Avant-propos

1C'est pour moi un sujet de réflexions bien peu académiques que cette thèse sur La famille en Gévaudan au XV^e siècle (1380-1483). Le jury de thèse, composé d'éminents spécialistes, a décerné à son auteur la mention "Très honorable avec félicitations". Cette appréciation reflète la qualité de l'oeuvre, le sérieux et l'importance des recherches. Mais, au-delà de ses mérites intrinsèques, cet ouvrage est marqué d'une originalité propre qui explique cet avant-propos : cette thèse a été conçue et écrite en prison.

2L'auteur de cette thèse avait vingt-quatre ans lorsqu’il comparut devant la Cour d'assises de Paris. Il avait déjà un passé judiciaire lorsqu'il abattit, en décembre 1979, un gardien de la paix qui tentait de l'arrêter. Circonstance aggravante aux yeux de ceux qui le jugeaient, lorsque le crime fut commis, l'auteur était un détenu permissionnaire en fuite. L'Avocat général avait dit, lors de son réquisitoire, qu'il ne voyait, ni dans sa vie, ni dans les faits, aucune circonstance atténuante. Le 30 octobre 1980, en fin d'après-midi, la Cour et le jury, après trois heures trente de délibéré, condamnaient à mort Philippe Maurice. C'était la première condamnation à mort prononcée à Paris depuis dix-sept ans. Il ne s'était pas trouvé cinq voix parmi les douze femmes et hommes qui jugeaient pour décider de laisser en vie le jeune homme qui avait tué un policier. Le verdict fut accueilli par les applaudissements d'une partie du public.

3Le pourvoi en cassation fut rejeté. Le condamné, détenu dans le quartier des condamnés à mort, fomenta une tentative d'évasion à main armée qui échoua. Il ne restait plus qu'à espérer la grâce présidentielle. Mais de quel Président ? Le hasard du calendrier fit que la campagne présidentielle de 1981 était déjà ouverte quand la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Bien des voix, notamment des associations humanitaires, s'élevèrent pour demander qu'il ne fût point statué par le Président en exercice, Monsieur Giscard-d'Estaing, lui-même candidat à l'élection présidentielle, pendant la campagne électorale. Nul ne peut dire si le Président sortant aurait ou non gracié le condamné s'il avait gagné les élections. Tout septennat débute par des mesures de clémence. Mais le Président Giscard-d'Estaing avait déjà refusé la grâce à trois condamnés à mort. Et il s'agissait du meurtrier d'un policier. L'on pouvait espérer la grâce, mais rien n'était moins sûr dans le climat de l’époque. En revanche, l'élection de François Mitterrand signifiait, avec certitude, que Philippe Maurice ne serait pas exécuté. Car, dans la campagne électorale, il s'était publiquement prononcé contre la peine de mort et s'était engagé à demander son abolition au Parlement. Ainsi la vie du condamné était devenue un des enjeux secrets de l'élection présidentielle de 1981.

4C'est pourquoi, le matin qui suivit l'élection de François Mitterrand, le 11 mai 1981, je m'en fus voir Philippe Maurice à la prison de Fresnes, dans la cellule des condamnés à mort. Nous eûmes un entretien assez long. Je lui dis que le nouveau Président le gracierait et que la peine de mort serait abolie en France. Je lui dis aussi, très précisément ce que je pensais de lui et que je lui avais tu jusqu'alors : qu'il m'était apparu très intelligent, pourvu de grands dons intellectuels, qu'il était très jeune encore, et que son sort à venir dépendait de lui. J'ajoutai que, même en prison, l'esprit du détenu pouvait être libre s'il s'évadait par la lecture, la recherche et la réflexion du milieu carcéral. Que la voie des études était pour lui, le plus sûr chemin de la liberté, intérieure d'abord, puis, sans doute, au terme de nombreuses années, conditionnelle au sein de la société des hommes libres. Je lui dis enfin que, parce qu'il devait sa vie à l’abolition imminente, il symboliserait d'une certaine manière, l'abolition elle-même.

5S'il tentait à nouveau de s'évader, s'il retournait à la voie criminelle qui avait été la sienne, alors les partisans. de la peine de mort auraient beau jeu de le prendre comme exemple des conséquences désastreuses de l'abolition. En revanche, si par un comportement exemplaire, des études réussies, il témoignait d'une victoire éclatante remportée sur lui-même, alors il aurait servi, au-delà de lui-même, la cause de l'abolition et aussi tous ceux qui croient que nul n'est jamais perdu pour la société, que celui-là même qu'on érige en symbole du mal peut prouver qu'il est aussi susceptible de retrouver la voie qui lui rend une place dans la communauté des hommes.

6Philippe Maurice m'avait écouté avec une attention que je ne lui avais jamais connue lors de nos entretiens. Il m'assura qu’il m'avait compris et que je ne serais pas déçu par lui. H me remercia d'être venu ainsi le voir dès l'élection du nouveau Président. Je le quittai, après lui avoir souhaité bonne chance et surtout bon courage. Je savais que le chemin qui s'ouvrait devant lui serait très dur et très long. Mais je croyais à sa sincérité et à sa force de caractère.

7La thèse qui est aujourd'hui présentée au public est la preuve qu'il a tenu parole, envers lui-même et, surtout, envers la société à l'égard de laquelle sa dette était considérable. Cette thèse réalisée en prison, par un ex-condamné à mort, au prix d'efforts immenses au regard de la réalité carcérale, témoigne, mieux que tous les discours, que l'on ne doit jamais désespérer des hommes. L'épreuve de Philippe Maurice n'est pas achevée. Mais l'exemple qu'il donne est, assurément, un des plus précieux qui soient contre l'inhumaine et inutile peine de mort.