1Quand, le 26 mai 1284, le vicaire général des Savoie en Piémont avait voulu rendre publiques d’importantes décisions lignagères, il s’était adressé aux châtelains, aux nobles et aux ambassadeurs des communautés locales réunis à Giaveno, en amont de Turin1. En cette fin de XIII^e siècle, la société politique savoyarde se percevait, du moins au sud des Alpes, comme un ensemble de seigneurs, de représentants des communes et de délégués territoriaux du comte. La présence de ces derniers parmi les diffuseurs des décisions comtales révélait ainsi l’importance des agents princiers. Certes leur rôle, avant tout territorial, était encore mince et leur prestige limité, comme l’attestait, à l’orée du XIV^e siècle, un recrutement social mitigé2 ; toutefois, malgré l’absence d’une définition institutionnelle unitaire – le document parle de châtelains, non d’officiers-, cet acte permet d’apprécier l’entrée en scène politique d’un nouveau protagoniste collectif, reconnu avant tout par son action au service du prince.

2Presque quatre-vingts ans plus tard, en 1366, lorsque Amédée VI, avant de partir pour sa croisade en mer Noire, institua un conseil de régence autour de son épouse Bonne de Bourbon, la société savoyarde avait bien évidemment évolué. Sur des fondements encore féodaux et tripartis – il s’agissait d’annoncer la nouvelle aux « prélats, barons, bannerets, vavasseurs, nobles, bourgeois et paysans » – s’était greffé l’essor des administrateurs : baillis, juges et vicaires, podestats, châtelains et métraux, procurateurs, commissaires et tous les autres officiarii princiers3. Le monde des officiers s’était élargi, bien qu’il continuât à privilégier le territoire aux dépens d’un centre dont les appareils s’étaient à peine stabilisés4, et que, simple somme d’éléments distincts voire disparates, il manquât toujours d’une définition unitaire5.

3Encore un demi-siècle et, en 1430, le prologue des statuts princiers par excellence, les Decreta Sabaudiae ducalia d’Amédée VIII, présente une société politique plus structurée dans laquelle les officiers jouent un rôle de premier plan. Ses destinataires sont tous les consiliarii, iusticiarii et officiarii savoyards ainsi que les vassaux ducaux et tous les sujets de la principauté6. Comparée à celle de 1366, la liste des Decreta innove tout autant qu’elle maintient. La continuité réside d’abord dans sa terminologie vassalique et seigneuriale ainsi que dans une définition partielle des officiers, les juristes étant considérés à part ; les nouveautés, elles, concernent la volonté de penser la principauté, dont les cadres institutionnels s’étaient entre-temps renforcés7, comme un corps politique formé par l’ensemble des sujets du prince, auxquels se joignent des goupes particuliers, les vassaux, et surtout les divers entourages ducaux, des conseillers aux juristes et, bien sûr, aux officiers.

4La perception des agents princiers était ainsi en train d’acquérir une tonalité propre et unifiée8. Il est vrai que, dans ces mêmes statuts, les lois somptuaires, qui indiquaient l’ordre social que le prince voulait imposer à ses sujets9, atténuaient partiellement ce tableau : tout en reconnaissant les spécificités sociales des administrateurs centraux, elles ne parvenaient pas à leur fournir une hiérarchie distincte. Ainsi, le statut et l’habillement du président de la Chambre des comptes dépendaient-ils du « rang et de la qualité de sa propre personne »10. L’unification lexicale du service princier sous le signe des officiers prenait pourtant son essor. Elle est clairement attestée quelques trente ans plus tard, en 1462, dans un mémorial adressé par le procureur fiscal au duc Louis, dans lequel sont signifiés les trop nombreux abus, à base de violences, injustices et parjures, perpétrés durant les vingt-cinq dernières années par les officiers, les vassaux et les sujets princiers. Trois grands interlocuteurs politiques du pouvoir ducal sont ainsi révélés, qui renvoient à trois perceptions différentes de l’espace savoyard, une principauté territoriale (les sujets), une société politique (les vassaux plus encore que les nobles) et enfin un groupe cohérent d’administrateurs, les officiers11. Ces derniers englobent à présent l’ensemble des agents au service du prince. Comme l’indique une autre ordonnance de l’époque, Louis, et avec lui ses officiers auteurs matériels de l’acte, considèrent que toute « policie » doit se fonder sur un double ingrédient : de bonnes lois et d’excellents magistrats12.

5De 1284 à 1462, ces quatre exemples servaient à introduire le but premier de cette communication, à savoir l’analyse du monde des officiers, en vue de comprendre quels pouvaient en être la physionomie interne ainsi que les rôles administratifs, le poids politique et la configuration sociale.

6Pour répondre, même partiellement, à ces questions, commençons par les sources, avant de poursuivre par un repérage des principaux caractères institutionnels et professionnels des officiers et de terminer par les modalités de leur identification et de leur éventuelle promotion sociale. Les sources donc, qui en Savoie sont peut-être plus partiales et hiérarchisées qu’ailleurs : il s’agit avant tout d’une documentation princière de type administratif, statutaire et fiscal, au centre comme sur le territoire13, à laquelle s’ajoutent des centaines de cahiers (les protocoles) où les notaires-secrétaires savoyards ont transcrit tout acte pouvant, même de loin, concerner le prince et sa société politique14. Jusqu’au moins en plein XV^e siècle, les grandes absentes sont les sources d’opinion, ainsi que les correspondances, les suppliques ou les traités politiques15. Toute voix dissonante, même en provenance de la plume d’un officier, reste ainsi longtemps dans l’ombre16. Les évolutions et les hiérarchies documentaires mettent, quant à elles, encore mieux en évidence l’omniprésence du prince, par qui et pour qui ces sources ont vu le jour. Leur évolution renvoie tout à la fois au renforcement des institutions administratives et à la capacité princière à contrôler sa société politique : essor des lettres de nomination des officiers et des conseillers dès l’aube du XV^e siècle17, rapidement suivi des premiers cas de lettres d’anoblissement ducales18. De plus, la hiérarchie documentaire montre, par ses propres systèmes de classement, la prééminence de longue durée du politique et de ses archives sur l’administratif et ses relevés comptables : encore en 1442 le salaire du clavaire des comptes (10 florins) était huit fois moins élevé que celui de l’archiviste de cour19. Ce fut pourtant ce dernier, Henri de Clairvaux, qui s’attela dans le même temps à la rédaction d’un nouvel inventaire qui privilégiait pour la première fois des principes territoriaux et administratifs au dé triment d’indicateurs lignagers, féodaux, et diplomatiques20. La lecture typologique des sources savoyardes ajoute ainsi un indicateur de poids au rôle des agents princiers de cette fin du Moyen Âge.

7Ces agents, nous l’avons vu, se reconnaissent de plus en plus dans un ensemble aux profils multiples, celui des officiers. Comment donc définir la double notion d’office et d’officier dans le contexte savoyard ? Les exemples cités plus haut ont montré qu’au XV^e siècle, quand les deux termes s’imposèrent en tant que plus petits dénominateurs communs du service princier, ce fut par le biais d’une définition très large de leurs prérogatives et de leurs fonctions21. Toute charge administrative dépendant du prince fut considérée comme un office, quel que fût son profil, comme l’attestait la présence de commissaires parmi les officiers de 136622. De même, tout agent des Savoie fut perçu comme leur officier, quels que fussent les critères de son choix et les modalités de sa rémunération. Le même procureur fiscal qui avait parlé, en 1462, des officiers comme d’un tout, y distinguait cependant deux types, les officiers médiats et ceux immédiats23. Ces derniers étaient nommés par le prince, au travers de lettres d’institution du poste et, le cas échéant, de constitution du salaire24. Mais à leurs côtés se trouvaient autant d’agents que le prince ne contrôlait qu’indirectement. Il s’agissait en premier des lieutenants territoriaux qui avaient pris leur essor dès le milieu du XIV^e siècle25. Techniquement choisis par le supérieur qu’ils remplaçaient, leur nomination avait peu à peu été contrôlée par les Savoie comme l’atteste la transcription dans les protocoles princiers de nombreux actes de nomination « privés »26. Les différents critères de nomination étaient ainsi intégrés dans une définition large des officiers savoyards. Il en allait de même des modalités de leur rémunération : il est vrai que le « noyau dur » des officiers recevait des gages annuels, comme le rappelle un relevé des salaires de 1442 dont la liste comprenait une longue série de délégués territoriaux ainsi que les principaux officiers centraux27 ; mais les notaires-secrétaires, payés à l’acte et donc exclus de cette liste, étaient eux aussi perçus en tant qu’officiers28, tout comme les métraux et d’autres agents locaux dont le poste se trouvait le plus souvent affermé29.

8Que ressort-il de ce rapide tour d’horizon institutionnel ? Que dans la Savoie du bas Moyen Âge les notions d’office et d’officier ont développé un rayon d’action très large ; que le service du prince procède d’une nomination politique et non pas d’une élection administrative ou d’une cooptation sociale, les rares résignations étant l’exception qui confirme la règle30 ; que les principales fonctions administratives sont salariées et non pas affermées ou inféodées31, bien qu’au quotidien la faune des postes mineurs puisse très bien l’être.

9À ces caractéristiques institutionnelles, ajoutons à présent d’autres indicateurs professionnels. De quels offices parlons-nous, quels peuvent être les niveaux de spécialisation de leurs détenteurs, quels sont les véritables critères de leur choix ? J’ai distingué jusqu’ici offices centraux et territoriaux. Il faut pourtant bien se garder d’opposer un ou plusieurs centres régulateurs de l’action de gouvernement - qu’il s’agisse des résidences princières ou des chefs-lieux administratifs - à une périphérie considérée comme simple caisse de résonance de décisions externes. Qu’il suffise ici de rappeler que, dès que Chambéry devint capitale, les passages entre les fonctions centrales et les postes territoriaux et leurs cumuls, furent à l’ordre du jour, favorisant ainsi l’essor des lieutenances32 Au centre et sur le territoire, les buts de la politique princière furent longtemps divergents : d’une part il fallait créer de toutes pièces une administration plus ou moins professionnelle ; de l’autre, l’intégration des différentes élites locales dans la principauté naissante prenait souvent le chemin d’une nomination châtelaine ou baillivale33.

10Ainsi donc, malgré les interdictions statutaires de tout cumul et de tout ancrage familial des officiers territoriaux34, la mobilité administrative fut importante et répétée, une mobilité faite à la fois de circulation géographique, d’ascension sociale et d’aggiornamento professionnel35. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier aspect, car il renvoie aux divers degrés de spécialisation des officiers, toute typologie administrative confondue. Tandis que châtelains et baillis occupaient des postes généralistes aux compétences multiples36 et que, parmi les délégués territoriaux, seuls les juges-mages se distinguaient par leur professionalité spécifique, dans l’administration centrale trois branches différentes se faisaient lentement jour, en Savoie comme ailleurs : la justice, la fiscalité, les appareils de contrôle. Dans les faits, cette esquisse de spécialisation fut aussi imparfaite qu’inégale. Imparfaite d’abord, car, d’une part, les passages croisés furent nombreux, entre les auditeurs des comptes et les trésoriers généraux par exemple37, tandis que d’autre part les notaires-secrétaires obtenaient une compétence de base généraliste qui leur ouvrait l’accès aux charges les plus diverses ; inégale ensuite, car les acquis juridiques prirent toujours plus d’importance, permettant ainsi à des docteurs ès loi de mener une double carrière, de juristes et d’hommes des comptes – triple si l’on y ajoute les fonctions territoriales –, alors que les experts en finances ne pouvaient en dire autant38.

11Les tendances à cette spécialisation, ainsi que leurs limites, sont d’ailleurs bien exprimées dans les Decreta : parmi les qualités requises pour devenir chancelier, collatéral des audiences ou procureur fiscal, se détachent, comme prévu, la scientia legum ou un titre doctoral ; de même les auditeurs des comptes doivent-ils être idoines « à la science du calcul et des comptes », tandis que les maîtres de l’hôtel, « hommes insignes » et de cour autant que d’office, se recrutent parmi les élites aristocratiques et seigneuriales39. Mais pour les baillis, les châtelains et même les trésoriers, les qualités premières sont tout sauf spécialisées : ce qu’on leur demande, c’est d’être prudents et honnêtes, moraux et intègres40. Ces officiers sont donc avant tout des dilecti fideles, comme le répètent sans cesse les sources princières : c’est le cas du citoyen genevois Michel du Fer, nommé au poste de trésorier général en 1427 grâce « à sa fidélité, à son zèle, à sa promptitude infatigable »41.

12Que retenir de toutes ces données, et d’autres encore ? Que chez ces officiers savoyards pour qui la mobilité, géographique ou de fonction, est souvent presque de rigueur, fidélité personnelle et compétence professionnelle, en premier lieu juridique, ne s’opposent pas, mais se complètent42 ; que tout en se distinguant de l’ensemble des consiliarii, hommes de cour et d’entregent43, ces officiers ne forment ni un goupe unifié ni une série de sous-groupes bien définis, sauf, en partie, chez les légistes ; que du XIV^e au XV^e siècle la durée de leurs charges a plutôt tendance à s’allonger tandis que leurs compétences techniques s’accroissent, tout en n’assurant pas, à elles seules, une nomination. Bref, que dans leurs éventuelles stratégies de carrière, ils peuvent miser sur plusieurs tableaux selon le type de capital individuel dominant : titres universitaires et savoir-faire financiers ; pratiques notariales et valeurs nobiliaires.

13En vérité, parmi ces différents critères d’accès à l’office il y en a un dont je n’ai presque pas parlé jusqu’ici, car les sources statutaires l’ignorent ou le condamnent : c’est l’argent. Véritables condensés de prescriptions pratiques44, les Decreta et autres statuts savoyards préfèrent longtemps, à ce propos, le silence même à la réprobation. Nés peut-être comme simples palliatifs lors de crises financières, ces mutua super officiis, des prêts engagés par le prince sur les recettes de ses offices45, se multiplient dès la seconde moitié du XIV^e siècle, semblent atteindre un premier pic dans les années 1370-9046, puis s’installent dans le quotidien des comptes de trésorerie47 avant que d’être vertement critiqués dans les mémoriaux d’officiers du temps de Louis48. L’essor de cette variable financière modifie d’autant les jeux de l’office, en y intégrant un autre type de capital, économique celui-là. Dans le même temps, elle permet à des protagonistes nouveaux d’accéder à des charges, voire souvent à des carrières administratives. Ces officiers/entrepreneurs peuvent parfois ressembler au citoyen de Belley, Pierre Gerbaix, dont la spectaculaire ascension socio-administrative, de la ville à la trésorerie et au conseil, de là à la noblesse et à la seigneurie, l’avait conduit à la disgrâce princière et au conflit armé avec d’anciens dynastes ruraux, sans en vérité que ses déboires personnels ne suffisent à remettre en cause la nouvelle noblesse qu’il avait acquise pour son lignage49.

14Le plus souvent ces créanciers-officiers sont des hommes de la ville, parfois des étrangers, dont la compétence financière ne se double pas toujours d’une spécialisation administrative, d’où leur image d’officiers rapaces et véreux qui, selon une confirmation de franchise de 1391, « jour et nuit n’ont cure que de leur argent et ne veillent qu’à leurs gains »50. Ces avantages financiers peuvent aussi n’être qu’un espoir, comme veut le laisser croire une ordonnance de 1460 dans laquelle le duc explique la multiplication des abus qu’il entend déraciner par le fait que trop d’officiers sont des fils, ou même des pères, de familles sans ressources, ou alors que les somptueuses dépenses liées à leur charges « de riches les avaient faits pauvres »51. La portée de ces critères économiques modifie donc, parfois en profondeur, la hiérarchie et la spécialisation des offices, ainsi que le type de compétences individuelles requises et le bassin de recrutement social de leurs détenteurs.

15Ces derniers semblent, il est vrai, être perçus comme une composante essentielle de l’entourage princier. Cela est-il toutefois suffisant pour en faire un groupe de pouvoir à la fois cohérent en son propre sein et alternatif tant à la ville que, surtout, à la seigneurie ? Nous avons vu les limites de sa cohésion, bien qu’elle se renforce dans le courant du XV^e siècle par la multiplication de mariages internes et le développement de dynasties d’office52. Quant à l’autonomie sociale des officiers, on peut l’appréhender en se demandant qui se plaçait au service du prince et pourquoi. La diversité des capitaux mis en jeu dans la compétition pour les offices renvoie d’elle-même à un bassin de recrutement social large. À une base de départ constituée par la petite et moyenne noblesse seigneuriale53 s’étaient peu à peu ajoutés, en parallèle à l’essor des structures politiques de la principauté, aussi bien des membres des anciennes élites régionales que de plus récents notables et officiers urbains54. Les raisons de ces choix administratifs ne sont certes pas propres à la Savoie : dans un contexte de développement de pouvoirs régionaux ou nationaux, disposer d’un office signifiait, presque partout, s’approcher du prince et de son autorité, et, ainsi, tenir son rang ou améliorer son statut, garder son prestige politique et réussir son ascension sociale.

16Mais la question n’est pas là ; elle concerne plutôt les rapports de force entre l’office, la seigneurie et la ville. Ces nouvelles caractéristiques administratives vont-elles prendre le dessus sur les critères de prééminence propres à la noblesse rurale ou même à la notabilité urbaine ? Or la Savoie n’est ni Paris et son parlement où un milieu cohérent d’officiers voyait alors le jour55, ni le comté de Warwick dont les élites préféraient parfois éviter les offices56. Dans cette principauté alpine et malgré toute son importance, la voie des offices ne débouche pas, du moins à la fin du Moyen Âge, sur la création d’un milieu solidaire, pas plus qu’elle n’entre en opposition idéologique avec d’autres critères de formation et de reproduction des élites. Se demander si l’entrée au service princier est un but ou un moyen, c’est peut-être mal formuler sa question. Ces deux éléments ne sont pas alternatifs.

17L’office, dont l’essor est étroitement lié aux équilibres changeants entre une offre administrative, elle même plurielle, et une demande politique57, répond à des besoins différents selon la perspective privilégiée. Pour le prince, son importance se situe autant sur un plan de savoir-faire professionnel que sur le terrain de la médiation entre ses centres politiques et les diverses élites actives localement : sans cour, et surtout sans offices, point d’espoir d’unifier la somme des particularismes régionaux qui constituent sa principauté. Pour la moyenne et la petite noblesse, ainsi que pour la notabilité urbaine, les carrières administratives sont, nous l’avons vu, un moyen essentiel de promotion sociale, par le biais de la mobilité géographique et seigneuriale pour les uns, de l’anoblissement et de la seigneurialisation pour les autres, tels les Chambériens Chabod, syndics et officiers devenus, en 1438 et par acquisition, seigneurs de Lescheraine58. Les élites nobiliaires elles-mêmes se prêtent toujours plus à cette concurrence administrative devenue nécessaire à la reproduction de leur suprématie, en gagnant les universités et en se cramponnant à leurs charges, comme le rappellent, au milieu du XV^e siècle, d’anciens frondeurs, tous de grands seigneurs qui, lors de leur pardon, obligent le duc à ne leur « oster » aucun de leurs offices. Enfin, la variable financière concerne bien l’ensemble des protagonistes : ces mêmes ligueurs ne spécifient-ils pas qu’ils tiennent à garder leurs postes « iusques a ce qu’ils soyent payez de ce que leur est deu sur iceux offices »59 ?

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18En conclusion, et comme le rappellent les Decreta, les officiers, tout en étant perçus et parfois en se percevant eux-mêmes comme des protagonistes nouveaux de la société savoyarde des XIV^e et XV^e siècles, n’ont ni ressenti le besoin ni eu la capacité de se poser en porte-à-faux par rapport aux élites consacrées. En fait, je dirais que l’office ne se situait pas sur le même palier que la seigneurie ou la ville. Le contrôle des postes administratifs devenait plutôt une variable essentielle de la définition des hiérarchies politiques, car de cette manière se développait un lien nécessaire entre trois grands types de capitaux : social, économique et professionnel. En lui même, l’essor des officiers princiers ne remettait donc pas en question les fondements idéologiques de la reproduction des élites ; il contribuait toutefois avec force à la modification biologique du groupe seigneurial et nobiliaire, ainsi qu’à l’affirmation de nouveaux critères de distinction sociale en terre savoyarde.