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La bataille d'Alésia

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Joël Le Gall

Dans une angoisse grandissante

Texte intégral

Chacun s’organise

1Les jours se succédèrent, puis les semaines. Aucune nouvelle ne filtrait de dehors dans la place assiégée. Que faisaient-ils donc les gens de l’extérieur ? Allaient-ils arriver enfin ? avant que les vivres ne fussent épuisés ? Les Romains ne devaient pas en savoir beaucoup plus, même les chefs, car ils étaient entourés de peuples hostiles à peu près dans toutes les directions : seuls les Rèmes et les Lingons étaient restés fidèles à l’alliance romaine, peut-être aussi les Leuques (Lorraine méridionale), mais eux-mêmes que savaient-ils de ce qui se faisait ou ne se faisait pas dans le reste de la Gaule ?

  • 1 B.G., VII, lxxiii, 1.

2Ni dans un camp, ni dans l’autre, on n’avait de temps à perdre, puisqu’on ne savait pas combien devrait durer l’attente. Les Romains avaient à effectuer leurs immenses travaux : ce n’était pas simplement des terrassements, il fallait aussi aller chercher du bois, l’apprêter pour le mettre en œuvre ou en faire du feu, aller chercher du blé et du bétail, ou faire des razzias dans les aedificia (c’est-à-dire les fermes) et les uici (c’est-à-dire les villages) du voisinage, tout cela en allant de plus en plus loin et en étant toujours en garde car, si le pays pouvait sembler abandonné par ses habitants, rien ne prouvait qu’une troupe ennemie ne pouvait surgir à l’improviste d’un bois quelconque. Sans doute profitait-on de ces sorties pour faire pâturer les chevaux et les bêtes de somme1. Il y avait aussi les corvées qu’impliquait la vie au bivouac : mesurer et répartir les rations de blé – souvent bien maigres, les moudre, les faire cuire et préparer la bouillie formant la base de la nourriture des hommes, aller aux sources et aux puits, qu’on avait peut-être creusés en certains points où cela avait été possible, y mener les bêtes. En même temps il fallait tailler les boulets, préparer les pierres à lancer, les flèches pour le moment où l’on en aurait besoin. Il fallait en même temps assurer le service normal en campagne : sentinelles et gardes diverses, patrouilles et reconnaissances, de jour et de nuit, même les honneurs réglementaires au proconsul et aux légats, être surtout prêt sans cesse à repousser les attaques des assiégés, car il y en eut.

  • 2 Voir n. 1.

3La vie quotidienne des assiégés était très semblable à celle des assiégeants. Pour eux aussi c’était la vie de bivouac : répartir les rations de grain, de plus en plus insuffisantes, les moudre, les cuire, tuer les bêtes et apprêter leur chair tant qu’on en a eues, trouver du bois sur les pentes du Mont Auxois ou peut-être en abattant les cabanes qui s’y trouvaient sans doute, aller chercher de l’eau aux sources. Tout cela sans négliger les activités militaires : l’observation, les gardes indispensables, tenter ces attaques (ou coups de main) contre les travaux romains qu’on menait avec la plus grande violence, ce qui exigeait qu’elles fussent préparées avec soin, d’autant que beaucoup de « portes » utilisées n’étaient en réalité que des sentiers de chèvres à peu près aussi difficiles à dévaler qu’ils l’eussent été à escalader et qu’il fallait que la sortie se produisît simultanément par plusieurs endroits à la fois2. Toutes ces attaques échouèrent : peut-être même aucune n’atteignit-elle la contrevallation, trop éloignée des points de départ pour qu’il y eût surprise, mais peut-être les tirs obligèrent-ils César à renoncer à utiliser le « fossé de vingt pieds » pour y accrocher la contrevallation.

4Le Mont Auxois domine tellement les vallées qui l’encadrent que les Gaulois voyaient ce qui s’y passait dans une grande partie. En même temps ils entendaient les sonneries réglementaires qu’utilisaient leurs adversaires pour signaler le commencement des veilles, des tours de garde, de commencer ou de terminer les repos. Les sons portent si loin dans les parties étroites de la vallée de l’Oze et surtout de celle de l’Ozerain qu’ils pouvaient entendre les cris qu’échangeaient les sentinelles pour entretenir leur attention, pour ne pas s’endormir la nuit, peut-être même arrivaient-ils à comprendre parfois les conversations des légionnaires. Mieux encore, ils voyaient à quels exercices ceux-ci se livraient sur la circonvallation dans la plaine des Laumes. Seule l’occupation des deux « montagnes » leur échappait à peu près complètement. Les Romains étaient peut-être un peu moins bien partagés ; cependant il semble que d’un point ou de l’autre des deux « montagnes », ils finissaient par voir tout ce qui se passait sur le Mont Auxois.

Face à la famine, de nouveaux choix s’imposent aux assiégés

  • 3 B.G., III, xxxxvii, 4-5.

5Le trentième jour après le départ de la cavalerie arriva sans qu’on vît rien venir. Pour les légionnaires, ce n’était pas encore la famine, car leur quête de blé n’avait commencé qu’après ce départ, mais c’était déjà une disette sérieuse, moindre que durant le siège d’Avaricum, mais qui demeura cependant dans leur souvenir3. Pour les assiégés, c’était tout simplement la famine. Il leur fallait donc prendre une décision : capituler ou quoi faire ?

  • 4 B.G., VII, lxxvii, 1.

6Ils se réunirent – ou au moins leurs chefs – pour en discuter4. Certains étaient partisans de la reddition, d’autres d’une nouvelle sortie, sans doute plus importante, pendant qu’on avait encore les forces nécessaires. César, dans le De Bello Gallico a simplement insisté sur l’avis d’un membre de la plus haute noblesse arverne du nom de Critognatos. Il a connu la tenue de son intervention et il en a reconstitué le discours, long et beau discours, qui est sans doute un morceau d’éloquence plus latine que gauloise, mais, comme pour les autres discours gaulois que César a insérés dans le De Bello Gallico, c’est la forme qui est latine, le fond réunit probablement les idées effectivement exposées par l’orateur.

7Critognatos écarta dédaigneusement la reddition, exposa l’idée d’une sortie. Cependant, il ne fallait pas la décider avant l’arrivée des secours qui tardaient mais qui étaient en préparation, on ne pouvait en douter : la manière dont les Romains s’exerçaient jour après jour sur la circonvallation ne le permettait pas. Il fallait donc endurer patiemment les souffrances de la faim. Si elles étaient trop dures, il faudrait faire ce que les Gaulois avaient fait un demi-siècle auparavant, lorsqu’ils étaient bloqués dans leurs oppida par les Cimbres et les Teutons : se maintenir en vie en sacrifiant les non-combattants, c’est-à-dire les gens trop âgés pour combattre, les femmes et les enfants, en les mangeant. Encore les Cimbres et les Teutons n’avaient-ils fait que passer, les Romains voulaient rester et réduire les Gaulois en servitude. Peut-être les auditeurs ignoraient-ils ce qui se passait chez les peuples lointains ? Mais, pour le comprendre, il leur suffisait de réfléchir au sort de la partie de la Gaule immédiatement voisine, « réduite » en province, dont les lois et les institutions avaient été changées, soumise aux haches des licteurs, opprimée par une servitude permanente, c’est-à-dire à la partie de la Gaule soumise un demi-siècle auparavant et qu’on appellera plus tard la « Narbonnaise » du nom de son chef-lieu, Narbonne.

  • 5 B.G., VII, lxxviii, 1.
  • 6 B.G., VII, lxxviii, 4-5 ; cf. Dion Cassius, XL, 40, 3-4.
  • 7 Trad. Y, Garlan, Historia, 1973.

8Les chefs des assiégés se résignèrent à une demi-mesure5 en expulsant les gens inaptes à la guerre en raison de leur âge ou de la maladie. On n’en viendrait qu’en dernier recours à la mesure proposée par Critognatos, mais on y viendrait alors plutôt que de capituler ou de subir les conditions du vainqueur. Tous les Mandubiens furent contraints de sortir de la place, hommes, femmes et enfants : ils s’approchèrent des fortifications romaines en suppliant de les accepter comme esclaves et de leur donner à manger, mais César plaça des sentinelles sur le rempart de la contrevallation avec interdiction de les recevoir6. On a dit parfois à l’époque moderne que cette attitude était en contradiction avec la réputation d’humanité et de générosité qu’il voulait se faire, mais il s’agit en la matière de l’attitude traditionnelle d’un assiégeant antique. Bien avant César, vers 120 av. J.-C., un grec, Philon de Byzance, avait écrit : « ceux qui ne sont d’aucune utilité, s’ils se présentent devant toi, il ne faut pas les accueillir, afin que les subsistances des assiégés mettent moins de temps à être consommées »7. Attitude antique seulement ? Que non pas ! l’époque moderne en fournit maints exemples ! En 1590, Henri IV assiégeait le Paris de la Ligue, la famine y fut horrible et entraîna même des cas de cannibalisme ! Le roi laissa sortir les femmes, les mendiants et les étudiants, mais il faut se rappeler que ces gens étaient ses sujets et qu’il espérait bien arriver à les ramener à lui. Souvenons-nous au contraire du sort des anabaptistes de Munster, assiégés en 1534-1535 par leur évêque et tout simplement du siège de Paris en 1870 ! César n’a été clément que lorsqu’il l’estimait utile à sa cause et à sa gloire. Ce ne sont guère que ses compatriotes – et plutôt certains de ceux-ci qui bénéficièrent de son indulgence – qui l’écrivaient. Les récits des massacres qu’il perpétra souvent contre les Gaulois abondent dans le De Bello Gallico.

L’organisation de l’armée de secours

9L’attente fut longue, très longue. Cependant les Gaulois de l’extérieur n’avaient pas abandonné l’espoir de sauver les assiégés et d’infliger en même temps la plus lourde des défaites aux assiégeants, voire d’anéantir l’armée de César, mais les préparatifs n’étaient pas aisés à faire. Puisqu’il n’y avait pas d’autorité supérieure en Gaule, il fallut que des négociations s’engageassent entre les peuples intéressés et qu’elles aboutissent.

  • 8 B.G., VII, lxxv, 1-5.

10Il fallut d’abord réunir une assemblée de chefs. Elle décida qu’on n’appellerait pas aux armes tous les hommes capables de les porter comme l’avait demandé Vercingétorix, car une telle multitude – plusieurs millions d’individus peut-être ? – eût constitué une foule impossible à articuler, à tenir en main. On n’aurait pu distinguer les contingents des différentes nations, ni assurer le ravitaillement en grains. On décida d’imposer à chaque nation un contingent limité correspondant à son importance. César a connu ces contingents probablement après la campagne, et il en a inséré la liste dans le De Bello Gallico8 ce qui nous permet de les connaître. Les voici :

Peuples

Régions ou Capitales

Contingent

Eduens et leurs vassaux
Segusiaves
Ambivarètes
Aulerques Brannovices
Biannovii

Morvan et ses abords, de la Saône aux plaines du Bourbonnais
Rive droite du Rhône (des Dombes à Roanne)
Bourbonnais vallée de la Besbre
Brionnais
 ?

35 000

Arvernes et leurs vassaux
Éleutètes
Cadurques
Gabales
Vellavii

Auvergne (Gergovie)
 ?
Quercy
Gevaudan
Velay

35 000

Peuples

Régions ou Capitales

Contingent

Séquanes
Sénons
Bituriges
Santons
Rutènes
Carnutes

Plaines de la Saône et du Jura
Région de Sens et de Melun
Berry
Aunis et Saintonge
Rouergue
Beauce, de la Sologne à la Seine en aval de Mantes

12 000

Bellovaques
Lémovices

Beauvais
Limousin

10 000

Pictons
Turons
Parisii
Helvètes

Poitou
Touraine
Région de Paris
Suisse

8 000

Suessions
Ambiens
Mediomatrices
Petrocores
Nerviens
Morins
Nitiobroges
Aulerques Cénomans

Soissonnais
Région d’Amiens
Lorraine
Région de Périgueux
Hainaut et Brabant
Boulonnais et Calaisis
Agenais
Région du Mans

5 000

Atrébates

Région d’Arras

4 000

Véliocasses
Aulerques Éburons

Vexin
Évreux

3 000

Rauraques
Boïens

Haute Alsace
 ?

2 000

Armoricains
Coriosolites
RedonsAmbibarii

Côtes du Nord
Bretagne orientale
Cotentin

10 000

Peuples

Régions ou Capitales

Contingent

Calètes
Osismes
Vénètes
Lexoviens
Unelles

Pays de Caux
Finistère
Morbihan
Lisieux
Cotentin

10 000

Le problème des effectifs

11Ce tableau pose de difficiles problèmes car la lecture des noms des peuples et celle des chiffres sont parfois incertaines. Les Armoricains, par exemple, ont-ils fourni dix mille hommes, ou vingt mille ou trente mille ? Nous ne connaissons les limites exactes du territoire d’aucun peuple, parfois même la région où il était installé demeure incertaine.

12Aux cités importantes, qui avaient subi de lourdes pertes, comme les Nerviens, on ne demanda qu’un contingent réduit. On eut soin de ménager la susceptibilité des Eduens en fixant la leur au même effectif que celui des Arvernes.

  • 9 B.G., VIII, vi, 2
  • 10 B.G., VII, lxxvi, 1.

13On ne peut satisfaire tout le monde. César rapporte un incident significatif. Les Bellovaques refusèrent de fournir leur contingent parce qu’ils prétendaient faire la guerre aux Rèmes pour leur propre compte et à leur guise9. Ils la feront effectivement l’année suivante et seront vaincus. En 52, ils consentirent cependant à envoyer deux mille hommes en réponse à l’insistance de leur ami Commios, roi des Atrébates, qui allait être un des principaux chefs de l’armée. Ce Commios avait pourtant été, auparavant, un des meilleurs et des plus fidèles auxiliaires gaulois de César, qui estimait les avoir largement récompensés10.

  • 11 B.G., VII, lxxvi, 2.

14Lui et son peuple, mais aussi « l’ensemble de la Gaule qui fut tellement unanime à reconquérir son indépendance et à recouvrer son antique gloire militaire, que les bienfaits et le souvenir de l’amitié furent sans effet et que tous consacrèrent à cette guerre leur ardeur et leurs ressources »11. À vrai dire ces bienfaits ne durent pas paraître bien grands à ceux qui en bénéficièrent : ne pas leur imposer de redevances, leur rendre leur droit et leurs institutions, donner à Commios la suzeraineté sur un peuple voisin, les Morins.

15Quelles que soient les incertitudes, le total des contingents demandés dépassait largement deux cent mille hommes. Mais une question se pose immédiatement : l’armée de secours put-elle jamais réunir sur le terrain les effectifs que lui prête César ? Cela restera un des mystères d’Alésia.

Le commandement

  • 12 B.G., VII, lxxvi, 3.

16Cette concentration eut lieu en territoire éduen12, c’est-à-dire au sud d’Alésia, et on désigna les grands chefs : ce furent Commios, l’Atrébate, les Eduens Viridomar et Éporédorix, l’Arverne Vercassivellaunos, parent de Vercingétorix. Remarquons encore à ce sujet la manière dont avait été rétabli l’équilibre des deux grands peuples en désignant deux chefs éduens alors qu’il y aurait deux chefs arvernes, Vercassivellaunos et Vercingétorix. À ces quatre grands chefs, on adjoignit un conseil composé de délégués des cités qui dirigerait les opérations. Singulière organisation, à nos yeux, du commandement d’une grande armée, mais elle était courante dans l’Antiquité où l’on a même pratiqué largement le commandement alternant jour après jour entre généraux de rang égal. Ainsi avaient fait les Athéniens pour Marathon avec leur dix stratèges, et les Romains eux-mêmes à l’époque de Cannes en 216 av. J.-C. Dans les armées romaines du temps de la Guerre des Gaules, il n’y avait plus qu’un général, mais à la tête de chaque légion, il y avait six tribuns, César avait innové en confiant chacune des siennes à un légat qu’en général il laissait à la tête pendant plusieurs opérations, mais même lui se sentait obligé de réunir, dans certains cas, un conseil formé par les légats et même par des centurions.

  • 13 B.G., VIII, xxvi, 1.

17Pendant qu’on mobilisait l’armée qui allait tenter de débloquer Alésia, les Rèmes de Champagne, les Lingons du plateau de Langres et peut-être les Leuques de Lorraine s’abstinrent et restèrent fidèles à l’alliance romaine. Les Trévires restèrent à l’écart parce qu’ils étaient en lutte contre les Germains. Peut-être y eut-il quelques défaillances en plus de celle des Bellovaques. Il y aurait même eu une guerre civile chez les Pictons13.

  • 14 B.G., VII, lxxvi, 3.

18L’effectif de la cavalerie étonne : pourquoi huit mille cavaliers14 alors que Vercingétorix en avait eu quinze mille avant la « bataille de cavalerie » ? A-t-on pensé qu’elle serait inefficace contre les lignes fortifiées des Romains ? Ou bien les pertes de la « bataille de cavalerie » ou du « combat de cavalerie » avaient-elles été telles qu’il restait seulement ce nombre de cavaliers mobilisables ?

Arrivée de l’armée de secours devant Alésia

19Une fois organisée, l’armée se mit en route vers Alésia. Tous étaient pleins d’ardeur et de confiance : comment l’ennemi pourrait-il soutenir le seul aspect d’une telle multitude ? Comment pourrait-il ne pas être pris de panique lorsqu’il verrait les assiégés sortir de l’oppidum pour l’attaquer d’un côté tandis que de l’autre des forces si considérables de cavalerie et d’infanterie apparaîtraient devant ses positions ?

  • 15 B.G., VII, lxxv, 1 ; devant Gergovie, VII, xxxvi.

20Enfin l’armée arriva et s’installa sur une hauteur à mille pas (1 500 m) à peine des lignes romaines. Cette hauteur ne peut être que la Montagne de Mussy-la-Fosse. On n’a jamais retrouvé aucun vestige de ses campements qui n’ont pas dû comporter de travaux très importants : les Gaulois se contentaient d’installer des bivouacs probablement très étalés, d’autant plus qu’ils campaient par cité, en évitant de se mélanger les uns avec les autres15. La Montagne de Mussy-la-Fosse possède le meilleur des points de vue sur l’ensemble de la zone du siège, au lieudit le Purtagoire. L’armée de secours l’a certainement occupé, mais pas lui seulement. Elle a dû s’établir sur toute la Montagne, ce qui représente un front d’environ six kilomètres et qui n’a pas dû être suffisant si l’on compare avec les huit mille pas (environ douze kilomètres) qu’il avait fallu en 57 aux quelque trois cent mille Belges lors de la « bataille de l’Aisne ». L’armée de secours a donc dû s’étaler au revers dans la vallée du Rû de Vau, où se trouvaient ce ruisseau et des sources.

Le « combat de cavalerie »

  • 16 B.G., VII, lxxix, 2.

21Dès le lendemain la cavalerie sort des campements16 et remplit la plaine des « trois mille pas », l’infanterie s’établit, un peu en retrait, sur les pentes qui dominent la plaine. Les assiégés perçoivent ce qui se passe dans la plaine, ils se rassemblent, se congratulent et l’allégresse remplit les cœurs de tous. Ils ne restent pas inertes, les formations de combat sortent de la place et prennent position en avant d’elle et s’attaquent au fossé romain le plus proche, c’est-à-dire au fossé de vingt pieds : ils s’efforcent d’en préparer le franchissement avec les claies et en y jetant de la terre, puis se préparent à tenter une sortie.

  • 17 B.G., VII, Ixxx, 1, 2, 8 ; lxxxi, 1, 6 ; lxxxii, 2 ; lxxxiii, 1, 2, 7, 8 ; lxxxvii, 4 ; lxxxviii, (...)

22César fait prendre leurs emplacements de combat à ses hommes sur les deux lignes de fortifications – contrevallation et circonvallation – pour qu’ils fussent prêts à réagir à toute éventualité. Puis il fait sortir sa cavalerie pour qu’elle engage le combat. De tous les campements occupant les crêtes, la vue plongeait et tous les soldats aux aguets attendaient l’issue de la bataille. Comprenons bien cette phrase du De Bello Gallico. On dit parfois que beaucoup de camps encerclant le Mont Auxois n’avaient pas de vue sur la plaine des Laumes, ce qui est évident, et on a voulu en faire un argument contre l’identification d’Alésia avec le Mont Auxois. Mais le mot castra ne désignait pas seulement les camps fortifiés des armées romaines. À lui seul, il correspondait à un vocabulaire français varié17. Il désigne les lieux occupés par l’armée de secours aussi bien que les grands camps fortifiés des lignes et les castella de la plaine.

  • 18 Sur la cavalerie gauloise, cf. Vigneron, Le cheval, p. 267-268.
  • 19 B.G., VII, lxxx, 4.

23La lutte dura de midi au coucher du soleil, elle fut très dure. Les Romains, surpris par la présence des archers et voltigeurs gaulois démasqués par les cavaliers18, eurent de nombreux blessés. L’avantage était aux Gaulois encouragés par les clameurs des assiégés et des camarades de l’armée de secours19. De chaque côté, aucun acte d’héroïsme ou de lâcheté ne pouvait demeurer caché. L’intervention des escadrons germains, gardés en réserve par César, provoqua la panique parmi les Gaulois qui refluèrent vers leur camp, laissant les archers encerclés et massacrés. Les assiégés, partis pour participer à l’action, rentrèrent dans la place, consternés.

24Après ce premier combat, les Gaulois savaient en quoi consistaient les défenses de la circonvallation dans la plaine des « trois mille pas ». Ils passèrent la journée à préparer le matériel nécessaire à les attaquer, claies, échelles, crocs de siège pour arracher certains pièges et le parapet du rempart.

L’assaut dans la nuit des fortifications césariennes

  • 20 B.G., VII, lxxxi, 1.

25Vers le milieu de la nuit, en silence, ils sortirent du camp20 et se portèrent aux retranchements, mouvements exécutés avec tant de précaution que les sentinelles romaines ne les décelèrent pas. Lorsque les contingents furent sur la base d’assaut, ils poussèrent une immense clameur pour avertir les assiégés et se ruèrent à l’attaque avec les claies pour les pièges, les flèches et pierres de fronde pour bombarder le rempart.

26Vercingétorix, entendant, la clameur sonna à son tour l’attaque et sortit à la tête de ses troupes pour les conduire à l’assaut de la contrevallation.

27Les Romains se retrouvèrent aux postes qui leur avaient été assignés et où se trouvait tout le matériel nécessaire préparé pendant la longue attente.

  • 21 B.G., VII, lxxxi, 6.

28Dans la nuit, on tirait au jugé. Il y eut de lourdes pertes de chaque côté, les machines romaines faisant pleuvoir les traits sur les assaillants. Les légats, Marcus Antonius, le futur triumvir, et Caius Trebonius, faisaient venir des renforts et les dirigeaient sur les points menacés. Leur conduite leur valut d’être cités dans les « Commentaires »21.

29Les Gaulois, grâce à la densité de leurs tirs, avaient gagné du terrain, mais ils souffrirent beaucoup en pénétrant dans les zones piégées – aiguillons, pièges à loup – en se trouvant à portée des lourds javelots de siège lancés du haut des remparts et des tours. Ils subirent de lourdes pertes sans réussir à percer nulle part.

  • 22 B.G., VII, lxxxii, 2.

30À l’approche du jour, les chefs gaulois réalisèrent le danger d’une contre-attaque de César sur leur flanc droit22 depuis la croupe occidentale de la Montagne de Flavigny. Ils eurent la sagesse de renoncer et ordonnèrent le repli sur leur camp. Les assiégés, qui avaient perdu du temps à avancer le matériel nécessaire pour combler le fossé de vingt pieds, n’étaient pas encore parvenus à la contrevallation. Ils réalisèrent que le combat avait cessé dans la plaine et regagnèrent l’oppidum.

Une opération de grand style. Jamais les coeurs n’avaient battu aussi fort

  • 23 B.G., VII, lxxxiii, 1.
  • 24 B.G., VII, lxxxiii, 2.

31Le conseil de l’armée de secours comprit qu’il fallait monter une opération plus savante23. Par des gens qui connaissaient les lieux et avaient probablement observé les travaux des légionnaires, les Gaulois apprirent la position défavorable d’un camp situé à mi-pente sous le Mont Réa24. César savait les risques de cette situation, il y avait placé deux légions, la 11e, corps de vétérans particulièrement solide et sûr, commandée par Caius Antistius Reginus, et la 10e, commandée par Caius Caninius Rebilus : elle était l’élite de son armée.

32César a-t-il voulu tendre un piège à ses adversaires en n’occupant pas le Mont Réa ? Il n’en parle pas. C’est encore un mystère.

33Les chefs gaulois envoyèrent des éclaireurs reconnaître les lieux, vérifier les informations recueillies. Ensuite, dans le plus grand secret, ils montèrent minutieusement leur plan. Ils choisirent 60 000 hommes à la réputation de grand courage pour attaquer le secteur du Réa sous la direction de Vercassivellaunos, un Arverne, choix judicieux puisque délivrer les assiégés et son cousin était une affaire personnelle.

  • 25 B.G., VII, lxxxiii, 7.

34Partis de nuit, avec un long détour pour éviter les patrouilles et sentinelles de la circonvallation, ils passèrent la Brenne à gué, remontèrent le ravin où se loge Ménetreux-le-Pitois. Arrivés au petit jour sur le Réa25 hors la vue des Romains, ils bivouaquèrent jusqu’à l’heure prévue de l’attaque en se reposant et se restaurant, sans faire de feu. Pour un chef antique, il était indispensable que les combattants ne soient pas à jeun.

  • 26 B.G., VII, lxxxiii, 8. J. Bénard, César devant Alésia, p. 42

35À l’heure prévue, le soleil proche du zénith26, Vercassivellaunos descendit vers son objectif en même temps que la cavalerie gauloise descendait dans la plaine laissant l’infanterie devant le camp. Vercingétorix aperçut ses compatriotes et sortit pour la troisième fois avec le matériel de franchissement et d’assaut. Les assiégés passèrent le fossé de vingt pieds et arrivèrent à la contrevallation.

César se jette dans la mêlée

  • 27 B.G., VII, lxxxv, 1 ; cf. Abbé Joly, Guide, point de vue.
  • 28 B.G., VII, lxxxvi, 4-5.

36La rage était au cœur, les clameurs étaient effrayantes, tous sentaient que c’était l’enjeu final. Tous les ouvrages sont attaqués, mais César, de son observatoire du camp occidental de la Montagne de Flavigny27, suit et dirige les opérations, envoyant les renforts, se rendant lui-même parmi les combattants, haranguant ses troupes qui peinaient dans la plaine devant les assiégés. Ceux-ci renoncèrent à forcer là la contrevallation et s’attaquèrent aux fortifications de la vallée de l’Ozerain malgré la rudesse de la pente. Ils atteignirent la palissade et avec les crocs commencèrent de l’arracher28.

37Pour y rétablir la situation, César y envoya des cohortes sous les ordres de Decimus Junius Brutus Albinus, le vainqueur de la flotte des Vénètes – ce n’est pas le Brutus du « Toi aussi mon fils ». Ces cohortes durent être renforcées par d’autres, conduites par le légat Caius Fabius Maximus. Finalement, César intervint lui-même avec des troupes fraîches pour reprendre l’avantage.

38Du côté de l’attaque de Vercassivellaunos, la situation était grave pour les Romains. Les Gaulois avec de la terre, avaient neutralisé les pièges, leurs troupes se renouvelaient alors que les Romains commençaient de manquer de munitions et de se fatiguer. César avait envoyé Titus Labienus – le vainqueur de Lutèce – avec six cohortes. Celui-ci en avait rassemblé 39 en prélevant probablement la majeure partie des effectifs de la Montagne de Bussy et de la contrevallation de la vallée de l’Oze. Accablé il ne restait à Labienus qu’à tenter le combat en rase campagne, il en avait la permission de César.

39Le combat rétabli dans la plaine, César intervint lui-même avec quatre cohortes, ordonnant à des escadrons positionnés dans la plaine de le suivre et à ceux probablement postés sur la Montagne de Bussy de contourner la circonvallation et d’attaquer Vercassivellaunos par derrière. Il s’avança drapé dans son paludamentum pourpre, manteau porté par les généraux romains dans les batailles. Les Gaulois, en le voyant, se ruèrent sur les cohortes de Labienus en hurlant, accompagnés par les clameurs élevées de toutes parts. Les Romains durent se battre à l’épée, le tumulte était à son comble.

Repli des assiégés et retraite de l’armée de secours

  • 29 B.G., VII, lxxxviii, 3 4.

40Alors, la cavalerie surgit dans le dos des assaillants29 sans qu’ils l’eussent vue approcher. La panique s’empara d’eux, ils tournèrent le dos et tentèrent de s’enfuir. Les cavaliers romains leur coupèrent la retraite et en firent un grand carnage. Sedullus, chef des Lemovices, fut tué, Vercassivellaunos, rattrapé, fut fait prisonnier. 74 enseignes furent apportées à César.

41Depuis l’oppidum, les assiégés virent le désastre. Ils rappelèrent ceux qui combattaient sur la contrevallation de la vallée de l’Ozerain et ne pouvaient avoir suivi la lutte au pied du Réa.

  • 30 B.G., VII, lxxxviii, 7.

42Voyant le repli des assiégés, effondrée du désastre, l’armée de secours abandonna le camp et s’enfuit vers ses cités30. Lorsque César voulut l’attaquer, dans le milieu de la nuit, sa cavalerie ne rencontra que l’arrière-garde qui subit des pertes mais le gros de l’armée s’échappa et ses contingents regagnèrent leurs territoires.

43Autant l’attente fut longue, autant l’action finale fut brève. L’armée de secours a attaqué dès le premier jour de son arrivée. Elle a préparé l’attaque de nuit durant la deuxième journée. Ce combat s’est déroulé entre le deuxième et le troisième jour. Il a été arrêté avant la mi-journée du troisième jour.

44C’est pendant cette fin de journée que le conseil interrogea ceux qui connaissaient les lieux. Il fallait procéder à la reconnaissance des possibilités entrevues et préparer minutieusement l’expédition de Vercassivellaunos. Celle-ci s’est mise en route à la première veille du quatrième au cinquième jour, l’attaque étant fixée au zénith du cinquième jour.

45Le cinquième jour au soir, c’est le désastre et la déroute. À partir de minuit, donc le sixième jour, l’arrière-garde gauloise est atteinte mais le gros de l’armée de secours a échappé à la cavalerie de César partie à sa poursuite.

46La présence de l’armée de secours a donc été très brève. C’était nécessaire pour résoudre la question du ravitaillement d’une telle troupe et maintenir une entente parmi tant de peuples souvent rivaux.

Notes

1 B.G., VII, lxxiii, 1.

2 Voir n. 1.

3 B.G., III, xxxxvii, 4-5.

4 B.G., VII, lxxvii, 1.

5 B.G., VII, lxxviii, 1.

6 B.G., VII, lxxviii, 4-5 ; cf. Dion Cassius, XL, 40, 3-4.

7 Trad. Y, Garlan, Historia, 1973.

8 B.G., VII, lxxv, 1-5.

9 B.G., VIII, vi, 2

10 B.G., VII, lxxvi, 1.

11 B.G., VII, lxxvi, 2.

12 B.G., VII, lxxvi, 3.

13 B.G., VIII, xxvi, 1.

14 B.G., VII, lxxvi, 3.

15 B.G., VII, lxxv, 1 ; devant Gergovie, VII, xxxvi.

16 B.G., VII, lxxix, 2.

17 B.G., VII, Ixxx, 1, 2, 8 ; lxxxi, 1, 6 ; lxxxii, 2 ; lxxxiii, 1, 2, 7, 8 ; lxxxvii, 4 ; lxxxviii, 4, 5.

18 Sur la cavalerie gauloise, cf. Vigneron, Le cheval, p. 267-268.

19 B.G., VII, lxxx, 4.

20 B.G., VII, lxxxi, 1.

21 B.G., VII, lxxxi, 6.

22 B.G., VII, lxxxii, 2.

23 B.G., VII, lxxxiii, 1.

24 B.G., VII, lxxxiii, 2.

25 B.G., VII, lxxxiii, 7.

26 B.G., VII, lxxxiii, 8. J. Bénard, César devant Alésia, p. 42

27 B.G., VII, lxxxv, 1 ; cf. Abbé Joly, Guide, point de vue.

28 B.G., VII, lxxxvi, 4-5.

29 B.G., VII, lxxxviii, 3 4.

30 B.G., VII, lxxxviii, 7.

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