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Saint-Denis et la royauté

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Françoise Autrand
, 
Claude Gauvard
, 
Jean-Marie Moeglin

Avant-propos

Texte intégral

1Du jeudi 2 mai au samedi 4 mai 1996, s’est tenu le colloque international « Saint-Denis et la royauté », organisé en l’honneur de Bernard Guenée. Cette rencontre répondait à la volonté qu’avait émise Bernard Guenée de réunir, en des lieux exemplaires et en particulier à Saint-Denis même, à proximité de l’abbatiale où s’étaient succédé tant de chroniqueurs des rois de France, les spécialistes de l’histoire médiévale qui, en France et à l’étranger, l’avaient entouré au plus près de sa recherche et de son enseignement. Nombreux sont ceux, jeunes et moins jeunes, chercheurs débutants ou confirmés, qui ont répondu à cet appel.

2La publication des actes de ce Colloque porte, nous l’espérons, la marque vivante de ces trois journées où les exposés et les débats ont été à l’image de ce que fut toujours le séminaire d’histoire politique que Bernard Guenée a dirigé pendant trente ans, à l’Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne puis à l’École pratique des Hautes Etudes, Sciences historiques et philologiques. Dans un souci constant de référence à des documents inédits et de rigueur dans la recherche, l’érudition la plus stricte a côtoyé des hypothèses parfois hardies, chaque participant s’exprimant dans la plus grande et la plus amicale des libertés.

3L’ensemble se présente sous une forme assez homogène pour qu’elle soit soulignée. L’index en témoigne, qui poursuit les mêmes hommes, les mêmes lieux et les mêmes œuvres. On pourrait en dire autant des thèmes abordés. La démarche s’articule naturellement en trois temps : celui du règne de Charles VI, qui sert de point d’ancrage chronologique à la plupart des communications, celui de l’écriture de l’histoire, qui montre quel chemin a parcouru l’historiographie depuis ces dernières années, enfin celui des liens privilégiés que la royauté entretient avec l’idéologie, qu’il s’agisse de l’écrit, de la parole ou des rituels. Le secret de cette alchimie n’est ni de hasard ni de pure forme. Il tient à la formation historique ou à la complicité dans la recherche dont chacun des participants a pu bénéficier à un moment donné de sa carrière. Il tient aussi au cheminement de la pensée de Bernard Guenée qui, depuis sa thèse, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du Moyen Age (Paris, Les Belles Lettres, 1963), s’est entièrement consacré à l’histoire politique, à un moment où, en France, elle n’était guère prisée. L’enthousiasme suscité par une démarche qu’est venue ponctuer la parution de L’Occident aux XIVe et XVe siècles, Les Etats (Paris, Presses Universitaires de France, Nouvelle Clio, 1971) a pourtant drainé les premiers disciples. Ils étaient persuadés de ce qui apparaît maintenant comme une évidence : le triomphe de la royauté à la fin du Moyen Age ne peut pas s’expliquer sans la création d’institutions qui la soutiennent comme les tribunaux et les impôts ; sans l’appui d’un corps d’officiers dévoués à la servir ; sans référence à une image royale dont la symbolique est perçue et acceptée par tous, au-delà d’une simple histoire des mentalités politiques. Quant au sentiment national, il n’attend pas la Révolution française pour éclore et il doit moins à la Guerre de Cent ans qu’à la lente action des serviteurs de l’Etat. Ainsi se construit le royaume, enfin perçu comme un espace commun à l’intérieur de frontières où les sujets du roi reconnaissent leur identité. De cette idéologie, qui est encore confondue trop souvent avec la propagande, Bernard Guenée extrait l’un des piliers, l’Histoire, dont il démontre, dans Histoire et Culture historique dans l’Occident médiéval (Paris, Aubier, 1981), qu’elle est d’abord l’œuvre de gens de métier soucieux de concilier l’érudition et la vulgarisation, comme ils le sont de servir le prince et le salut des âmes. Il les étudie dans les replis de leur œuvre comme dans ceux de leur cœur et de leur chair. Dans un autre ouvrage, issu des avatars d’une question d’agrégation, Entre l’Eglise et l’Etat. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age (Paris, Gallimard, 1987), la pensée se précise à travers des exemples qui dessinent autant de carrières : les clercs dominent l’Histoire en même temps qu’ils s’imposent dans la vie politique, tant il est vrai qu’au Moyen Age, l’Etat est né dans le giron de l’Eglise. Parmi ces historiens médiévaux, se détache bientôt la figure de Michel Pintoin, le Religieux de Saint-Denis dont la polyvalence fascine Bernard Guenée. Le moine de la célèbre abbaye mêle le double avantage d’être un lettré lié aux premiers humanistes et un chroniqueur du règne de Charles VI. Bernard Guenée préface la réédition de sa Chronique en 1994 (Paris, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 3 volumes). Ce texte sert désormais de socle à ses recherches, en même temps qu’il incite une jeune génération d’historiens du Moyen Age à aborder l’histoire politique. Il met surtout à l’honneur ce long règne du roi fou que l’historiographie a tant décrié alors que la vitalité de l’Etat s’y exacerbe : l’absence du monarque oblige à précipiter les innovations politiques tandis que les querelles entre les princes contribuent, de façon apparemment paradoxale, à renforcer la domination qu’exerce le roi plutôt qu’à l’affaiblir. La synthèse opérée dans Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407 (Paris, Gallimard, 1992) l’a clairement fait comprendre. Le meurtre entre parents s’y enchâsse dans la longue durée des institutions royales et princières, des ambitions et des normes d’honneur qui régulent les rapports sociaux. Puissent les actes de ce Colloque contribuer à persuader les historiens que la crise politique de la fin du Moyen Age est, en fait, le signe d’une transformation rapide du royaume, de la culture et de l’Etat !

4L’histoire politique rendue sous toutes ses faces, de celle, cachée, du texte aride ou codifié à celle, éclatante, de l’événement, semble maintenant simple. Elle est même devenue à la mode. Mais les actes du Colloque voudraient montrer que ce succès a surgi d’une quête longue, rigoureuse autant que passionnante et que, si elle s’épanouit maintenant en réseaux vigoureux, elle a reçu l’impulsion d’une marque indélébile.

5Dès 1977, dans Le métier d’historien au Moyen Age. Etudes sur l'historiographie médiévale, les premiers élèves de Bernard Guenée confiaient à leur plume ce qu’ils lui devaient. Ils renouvellent cet aveu aujourd’hui, plus nombreux encore et fiers de lui offrir en écho le fruit de leur démarche intellectuelle. Mais ils savent, et c’est la plus grande leçon qu’ils aient pu recevoir, que cet écho conserve la fragilité d’un état provisoire, celui que donne la recherche à un moment donné de son histoire. Ils savent aussi que la pensée n’est rien sans l’aide de ceux qui permettent de la divulguer. Tous leurs remerciements vont aux institutions qui ont rendu cette rencontre et cette publication possibles : l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l’École normale supérieure, l’École pratique des Hautes Etudes, Sciences historiques et philologiques, le Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, Centre National de la Recherche Scientifique – UMR 8589, la Mairie de Saint-Denis, l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, l’Université Paris X – Nanterre, l’Université Paris XII – Val-de-Marne, ainsi que l’Institut Universitaire de France. Les Publications de la Sorbonne ont permis que l’ouvrage paraisse dans les meilleures conditions. Emilie Gondret a assuré avec bonne humeur la tâche ingrate qui consiste à harmoniser des communications restées techniquement disparates. Enfin, bien des coquilles et des fautes ont été évitées grâce à la relecture vigilante d’Elisabeth Mornet qui a assuré la mise en page définitive de l’ouvrage. Puisse cette chaîne de compétences et d’amitié être à la mesure de ce que nous avons reçu et de ce que nous souhaitons offrir.

© Éditions de la Sorbonne, 1999

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