaires sur ses biens et un bréviaire, en ajoutant qu'au cas où Martial se comporterait malhonnêtement son héritier universel serait quitte de tous droits contre dix livres. Notre documentation permet de suivre occasionnellement ce type de relations instituées par voie testamentaire. En 1462, noble Jehan de Corsac commande que son cadet, Robert, clerc chorier de la cathédrale, bénéficie du victum et vestitum avec son héritier, Jacques de Corsac, des fiais d'études s'il souhaite en suivre, et de quatre cents livres solvables à raison de dix par an. Robert partit dans une université où il obtint son baccalauréat en droit canonique avant 1477. Il tarda à se faire ordonner puisqu'il demeura simple clerc titulaire d'un surplis dans la cathédrale jusqu'en 1480 et ce n'est qu'en 1482 que nous le voyons désigné comme prêtre. Tout ce temps, il vécut comme commensal de Jacques au nom duquel il accorda de nombreux lods de 1463 à 1483 ; Robert apparaît bien comme le second, le représentant et le procureur de Jacques. Mais le bienfaiteur respecte aussi l'indépendance du futur prêtre en lui laissant la possibilité de vivre seul, comme Urbain Aragon39.

23Les biens personnellement alloués servent souvent à constituer un fonds immobilier destiné à doter les générations successives d'ecclésiastiques. Après la mort de l'intéressé, ils rentrent dans le patrimoine familial, entre les mains de l'héritier universel des ascendants qui les redistribuera à un autre prêtre de la famille. Dézidérade Galtier, épouse de Bernard Sarron, de Saint-Léger-du-Malzieu, transmet deux prés à son fils, le prêtre Jehan Sarron, et stipule que tout reviendra à ses successeurs après la mort de Jehan. Le bréviaire suit fréquemment cette filière familiale. En 1460, le chanoine Pierre Atger lègue à son neveu Etienne Atger, prieur d'Albaret-Sainte-Marie, ses deux bréviaires, l'un grand, l'autre petit, qui écherront ensuite "au plus proche clerc de sa race, apte à se promouvoir au sacerdoce". En 1427, Jehan Marquez, curé du Born, offre le sien à son neveu, Jacques, sous-diacre ; après quoi l'ouvrage échouera entre les mains de Jehan Marquez, un autre neveu, qui le retransmettra au prêtre le plus proche de la famille, lequel le restituera ensuite à l'héritier installé sur le patrimoine paternel de Nozières40. Et de très nombreux exemples de ce genre pourraient être livrés.

Les études

24Théoriquement l'accès à la prêtrise se réalise sur près de quatre années. Trois ans séparent la tonsure de l'acolytat ; après quoi l'acolyte met généralement un an pour se faire ordonner prêtre41. Plusieurs testateurs fixent le nombre d'années pendant lesquelles leurs légataires étudieront à leurs frais. Le délai le moins long, prescrit par dom Jehan de Fenils en 1460, prévoit que Raymond de Saint-Astier aille in scolis durant trois ans. Raymond Balmelas, de Moylet (Rieutort-de-Randon), paie quatre ans d'études, Catherine, femme de Vital Baret, Pierre Bestion, du Born, et le chanoine François Bompar cinq années. Ensuite, nous relevons des durées de six ans au profit de Guillaume Montanhier, en 1411, et Bertrand Geymar, en 1438, sept ans pour Jehan de Beaucaire, en 1475, neuf pour le clerc Raymond Bonet, de Rieutortet, en 1437, et dix pour Guillaume Marco, de Saint-Martin (Born), en 142742.

25La difficulté consiste à déterminer à quoi correspondent ces années. En effet, plusieurs de ces jeunes gens destinés à recevoir de l'instruction ont été tonsurés et disposent sans doute déjà d'un "minimum culturel" ; aussi nous demandons-nous si ce cursus ne prévoit qu'une école ou l’université. Vincent Bergonhon et Pierre Mercoeur déclarent que leurs fils fréquenteront les écoles de grammaire et de musique. Bernard Fayssac et Benoît de La Mare font éduquer leurs garçons en grammaire et en logique, Jacques Abolenc et Jehan Tuffier senior en grammaire, logique et musique, et Pierre Delcros en "grammaire, logique et autres sciences". Devons-nous logiquement conclure que ces jeunes gens se rendront dans l'un des établissements scolaires du Gévaudan ? Une telle conclusion s'impose en partie ; toutefois le départ pour une lointaine université reste toujours envisageable selon le niveau atteint par l'écolier au moment de l'entrée en vigueur du testament. En outre, certains testateurs prescrivent bien le séjour dans l'une des grandes villes universitaires. En 1475, dom Jacques Ferrier assure l'entretien septénaire de son neveu, Jehan de Beaucaire, en recommandant que ses héritiers, doms Etienne et Anthoine Ferrier, l'envoient à Toulouse ou ailleurs où ils voudront. Jehan de Beaucaire étudie à Toulouse en 1477, et détient son baccalauréat en droit canonique dès¹⁴⁸¹43^. Il a donc suivi un cursus honorable puisque Jacques Verger nous apprend qu'il fallait six ans d'études pour devenir bachelier en décret à Paris44. En outre, Pierre Charle senior ordonne à son héritier de payer le salaire des maîtres d'Etienne, son fils, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans45, âge légal d'accès à la prêtrise qui laisse également deviner un enseignement supérieur de longue durée.

26Le coût annuel fixé par les testateurs se révèle de valeurs très inégales. Certains se contentent d'affirmer que l'héritier soldera le salaire des maîtres, d'autres ajoutent qu'il devra "solder les maîtres" et "pourvoir des livres nécessaires"46. Jehan de Fenils offre à Raymond de Saint-Astier une somme de quinze sous annuels pour le salaire des enseignants. Pierre Bonet alloue une émine de céréales. Jacques Ferrier se montre plus généreux en décidant que chacune des sept années d'université de Jehan de Beaucaire sera garantie par une somme de vingt moutons or. Ce dernier exemple autorise une plus juste évaluation En 1422, Guillaume Morrebrun, bénéficier de la cathédrale, lègue à son neveu, Guillaume Morrebrun, une somme de cinq cents livres que le chanoine François Bompar conservera afin de la distribuer progressivement en livres de droits, vivres et vêtements, après quoi il disposera du reliquat pour obtenir une prébende en faveur de Guillaume. L'oncle augmente ce legs du prix de vente de l'ensemble de ses ustensiles de maison47. Au quotidien, les études universitaires dépassent le budget initial. Les étudiants ont deux possibilités, soit obtenir un bénéfice ecclésiastique en adressant une supplication au pape, ce que remit légèrement en question la Pragmatique Sanction, ou en obtenant des lettres de nomination de leur université »48, soit recourir aux donations entre vifs. En 1447, Pierre de Naves, chanoine et sacriste d'Uzès, étudiant à Toulouse qui ria pas assez d'argent pour ses études, reçoit trente francs or de sa mère, noble Hélix de Cadoëne, veuve de Jehan de Naves, seigneur de Mirandol en Gévaudan, ainsi que dix sous de cens, et trois moutons or cédés par Naudette d'Orlhac, épouse de Guillaume de Naves, seigneur de Mirandol et frère de Pierre. En 1477, Bernard Garsin, prêtre et notaire de Mende, renonce en faveur de ses neveux, Jehan Garsin, licencié en médecine, et Guillaume Garsin, bénéficier de la cathédrale, à tous ses arrérages de cens dus par les héritiers de Pierre Atger, afin de pourvoir à leurs besoins en livres d'études49. L'effort ne sera pas vain puisque Jehan Garsin devint médecin du roi, comme nous l'avons signalé plus haut. Ces personnages jouissent souvent de revenus personnels : Pierre de Naves est sacriste, Guillaume Garsin bénéficier de Mende. Mais, comme bien d'autres individus issus de milieux aisés, ils apparaissent en état de nécessité. En 1430, Guillaume Morrebrun, précédemment rencontré, devenu bachelier ès lois à Toulouse, enlève une donation de noble Jehan de Corsac qui lui cède ce qu'il perçoit sur quatre hommes de la Malène. Guillaume a-t-il déjà épuisé les cinq cents livres léguées par son oncle ? Même l'accès aux Collèges réservés aux Gabalitains est coûteux ; Jehan Garsin avait simplement besoin d'ouvrages, mais en 1496, nous voyons le mendois Georges Agasse vendre un étage de sa maison du pan de Claustre contre trente livres pour payer les lettres de collation au collège des ΧII médecins de Montpellier qu'il avait obtenues en faveur de son fils, Jehan50. Etudier, ou faire étudier un fils, requiert donc de grands sacrifices allant jusqu'à l'aliénation du patrimoine foncier de la famille ; encore convient-il ensuite de fournir un titre clérical, un bénéfice ecclésiastique ou un office civil.

Le titre clérical

27Les jeunes postulants à la prêtrise, pas encore pourvus d'un bénéfice ecclésiastique, se soucient généralement d'obtenir un titre clérical lorsqu'ils accèdent à l'acolytat puisqu’il est indispensable pour passer au sous-diaconat51. Le titre clérical doit permettre au futur ordonné de vivre décemment. Nicole Lemaître rapporte qu'en Rouergue, entre 1417 et 1563, 3,10 % seulement des ordinations se faisaient au profit de bénéficiers, toutes les autres étant accordées sur des biens familiaux52. Nous ne disposons pas d'évaluations similaires pour le Gévaudan mais la proximité des deux pays autorise à supposer qu'il n'existait pas de différences entre eux, et le minutier lozérien conserve la trace de plusieurs constitutions de ce type intitulées titulus clericalis et titulus presbiteralis53. En outre, nous avons déjà signalé que 16,85 % des légataires voués à l'Eglise par des testateurs laïcs recevaient l'équivalent d'un titre clérical, ainsi que 9,40 % de ceux des testatrices et 1,40 % de ceux des prêtres. De plus, parmi ceux qui étaient destinés aux études, environ un tiers obtenait également cet entretien "post-ordination".

28Si nous nous en tenons aux seuls titres cléricaux constitués par donation entre vifs, nous constatons que 47,35 % d'entre eux furent formés par un frère, 21,05 % par un père, 2,65 % par un père et un frère, autant par un oncle, un cousin, un beau-frère et 18,40 % par un bienfaiteur étranger à la famille. En Rouergue, Nicole Lemaître a relevé des chiffres bien différents puisque les deux tiers des bénéficiaires avaient un donateur, un quart le père, un quart le frère, alors que ceux qui en avaient d'eux se trouvaient pourvus pour 17 % par le couple père-frère ou père-mère54. La variation est encore plus grande par rapport aux legs testamentaires dont la plupart sont adressés par le père, ou la mère, alors que le frère demeure largement négligeant. En fait, ces nuances entre le lien de parenté unissant le bienfaiteur et son donataire, ou légataire, résultent indéniablement du type et de l'époque de la rédaction de l'acte fondateur. Le testateur agit souvent au bénéfice d’un enfant en bas âge, il ordonne la formation d'un titre clérical et décède. Au moment de la constitution, le père ayant disparu, c'est le frère, héritier institué, qui prend la relève. Le père, encore vivant, se repose occasionnellement sur son aîné, comme dans la famille Alcays, où la donation est consentie par le frère du donataire, Pierre, qui s'engage à faire ratifier par leur père. Ce processus chronologique explique donc la plus grande présence de clercs fiés à leur bienfaiteur par un lien de fraternité dans les donations, et par un lien de filiation directe dans les testaments. Nous notons aussi que 55,25 % des constituants sont des ruraux, ce qui correspond à peu près à la moyenne relevée dans les testaments. 10,50 % sont nobles, 7,90 % habitent une ville sans que nous ne connaissions leur profession, 5,25 % exercent le métier de tisserand, autant celui de pareur de draps ; les autres pratiquent comme charron, fustier, marchand, meunier, notaire ou prêtre.

29Les motivations commandant cette libéralité s'inspirent des impératifs matériels et de l'action caritative ou dévote. Spirituellement, les parents sont guidés par l'amour, comme Laurent Gely. Les protecteurs, nobles, bourgeois ou artisans aisés, agissent afin d'obtenir la rédemption pour leurs péchés ou ceux de leurs proches, tel Pierre Aldebert ou Bérenger de Moriès. De son côté, noble Aldebert de Bonas et le charron Etienne Ducel ajoutent que l'amour de Dieu les inspire. En fait, tous ces donateurs se garantissent les futures prières et la clientèle d'un homme d'Eglise. Si l'intervention de la famille découle d'un élan naturel tendant à établir un cadet, celle des étrangers satisfait une supplication adressée par le postulant. Noble Guillaume de Cayres répond à la prière de Jehan de Bessière, pauvre clerc d'Alchier. Pierre Galhard, de Chirac, se présente devant le seigneur de Moriès et lui expose qu'il est trop pauvre pour se nourrir et se vêtir dignement, à la suite de quoi Bérenger de Moriès se laisse fléchir en songeant au salut de ses familiers. Une réalité matérielle motive ces charitables intentions : la formation d'un titre clérical est indispensable afin de permettre à l’acolyte de parvenir aux ordres supérieurs, et les actes invoquent continuellement cette raison. Jehan Badaros déclare que son cousin germain n’a pas de bénéfice, Pierre Baldos rapporte que son neveu ne peut devenir prêtre faute de titre clérical, Jehan de Saint-Bauzile n'a ni bénéfice, ni de quoi vivre pour parvenir "aux ordres sacrés presbytéraux". Le dénuement des jeunes clercs n'atteint pas toujours l'absola. En 1399, Jehan Marquez reçoit le victum et vestitum de son protecteur, Pierre Gibelin ; or un autre acte démontre que la collation de la chapelle des Peyre fondée à Saint-Sauveur-de-Peyre lui avait été conférée au début de la même année. Sans doute le revenu de cette chapelle ne suffisait-il pas pour assurer un train de vie honnête. Le but essentiel de cette démarche réside donc bien en ceci : assurer au futur pasteur les moyens d'assumer ses responsabilités dans la décence.

30Peu après l'obtention de son titre clérical, l'acolyte souscrit au sous-diaconat, au diaconat et à la prêtrise. Le 28 février 1467, Anthoine Cruvelier, de Nojaret, octroie à son frère, Bernard, acolyte, une chambre de sa maison et le victum et vestitum. Le 16 avril de la même année, Anthoine alloue un bréviaire en donation entre vifs à Bernard, devenu sous-diacre. Et le 31 juillet, un instrument précise que Bernard est prêtre. Ensuite, en règle générale, le titre clérical ne dure que pendant la période où le jeune prêtre demeure sans bénéfice ecclésiastique. Quinze constituants imposent une telle clause. Toutefois, six autres bienfaiteurs concèdent un véritable viager. Guillaume Maynard, envisageant son propre décès, énonce clairement que son fils ordonné prêtre pourra vivre avec son héritier universel. Durand Fournier rappelle qu'après la mort du donataire, seulement, tout reviendra au donateur ou à son successeur.

31Derrière une apparente diversité, le contenu du titre marque une relative uniformité. On procure généralement le victum et vestitum ou (et) une rente de dix livres. Comme le signale Nicole Lemaître en Rouergue, le titre clérical patrimonial représente souvent un minimum vital que le corpus de cet auteur évalue à dix livres55. En Gévaudan, 5525 %, des actes n'allouent que le victum et vestitum alors que 28,95 % évoquent la somme de dix livres, seule ou en conjonction avec d'autres biens. Ainsi, 7,90 % des donateurs accordent l'un ou l'autre, 7,90 % l'un et l'autre, 2,65 % les dix livres uniquement et 10,50 % l'alimentation et l'habillement jusqu’à la valeur de dix livres. En principe, ces cas incluent le logement chez le donateur ou son héritier.

3210,50 % des constituants offrent un hébergement à part en plus de la nourriture et des vêtements. En 1467, Anthoine Cruvelier cède ainsi une chambre de sa maison de Nojaret (Badaroux). Plus exceptionnellement, 2,65 % accordent une pension en nature qui rappelle les rentes constituées aux veuves56. Guillaume Tropel consacre ainsi à son frère, Pierre, un oustau nouvellement construit à Auroset, deux petits orts, un pré, une pièce de terre d'une cartalate, et un revenu annuel de deux setiers de seigle, un quintal de viande de porc salé, un carteyron de fromage, et tous les deux ans une robe. Cette pratique apparaît aussi dans plusieurs testaments.

33La vie se montre souvent capricieuse et place parfois les décideurs dans l'obligation de confirmer ce qu'ils ont déjà affirmé. La complémentarité des contrats de mariage et des testaments prescrivant des clauses de vie commune ou des ordres successoraux l'a déjà démontré. La fondation d'un titre clérical n'échappe pas à cette logique et le donateur insiste parfois. Etienne Bertin crée un "titre presbytéral" au profit de son frère, Jehan, en 1462, puis il déclare conforter cet entretien en le confirmant, par voie testamentaire, en 1482. L'ordre délivré par testament ouvre d'occasionnels conflits entre les descendants. En 1457, maître Jehan Enjalvin constitue au bénéfice de son fils, Martial, un titre clérical composé du victum et vestitum ou de dix livres, au choix de Martial. En 1461, Jehan teste en faveur de son fils, maître Pierre Enjalvin, en corroborant cette mesure. En 1463, Martial et Pierre transigent. Le premier réclame son "titre clérical" alors qu'il n'est pourvu d'aucun bénéfice, et le second déclare que son montant dépasse largement ses moyens. Les parties s'en remettent à des arbitres qui conviennent que Pierre soldera annuellement à Martial, en compensation du titre et pour solde de sa légitime, deux setiers de froment, deux de seigle, un quintal de viande salée, treize livres de fromage et quarante sous tournois. En échange, Martial délivrera une quittance de tous ses droits dans les possessions familiales, mais si Pierre récusait le paiement de la rente, le titre clérical resterait valable tant que Martial serait en vie57.

B - La carrière des étudiants

34Les testateurs qui paient les études d'un enfant proclament clairement leur désir de voir ce dernier entrer dans l'Eglise et assortissent souvent le droit ouvert au légataire d'une clause résolutoire qui renforce la puissance de leur volonté. En 1451, Bernard Ambert, de Saint-Léger-du-Malzieu, transmet à son fils, le clerc Guillaume Ambert, dans la perspective où il deviendrait prêtre, un pré, trois champs, un ort, une maison et une pension annuelle d'un setier de froment et d'un quartier de porc salé. En outre, lorsque Guillaume dira sa première messe, les héritiers de Bernard lui remettront du tissu de couleur et vingt-cinq moutons or pour acheter un bréviaire. Par contre, si Guillaume n'entre pas dans les ordres, il n'aura que cinq sous, alors que son jeune frère reçoit un champ et cinq sous58.

35Plusieurs enfants promis à l'Eglise rejoignent effectivement les rangs de celle-ci, comme Anthoine Dumas, pourvu par son grand-oncle, dom Raymond Dumas, en 143459, Bertrand Fayssac, nanti par son père en 143960, Anthoine Fornenc, promis aux études par son père en 146961, Pierre Maynier, avantagé par sa grand-mère Hélix Atger en 147562, Jehan de Beaucaire63 qui reçoit un legs de son oncle en 1475. Certains suivent des carrières intéressantes. Jehan Dedet, destiné aux études par son père en 1390, entre au couvent des frères mineurs de Mende et finit avec une licence en théologie64. L'avenir de Jehan Dumas, fils d'un tavernier mendois, s'avère prometteur en raison de ses liens de parenté avec les Couhde. Son oncle Jehan Couhde junior lui lègue des ouvrages de droit et des meubles en 1434, et son grand-oncle, Jehan Couhde senior, lui transmet ses héritages en 1442. Ce dernier est bénéficier de la cathédrale. Jehan Couhde junior étudie à Avignon et à Toulouse, et obtient une licence en droit canon qui lui permet de devenir lieutenant de l'official de Mende et lieutenant du juge temporel, alors qu'il est prieur de Servières. Guillaume Couhde, frère de Jehan junior, étudie à Toulouse, réussit son baccalauréat en théologie, et dirige successivement les prieurés de Fraissinet-de-Lozère et de Saint-Julien-du-Tournel. De son côté, Jehan Dumas est clerc et étudiant en 1444. Il tient alors un canonicat dans la collégiale Saint-Etienne hors les murs de Montauban où il devient préchantre avant le 12 septembre 1463, dignité qu'il conserve jusqu'en 1476. Entre temps, il se qualifie de bachelier en droit canonique en 1463 puis de bachelier dans les deux droits en 147565.

36En 1438, Bertrand Gisquet, bénéficier de Mende, souhaite que son neveu, Bertrand Geymar, marche sur ses pas66. En 1447, Geymar, qui vit à Changefèges, son village natal, a déjà été tonsuré. De 1455 à 1481, il veille au service de la chapelle Sainte-Anne de Mende dont il est le vicaire67. En 1461, il occupe l'office de marguillier. De 1480 à 1483, il exerce la charge de bailli du clergé cathédral68. En 1482, la collation d'une chapelle lui est conférée. Dès 1482, il arbore le titre de sous-sacriste qu'il conserve jusqu'en 1509 ; l'année suivante il accède à la dignité de sadiste69. Cette modeste carrière s'échelonne sur cinquante années, commençant au simple rang de chapelain pour s'achever par la direction de la sacristie de la cathédrale et elle fit de Bertrand un personnage omniprésent dans les actions du clergé mendois.

37D'autres garçons, bénéficiant d'un support éducatif, renoncent à l'état ecclésiastique pour demeurer dans le siècle. Guillaume Morrebrun étudiera à Toulouse, mais il fera une carrière de juriste et de procureur au parlement de la grande capitale du sud-ouest dès 144870. Pierre Martin commence par suivre la voie ouverte par son oncle le chanoine Guillaume Martin. Des actes le désignent successivement comme clerc en 1455, chorier le 19 juin 1460, étudiant et bachelier en droit canonique le 27 juin, bachelier dans les deux droits le 18 décembre 1462. Le 8 décembre 1463, Guillaume Martin se montre convaincu que Pierre se fera ordonner et il lui lègue l'un de ses bréviaires sous cette condition71. Mais tout bascule vers cette époque : Pierre agit comme lieutenant du juge de la Cour commune de Gévaudan en 1468, il intervient dans la vie mendoise en tant que conseiller municipal en 1469 et en 1472, et au titre de consul le 11 novembre 1472. En 1471, il se dit avocat public et continue à s'imposer dans le pays, obtenant l'office de juge de la Cour temporelle en 1484, et ceux d'avocat et de procureur royal en 148772. Entre-temps, le 14 janvier 1465, il avait épousé Agnès Dumas, veuve d'Astorg Peytavin, dont il eut une fille73.

38Plusieurs enfants ne saisissent pas l'opportunité offerte par leurs familiers afin de s'élever dans l'ordre social. En 1444, dom Guillaume Boayro promet son bréviaire à son neveu, Pierre Paulet, s'il opte pour la condition ecclésiastique, mais ce dernier se marie avant 146274. Nous relevons encore des garçons voués à l'Eglise par leurs parents et qui abandonnent cette filière en cours de chemin. Guillaume Marco laisse plusieurs enfants en 1469, Etienne Delcros se marie en 144975, Pierre Dedet apprend le métier de tailleur76.

39Les constitutions dotales démontrent que des clercs n'hésitent pas à décliner cette qualité lors de leur mariage, comme Pierre Chatbert, de Crueyze (Saint-Sauveur-de-Peyre), en 1407, Jehan Parlier, de Saint-Chély-d'Apcher, en 1418, Etienne Bodet, de Chaulhac, en 1457, et Guillaume Bernard, en 145577. Et chacun défend sa cléricature, gage du "privilegium fori ecclesiastici". En 1466, Anthoine Proset, cordonnier, et André Girard, notaire, se déclarent, chacun de leur côté : clericus cum unica et virgine conjugatus78. Pour sa part, en 1465, Jacques Bodo est "clerc solut et notaire public" alors qu'il est marié depuis dix-huit ans et père de deux filles79. Ce dernier exemple confirme que l'état de clerc solut admet le mariage consommé tant qu'il ne s'agit pas d'un remariage après veuvage. Nos sources nous confrontent à d'autres personnages tonsurés avant de travailler comme artisans ou de se marier. Mais les actes nous mettent aussi en présence de jeunes gens qui tinrent un bénéfice ecclésiastique avant de s'en dessaisir pour devenir laïcs. Afin de convoler, Jehan Ebrard, fils de Jehan, de Marvejols, résigne sa chapellenie attribuée, en 1397, à Bartholomé Grèzes, de Chirac. En 1435, Jehan Laurent, clerc titulaire de la chapelle "dels Laurens" fondée en l'honneur de saint Biaise, résigne son bénéfice pour se marier. En 1444, Jehan Chabrit, clerc de Mende, fils d'un notaire, se démet de tous ses droits sur la chapelle Saint-Loup et Sainte-Marthe qui lui était contestée par Jehan Dumas auquel il la cède. Plus tard, il devient notaire et épouse Jehanne Coste en 144780.

40La relation études-prêtrise paraît évidente. Les prêtres doivent étudier, les études coûtent cher, les parents se sacrifient éventuellement afin qu'un fils entre dans l'Eglise, sa présence rehaussant le prestige de la famille. Mais tous les jeunes n'acceptent pas ce destin ; certains refusent d'étudier, d'autres commencent à le faire puis abandonnent, d’autres encore simulent une vocation qui leur permet d'obtenir un bénéfice ecclésiastique garantissant un revenu qui les aidera à équilibrer leur budget, avant de rejoindre la vie civile. Cette pratique démontre combien la fondation d'une chapelle, ou d'une chapellenie, tenue à disposition d'un descendant, s'insère dans la logique du système en fournissant à chaque génération de clercs d'une maison un bénéfice familial dont le clergé ne conteste pas la collation. La famille qui réussit à insti tuer une rente de dix livres assure perpétuellement l'avenir des cadets. La différence s'impose entre les garçons formés à la grammaire et à la musique dans une école régionale et ceux qui partent dans les grandes villes universitaires. Le fait de porter un titre universitaire contribuait largement à faciliter l'ascension sociale des individus. Il suffit de considérer que "les étudiants nobles venaient après les docteurs, tantôt avant les licenciés, tantôt après eux" lors des processions publiques, même s'ils "précédaient toujours [...] les bacheliers et étudiants non nobles"81, ce qui démontre largement qu'un rang universitaire élevé donnait occasionnellement la préséance sur l'état nobiliaire. Se livrer à une évaluation du nombre de jeunes inscrits dans les universités paraît impossible. Tout au plus pouvons-nous retenir quelques chiffres. 16,95 % de notre fonds de notes biographiques concernent des universitaires, gradués ou simplement immatriculés. Le pourcentage monte à 20,10 % parmi les seuls laïcs, à 36,20 % parmi ceux exerçant une carrière à vocation médicale, mais il descend à 3,30 % parmi les notaires.

41Sur plus de deux mille cinq cents ecclésiastiques à propos desquels nous avons recueilli des détails biographiques, 13,45 % se sont présentés dans une université. C'est donc un pourcentage relativement élevé qui rassure sur le niveau culturel des prêtres gabalitains. 29,85 % de ces érudits sont connus comme simples prêtres, 11,65 % comme moines ; mais, 8,35 % ont reçu une cure, un rectorat ou un bénéfice d'hebdomadier, 14,90 % un prieuré paroissial, 25,95 % un canonicat dans une cathédrale ou dans une collégiale. 6,85 % deviennent officiaux d'un diocèse ; le reliquat est promu au rang d'abbé, de protonotaire, d'évêque ou de cardinal. Si nous étudions le niveau d'études des ecclésiastiques, nous constatons que 51,40 % d'entre eux ont opté pour le droit canonique82, 18,90 % ont ajouté le droit civil, 1,25 % les arts, 0,90 % la théologie, 1,85 % les arts et le droit civil. Ensuite, 10,50 % ont choisi le droit civil, 9,30 % la théologie, 4 % les arts, 0,90 % les arts et la théologie, 0,60 % la médecine et 0,30 % la grammaire. 23,50 % ont atteint le grade de licencié dans l'une de ces capacités, 6,20 % celui de docteur, 4 % celui de maître en théologie ou ès arts et 5,90 % celui de professeur en théologie ou occasionnellement en droit civil. Les études en théologie destinent principalement au couvent puisque 79,40 % de nos théologiens appartiennent à l'un des ordres mendiants, alors que 8,80 % obtiennent une prébende dans la cathédrale de Mende, ou dans une collégiale.

42L'assiduité de certains Gabalitains à payer des études universitaires à leurs fils paraît importante. Tout d'abord, certaines familles semblent envoyer un fils étudier dans une grande cité pour la première fois. Ces garçons appartiennent alors généralement à des oustaux ruraux dont le chef tente de s'élever à la suite d'une prise de conscience dont le processus psychologique ne peut transparaître dans des sources notariales. Ainsi, Jehan Dedet, fils du paysan Michel Dedet, de Bragaresse, s'instruira-t-il en théologie83. D'autres naissent dans le milieu des artisans, mais leurs pères conservent encore leurs attaches rurales, comme Michel Badaros, fils de Jehan, qui deviendra juge de Mende. Le facteur éveillant chez Badaros le désir de voir son cadet faire une carrière reposant sur les diplômes se perçoit plus facilement. Jehan Badaros, sorti de la campagne mendoise, a épousé la soeur d'un notaire formé à Toulouse. Une de ses belles-soeurs a d'ailleurs convolé avec un autre notaire84. Parmi les Badaros, Michel est le premier à accomplir un cursus universitaire, mais il marche sur les pas de ses oncles maternels. Chez les Malel, la volonté d'ascension sociale concrétisée par un séjour dans une université est lente à se manifester. Seul Claude Malel y arrive, à la fin du Moyen Age, mais il n'innove vraiment qu'au regard de la maison des Malel, car l'identité culturelle de son entourage a déjà assimilé la nécessité d'acquérir une culture supérieure. Sa tante, Bombarette, a épousé Jehan Romey (Romieu), beau-frère de Michel Badaros, frère et allié de notaires. Son oncle, Jehan Malel senior, a pris femme chez les Molinier, apparentés aux Germain, parmi lesquels Bertrand avait obtenu une licence en droit canonique. Enfin, par son arrière-grand-mère, Astruge, veuve d'Etienne Chabrit, il est cousin du 2° au 3° degré de Vital Jourdan, bachelier ès lois et procureur au parlement de Toulouse, décédé après 148785. Avec Claude Malel, nous percevons l'influence du niveau culturel d'une famille dans l'émulation qui stimule la volonté d'étudier des fils. Plus un individu compte de parents instruits, plus il aura tendance à suivre un cursus universitaire. Grâce à son père, un paysan qui teste en 1420, Jacques Ferrier étudie à Toulouse et obtient un baccalauréat en droit canonique et une licence ès lois, ce qui lui permet de se hisser à la fonction d'official du diocèse de Castres. Cinquante ans plus tard, quand il rédige ses dernières volontés, Jacques recommande à son tour que son neveu, Jehan de Beaucaire, se rende à Toulouse. Jehan y gagnera son grade de bachelier en décret. Un petit-neveu de Jacques Ferrier, Etienne Bertin, se titre pour sa part bachelier en droit canonique, en 1482. Or, Etienne est le neveu de Jehan Bertin, étudiant en décret à Avignon, en 146086.

43Une famille qui parvient à envoyer un de ses membres sur les bancs d’une université multiplie les chances des descendants suivants ; non par cooptation, mais simplement par reconduction culturelle. Les exemples fourmillent de maisons dans lesquelles chaque génération donne naissance à des universitaires, tant dans la vieille noblesse, que dans celle nouvellement promue, ou dans la bourgeoisie. Les Mirmont, natifs d'Auvergne, mais fortement implantés dans le Gévaudan, grâce à quatre cadets pourvus d'une prébende dans la cathédrale de Mende et parle mariage d'une fille à Etienne, seigneur de Recoulettes, dépêchent Etienne, Albert et Erailh à Avignon où ils étudient le droit canonique. Par la suite, Bertrand de Corsac, petit-neveu d'Erailh de Mirmont, décrochera son baccalauréat en décret dans l'université de Montpellier87. En outre, ce Bertrand de Corsac, apparenté aux Monbel, aux Valdin, et même d'une façon très lointaine au cardinal Pierre Blau, docteur en décret, s'avère ainsi lié à de nombreux universitaires. Chez les Alamand, la démarche se montre encore plus patente. Bernard Alamand I^er, évêque de Condom, se titrait docteur en droit canon en 1369. Ses neveux, Bernard II et François I^er, sont tous les deux licenciés dans la même science. François Alamand II et Pierre Alamand, neveux des précédents, réussissent leurs deux baccalauréats en chacun des droits. Breydette Alamand, soeur de Pierre et François, épouse maître Pierre Sarrat, licencié en droit civil de Toulouse, dont elle a Jehan Sarrat, licencié dans les deux droits. En outre, un de leurs parents, noble Raymond Claret, alias de Saint-Félix, certainement fils de Miracle Alamand, suit des études en droit canonique à Montpellier et se titre, par la suite, bachelier88.

44Avec les familles bourgeoises Monbel, Robin et Valdin, nous notons une très forte tendance à l'encouragement aux études qui deviennent un facteur d'ascension sociale essentiel. François Monbel I^er se qualifie de bachelier. Son frère, Guillaume Monbel II, se rend à Toulouse et obtient son baccalauréat en droit canon et sa licence en droit civil. Leur oncle, Jehan Monbel I^er, bachelier en décret, a deux fils, Raymond, bachelier ès lois, et Guillaume ΙII, licencié dans les deux droits. Le second épouse Isabelle Pelhicier, soeur de Pierre et de Jacques. Pierre Pelhicier est reçu aux grades de bachelier ès lois et de licencié en décret, alors que Jacques est bachelier en décret et licencié ès lois. Jehan Monbel VI, fils de Guillaume ΙII, ne rompra pas avec la tradition puisqu'il se déclarera licencié dans les deux droits, alors que son frère, Astorg, le sera ès lois. Enfin, Pierre Monbel II, un neveu de Jehan I^er, François 1“et Guillaume II, gagnera sa distinction de bachelier en décret89. Les Monbel, alliés à plusieurs reprises aux Corsac, se trouvent liés aux Valdin par l'intermédiaire de Pierre Mathieu, époux de Jehanne de Cubières, dont le cousin germain, Jehan de Rocheblave, s'était uni à Erailhe de Corsac90. Pierre Mathieu, licencié en décret, bachelier ès lois, marié en premières noces à Ferrande Valdin, avaient pour beaux-frères les juristes Guillaume Valdin I^er et Pierre ΙII, euxmêmes neveux et cousins de Privat Valdin I^er, Pierre II et Privat Valdin II, tous formés en droit. Jehan Mathieu, fils de Pierre, partit étudier à Montpellier, et Delphine Valdin, petitenièce de Guillaume I^er, épousa maître Vital Jourdan, bachelier ès lois de Mende et procureur au parlement de Toulouse. Ce Vital Jourdan est le petit-fils d'Astruge, veuve Chabrit, femme Malel, et le fils d'Hélix Chabrit, mariée à maître Guillaume Jourdan, notaire de Mende. Or, Guillaume s'unit d'abord avec Aygline Robin, dont il eut Pons Jourdan, licencié ès lois. Aygline, fille de Guillaume Robin I^er, était la nièce de Privat Robin I^er, maître ès arts, bachelier ès lois, chapelain du cardinal Pierre Blau. Son frère, Bernard I^er, licencié en décret, joua un rôle important dans le diocèse de Mende. Sa soeur épousa Jacques Traversier, dont elle eut Gérald, bachelier en décret. Enfin, son frère, Guillaume Robin, second du nom, fut le père de Bernard Robin II et Privat Robin II, tous deux distingués en droit canonique91. L'étendu du système d'alliances généralisées permet d'aller encore plus loin. Ainsi Agnès Robin et Jacques Traversier donnèrent-ils le jour à Hélix, mariée à Gérald Maynier, dont elle eut Guillaume Maynier, bachelier dans les deux droits. Cette famille Maynier s'allia elle-même aux Atger, parmi lesquels figure Bertrand Atger, docteur en décret, official de Saint-Pons-de-Thomières en 1403 et vicaire général de Toulouse en 140692, et aux Garsin.

45Bien sûr, notre propos n'a rien de surprenant et la logique commandait à des gens instruits de favoriser le développement et la communication du savoir au sein de leur parentèle, mais il restait toutefois à le prouver. Nous sommes plus étonné de constater que la tradition n'incite pas forcément les parents à se rendre dans la même université. Si les Garsin et les Maynier vont tous à Montpellier, si Jacques Ferrier, ancien étudiant de Toulouse, préfère que son neveu, Jehan de Beaucaire, le suive dans la capitale du sud-ouest, sans en faire une condition résolutoire de toute gratification, pour sa part, Bernard Alamand II choisit Montpellier, alors que son neveu Pierre se rend à Avignon, et leur cousin Raymond Claret à Montpellier. Guillaume Monbel III fera ses bagages pour Avignon, Guillaume II pour Toulouse, Pierre II pour Montpellier et Paris, Jacques Pelhicier pour Avignon, et son frère, Pierre Pelhicier, pour Montpellier d'abord, et Avignon ensuite. Il n'y a donc pas d'impératif absolu dans le choix d'une grande cité universitaire, chacun paraissant conserver son libre arbitre, même si l'influence des familiers joue indéniablement un rôle.

C - Les métiers

46Le terme "métier" dérivé du latin "misterium", forme altérée de "ministerium", n'apparaît jamais dans les actes et les scribes utilisent les mots "art" et "office" : artem basteri, artem sabbaterie, officium maccellariorum, officium cardarie ; les deux expressions étant souvent complémentaires : artem et officium sartorie. Les testaments n'évoquent presque jamais la formation professionnelle des gens de métier, les testateurs se préoccupant surtout, comme nous l'avons signalé, de l'instruction des futurs prêtres. Les autres cadets recevaient leur légitime et agissaient en conséquence. Telle aurait été notre conclusion si nous avions été limité à ce seul type de sources. Tout au plus aurions-nous relevé quelques exceptions. Notre curiosité en matière d'enseignement professionnel se satisfait grâce aux contrats d'apprentissage conservés dans le minutier lozérien93. Les instruments utilisent la terminologie locationem famuli ou locationem ancille selon le sexe de l'apprenti et nous ne rencontrons qu'une fois le substantif aprehendissatge, dans le pacte passé en 1480 entre François Bedet et Anthoine Teyssier.

47Ces actes adoptent une forme contractuelle engageant, le patron d'une part, le représentant légal de l'apprenti et ce dernier lui-même d'autre part ; chacun s'obligeant personnellement sur ses biens, le mineur Pierre de Baladuc produisant même dom Guillaume Basalgette comme garant, Jehan Cayron se faisant cautionner par Bertrand Garsin et Georges de Fa par son frère Anthoine. Dans 29,55 % des cas, l'élève se présente seul ; pour le reste, il est représenté pour 29,55 % par son père, 6,80 % par sa mère, 11,35 % par son oncle, 9,10 % par son frère, 2,25 % par son frère et sa tante, 2,25 % par un cousin, le reste par un tiers tel qu'un curateur ou l'exécuteur testamentaire du père. Un peu plus du quart des apprentis n'a pas atteint la majorité légale de vingt-cinq ans, et 25 % de ces mineurs seulement déclarent dépasser dix-huit ans94. En général, le mineur qui agit procède comme Pierre de Baladuc en renonçant à son privilège de minorité. En fait, le père se manifeste naturellement comme le contractant idéal ; la mère agit en tant que tutrice, le frère aîné remplace le père décédé, ou fera ratifier par le géniteur encore en vie. Nous rencontrons inopinément des délégations d'autorité légitimées par des procurations. En 1448, Izens, veuve du cordonnier Déodat Blachieyre, charge Jehan Melzac, prieur des cannes de Lodève, de conduire son fils, Pierre, chez un cordonnier lodévois95, s'engageant à ratifier elle-même le contrat que le moine négociera avec l'artisan. Le patron se fait également représenter : le boucher Jehan Brun délègue sa femme, Agnès Brolhet, et son père, Guigon Brun.

48Il ne semble guère y avoir de métiers qui échappent à l'enseignement communiqué sur le terrain par un maître-compagnon Sur notre corpus d'actes, nous en relevons 13,65 % concernant un cordonnier, 11,35 % un tailleur, autant un tisserand, 9,10 % un boucher, 9,10 % un chaussetier, et encore autant un fustier, 6,80 % un forgeron, 4,55 % un chirurgien, barbier ou physicien, 4,55 % un marchand et autant un mercier ; chaque métier d'argentier, de bastier, cardeur, carrier, pelletier, sellier et serrurier étant évoqué par un instrument. Toutes les corporations recourent donc à cette formation : travailleurs du textile, de la métallurgie, du transport, de la construction, du cuir, du commerce, jusqu'à la médecine. Contrairement à la région génoise où 91,65 % des apprentis de la soie, recensés en 1457-1459, venaient des campagnes96, seuls 43,20 % des jeunes compagnons gabalitains sont des ruraux. Il s'agit de cadets exclus du domaine familial en raison des pratiques successorales. Parmi les jeunes ainsi formés chez un maître, nous relevons 34,10 % de mendois, mais aussi des garçons du Malzieu, de Marvejols, de Florac, de la Canourgue et d'Ispagnac. Enfin, d'autres arrivent de plus loin, des diocèses de Saint-Flour, du Puy, de Rodez et de Fréjus. En contrepartie, les mendois Jehan Pascal et Claude Turquand partent, le premier à Uzès et le second à Pézenas. La majorité de ces placements concerne des garçons mais deux d'entre eux se rapportent à des filles. En 1460, Marguerite est établie par son frère, Raymond Gitbert, chez le tailleur Pierre Bergonhon. Elle sera "servante", mais Pierre devra "la former et instruire dans [son] art". En 1413, Catherine Sabbatier, fille d'un notaire, apprendra le même métier chez Raymond Finet ; toutefois l'accord accentue les clauses d'enseignement pour laisser celle impliquant la servitude de côté. De même, en 1463, Raymond Jourdan, du Viala (Chasseradès), se reconnaît obligé envers Anthoine Bessa, tailleur de Mende, pour le reliquat du coût de "l'enseignement" de son enfant Louise Jourdan "dans l'art de tailleur"97. La profession de tailleur paraît la plus prisée par les femmes. La principale différence entre les deux sexes réside dans l’insistance affirmée sur le respect du maître envers l'élève ; sans doute les parties souhaitent-elles éviter les déviances morales auxquelles la vie expose les vierges.

49Le formulaire est le même que pour un simple contrat de travail et nous avons intentionnellement joint en annexe la synthèse de l'accord passé entre dom Anthoine Vaylet, marguillier de la cathédrale, et Biaise Ramadier. La différence entre le contrat d'apprentissage et le contrat de travail ne résulte pas de la forme, identique, mais du fond. Dans les deux cas l'employé travaillera pour le patron, mais dans le premier type d'actes l'employeur apprendra son métier au second. La relation édifiée entre les parties forge un lien de maître à serviteur, non de maître à élève, même si l'employeur doit transmettre son savoir. L'apprenti se "loue" pour "exercer le métier" en question "et servir fidèlement" en tous "travaux" ou "autres choses licites et honnêtes". Claude Turquand ajoute : "comme il est coutume de foire dans des cas tels ou similaires". Jehan Baron astreint Jehan Cobe à "obéir et servir". Par contre, Pierre Astruc interviendra en tant que curateur et procureur de son employé. Pour sa part, Pierre Michel participera "aux affaires de la maison". En contrepartie, le maître "promet de bien enseigner et instruire" le compagnon dans son métier. Un contrôle sanctionne la qualité de l'enseignement et Claude Taurand subira une inspection de la part d'experts nommés à cette fin Le nouvel artisan ne "dévoilera pas les secrets, sera tenu de s'occuper de l'essentiel et d'éviter l'inutile". Ces secrets à ne pas divulguer sont-ils ceux de la corporation ? Le pacte entre Guillaume Malizie, forgeron de Chasseradès, et André Velayt, fils de Jehan, stipule que ce sont ceux de la maison de Malizie.

50L'obligation dure toute la durée du contrat et l'apprenti s'engage à ne pas quitter son patron Plusieurs actes envisagent une interruption en cas d'épidémie de peste98. En règle générale, maître et apprenti demeureront ensemble, mais dans le cas contraire, le temps perdu sera rattrapé. L'art en question risque de déplaire et Etienne Bestion, qui débutera son stage à compter de la Saint-Michel, bénéficie d'un sursis jusqu'à Noël pour abandonner, avec pour seule obligation de payer les frais occasionnés pendant ce délai. Quand Pierre de Baladuc se place, il convient qu'au cas où son père refuserait cette expérience, ce dernier solderait au patron le salaire dû au prorata du temps. Les accords déterminent des durées de service très inégales. 40,90 % les fixent à trois ans, 25 % descendent à deux, 9,10 % à un, alors que 18,20 % montent à quatre et deux cas seulement atteignent l'un cinq années de travail en commun, l'autre dix. Le métier appris n'influe pas forcément sur cette donnée. Sur quatre bouchers, deux prévoient deux ans, un trois et le dernier quatre. Chez les chaussetiers, le terme varie de deux à trois annuités, chez les cordonniers de deux à quatre, chez les fustiers de trois à quatre, chez les tailleurs et les tisserands d'une à trois. Ces écarts résultent certainement de l'expérience professionnelle déjà acquise par le postulant, Guillaume Calvet et Claude Basset étant déjà qualifiés, le premier de fustier, le second de tisserand. Chacun vient suivre son stage et deux possibilités se présentent, le renouvellement ou le départ chez un autre maître dans le respect bien connu du compagnonnage. Seul Jehan Husson, chirurgien et physicien de Mende, bachelier en médecine, gardera près de lui Anthoine Chati pendant une décennie. Mais il s'agit d'un enseignement complexe, celui de physicien. Jehan envisage d'apprendre à son élève comment guérir les blessures internes, les fractures et comment pratiquer l'extraction de pierre ou de tout autre projectile. De son côté, le chirurgien et barbier Raymond Labro n'accueillera Jehan Ferri que pendant deux ans afin de lui enseigner la "barberie et chirurgie". En 1434, Vital Salaville est supposé partir six ans chez un apothicaire montpelliérain99.

51La question du salaire se manifeste d'une façon assez surprenante. Les trois quarts des patrons sont rémunérés pour leur travail de formation, alors que 6,80 % des apprentis seulement jouissent d'un petit pactole remis à la fin de leur séjour. Bien sûr, le jeune travailleur reçoit généralement nourriture et vêtements de son employeur, ce que nous pouvons considérer comme une forme de rémunération, mais les exemples où le maître alloue une somme d'argent incluent également un entretien vestimentaire. En fait, seul le fustier Pierre Galtier octroie une somme allant de neuf livres à dix livres et demie à chacun des trois employés qu'il embauche, en 1447 et en 1450, pour des périodes de quatre années. En plus il donne des vêtements de valeur. Il est vrai que 68,20 % des maîtres s'engagent à pourvoir aux besoins de leur serviteur. 11,35 %100 offrent la nourriture, 15,90 % dispensent les vêtements, 20,45 % donnent l'alimentation et l'habillement. Robert Sevenier veillera à ce que son élève ait tout ce qui lui sera nécessaire. Entre Jacques Rossier, de Pézenas, et Jehan Turquand, de Mende, la répartition des charges apparaît. Jacques nourrira Claude, le fils de Jehan, et lui fournira les chausses pendant trois ans, alors que Jehan paiera le voyage jusqu'à Pézenas, et les vêtements et souliers de Claude pour lesdites années. Pour sa part, Jehan Rampolh promet de "vêtir et chausser à neuf" son fils pour le carême, alors que le maître s'en chargera pour le reste du temps. D'ailleurs la vêture ne reste pas toujours aux frais de l'employeur puisque Pierre Cobe s'occupera de celle de son frère. Les actes n'évoquent pas tous le problème du logement. 9,10 % placent nourriture et logis aux dépens du patron, et 6,80 % lui imputent l'habillement en plus. Plusieurs accords prévoient que le père, ou le représentant de l'apprenti, veillera à le sedere, tel celui de Pierre Panthacosta. Devons-nous traduire ce verbe par "loger" ou "établir" ? Le contractant promet-il de trouver une chambre au jeune travailleur ou bien considère-t-il qu'il s'agit de le placer dans ce statut d'apprenti chez un maître ? La seconde hypothèse paraît la plus probable car Jehan Orlhac jure de procurer un lit et une habitation à Jehan Turquand, alors que Vital Turquand promet de sedere ledit Jehan, son neveu. Pourquoi cet aspect essentiel de la future vie de l'employé ne retient-il guère plus l'attention des contractants ? Certainement parce qu'il allait de soi que l'employeur lui fournirait un local pour dormir après avoir pris le repas en famille.

52Près des trois quarts des maîtres touchent un salaire, dont le paiement s'effectue selon des termes s'échelonnant du début à la fin du stage, et le mot salarium apparaît clairement dans le contrat passé par Huguet Monnier. Cette rémunération satisfait la charge de l'enseignement qu'ils dispensent ; mais les contrats de Pierre Cobe et Pierre Batut laissent présumer que le tarif inclut l'entretien personnel de l'employé. D'ailleurs l'accord enregistré entre Pierre Daude et Guillaume Vayssota se montre explicite : Pierre Daude percevra cinq cartals de seigle et quinze sous pour un capuchon d'une part, ainsi qu'un setier de seigle et un carteyron de porc salé pour les frais de Guillaume. Le contenu du salaire offre trop de variantes pour que nous puissions en tirer des conclusions. Cependant, et assez curieusement, un élément apparaît presque systématiquement : un capuchon généralement évalué à quinze sous, même si sa valeur monte à un écu, destiné à l'épouse du maître, ainsi honorée. Si nous relevons quelques exemples de tarifs pour trois ans d'apprentissage, nous constatons que le boucher Etienne Teyssier ne recevra rien, le chaussetier Guillaume Talhandier emportera huit écus101, le cordonnier Jehan Garnier, six livres et un capuchon, le forgeron Guillaume Malizie trois livres et un capuchon. Si nous devions nous livrer à une évaluation, très approximative, nous estimerions qu'il convenait d'épargner une somme de dix à quinze livres pour former un fils en l'un des métiers d'artisanat. Une telle dépense cause d'éventuels endettements puisque Raymond Jourdan se vit contraint de contracter une obligation envers l'ancien maître de sa fille, en 1463. Encore le cas des chirurgiens nous interpelle-t-il. Jehan Husson, ce physicien mendois muni d'un baccalauréat en médecine, ne demande rien à Anthoine Chati auquel il communiquera son précieux savoir pendant une décennie, alors que son confrère, Raymond Labro, simple barbier sans diplôme, exige quatre setiers de seigle et la domesticité pendant un an de la mère de son futur apprenti. Probablement Jehan Husson, d'extraction noble, agit-il plus inspiré par l'envie de communiquer son savoir que par intérêt lucratif.

53Le départ en apprentissage joue un rôle important dans les relations familiales. Le fils sort généralement de la maison ; parfois ses pas le guident au loin, comme Vital Salaville qui se rendit à Alès, ou Pierre Blachieyre qui partit à Lodève. Le compagnon s'introduit dans la maison du maître dont il respecte les secrets ; il pénètre dans son intimité et en devient le "familier". Le lien se tisse si fortement que les testaments le mentionnent. En 1435, Raymond Vayssota senior adresse un legs à Jehan Mathieu qui achèvera le terme de son contrat. En 1465, Agnès Petrot souhaite que sa dépouille mortelle repose dans la tombe de son maître qui la forma au métier de tailleur102. Et nous n'avons aucune raison de percevoir, en Gévaudan, les germes d'une mésentente opposant les maîtres et les apprentis, comme celle qu'Henri Pirenne a autrefois relevée dans les villes du nord103.

II - TRADITION ET PROFESSION

54Le respect de la tradition familiale par la transmission héréditaire des métiers et l'innovation par le changement de profession résultent indiscutablement des règles successorales et du facteur démographique. C'est une conclusion que nous avons antérieurement tirée des faits : quand un paysan, ou un artisan, n’a qu'un fils, il l'attache à son exploitation, ou à son commerce, qu'il lui transmettra au moment de sa mort. Si le père a plusieurs enfants, il exclut la plupart d’entre eux de la succession, contre leur légitime, et conserve près de lui ceux que le patrimoine familial peut nourrir. Tel apparat le schéma général et nous comprenons bien que la conjoncture stimule à la fois le traditionalisme et le changement. Chez les paysans, la réalité "colle" vraiment au modèle énoncé : le cadet doit, soit épouser l'héritière d'une autre exploitation rurale, soit, la terre ne suffisant pas à absorber l'excédent démographique, se rendre dans une ville pour y apprendre et y exercer un métier. Chez les citadins, nous sommes dans l'incapacité de percevoir l'éventuel retour à la terre des garçons en surnombre, mais il ne faut pas oublier que la démographie urbaine se révèle moins inflationniste que celle des campagnes ; aussi les cadets, ou plutôt les exclus de la succession universelle, devaient-ils trouver leur place dans un autre corps de métier, soit dans leur ville, soit en dehors du pays. Nous porterons donc plus spécialement notre attention sur la transmission des métiers, dans l'artisanat et dans les "professions libérales".

A - Les artisans

55La transmission héréditaire du métier s'affirme constamment dans la plupart des familles et nous pourrions produire de nombreux exemples de dynasties de marchands, de bouchers, de fourniers, de bastiers, de cordonniers, de forgerons, de serruriers, de tailleurs, de pareurs de draps, de merciers et de tisserands. Quatre générations d'Engles dirigeront leur entreprise de basterie : Bernard Engles, originaire de Saint-Bauzile, bastier de 1441 à 1444, père de Guillaume, bastier de 1441 à 1482, lui-même père de Martin, bastier en 1484-1494, et de Jehan, de 1468 à 1482. Ce dernier n'eut qu'une fille, Hélix, qui lui succéda et épousa André Martin, qui reprit le commerce des Engles104. A Mende, les Petit offrent un exemple plus curieux avec les deux enfants du meunier Pierre, Jehan senior et Astorg, formés dans l'art de la forge et pères respectifs de Jehan et de Guillaume, qui reprennent ce métier, alors que la branche aînée de cette famille, originaire d'Arzenc-d'Apcher, se maintient à la tête d'une minoterie sise dans le faubourg de la cité épiscopale pendant quatre générations, avec Jehan, autre Jehan, Etienne et Madeleine mariée à Jehan Negre105.

56Les Vayssota, aux nombreuses branches, s'installent sur plusieurs générations derrière leurs métiers à tisser, avec Pons et Bertrand, Raymond senior et Guillaume, Biaise, Martin et Jehan, Raymond junior et Jacques106. Il est vrai que le dernier, cadet de sa maison, s'essaiera dans la mercerie avant de devenir parcheminier, laissant un fils, François, qui adoptera cette profession. Cette persévérance dans la pratique d'une même profession implique-t-elle la communication du savoir-faire par le père ou indique-t-elle plutôt l'observance d'une tradition accompagnée de la cession ultérieure du patrimoine familial ? Si la transmission universelle de l'hoirie entre les mains de celui qui a appris le même art semble logique, elle ne se révèle pas toujours si évidente à réaliser. La famille Vayssota le démontre fort bien. En 1442, le tisserand Martin se déclare héritier de son père, Biaise. En 1460, il teste en faveur de son fils, Jehan, placé en apprentissage dans le même métier quelques mois auparavant ; ainsi Biaise, Martin et Jehan assurèrent-ils la direction de l'échoppe familiale. Par contre, la situation paraît plus complexe chez leurs "cousins" Raymond et Guillaume107. En 1435, Raymond Vayssota senior, marié à deux reprises, rédige ses dernières volontés au bénéfice de son fils Guillaume Vayssota I^er, né du premier lit, prêtre bénéficier de la cathédrale, et n'accorde qu’un legs de dix moutons or à son autre garçon, issu de sa seconde femme, Guillaume II, alors clerc. Aucun des mâles ne réunit les capacités nécessaires pour assumer la responsabilité immédiate de la boutique et c'est sans doute pourquoi Raymond exige que son "familier" Jehan Mathieu achève la durée de son contrat. En 1448, après avoir atteint l'âge parfait, le jeune Guillaume se place en apprentissage chez le tisserand Pierre Daude. Cinq ans plus tard, son frère, Guillaume I^er, l'institue héritier universel. Ainsi l'atelier paternel, confié pendant plus d'une décennie à la surveillance de l'homme le plus instruit de la maison, un prêtre, revient-il au fils initié à la maîtrise du tissage. Le cas de Guillaume Vayssota présente un autre intérêt dans la mesure où le jeune homme a dû apprendre son métier à l'extérieur de l'ouvroir familial. D'autres le suivent sur cette voie, comme Pierre Bonafos en 1447108.

57En 1460, Martin Vayssota, tisserand doté d'une expérience de près de deux décennies, confie son fils, Jehan, à Vincent Bastier qui l'instruira in arte texeriorum pendant trois ans. L'idée paraîtra saugrenue de la part d'un tisserand compétent, fils de tisserand. Mais Jehan Vayssota ne part pas chez un inconnu. En effet, en 1425, lorsqu'il marie sa fille, Biaise Vayssota, père de Martin, se déclare "germain" de dom Paul Bastier, oncle de sadite fille. Paul est très certainement parent de Vincent Bastier, même si nous rien avons pas retrouvé la preuve formelle ; aussi Jehan se rendait-il chez un parent. En 1463, Guillaume Vayssota II établit son "consanguin", Claude Basset, fils d'un défunt carrier mendois, chez le tisserand Raymond Daude, un parent de son ancien maître Pierre Daude, faisant ainsi perdurer les relations entre les parentèles des Vayssota et des Daude. De son côté, Jacques Vayssota, cousin germain de Martin, prend plusieurs apprentis dans son atelier. En 1473, son cousin Pierre Blanquet, du manse de Blanquet (Grèzes), lui confie pour un an, Guillaume Brunei, neveu de Pierre et petit-cousin de Jacques. Ainsi l'éloignement du jeune garçon, commandé par les nécessités professionnelles, ne cause-t-il pas toujours une rupture entre l'enfant et la famille qui sont impliqués dans un vaste réseau relationnel basé sur le sang, l'amitié et la confraternité. Le recours à un patron inconnu existe, mais chacun l'évite dans la mesure du possible afin de garantir la tranquillité d'esprit aux parties : le maître qui désire que son aide respecte son engagement de "ne pas révéler ses secrets", et les parents qui souhaitent une transmission sérieuse du savoir.

58Parfois, le contrat de mariage d'une fille garantit l'apprentissage au bénéfice du gendre. En 1458, Jehan Turquand, mercier mendois alors en formation pour trois ans chez Jehan Orlhac à la suite d'un contrat passé en 1457, se fiance avec Françoise, fille de Jehan Olier. Ce dernier s'engage à héberger le futur couple pendant six années et à instruire les deux fiancés dans son métier109. Ces exemples confortent l'image d'une certaine reproduction des schémas familiaux en matière professionnelle, même lorsque les faits décèlent d'apparentes fractures.

59Toutefois, bien des maisonnées nous confrontent à des changements de statuts ; mais il faut distinguer les cas où un individu pratique conjointement deux professions distinctes, ce qui peut laisser croire, en cas de défaillance de l'information, que le père et le fils n'exercent pas le même métier. En effet, il n'est pas rare qu'un même personnage soit contraint de cumuler les emplois. Pierre Angalier senior et Pierre junior, père et fils, sont taverniers et teinturiers de 1445 à 1458. Pierre Astier tient une taverne et un atelier de tissage en 1426. En fait, quelques métiers se recoupent assez fréquemment avec d'autres, ceux d'hôtelier ou tavernier, de tisserand, de fournier et de sergent. Jehan du Fournial, fournier en 1468-1471, est tisserand en 1470. Colin Boet se dit tisserand et sergent ordinaire en 1461, Jacques Esquieu, cordonnier et sergent en 1472, et Jehan Vacheri chapelier et geôlier, en 1509110.

60C'est souvent le statut de cadet qui contraint le garçon à adopter un autre métier que son père, comme chez les Bestion. En 1463-1483, Jehan Bestion II oeuvre comme cordonnier, alors que son père et son frère se disent marchands et hôteliers111. La famille Michel, de Chirac, offre des évolutions intéressantes sur plusieurs générations112. Etienne Michel I^er, simple laboureur des Violes, eut trois fils : Raymond I^er, Etienne II et Guillaume ΙII. Raymond et ses descendants demeurent sur l'exploitation familiale aux Violes. Etienne II travaille comme brassier à Chirac et laisse quatre fils ; trois seront tisserands, le quatrième prêtre. La vie de Guillaume III reste un mystère pour nous ; tout au plus savons-nous qu'il fut le père de quatre garçons : Pierre I", Guillaume IV, Raymond IV et Etienne IV. Guillaume se fait tailleur, Etienne et Raymond, fustiers, comme leur neveu, Pierre II, fils de Pierre. Cette situation présente un intérêt indéniable pour les Michel ; tous parents, ils occupent des secteurs économiques aussi essentiels que l'agriculture, la menuiserie et le textile, avec des parents dans l'Eglise.

61Le choix des nouvelles professions ne se réalise certainement pas au hasard et l'affluence de garçons dans un foyer permet à la famille de tenter d'accaparer le marché en répartissant les tâches entre eux. Jehan Scot vécut comme tailleur de 1428 à 1450. Il eut au moins trois garçons, Mathieu, Gonet et Etienne. Comme son père, Mathieu appartenait à la confrérie des tailleurs en 1435, mais son propre fils, Guillaume, devint chaussetier dès 1459. Etienne Scot s'affilia également à la confrérie de Sainte-Lucie, avec son père, son frère, et son beau-père Pierre Arnald, mais il se proclama toujours tondeur de draps. Pour sa part, Gonet est marchand en 1449 et chaussetier en 1454113. Ces Scot opèrent donc dans la fabrication, comme tondeur de draps, dans la transformation comme tailleur et dans la vente.

62L'ascension sociale commande, pour le fils, un choix différent de carrière par rapport au père. Raymond Cros exerce modestement à Mende comme peigneur de laine, l'un des plus bas échelons du secteur du textile, de 1441 à 1458. En 1443, son fils, Guillaume, s'élève légèrement en devenant tisserand, ce qu'il reste jusqu'en 1447, avant de détenir une sergenterie de 1458 à 1475. En 1475, son petit-fils, Guillaume, travaille au cardage114. La tentative de "décollage social" entamée par Guillaume Cros n'a pas abouti, mais il est vrai que sa famille tomba dans le discrédit après que sa femme eut commis un grave adultère. Elle réussit mieux chez les Bauzile. Audin Bauzile, fabricant de chandelles, eut deux fils, Jehan, prêtre bénéficier de 1419 à 1466, et Pierre qui devient cardeur dès 1459 et teste en 1478. Pierre lut le père d'Astorg, Etienne, Guidon et Jaucelin. Les trois premiers reçoivent un bénéfice dans la cathédrale et le dernier prend la succession de son père115. En 1457, Jacques Garidon, paysan natif de Saint-Laurent-de-Veyrès, se marie à Mende avec Catherine André. Comme son frère Durand, il peigne la laine pour les tisserands. Durand eut deux fils, Guillaume, tisserand marié à Mende en 1471, et Pons retiré dans la teinturerie à Albi en 1483. Cette modeste promotion réussit, favorisée par les nouvelles implantations géographiques116, et nous observons que les exilés se montrent souvent novateurs.

63Le changement de métier, expression momentanée d'une cassure avec le traditionalisme, institue souvent une nouvelle coutume familiale. Le carrier Jehan Vanel eut trois garçons ; l'un entra dans les ordres et dirigea la cure de Rieutort-de-Randon pendant plus de vingt ans ; les deux autres, Raymond I^er et Pierre I^er, se lancèrent dans le commerce de la mercerie et ouvrirent cette voie à leurs propres enfants, Pierre II, Jacques II et Pierre ΙII se titrant occasionnellement "marchands"117. Sur les six fils de Pierre II, l'un fut marchand et deux blanchisseurs et merciers au début du XVIe siècle. Encore l'adoption d'une nouvelle profession se réalise-telle parfois en plusieurs étapes, en vertu de la lente progression individuelle. Jacques Vayssota, déjà rencontré, apparaît à Mende comme mercier, en 1436, aux côtés de son père, le tisserand Raymond junior. En 1441-1443, il s'installe à La Canourgue où il vit de mercerie, puis revient dans la cité épiscopale vers 1450. Dès 1457, il hérite de l'atelier de tissage paternel qu'il dirige pendant plusieurs années. Toutefois, en 1470, il se recycle, se fait parcheminier, et son fils François lui succède dans cette voie118.

64Plusieurs artisans modestes, tisserand ou fournier, acquièrent une sergenterie afin de s'élever dans l'ordre social. François du Fournial, foumier de 1458 à 1460, fils d'un foumier, est sergent en 1471. Martial de Lascols, tisserand à Mende en 1463, est qualifié de sergent royal de 1468 à 1483, et rallie l'ost royal dans lequel il remplace noble Jehan Montanhac en 1472. Jehan Ginhos, tisserand et fils de tisserand en 1442, obtient une sergenterie qu'il conserve de 1449 à 1466. Par la suite, un parent de Jehan, Etienne Ginhos, se dit sergent royal en 1509119.

B - Les professions libérales

65La documentation réunie permet de traiter, avec une certaine précision, de deux professions libérales essentielles au Moyen Age, le notariat et la médecine, et de déterminer l'importance de la transmission de ces métiers d'une génération à l'autre, ainsi que leur capacité d'ouverture à de nouveaux venus.

1 ) Le notariat

66Sur quatre-vingt-quatre notaires dont nous connaissions la profession du père, nous constatons que 65,45 % sont des fils de notaires, ce qui ne saurait nous surprendre puisque nous avions déjà perçu les traces d'une certaine hérédité en étudiant la diffusion du notariat en Gévaudan dans notre introduction. Ce notariat se signale même sur trois générations, voire plus. Jehan Chabrit est fils et petit-fils de Pierre et Gervais Chabrit120^, Privat Enjalvin d'Etienne et Jehan121, Pierre Fournier d'Aldebert et Pierre, Jehan de Recoules de Vital et Bartholomé122. Ce dernier est même l'arrière-petit-fils de maître Jehan Julien, dont la fille, Jehanne, épousa Bartholomé ; en outre, il descend d'une longue lignée de tabellions dont le premier connu est cité en 1249. Pour leur part, Vital Banquet et Jehan Ros sont respectivement les fils de maîtres Jehan Banquet et Jehan Ros, et si les ancêtres paternels demeurent inconnus, du moins leurs aïeux maternels étaient-ils maîtres Durand Grèzes, pour le premier123, et Guillaume Fournier, pour le second124. Enfin, le notaire Claude Taurand, fils d'un marchand, est le petit-fils de maîtres Guillaume Taurand et Pierre Atger125.

67Pour le reste des notaires ainsi enregistrés, 35,70 % viennent d'un autre milieu. 5,95 % ont un géniteur marchand, comme Privat Cobe, Jehan Dumas, Pons Jourdan, fils de Jehan126, 4,75 % un tisserand, tel Pierre Jourdan127. Les autres sont fils de barbier, d'apothicaire, de médecin, de cordonnier, de chaussetier, de sonnailler, de forgeron, de bastier, de carrier, de fustier, de meunier, de sergent royal, de bailli, de bourgeois et de prieur.

68Si nous nous reportons aux cent dix-huit notaires dont nous connaissions une partie de la descendance mâle, nous constatons que 49,15 % d'entre eux ont eu au moins un fils notaire, 4,25 % des filles mariées à des notaires et 8,45 % des filles données à des notaires et des garçons devenus notaires, tels maîtres Jacques Cobe, Laurent Chalvel, Jacques Traversier et Pierre Chapsier128. Par contre, sur trente notaires qui n'ont eu que des filles, 30 % ont cédé la main de l'une d'elles à un confrère, comme maîtres Jehan Chasal129 et Bernard Bonhomme130.

69En nous référant aux testaments émanant des notaires, nous observons que 61,55 % favorisent un fils, 7,70 % deux fils, et faute de garçon 15,40 % désignent une ou deux filles, 7,70 % un posthume et autant une épouse, ce qui conforte l'image d'une large transmission du patrimoine paternel au bénéfice du, ou des fils. Toutefois, l'institution universelle laissée au fils n'implique pas forcément que celui-ci succède à la tête de l'étude, comme le démontre le testament du notaire Jacques Cobe au profit de son fils le marchand Guillaume. Ce problème pose la question de la vénalité de ce type d'offices à la fin du Moyen Age. A cette époque, déjà, plusieurs offices sont parfois transmis selon le principe de la "resignatio in favorem"131 ; parmi eux nous relevons celui de procureur auprès de la Cour commune du Gévaudan132. Le principe de la "resignatio in favorem" permettait au titulaire de résigner son office en faveur de son fils, ou d'un tiers, après en avoir obtenu l'autorisation du roi, et une quarantaine de jours, au moins, avant de trépasser. Les deux entraves à l’hérédité du notariat se limitaient à l'assentiment du roi et à ce délai de quarantaine ; comment l'hérédité a-t-elle donc pu s'instaurer ? Les notaires sont juridiquement institués par l'autorité détentrice du pouvoir : le seigneur dans le ressort d'un fief, l'évêque dans les limites du diocèse, le roi pour le royaume de France, le pape dans un cadre apostolique, l'empereur pour l'empire, ou plus simplement les vicaires apostoliques et officiaux épiscopaux, représentants du pape ou des évêques, et les sénéchaux pour le roi de France.

70Tous les notaires jouissent des droits financiers inhérents à la rédaction des instruments et des grosses délivrées par la suite qui font partie de leur patrimoine personnel, au même titre que les murs de l'étude. Le notaire qui reçoit un acte est rémunéré pour ce dernier, mais il conserve ses prérogatives sur toutes les taxes imputées aux copies ultérieures et se réserve la possibilité de les transmettre à ses héritiers. C'est, semble-t-il, par cette porte que s'infiltrèrent les notaires afin de fonder leurs dynasties. En 1423, le susdit Jacques Cobe lègue sa part de registres à son frère le notaire Privat Cobe. En 1482, Pierre Colonh, notaire de Mende, cède à son beau-frère, maître Jehan Romieu, "toutes ses notes non grossoyées" que Romieu devra partager avec Catherine Romieu et Private Colonh, ses femme, fille et héritières133. Ainsi les droits sur les instruments enregistrés par un notaire, ou hérités d'un autre, pouvaient-ils être volontairement remis à un parent, ou ami, sans passer systématiquement par une licence de l’autorité détentrice de la nomination au statut de notaire.

71Jehan Bodo, notaire du Malzieu en 1441, décéda avant 1446 en laissant au moins quatre fils dont Jehan et Jacques. Le premier est prêtre de 1445 à 1472, prieur des Deux-Chiens en 1465, curé de Prunières en 1472 ; notaire public, il se dit substitué dans les protocoles et notes de son défunt père en 1449. Le second, notaire public et clerc solut de 1446 à 1465, lègue au premier tous ses "notes, livres ordinaires, protocoles et autres notes" en précisant que ses deux filles, Agnès et Jehanne, recevront le reste de son héritage. En 1472, dom Jehan rédige à son tour ses dernières volontés en confiant la moitié de ses biens auxdites Agnès et Jehanne, et le reste à son autre frère, Anthoine. Il rappelle qu'il fut naguère l'associé du défiant Jacques et déclare qu'Agnès et Jehanne auront "cent instruments, à savoir trente obligations, trente reconnaissances ou quittances, et quarante instruments perpétuels, à savoir constitutions dotales ou testaments". L'exemple des Bodo démontre que les membres d'une même famille se dessaisissaient, en faveur de leurs proches de leurs droits notariaux, et même, assez curieusement au bénéfice de personnes non pourvues de l'office de notaire. Cette pratique frétait pas exceptionnelle puisqu'en 1466 Bertrand Atger, notaire apostolique de Mende, institua héritiers universels ses fils, Pierre et Jehan, et recommanda que Pierre ait tous ses "livres" alors qu'il n'était pas notaire134.

72En fait, les papiers de chacun de ces officiers se promenaient d'un détenteur à l'autre et risquaient même de devenir une source de conflits. En 1478, dans un accord entre noble Gilbert Malbec et ses parents, les nobles notaires Jehan et Jehan Montanhac, le premier s'engagea à restituer aux Montanhac tous les "écritures, notes, livres, cédules, cartulaires et aussi instruments grossoyés" qui furent reçus par maîtres Hugon et Jehan Montanhac, "et aussi les livres, notes et cédules des instruments" en lesquels ces derniers furent substitués135. Ainsi, Gilbert Malbec, seigneur de Briges qui n'avait rien à voir avec le notariat, se trouvait-il contre toute logique en possession de documents notariés pour lesquels il n'avait assurément aucune autorité afin d'en délivrer des grosses. C'est sans doute la raison pour laquelle les héritiers se sentaient moralement obligés de les rétrocéder à des tiers. En 1446, Jehanne Julien, fille de notaire, veuve de maître Bartholomé de Recoules, remariée à noble Jehan Dumond, alias Chapelle, décide, en son nom et en celui de son fils, Vital de Recoules, clerc de Mende, et en compagnie desdits Vital de Recoules et Jehan Dumond, de vendre au chapitre de Mende "les notes brèves et longues, ou étendues, grossoyées ou non grossoyées, et protocoles, registres et manuels" contenant les instruments enregistrés par le défiant Jehan Julien, sauf un "manuel" de reconnaissances touchant à l'archidiaconat de la cathédrale de Mende, excepté aussi celui reçu en moitié par Jehan et continué par Bartholomé. Jehanne obtint une indemnité de trente moutons or mais elle ne renonçait qu'aux actes de son père ; tous ceux qui concernaient Bartholomé de Recoules demeuraient dans la maison pour revenir à Vital, leur fils. Pourquoi Jehanne agissait-elle conjointement avec son fils si elle était héritière de son père ? En fait, Bartholomé de Recoules avait été subrogé à son beau-père après la mort de ce dernier136. Ainsi se conjuguaient la subrogation administrative et la transmission des droits de succession.

73Ces cessions ne donnent pas le droit d'instrumenter, seulement celui de percevoir les fruits. Robert Latouche rapporte que la veuve d'un notaire dont les enfants étaient mineurs pouvait fort bien affermer l'office et arrenter l'étude137. En conséquence, l'autorité doit toujours délivrer les lettres patentes conférant le pouvoir d’enregistrer ou de délivrer les grosses. Dès 1346, nous relevons un acte vidimé par Raymond Bonet, notaire épiscopal "subrogé ou substitué" à Guillaume Chaldoreilhe par l'official de Mende, dans tous les protocoles dudit Guillaume et dans toutes ses notes, non cancellées ou viciées, selon le mode et la forme dont elles seront fidèlement extraites. La substitution d'un notaire à un confrère étranger à la famille est fréquente ; ainsi Anthoine Boet fut-il subrogé par l'official de Mende à Etienne Tonel138. Mais le fils succède bien au père et maître Guilhabert Jalvin déclare avoir collationné les actes de son père en se présentant ainsi : Ego, Guilabertus Jalvini, clericus, filius dicti condom magistri Galhardi, eadem episcopali auctoritate notarius in notis et prothocollis dicti condam genitoris mei subrogatus. De son côté, Jehan Traversier ouvre son extensoire "A" en déclarant avoir été substitué à son père, Jacques Traversier, par les lettres patentes que lui délivra le sénéchal de Nîmes et de Beaucaire, le 25 juin 1454139.

74Le notaire obtient sa subrogation à chaque confrère auquel il succède au moment où il reçoit ses notes. Etienne Torrent, originaire du Malzieu, fut formé par dom Jehan Bodo qui déclare, en 1472, avoir été son premier maître in arte notarius. Il exerce à Mende de 1446 à 1479. Déjà notaire épiscopal, il ouvre son premier livre en tant que notaire royal le 25 août 1447, jour de sa création et mise en possession dudit office par lettres patentes du juge de la Cour commune du Gévaudan140. Sur le quatrième feuillet de l'extensoire Salve Vocor de maître Etienne Verdier, Etienne Torrent reproduit les lettres patentes du vicaire général de l'évêque de Mende qui le substituaient à Etienne Verdier. Par la suite, il reçut de nouvelles lettres patentes de l'évêque Guidon qui le subrogeaient à Guillaume Seguin, prêtre et notaire du Malzieu. Après le décès d'Etienne Torrent, son fils déclara être "substitué et subrogé dans les notes et protocoles dudit seigneur mon père"141.

75La situation paraît confuse entre le pouvoir d'institution au titre de notaire par l'autorité seigneuriale, épiscopale, royal, apostolique ou impériale, le droit de subroger un notaire aux documents d'un autre et les droits patrimoniaux du notaire et de ses héritiers sur les revenus imputés à la rédaction et à l'expédition d'actes. Le sénéchal ou l'official, pour ne parler que des notaires royaux et épiscopaux, jouissent de la capacité de nommer un notaire et de confier ses documents à un successeur après sa mort, mais les héritiers conservent leurs droits financiers sur les instruments. Une solution consistait pour le siège de l'autorité à racheter les papiers des études, comme le chapitre de Mende lors de la cession des notes de Jehan Julien. Une autre pratique conduisait à homologuer le maintien des titres entre les mains d'un hoir pourvu d'un office notarial. Ainsi l'hérédité tacite s’imposait-elle par commodité. Pourquoi le sénéchal refuserait-il à un fils de notaire de devenir lui-même notaire et de grossoyer les actes de ses prédécesseurs ? Dans le même temps, le notaire, impuissant à vendre un office sur lequel il riavait que son droit "à vie", détournait cette situation en négociant les instruments qu’il détenait. Cette cession des actes notariés s'accompagnait indéniablement de celle de la clientèle. En effet, les familles ayant contracté devant Etienne Verdier s'adressaient logiquement à Etienne Torrent pour obtenir leurs grosses, ce qui les incitait à demander à ce dernier de rédiger leurs nouveaux contrats. Ainsi l'officier en venait-il à monnayer ses registres, les murs de son étude et la clientèle accoutumée à se présenter devant lui.

2°) Le milieu médical

76Le Gévaudan, avantagé par l'existence du Collège des XII médecins de Montpellier, offre un panel raisonnable de praticiens pour la fin du Moyen Age puisque notre fichier en comporte près de deux cents pour les XIVe et XVe siècles, ou cent soixante-quatorze pour la période allant de 1380 à 1497, alors que Muriel Laharie en recense cinquante-cinq en Béarn pour les deux derniers siècles du Moyen Age142. La liste des étudiants de Montpellier allonge énormément nos statistiques et nombre de ceux-ci n'apparaissent jamais dans notre pays, sans doute exilés dans une autre contrée pour y faire fortune, comme Bernard Corsier et Pierre Etienne qui s'installeront, l'un à Carcassonne, l'autre à Albi. A partir de 1380, 30,30 % de ces personnages ont contracté une inscription en université. Les actes les présentent sous des titres assez variés. Plus du quart ne mentionnent qu'un titre universitaire, 35,05 % les qualifient de barbiers, 16,65 % d'apothicaires, 5,15 % de chirurgiens, 7,45 % de barbiers-chirurgiens, 3,45 % de médecins, 2,85 % de physiciens et 2,30 % de moines infirmiers, ou encore de médecins et physiciens, voire de médecins et barbiers selon les instruments.

77Les apothicaires forment le plus bas échelon du milieu médical puisqu'ils limitent leur activité à la vente des drogues. Les barbiers se mêlent de chirurgie sans avoir suivi d'autres études qu'une formation reçue sur le terrain, comme Jehan Ferri, formé par Raymond Labro. Seuls les médecins et les physiciens ont obtenu un grade dans une université, comme Jehan Garsin, Jehan Martin, médecins royaux, Pierre Maynier, Guillaume Cayrel, Jehan Dolcet et Jehan Husson. Mais tous les physiciens ne sont pas titulaires d'un titre universitaire. En nous reportant aux contrats d'apprentissage, nous constatons que la différence entre l'enseignement donné par un chirurgien-barbier et par un chirurgien-physicien tient à la durée, allant de deux ans pour le premier à dix pour le second. L'essentiel ne consiste pas à départager chacune de ces corporations selon les capacités de leurs membres ; une chose est certaine, les uns et les autres se montrent compétents pour se livrer à des expertises médicales, comme nous l'avons noté lors des épidémies de lèpre143. De même, plusieurs chirurgiens furent-ils commis pour autopsier le cadavre du chanoine Charles de Grandmont, dont une rumeur disait qu'il avait été assassiné en 1508144 ; d'autres documents nous renseignent sur le statut de certains de ces experts : Bernard de Lafont, était barbier, Anthoine Garsin145 et Guinot Filhastre146, barbiers-chirurgiens, Jacques Tonel, apothicaire147. Assez curieusement, quelques praticiens exercent conjointement plusieurs professions, comme Jacques Malel, apothicaire en 1439-1447, tavernier dès 1443, Pierre Tonel, notaire et apothicaire en 1488-1490, Jehan Bichet, barbier et tailleur du Malzieu en 1451-1460148.

78Par ailleurs, nous connaissons l'origine sociale des pères de vingt-cinq membres du personnel médical gabalitain. 56 % sortent de cette profession, 12 % sont apothicaires, 40 % barbiers et 4 % notaires-apothicaires. Chaque fois, les apothicaires donnent naissance à des apothicaires et les barbiers à des barbiers, l'un d'eux favorisant cependant les études de son fils, Urbain de Lafont, qui obtient son baccalauréat en médecine à Montpellier. En conséquence, 44 % des praticiens viennent d'un autre milieu. 12 % ont un père marchand, 8 % un père tisserand ; les autres sont fils d'un forgeron, d'un fustier, d'un juriste, d'un notaire, d'un sabotier et d'un tailleur. Encore verrons-nous que le fils du forgeron, Pierre Maynier, se trouve apparenté aux Garsin, celui du juriste, Pierre Tonel, aux Malel, alors que Vital Salaville, né du notaire, est le neveu de l'apothicaire Vital Coderc149.

79D'autre part, dix de ces spécialistes laissèrent des filles, et vingt-trois des garçons, ou des garçons et des filles, dont l'identité nous est parvenue. 30 % de ceux qui n'eurent que des filles en donnèrent au moins une à un notaire et 10 % à un conifère. De plus, 8,70 % eurent au moins un fils notaire, 43,45 % un garçon dans le secteur médical, 8,70 % en établirent au minimum un dans le notariat et un dans la médecine, et 4,35 % en placèrent un dans chacune de ces activités et marièrent une fille à un tabellion. Cela démontre une certaine ouverture des professions médicales, avec toutefois des facilités occasionnées par le processus d'alliances, un neveu ou petit-fils reprenant le métier de son collatéral, de son ascendant ou de son affin. Toutefois, la norme signale une transmission héréditaire de l'activité, en particulier dans les spécialités dont la formation s'acquiert par apprentissage, ce qui exclut les grades de médecine, obtenus dans une université, dont les détenteurs sont cependant à plusieurs reprises issus de familles de chirurgiens, comme Jehan Garsin et Urbain de Lafont.

80La trace, plus ou moins nette, de dynasties de praticiens apparaît un peu partout en Gévaudan. A Marvejols, nous rencontrons, maître Laurent Veyrier, chirurgien-barbier en 1376-1388, et son fils en 1388-1406150 ^; Jehan Raynald, barbier en 1384, Astorg Raynald, en 1470151 ; maître Jehan Seguin, licencié en médecine en 1467-1477, Guillaume Seguin, licencié en médecine de 1443 à 1469, tous deux chanoines de Marvejols152 ; Salomon Amat, barbier-chirurgien de 1477 à 1490, et maître Etienne Amat, bachelier en médecine en 1497153. A Chirac, vivent Raymond et Jehan Roc, père et fils, barbiers, le premier en 1383-1402, le second en 1395, suivis en 1450 par Jacques Roc154 ; à Serverette, Girald Astorg, barbier assistant en 1438 au testament de noble Guillaume Merle, et Bernard Astorg, dont la fille se marie en 1463155 ; à Bagnols, Pierre et Raymond Labro, frères, barbiers et chirurgiens de cette paroisse, même si le second s'installe à Mende de 1467 à 1472, et Jehan Labro, barbier de Bagnols en 1478, fils du susdit Raymond156.

81Les médecins mendois ont déjà fait l'objet d'une recherche intéressante de la part du docteur Marcel Barbot, même si plusieurs erreurs dues à des confusions restent à signaler pour la période médiévale157. La transmission héréditaire de la profession s'impose à plusieurs reprises. Guillaume et Pierre Garach, père et fils, exercent comme apothicaires, le premier en 1471-1480, le second en 1473-1482. Une lettre de rémission rapporte même qu'en 1473, Pierre travaillait avec son père, que sa mère était alcoolique au point de lasser Guillaume qui mit enceinte sa servante. Un véritable drame surgit alors puisque la jeune domestique, dépassée par les événements, accoucha clandestinement d'un enfant mort faute de soins dont elle dissimula le cadavre158. La famille Chabrit s'éteignit dramatiquement. Etienne et son garçon Pierre tinrent successivement l'échoppe d'apothicaire, le premier disparaissant avant 1419, alors que le second fut assassiné par Pierre Cobe auquel il convoitait une jeune fille aux moeurs légères159. La soeur de Pierre épousa le notaire Guillaume Jourdan, pendant que leur mère convolait en secondes noces avec Etienne Malel. Ce dernier, dont nous ignorons la profession, est le père de Jacques et le grand-père de Jehan Malel senior, tous deux apothicaires, et son arrière-petite-fille, au prénom demeuré inconnu, épousa le notaire et apothicaire Pierre Tonel, dont elle eut Jacques Tonel qui tint aussi son officine de pharmacie160. En outre, le petit-fils de Jacques Malel, Claude Malel, né du chaussetier Pierre, partit étudier sa médecine et décrocha son baccalauréat entre 1491 et 1493.

82La famille Lafont, de Mende, dresse un bel exemple de dynastie de chirurgiens. Le premier, Pierre de Lafont, cité dès 1397, acheta une maison au pan de Claustre pour la coquette somme de cent quatre-vingts livres, à maître Pons Valdin, en 1417, ce qui démontre une aisance honorable161. Sans doute fut-il le père de Jehan de Lafont, barbier de 1425 à 1461, mais nous n'en avons pas la certitude162. Jehan occupa souvent des responsabilités à la tête du syndicat mendois, de 1439 à 1461163. Il laissa trois fils, Guillaume, Urbain et Jacques. Guillaume est cité comme barbier à ses côtés en 1457, mais il devient chaussetier par la suite164. Les deux autres héritent de Jehan, mais Urbain part étudier au Collège des XII médecins et devient bachelier en médecine dès 1446, bachelier ès arts dès 1463. Urbain s'éloigne alors du pays et s'installe à Joyeuse où il assiste, en 1464, à la rédaction du testament du vicomte de Joyeuse165. Enfin, un acte mentionne Jacques avec son père, comme barbiers, dès 1448. Jacques se consacre entièrement à cette activité jusqu'en 1481 et décède avant le 12 décembre 1483166. Bernard de Lafont, fils de Jacques, le remplacera de 1482 à 1508, et il sera lui-même suivi par son propre fils, Claude de Lafont, dès 1516167. Ainsi cette famille veilla-t-elle sur la santé des mendois pendant plus de cent vingt années, de 1397 à 1516, et sans doute pendant bien plus, avant et après ces dates.

83Les Garsin168 forment une dynastie encore plus illustre dans la mesure où l'un des leurs s'attacha à la personne de Charles VIII169. Comme la précédente, cette maison sort de l'obscurité dès la fin du XIVe siècle et nous conduit jusqu'au XVIe en quatre générations. Raymond Garsin assiste au testament de Jehan Bonald, le 15 septembre 1397, en compagnie de son confrère Pierre de Lafont. Il participe à plusieurs transactions jusqu'en 1443, année où un acte le cite avec son fils, François170. Le 22 juin 1429, François Garsin achète, à Guillaume Chalmond, une maison sise au pan de Claustre dans laquelle il vivra avec son père. En 1446, il possède un ouvroir sur la place publique et, en 1457, une seconde demeure au pan de Champnau171. François eut au moins deux fils : Bernard et Bertrand. Bernard Garsin devient prêtre et notaire, pendant que Bertrand soigne ses concitoyens durant près de soixante ans, de 1443 à 1500, comme barbier-chirurgien172. Bertrand laisse trois fils, le célèbre Jehan Garsin, Guillaume Garsin, juriste et hebdomadier de la cathédrale, et Anthoine qui reprend la tête du cabinet paternel173. Anthoine Garsin, barbier et chirurgien mendois, maintiendra la tradition familiale au XVIe siècle174. Un parent, Guilabert Garsin, barbier en 1482, laisse une veuve, Agnès Leyris, qui se marie, le 12 novembre 1483 avec Jehan Bestion175. En outre, le tableau généalogique de cette famille, placé en annexe, démontre que François Garsin épousa Catherine Maynier, dont la soeur, Agnès, se donna à Vincent Chambon, parent de Guillaume Chambon, barbier de 1418 à 1421. Ce Guillaume Chambon, alias "Barba de Boc", fut le beau-père de Jehan Colonh, barbier de 1427 à 1445, et le grand-père de Jehanne Richard, femme du barbier Bernard de Lafont et mère de Claude. Enfin, par les Maynier, il s'apparente aussi à Pierre Maynier, médecin, physicien et bachelier en médecine.

CONCLUSION

84La norme enjoint au respect de l'activité traditionnelle reprise de père en fils ; le second héritant du bien-fonds paternel se contente de l'entretenir et d'en vivre comme ses prédécesseurs. L'hoir s'installe commodément selon le modèle transmis, alors que les cadets subissent la contrainte du recyclage en fonction de l'environnement social. Les garçons exclus du patrimoine familial conquièrent une nouvelle assise territoriale, parfois financée sur le budget de la maison. La prêtrise offre un double avantage, individuel et communautaire ; le mâle placé dans l'Eglise se conforte personnellement dans l'indéniable honorabilité dont il jouit, mais il procure aussi une certaine reconnaissance sociale à la parentèle qui l'entretient En outre, l'absence de descendance légitime autorise le retour des biens de l'ecclésiastique dans le capital de sa famille : le coût immédiat de l'investissement constitué par les études et le titre clérical se trouve alors largement compensé. Pour sa part, le cadet, établi dans la pratique d'un artisanat, est incité à se dépasser. Il doit construire son propre avenir et donner naissance à une nouvelle branche. Il subit donc indéniablement une forme d'exclusion, mais cette dernière s'avère créatrice d'émulation. Le cadet se montre alors susceptible d'un réel épanouissement et les exemples de réussite ne sont pas rares. Il suffit de repenser à Jehan Gamin, médecin du roi, ou à Michel Badaros, fils de tisserand, petit-fils de paysan, mais juge épiscopal de Mende. Bien sûr, la volonté de s'élever dans l'ordre social apparaît chez certains héritiers, mais dans ce cas ceux-ci appartiennent fréquemment à des familles déjà entrées dans les sphères de la notabilité, dans lesquelles l'encouragement à la réussite s'intègre déjà dans leur modèle culturel.

85Le Gévaudan présente donc un étrange mélange de tradition-héritée et d'innovation-ascensionnelle commandé, en grande partie, par le système successoral et par la conjoncture démographique, sous pression de la pauvreté du sol et des campagnes, avec une grande ouverture du pays sur les autres contrées méridionales et sur les cités universitaires. La conjonction des facteurs juridiques, démographiques et économiques, mis en relation avec les structures éducatives, explique cette fort curieuse contradiction présentée par l'observance simultanée de la tradition et du changement.