1Pour traiter des communautés d'habitants du gévaudan à la fin du moyen Age, nous utilisons les registres de notaires déjà mentionnés, le dénombrement des feux du diocèse de Mende réalisé en 13641, et dix-sept réductions de feux accordées entre 1387 et 14002. De plus, nous avons consulté divers documents imprimés antérieurs ou postérieurs à la période étudiée3. Le dénombrement de 1364 est supposé livrer la liste de l'ensemble des paroisses du diocèse, toutefois certaines n'ont pas été mentionnées, étant englobées par d'autres. Ces lieux sont qualifiés de parrochia, locus et parrochia, castrum, villa ou civitas. Les réductions de feux se caractérisent par leur manque de précision en utilisant collectivement les termes locus, parrochia, et plus rarement villa. Excepté pour la cité de Mende, ces termes sont trop imprécis pour que nous puissions avancer des certitudes. La villa qualifie aussi bien une petite ville comme Le Malzieu qu'un manse comme Saint-Pierre-le-Vieux ; le castrum ne distingue pas le château seigneurial, le bourg fortifié ou la ville. Enfin nos sources opèrent un recensement en feux fiscaux, sans aborder l'aspect quantitatif du foyer fiscal. C'est donc par recoupement de l'ensemble de notre documentation que nous procéderons au décompte des paroisses gabalitaines et que nous parviendrons à les classer selon les types d'habitats urbains ou ruraux. Après quoi nous ferons une mise au point sur la situation démographique à la fin du XIVe siècle.

I - Nombre de paroisses

2Pierre Chaunu dit que le tissu paroissial est mis en place à partir du XIIIe siècle et n'a guère subi de transformation par la suite ; Monique Bourin-Derruau a pu faire la même observation à propos des villages recensés en 1344 dans la viguerie de Béziers. René Jehan Bernard a observé que le nombre de paroisses en Gévaudan n'avait guère évolué entre 1528 et la fin de l'Ancien Régime4.

3En 1528, le Gévaudan comprenait quatre archiprêtrés, au sud-est celui des Cévennes, au sud-ouest celui de Barjac, au nord-ouest celui de Javols, et au nord-est celui de Saugues. C'est en suivant cette division du diocèse que nous avons identifié les cent quatre-vingt-quatorze paroisses existant au XVe siècle. Pour les années 1364 et 1528, nous recensons quarante et une paroisses communes dans l'archiprêtré des Cévennes, trente-six dans celui de Baqac, cinquante-deux dans celui de Javols et quarante-sept dans celui de Saugues. A l'époque de notre recherche, il convient d'ajouter Saint-Frézal-de-Ventalon, Fraissinet-de-Lozère, et Montbrun, au premier5, Saint-Bonnet-de-Chirac, Salmon, parfois remplacé par Montjézieu, le Villard, Estables-d'Olt, alors nommée Estables-près-de-La-Canourgue, Saint-Chély du-Tarn, et Saint-Frézal, distincte de La Canourgue, au second6, Chauchailles et SainteEulalie au troisième7, Chaudeyrac, Badaroux, Pont-de-Vabres, Meyronne, Esplantas, Chastelnouvel (Saint-Gervais), et Chanaleilles, au dernier8. Ce décompte présente un diocèse de cent quatre-vingt-quatorze paroisses.

II - Espaces urbains et espaces ruraux

4Le dénombrement de 1364 nous a surtout permis de reconstituer le tissu paroissial du Gévaudan du dernier siècle du Moyen Age, mais il ne nous renseigne guère sur le type des localités : soixante-dix-huit sont simplement qualifiées de paroisses, et quarante-six de locus et parrochia ; cinquante-deux sont identifiées par le nom d'un ou plusieurs castra, une comme un manse et trois en tant que villa. Ces termes n'expriment pas toujours la réalité du terrain. La villa, résurgence terminologique de l'habitat carolingien, qualifie aussi bien des paroisses rurales comme Saint-Pierre-le-Vieux et Paulhac qu'une ville comme Le Malzieu ; le castrum est représenté par un château seigneurial du type de Cénaret, ou par un village fortifié comme Recoules-d'Aubrac. Curieusement, parmi les locis figurent l'antique castrum de Grèzes, les villes fortifiées de Chirac et Marvejols, mais aussi la paroisse rurale de la Capelle.

TABLEAU-III - Répartition des paroisses selon le type défini en 1364

5Une fois réalisé ce premier inventaire des localités gabalitaines, il s'est avéré nécessaire d'approfondir la question en recourant aux autres sources. C'est ainsi que nous parvenons à une classification en quatre catégories : les villes représentent 9,80 % de l'ensemble, les bourgs fortifiés 1 %, les paroisses rurales 45,90 % et les castra 43,30 %. Ce dernier chiffre est cependant incertain ; en effet, si nous avons bien quarante-neuf castra cités lors du dénombrement de 1364, et vingt autres dans les registres de notaires utilisés pour notre recherche, nous ignorons si les dix-huit qui figurent dans les "Feuda Gabalorum" en 1307 et que nous avons retenus étaient toujours en état à la fin du quatorzième siècle.

A - Les villes

6"Qu'est-ce qu'une ville" ? La question peut paraître banale, mais donner la définition du phénomène urbain est une tâche souvent malaisée et la difficulté en est bien connue des géographes9. Les normes contemporaines ne peuvent être utiles pour qualifier l'urbanisme médiéval. La ville est un concept qui dépend d'une époque, d'une région et d'une influence culturelle spécifiques. Il est évident que la ville du XXe siècle n'est pas comparable à celle du Moyen Age, et les villes étudiées à l'échelle d'un continent, d'un pays, ou d'une province, n'auront pas le même profil. Aucune recherche n'a été réalisée à ce sujet pour le Gévaudan, et il nous faut bien arbitrer en la matière, puisque les seuls lieux dont le statut urbain soit sûr sont Mende, Marvejols et Chirac. La ville est ce que les hommes d'une époque et d'une région donnée considèrent comme telle ; ainsi avons-nous décidé de donner la parole aux Gabalitains du XVe siècle. Nous avons donc relevé l'ensemble des lieux ayant été qualifiés de ville par les notaires dont nous avons consulté les archives, ou par d'autres scribes, comme ceux de la chancellerie royale lors de l'octroi de lettres patentes. Mais nous ne pouvions nous contenter de l'affirmation de ces hommes, fussent-ils officiers publics. Nous avons retenu onze autres facteurs qui, séparément, ne suffiraient pas à constituer une ville, mais dont la conjugaison permet de considérer que nous avons affaire à une communauté urbaine. Il est évidemment hors de question d'exiger que l'ensemble de ces critères figure en chaque lieu, quelques-uns suffisent. Le premier critère est, nous l'avons dit, le titre de ville donné par un contemporain. Viennent ensuite la présence dans ce lieu d'une organisation communale du type syndical ou consulaire, le droit qu'ont les représentants de la communauté d'habitants d'assister aux Etats du Gévaudan ou la tenue d'une Cour de justice royale ou comtale. L'importance démographique d'un lieu est généralement considérée comme significative ; nous retenons donc pour le Gévaudan le chiffre de soixante feux fiscaux dont le nombre est très au-dessus de la moyenne gabalitaine. L'existence d'un mur entourant le lieu, à distinguer du mur d'un simple château, atteste un niveau d’organisation digne d'une ville. Les ordres mendiants s'installaient généralement sur des sites urbains ; aussi l'implantation d'un de leurs couvents constitue-t-elle un facteur d'urbanisation. Enfin une ville centralise les services, et nous retenons la présence d'un hôpital10, d'un médecin, d'une école, d'au moins deux notaires exerçant conjointement, comme autant de garanties d'un mode de vie urbaine. Encore pourrait-il être fait une différence entre l'installation de deux notaires, toujours possible dans un gros bourg, et celle de trois notaires ou plus qui implique, soit une forte population locale, soit une influence considérable sur les localités environnantes. Seuls les lieux unissant au minimum trois des douze critères mentionnés seront qualifiés de ville. Nous pouvons paraître peu exigeant ; il convient toutefois de ne pas oublier que les localités les plus éloignées de Mende, Chirac et Vébron sont rarement citées dans nos sources et qu'il ne faudrait pas nier leur statut urbain pour cette seule raison.

7Dix-neuf localité s'avèrent ainsi en posture de revendiquer la qualité urbaine, Chirac, Ispagnac, Le Malzieu, Marvejols, Mende, Barre, Chanac, Florac, La Canourgue, Langogne, Quézac, Saint-Chély-d'Apcher, Saint-Etienne-Vallée-Française, Saint-Germain-de-Calberte, Sainte-Enimie, Saugues, Serverette, Thoras et Vébron. Encore les cinq premières sont-elles les seules à répondre à plus de six critères de sélection. 68,50 % des villes se sont développées dans les archiprêtrés du sud, principalement sur les rives du Lot et du Tarn ou de leurs affluents. Cinq d'entre elles sont qualifiées de castrum en 1364, deux de paroisse, une de villa, dix de locus ou locus et parrochia, alors que Mende est identifiée en tant que cité, ce qui confirme la faible signification de la terminologie utilisée en 1364. Quatorze villes ont pour origine un castrum mentionné en 1364, voire entre 1109 et 1307 pour treize d'entre elles11. La Canourgue, Ispagnac, Quézac et Langogne semblent être les seules à ne pas avoir une origine castrale, mais les trois premières sont entourées de castra, La Canourgue en a trois en 1307, Ispagnac est pourvue du château d'Agulhète, Quézac est environnée par les châteaux de La Roche et de Javilhet. Certaines villes ne sont pas protégées par des fortifications. Ainsi en 1364 une même paroisse regroupe-t-elle les castra de Thoras et de Vazeilles ; mais il faut attendre 1447 pour que le roi autorise l'abbé de La Chaise-Dieu et le baron de Peyre à clore la ville de Thoras12. Dans la première moitié du XVe siècle, Barre est composée du castrum, de la ville et d'un faubourg et ce ne fut qu'en 1445 que son seigneur, Louis de Taulignan, la fit entourer de murs13. Cependant neuf villes, au moins, sont fortifiées et certaines, comme Marvejols et Serverette, ont conservé leur château seigneurial à l'intérieur des murs qui entourent le bourg, d'autres comme Chirac n'ont plus de château proprement dit.

8Quelques villes sont tenues en paréage, comme Barre, Chirac, Marvejols et Vébron. La plupart se sont souvent développées autour de centres politiques. Mende est la cité épiscopale, Marvejols est le siège du bailliage royal du Gévaudan, Chirac est son annexe, Saint-Etienne-Vallée-Française est le siège du bailliage royal chargé de l'administration des possessions du roi dans la Vallée-Française. Le roi a installé un bailli à La Canourgue et partage la seigneurie de cette localité avec le baron de Canilhac14. Ispagnac, Langogne, Quézac et Sainte-Enimie sont des centres monastiques importants, et ces paroisses font penser aux sauvetés définies par Charles Higounet15. Saint-Germain-de-Calberte semble s'être particulièrement développé à partir de la seconde moitié du XIVe siècle16, après que le pape Urbain V y eut fondé un "studium" où les étudiants gabalitains allaient étudier avant de rejoindre l'université d'Avignon17. Comme dans tout le midi de la France, plusieurs villes gabalitaines sont administrées par un syndicat ou un consulat18, et la domination du milieu urbain sur le monde paysan semble se réaliser par le biais de ces administrations communautaires19. Plus de la moitié des villes du Gévaudan sont gérées par un organe communal. En 1366, le roi autorise les habitants de Marvejols à transformer leur syndicat en consulat²⁰. Les Mendois ont un syndicat que Louis XI érige20 en consulat avant que son héritier ne révoque ce privilège. Barre a ses propres consuls en 132921, Le Malzieu en 144522, Quézac en 1461. Saugues obtient en janvier 1485 le droit d'élire ses trois consuls, mais ses habitants jouissaient déjà de ce privilège depuis plus de cinquante ans23. Dès 1320 les Chiracois choisissent deux syndics et quatre conseillers24. Florac a des syndics dès 1291, Serverette en 144025, et Ispagnac en 144726. Des procureurs agissent à Saint-Chély-d'Apcher en 1488, mais ils peuvent avoir été institués par des syndics ou des consuls ; au contraire les habitants de Chanac ne font qu'élire des procuratores, actores et yuconomes (sic)27.

9Ces villes jouent donc leur rôle de centres régionaux où s'installent plus fréquemment les marchands, les médecins, les juristes et les notaires, mais la différence est grande entre elles, et cela n'échappe pas au scribe de la chancellerie royale qui qualifie Saint-Chély-d'Apcher de petite ville dans des lettres patentes de 148828. Marvejols est la seule paroisse à être entièrement urbaine, elle ne comporte aucun manse habité29. Mende rayonne sur plusieurs villages rattachés à la paroisse de Saint-Gervais, ce qui distingue l'habitat citadin de l’habitat rural, même si les habitants de la cité ont des possessions extra-muros, et les campagnards des biens intra-muros. Toutes les autres paroisses offrent l'aspect hybride de villes auxquelles est associé un nombre plus ou moins important de manses, et il est dès lors permis de se demander si, dans certains cas, l'habitat rural n'est pas aussi important que l'habitat urbain. Nous pouvons ainsi conclure en affirmant qu'il existe une très grande disparité entre les villes gabalitaines et que la cité épiscopale de Mende, dont les représentants siègent aux Etats du Languedoc, ou même Marvejols n'ont rien de comparable avec Thoras et Vébron.

B - Le monde rural

10Le monde rural voit proliférer plusieurs types de communautés d'habitants, des paroisses identifiées par un "castrum", des bourgs fortifiés et de simples paroisses rurales. La forme réelle de la paroisse désignée par son "castrum" est assez floue. Ce terme désigne aussi bien un château seigneurial qu'un petit village fortifié30. En Gévaudan, ces castra sont généralement antérieurs à 1307 et rares sont ceux qui ne sont pas mentionnés dès cette époque dans les "Feuda Gabalorum", cette absence n'ayant d'ailleurs rien de significatif. Les chartes du XIe au XIIIe siècles citent plusieurs de ces castra. Ceux-ci ne sont pas les seuls composants de la paroisse qui comporte aussi un nombre plus ou moins élevé de manses. Il est impossible de convenir de la prépondérance démographique des castra eux-mêmes ou de leurs manses. En 1364, la population de ces lieux est distinctement comptée à deux reprises : le castrum d'Apcher et sa paroisse de Prunières ont respectivement six et quatorze feux, alors que le castrum de Lards et sa paroisse d'Antrenas sont formés chacun de vingt-cinq et huit feux. Ces deux exemples montrent chacun un cas de supériorité démographique, soit à l'avantage du terroir, soit à celui du castrum. Des paroisses sont parfois identifiées par deux castra, comme Gabrias, d'autres par un seul, alors qu'elles en ont deux comme Barjac.

11Les bourgs fortifiés sont désignés comme locus ou parrochia, et c'est une lecture plus approfondie des actes, en particulier des confronts de biens immobiliers, qui nous apprend que le chef-lieu est clos. Ainsi, en 1442, Les Salelles sont-elles garnies de murs pourvus de portails, de chemins de ronde, et de tours. Or cette paroisse n'est jamais qualifiée de castrum, encore moins de ville, et pourtant la place est bien emmurée, un barri s'est même développé à ses pieds dès 145331. Il ne s'agit pas là d'un exemple unique et le Monastier-près-de-Chirac aurait pu être pris comme exemple. Ces deux bourgs n'ont rien de commun avec les castra et leurs fortifications semblent être un phénomène récent, sans doute lié à la guerre de Cent Ans ; ils ne sont pas non plus des villes mais leurs murs les distinguent des simples paroisses rurales.

1244,50 % des paroisses sont essentiellement composées de manses ruraux ; peut-être quelques-unes accueillent-elles un château seigneurial ou une maison forte, mais aucune ne possède apparemment un lieu clos capable d'héberger l'ensemble de la population Ce sont des localités intrinsèquement orientées vers l'activité agricole, et leur habitat est très dispersé.

III - Démographie

13L'imperfection des dénombrements fiscaux en matière de démographie est bien connue32. Le feu fiscal est une unité de compte qui échappe à la réalité démographique, comme nous allons le montrer pour le Gévaudan. Toutefois il peut permettre d'établir une vague approximation de la répartition de la population sur un territoire donné. Il montre aussi quelle région est la plus apte à supporter le poids de la répartition des impôts royaux, et nous pouvons en déduire comment sont géographiquement réparties les richesses. S'il nous est impossible de mesurer l'inégalité entre le feu fiscal et le feu allumant pour toutes les paroisses gabalitaines, du moins disposons-nous de deux exemples probants : Recoules-d'Aubrac et Chirac. En 1364, nous trouvons quatorze feux fiscaux dans la première paroisse et quatre-vingt-six dans la seconde. Or un terrier de la commanderie de Palhers et de Recoules offre une liste assez détaillée des familles de Recoules en 140533. Quarante-six foyers allumants étaient répartis entre le castrum et ses treize manses. Lors de notre étude sur le syndicat de Chirac nous avons évalué la population de la ville à cette époque à quatre-vingt-dix foyers, et celle des quatorze manses qui en dépendent à quarante, soit un total de cent trente feux allumants34. Il serait faux de croire que la population y avait augmenté entre 1364 et 1405 puisque Recoules et Chirac obtinrent des révisions, entre 1389 et 1400, qui portèrent respectivement leurs effectifs fiscaux à douze feux et demi et à soixante et onze feux au début du XVe siècle. Ce relevé montre tout d'abord une très grande dispersion de l'habitat rural sur un nombre important de manses ; mais il atteste surtout du peu de fiabilité des feux fiscaux en matière démographique puisque le rapport de ces derniers avec les feux allumants est de 3,68 à Recoules-d'Aubrac, et de 1,86 à Chirac.

A - Dénombrement de 1364

14La peste de 1348 et les premières incursions anglaises du début de la guerre de Cent Ans furent la cause d'un grand déclin démographique et économique pour le Gévaudan comme pour tout le reste de la France. En 1364, le roi Charles V octroya une très forte réduction du nombre de feux astreints à l'impôt en Gévaudan. C'est ainsi que l'assiette du pays passa de 13 370 à 4610 feux35. Y eut-il une sous-évaluation due à l'influence du pape Urbain V qui s'intéressait particulièrement à sa patrie, ou bien cette diminution reflète-t-elle une réelle chute démographique ? Impossible de faire la part des choses ; toujours est-il que la situation était fixée pour les dix années suivantes sans risque d'augmentation. Vingt-trois ans plus tard, en 1387, commençait une nouvelle vague de réduction du nombre de foyers fiscaux qui ne prit fin qu'en 1400, ce qui confirme le déclin démographique et économique du Gévaudan.

15Le dénombrement de 1364 répartit les 4607 feux36 entre cent quatre-vingt-trois lieux. Les deux archiprêtrés méridionaux, dont nous, avons vu qu'ils comptaient le moins de paroisses, sont curieusement les plus peuplés. Avec 44 % des paroisses, ils regroupent 55 % des feux fiscaux, alors que l'archiprêtré de Javols, avec 27 % de paroisses, ne regroupe que 21 % des foyers37. Ce décalage tient à la présence de nombreuses villes dans la zone sud du Gévaudan. Le nord regroupe 63 % des localités de moins de vingt feux, alors que huit des neuf paroisses de plus de soixante feux se trouvent au sud.

16La grande dispersion de la population que nous avons déjà évoquée apparaît clairement lorsque nous consultons le tableau de la répartition des paroisses selon leur nombre de feux. En effet, 107 lieux ont moins de vingt feux fiscaux, et douze seulement en comptent plus de cinquante. Puisque nous savons que chaque paroisse était composée de plusieurs hameaux ou écarts, il devient clair que l'habitat gabalitain est très clairsemé. Les rares points à forte densité sont principalement situés dans les vallées du Lot et de son affluent la Colagne. Sans doute ces vallées moins inhospitalières que le reste du Gévaudan favorisèrent-elles l'essor des trois plus importantes villes du pays : Mende, Marvejols et Chirac.

TABLEAU -V- Répartition des paroisses, en 1363, par archiprêtré, selon le nombre de feux

17L'absence d'uniformité que nous avons déjà signalée entre les villes est mise en évidence par leur disparité démographique : Marvejols et Mende comptent près de trois cents feux chacune, laissant loin derrière elles Ispagnac, La Canourgue et Chirac, alors que les autres villes ne disposent que d'une population réduite38.

B - Les réductions de feux de 1387 à 1400

18De 1387 à 1400, le roi Charles VI accorda dix-sept réductions de feux à des localités du diocèse de Mende. Ce furent en tout 544,48 feux qui furent ainsi retirés de l'assiette gabalitaine, soit 11,80 % du dénombrement de 1364. Ce phénomène confirme que la fin du XIVe siècle fut démographiquement et économiquement néfaste pour le Gévaudan39. Cela n'a rien de surprenant puisque ce pays est une marche soumise aux invasions anglaises. Les fléaux de la guerre et de la peste doivent donc suffisamment faire ressentir leurs effets. Le roi chargea ses commissaires d'aller vérifier l'état des paroisses gabalitaines. Ces enquêtes aboutirent à l'octroi de chartes ordonnant un réalignement du nombre de contribuables en 1387, 1388, janvier et mai 1389, juin, octobre et décembre 1390, 1391, 1397, février et mars 1400. L'étendue couverte par le phénomène fut très différente selon les lettres royales, deux localités furent touchées en 1387, trois en 1391, alors qu'en février et mars 1400 ce sont cent quarante-trois paroisses qui bénéficièrent de la révision. Les principales fluctuations démographiques de 1389,1390 et 1400 infligèrent des baisses de 3,2, puis 2,5 et 3,9 % de l'ensemble de la population fiscale répertoriée en 1364. Treize paroisses conservèrent leur population fiscale de 136440, et trente-sept ne furent réajustées qu'une seule fois ; Les Bondons, Le Malzieu, Saint-Martin-de-Boubaux et Sainte-Croix-Vallée-Française le furent à trois reprises, et l'ensemble des autres localités à deux occasions.

TABLEAU -VI- Réductions annuelles des feux

TABLEAU -VII- Nombre de paroisses, par archiprêtré, selon le rapport des réductions de feux de 1387 à 1400 sur le nombre de feux en 1364

19Une analyse par archiprêtré des réductions de la fin du XIVe siècle nous montre que l'archiprêtré des Cévennes fut diminué de 10,80 % de ses feux, celui de Barjac de 12,40 %, celui de Javols de 10,10 %, et celui de Saugues de 13,55 %. Quelle fut l'importance de ces réduction à l’échelle paroissiale ? Quatre-vingt-huit lieux furent réduits de 0,5 à deux feux, cinquante-huit de 2,25 à cinq, quatorze de 5,25 à huit, onze de 8,25 à vingt, et Marvejols de trente-huit feux. Ces chiffres n'ont d'intérêt que par rapport au pourcentage d'habitants, et il est nécessaire d'établir le rapport : feux réduits sur feux de 1364. Nous avons déjà vu que la moyenne générale de la réduction fut de 11,80 % ; or vingt-quatre communautés seulement subirent des réductions avoisinant les taux de 11 à 12 %. Soixante-dix-sept autres perdirent de 3 à 10 % de leurs foyers, quarante-sept de 13 à 20 %. Les dernières paroisses se situent bien au-dessus de la moyenne : dix-huit dans la marge des 21 à 28 %, et cinq entre 29 et 36 %. Javols est le seul archiprêtré dont les paroisses se situent dans une forte majorité en-dessous des 11,80 %. Les trois autres archiprêtrés montrent un mouvement inverse, majoritairement supérieur à la moyenne, même si les Cévennes descendent à 10,80 % à cause de Mende dont les trois cent dix-huit feux n'ont subi aucune modification.

20Un regard sur la liste des lieux les plus touchés démontre qu'il s'agit aussi bien de paroisses rurales de deux à huit feux que de castra et de villes. Les cinq localités dont plus de 30 % des foyers disparurent confirment cette diversité puisque nous y trouvons en 1364 : deux, dix, quinze, vingt-huit et soixante feux41. De plus, le phénomène touche toutes les régions du Gévaudan sauf la terre de Peyre42.

21Nous pouvons conclure qu'il n'existe aucun facteur apparent justifiant l'inégalité avec laquelle sont opérées les diminutions de feux. Cependant les villes paraissent généralement plus frappées à l'exception de Mende qui joue certainement son rôle attractif et protecteur de grande cité et de capitale régionale, et Chanac. 34,80 % des lieux ayant éprouvé des pertes supérieures à 22 % de leur potentiel sont des villes. Marvejols, La Canourgue, Saint-Germain-de-Calberte, Thoras, Chirac, Barre, Le Malzieu et Vébron perdent entre 13 et 21 % de leur population fiscale. Seules Ispagnac et Serverette sont amputées de 10 % de feux. Ce sont donc 79 % des villes qui figurent parmi les 37,90 % des paroisses ayant perdu plus de 13 % de leurs feux fiscaux, et 42 % parmi les 12,20 % en ayant perdu plus de 21 %. Au contraire, les dix-huit paroisses ayant subi une réduction inférieure à 6 % sont soit des castra, soit des paroisses rurales43.

CONCLUSION

22Nous constatons que le Gévaudan, découpé en cent quatre-vingt-quatorze paroisses, présente un aspect essentiellement rural. Si son tissu paroissial comporte dix-neuf villes, cinq d'entre elles seulement comptent plus de quatre-vingt feux, et toutes conservent indéniablement un caractère rural. Seules la cité épiscopale et Marvejols peuvent prétendre jouer un rôle à l'échelle du royaume. En 1364, le pouvoir royal avait dû constater un fort déclin du pays ; aussi accorda-t-il une réduction de 34,48 % des feux antérieurement recensés, mais la situation ne fit qu'empirer jusqu'à la fin du XVe siècle, contraignant le roi à entériner administrativement la baisse démographique entre 1387 et 1400. Ce grave effondrement de la population gabalitaine, s'il est général, n'en touche pas moins avant tout les zones urbaines, peut-être les mieux placées, il est vrai, pour obtenir des réductions de feux fiscaux. Il résulterait sensiblement plus des problèmes épidémiques, psychologiques ou économiques que des violences dues aux "routiers" qui parcouraient les campagnes. Notre recherche commence donc dans un contexte démographiquement défavorable qui nous pousse à poser une question : comment la situation évolua-t-elle au XVe siècle ? Un espoir semble se profiler : l'absence de toute nouvelle réduction au-delà de 1400, et par conséquent l'espoir d'un "redécollage".