Chapitre I. Géographie politique (1250-1350)
p. 37-147
Texte intégral
1« Pour écrire l’histoire, il faut un long travail préliminaire préparé dans le calme... Avant que je ne puisse élever l’édifice que je me propose de construire, j’ai à gravir le sommet de nos montagnes, à pénétrer dans les asiles les plus secrets de nos bois et de nos forêts pour y découvrir les restes de l’antiquité romaine... Mais comme l’organisation politique de l’Alsace a souvent changé de forme, il convient d’étudier l’influence que le temps a exercée sur sa situation géographique, sur son gouvernement, sur la religion et les mœurs de ses habitants. C’est d’après ce point de vue qu’a été rédigée notre Alsace Illustrée1. »
2Dans la droite ligne de la méthode de Jean-Daniel Schöpflin, les pages d’introduction de ce travail ont permis de découvrir l’Oberrhein en le parcourant dans sa géographie et d’apprécier ses multiples atouts : espace ouvert à la circulation, espace aux terroirs fertiles, espace densément peuplé. Ce même espace offrait également, avant la période 1250-1350 à présent étudiée, une genèse politique complexe dont les rythmes s’inscrivaient dans le cadre impérial. Aux temps mérovingiens et carolingiens, les forces politiques s’essayèrent à une organisation dont la mémoire administrative a conservé la trace : celle des comtes et des comtés, des privilèges aux Églises et à leurs avoués, la notion d’Empire chrétien. L’Oberrhein ne faisait pas figure d’exception si ce n’est, peut-être, par l’importance du fisc largement distribué aux obligés du souverain et par le nombre des riches établissements ecclésiastiques dotés de droits et de terres. Une vingtaine d’années après la disparition des Carolingiens, le Saint Empire assurait la relève idéologique et politique. Les grandes familles et l’Église se trouvaient confirmées dans leurs pouvoirs en participant au système impérial sans en être toutefois au cœur : l’Oberrhein devait rester une zone ouverte, de passage, vers la Bourgogne ou vers l’Italie et devait également se développer en tant que réserve de terroirs prospères. Progressivement se dessinèrent les traits caractéristiques de la région par rapport à l’ensemble des autres espaces germaniques. Le troisième temps, celui des Staufen, a vu l’accélération de la mise en exploitation des atouts économiques : les vignobles et le commerce, par la mise en place de ces catalyseurs de richesses qu’étaient les villes. Sur le plan politique, l’intérêt des Staufen, comme de leurs prédécesseurs, visait à laisser la voie libre vers l’Italie et à éviter la concurrence tant économique que politique avec des princes trop puissants. La disparition de la dynastie en 1250 n’a pas laissé l’Oberrhein « orphelin » car la mosaïque politique mise en place fonctionnait à plein régime, sur un fond de richesses qui passaient pour exceptionnelles dans l’Allemagne d’alors.
3Le but de cette enquête n’est pas de décrire cette mosaïque2 mais de tenter d’en expliquer le processus dans la durée. Entre 1250-1350, à la différence d’autres régions de l’Europe d’alors, aucun prince n’a pris en main l’Oberrhein, pour établir, sur une base territoriale, un pouvoir exclusif à l’échelle d’un espace contrôlé. Quelles sont les forces qui ont joué les unes par rapport aux autres pour se neutraliser et contrarier le processus de territorialisation étudié de façon générale et dans sa genèse en Lotharingie3, plus précisément (et pour une époque plus tardive) dans le Palatinat4 ou le pays de Bade5, la Bavière6 ou le Luxembourg7, entre autres exemples8 ? Quels acteurs pouvaient se trouver en situation de prince territorial (toutes proportions gardées) au cours de la période ?
4Un exemple concret va permettre, en introduction, d’évoquer le processus de dévolution des droits et des pouvoirs. L’étude de cet exemple conduira à se poser la question de l’exercice des droits régaliens, avec toutes ses conséquences dans l’Oberrhein, pour ensuite évoquer les détenteurs principaux de ces regalia : d’une part les princes, deux ecclésiastiques (Murbach et l’évêque de Strasbourg) et deux laïcs (les Ribeaupierre et les Habsbourg), d’autre part les villes (les impériales et les seigneuriales).
5Une villa du fisc carolingien, Saint-Gilles près de Wintzenheim à l’orée de la vallée de Munster, va servir de point de départ à l’étude du processus de dévolution des pouvoirs. La documentation relative à l’évolution de ce domaine, relativement abondante, permet de repérer quatre étapes, c’est-à-dire quatre phases de développement entre les mains de maîtres successifs. À l’origine la villa faisait partie du fisc, terre royale donc. Dans un deuxième temps elle devint terre d’Eglise. De nouveau, troisième étape, elle retrouva la tutelle impériale. Enfin, la noblesse l’accapara. Cette « généalogie » de droits pesant sur la villa d’origine, relève-t-elle de l’exception ou, au contraire, est-elle emblématique de l’histoire de maints terroirs de la région ? Voici ces quatre phases :
- Au VIIe siècle, le fisc carolingien autour de Colmar couvrait à l’Ouest9 une vaste étendue jusqu’à la crête des Vosges. À l’entrée de la vallée, au-dessus de la zone inondable de la Fecht et à la limite des brouillards de plaine, se trouvaient sur les flancs du Pflixbourg et du Hohlandsberg de bonnes terres recueillant eaux de pluie et fonte des neiges dans une sorte de cône de déjection. La proximité de la forêt constituait un atout de situation supplémentaire. À proximité de cette exploitation agricole qui passa entre plusieurs mains avant d’apparaître dans les actes10 (au début du XIIe siècle seulement), sont attestées des portions de domaine royal (Wintzenheim, le Hohlandsbourg, le Pflixbourg) qui permettent de supposer son appartenance au fisc. On sait que, réserve de cadeaux et de bienfaits, le fisc passa en un deuxième temps à des bénéficiaires laïcs ou ecclésiastiques que le souverain voulait honorer.
- Soustraite au domaine royal de Colmar, cette villa semble ainsi avoir été donnée11 à l’abbaye bénédictine de Payerne, à l’est du lac de Neuchâtel. En effet, le pape confirma, en 1148, cette cour domaniale (hof) rattachée à l'Oberhof12, prieuré de l’abbaye helvétique à Colmar. La cour abritait un petit prieuré dédié à saint Gilles13 et desservant le village de Husen14.
- La présence réactivée du pouvoir impérial dans l’Oberrhein sous les Staufen (1125-1250) provoqua une troisième étape dans la dévolution de ce qui était devenu un prieuré avec son domaine. Pour affirmer son autorité, le souverain décida d’installer son bailli (Reichsvogt) sur le monticule du Pflixbourg surplombant Saint-Gilles et en 1219 Wœlfelin de Haguenau15, « préfet » impérial, y fit construire le Blicksberg, dont le nom explicite la position stratégique, d’où l’on voyait tout ce qui entrait dans la vallée au pied de la montagne. Le prieuré ipso facto tomba sous sa coupe.
- Après la disparition de la dynastie des Staufen, et c’est la dernière étape, les divers seigneurs ou princes de l’Oberrhein essayèrent d’accaparer des biens tombés de fait en déshérence. La famille des Hattstatt (baillis des Habsbourg) réussit à reprendre l’ensemble, les textes demeurant, hélas, muets sur la méthode. Au XIVe siècle, les prieurs de Saint-Pierre, représentant Payerne, remettaient en fief le prieuré aux Huse puis aux Ribeaupierre.
6La reconstitution de l’histoire de Saint-Gilles montre l’intérêt, pour comprendre tout un processus, d’en suivre un élément. La documentation, chétive, manifeste cependant les limites d’une telle entreprise et il semble impossible de comprendre la mosaïque des pouvoirs politiques à cette époque en se contentant d’accumuler les quelques exemples documentés. Si beaucoup de maillons manquent dans la chronologie et la nature juridique des accords, un schéma d’ensemble se dessine avec la succession des détenteurs des droits attachés à la terre et au prieuré de Saint-Gilles : domaine royal cédé à l’Église, repris par les Staufen pour enfin tomber entre les mains de la noblesse, petite ou grande.
7Sur la base de cet exemple, l’analyse des mécanismes qui ont eu pour effet d’entraver l’émergence d’un pouvoir territorial unifiant la région, va s’attacher à la dynamique des biens, mais surtout, des droits régaliens, massivement et précocement mis en place. Alors que dans tout l’Empire un tel phénomène d’éparpillement des droits régaliens peut être observé par le système de l’immunité, de l’avouerie, des privilèges, sans pour autant entraver la constitution de principautés16, futurs États, pourquoi ce même phénomène dans l’Oberrhein n’a-t-il pas eu les mêmes conséquences politiques ? Le schéma devenu classique du phénomène de territorialisation autour de centres politiques et administratifs17 dans la plupart des régions de l’Europe d’alors n’a pas fonctionné pour l’Oberrhein, du moins avant le milieu du XIVe siècle. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de comte ou de duc de l’Oberrhein ? Les candidats ne manquaient pas...
8L’hypothèse formulée au début de ce travail repose sur ce qui pourrait apparaître comme une caractéristique de cette région : un fisc et des droits régaliens démultipliés, dès le IXe siècle, et répartis entre un grand nombre de laïcs ou d’ecclésiastiques tirant profit d’un vignoble organisé. Si la géographie politique de l’Oberrhein prend racine dans l’histoire des droits régaliens, les regalia, son développement s’explique par la richesse convoitée des terroirs, tenus par des maîtres de poids politique équivalent. La précocité, l’emprise et l’évolution de ces instruments de puissance qu’étaient les regalia, ont si durablement marqué l’espace des pouvoirs politiques de l’Oberrhein qu’il pourrait être considéré à ce titre comme un laboratoire. Leur multiple dévolution par le souverain qui dilapidait ainsi le fisc, puis leur exercice, démultiplié et sans contrôle, ont contribué à définir une mosaïque où se pressaient maîtres et détenteurs de ces droits régaliens d’autant plus qu’ils s’exerçaient dans une région attractive par son vignoble. L’espace étant densément occupé, son impossible dilatation a contraint à l’asphyxie ou à la concurrence toutes les velléités de puissance territoriale donc politique.
9Il faudra d’abord, dans ce travail, analyser les mécanismes de mise en place d’un tel système politique caractérisant l’Oberrhein vers 1250. Puis seront évoqués ceux qui, détenteurs de regalia, ont essayé de transformer cette mosaïque pour constituer de véritables principautés. Pendant un siècle environ, de 1250 à 1350, plusieurs groupes de forces politiques se détachèrent en tête de la compétition vers un pouvoir à échelle régionale :
- les princes ecclésiastiques qui consolidèrent d’anciens territoires (l’abbé de Murbach) ou tentèrent de s’imposer politiquement à partir d’une « capitale » (l’évêque de Strasbourg) ;
- les princes laïques qui, bénéficiant déjà au cours de cette période d’un pouvoir centré territorialement, le confortèrent sans extension (les Ribeaupierre) ou, à l’inverse, à partir d’une multiplicité de points d’appui, de biens et surtout de droits, dont l’avouerie, préparèrent l'affirmation d’un pouvoir tardif (les Habsbourg) ;
- enfin les forces politiques nouvelles qui vont s’intercaler, s’opposer et chercher leur place (les villes).
Dévolution et exercice des droits régaliens
10La précocité (VIe siècle) et l’étendue18 des biens fiscaux en Souabe, et dans l’Oberrhein alsacien en particulier, proviennent de la conquête franque et de la qualité des terroirs, englobant forêts, terroirs agricoles et vignes. La présence des souverains à l’époque mérovingienne et leur politique monastique active, appuyée sur le réseau des abbayes lorraines, ont fait naître un véritable quadrillage des droits régaliens perçus par le souverain ou l’Église, principale bénéficiaire des largesses royales. L’exercice de ces droits représentait autant de points d’ancrage du pouvoir et de son gouvernement19. Dès le VIIIe siècle s’effectua le passage (ou la passation) d’une bonne partie des droits à la suite de la fondation des monastères et de la mise en place des évêchés. L’Église à son tour, et pour les mêmes raisons que les souverains, délégua ces parcelles de pouvoir souverain pour rémunérer les services des avoués ou de divers agents dont la fidélité restait un atout indispensable. Ce transfert de pouvoirs aux fidèles du souverain et aux avoués des églises favorisa la montée de la noblesse fortifiée dans son autorité par les Statuts en faveur des princes, ecclésiastiques puis laïques (Constitutio in favorem principum) concédés par Frédéric II en 1220 et 123120. Puis libérés de la présence impériale après 1250, les princes usèrent, de fait, de l’ensemble des droits dont les regalia.
Regalia, immunité, avouerie
Les regalia
11Pour saisir les enjeux de l’histoire de l’Oberrhein, il faut d’abord préciser ce que représentaient les regalia21. Si la formalisation juridique de ces droits attachés au pouvoir souverain ne semble guère antérieure au XIIe siècle22, leur exercice en revanche, conférait, depuis les rois francs, une puissance effective sur la terre et les hommes à celui qui les détenait. Au terme de regalia s’attache de suite celui de seigneurie (Herrschaft) dont la polysémie permet de désigner tout à la fois la notion concrète du territoire où elle s’exerce et la définition juridique plus abstraite de la puissance. Avant d’aborder plus en détail les particularités de l’Oberrhein, il convient de rappeler à grands traits la nature des droits régaliens et les grandes étapes de leur évolution.
12Les droits régaliens les plus anciens, liés au pouvoir souverain abondamment défini à l’époque carolingienne comme auctoritas, concernaient la puissance militaire (guerres et fortifications), la justice du sang et la surveillance économique d’un territoire : marché, monnaie, péage. À ces droits fondamentaux se sont ajoutés les droits d’exploitation : chasse, pêche, mines, ponts, etc. La terminologie a évolué au fur et à mesure d’un exercice mieux défini de ces droits. Dans l’espace germanique s’est progressivement précisé, par exemple, le droit de contrainte ou de ban (Zwing und Bann) sur les biens et les personnes. Il est souvent évoqué par la corrélation des deux verbes résumant ce droit : ordonner/interdire (gebieten/verbieten). Dans la réalité économique du domaine foncier (Dinghof23 jusqu’au XIIIe siècle environ), son application était étendue et le pouvoir ainsi conféré effectif et total. L’évolution vers le morcellement puis la disparition de telles entités d’exploitation entre les mains d’un maître a fait évoluer le Zwing und Bann vers le simple exercice de la basse et moyenne justice, un droit parmi d’autres. Le seigneur (Landesherr) qui possédait, parce qu’il a su rassembler ou conserver un ensemble de droits sur des hommes habitant un espace territorial, jouissait de la Landesherrlichkeit. Cette seigneurialisation entraînait le passage des droits sur des personnes vers des droits sur des espaces. En revanche, l’exercice des droits régaliens, tout ou partie, conférait à celui qui en disposait, un pouvoir plus grand, la souveraineté territoriale (Landeshoheit) qui ne s’appliquait pas nécessairement à un espace donné. La montée en puissance des Habsbourg, étudiée un peu plus loin, en constitue le meilleur exemple ; par leurs fonctions d’avoués ou de représentants du souverain, ils disposaient de droits régaliens dans tout l’Oberrhein. Le contexte de l’Interim de 1250 à 1273 favorisa grandement la montée en puissance des princes et des villes. Pendant ces deux décennies, la mise en place effective des avantages acquis sous les Staufen et quelques usurpations de droits régaliens permirent l’exercice de la Landeshoheit de fait. Après l’avènement de Rodolphe de Habsbourg (1273), l’essai de reprise en main du pouvoir impérial et de ses droits perturba les velléités d’indépendance des pouvoirs seigneuriaux et citadins.
13On comprend de suite que, dans une petite région comme l'Oberrhein, la seigneurialisation puis, à plus grande échelle, la territorialisation ne pourront que mal se développer dans un espace mité par l’exercice de droits divers entre de multiples détenteurs. Comment exercer une tutelle, par exemple, sur le village de Guémar24 sachant que, à partir du VIIIe siècle, deux cours se partageaient la localité (Haut-et Bas-Guémar) : Haut-Guémar en 768 avait été confirmé à Fulrad, abbé de Saint-Denis qui l’avait reçu d’un noble Wido. Par son testament (777), le domaine revint à l’abbaye, une partie au prieuré de Lièpvre, une autre au chapitre de Saint-Dié, formant ainsi trois sous-ensembles. Après quelques confirmations impériales, une25 des cours fut échangée avec les sires de Ribeaupierre qui voulaient aussi s’implanter à Guémar. La cour du prieuré de Lièpvre finit par passer à la collégiale Saint-Georges de Nancy (1502). Bas-Guémar se composait aussi de plusieurs cours. L’une, dite « marche26 de Guémar », disposait de la haute et de la basse justice. Une autre appartenait aux comtes du Nordgau qui en firent donation à Murbach. L’abbaye l’inféoda aux landgraves de Basse-Alsace qui revendiquaient (en 1318 et 1337) le village et le droit de patronat. Les Ribeaupierre réussirent à reprendre cette cour, sauf le Zwing und Bann qu’avaient conservé les héritiers des landgraves (la famille s’était approprié certains droits liés à la fonction). Puis les évêques de Strasbourg, devenus landgraves et ayant apparemment récupéré les droits y afférents, les réinféodèrent aux Ribeaupierre. On constate dans cet enchevêtrement que les Ribeaupierre, progressivement, tentèrent une politique de territorialisation mais qu’à la fin du Moyen Âge, ils étaient loin d’être les seuls à exercer des droits sur Guémar ! De tous ces maîtres, plusieurs disposaient de droits régaliens : Fulrad, les sires de Ribeaupierre, les landgraves et les évêques de Strasbourg.
14Cet exemple permet de rappeler les mécanismes de transfert des droits régaliens : l’immunité, l’avouerie et, pour passer d’une situation de fait à une situation de droit, le Statut en faveur des princes.
L’immunité
15L’immunité27, attestée28 dès les IVe et Ve siècles, devint à l’époque carolingienne un élément essentiel de la relation du pouvoir souverain et de l’Église, des églises cathédrales et des abbayes. Il s’agissait de protéger les clercs et les institutions ecclésiastiques des agents royaux et de les dispenser des charges publiques pour mieux s’assurer de leur capacité de relais politique. Le formulaire-type, étudié par E. Stengel, stipulait l’exemption de toute charge publique (impositions, redevances, obligations) et le transfert de droits (de justice notamment, péage, marché, monnaie) sans toutefois entrer dans le détail juridique. Le contexte cependant assurait un lien très fort entre immunité et liberté. Les évêques ou les abbés ne bénéficiaient que d’un transfert partiel puisqu’il ne s’appliquait que dans le seul ressort de leur église. Même l'immunité totale (Bannimmunität), exceptionnellement accordée (sauf sur de petits territoires créés au bénéfice des évêques), ne remplaçait pas les comtes dans leurs attributions. À partir du IXe siècle, ces droits commencèrent progressivement à s’inscrire dans des espaces protégés de murs ou de barrières, terres bénéficiant des exemptions mais aussi du droit d’asile pour les personnes29. Instruments par excellence de la territorialisation, les privilèges d’immunité permirent aux différentes églises de construire au XIIIe siècle de véritables principautés.
16Ce schéma commun à tout l’Empire connut des développements plus spécifiques dans l’Oberrhein. Aussi loin que l’on remonte dans la documentation, l’Empire disposait de droits dans les vignes, les forêts ou les champs, sur les marchés, les routes, les fleuves ou les carrefours. L’historien peut en saisir la trace au moment d’une donation à l’Église ou d’une délégation, voire d’une usurpation quand le souverain ne pouvait plus assurer la maîtrise de l’ensemble. Biens fiscaux et immunités d’églises constituaient indéniablement des forces initiales dont l’emprise précoce, durable et étendue, limitait le nombre d’autres possesseurs potentiels. Les seuls territoires compacts (excepté celui des Ribeaupierre, nous y reviendrons) appartenaient à l’évêque de Strasbourg30 autour de Rouffach, à l’abbaye de Murbach dans la montagne et Guebwiller et à celle de Munster dans la vallée de la Fecht. Cette territorialisation précoce faisait figure d’exception et s’est trouvée bloquée sans extension possible. Pourquoi ?
L’avouerie
17Il existait beaucoup de bénéficiaires dans un espace resserré et beaucoup d’intermédiaires, les avoués (vogt). L’avouerie31 se situe dans la logique de l’immunité. Le souverain donnait d’une main tous les privilèges mais s’assurait de l’autre qu’il n’en était pas fait mauvais usage, par exemple à son encontre. L’avouerie était concédée en fief, partie substantielle de bien des patrimoines familiaux. L’avoué représentait le roi essentiellement dans l’exercice de la justice de l’immuniste et siégeait à son tribunal ; mais il surveillait également la bonne utilisation de divers droits. Le danger, évident en théorie, d’accaparement, devait être évité dans les faits par le choix d’avoués de modeste extraction sociale. Dans l’Oberrhein, en réalité, seules les plus grandes familles détenaient des avoueries : les Habsbourg, les Ribeaupierre, les Ferrette, etc. Dès le XIe, mais surtout au XIIe siècle, l’Église tenta de réagir contre les abus des avoués en limitant la géographie de leurs droits ainsi que les matières d’intervention mais surtout en fabriquant beaucoup de faux visant à prouver les limites des droits des avoués ou des évêques. Dans des régions aux marges comme l’Oberrhein, dès l’éclipse d’un pouvoir impérial efficace, les avoués32 confondirent leur charge et leur patrimoine et se constituèrent une puissance non négligeable, comme les Habsbourg33, avoués de Murbach et du Haut-Mundat de l’évêque de Strasbourg.
18Le terme d’avoué (vogt ou castvogt pour l’avoué principal par rapport aux sous-avoués) désignait aussi l’officier seigneurial, dans un domaine ou dans une ville. Les termes utilisés variaient : scultetus, Schultheiβ, que l’on trouve parfois traduit en écoutète ou plus souvent en bailli. C’est un castvogt qui présidait au nom des Ferrette le plaid de leur cour de Woffenheim près de Sainte-Croix-en-Plaine34. Il percevait les amendes, réglait les conflits, s’assurait de la bonne gestion du domaine et assurait la relation avec les habitants : bref, il se posait comme le principal interlocuteur. Les ressources importantes que pouvaient retirer les avoués de telles fonctions leur permettaient de multiplier les délégations à des sous-avoués. Les villes également, avant la définition plus précise des différentes fonctions de gouvernement, comptaient parmi leurs « meilleurs » (meliores ou cives), un advocatus (vogt) : à Fribourg35, il se serait agi d’une sorte de juge (stadtrichter). Cette parcellisation des droits de souveraineté créait une dynamique peu propice à un regroupement. Les avoueries, tant ecclésiastiques que laïques, ont largement préparé la formation des seigneuries territoriales dont il sera question plus loin.
19Rappelons enfin que le contexte général de l’Empire a cautionné le mauvais usage pour ne pas dire l’accaparement des droits régaliens, distribués largement et démultipliés à l’envie, par le Statut en faveur des princes (1231), déjà évoqué. Le pouvoir royal ne pouvait plus s’exercer que sur les terres du domaine dynastique (peu important) et les princes, en revanche, bénéficiaient, sur leurs territoires, de la Landeshoheit. Les initiatives royales en matière monétaire, commerciale (marché) ou de défense (châteaux), n’existaient plus dans les villes seigneuriales ou les territoires princiers. Dans l’Oberrhein, les villes impériales36 restaient bien entendu hors de cette logique.
20Il est temps, après une approche globale, d’entrer plus avant dans ce qu’il est possible de percevoir de l’Oberrhein.
Les sources disponibles
21Le problème des sources se pose, comme bien souvent, avec acuité. Si les actes de chancellerie, surtout l’impériale, jalonnent toute la période et ont fait l’objet d’éditions par les Monumenta et de rééditions récentes, si les scriptoria monastiques ont conservé et recopié bon nombre de documents, les actes de la pratique émanant des laïcs, même des princes importants, manquent cruellement. Cette observation repose-t-elle sur une réelle prééminence foncière de l’Empire et sur une meilleure conservation des archives par les établissements ecclésiastiques souvent bénéficiaires ? Même si le paysage documentaire est faussé par une inégale conservation, l’omniprésence des biens du fisc carolingien puis impérial se vérifie par l’intérêt des dynastes successifs manifesté dans leurs constructions (résidences, Pfalz, fondations), les actes de chancellerie en leur faveur ou les périodes de présence pendant lesquelles ils vivaient de leur production37. L’emprise exacte échappe, bien entendu, faute de documents permettant d’apprécier leur importance relative par rapport aux biens ecclésiastiques et familiaux. Une difficulté d’appréciation supplémentaire provient de la présence d’alleux dont le nombre n’était peut-être pas insignifiant38.
22Ces réserves archivistiques posées, l’imbrication des terres et donc des droits issus des regalia se trouvait en grande partie tributaire de l’histoire de l’Empire jusqu’en 1250. Les souverains ont tenu l’Oberrhein, directement ou indirectement, dans leur orbite politique. On connaît la terminologie de Peter Moraw, appliquée, il est vrai, à une période plus tardive, concernant ces régions dont le développement a été influencé par leur position (géographique en partie) vis-à-vis du roi : proche du roi (königsnahe) ou loin du roi (königsfern) ou encore accueillante à ses itinérances (königsoffen). L’Oberrhein, et cela lui conférait un caractère particulier, a été au cours de son histoire successivement placé dans ces différentes positions.
L'empereur et l’Oberrhein : service du roi et noblesse
23L’intérêt des Ottoniens (919-1024) pour l’Oberrhein se manifesta par une présence soutenue et répétée. Pour les étapes de leurs voyages39, ils firent construire des résidences (Pfalz), d’où ils émettaient des donations ou des diplômes, plaçant ainsi la région en position centrale au cœur de la Germanie (Binnenland). Les itinéraires de la dynastie des Saliens, ensuite, passaient aussi par la région. Les effets paroxystiques de la présence royale, cependant, se manifestèrent pendant la Querelle des Investitures, menée par Henri IV, qui introduisit un fort clivage politique entre les partisans du souverain pontife et ceux de l’empereur. La lutte aiguisait les armes et les arguments des théologiens ou des politiques, si bien qu’idéologie et pratique ne se recoupaient plus nécessairement. L’alliance des deux pouvoirs à vocation universelle apparaissait de plus en plus comme une utopie d’autant que le véritable vainqueur du Concordat de Worms (1122) fut le pape. Désormais l’Empire se plaçait dans le domaine du mythe et de l’idéologie, et la royauté (Königtum) ne maîtrisait plus, dans leur réalité concrète, ses regalia. Après une période de crise sous les Saliens, les Staufen40 redonnèrent une nouvelle cohérence41 à l’Oberrhein par la fusion, pendant un siècle, de leurs biens patrimoniaux (Hausgut) et impériaux (Reichsgut). La culture politique des Staufen s’est nourrie de leurs propriétés (Eigentum), de leur puissance (Herrschaft) et de leur gouvernement (Staat). Frédéric Barberousse s’installa dès le début de son règne, pour des séjours plus ou moins longs, sur le Mont-Sainte-Odile ou à Colmar et Mulhouse. Ses résidences privilégiées restaient Haguenau et Wissembourg. Un des éléments essentiels de la politique des Staufen, et de Frédéric Ier en particulier, souligné par toute l’historiographie, fut leur politique castrale42. On se souvient de cette expression d’Otton de Freising : « descendant toujours le Rhin... tantôt il construisait un château en un lieu approprié et soumettait à partir de là les châteaux voisins, tantôt il allait de l’avant, délaissant ledit château et en construisant un nouveau, de sorte que l’on disait de lui en manière de proverbe : le duc Frédéric traîne toujours un château à la queue de son cheval »43. L’Oberrhein connaissait alors une cohérence géographique par une présence active44 des empereurs, une cohérence économique par une exploitation suivie de leurs droits, une cohérence humaine par le maillage d’un personnel compétent.
Le service du roi
24L’Oberrhein, ainsi gouverné, comptait une importante ministérialité45 (Dienstleute) au service du roi, des évêques ou des princes. Le succès de la ministérialité, en effet, reposait sur un système normatif qui « reconnaît et honore le service comme valeur intrinsèque »46. Les seules familles nobles n’étaient pas en mesure de répondre, en nombre suffisant, à chaque génération, aux fonctions de service des administrations naissantes. Elles furent donc « doublées » par la familia des maîtres, serviteurs plus proches, plus surveillés et plus dépendants que les vassaux. S’ajoutaient, et dans une région riche comme l’Oberrhein, ce n’était pas négligeable, les avantages socio-économiques inhérents à la proximité du pouvoir : gratifications en nature (vin), en fiefs, en châteaux, en revenus de toutes sortes (redevances, dîmes, impositions). Les intérêts indéniables de ces charges attiraient les nobles dans la ministérialité. Si bien qu’après 1250 dans l’Oberrhein47, il semble que l’aristocratisation de la ministérialité soit réalisée. La haute noblesse48 composée de nobiles, Edelfreie et Herren, était bien représentée, dans la région qui nous intéresse. Seules les familles des Ribeaupierre et des Habsbourg seront retenues dans cette étude car, dans l’état actuel de la recherche, elles représentent, pour l’espace étudié, les exemples principaux de lignages susceptibles de s’imposer politiquement et territorialement pour assurer l’unité de l’Oberrhein. Les autres familles seront donc, à regret, laissées dans l’ombre de cette étude. Les Ferrette49 tenaient essentiellement le Sundgau (hors de notre champ géographique) et le passage vers le col de Bussang. Les Horbourg50, les Hattstatt51, les Dabo (Dagsburg) successeurs des Eguisheim52, les Kyburg53 ou les Urach54 ne semblent pas avoir joué de rôle majeur dans le cadre de la présente problématique de territorialisation. En revanche les Usenberg55 et les comtes de Fribourg56, qui font l’objet de thèses57 en cours, ont connu, précisément à cette époque, une puissance sous-estimée par les historiens jusqu’à présent. La basse noblesse, chevaliers (Ritter) et écuyers58 (Knechte), encore mal connue, était pléthorique pour des raisons de service impérial, ecclésiastique ou princier, permanent et intense, mis en place pour une exploitation suivie des ressources. Les interactions cependant l’emportaient sur les oppositions ou les clivages59 car l’hommage lige n’existant pas (sauf dans la principauté de Murbach60), tout sire se trouvait seigneur et vassal d’un autre.
La noblesse
25Après 1250, le service de l’empereur (Staat), ses biens (Eigentum), sa puissance seigneuriale (Herrschaft) et ses revenus tombèrent en « déshérence » et, à la différence de la Bavière par exemple, aucune famille n’était en mesure d'assumer à la fois le double héritage de l’empereur et du prince territorial. Les détenteurs de la Landeshoheit, grâce aux regalia, purent alors se déployer pour tenter de s’imposer, mais en rangs dispersés et en position de concurrence. L’Interim (1254-1273), comme dans bien d’autres régions, mais plus encore dans l’Oberrhein, permit la réalisation des velléités d’indépendance encouragées déjà par le Statut en faveur des princes (Constitutio in favorem principum). Cette prise d’autonomie concernait les princes au titre de leurs charges publiques quand ils en détenaient et/ou dans l’exercice de leur propre pouvoir.
26Les charges impériales elles-mêmes, avec tous les droits y afférents, continuèrent à être exercées au titre d’une délégation devenue fictive : la landvogtei, présente en Alsace dès le début du XIIIe siècle61, prit à cette époque des contours administratifs plus nets. La circonscription territoriale tout d’abord, à plusieurs reprises, mais surtout sous le landvogt Otto von Ochsenstein (1280-1289), fut précisée : l’Alsace et le Brisgau. Cet agent bénéficiait de la pleine représentativité du souverain et tous ceux sur lesquels l’empereur exerçait son autorité lui devaient obéissance : capitaines de châteaux, prévôts, péagers, forestiers mais aussi abbés, seigneurs et représentants des villes royales.
27La souveraineté également des princes (Landeshoheit), théorique puis effective, put se déployer lors de cette période d’intérim du pouvoir impérial. La construction des réseaux familiaux et amicaux structura alors une classe sociale forte, turbulente et parfois riche. La double signification du terme de Herrschaft l’exprime nettement : territoire (et pouvoir) mais aussi personne du prince (dominium/dominatio). À la fin du XIII siècle, le processus de « simplification » dans la pratique de la hiérarchisation entre haute et basse noblesse arriva à terme62 :
- les nobles de vieille souche (Uradel, nobiles, Edelfreie, Herren) de l’aristocratie impériale (Reichsaristokratie) du XIe siècle dont se flatteront, tardivement dans l’Oberrhein, les livres mémoriaux et les généalogistes soucieux d’élaborer leur conscience lignagère ;
- l’aristocratie des chevaliers (miles castri, Ritter, Knechte) que le prestige des armes faisait passer pour nobles, les ministériaux, pour lesquels la question de la liberté juridique ne jouait plus aucun rôle, ou les avoués, dont l’ascension est liée à leur compétence.
Les princes dans l'Oberrhein
28On retiendra de l’Oberrhein alsacien, entre 1250 et 1350, l’image complexe et mouvante d’une sorte de kaléidoscope63. Ce puzzle offrait cependant cinq grosses pièces, les cinq détenteurs principaux de pouvoirs régaliens, exerçant une véritable Herrschaft, chacun dans un espace plus ou moins délimité. Ces princes, dans la logique politique impériale, se répartissent entre ecclésiastiques (l’abbé de Murbach et l’évêque de Strasbourg) et laïcs (les Ribeaupierre et les Habsbourg). Une puissance nouvelle entre dans le jeu à cette époque, celle des villes, bénéficiaire des mêmes atouts régaliens mais usant de règles différentes. Il s’agit alors de comprendre pourquoi, parmi ceux qui disposaient des meilleures cartes politiques et territoriales en 1250, aucun n’a pu réussir à s’imposer comme prince unique en trois quarts de siècle. Cette percée hors de la mêlée n’intervint qu’à partir de 1324, date de l’entrée en possession du Sundgau et des droits des Ferrette par les Habsbourg qui y ajoutèrent, quelques décennies plus tard, l’héritage des Üsenberg.
29On pourra s’étonner de l’absence de l’évêque de Bâle parmi les puissants. Les travaux actuellement disponibles64, concernant le temporel et la puissance de ce prince ecclésiastique à l’époque considérée, permettent d’établir un triple constat. L’évêque disposait d’un grand nombre de dépendants surtout sur la rive droite du Rhin (les Üsenberg par exemple). Il tirait également grand profit des mines d’argent de la Forêt-Noire65 (depuis le début du XIe siècle dans la vallée de Münster, à Sulzburg ou Badenweiler). Il exerçait enfin des droits de souveraineté multiples, en particulier dans les villes comme Brisach et Fribourg ou les abbayes comme Munster. Cependant, dans le concert des princes dynamiques de la région étudiée, il n’apparaît pas comme disposant des atouts d’un vainqueur possible de la territorialisation de l’Oberrhein. Cette hypothèse reste toutefois soumise aux résultats de travaux ultérieurs, permettant, en particulier, d’approfondir son activité en Alsace.
30Au titre des princes ecclésiastiques étudiés, il s’agira successivement de l’abbé de Murbach, prince d’Empire, et de l’évêque de Strasbourg. Le prince-abbé de Murbach dont la puissance s’est construite dans une logique de concentration sur les deux vallées vosgiennes, celle de la Lauch avec l’abbaye et ses chapelles, et la haute vallée de la Thur, dans une âpre lutte avec les Ferrette. De ses origines (728) et de la splendeur carolingienne, Murbach ne gardait que le prestige consigné dans les Annales du XIIe siècle et la domination sur les terres et les hommes, dans un espace relativement circonscrit. Prince puissant de quelques centaines de cavaliers, l’abbé n’a cependant pas exercé d’emprise ailleurs que sur ses terres. L’évêque de Strasbourg, en revanche, a cherché à s’imposer dans un espace territorial étendu, mais, arrêté par sa défaite de 1262 à Oberhausbergen66 contre « sa » ville de Strasbourg et ses alliés, il s’est contenté de son enclave dans l’Oberrhein, le Haut-Mundat autour de Rouffach et Soultz67. L’aubaine de l’Interim, à la disparition des Staufen, lui avait permis de se précipiter sur certains de leurs biens, l’abbaye de Munster et sa vallée, par exemple. Il disposait aussi de quartiers importants à Colmar et Mulhouse.
31Ces deux princes ecclésiastiques disposaient, outre leurs divers droits temporels, de territoires relativement compacts dans cette partie de l’Oberrhein relevant, au spirituel, de l’évêque de Bâle.
32Deux autres princes laïques émergeaient également d’un paysage politique en mosaïque. Les sires de Ribeaupierre ou Rappolstein68, dont la seigneurie se trouvait centrée autour des châteaux et de la ville de Ribeauvillé, englobant la montagne (du val d’Orbey jusqu’à la vallée de Sainte-Marie), les collines viticoles (Bergheim, Zellenberg), les pâtures du ried (autour de Guémar) jusqu’au Rhin (Balgau). Princes immédiats d’Empire, « ni ducs, ni princes, mais pas moins »69, les Ribeaupierre ont toujours revendiqué le plein exercice de leur Landeshoheit, appuyée sur leurs droits régaliens, et une capitale, Ribeauvillé. Seul ensemble territorial cohérent, cette seigneurie ancienne a cherché à se développer en essayant de dilater son espace territorial. Les Habsbourg, à l’inverse, n’avaient (avant 1324) que peu d’emprise foncière dans cet Oberrhein, pas de véritable capitale mais, en revanche, des droits et des revenus formant un véritable maillage. Ils cumulaient les regalia au titre d’avoués de Murbach et du Haut-Mundat ainsi que de landgraves de HauteAlsace. Le landgraviat, ancien comté carolingien, représentait des droits et des revenus considérables. En 1273, les Habsbourg se trouvaient en position de reproduire le modèle Staufen d’une puissance à deux échelles, princière et royale. Ils n’ont donc pas déployé une stratégie de territorialisation foncière comme les Ribeaupierre, mais ont su utiliser un dispositif de plus en plus serré de droits dont le fruit, mûr au XIVe siècle, engendra une territorialisation effective. Après l’accès des Habsbourg à la royauté, l’Oberrhein entra de nouveau dans l’orbite rapprochée des grands conflits impériaux et son développement s’inscrivit dans la politique allemande, sans les particularismes du siècle précédent.
33Ces quatre princes qui se tenaient en position avancée ne doivent pas faire oublier la trame d’un jeu complexe d’avoueries, d’inféodations, de donations, d’alliances, d’échanges, réactivé après l’effacement du pouvoir impérial, suscitant une mobilité sociale et foncière insaisissable du fait des lacunes des sources. Ce phénomène bien connu à l’époque étudiée (1250-1350) a entraîné dans d’autres régions comparables, le Luxembourg par exemple70, une stratégie de regroupement et finalement de territorialisation. Le comte de Luxembourg, de la fin du XIIe siècle (Henri IV l’Aveugle) jusqu’au milieu du XIVe siècle (Jean l’Aveugle), avait progressivement et systématiquement mis fin à l’émiettement des droits et des relais de son pouvoir, au profit d’une restructuration politique efficace71. Dans l’Oberrhein aussi, les tentatives de regroupement par tous les moyens, dont le mariage et la guerre, jalonnèrent les monographies dynastiques72 ou celles des établissements ecclésiastiques composant la mosaïque territoriale. Le processus cependant dura jusqu’aux XIVe et XVe siècles.
34Pourquoi n’y eut-il point, antérieurement, de comte de l’Oberrhein ? Pourquoi l’unité politique des Xe et XIe siècles (un seul ensemble Alsace-Souabe) n’a-t-elle pas été réactivée et retrouvée ? Le hasard d’une famille qui biologiquement s’éteint (les Eguisheim en 1225, les Zähringen en 1218, les Ferrite en 1324) peut-il tenir lieu d’explication ? L’absence d’héritier complique indubitablement une succession politique73, mais d’autres pistes de recherche doivent être proposées pour comprendre la non-territorialisation de l'Oberrhein. La structure de ces entités territoriales, par exemple, rarement centrée, la volonté politique et les moyens effectifs des princes, dans des espaces très réduits et souvent dispersés, le mitage des territoires urbains, n’entraînaient-ils pas une atrophie de la dimension mentale d’espace territorial ? À cela s’ajoute l’hypothèse (traitée dans le chapitre sur les terroirs) selon laquelle le vignoble a largement contribué à la parcellisation, à l’autonomie des personnes et des communautés (et donc à leur capacité de réaction), à la richesse qui permettait de tirer de substantiels profits à partir de petites surfaces.
35Après les princes et leurs entités territoriales réelles ou virtuelles, il reste enfin, au même rang qu’eux, une autre puissance affirmée après 1250, celle des villes. Ces seigneurs collectifs que représentaient les villes formaient dans l’Oberrhein une constellation de petits centres entre les deux métropoles de Strasbourg et de Bâle. Si les princes d’Église et autres princes laïques assuraient l’exercice de certains droits régaliens, les villes, elles aussi, en entrant dans ce processus, constituaient la dernière étape des bénéficiaires des regalia. Petites encore, nombreuses et de plus en plus actives, les villes fondées par des seigneurs ou par les Staufen, puis confirmées par les Habsbourg, prirent rang dans l’appropriation des droits et la distribution des rôles. Sans avoir toujours les moyens d’exercer leurs droits (le monnayage en particulier), les villes s’attachaient tout au moins à en posséder des preuves tangibles et concrètes en négociant privilèges ou statuts (libertés, franchises, Freiheiten, Handfeste74). Cette particularité citadine de l'Oberrhein sera traitée en deux temps : dans ce chapitre sur la géographie politique, il faudra examiner la mise en place d’un semis très dense de petites villes, à peine distinguées de nombreux villages. Leurs dénominateurs communs ou leurs histoires particulières faisaient partie intégrante du jeu politique et de son émiettement. Parce qu’elles ne furent pas, comme ailleurs, instrumentalisées au service d’une construction politique à échelle d’un territoire, les villes gardèrent leur caractère rural et animèrent une dynamique commerciale largement partagée. Leur fonctionnement spécifique en réseau fera l’objet d’un chapitre spécial, le dernier, montrant comment elles mirent au point une pratique peu à peu théorisée de « fédération » qui a pu assurer, un temps, leur force dans le jeu politique et qui a culminé avec la Décapole.
Le prince-abbé de Murbach
36L’abbaye de Murbach75 appartient à la grande vague des fondations du VIIIe siècle (pas moins de quatorze établissements) qui couvrit la Suisse alémanique et la Rhétie76. L’enjeu de ces implantations, comme dans toute la chrétienté de l’époque, était double : l’expansion politique allait de pair avec la mission (Boniface ne fut pas le seul). L'Oberrhein, qui se trouvait au cœur des pays francs puis carolingiens, vécut donc, avec la christianisation des Alamans, le renforcement d’une emprise politique à laquelle participèrent pleinement les grandes abbayes.
Histoire de Murbach
37La fondation de Murbach illustre de façon exemplaire le rôle politique de l’aristocratie régionale77 – et non des seuls souverains –relayé par la volonté monastique de constituer des réseaux de fraternité et de prière. À la demande du frère du duc d’Alsace, Eberhard78, Pirmin fonda en 72879 l’abbaye de Murbach. Fidèle à sa vocation de la peregrinatio80, Pirmin se trouve à l’origine des abbayes de Pfungen en Suisse centrale, Reichenau sur le lac de Constance où il fut quelque temps abbé, Pfäfers au nord de Coire. Le site choisi pour Murbach correspondait au désir de retrait du monde, dans cet étroit vallon boisé de la Lauch de un à deux kilomètres, dit « le Florival » et aux nécessaires relations avec les abbayes sœurs et le pouvoir politique, facilitées par la courte distance (douze kilomètres) qui sépare l’abbaye des coteaux et de la plaine d’Alsace, emplacement idéal pour la future ville de Guebwiller.
38L’histoire prestigieuse de l’abbaye de Murbach commençait, mêlant les faits et les légendes81. Le fond important (même s’il est lacunaire) des archives conservées82 ainsi que la production littéraire monastique autorisent une analyse de ce qui fut une véritable principauté politique et ecclésiastique, essentielle dans cette enquête sur l’espace politique de l’Oberrhein. Les sources produites et classées par une administration abbatiale performante permettent d’apprécier d’une part le pouvoir de l’abbé, prince d’Empire à partir du XIIIe siècle, grâce à la collection des titres généraux accordés à son établissement, et d’autre part, la puissance territoriale de l’abbaye traduite par les fiefs, les pièces d’administration et les cartulaires.
39Quant aux documents reflétant l’activité liturgique et intellectuelle particulièrement intense à l’époque carolingienne, ils ont connu la dispersion et pour beaucoup d’entre eux la disparition83. Le scriptorium de l’abbaye, avec peut-être un atelier à miniatures84, comptait aux VIIIe et IXe siècles environ quatre-vingt moines, selon Christian Wilsdorf85. Vers 850, l’abbé Isger établit un catalogue de la bibliothèque86 dans lequel figuraient plus de 300 manuscrits, perdus pour beaucoup, dont des textes philosophiques et scientifiques87 d’auteurs païens ou des traités pédagogiques88 destinés à l’école renommée de l’abbaye qu’avait visitée Alcuin vers 780. Aux transcriptions s’ajoutaient des traductions d’hymnes89 ou autres parties de l’office bénédictin en vieux haut allemand, ce qui placerait Murbach aux origines de la littérature allemande. L’activité de l’abbaye fut d’autant plus intense en matière liturgique90 que la période carolingienne correspondait à une harmonisation des pratiques occidentales fort diverses et la romanisation voulue par les souverains s’appuya sur le travail des scriptoria de l’envergure de Murbach. Hagiographie91 (une vie de saint Léger fut rédigée au XIe siècle par le moine Fruland) et surtout annales92 complètent la production monastique murbacienne.
40La présentation des sources et des matériaux disponibles pour l’histoire de l’abbaye ne saurait être complète sans l’évocation de l’image architecturale de Murbach. L’occupation d’un espace traduit en effet prestige et puissance. De l’église et des bâtiments carolingiens ne subsiste qu’un sarcophage des moines martyrs, victimes d’un raid hongrois vers 925. Dans la première moitié du XIIe siècle93, pour traduire le goût architectural de l’époque et l’éclat de la puissante abbaye, commence une campagne de construction hardie compte tenu du caractère encaissé de ce site en cul-de-sac. Depuis la destruction de la nef au XVIIIe siècle, seul subsiste le chevet roman de cette église abbatiale94 dont les proportions s’apparentaient à celles des grandes abbayes impériales de la vallée du Rhin ou du nord de l’Italie.
Murbach, une abbaye royale
41En tant qu’abbaye impériale, Murbach a joué un rôle considérable dans l’espace politique de l’Oberrhein.
42La puissance de l’abbaye de Murbach ne tenait pas seulement à la précocité de sa fondation et aux riches donations originelles. Dans la région considérée, elle n’était pas seule dans ce cas. L’abbaye de Munster, sise dans la vallée de la Fecht, plus au nord, a suivi un même processus de fondation et de développement : donations des souverains constituant un vaste territoire, communauté bénédictine rapidement placée dans des fraternités de prière plus larges avec Reichenau, Saint-Gall, Brescia, Remiremont, Saint-Biaise ou Luxeuil. Dotées toutes deux de privilèges d’immunité et donc de droits régaliens, les deux abbayes ont cependant exercé une emprise assez rapidement différenciée sur l'Oberrhein.95. La puissance de Murbach devait sa prééminence à l’exercice effectif et démultiplié de ses droits fondés sur les privilèges d’immunité toujours renouvelés et l’abbé se conduisait au XIIIe à l’instar d’un prince dont les intérêts temporels96 et politiques dépassaient largement l’horizon de sa principauté. L’abbé de Munster, pour terminer cette brève comparaison, se trouvait géographiquement confiné au fond d’une vallée et politiquement tenu sous tutelle, sans la richesse d’un vignoble tout proche comme celui du piémont vosgien pour Murbach.
43Le fondement de la puissance d’une abbaye impériale reposait sur l’immunité97. Ce privilège accordait à l’église bénéficiaire la maîtrise foncière de son territoire ainsi que la justice et la police, en la soustrayant à l’autorité comtale. L’immunité déléguait en quelque sorte un certain nombre de droits régaliens (monnaie, marchés, levée de troupes, etc.)98. Les avantages économiques, l’exemption de péages par exemple, contribuaient de plus à assurer le pouvoir en lui donnant des moyens. Les Carolingiens ont ainsi tout à la fois stimulé l’activité spirituelle et intellectuelle de l’abbaye de Murbach et son poids politique comme relais du pouvoir impérial. Un autre atout d’ordre ecclésiastique sanctionna la toute-puissance de l’abbaye, l’immunité pontificale. Le pape Innocent II, en effet, prit Murbach sous sa protection apostolique le 11 avril 1139 en lui confirmant tous ses biens99 : « L’insigne abbaye de Murbach, immédiate au spirituel de la Sacro-sainte Église Romaine, et au temporel, avec ses places fortes, fortifications, domaines, hommes, juridictions, du Saint Empire Romain ».
44Le privilège d’immunité politique fut accordé à l’abbaye de Murbach par Pépin à une date inconnue mais avant l’abbatiat de Baldebertus (béni en 751 ou 752) qui en obtint une confirmation par le même souverain100. Les privilèges se présentaient sous forme de droits négatifs (tout « fonctionnaire » se voyait interdire l’entrée sur les terres de l’abbaye pour juger, percevoir des amendes, etc.) et de droits positifs (le roi partage avec l’immuniste les amendes, l’imposition remplaçant le service militaire, d’autres revenus divers). Le 13 janvier 772, le futur empereur Charlemagne confirma, à son tour, le privilège101, et à sa suite tous ses successeurs. Dans le diplôme le moins laconique conservé, datant de 1342, l’énumération des droits liés à l’immunité constitue une liste impressionnante : « tous les droits seigneuriaux ecclésiastiques et laïques, minerais, mines, pays, hommes, châteaux, résidences, villes, marchés, villages, droits de haute et basse justice ainsi que le droit de ban... droit de lever les impôts... »102. Le poids politique de ces droits se trouvait renforcé par l’emprise territoriale particulièrement étendue de l’abbaye, à la mesure de la générosité des souverains donateurs ou des fidèles anonymes. Avant la restructuration, dont il sera question plus loin, les biens de Murbach comprenaient des droits et des villages dans le Palatinat, le pays de Bade, le Brisgau, du nord au sud de l’Alsace jusqu’en Franche-Comté et à l’est, la région de Lucerne103. Comme dans toutes les abbayes, la mense abbatiale (dont les revenus étaient dus à l’abbé en tant que seigneur foncier) et la mense conventuelle pour le chapitre et ses membres devaient rester distinctes. L’état des sources avant le XIVe siècle laisse cependant cette distinction dans le plus grand flou. En revanche, les vignes possédées par Murbach se trouvaient attestées dans tous les terroirs, comme il en sera question dans le chapitre consacré au vignoble.
Les princes-abbés et la politique de Murbach
45L’évolution de l’abbaye connut la destinée commune. Depuis la fin du XIIe siècle, Murbach jouait le rôle d’une « pension pour nobles », sans table et dortoir communs ni même obligation de résidence, en dépit d’un essai de réforme au début du XIVe siècle104. Et parce qu’il était noble, l’abbé se comportait en seigneur territorial. Il organisait et restructurait ses possessions en réactivant ses droits et en tenant sous son autorité un réseau de vassaux et d’agents.
46Au XIIIe siècle, à l’époque ici étudiée, quatre princes-abbés105 déployèrent une grande énergie à saisir toutes les opportunités politiques pour faire entrer Murbach dans la géographie politique de l’Oberrhein. Pour ce faire, ils disposaient de tous les atouts princiers : puissance foncière, seigneurie avec droits régaliens et gouvernement effectif, centralisé en la personne de l’abbé. Celui-ci se conduisait en prince et agissait en conséquence. En 1220, par exemple, Hugo négocia à parité un engagement à Wickerschwihr avec Anselme de Ribeaupierre106, arbitra un litige entre l’église de Marbach et les Hattstatt107 ou encore en 1232 conclut avec le roi Henri VII un contrat de pariage pour fortifier la ville de Delle108. En 1255, Thiébaut construisit un château et fortifia la ville de Saint-Amarin109. Rodolphe et Gottfried de Habsbourg, parmi d’autres vassaux, tenaient de nombreux biens en fief de Murbach110. Quant à l’abbé Berthold de Steinbrunn, il mena une politique princière belliqueuse et, entre autres expéditions, participa activement à la guerre entre l’évêque et la ville de Strasbourg en 1260-62111.
47En revanche, les successeurs, abbés de la première moitié du XIVe siècle, ne semblent pas avoir pu jouer un rôle politique actif et le temporel de l’abbaye se trouva très vite dans une situation économique d’endettement désastreuse. D’un abbé à l’autre, il pouvait y avoir solution de continuité et les emprunts ou engagements fluctuèrent grandement. Le rythme d’évolution des terroirs, en revanche, offrait, comme nous le verrons, une force d’inertie plus grande ou une permanence plus durable : les abbés passent, les vaches restent.
48Avant la réorganisation du XIIIe siècle, le patrimoine abbatial présentait les mêmes caractéristiques que celles des autres établissements religieux : ils étaient complexes, dispersés, hétéroclites. L’éparpillement des biens fonciers ou des droits provenant des donations, que ce fût des grands ou des simples fidèles, reflétait la carte de l'aura du monastère. En véritables seigneurs fonciers, et de façon plus précoce que les seigneurs laïques, les abbés du XIIIe siècle réagirent à la complexité d’exploitation de leurs biens par un souci de « territorialisation » de leur mense, au moins, sur laquelle ils pouvaient exercer leur pleine autorité. La mense conventuelle semble avoir très peu évolué112. Trois modes d’administration cœxistaient : la gestion directe pour les terres de proximité, l’inféodation pour les plus lointaines ou encore, pour faire entrer de l’argent frais, la mise en gage temporaire. Les difficultés de contrôle, dans ces deux derniers cas, ont entraîné le désengagement de ces terres éloignées à tous points de vue. Le meilleur exemple en est Lucerne, en Suisse. L’avouerie de ce prieuré, au moins depuis 1213113, appartenait aux Habsbourg qui l’avaient à leur tour sous-inféodé aux Rothenburg, Wolhusen, etc. L’arrivée à Lucerne, au milieu du XIIIe siècle, des Franciscains rapidement alliés aux bourgeois de la ville, provoqua une ferme opposition au prince abbé de Murbach. Ces querelles, nourries du contexte général des tensions entre l’empereur et le pape, dressaient les avoués partisans du premier contre l’abbaye alliée du second. En 1273, Rodolphe de Habsbourg, pour constituer un territoire à l’un de ses fils, remit toutes ses dettes à Murbach contre les droits sur Lucerne et, en 1291, l’acquisition fut scellée, excepté bien entendu le lien canonique traduit dans les faits par une forte présence alsacienne parmi les prieurs et les moines de Lucerne. L’abandon de ce prieuré, pour des motifs de gestion effective difficile du fait de l’éloignement, s’explique aussi par le système de l’avouerie.
49Le système de l’avouerie ouvrait la voie, dans les faits, à l’usurpation de villages, de terres ou de droits par ceux-là même qui devaient en assurer la gestion déléguée. Comme ils l’avaient fait pour Lucerne, les Habsbourg ont inféodé à des sous-avoués, par exemple aux sires de Horbourg : Wattwiller et Saint-Amarin114, ou encore aux Ferrette : Delle, Uffholtz et autres villages. Profitant de l’absence en 1228 pour fait de croisade de l’abbé Hugues, les Ferrette annexèrent Delle et une bonne partie du Sundgau. L’empereur Frédéric II, ami de Hugues, contraignit Ulric II, en 1235, à lâcher prise, mais pour peu de temps. L’abbaye finit par concéder Delle en 1272 aux Ferrette115. Tous les biens isolés, indéfendables, furent ainsi cédés aux convoitises des seigneuries voisines, en fiefs ou contre espèces sonnantes et trébuchantes, permettant ainsi de réinvestir dans la partie patrimoniale conservée.
La maîtrise d'un territoire
50Le cœur géographique et politique du territoire de Murbach se trouva donc recentré au XIIIe siècle, en l’espace de quatre abbatiats (1216-1298). De part et d’autre des crêtes dominées par le Grand Ballon, les deux vallées de la Lauch et de la Thur (Saint-Amarin), avec différents villages au pied du Vieil-Armand116, formaient ce que l’on peut appeler une « principauté ». Le vallon de Murbach dit « le Florival », et son ouverture sur la plaine avec Guebwiller en constituaient le cœur originel. La vallée de la Thur offrait un atout économique de premier ordre, puisque, à la différence du vallon de Murbach en cul de sac, elle ouvrait de larges horizons d’échanges à l’échelle du grand commerce européen. Par Vieux-Thann puis Thann, en aval, et Saint-Amarin, en amont, jusqu’au col du Bussang, circulaient117 les marchandises en transit entre les Flandres, les foires de Champagne et l’indispensable Italie. À partir de 1220-1225, on le sait, un pont avait pu, techniquement et politiquement par négociation avec Uri, franchir l’indomptable Reuss sous le col du Gothard. Sur cette route, l’Oberrhein pouvait prélever des revenus substantiels. Deux seigneurs concurrents, les Ferrette et l’abbé de Murbach, entendaient profiter de ces échanges et leur dispositif fut très rapidement mis en place, entre 1224 et 1228. Les Ferrette levaient un péage en aval, à Vieux-Thann, depuis la fin du XIIe siècle et l’abbé, en amont, à Saint-Amarin. Au début du XIIIe siècle, les relations commerciales étant intenses, les Ferrette réalisèrent que le point d’étranglement de la vallée, un peu en amont de Vieux-Thann, leur serait plus favorable, et ils le protégèrent d’un château, l’Engelburg, au pied duquel la ville de Thann se développa en conjuguant comme souvent commerce et pèlerinage118. Cette ponction sur le transit, effectuée en aval, donc de façon plus efficace que son péage de Saint-Amarin (1228), ne pouvait qu’irriter l’abbé de Murbach. L’enjeu valait une guerre qui dura de 1228 à 1235119.
51La configuration territoriale de l’abbaye de Murbach apparaît comme l’étonnant résultat d’une politique séculaire dont l’une des logiques semblait répondre à des commodités de gestion, grâce à un regroupement territorial, en dépit d’une géographie peu favorable. Il n’y avait pas vraiment de centre, si ce n’était l’abbaye coincée dans le Florival. Séparées par le massif du Grand Ballon, les deux vallées ne pouvaient communiquer directement par la montagne. De Saint-Amarin à Murbach, il fallait donc passer par la plaine et traverser les terres de l’évêque de Strasbourg, par Soultz. L’abbaye ne tenait, au pied du Hartmannswillerkopf, qu’une seule avancée dans la plaine autour de Wattwiller et Uffoltz, au sud de Soultz, et encore, la question de la possession d’Uffoltz disputée aux avoués, les Ferrette, durera pendant plusieurs abbatiats. En dépit de cet effort de recentrage (autour de deux vallées séparées), l'ensemble continuait à offrir un bel exemple de l’imbrication complexe des terres et des droits dans cette région. L’état des sources120 ne permet guère de dessiner un tableau plus précis de la situation foncière121. Cette logique foncière seigneuriale ne peut, à elle seule, rendre compte de l’effort de territorialisation entrepris pendant un siècle. La puissance de l’abbé ne reposait pas, en effet, uniquement sur sa richesse foncière ; elle reposait aussi sur sa participation au pouvoir régalien.
Le gouvernement des princes-abbés
52Prince et abbé, le prélat de Murbach détenait une position sociale et des droits, liés au statut de son abbaye d’Empire. L’abbaye de Murbach bénéficiait, on s’en souvient, d’une double immédiateté celle de l’Empereur et celle du pape. A l’étendue concrète des droits (déjà évoqués) que conférait le privilège d’immédiateté s’ajoutait celui de relever directement de l’empereur sans intermédiaire dans la hiérarchie féodale. Le prince-abbé, terme anachronique qui n’apparaît qu’au XIVe siècle, possédait le pouvoir sur ses places fortes, ses villes, ses hommes (Hörige), et détenait la haute juridiction.
53Le titre de prince (princeps) attribué par Frédéric II dans un diplôme de 1228122 à son fidèle conseiller, Hugues, abbé de Murbach, relèverait plus de l’amitié que d’une titulature officielle123. Et pourtant, la familiarité avec l’empereur pouvait, à elle seule déjà, sanctionner une position sociale remarquable. Appartenir, même de temps en temps, à l’entourage du souverain, traduisait pour celui qui en bénéficiait un rang supérieur. Les chroniques ou les annales ne manquent jamais de signaler la proximité effective et personnelle du prince et du roi. En 1235, ce même abbé Hugues participa à la grande assemblée des princes à Mayence124.
54La seigneurie se manifestait aussi par la hiérarchie des vassaux dépendants du prince. Murbach disposait d’un ensemble hétéroclite de vassaux, certains théoriques, comme les Habsbourg, d’autres réels mais modestes, dotés de médiocres fiefs, ou d’autres enfin, qualifiés d’« exclusifs » (ledig mann). Jusqu’au début du XIVe siècle, onze familles se virent confier la garde de la principauté en recevant leurs fiefs en majeure partie de l’abbaye. Cette mise en défense par vassaux interposés développa une politique castrale dont il va être question.
55Des droits régaliens, les abbés ont surtout utilisé, à l’époque considérée, ceux de fortification, de marchés et de création de villes125. Au XIIIe siècle, une véritable politique castrale fut mise en place, avec ses deux aspects indissociables : la défense, bien sûr, de territoires considérés comme essentiels, mais aussi l’expression de la force vis-à-vis des hommes tenus en la main de l’abbé. La protection de l’abbaye à l’ouest se trouvait naturellement assurée par le Grand Ballon et la ligne de crêtes en surplomb. En revanche, l’issue du Florival, à l’est, méritait toute l’attention des abbés et la ceinture de fortifications s’établit en position stratégique parfaite entre 800 et 1 000 mètres d’altitude. À l’entrée du vallon de la Lauch, Hugues fit construire le Hugstein, entre Guebwiller et Buhl. Berthold compléta le dispositif de protection de l’abbaye, en amont, par le Hohrupf. La protection des marchands et des passages, indispensables par la plaine, entraîna également la construction, par le même Berthold, du Hirtzenstein, au nord de Wattwiller. Dans l’autre vallée, celle de la Thur, Saint-Amarin se trouvait sous la sauvegarde du Friedburg126 (élevé par l’abbé Thiébault) complétée par la muraille de la ville elle-même, construite sous Berthold. Si l’on ajoute les forteresses des vassaux, la densité des châteaux se montait à une dizaine dans un espace de quinze kilomètres carrés maximum et surtout dans cette région de Wattwiller plus vulnérable. Les vallées étroites, ainsi verrouillées, se révélaient imprenables. A ces positions fortes, il faut ajouter les moyens militaires considérables dont disposait l’abbé, comme tout prince. Ainsi en 1261, Berthold de Steinbrunn parada à Strasbourg pour l’entrée de son oncle, l’évêque Gautier de Geroldseck, dernière parade pour l’un comme pour l’autre. Le chroniqueur127 se montra impressionné par une telle démonstration de puissance. Selon cet auteur, Berthold aurait défilé avec 500 (quingentis) cavaliers. Ce chiffre, pour l’époque, reste considérable.
56L’abbé de Murbach développa sa puissance également par la création de villes, Saint-Amarin (1255), Wattwiller et Guebwiller (vers 1270), villes naines, certes, mais disposant de marchés, de murailles et de fonctions administratives (chefs-lieux de bailliages de l’abbaye). Ajoutons pour Saint-Amarin la présence d’un hospice créé vers 1187-1191 pour les voyageurs et les pauvres. SaintAmarin et Wattwiller ne purent pourtant mettre en place des institutions urbaines avant le XIVe siècle et se développèrent dans la logique des villes seigneuriales. Guebwiller en revanche, cité qui devint rapidement plus importante, semble avoir été sous tutelle jusqu’au XIIIe siècle au moins. Progressivement, la richesse liée à la viticulture aidant, la ville (le conseil se composait encore de membres choisis en majorité par l’abbé) négocia un partage des droits puis s’affirma dès que l’abbaye connut des difficultés financières qui la mettaient en position de faiblesse. La question de ces villes sera traitée plus loin.
57Grâce à des possessions foncières importantes et une seigneurie effective, l’abbé disposait d’un gouvernement tenu fermement comme un véritable prince. Avec quels moyens et quels officiers ? L’absence de documents concernant l’administration avant la fin du XIVe siècle oblige à ne considérer que les résultats. Le regroupement des territoires, la stimulation économique et les nombreuses interventions de l’abbé forcent l’historien à lui prêter des moyens importants. Le long conflit déjà évoqué qui l’opposa aux Ferrette pour les péages dans la vallée de Thann (péage aux Ferrette) et Saint-Amarin en amont (péage à Murbach) supposait des moyens considérables en hommes mais aussi en espèces. A plusieurs reprises, l’abbé attaqua des vassaux indisciplinés, réussit à prendre et détruire leurs forteresses, etc. D’après les chroniques de Murbach, de Colmar ou de Guebwiller déjà citées, Berthold aurait été particulièrement actif en la matière. La perception des impositions supposait aussi une administration financière avec des circonscriptions délimitées (bans). L’abbé y levait la taille sur la richesse de tous ses sujets (Gewerff) ainsi que les impositions indirectes (Umgeld).
58Pendant la période 1250-1350, l’abbé de Murbach joua donc le rôle d’un prince dans la géographie politique de l’Oberrhein, même si l’insuffisance documentaire n’autorise pas de résultats plus précis. Les bases de sa puissance reposaient essentiellement sur l’exercice de ses droits, tout particulièrement les régaliens, ainsi que sur des biens fonciers réorganisés dans une logique de territorialisation. Il sera de nouveau question de Murbach dans l’examen des terroirs viticoles, où l’abbaye était pour ainsi dire omniprésente.
L’évêque de Strasbourg, le Haut-Mundat et l’abbaye de Munster
59L’Oberrhein se situe, dans la géographie ecclésiastique mise en place dès le haut Moyen Âge, entre les civitates devenues métropoles épiscopales de Strasbourg et de Bâle. Attesté dès le IVe siècle mais en plein développement à partir des VIIe -VIIIe siècles, le diocèse de Strasbourg128 englobait les deux rives du Rhin jusque Sélestat129. Au sud de cette limite, le Rhin séparait le diocèse de Constance situé sur sa rive droite (le Brisgau) et celui de Bâle sur sa rive gauche (la Haute-Alsace). Mais l’évêque de Strasbourg possédait aussi, au temporel, des territoires appréciables dans le diocèse de Bâle, autour de Rouffach et de Soultz. Cette enclave, désignée sous le terme de Haut-Mundat130, par opposition au Mundat autour de l’abbaye de Marmoutier131, pourrait se comparer en superficie et en richesse à l’emprise de Murbach. L’abbaye de Munster, sa ville et ses villages, a constitué, mais de façon temporaire, une autre enclave témoin de la présence politique de l’évêque. Prince territorial possessionné dans l’Oberrhein, l’évêque de Strasbourg, par la puissance que lui conférait son appartenance à l’Église d’Empire, aurait pu devenir le principal acteur de la vie politique. Quels étaient donc les atouts de l’évêque dans la région ? Pourquoi n’a-t-il pas réussi à s’imposer ? L’influence de l’évêque de Bâle, loin d’être négligeable sur le plan foncier et économique, tant en Haute-Alsace qu’en Brisgau où il possédait châteaux, vignes et mines, ne peut cependant se comparer à celle, politique, du prélat strasbourgeois qui suscitait des guerres ou des alliances, en entretenant une vaste clientèle.
60Pour envisager successivement l’emprise territoriale de l’évêché, la nature des pouvoirs de ce prince d’Empire, et son efficience dans l’Oberrhein, les sources se révèlent étonnamment minces, au moins jusqu’au XIIIe siècle. La chancellerie épiscopale, seule dépositaire de la pratique administrative mise au point sous les Carolingiens, bénéficiait d’une audience sur tout le territoire du diocèse, en garantissant les actes et transactions par son sceau. Cette « juridiction gracieuse » dépassa rapidement les seuls bénéficiaires ecclésiastiques, chapitres, abbayes ou monastères. On s’étonne donc du caractère aléatoire et de l’activité réduite de cette chancellerie aux compétences étendues. S’il existait des notaires épiscopaux132 aux fonctions épisodiques, l’évêque faisait aussi appel à des moines ou des chanoines compétents. À partir du XIIIe siècle, pour répondre à une demande accrue, les notaires simplifièrent leurs formulaires sans pour autant les multiplier considérablement. L’essentiel des actes conservés133 concerne les deux derniers siècles du Moyen Âge, échappant ainsi à la présente enquête. De façon tout aussi surprenante, l’activité diplomatique soutenue des Carolingiens jusqu’aux Ottoniens134 et même des Staufen135 n’a laissé que peu de traces. Par la suite, entre 1250 et 1350, les évêques de Strasbourg136 n’ont joué un rôle de premier plan que dans les affaires alsaciennes, toujours en marge de l’Empire137.
L'évêché de Strasbourg et son territoire
61L’emprise territoriale138 de l’évêché de Strasbourg a bénéficié des donations royales ou princières jusqu’au XIe siècle, puis de l’accaparement des biens des abbayes, de quelques héritages (surtout celui des Eguisheim-Dabo), d’achats ou de la force des armes. Fortement centré autour de la ville épiscopale, l’essentiel des territoires sur lesquels s’exerçait la puissance de l’évêque se situait sur les deux rives du Rhin : sur la gauche d’une part, au nord jusqu’au Selzbach, la région de la Sauer et de la Moder avec Pfalzbourg, Dabo, Saverne, Schirmeck, Mutzig, Molsheim et Dachstein et vers le sud, jusqu’au landgraben avec Saint-Hippolyte, Sainte-Marie-aux-Mines ; sur la droite d’autre part, de la Bleich à l’Elz avec Oberkirch, Oppenau, Appenweier, Offenburg et Gengenbach. En plus de ces grands ensembles, l’évêque avait accès à l'Ill et au Rhin (Honau) ; il tenait une large bande de terres à cheval sur le Rhin d’Andlau par Rhinau jusqu’à Ettenheim. Dans l’Oberrhein, enfin, et donc dans le diocèse de Bâle, l’évêque possédait Marckolsheim et le Haut-Mundat (Obermundat) autour de Rouffach.
62L’origine de cette enclave méridionale pourrait être un contre-don d’un souverain mérovingien à la suite d’un miracle accompli en faveur de son fils par l’évêque de Strasbourg Arbogast139, dans la seconde moitié du VIe siècle, si l’on en croit sa Vita140 écrite au Xe siècle141. Une autre donation, faite par Dagobert II au VIIe siècle, fit de la résidence mérovingienne de Rouffach la résidence d’été des évêques de Strasbourg. Au pied d’un site fortifié, l’Isenburg, castrum transformé au XIIe siècle, le domaine royal, devenu terre épiscopale et centre religieux pour l’Oberrhein, englobait une large bande de terres d’ouest en est, des Vosges au piémont viticole et à la plaine fertile. Comme pour Murbach, l’ensemble regroupait les différents types de terroirs, c’est-à-dire des sources de richesses diverses, indispensables et complémentaires. Le Haut-Mundat couvrait donc un espace considérable englobant, du sud au nord, toute la chaîne vosgienne et forestière de Masevaux jusqu’au Rainkopf dominant Wildenstein. Sur le piémont et en plaine, un ensemble de petites villes ou villages, organisés en deux bailliages142, permettait à l’évêque d’accéder à la quintessence du vignoble. Dans le bailliage de Rouffach, autour de cette petite capitale, l’évêque tenait les localités d’Eguisheim, Gueberschwihr, Gundolsheim, Morschwihr, Orschwir, Pfaffenheim, Soultzmatt, Westhalten, Wettolsheim. Beaucoup plus petit, mais à un point stratégique entre les deux vallées tenues par Murbach, le bailliage de Soultz comptait, outre cette localité, le village disparu de Wuenheim.
63Le caractère trop tardif de la documentation conservée ne permet pas cependant, dans l’état actuel des sources et des recherches, d’apprécier avec précision l’étendue exacte, et surtout la dynamique, des possessions foncières de l’église de Strasbourg. En revanche, l’importance, pour le prince-évêque, de ce temporel sur le plan stratégique et économique se traduit par son attachement farouche à le conserver. La position géographique de Haut-Mundat permettait de contrôler tout passage sur le piémont même assez loin dans la plaine. Tout passage de troupes susceptibles de rompre la paix publique se repérait facilement. Pays du vin par excellence, le terroir de Rouffach, exploité directement ou soumis à la dîme, constituait, sur le plan économique, une réserve inestimable. Les droits de péage perçus à Rouffach sur le vin et le sel donnent à penser que l’activité d’échange pouvait rapporter gros. D’un tel pactole, les évêques usèrent et abusèrent par de multiples inféodations. Au point que certains empereurs, et en particulier les Staufen, plus vigilants que d’autres par rapport à l'Oberrhein, ont réagi aux aliénations excessives en mettant « sous tutelle » le prince-évêque143. Les souverains, cependant, ne pouvaient pas toujours se targuer de la défense de ce patrimoine. En 1199, l’évêque Conrad144 accepta de se rallier à Philippe de Souabe145 à condition que lui soient restitués tous les fiefs que son père (Frédéric Ier) et son frère (Henri VI) avaient tenus de l’évêché de Strasbourg.
64Plus importante encore que l’emprise territoriale de l’évêque, sa puissance politique dans l’Oberrhein en faisait un des princes susceptibles de construire une entité politique. Comme ils ont été à l’origine de la fortune foncière de l’évêché, les souverains mérovingiens et leurs successeurs ont été à l’origine de leur potestas.
Le prince-évêque et la construction de son pouvoir
65Si la fonction essentielle de l’évêque dans son diocèse devait être la pastorale (les premiers évêques furent des moines146), un rôle politique considérable lui était conféré par délégation de prérogatives émanant du pouvoir royal ou par des fonctions palatines147. Héritiers à cet égard du Bas-Empire, les Carolingiens ont largement utilisé ce dispositif, prémisse de l’Église d’Empire ottonienne148 (Reichskirchensystem) à partir de 973. La solidité de l’ensemble reposait sur le contrôle efficace des nominations épiscopales par le souverain pour s’assurer de la fidélité des prélats. L’émergence de princes territoriaux forts et capables d’intervenir dans les « élections » constituait un obstacle à la politique impériale. Or dans l’Oberrhein, à l’exception du duc de Souabe Bouchard Ier (916-926), qui entendait user des prérogatives du prince vis-à-vis des églises, aucun prince ne se trouvait en position de nommer les évêques. Avant 973, « aucune famille de l’aristocratie locale ne contrôlait le siège de Strasbourg... », on peut dire que c’était un diocèse particulièrement « ouvert »149. Après cette date, le système de l’Église d’Empire fonctionna pleinement ; les évêques150 furent alors non seulement nommés par l’empereur et choisis dans des familles différentes, mais surtout confortés dans leur potestas par des prérogatives essentielles.
66L’immunité, précédemment évoquée dans ses grandes lignes, s’applique de façon particulière aux pouvoirs de l’évêque dans la mesure où elle ne constituait qu’un aspect de ses prérogatives. Il faut successivement envisager le lien de fidélité entre l’évêque et « son » souverain, ses compétences judiciaires et ses autres missions de service public, tonlieux, monnaie et fortifications.
67Essentiel, en effet, apparaît d’entrée de jeu le lien personnel de fidélité, réactivé en permanence pendant toute la durée de la charge et pas seulement lors de la nomination, qui faisait de l’évêque presque un vassal du roi. La Querelle des Investitures (1076-1122) éprouva ce serment de fidélité avec succès, semble-t-il, puisque les évêques successifs de Strasbourg maintinrent leur attachement à l’empereur contre le pape. Le prélat strasbourgeois Wernher II (1065-1077) condamné pour concubinage par le synode romain de 1074, alla effectivement, lui aussi, avec son maître à Canossa (1077). Au candidat impérial Otton (1082/84-1100) s’opposa un candidat du pape, Hugues d’Eguisheim, neveu de Léon IX. La concurrence s’interrompit par l’assassinat de Hugues dans les appartements d’Otton, lequel protesta de son innocence dans un premier temps puis, dans un deuxième temps, entreprit un pèlerinage à Conques151, puis en Terre Sainte. Pendant toutes ces péripéties, sa fidélité à l’empereur demeura entière. Le concordat de Worms (1122), en mettant fin à la Querelle des Investitures, modifia les relations de l’Église et de l’Empire puisque l’empereur renonçait à conférer aux prélats leurs pouvoirs canoniques et s’engageait à respecter l’élection par les électeurs légitimes, en y assistant. Il devait remettre au nouvel évêque élu le sceptre, symbole des regalia. Dans les faits, pour l’évêché de Strasbourg, l’empereur eut assez d’influence sur les chanoines pour qu’ils « élisent » son candidat. Dès 1123, Brunon, le chancelier d’Henri V, fut élu et ses successeurs continuèrent la tradition de fidélité impériale. Le véritable changement dans le rapport de force entre l’empereur et le pape intervint en 1213 lorsque Frédéric II renonça au droit d’assister aux élections. L’influence pontificale prit le pas sur l’impériale. L’Église d’Empire avait vécu. La rupture de ce lien personnel avec l’empereur renforça la puissance et le prestige de l’évêque de Strasbourg puisqu’il continuait à bénéficier de pouvoirs considérables sans aucun contrôle. Le champ d’exercice de son pouvoir se concentra sur les affaires de l’Oberrhein, et il ne manqua pas une occasion de le démontrer.
68L’évêque disposait, parmi ses prérogatives, de la compétence judiciaire. Son tribunal contrôlait celui du comte mis en place par la législation royale du VIIe siècle. Charlemagne renforça encore les compétences épiscopales par l’institution des missi dominici. Ceux-ci, en effet, disposaient de la puissance inquisitoriale152, au civil et au pénal. Ce droit de procéder à une inquisitio leur permettait de contraindre les hommes libres à témoigner sous serment. L’église épiscopale de Strasbourg reçut de Louis le Germanique, en 873, tout un ensemble de droits régaliens, dont celui de l'inquisitio, à exercer dans le ressort de son immunité, confirmée dans le même acte153. Les compétences dévolues au tribunal de l’évêque faisaient donc de celui-ci un agent de la puissance publique et, de ce fait, pouvaient le mettre en concurrence avec le comte. Il lui arriva même de la remplacer, comme ce fut le cas en 1077154.
69Parmi les prérogatives d’ordre politique, le droit sur les fortifications et les charges militaires contribuèrent également à faire de l’évêque un prince redoutable. Pour faire face à ses engagements comme l’obligation faite à l’église épiscopale de Strasbourg de fournir cent chevaliers, obligation mentionnée dans l'Indiculus loricatorurn155 de 982156, il reçut des parts importantes du fisc. Cette puissance de droit et de fait plaçait l’évêque au premier rang des princes de l’Oberrhein. Les évêques strasbourgeois, surtout au temps des Staufen, avaient participé aux grandes expéditions italiennes. Leurs opérations militaires dans l’Oberrhein se soldaient d’autant plus rarement par un échec que le réseau fortifié157, dont les prélats disposaient grâce à une véritable « politique castrale », leur permettait des opérations de vaste ampleur. Rouffach, place forte avec son château et ses fortifications, jouait un rôle essentiel de point d’appui dans tout l’Oberrhein. En 1245, dans la version régionale de la lutte du Sacerdoce et de l’Empire, les Rouffachois, hommes de l’évêque de Strasbourg livrèrent plusieurs batailles à leurs voisins colmariens, qui soutenaient Frédéric II.
70Le plus célèbre exemple du déploiement des forces épiscopales, celui de Oberhausbergen158 en 1262, a été relaté avec emphase par le chroniqueur Ellenhard le Grand159, qui le tenait d’un notaire de la cour épiscopale, Gottfried d’Ensmingen. La succession de Henri de Stahleck (1245-1260) s’était déroulée dans un climat tendu : la ville de Strasbourg manifestait des velléités d’indépendance et les chanoines du grand chapitre se trouvèrent divisés entre les iréniques, voulant la conciliation, et les belliqueux, désirant mater les bourgeois. Le second parti l’emporta en élisant Walther de Hohen-Geroldseck, en Forêt-Noire. Lors de sa consécration par l’archevêque de Mayence, le 2 février 1261, Walther parada avec tous ses vassaux (dont les abbés de Murbach et de Saint-Gall) et 1500 chevaliers ! Prudemment, il quitta définitivement la ville pour s’installer dans un de ses châteaux, le Dachstein, près de Molsheim. La guerre éclata avec la ville quand il voulut en faire sortir son matériel de guerre. L’évêque avait pu mobiliser, d’après les témoignages de témoins oculaires recueillis par le chroniqueur, 300 cavaliers et 5000 fantassins. Le camp strasbourgeois, la ville et ses alliés (Colmar, Kaysersberg, Mulhouse, Rodolphe de Habsbourg, etc.) ne pouvaient déployer que des fantassins. Ce fut, on s’en souvient, la victoire emblématique de la milice urbaine contre la chevalerie princière.
71L’évêque de Strasbourg bénéficiait, outre ses compétences judiciaires, son droit sur les fortifications et obligations militaires, d’autres missions publiques d’ordre économique : les tonlieux, les droits de monnaie et de marchés. Louis le Pieux confirma en 873 l’exemption de douane en faveur de l’église épiscopale de Strasbourg160. En raison de ce seul acte conservé, il est difficile d’apprécier si l’évêque a bénéficié d’exemptions de tonlieux ou de créations à son profit. Il possédait des péages attestés grâce à des conflits à propos de vin et de grains161. Le tonlieu ne renvoie pas qu’à une notion fiscale ; il renvoie aussi à une emprise administrative dans la mesure où ces droits étaient perçus par des agents de l’évêque. Le droit de battre monnaie fut aussi accordé à l’évêque de Strasbourg en 873162 et la documentation permet de constater qu’il en a été fait usage par tous les successeurs de Ratold (840-874). L’organisation de l’atelier, la juridiction et les droits y afférents, furent essentiellement définis par la confirmation d’Otton II en 974 à l’évêque Erkanbold163. Le maître de la monnaie (article 7) étendait sa juridiction à tout le diocèse (articles 58-59). Les monnayeurs devinrent rapidement des personnages importants, attachés à la maison de l’évêque (article 63).
L'échec du prince-évêque : 1262
72De toutes ces prérogatives régaliennes, l’évêque tirait une puissance considérable et une force effective à l’échelle d’un vaste territoire (Hochstift). Il n’est pourtant pas devenu le prince de l’Oberrhein, en grande partie en raison de la nouvelle donne politique du XIIIe siècle, de la montée en puissance des villes, de celle de Strasbourg164 dans ce cas précis. Seigneurie épiscopale aux marges de l’Empire, la ville s’est développée sous l’égide relativement lointaine de l’empereur. Celui-ci déléguait son droit de ban à l’avoué165 et bénéficiait du droit de gîte. Le véritable maître était donc l’évêque, dont les pouvoirs, bien rodés depuis deux siècles, s’exerçaient efficacement grâce à une administration de ministériaux dont les principaux étaient l’avoué, l’écoutète166 (causidicus sive scultetus, Schultheiβ), le burgrave167, le péager et le maître de la monnaie. Au cours du XIIIe siècle, comme dans bien d’autres villes, le pouvoir de l’évêque se trouva concurrencé par celui des habitants les plus influents, les cives. Ils formèrent un conseil des bourgeois, attesté vers 1201-1202, qui prit au coup par coup des décisions sans toutefois aller jusqu’au conflit pendant une soixantaine d’années. Progressivement, les pouvoirs épiscopaux furent vidés de sens au profit de la communauté des bourgeois qui préleva des taxes et adhéra à la Ligue du Rhin en 1254, preuve d’une réelle indépendance. La cohabitation irénique cessa en 1262. Dans le traité qui suivit la célèbre bataille de Oberhausbergen, la situation favorable à la ville permit de procéder au transfert du reliquat des pouvoirs épiscopaux aux citadins et à une confusion des territoires du diocèse et de la ville, puisque « de la seigneurie épiscopale sur la cité, ne restaient que les apparences »168. La rupture ne fut cependant pas complète puisque l’évêque installa sa résidence à Saverne, mais son officialité continua de fonctionner à Strasbourg. De façon paradoxale, la garantie de l’official continua de prévaloir et, pour toute transaction écrite, même des laïcs et des particuliers169 y avaient recours. La mise en place d’un notariat urbain fut d’autant retardée. Cette puissance épiscopale que conférait la capacité à écrire, à administrer, à connaître et à faire connaître une législation héritée du Bas-Empire ne doit pas être sous-estimée dans le contexte de l’Oberrhein où la chancellerie royale travaillait avec des moyens incroyablement modestes ; les seigneurs et sires de petite envergure ne produisaient guère plus de documents que les secrétariats des villes à leurs débuts.
73Le prince-évêque, après 1262, avait perdu « sa » ville mais conservait par ailleurs ses prérogatives seigneuriales (Landesherr) par ses possessions considérables, ses droits (régaliens et canoniques, dîmes, etc.) et son administration épiscopale bien rodée. À la disparition des Staufen, l’évêque de Strasbourg assura, en fait, les pouvoirs des landgraves de Basse-Alsace (les Habsbourg, ceux des landgraves de Haute-Alsace). Les prélats successifs ont su maintenir et développer leurs territoires en assurant leur contrôle, multiplier leurs interventions grâce à leurs bases stratégiques et effectuer une ponction non négligeable de la richesse de l’Oberrhein. Leur présence dans les différentes villes s’inscrivait dans cette stratégie. Rouffach appartenait au prélat strasbourgeois. De 1003 à 1261, il tenait la ville de Mulhouse170. Il tenta également de s’implanter à Kaysersberg171 de 1248 à 1265. Enfin sa présence constante à Colmar, ville la plus riche de la région, n’étonnera pas, et bon nombre de conflits colmariens furent activés par ses fidèles solidement implantés172. La richesse urbaine que convoitait le prince-évêque de Strasbourg allait de pair avec celle du vignoble. Il se trouvait, avec le Haut-Mundat, en plein cœur des terroirs viticoles les plus prodigues. De la donation royale initiale, l’évêque avait su tirer le meilleur vin. Au début du XIVe siècle, il disposait d’environ 250 schatz173 de vignes qu’il faisait exploiter en métayage à part de fruit égale par des vignerons174. De ce riche propriétaire de vigne, il sera de nouveau question dans le chapitre consacré au vignoble.
74Son influence s’exerçait aussi dans les structures ecclésiastiques qu’il contrôlait plus ou moins. Le grand chapitre175, auquel l’évêque devait son élection, donnait son avis bien entendu dans la vie du diocèse, mais aussi dans les affaires importantes. Au début du XIIe siècle, le chapitre, composé de vingt-quatre membres, s’était constitué en universitas et administrait la mense capitulaire. Les chanoines, dont le nombre atteint quarante-quatre au début du XIVe siècle, assuraient leur propre recrutement dans la noblesse, chacun désignant son propre successeur. Ils ne se laissèrent jamais imposer de roturier sauf en 1231 par Grégoire IX. Collégiales176 et abbayes ont pu jouer un rôle de relais, même si ce dernier est encore peu connu. À partir du XIe siècle se développèrent, sous l’impulsion des ministériaux177, les grands chapitres d’Augustins178 de Marbach179, Schwartzenthan180, Lautenbach181, Saint-Martin de Colmar182, Saint-Amarin183, etc. Ce vigoureux mouvement canonial se situait dans la mouvance de Marbach, dont Manegold de Lautenbach184 avait été le supérieur (1094).
L'abbaye de Munster
75Le Haut-Mundat représentait donc un point d’ancrage essentiel pour l’évêque de Strasbourg dans l’Oberrhein, tant par sa position stratégique et politique, que par ses richesses. Munster et le val de Munster185 intéressaient aussi l’évêque de Strasbourg en tant que prince politique. Au spirituel, l’abbaye relevait canoniquement de l’évêque de Bâle186. A la différence du Haut-Mundat qu’il tenait directement, l’évêque se trouvait en compétition pour Munster et son val, avec l’empereur (avoué), l’abbé (maître de son territoire) et, plus ou moins, avec l’évêque de Bâle (autorité spirituelle).
76L’abbaye de Munster, injustement traitée par l'historiographie en dépit de sa réelle importance, n’a pas fait l’objet d’un travail récent de synthèse pour la période médiévale, mais de plusieurs mises au point permettant de poursuivre l’enquête187. Le matériel documentaire conservé188, tardif, concerne essentiellement l’emprise foncière et les droits d’un abbé dont dépendait le moindre chemin, ruisseau ou pont. De la vie spirituelle et culturelle189, de l’activité du scriptorium aussi intense que celui de Murbach, l’essentiel partit en fumée lors du ravage de l’abbaye par un incendie en 1182. Les quelques prestigieux documents rescapés n’autorisent pas une connaissance approfondie de la vitalité monastique dans la durée : le Liber Vitae190, un martyrologe du XIIe siècle191, l’Obituaire de l’abbaye transformé au fur et à mesure en calendarium (ΧIIIe siècle)192, enfin les droits et coutumes du XVe siècle193.
77Entre le cœur des domaines francs, ancré à Colmar, et la Lorraine, la vallée de Munster, appuyée sur les versants des Vosges et couverte de forêts royales, formait un espace attirant pour la vie ascétique de ces spécialistes de la conversion des peuples que furent, au VIe siècle, les Irlandais. Quelques moines de Luxeuil établirent (sans doute) une petite communauté tout au fond de la vallée194. En tout état de cause, la seule fondation attestée par les documents situe vers 660 une communauté de bénédictins rapidement nombreuse. Au succès de l’entreprise, avaient contribué la libéralité royale (la pieuse tante Emmechilde, de Childéric II enfant), notifiée en 675 au duc Boniface et l’appui de Rothari, évêque de Strasbourg. Au confluent des deux vallées de la Fecht, la grande et la petite, le monasteriolum confluentis se mit sous le patronage des saints Pierre et Paul, de la Vierge Marie, et saint Grégoire195, premier pape bénédictin mort en 604. Le val adopta aussitôt le même nom. Son succès rapide lui valut sans doute le choix de son abbé comme évêque de Strasbourg, on s’en souvient. L’abbaye profita pleinement du système carolingien en participant à la vie politique – Godefroy abbé de Munster196 fut un missus dominicus – et à la confraternité spirituelle des grandes abbayes et chapitres de l’Empire, surtout Reichenau (826-830) et Remiremont (vers 870). À l’immunité accordée par Charlemagne, Louis le Pieux ajouta en 826 la libre élection de l’abbé et conforta la puissance de l’abbaye par des privilèges et des exemptions nombreux (péages du sel de Moyenvic et Marsal par exemple).
78L’influence et la vitalité de Munster se traduisit rapidement par une emprise foncière considérable : dès la fin du IXe siècle, tout le val dépendait de l’abbé197 ainsi que de nombreux terroirs en plaine198. Cet ensemble territorial, dont l’essentiel se présentait de façon compacte, provenait sans doute des donations royales et privées mais aussi de l’implantation clairsemée, non organisée, d’une population mal connue en ses origines, mais attestée dans ses activités montagnardes. Provenant du même fisc royal, Munster et Colmar restaient très liées : l’abbaye possessionnée à Colmar dès le IXe siècle, avait fait construire une église, Saint-Martin, dont la paroisse, en plein cœur des activités commerciales, supplanta rapidement celle de Saint-Pierre tenue par l’abbaye de Payerne, dans le quartier plus excentré de l’Oberrhof. La construction d’une nouvelle église, au XIIIe siècle, contribua largement à l’image de la ville de Colmar en plein essor. Munster conserva la nomination du curé de Saint-Martin, puis celle du doyen du chapitre fondé en 1234. L’avouerie de l’abbaye199, tenue par l’empereur en dépit des protestations de l’évêque de Bâle prétendant exercer ses droits dans la vallée200, se clarifia en 1235 par un partage léonin des profits, entre l’empereur et l’abbé, qui ne conserva, au mieux, qu’un tiers des revenus. À la disparition des Staufen, et profitant de l’Interim, les évêques de Strasbourg, Henri de Stahleck puis Walter de Geroldseck, investirent la vallée de Munster en dépit des protestations de l’abbé. En 1261, pour bien marquer sa puissance et tenir la vallée, Walter entreprit la construction du château de Schwartzenburg201 pour son père, ainsi remercié pour son soutien. Mais dès l’année suivante (1262), la cuisante défaite de Oberhausbergen contraignit l’évêque de Strasbourg à se retirer du val de Munster, immédiatement revendiqué par l’évêque de Bâle. Rodolphe de Habsbourg, en tant que souverain (1273), réactiva aussi les droits de l’Empire en laissant à l’évêque de Bâle le château de Schwartzenburg, et à la ville, ses chances d’émancipation progressive de l’abbaye en jouant sur son statut de ville impériale. Le passage progressif vers l’autonomie urbaine202 trouva son point final en 1354 en adoptant le statut de Colmar et en entrant dans la Décapole, alliance de dix villes alsaciennes sous l’injonction de Charles IV.
79Munster, indéniablement, a représenté un enjeu pour les deux évêques et pour les Staufen qui se sont disputé sa domination. Par rapport à l’Oberrhein, cette vallée constituait une entité particulière : peu de vin, une immense réserve forestière, de nombreux passages vers la Lorraine, un pouvoir fort et compact sur un ensemble territorial conforté par la dynamique d’une ville et de nombreux villages, formant, à partir du XIIe siècle, « le val Saint-Grégoire », indissociable de la ville de Munster. Tout comme l’enclave de Murbach, celle de Munster aurait pu servir de base de départ à une logique de territorialisation, si elle avait pu se déployer.
80De tous les possibles comtes de l’Oberrhein, l’évêque de Strasbourg était indéniablement le meilleur compétiteur vers 1250 : solidement implanté au cœur de la richesse du vignoble, disposant d’une sorte de capitale pour la partie méridionale de son territoire (Rouffach), le prélat disposait de bien des atouts. Sa politique urbaine cependant explique en partie son échec. Il n’a pu maintenir son hégémonie ni se rendre maître des cités importantes. Bien plus, sa ville de Strasbourg l’a chassé en 1262203. Profitant de cette défaite et du changement de prélat, Kaysersberg, Colmar, Mulhouse l'ont également expulsé. La progressive maturité de la conscience urbaine visant l’autonomie n’aurait sans doute pas été suffisante si les Habsbourg n’avaient pas accordé leur alliance à toutes les villes citées contre l’évêque. La force politique nouvelle des villes et la concurrence d’un autre prince, laïque celui-ci, ont contré efficacement les débuts d’une territorialisation épiscopale dans la partie méridionale de l’évêché. En revanche, dans la partie septentrionale (qui échappe à cette étude), les efforts réussis de constitution d’un espace dominé homogène profitèrent à la ville de Strasbourg qui en fit un vaste territoire, sorte de contado à l’italienne.
Les Ribeaupierre
81Cette famille n’émerge que lentement des sources204 dont l’essentiel a été publié. Les ouvrages de synthèse205 sur l’histoire de cette prestigieuse lignée – à l’échelle de l’Oberrhein – s’attachent à suivre les destinées de la dynastie et laissent de côté, comme champ d’exploration historique à venir, le versant économique des documents, ce qui n’est pas une mince affaire. Il n’en sera pas non plus question dans ce travail, car la documentation est largement postérieure à la période retenue.
82Dès le milieu du XIIIe siècle, les sires de Ribeaupierre, libérés de la présence des Staufen, affichèrent une quasi-indépendance dans le libre exercice de ce qu’ils considéraient comme leurs droits, en manifestant une certaine volonté d’expansion territoriale. L’histoire de cette famille, illustre et quasi mythique, jusqu’à son extinction en 1673, comporte des éléments démonstratifs pour la mise en place d’un système politique caractéristique de l’Oberrhein. L’absence d’un véritable pouvoir souverain entre 1250 et 1350 (sauf sous Rodolphe de Habsbourg), activa, comme on le sait, le plein exercice de droits régaliens, soit par le jeu de forces diverses, formant mosaïque, soit par la concentration de forces sur un territoire, à vocation de future principauté, dominée par une famille, par une ville ou par un prince.
Histoire du lignage
83La première lignée des Ribeaupierre - Rapposlstein206 s’inscrirait, selon l'historiographie, dans l’orbite du pouvoir impérial. Les Carolingiens auraient accordé le droit de ban207 (Zwing und Bann) à un ancêtre de la famille à Ratbaldovilare, le futur Ribeauvillé, où un Reinbold ou Reginbold est attesté entre 1022 et 1038. De source plus sûre, l’empereur Henri IV donna en 1084, en fief, le château du Saint-Ulrich et la région de Ribeauvillé, à l’évêque de Bâle, sans doute en récompense de son soutien pendant la Querelle des Investitures. En 1114 Henri V le reprit pour garder la maîtrise du piémont vosgien au débouché de la vallée de la Weiss, passage aisé vers la Lorraine. Les traces documentaires se perdent après 1149, sans doute par l’extinction de ce lignage. Aucun élément déterminant n’a, jusqu’à présent, été retenu pour expliquer la disparition de tous les héritiers mâles de la famille au milieu du XIIe siècle : fait de guerre (hypothèse de Karl Albrecht) ou « simple » phénomène génétique ?
84Une deuxième lignée prit le relais, là encore par la volonté impériale : Frédéric Barberousse offrit à un de ses fidèles, gouverneur de Plaisance, et rapatrié d’Italie où les affaires impériales allaient mal, la seigneurie de Ribeaupierre. Cet Eguenolphe épousa sans doute Emma l’héritière du lieu. Son frère Conrad, dans la même situation après avoir été duc de Spolète, reçut, lui, le château éponyme des Urslingen208, famille souabe connue pour ses amitiés avec les Staufen : on observe la mise en place, dans l’Oberrhein, des fidèles de la nouvelle dynastie royale.
85À partir de 1163, les Ribeaupierre sont mentionnés dans les actes de la chancellerie impériale209. Ils se manifestent dans des actions visant à étendre leur contrôle politique sur des seigneurs voisins (Cunon de Horbourg par exemple), à étendre leurs territoires ou encore par des départs en croisade. Puissance de droit ou puissance de fait ? Les deux, sans doute. Un peu plus tard, ils occupent des stalles canoniales à Strasbourg et à Bâle, et contractent des alliances matrimoniales avec des familles importantes. Les Ribeaupierre, selon la thèse de Benoît Jordan qui les a étudiés à partir du XVIe siècle, semblent avoir privilégié un héritier autorisé à faire souche, pour sauvegarder l’ensemble de la seigneurie. Était-ce déjà le cas auparavant210 ? Leurs filles ont aussi contribué au prestige du lignage et leurs mariages désignent les autres familles puissantes de l’Oberrhein. Anna, fille de Berthod IV, épousa Ulrich de Kyburg. Leur fille, Heilwig, devint l’épouse d’Albert IV de Habsbourg211.
Une seigneurie compacte : les châteaux, Ribeauvillé, les territoires rassemblés
86On connaît, par les partages de 1298 et 1373, l’espace dominé par la famille. Les terres patrimoniales212, alleux ou fiefs, les droits et les châteaux ou points fortifiés, constituaient une seigneurie centrée autour d’un ensemble qui voulait rester cohérent. Le cœur de la puissance des Ribeaupierre se déclinait par trois : trois châteaux et une ville en trois parties (Ribeauvillé), petit noyau d’une dizaine de kilomètres carrés, au milieu de vastes territoires, peu dispersés, suivant l’axe favorable ouest-est, des forêts vosgiennes au Rhin. Les partages permettent aux historiens de faire le point à un moment précis de la construction familiale, mais la genèse des biens et des droits leur échappe si elle n’est pas documentée par d’autres sources. Ce n’est pas le cas des Ribeaupierre. Outre leurs possessions foncières, ceux-ci détenaient, de fait, des droits régaliens qui les situaient au rang de princes et la conservation de ces titres prestigieux permet une assez bonne connaissance de leurs fiefs213 et de leur puissance. Dans le récit de la construction du château de Guémar en 1287, dans la Chronique et les Annales de Colmar214, mention est faite de la parenté (cognatus) du frère d’Anselme avec l’empereur. Cette parenté biologique ou artificielle, fondée sur des relations amicales (réelles ou supposées), servait d’argument social pour justifier et imposer la puissance seigneuriale (Herrschaft).
87Le lignage s’inscrivait dans l’espace de façon spectaculaire, par trois châteaux dominant la ville de Ribeauvillé. Curieusement regroupés dans un rayon de cinq cents mètres, chacun sur un piton rocheux, leurs ruines semblent encore aujourd’hui se parler tant elles sont proches. Le Saint-Ulrich à 520 mètres d’altitude, le Haut-Ribeaupierre (ou Altencastel) à 645 mètres et le Girsberg à 528 mètres, peuvent apparaître comme emblématiques de la période Staufen au cours de laquelle les lignages terminaient la mise en place d’une véritable géographie castrale215. Le château éponyme devint même résidence, au début du XIIIe siècle, quand les sires quittèrent les villages de plaine et montèrent dominer leurs terres et leurs hommes (phénomène connu sous le terme de Verherrschaftlichung).
88Les trois châteaux des Ribeaupierre font figure de cas d’école tant leur allure architecturale correspond au style Staufen en la matière. Le projet de construction répondait toujours aux mêmes triples besoins de défense, de résidence et de vie de cour. Ces châteaux (burg) assuraient de plus des fonctions d’administration et d’impulsion économique, véritables centres politiques et commerciaux d’un espace plus ou moins étendu. Ici, la défense faisait presque figure d’ostentation : se percher sur ces hauteurs inhospitalières, exposées au vent, à la foudre et au froid, relevait du défi. Lors d’un essai de siège en 1287, Rodolphe de Habsbourg abandonna très vite « ces châteaux imprenables ». Le Haut-Ribeaupierre avait précisément été remanié vers 1225-1230, pour opposer à l’assaillant deux côtés de murs en bossage, beaucoup plus épais. Aux ouvertures extérieures minimales et hautes, à l’entrée parfaitement protégée, répondait le donjon (Burgfried) d’une trentaine de mètres de haut, avec des murs allant jusqu’à six mètres d’épaisseur. Sans lumière naturelle et avec une superficie exiguë, il jouait le rôle de refuge de dernière extrémité, mais surtout de réserve ou resserre pour les produits de première nécessité. À cette fonction militaire originelle s’ajoutait au XIIIe siècle la fonction résidentielle. Le logis le mieux conservé (palas, Wohnturm), celui du Haut-Ribeaupierre, construit vers 1230, offrait, sur une surface de 18 sur 9,50 mètres, un ensemble gracieux de sept fenêtres à banquettes ou cousièges et oculi de formes variées, ouvert sur la cour intérieure pour éclairer des pièces alors décorées de tentures, de cheminées et de meubles, d’un luxe à la hauteur du rang prestigieux de ses habitants.
89Si les sires dominaient du haut de ces châteaux ceux « d’en bas », leur ville de Ribeauvillé216 bénéficiait des fonctions économiques liées à sa fonction de siège de la seigneurie, dynamique de consommation et de production artisanale. En 1241 est mentionné un procurator, plus tard un Schaffner (prévôt) chargé d’administrer la ville. Celle-ci présente la particularité d’être composée de trois noyaux de forme arrondie217, chacun doté de remparts et de tours. À l’est, l'Altestadt correspondait sans doute au village primitif, puis la Niederrestadt formait l’extension vers la plaine, enfin vers l’ouest, la Neuwestadt poussait la ville vers la montagne. Ces extensions individualisées correspondaient-elles aux partages entre fils ou frères218 ? Entre 1281 et 1290, Ribeauvillé devint, dans les actes du moins, « une » ville fortifiée (oppidum, Stadt). S’agissait-il alors d’une triple fortification autour de ces noyaux urbains ? D’une seule enceinte formant entité mais préservant les constructions plus anciennes ? Cette mise en défense était-elle le fait du prince ou des habitants de Ribeauvillé se constituant en communauté ? Les Ribeaupierre auraient bénéficié d’une charte impériale (dont on n’a aucune trace) les autorisant à fortifier leur ville. C’est pourtant précisément une époque de grande tension entre le roi Rodolphe et le sire Anselme de Ribeaupierre, qui attaquait tous ses voisins et perturbait sans cesse la situation politique. En 1287, Rodolphe mobilisa ses forces (vassaux et villes) pour mater Anselme. « Le Dominicain » des Annales de Colmar raconte que le roi, comprenant le caractère inexpugnable du château du Saint-Ulrich, se retira mais imagina un complot pour justifier son repli et la construction hâtive d’un château de plaine, en bois, à Guémar. L’octroi d’une charte n’est cependant pas tout à fait incompatible avec cet épisode : les cadeaux fortifiaient plus la fidélité et la paix que les conflits, à l’issue peu assurée, même pour un roi. Il n’est pas invraisemblable, non plus, que les Ribeaupierre aient, sans charte, usé dans les faits de la prérogative régalienne de fortification. Ne sont-ils pas « parents » du roi ?
90Autour du noyau central de la seigneurie, châteaux et ville, les Ribeaupierre possédaient des terres et des droits, leur assurant des revenus et des ressources complémentaires. Entre 1250 et 1350, on trouve les Ribeaupierre aux quatre points cardinaux autour de Ribeauvillé. Ils auraient tenu en fiefs d’Empire, avant 1298, les villages, tout proches et aujourd’hui disparus, de Ellenwiller, Roggenhausen et Altheim. Ils détenaient aussi des droits d’avouerie importants à Rorschwihr, dépendant de Moyenmoutier et accordés par Frédéric de Lorraine219. L’essentiel de leurs biens fonciers formait un véritable territoire, bien centré.
91Les Ribeaupierre possédaient à l’ouest de vastes espaces dans la montagne. Leurs premiers points d’appui furent les vallées de Munster, le val d’Orbey ou Kaysersberg220. Puis, dans la seconde moitié du XIVe siècle, la vallée de Sainte-Marie constitua une pièce maîtresse puisqu’ils partageaient les mines d’argent avec les ducs de Lorraine. Ce n’est aussi que dans la première moitié du XIVe siècle, que les Ribeaupierre « entrèrent » (les sources ne précisent pas comment) dans la vallée de Munster : Wihr au Val, Walbach, Zimmerbach. Le château du Pflixbourg (ou Blicksberg) construit en 1219 à 450 mètres d’altitude, surveillait parfaitement, comme son nom l’indique, l’entrée de la vallée. Il fut construit par l’homme des murailles des Staufen, Wœlfelin de Haguenau, déjà rencontré. Intégré au bailliage impérial de Kaysersberg, dont les Ribeaupierre assuraient la garde (en tant que Burgmann), le Pflixbourg semble être d’abord passé entre les mains des Hattstatt, baillis des Habsbourg, et des Huse ( ?) avant de parvenir aux Ribeaupierre (fin XIVe siècle).
92Avant la fin du XIIIe siècle, le val d’Orbey constituait un bailliage essentiel par sa position géographique, autorisant le passage aisé avec la Lorraine, région avec laquelle les Ribeaupierre entretenaient d’étroites relations221. La vallée supérieure dominée par le grand Hohnack, était devenue une seigneurie après la construction sans doute au XIe siècle d’un château par les Eguisheim. Au XIIIe siècle, les Ribeaupierre se trouvaient à la tête de cette seigneurie, on ne sait pourquoi ni comment. Avec le château, la seigneurie comptait les quatre clochers de la vallée (vier kilchspiel in dem Tat), soient Orbey, Lapoutroie, Fréland et Labaroche. Hors de la seigneurie, mais toujours tenu par les Ribeaupierre, le village du Bonhomme leur assurait le passage avant le col du même nom et les profits du commerce y afférents. Ce point clef pour des relations soutenues avec la Lorraine constituait, sans aucun doute, un élément substantiel de leurs revenus.
93Vers l’est, dans le vignoble, les Ribeaupierre mirent en place le bailliage de Bergheim, avec Rorschwihr et Rodern, fruit d’une probable usurpation au XIIIe siècle. À l’origine possession des sires de Horbourg, Zellenberg fut revendiqué par les Ribeaupierre en 1332 pour en faire un bailliage et compléter leur emprise territoriale. Cette admirable butte-témoin de 285 mètres d’altitude offre une exposition d’excellence pour la vigne, avec une forte inclinaison des versants et une orientation idéale, à preuve, la densité remarquable de pièces de vigne appartenant aux grandes abbayes : Luxeuil, Marmoutier, Erstein, Unterlinden de Colmar, Pairis, Kœnigsfelden en Suisse, Saint-Biaise en ForêtNoire. Bennwihr et Houssen passèrent aux Ribeaupierre au début du XIVe siècle. À cela s’ajoutaient toutes sortes de droits dans diverses localités (sur le pressoir d’Ammerschwihr, la dîme du vin à Kaysersberg, etc.).
94À l’est encore, au-delà du vignoble vers la plaine, à six kilomètres de Ribeauvillé, les sires de Ribeaupierre, entre 1250 et 1350, ne desserrèrent pas leur emprise222 à Guémar, point stratégique sur l’axe nord-sud de l’Alsace et sur un affluent navigable du Rhin, l'Ill. On se souvient de la construction du roi Rodolphe. Cette localité, dite ville en 1369, dans la plaine humide et fertile, représentait une pièce maîtresse dans les possessions des Ribeaupierre. Ils y détenaient château et village : usurpation pour une part, inféodation223 pour une autre. Ils tiraient surtout d’importants revenus, sans compter leurs pâturages et bois dans la Gemeinmark224, du péage au point d’embarquement sur l’Ill, passage vers le Rhin et donc Strasbourg.
95Seul élément « décroché » de l’ensemble compact de ces territoires, le bailliage de Heiteren, au sud de Brisach et donc vers le Rhin, en fief des landgraves de Haute-Alsace, apportait aux Ribeaupierre, dès le XIIIe siècle, toutes les ressources des paysages particuliers des bords du Rhin : pêche, circulation, orpaillage, chasse, pâtures, etc. Signalons toutefois que la haute justice leur échappait, détenue par les Habsbourg. Point stratégique vers le sud, Heiteren était tenu, de fait, à l’instar d’un bien propre, par les Ribeaupierre, qui y installèrent un bailliage avec les villages de Balgau, Hettenschlag, Rustenhart et Weckolsheim.
96Les caractéristiques de la montée en puissance des Ribeaupierre, entre 1250 et 1350, peuvent être ainsi résumées :
- un ensemble territorial relativement compact, formé des différentes composantes du terroir : forêts, pâtures et cultures, vignes, même si l’intégralité des droits et des terres n’était pas acquise dans cet espace ;
- une stratégie de développement fondée sur l’extension de ce territoire à partir d’un centre (trois châteaux et la ville viticole de Ribeauvillé) et sur une position de mitoyenneté entre la Lorraine et l’Empire ;
- une indépendance, parfois même une opposition vis-à-vis du pouvoir impérial par l’exercice des droits régaliens plus ou moins usurpés. Une stratégie de prise de pouvoir d’un espace plus étendu ne semble pas avoir été recherchée. Plutôt qu’une hégémonie extensive, les Ribeaupierre semblent avoir cultivé l’indépendance intensive. Bien ancrée dans un riche territoire, l’image prestigieuse d’une dynastie qui pouvait traiter d’égal à égal avec les plus grands s’imposera à l’époque moderne225.
Les Habsbourg
97Tout autre apparaît la maison des Habsbourg226. Elle ne possédait pas encore, dans cette partie de l’Oberrhein, une emprise foncière comparable à celle des Ribeaupierre, pouvant servir de noyau constitutif à une principauté. Les Habsbourg ne s’imposèrent pas d’entrée de jeu en tant que propriétaires fonciers et seigneurs territoriaux, dans la région et la chronologie considérées227. Un des fondements de leur puissance, en revanche, reposait sur un faisceau de droits et revenus, alleux ou biens acquis et complétés au coup par coup par leurs charges d’avoués et de landgraves. Leur montée en puissance, à la différence des Ribeaupierre, connut une accélération avec l’accès au pouvoir royal de Rodolphe en 1273.
98Les Habsbourg exerçaient l’autorité judiciaire pour le compte, devenu théorique, de l’Empire (droits comtaux) et tiraient profit des grandes avoueries du Haut-Mundat et de Murbach, les deux principautés ecclésiastiques de l’Oberrhein, précédemment évoquées. Ils disposaient d’un atout essentiel, celui d’occuper une position d’autorité. La possession de châteaux et d’un réseau complexe de ministériaux leur permit également d’assurer une présence diffuse mais effective dans tout l’espace de l’Oberrhein.
99Les prémisses de l’histoire de la famille reposent sur des sources rares, dispersées et convenues. Il faut ajouter l’histoire officielle que les Habsbourg, parvenus au pouvoir royal, ont rapidement fait écrire. Un seul document d’importance – un terrier de 1303 – permet une approche de leur emprise dans la partie de l’Oberrhein ici envisagée. À la différence des Ribeaupierre relativement présents dans les sources, par leurs biens, leurs droits, leurs querelles, leur gestion, en revanche, les Habsbourg restent secrets, n’offrant que de rares données avant le début du processus de territorialisation. Leur montée en puissance par une emprise géographique s’est accélérée par l’héritage des Ferrette en 1324, des Üsenberg au milieu du siècle et la formation des Pays Antérieurs (Vorlände) autrichiens au XVe siècle.
Aux origines de la famille : l'Oberrhein ?
100Aux origines de la célèbre famille228, se trouvait, sans doute, le château (Stammburg) de Habichburg au confluent de l’Aar et de la Reuss, dans l’Aargau, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Bâle. Sa construction date du début du XIe siècle, suivie de près par la fondation, vers 1050, du monastère familial (Hauskloster) de Muri229. Dans les Acta Murensia, chronique de cette maison rédigée au XIIe siècle, figure comme premier ancêtre le comte « alsacien » Guntram dit le Riche, jugé en 952 pour haute trahison par Otton Ier et condamné à la confiscation de tous ses biens, on s’en souvient. Cette ascendance étant actuellement retenue comme plausible230, les Habsbourg seraient issus des comtes de Basse-Alsace.
101À la même époque que la fondation de Muri, à quelque 150 kilomètres de distance, Rodolphe et Cunégonde font construire une abbaye de femmes à Ottmarsheim231, dans la hardt alsacienne proche du Rhin. Ces établissements témoignent de l’implantation dispersée de la famille à la génération de Rodolphe. Son fils Werner, pendant la Querelle des Investitures, prit le parti de la papauté et réforma Muri, alors que son petit-fils, Otton II, gravita dans l’entourage d’Henri V, le servant fidèlement contre les Hongrois. En 1111, il fut tué par un sire d’Üsenberg, devant (dans ?) son château de Butenheim, au sud d’Ottmarsheim.
102À ces alleux ou biens patrimoniaux, s’ajoutèrent, à la génération suivante, des biens liés au service du roi. Werner II compléta sa titulature de comte de Habsbourg par celle de landgrave de Haute-Alsace, et à ce titre, il détenait bon nombre de droits comtaux lui conférant une certaine prééminence dans la région. La possession de la seigneurie de Landser, au sud de Mulhouse, témoigne d’une patiente construction pièce à pièce. Exception qui confirme la règle, ce petit territoire compact provient d’alleux de la famille, de biens landgraviaux et de possessions de l’abbaye de Murbach dont les Habsbourg furent les avoués. Cette seigneurie, aux portes du Sundgau, forma, avec l’héritage des Ferrette en 1324, la base territoriale des Habsbourg, la principauté qui n’était que virtuelle avant cette date.
103Dans la montée en puissance d’un lignage, les droits d’avouerie constituaient aussi des atouts essentiels. La fonction d’avoué allait, cependant, à l’encontre du souci réformateur de Werner Ier qui voulait abandonner l’avouerie de Muri. En querelle avec ses neveux, Werner dut finalement accepter qu’elle soit dévolue à l’aîné de la maison. Les fonctions d’avoués continuèrent à consolider l’autorité de la famille. En 1135, Werner II apparaît, dans les actes, comme avoué de Murbach, charge essentielle pour une implantation dans l’Oberrhein, en raison de l’opulence de l’abbaye et de ses multiples possessions foncières, comme on le sait. La mort de son oncle lui permit d’ajouter à celle de Murbach l’avouerie de Muri. Enfin, la famille exerça (mais depuis quand ?), pour le compte de l’évêque de Strasbourg, l’avouerie du Haut-Mundat232, vaste territoire autour de Rouffach, véritable tête de pont en Haute-Alsace de l’évêque de Strasbourg.
104Au milieu du XIIIe siècle, les Habsbourg tiraient l’essentiel de leur puissance, moins de leurs possessions foncières, que de l’exercice de leurs droits d’autorité. En tant qu’avoués et surtout landgraves, ils entretenaient une influence active sur toute la région, de Murbach à Muri, avec une tête de pont lucrative sur le Rhin, de l’Ortenberg (dont il va être question) à Landser. Leur autorité se trouvait démultipliée par le réseau de ministériaux, sous-avoués et autres agents qui formaient ainsi dans la région un maillage assez dense de fidélités. On peut, a contrario, mesurer leur influence par les réactions d’opposition qu’elle suscita. L’évêque de Strasbourg ne s’y trompa point et considéra Rodolphe233, bien avant l’élection royale de 1273, comme un concurrent. Il lui retira, en 1269, l’avouerie du Haut-Mundat après celle de Murbach, perdue une dizaine d’années plus tôt. La perte de ces fonctions fut, en partie compensée par la retenue, de fait plus que de droit, de certains biens murbaciens et munstériens à partir de 1262.
Une emprise territoriale éclatée
105Les assises territoriales des Habsbourg se formaient en dehors de la partie de l’Oberrhein envisagée et il n’y a donc pas lieu d’entrer, ici, dans le détail. Lentement et au coup par coup, grâce à des héritages et des mariages, en dépit des inévitables partages et lignages « secondaires », la famille devint une véritable puissance. Pour résumer cette mosaïque territoriale, il s’agissait, sur la rive gauche du Rhin, des biens fonciers non restitués après la perte des avoueries de Murbach et du Haut-Mundat, de la seigneurie de Landser, Ensisheim et la région de la Hardt, jusqu’au passage d’Ottmarsheim, du val de Villé et surtout la superbe dot du comté de Ferrette en 1324. À quelque deux cents kilomètres, leurs territoires s’agrandirent substantiellement, en 1282, de l’Autriche, la Styrie, la Carniole. Entre ces points extrêmes, des territoires relais se constituèrent et dans la haute vallée du Rhin, en Aargau et Thurgau, leurs possessions importantes et leur présence politique tenace les mirent en conflit avec les villes, et surtout Lucerne, dont le pouvoir grandissait. Le pacte d’alliance en 1291 des vallées d’Uri, Schwyz et Nidwalden fit apparaître dans Faire politique d’autres adversaires tout aussi redoutables que les villes, les cantons, et la victoire, en 1315, à Morgarten, des confédérés contre la coalition nobiliaire autour des Habsbourg sanctionna la naissance de la Suisse et le rétrécissement de leur emprise dans cet espace. Ils n’en développèrent que plus activement leur influence politique sur la rive droite du Rhin, non pas en possessions foncières mais en points d’appui essentiels comme les villes dans le Brisgau234.
106Dans les limites géographiques et chronologiques de l’enquête, il faut constater qu’à la différence des sires de Ribeaupierre dont les horizons se trouvaient ramassés et centrés, les Habsbourg déployèrent totalement leur emprise. Leur longue marche politique a duré du Xe au XIVe siècle, confortée par la nature pourvoyant à des générations ininterrompues. À la différence de leurs contemporains entre 1250 et 1350, les Habsbourg n’offraient pas le même « profil » de princes, dotés d’une « capitale » ou d’un point de centralité pour rassembler et structurer leur pouvoir. C’est l’exercice de leurs droits « privés » patrimoniaux confondus avec les « publics » de landgraves puis, à partir de 1273, de souverains, qui va leur permettre de tenir la région pour s’y imposer, mais plus tard. Le modèle Staufen, en effet, auquel Rodolphe avait participé, au moins par sa fidélité, ne fonctionnait déjà plus à sa mort en 1292. La lutte de son fils Albert, en compétition avec Adolphe de Nassau, se joua pourtant en partie dans l’Oberrhein où, comme toujours en l’absence d’un souverain effectif, les pouvoirs en place déployaient leurs compétences d’autorité pour gagner en autonomie. Les comtes de Ferrette et les cantons suisses, en l’occurrence, en profitèrent pour freiner et contenir la puissance grandissante des Habsbourg, après deux décennies de pouvoir.
107Le processus d’implantation des Habsbourg235 dans cette région mérite un examen d’autant plus approfondi qu’il contraste avec celui des Ribeaupierre et, par là-même, complète l’enquête sur la formation de la géographie politique de l’Oberrhein.
108Les ambitions politiques des Habsbourg semblent d’une autre nature que celles des Ribeaupierre qui visaient à affirmer leur autorité et leur préséance vis-à-vis des autres familles nobles de la région. Rodolphe, avant même son élection de 1273, essaya de mettre en œuvre un dispositif de reprise en main des territoires de part et d’autre du Rhin, rappelant les Staufen ou l’ancienne Souabe. Il se posa, d’ailleurs, explicitement en successeur de l’illustre famille et rêva d’une Souabe unie et forte236. Ses efforts n’aboutirent pas, on le sait. Pourquoi ne put-il s’imposer comme seul maître avec de tels atouts ? Pourquoi, en à peine plus de deux décennies, le modèle (ou le mythe) Staufen ne fonctionna-t-il plus ? Même en tant que souverain entre 1273 et 1292, Rodolphe n’a pas disposé d’atouts suffisants pour structurer la mosaïque politique de la région. L’écartèlement de ses possessions sur plusieurs centaines de kilomètres de distance peut fournir un élément d’explication. Autre facteur aggravant d’inefficacité dans la région, les préoccupations politiques d’un roi, après presque trente années d’interrègne, l’entraînèrent bien loin de l’Oberrhein. Enfin, depuis les Staufen, la résistance avait pris de la consistance : Rodolphe se heurta aux margraves de Bade, aux comtes de Fürstenberg ou même aux Württemberg sans compter les « contre-pouvoirs » déjà évoqués, princes et villes, fortement implantés et actifs à leur (petite) échelle.
109Les Ribeaupierre bénéficiaient d’un dispositif militaire (châteaux), d’un centre administratif (seigneurie) et d’un pôle économique (ville de Ribeauvillé), à partir desquels ils ont construit leur puissance. Les Habsbourg ont adopté une tout autre ligne politique. Ils ont, en quelque sorte, jeté leur filet sur toute la région et, avec la patience du pêcheur, ont recueilli dans les mailles, suffisamment de biens et de droits, pour former, au XIVe siècle, un territoire. L’héritage des Ferrette a représenté la meilleure prise !
Leurs atouts : réseau de fortifications, droits et revenus, réseau de fidélités
110Les Habsbourg donc, pour cette région spécifique, ont pu jouer sur trois plans : leurs possessions héréditaires, leurs honneurs (landgraves et avoués237,) et les profits liés à la dignité royale. Sans les distinguer nettement, ils disposaient ainsi d’atouts qui, à long terme, et grâce au retour d’Adolphe aux affaires royales en 1298, ont fini par devenir efficaces. Si l’on veut s’en tenir à ce qui caractérise leur implantation en filet dans cette partie de l’Oberrhein, on peut dire qu’ils entretenaient une présence extensive, jouant des interstices de la mosaïque politique. Leurs atouts relèvent d’une politique complexe exercée sur plusieurs plans. La mise en place tout d’abord, au coup par coup, de quelques points d’appui fortifiés permettant d’intervenir rapidement238 dans la région et en cela Rodolphe suivait la ligne politique des Staufen (châteaux et villes239.) Il s’agissait ensuite d’exploiter systématiquement et efficacement toutes leurs sources de revenus. Pour ce faire, se révéla indispensable la constitution d’un réseau de vassaux fidèles et d’agents d’une administration réactivée (landvogtei, bailliage240,) réseau auquel s’ajoutaient les alliances matrimoniales et la parentèle. Leurs revenus en argent ou en nature fournissaient des gages ou des fiefs.
111La puissance politique se manifestait par la démonstration de la force militaire. A l’occasion de conflits241 dans lesquels ils représentaient l’autorité de l’empereur, avant de l’exercer directement, les Habsbourg ont construit quelques points fortifiés leur permettant d’utiliser des étapes, relais de leur pouvoir. Ils y plaçaient des « châtelains » (Burgmann) ou des baillis pour l’entretien et la gestion des biens y afférents. Parfois ils inféodaient à des vassaux certains châteaux qui devenaient plus ou moins rapidement éponymes242, ou ils les achetaient ou encore les échangeaient, comme Butenheim par exemple.
112Construit vers 1050, au bord d’un bras du Rhin, le château de Butenheim, près de Petit Landau et Niffer, n’est cité pour la première fois qu’en 1064 (Puetteim). Exemple type de motte243 circulaire, il fut inféodé en 1191 aux sires de Butenheim, qui en firent le siège de leur seigneurie. Pour des raisons économiques, les Butenheim cédèrent l’ensemble aux Habsbourg vers 1271-1272. Le caractère stratégique du passage et les revenus provenant du péage, tout comme l’économie attachée à ces îles du Rhin, expliquent l’intérêt des Habsbourg pour ce château, avec sa basse-cour et son village, dûment mentionnés dans le terrier de 1303. Butenheim faisait le pont, au sens littéral du terme, entre leur seigneurie de Landser et leurs possessions plus à l’est.
113Présents au sud de l’Oberrhein, les Habsbourg tenaient à l’être aussi au nord. À flanc de montagne, dominant Scherwiller à l’ouest de Sélestat, le célèbre château de l’Ortenberg (ou Ortenburg), à l’entrée du val de Villé, fut reconstruit par Rodolphe entre 1261 et 1265, pour faire pièce à l’évêque de Strasbourg, Walter de Geroldseck. Peu de temps après, Rodolphe abandonna ce château, sans doute devenu inutile après la défaite épiscopale de Oberhausbergen en 1262. À preuve sa remise en 1273 au nouvel évêque de Strasbourg, Conrad de Lichtenberg.
114Construit en concurrence directe par le bailli d’Adolphe de Nassau (heureux compétiteur d’Albert de Habsbourg), le château du Ramstein se dresse juste en contrebas, à 385 mètres alors que l’Ortenberg culmine à 443 mètres. Il revint par un jeu d’échange, en 1307, aux Habsbourg, et compléta ainsi leur dispositif stratégique.
115Plus au sud, dominant l’entrée de la vallée de Munster et la ville de Colmar, les Habsbourg possédaient la seigneurie du Hohlandsberg, dominée par le château dit Hohlandsburg. De son origine et sa construction, on ne sait rien, jusqu’à son inféodation, en 1279, au prévôt de Colmar, Siegfried de Gundolsheim et sa reprise, en 1281, par le grand bailli impérial. Mentionné dans le terrier de 1303, il a été engagé par les Habsbourg aux Ribeaupierre, et à d’autres familles. Quant à la seigneurie, elle était à l’image des autres seigneuries de cette région : une dispersion, correspondant au souci de diversifier les revenus, en possédant des terroirs de nature différente. Une partie se trouvait donc dans un rayon de proximité d’une dizaine de kilomètres, et correspondait au vignoble : la moitié de Wintzenheim, une partie de Turckheim, Ingersheim, un tiers d’Ammerschwihr, Kientzheim, Sigolsheim, le château dû Wineck (Katzental), enfin une autre partie, Logelheim, sur l'Ill, dans le ried, à une vingtaine de kilomètres.
116Il s’agit, on le comprend, de la recherche d’un véritable dispositif qui, à un moment donné, permettait de tenir une région par quelques points forts. Aux châteaux évoqués, sur le Rhin (Butenheim) et sur des pitons du piémont des Vosges dominant la plaine (Ortenbourg, Ramstein, Bilstein, près de Riquewihr, et le Hohlandsburg), les Habsbourg ajoutaient les fortifications de plaine, indispensables pour contrôler les axes de communication. On se souvient d’Anselme de Ribeaupierre, trublion notable maté en 1287. Rodolphe, ne pouvant prendre sa forteresse du Saint-Ulrich, fit construire un château de bois à Guémar. A cet endroit, il pouvait tenir les routes terrestres et fluviales et contenir les Ribeaupierre, en pleine expansion ou crise d’indépendance (vers 1293). Ce château de bois, construit a la hâte et à contre-cœur par les bourgeois colmariens sur réquisition de Rodolphe, subit quelques assauts dont celui du roi Adolphe et brûla en 1298. Les Habsbourg n’insistèrent pas dans le souci d’économiser sans doute leurs forces et leur prestige. L’entretien de nombreux châteaux, surtout de mauvaise qualité car construits à la hâte, pouvait présenter plus d’inconvénients que d’avantages. La zone de Guémar constituait, de plus, un véritable guêpier, compte tenu du nombre et de l’appétit des forces politiques en présence et en concurrence. Les Ribeaupierre, la ville de Colmar, le prieuré de Lièpvre et le chapitre de Saint-Dié s’y disputaient les pâtures, les bois, les droits d’eau, les cours domaniales.
117Le château d’Ensisheim, dit Kœnigsburg, semble avoir été construit vers la fin du XIIIe siècle (après l’élection de Rodolphe) et répondait d’abord à la commodité administrative et politique d’un bourg dans une position géographique relativement centrale par rapport à l’Oberrhein. Ensisheim n’était pas une résidence et ne deviendra capitale provinciale qu’aux XVe et XVIe siècles. Le choix tardif de développement d’Ensisheim prouve, s’il en était besoin, que la logique d’un point de centralité n’était pas celle des Habsbourg avant 1350.
118Dans le cadre des biens patrimoniaux, outre les châteaux, tenus directement, inféodés ou en garde, qui leur servaient de points d’ancrage dans le paysage politique, les Habsbourg possédaient aussi d’autres sources de revenus non négligeables.
119Le terrier244, rédigé en 1303 par Burckart de Frikke, constitue la seule trace des domaines habsbourgeois. Image fidèle ? Non, et le médiéviste ne s’en étonnera pas. Il faut attendre le terrier de 1394 pour que les contours et les détails apparaissent plus nettement. Mais la volonté de tenir efficacement les mailles du filet de leurs biens se manifeste, ici, par un souci de mise par écrit, caractéristique des administrations princières. La période de l’Interim semble avoir offert, là encore, toute latitude pour s’organiser. Sous l’autorité d’un bailli installé à Ensisheim depuis 1256, quatre circonscriptions administratives (officia ou Ämter) formaient des cadres de perception confiés à des sous-baillis (Vogt) : Ensisheim, Hohlandsberg, Albrechtstal et Landser245. Seigneuries foncières et droits de justice ne se superposaient pas ; en revanche, toutes les communautés redevables des Habsbourg, à un titre ou à un autre, sont présentées de la même façon, sans aucune distinction juridique ; les listes de redevances246 en argent (libellées en livres bâloises) et en nature (avoine, froment, etc.), payables deux fois l’an, n’autorisent, en dépit de leur apparente précision, que des estimations en ordre de grandeur. A examiner systématiquement le terrier, on peut calculer, non pas les sommes ou les quantités perçues (résultats beaucoup trop aléatoires), mais la fréquence de certains types de revenus. Si l’on reste dans l'espace étudié, les principales ressources provenaient de droits de justice (25 occurrences pour basse et haute justice247, 21 pour la basse justice soit un total de 46). Très loin derrière en nombre (six occurrences), les seigneuries foncières et alleux, les cours ou exploitations rurales (Dinghof) et les villages assuraient d’autres revenus. Arrivent ensuite les droits sur les châteaux (quatre occurrences) et les villes (deux) et en nombre égal, les avoueries et « couvent » (une occurrence. Murbach, en réalité une « usurpation », puisque les Habsbourg ne sont plus avoués en 1303, ou fossilisation d’un texte antérieur ?). Les revenus provenant de droits économiques, moulins et péages, semblent aussi peu nombreux.
120Le nombre de toponymes concernés par la perception des droits de justice (quarante-six sur un total de soixante-dix-sept) se passe de commentaires. Sur la base des données du terrier de 1303, faute d’autres documents analogues, on peut mettre en valeur les atouts précédemment évoqués : une faible assise foncière contre une multitude de droits au plus haut niveau. L’ensemble, parce que clairsemé, fait peut-être illusion : la liste en est plus longue que pour les Ribeaupierre, dont la puissance, concentrée dans un espace géographique, pivotait autour de leurs châteaux et leur ville.
121Ottmarsheim figure en bonne place dans le terrier de 1303, sous la rubrique péage (Zoll) et dans celle des droits de basse justice (Gerichtsbarkeit, düle und frevel, amendes). On se souvient qu’Ottmarsheim faisait partie, depuis le XIe siècle au moins, des biens allodiaux de la Hardt. Même si le couvent reçut en donation une part importante de ces biens, la famille conserva l’avouerie, ce qui n’était pas sans intérêt compte tenu du prestige et donc de la richesse du temporel de l’établissement. Plus lucratif encore, le péage sur le Rhin rapportait suffisamment pour qu’il puisse être exploité par plusieurs seigneurs : dans le terrier de 1303, les Habsbourg n’en percevaient que la moitié, dans le second terrier de 1394, que le quart, et ensuite, à partir du XIVe siècle, les engagistes, bourgeois de Bâle, ne manquaient pas de se plaindre que le trafic avait considérablement diminué. Sous la même rubrique péage, on trouve celui de Habsheim, situé à même latitude, dans la seigneurie de Landser, mais sur l'Ill. La conjugaison de ces deux péages offrait aux Habsbourg, sans aucun doute, des ressources en argent que pouvaient leur envier tous les princes postés le long du Rhin pour guetter les marchands. Aucun droit de pontage n’était perçu, en 1303, dans la région considérée, si l’on se fie au document.
122Dans leurs alleux ou biens héréditaires, les Habsbourg percevaient des droits sur leurs dépendants (Eigenleute) ou sur le sol (Eigengut). On se souvient qu’en 1259, Murbach laissa Dessenheim (au sud de Neuf-Brisach) en fief aux Habsbourg lors de l’abandon de leur avouerie. Dans d’autres localités, elles aussi tenues en alleux, les Habsbourg avaient en plus une cour colongère248 : Scherwiller, Eguisheim249, Sundhoffen250 (à cinq kilomètres au sud-est de Colmar), dans la plaine de l'Ill. Une seule cour, sans alleux, se trouvait à Rheinfelden, Reguisheim251 et Ruelisheim252. On constate que ces cours se situaient soit dans des zones fertiles de plaine alluvionnaire, soit le long d’un axe de communication essentiel, l'Ill.
123On peut s’étonner, à l’examen du terrier, du peu de villes dont les Habsbourg semblaient tirer profit : seules, leurs villes d’Ensisheim et de Wattwiller253 sont mentionnées. Ce silence ne signifie aucunement, toutefois, qu’ils n’aient pas été présents. Dans le paysage urbain bien caractéristique de cet Oberrhein, en effet, un semis très dense de petites et microscopiques bourgades, érigées en villes par la faveur seigneuriale ou impériale, offrait un cadre idéal pour les jeux politiques d’influence. Si les villes seigneuriales leur échappaient, en revanche surtout après 1273, les villes impériales les concernaient. Les Habsbourg, avant et après leur élection de 1273, ont ainsi soutenu Colmar, Mulhouse et surtout Strasbourg, au moment où il s’agissait de contrer la puissance des évêques. Même si Rodolphe a pu être qualifié par les chroniqueurs de « roi des bourgeois »254 (et par les historiens allemands de « roi des villes ») pour le nombre de privilèges accordés, il n’a pu se rendre maître desdites villes. Il fallut attendre la construction d’un véritable ensemble territorial pour que les Habsbourg puissent se rendre maîtres de Fribourg (1368), de Kenzingen (1427), d’Endingen (1428) et de Sulzburg (1428). La mise en place de leur autorité ne pouvait ignorer les villes en tant que « troisième force », ainsi qu’il apparaîtra dans la dernière partie de ce travail.
124Ensisheim et Wattwiller, les deux villes des Habsbourg, représentaient le cas-type de ces villes naines de l’espace germanique (Zwergstädte). D’Ensisheim, on ne sait pas grand-chose avant que la ville ne devienne la modeste capitale provinciale des Vorlände autrichiens255. Sa position géographique constituait indéniablement une commodité, sans plus, sur les axes de circulation nord-sud ou est-ouest, de Guebwiller au Rhin. Les Habsbourg, apparemment, ne cherchaient pas à développer ce simple relais dans leurs déplacements. Wattwiller en revanche, sur le piémont vosgien, offrait plus de ressources, à preuve la première mention de la localité qui correspond à une donation du comte Eberhardt en faveur de Murbach (735). Donnée en fief à l’évêque de Bâle, Wattwiller revint aux Habsbourg aux XIIe-XIIIe siècles, puisqu’ils le réinféodèrent aux Horbourg. Murbach reprit possession en 1259, par achat, de la bourgade que l’abbé Bertold de Steinbrunn érigea en ville, dota d’une muraille (vers 1270) avec une fonction centrale dans la principauté, siège de bailliage (Vogtei). Figurant dans le terrier de 1303, la ville et ses ressources continuaient à intéresser les Habsbourg, juridiquement dégagés pourtant, depuis presque un demi-siècle, de l’avouerie ! Le vignoble, ici comme ailleurs, attirait nobles et couvents, possessionnés en rangs serrés.
125Après les châteaux, points de démonstration de leur force dans la région, après les sources de revenus diversifiés et bien répartis, le dernier atout des Habsbourg à examiner, et non des moindres, consistait en la mise en place et la consolidation de réseaux d’allégeance, dans le cadre de leurs biens patrimoniaux, de leur fonction de landgrave, d’avoué ou, après 1273, de celle de souverain. Ces relations de service illustrent le phénomène de la petite noblesse déjà évoqué en termes généraux. Comme les Staufen, les Habsbourg, qui ne résidaient pas au cœur de leurs possessions, utilisaient de nombreux fidèles pour garder leurs châteaux, percevoir leurs redevances, gérer leurs exploitations, etc. Dès 1140, leurs ministériaux quadrillaient, en quelque sorte, l’Oberrhein.
126Un certain nombre de fonctions apparaissent dans les rares textes dont on dispose, sans que, pour autant, l’historien puisse se faire une idée précise de la réalité. On sait que Rodolphe de Habsbourg, dans tout le sud de l’Allemagne, avait réactivé le système de la landvogtei256 (Reichslandvogt ou grand bailli impérial). Le bailli (advocatus, Vogt, landvogf) représentait le prince dans ses fonctions administratives et surtout judiciaires. La justice du landgraviat (Landgericht) était rendue dans le cadre d’un tribunal itinérant dont le siège pouvait être Ensisheim, Battenheim, Bartenheim, Bergheim, Meyenheim, etc., en première instance pour les causes touchant les nobles, en appel pour les autres. Etait-ce le bailli qui coordonnait la collecte des redevances dues au landgrave ? Il s’agissait d’une tâche considérable en raison des quantités (pour les redevances en nature) et de la dispersion de leur collecte. Si l’on tient compte du fait que bon nombre de redevances échappe à l’historien pour cette période, on ne peut que s’étonner des quantités récoltées. À ne considérer que les seules mentions relevées dans les actes concernant le vignoble par exemple, le volume annuellement susceptible de remplir les caves des Habsbourg ou de leurs fidèles atteignait, dans le vignoble d’Ammerschwihr, de deux à huit fuder257 (selon la récolte), dans celui d’Habsheim, de cinq à trois fuder, à Katzental, de vingt-cinq ohm à deux fuder, à Kienzheim, de huit à seize fuder, à Niedermorschwihr, de quinze ohm à un fuder. Soient, pour les bonnes années, environ 320 hectolitres !
127Dans l’orbite juridictionnelle du bailli, les fonctions de Burgmann pourraient, de prime abord, se définir plus aisément comme celles d’un capitaine de château, mais la réalité de cette activité, à cette période, reste encore dans l’ombre selon les spécialistes. Tous ces personnages étaient, à leur tour, entourés d’agents subalternes. La rémunération de ces charges consistait, on le sait, en terres, châteaux, prébendes ecclésiastiques, sous-avoueries, etc. Plus l’administration était étoffée, plus le paysage politique était mité.
128Les détenteurs de charges patrimoniales ou landgraviales dans l’Oberrhein sont passés, sous les Staufen et les Habsbourg, au rang de détenteurs de charges impériales. La ministérialité princière devint ministérialité d’Empire. Ce phénomène consolida les lignages ainsi investis et accéléra leur indépendance de fait. Cette petite noblesse formait une mosaïque complexe et turbulente qui freinait ou empêchait l’émergence d’un pouvoir fort : même les Habsbourg durent jouer sur la longue durée pour s’imposer.
129À ces officiers de bailliages, détenteurs de fiefs, etc., s’ajoutait une clientèle de petits nobles, « satellites » des Habsbourg qui les protégeaient. Si l’on considère que le même phénomène jouait aussi autour des autres princes, abbé de Murbach ou évêques de Strasbourg et de Bâle, on comprend l’ampleur de la satellisation de cette partie de l’Oberrhein.
130Les fidélités et allégeances se construisaient aussi grâce aux tactiques et stratégies matrimoniales. Pour la période considérée, elles restent encore mal connues258, faute de sources, mais les alliances déjà évoquées avec les Ribeaupierre, les Kybourg ou les comtes de Fribourg témoignent de l’existence de cette politique d’investissement d’une région. La date de 1324, qui est celle du mariage de Jeanne, héritière des Ferrette, avec Léopold, duc d’Autriche, devient emblématique à considérer le phénomène de territorialisation qu’elle a initié. Pour la première fois dans l’Oberrhein, les Habsbourg se trouvaient à la tête d’un ensemble territorial cohérent faisant le pont avec la Bourgogne. Ce qui manquait peut-être à ces princes, pour s’imposer définitivement, leur échut sous la forme du Sundgau et de la porte de Bourgogne, riche terroir de céréales, de vins (« la huche et le cellier de Bâle »), d’étangs, de forêts et de mines. A partir de cette date, les Habsbourg procédèrent comme les autres princes, et les Ribeaupierre en particulier, à une politique d’élimination par aspiration des petits nobles et établirent une domination dans l'Oberrhein qui en changea radicalement le paysage politique.
131De 1250 à 1350, les Habsbourg ont développé une politique de présence sur plusieurs fronts. La géographie dispersée de leurs implantations territoriales en Argovie et en Alsace excluait un mode de gouvernement direct par la personne physique du prince comme pouvait l’être, à Ribeauvillé et environs, celui des sires de Ribeaupierre. Ils mirent donc en place un réseau complexe de délégation d’agents et de vassaux, susceptibles de percevoir les revenus, les droits, les amendes et les redevances. Si leur richesse pouvait être ainsi alimentée, leur puissance l’était par leurs fonctions publiques de landgrave et celles d’avoués. L’exercice d’une justice itinérante, de tribunal en tribunal, présentait bien des atouts : se faire voir dans la fonction de justicier et de maître, connaître le pays et les hommes, multiplier les interventions dans tous les lieux de pouvoir. Vis-à-vis des seigneurs, laïques et ecclésiastiques, ou des villes royales devenant progressivement impériales, les Habsbourg détenaient des moyens efficaces d’exercer leur pouvoir à l’échelle de l’Oberrhein, et non point à la dimension d’une simple entité territoriale comme celle des Ribeaupierre. La concurrence avec l’évêque de Strasbourg entrait alors, inévitablement, dans la politique des Habsbourg. Ils tentèrent, chaque fois que possible, de limiter ses ambitions politiques (dans les villes par exemple) et de casser sa puissance montante et menaçante pour l’Oberrhein : l’appui diplomatique et militaire à la bataille d’Oberhausbergen en 1262 se trouva récompensé par l’élimination, sur l’échiquier politique de l’Oberrhein, du principal obstacle à la puissance des Habsbourg, le prélat strasbourgeois. Les Habsbourg, cependant, durent attendre la dot territoriale du Sundgau pour s’imposer réellement.
Les villes
132L’historien, devant la nécessité de définir son objet d’étude259, se pose d’abord la question : qu’est-ce qu’une ville ? Mais si, avant de faire appel à des concepts modernes, l’on écoutait d’abord les contemporains ?
133Qui parlait de villes260 ? Des observateurs extérieurs (voyageurs, clercs ou marchands), les souverains et les seigneurs, les élites urbaines. Quand « le Dominicain de Colmar » brossa un tableau de la situation de l’Alsace au début du XIIIe siècle261, il commença par dix longs paragraphes sur l’état déplorable de l’Église, qui comptait peu de prêtres, qui plus est, aux mœurs dépravées, sans aucune instruction, peu de vie intellectuelle, bref, un terrain de mission idéal pour les Mendiants. Les derniers articles, beaucoup plus brefs, donnaient quelques indications sur les caractéristiques de ce pays dont la première (no 11) concernait les villes : « Les villes de Strasbourg et de Bâle étaient insignifiantes (unansehnlich) par leurs murailles et leurs tours, et encore plus par les maisons des habitants. Les maisons solides et bien bâties n’avaient que peu ou pas de fenêtres de telle sorte qu’elles étaient privées de lumière. Colmar, Sélestat, Rouffach, Mulhouse et d’autres plus petites n’étaient alors pas des villes »262. Un peu plus loin, dans sa description plus précise de l’Alsace, le même auteur n’hésite pas à donner une autre image qui termine son texte263 : « Dans les montagnes comme dans la plaine il y a des châteaux. Également, des villes puissantes (starke) sont là, des villages puissants (starke) et nombreux et le pays est densément peuplé ». Les villes en tant que telles ne suscitaient guère l’admiration du chroniqueur. En revanche, la densité de population et des sites habités (châteaux, villes et villages) l’ont impressionné.
134Après le prédicateur découvrant le pays, on peut donner la parole aux maîtres des villes. Le plus souvent, au moment où ils confirmaient des droits ou des statuts, les empereurs ou les seigneurs s’adressaient à « leur » ville, en l’occurrence à ceux qui les représentaient : « leurs » bourgeois. Souvent formulées au pluriel, les adresses des actes impériaux visaient le groupe des fidèles, des amis : « nos villes et celles du Saint Empire » (ce sont les mêmes), « nos échevins et ceux du Saint Empire », « nos chers et fidèles »264. Quand les villes furent dotées d’organes de gouvernement, confirmés par le roi, l’adresse se fit plus précise. En 1293, Adolphe de Nassau accorda les droits (énumérés dans l’acte) à « nos gens, les chers bourgeois et la ville de Mulhouse dans le Sundgau »265. Charles IV promettant, en 1347, à ses villes de ne plus les engager, les gratifiait d’une titulature complète : « les bourgeois et la commune de nos villes de Colmar, Sélestat, Mulhouse, Kaysersberg, Turckheim et Munster, nos chers amis ».266 L’évolution des formules de chancellerie reflète celle de la perception du souverain qui identifie d’abord la ville avec les meilleurs (l’élite) pour reconnaître ensuite un corps constitué (le conseil). Mais cette entité urbaine restait toujours concrète grâce à la double adresse : les bourgeois et ville de... Les citadins propriétaires pouvaient également désigner leur ville dans les actes. Il ne s’agit alors, le plus souvent, que d’une indication topographique latine, la documentation avant 1350 étant, à cet égard, essentiellement d’origine ecclésiastique : in villa (Columbariensi)267.
135Quant aux habitants eux-mêmes, en l’occurrence les seules élites268, elles ne s’exprimèrent par écrit et par définition, qu’à partir du moment où leur existence juridique le leur permettait. Leur ville apparaît alors comme l’expression commune (nous, wir) des responsables (schultheiβ, burgermeister) et du conseil (rat). Dans la correspondance passive, les bourgeois se trouvaient souvent associés dans l’adresse : « au Schultheiβ, au conseil et aux bourgeois de Neuenburg »269. Leur ville (stadt) se « définissait » par son mode de fonctionnement et ses activités. La conscience urbaine fut une construction fort lente, peu perceptible dans la région étudiée à l’époque choisie. Les chroniqueurs connus, en effet, émanaient des villes épiscopales de Strasbourg et de Bâle, milieux urbains dont la pratique intellectuelle plus ancienne répondait aussi à « l’appétit » d’un public potentiel270.
136Les textes reflètent une perception à la fois très concrète (des interlocuteurs précis) et une organisation inscrite dans un espace (juridiction limitée au territoire urbain). Il est, à cet égard, emblématique que les premiers documents émanant des bourgeois des différentes villes, au début du XIIIe siècle, aient concerné les moyens mis en œuvre pour la construction ou l’agrandissement de leurs murailles. Les villes étaient donc des lieux de pouvoir qui, plus ou moins instrumentalisées, ont affirmé, par étapes, leur capacité à entrer dans le jeu politique. À ce titre elles prennent toute leur place dans ce chapitre après les pouvoirs ecclésiastiques et laïques. Leur aptitude (ou la nécessité) à dépasser leur état de monade pour construire des réseaux, sera traitée dans le dernier chapitre. Il s’agit là, d’une particularité de l’Oberrhein, qui offrait une forte densité de villes impériales, liées les unes aux autres par leur origine et leur destinée, toutes différentes des villes seigneuriales, dans la main de leur maître et relativement isolées les uns des autres, fonctionnant en monades.
Qu’est-ce qu’une ville dans l'Oberrhein ?
137Pour aborder ce phénomène urbain271, il sera d’abord question de la notion de ville (on ne peut en faire totalement abstraction !) et de son application dans l’Oberrhein, en considérant les organismes urbains séparément, en fonction de la documentation disponible272, laissant pour le dernier chapitre la question du fonctionnement de leurs relations (semis ? réseau ? système de centralité ?). Leur genèse et leur développement dans le temps ainsi que la typologie de ces villes serviront de fil conducteur pour les situer dans la géographie politique, par rapport aux princes laïques et ecclésiastiques déjà évoqués.
138La notion de ville a passionné historiens, géographes, économistes et sociologues qui ont modélisé, hiérarchisé et défini ces organismes complexes273. Le médiéviste se trouve, la plupart du temps, dans une position originale par rapport à ces savantes théories : il ne dispose pas de données chiffrées, ou si peu ! C’est dire que les concepts essentiels de seuil et de hiérarchisation (donc de classification) doivent être manipulés avec la plus extrême prudence et, à quelque chose malheur est bon, la ville médiévale exige d’autres ingrédients que les mathématiques. Les critères, en effet, de superficie, de population ou de diversification des activités socio-économiques, se heurtent à l’irritant problème des sources muettes ou secrètes, en tout cas ne livrant jamais les données brutes telles qu’une démarche « scientifique » actuelle les exige.
139La taille de certaines villes du vignoble de l’Oberrhein ne différait pas de celle de gros villages de plaine comme Heiteren, Blodelsheim ou Ungersheim, ou ceux d’autres régions. Tout comme le village bien connu des archéologues, Wharram Percy, dans le Yorkshire274, Riquewihr, Saint-Hippolyte, Ammerschwihr, Brisach, comptaient une douzaine d’hectares intra muros275. D’autres villes couvraient une superficie bien moindre : Cernay, 9,49 hectares, Eguisheim, 6,77 ou Munster, 4,20. Colmar, suivie de Fribourg et Rouffach, englobait soixante-huit hectares dans sa seconde muraille de 1232. Villes lilliputiennes au regard des villes italiennes ! Ce critère de la taille, de la superficie (ou de la population presque impossible à estimer sauf en ordre de grandeur276,) n’a jamais troublé les historiens allemands qui, dans le cadre de la Landesgeschichte, ont prêté, depuis longtemps277, autant d’intérêt aux petites villes qu’aux métropoles. Le nombre des activités diversifiées, spécialisées et autres qu’agricoles, un des critères suggérés par le sociologue Yves Barel278, se heurte désespérément au vide documentaire.
140Au-delà des chiffres et des ordres de grandeur, il existe d’autres modes d’approche. La muraille ou le système défensif, la palissade (etter), le fossé et talus (wall), longtemps évoqués comme déterminants, ne suffisent pas à définir une ville, surtout dans l’Oberrhein où abondaient les lieux fortifiés : villes, villages, cimetières, châteaux. Seules quatre villes de l’espace étudié ont utilisé pour représenter leur personnalité juridique, l’image sigillographique de murailles : Fribourg279, Kaysersberg, Munster et Turckheim. Dans des régions moins densément fortifiées que l’Oberrhein, la muraille est aussi passée dans le champ symbolique, figurant sur le sceau de la ville (Trèves, Verdun, Toul) ou sur les représentations iconographiques. Comme partout ailleurs, l’enceinte fortifiée, dont on pouvait ouvrir ou fermer les portes, déterminait un espace urbain dont la cohésion reposait sur la notion de dedans opposée aux forces ennemies du dehors280.
141Utilisé de façon souvent préférentielle dans l’historiographie allemande enracinée dans l’histoire du droit, le critère juridique permettrait d’attribuer la qualification de ville à la localité qui s’est vue concéder le droit urbain (stadtrecht). Ce point constitue en effet une différence juridique qui ne relève pas que de l’historiographie. La charte de franchise des pays francophones281 ne concédait pas, comme le faisait le Stadtrecht accordé par le souverain ou un seigneur territorial, des droits de souveraineté (Landeshoheit) : liberté personnelle, sceau, représentation aux Etats, défense ou politique extérieure. Le Stadtrecht pourrait donc être un critère « absolu » pour déterminer qu’une localité relevait de la catégorie « villes » et pourtant, ce n’est pas le cas ! La difficulté d’utilisation de ce critère, en effet, provient de ce que les villages étaient aussi et souvent des communautés organisées et dotées de droits282. Les franchises accordées à des villages (dorfordnung, wei stum) à la même époque et les travaux récents sur la « fabrication » des fameux statuts urbains283 permettent alors d’établir des comparaisons et des passerelles entre les deux.
142Il n’en demeure pas moins que les textes, considérés par les villes elles-mêmes comme principes fondateurs, traduisaient essentiellement leur identité urbaine, à preuve la précipitation desdites villes à faire renouveler ou amplifier ces droits à chaque changement dynastique. La liberté personnelle acquise de jure après un séjour d’une année dans une ville constituait également un élément emblématique. On connaît le célèbre adage : l’air de la ville rend libre (Stadtluft macht frei). Certains statuts, comme celui de Neuenburg284, par exemple, l’explicitent : « si (les bourgeois) accueillent le serf d’un seigneur et que celui-ci n’est pas récupéré dans le laps de temps d’une année, il pourra ensuite rester libre auprès (des bourgeois) ».
143Ces critères traditionnels dans l’histoire urbaine, et pertinents pour peu qu’ils ne soient pas utilisés de façon trop systématique, se complètent dans l’Oberrhein par des pans d’histoire commune285 (les villes des Staufen, les villes impériales, les villes alliées, etc.) et des activités économiques communes : l’exploitation du vignoble et le commerce. La ville échappe à une stricte définition surtout dans cette région286, car il n’y a pas de ville-type. En revanche, l’ensemble des villes, en tant que tissu urbain, formait une spécificité comme le dernier chapitre tentera de le démontrer.
Densité du semis urbain
144Les géographes287 nous ont habitués à considérer qu’un semis de villes représentait une distribution de localités d’importance égale dans un espace homogène alors que le réseau implique une hiérarchisation entre les sites. Le système urbain des sociologues288 fait apparaître, dans un « substrat écologique », des éléments de fonctionnement disparates mais cohérents : « une population nombreuse sur un petit territoire, éventuellement doté de certaines caractéristiques particulières et protégé par un dispositif défensif ».
145L’analyse de ce qui pourrait être un semis urbain se fonde d’abord sur la constatation d’une remarquable densité citadine de l’Oberrhein289, qui n’a de comparaison qu’avec l’Italie du nord ou les Flandres. On sait que le sud-ouest de l’Empire occupait, et de loin, la première place pour la densité du semis urbain, un tiers des villes allemandes étant implantées dans l’Oberrhein et la Souabe. Dans la région étudiée, on compte trente-neuf villes, dont vingt-sept sur la rive gauche du Rhin, et douze sur la rive droite, dans un espace de quelque 3 600 km2. Le phénomène urbain de l’Oberrhein s’inscrit dans une région à forte densité d’habitat, comme le notait déjà « le Dominicain de Colmar », dans sa description de l’Alsace. Le long du piémont vosgien et sur le Kaiserstuhl, aucun clocher ne pouvait être vu, isolé, dans le paysage. Une véritable chaîne de villes, de bourgades, de villages, rassemblait une population de vignerons et d’artisans dont les activités se répondaient. La spécificité urbaine dans cette région, ne semble même pas mériter de subtiles études pour vérifier la réalisation du vœu de l’humoriste Alphonse Allais : « on » a construit les villes à la campagne. Les distances entre les sites à habitat groupé et le lieu d’exploitation n’excédaient, à aucun endroit, même dans la plaine alluvionnaire, une à deux heures de marche. Dans un des premiers Weistümer290 de la région, les hommes de la cour (Dinghof) de Woffenheim, près de Sainte-Croix-enPlaine, renâclaient à aller travailler pour le même maître, à Ammerschwihr, à une douzaine de kilomètres. L’habitude de plus petites distances, entre habitat et exploitation, se vérifie presque partout. Chaque soir, les viticulteurs rentraient en ville (avant la fermeture des portes). Les campagnes étaient travaillées par des citadins et les villes habitées par des campagnards. Dans la typologie des villes allemandes, on trouve la catégorie des villes de bourgeois-paysans (Ackerbürgerstadt) ou des villes champêtres, selon l’expression de Bernard Chevalier, villes-terroirs selon Philippe Jansen291.
146La densité de toutes ces localités, plus ou moins urbaines, et leurs activités semblables relève de prime abord de la notion de semis. Leur présentation se fera en trois temps.
- Tout d’abord, elles seront évoquées, successivement, par familles d’origine (les royales, les seigneuriales, etc.), dans les grandes lignes de leur diversité, mais sans souci, dans ce premier temps, d’analyse comparative et de hiérarchisation292 des unes par rapport aux autres.
- Ensuite, l’examen plus attentif de leur histoire et de certaines caractéristiques autorisant une typologie, permettra de les situer dans la problématique des pouvoirs en terre d’Empire. Ces cités, en effet, représentent tout à la fois des villes allemandes « type » et originales. Ces deux temps de présentation des villes fermeront ce premier chapitre.
- Dans un chapitre spécifique (le troisième et dernier), sera étudié le fonctionnement d’ensemble de ces villes, en réseau, car il s’agit, semble-t-il, d’un mode de fonctionnement caractéristique de l’Oberrhein, tout autre que le système de centralité, modèle pourtant pertinent pour beaucoup d’autres régions.
147Les villes ne répondent pas à la même logique de création. On peut schématiquement distinguer deux civitates anciennes et quelques sites habités (VIIIe-IXe siècle) et à partir des XIIe -XIIIe siècles, les villes des Staufen, surtout des deux Frédéric (la vague de Barberousse et celle de Frédéric II), les villes des Zähringen et toutes les villes seigneuriales. La dernière étape concerne la progressive affirmation des villes impériales.
Villes anciennes, villes impériales et villes seigneuriales
148Quatre noyaux urbains, Colmar, Sélestat, Mulhouse, Brisach, centres « administratifs » de l’époque carolingienne (gestion de domaines), ont formé des pôles de développement. À chaque étape de structuration urbaine, se sont agrégés des fonctions administratives et religieuses, un marché, la délimitation d’un espace urbain protégé, et l’octroi de droits et privilèges, ultime mise au point de textes antérieurs. Dans la longue durée, ces localités ont joué un rôle de villes, voulues et reconnues comme telles. Mulhouse et Brisach, au développement encore modeste à la fin du Moyen Âge, ont tenu les seconds rôles alors que Colmar et Sélestat, bien dotées d’établissements religieux, centres politiques choisis par les différents souverains et surtout marchés drainant les produits d’un riche terroir (vin, céréales), ont connu une dilatation de leur espace, de leurs activités et de leur rôle pilote au sein des villes, sans rupture jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’Oberrhein forme le terreau de ces villes « poussées » opposées aux villes « créées », selon l’expression devenue classique chez les historiens allemands (gewachsene/ gegründete Stadt)293. Seules, Fribourg et Kaysersberg peuvent être considérées comme des créations voulues par un prince ou un souverain.
Colmar
149Columbarium294, domaine fiscal mérovingien puis carolingien (devenu Reichsgut)295, fut scindé en deux cours (hof) au profit d’établissements ecclésiastiques. La supérieure (Oberhof) échut à l’abbaye de Payeme vers 965 et l’inférieure (Niederhof) au chapitre de Constance296. Ces deux centres d’exploitation, décalés par un mètre de dénivelé, développèrent deux lieux de culte, les deux paroisses Saint-Martin et Saint-Pierre, cristallisant l’implantation de la population. Rapidement, la partie « inférieure », formant carrefour de tous les axes de circulation, s’étoffa de populations nouvelles de marchands et d’artisans alors que Saint-Pierre périclitait. FrédéricIer de Hohenstaufen obtint l’avouerie de la Niederhof et des droits de marché sans doute déjà lucratifs. En ce qui concerne l'Oberhof, Frédéric II en devint l’avoué en 1212. Les Staufen cumulaient presque tous les droits en sus de ceux d’avoués, sur l’ensemble d’un territoire urbain. Mais, de façon symbolique, les propriétaires du sol (Grundherren), l’abbaye de Payerne et le chapitre de Constance, conservaient la moitié du péage. Grâce à l’augmentation de la population et de ses activités, les deux noyaux primitifs formèrent rapidement un espace unique297. La délimitation et la protection de cet espace furent assurées dans le cadre de la campagne de construction de murailles de Wœlfelin de Haguenau298, vers 1220. Quelques années plus tard, vers 1226, Colmar devint civitas ou stadt299 avec un conseil (rat, attesté depuis 1225) et un Schultheiβ nommé par l’empereur. Rodolphe de Habsbourg agréa, en 1278, la charte de franchises proposée par les Colmariens et, ultime étape, Colmar compta bientôt au nombre des villes impériales qui payaient une contribution spécifique (consignée dans le Reichssteuerverzeichnis300).
Sélestat
150Le toponyme301 apparaît dans les actes en 776 comme résidence royale (Königpfalz302), c’est-à-dire un lieu d’activités du pouvoir : chancellerie et gestion des domaines. Au ΧIe siècle, sont mentionnées deux cours domaniales : celle des Bénédictins, qu’en 1061, l’abbaye de Munster céda à l’évêque de Strasbourg ; et celle des Staufen, donnée en partie par Hildegarde303 en 1094 à Sainte-Foy de Conques, avec les droits de marché et de péage. L’intense circulation des marchandises par voie de terre (axe nord-sud) et fluviale (aménagement d’un débarcadère sur l'Ill) permettait de développer l’exportation des richesses du terroir. Dans la même ligne politique que celle observée à Colmar, Frédéric Ier de Hohenstaufen, comme avoué, regroupa l’ensemble. Les Staufen restèrent en possession de ces biens dont la restitution au monastère, prévue à sa mort, avait été vite oubliée. En 1217, Frédéric II fit de Sélestat une ville (civitas, stadt)304, en négociant un partage des revenus contre la renonciation à son droit de propriétaire du sol (Grundbesitz). Son fidèle Wœlfelin incita aussi cette ville riche à se protéger efficacement par une muraille. L’empereur nommait son représentant, le Schultheiβ305 ainsi que le péager qui fonctionnaient tous deux avec le conseil (1258). Avec Colmar, Sélestat figure dans la liste des villes impériales imposées en 1241-42 et l’affirmation de sa volonté de jouer un rôle politique s’exprime symboliquement par la responsabilité des archives de la Décapole (après 1354).
Mulhouse
151Moins présentes dans le jeu politique et de surface économique plus modeste, Mulhouse et Brisach n’en ont pas moins construit leur identité de villes. L'emplacement du futur Mulhouse306, au IXe siècle, correspondait à plusieurs domaines, appartenant aux abbayes de Fulda, Masevaux et Saint-Etienne de Strasbourg. Dans une zone marécageuse (asséchée ?), la présence de moulins rendait possible la mise en culture. Aucune trace, cependant, d’habitat regroupé ne peut laisser supposer l’implantation d’un village. Le site se présentait donc partagé entre plusieurs Grundherren, avec deux noyaux urbains en dénivellation de un mètre environ. Depuis 1003, l’abbaye Saint-Étienne de Strasbourg avait donné son domaine à l’évêque qui tenait alors la partie haute, à l'est de la ville. Celui-ci inféoda son domaine aux Staufen qui disposaient déjà de la partie basse, au titre d’un petit alleu familial. Barberousse, à partir de 1152, travailla à faire de ce site, une cité, relais entre ses biens en Bourgogne, en Franche-Comté et en Souabe. Selon le processus bien rodé dans d’autres villes, il obtint l’avouerie de Saint-Étienne et en 1186 installa un marché dans cette partie basse de la localité où s’assemblaient le plus volontiers les marchands. Si Frédéric II dut renoncer à son alleu en 1221, il reprit l’avouerie, rétrocédée entre temps à l’évêque de Strasbourg, et, entre 1222 et 1224, la ville s’entoura d’une muraille. En 1223, Mulhouse devint une ville307 dotée d’un conseil vers 1226 et de franchises en 1293. Quand la ville d’inféodée (par l’évêque de Strasbourg) passa en toute propriété à Rodolphe de Habsbourg (1308), elle entra dans le réseau des villes impériales.
Brisach
152Brisach308, parce que située sur un piton formant une île entre les bras du Rhin309, représentait le site de défense310 (et d’attaque) par excellence, au cœur d’un terroir généreux, avec le Kaiserstuhl couvert de vignes à proximité. Bien impérial311 donné par Henri II (1002-1024) à l’évêque de Bâle, il échut aux ducs de Souabe qui en firent un pôle de sécurité essentiel pour la région (Bergfeste). Au Xe siècle, marché et frappe de la monnaie enrichirent les fonctions et les services offerts par le site qui devint un point-frontière essentiel du duc de Souabe contre la Haute-Bourgogne. En 1185, Brisach en tant que Stadt passa en condominium entre l’empereur et l’évêque de Bâle, jouant un rôle de tout premier plan avant la grande vague des fondations de villes par les Zähringen. Brisach leur fut engagée dès 1198 et, à l’extinction en 1218 de la dynastie, revint au condominium empereur-évêque, puis au prélat seul, à la disparition des Staufen. Le conseil se trouve mentionné en 1264. Rodolphe, comme partout ailleurs, reprit en sa main cette ville et forteresse de grand intérêt stratégique et économique, qui devint aussi ville impériale.
Kaysersberg
153Les Staufen menèrent une politique active pour tenir en leur pouvoir les villes situées à des points stratégiques et « rentables » économiquement. Dans cet esprit, Kaysersberg312 constitue une de leurs principales fondations, par achat (1227) d’un château appartenant aux deux familles des Horbourg et des Ribeaupierre, achat explicitement donné pour défendre la vallée contre le duc de Lorraine. Lequel, bien entendu, attaqua, la même année, la ville en formation au pied du château, pour le compte de l’évêque de Strasbourg attentif à ce passage dont la maîtrise était convoitée. La construction des fortifications urbaines dura pendant presque tout le XIIIe siècle. Rodolphe de Habsbourg, en 1293, fit de Kaysersberg une ville d’Empire, dotée des mêmes franchises que Colmar. Le conseil (rat) s’y trouve mentionné en 1304. La richesse et donc l’intérêt de la ville provenaient, pour une bonne part, autant des ressources liées au passage et aux relations avec la Lorraine que sur l’exploitation du terroir.
Munster
154On trouve souvent attestés à une haute époque et issus du fisc royal313, des groupements d’habitats autour d’abbayes ou sur les territoires des églises épiscopales où se concentraient serviteurs et exploitants. Ces petits centres dans l’orbite des établissements ecclésiastiques se transformèrent souvent en villes. Dans l’Oberrhein, richement doté en abbayes, leur nombre n’est pas négligeable. À proximité de l’abbaye du Val Saint-Grégoire, se formèrent les deux villes de Munster et Turckheim. Sous l’impulsion de l’abbaye de Murbach, Guebwiller et Saint-Amarin ; enfin, dans le Haut-Mundat de l’évêque de Strasbourg, Rouffach, Soultz et Eguisheim (partiellement).
155Les localités de Munster et Turckheim, toutes deux dans la mouvance de l’abbaye, encadrant le Val Saint-Grégoire, n’offraient aucun des atouts évoqués pour les villes précédentes situées sur des axes de circulation. Munster, blottie en fond de vallée, ne pouvait jouer de rôle administratif et commercial comparable aux cités-carrefours ou résidences princières. Turckheim, sans doute mieux située à l’orée de la vallée, mais sous la coupe de l’abbé de Munster, se trouvait peut-être à l’ombre de Colmar.
156La ville de Munster314 se développa grâce à (et malgré) l’abbaye Saint-Grégoire qui possédait l’ensemble des droits, le Grund und Boden, à la différence d’autres villes partagées entre plusieurs maîtres. Ces droits s’exerçaient de façon d’autant plus absolue que l’abbaye était d’Empire (Reichsabtei). En 1197, l’avouerie du Val Saint-Grégoire et de la ville de Munster revint aux Staufen attentifs aux intérêts de l’Empire dans la région. Frédéric II, en 1213-1215, reçut de l’évêque de Bâle l’entière possession du Val, transfert que contesta fortement l’abbaye. Il y eut d’abord un partage des droits, un tiers à Frédéric et deux tiers à l’abbaye. Puis, Frédéric II réussit, en 1235, à réunir sous sa coupe la totalité, ce qui valut à Munster de devenir Stadt, avec un conseil (1287) puis d’accéder au rang de ville impériale. Munster représente un cas d’école, seul exemple de ville formant corps avec un territoire puisque les onze villages de la vallée lui appartenaient. Les actes précisent toujours « la ville et le val » (stadt und tal), mais l’absence quasi totale des archives de la ville avant le XIVe siècle ne permet pas d’analyser plus avant ce fonctionnement de petite capitale dominant un ensemble territorial.
Turckheim
157L’apparition de Turckheim315 dans l’histoire n’offre aucune originalité en ses débuts. Appartenant sans doute au fisc royal, le toponyme, entouré d’un domaine, entra dans la mouvance de l’abbaye de Munster à la suite d’une donation en 896, complétée en 898. Ce riche terroir viticole représentait un complément appréciable à une économie essentiellement forestière. Les Habsbourg, présents au Hohlandsberg tout proche, bénéficiaient également à Turckheim, de droits, consignés dans leur terrier de 1303. Frédéric Ier exerçait des droits étendus ( ?) mais sans avouerie. Rodolphe de Habsbourg, reprenant tout l’héritage des Staufen et celui de sa famille, semble avoir contrecarré, avec succès, l’emprise de Munster sur la ville. En 1312, Henri VII accorda à Turckheim les droits de marché et fortification ainsi que le rang de Stadt avec un conseil. Ville d’Empire, Turckheim fit partie de la Décapole316 avec toutes les villes précédemment évoquées.
Guebwiller
158L’autre grande abbaye de l’Oberrhein, celle de Murbach, contribua également au développement d’une ville sur son territoire, Guebwiller317. À la différence de Munster, enserrée dans des montagnes forestières et distante du vignoble d’une quinzaine de kilomètres, Murbach, bien que située dans un site sauvage et isolé, se trouvait à trois kilomètres du débouché du vallon où se développa, le long de la Lauch entre des coteaux réputés, l’agglomération de Guebwiller. Plusieurs actes de donation à l’abbaye de Murbach, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, attestent d’une villa Gebunvillare ou Gebenwilre. La présence de l’abbaye et de ses activités induites, le vignoble et la rivière318 (vers l'Ill), stimulèrent l’agglomération. Quand elle apparaît dans les sources, elle a déjà atteint une certaine importance démographique puisqu’il s’agit de la construction de la vaste église paroissiale Saint-Léger (1182). Le seigneur abbé, qui profitait de la richesse de la localité, lui accorda un certain nombre d’avantages : la construction d’une muraille (1270-1287) accompagna la mise en place d’un conseil (1286) et la dénomination de ville (en 1275 mention d’un conseil de bourgeois). La tutelle seigneuriale restait étroite : l’abbé choisissait les membres du conseil parmi ses vassaux et son prévôt, qui désignait tous les agents de la ville, présidait également le tribunal.
Saint-Amarin
159La ville319 dépendait plus étroitement de l’abbé de Murbach et de son vif intérêt pour le passage (péage obtenu de Frédéric II en 1228) de la vallée de la Thur vers le col de Bussang, protégé par un château à proximité d’un hospice320 et d’un chapitre collégial. Fortifiée vers 1250 et qualifiée de ville peu après, la localité cependant ne semble avoir ni conseil ni sceau mais, en revanche, un atelier monétaire321.
160Certaines villes ont pris racine dans le fisc royal et la volonté politique du souverain, comme nous venons de la voir. D’autres ont marcotté à partir d'une abbaye, d’autres encore ont bénéficié de la dynamique des princes-évêques, dans leur diocèse. Au même titre que les seigneurs-abbés, l’évêque de Strasbourg, dans le cadre de son Haut-Mundat, a stimulé, sinon créé, « ses » villes de Rouffach et Soultz, en condominium avec Eguisheim, la ville du même nom. Il tenait également, pour prendre appui près du Rhin, Marckolsheim.
Rouffach
161Sur un site très anciennement occupé, Rouffach322, on s’en souvient, fut le siège d’une résidence mérovingienne et donc, dès le VIIe siècle, centre administratif et politique autour du pouvoir comme Colmar et Sélestat. Donnée à l’évêque de Strasbourg, cette cour domaniale devint la tête de pont méridionale du territoire épiscopal. Cœur de la seigneurie, en plein vignoble et sur un axe de circulation très emprunté, le long du piémont, la ville, fortifiée avant le début du XIIe siècle, se développa dans la logique d’une principauté. Les Habsbourg, avoués jusqu’en 1269, ne concurrencèrent pas l’évêque dans l’octroi de privilèges et de textes « fondateurs » de la ville, entité urbaine reconnue, disposant déjà d’un sceau en 1209. Les fonctions administratives, religieuses et commerciales de Rouffach (stadt), étendues au vaste territoire (land) du Haut-Mundat, firent de la ville une petite capitale seigneuriale, avec des consules (1241) et un consilium (1244) sous l’autorité du prévôt épiscopal.
Soultz
162À quelques kilomètres de Guebwiller, et dans l’orbite de Rouffach parce qu’intégrée au Haut-Mundat, Soultz avait été une cour domaniale de l’abbaye d’Ebersmunster, sorte de marche dont le bailliage maintiendra les limites jusqu’en 1760. En plein cœur du vignoble, Soultz attirait bon nombre d’établissements ecclésiastiques323 et de familles nobles, inféodées par l’évêque de Strasbourg : les Habsbourg, les Eguisheim, les Soultz, les Pfaffenheim et les Ferrette. Protégée par une muraille vers 1260, agrandie vers 1298, la localité drainait une certaine richesse puisqu’elle était jugée capable de s’acquitter annuellement de 80 marcs d’argent à l’évêque324. Soultz fonctionnait comme ville (stadt en 1295) avec des consules depuis 1272, comme Rouffach. Le conseil ne se trouve pourtant attesté qu’en 1362.
Eguisheim
163Eguisheim325, enfin, entre Colmar et Rouffach, haut lieu de la puissance de la famille326 du même nom, représentait une telle richesse et un tel intérêt stratégique327 qu’à l’extinction de la dynastie (1225), l’évêque de Strasbourg s’en empara après une longue guerre contre les héritiers des Eguisheim, les Ferrette328. Le bourg, sous les châteaux, stimulé par la résidence constante des comtes puis par la seigneurie épiscopale, par la richesse du vignoble et le trafic important le long du piémont, protégea son développement de murailles dès 1257. À la fin du XIIIe siècle, dotée d’un sceau329, la ville forma corps et son conseil, mentionné au début du siècle suivant, se trouvait sous l’autorité du Schultheiβ330 nommé par l’évêque. Eguisheim participait de la seigneurie du Haut-Mundat, son développement se trouvait en étroite corrélation avec Rouffach et Soultz, avec cependant quelque originalité : en 1324 y est mentionnée la première école d’une petite ville dans la région, quelques années plus tard, la construction d’un hôtel de ville.
Marckolsheim
164Marckolsheim, site habité avant la conquête romaine, présentait un atout géographique majeur, à proximité du Rhin et dans un terroir fertile, au carrefour d’une route du sel (Château-Salins à Fribourg) et d’une autre reliant Augusta Raurica à Argentoratum (Augst à Strasbourg). L’étymologie ferait-elle référence au terme de marca, frontière, qui serait celle entre la Basse et la Haute-Alsace ? La première mention certaine, de 770, indique la présence de l’abbaye d’Ebersmunster. D’autres établissements ecclésiastiques s’implantèrent-ils à cet endroit propice aux échanges ? La confirmation, par Charlemagne, à l’abbaye de Lièpvre d’une propriété à Marckolsheim, est un faux sans aucun doute, mais intéressant à ce titre, car manifestant l’intérêt de ladite abbaye pour le site. De façon plus certaine, les Habsbourg y étaient possessionnés puisqu’en 1294, ils vendirent à Conrad III de Lichtenberg, évêque de Strasbourg, l’ensemble de leurs biens et droits. Marckolsheim devint ville en recevant les mêmes franchises que Sélestat, en 1298. Les bourgeois se dotèrent d’un sceau (1322) et formèrent le conseil (rat) en 1350. Sous l’impulsion de l’évêque Jean II, la ville se fortifia vers 1330, la construction complète des remparts et des fossés semblent avoir été en place au milieu du XIVe siècle. Quelques années plus tard, le dispositif urbain était complété par l’octroi d’une foire et l’exploitation d’un bac, témoins d’une activité économique soutenue.
165Pour conclure, ce groupe de localités d’ancienne implantation présente d’une part des points communs : exploitation d’un riche terroir, centre administratif d’un souverain ou d’un prince ecclésiastique, carrefour d’échanges économiques et d’autre part, des divergences : autorités multiples ou seigneurie unique, situation géographique, qui faisait d’elles des villes potentielles. Dans la première moitié du XIIIe siècle, ces différentes qualités urbaines se virent sanctionnées par des textes émanant du souverain (ou des seigneurs), à un rythme accéléré qui n’échappa point aux contemporains. Une dynamique économique déjà bien établie trouvait sa légitimité juridique. Cette confirmation de la qualité de ville vint des Staufen331, comme on le sait. Mais il convient de souligner rapidement leur politique, à cet égard, contradictoire. Ils avaient besoin, d’une part, de ressources et de points d’appui mais, d’autre part, ils ne pouvaient ignorer la concurrence de ces villes avec celles que les princes, eux aussi, stimulaient ou créaient. Le compromis de la Constitutio in favorem principum mais surtout la grande ordonnance « contre l’autonomie des villes en Allemagne »332, prise à Aquilée début 1232, interdisaient les nouveaux marchés ou fortifications nuisant aux intérêts des princes, interdisant l’exode vers les villes des dépendants de leurs ministériaux ou de leurs églises, exigeant la restitution des biens et des fiefs indûment occupés par les villes.
166D’autres villes, formant un deuxième groupe, se constituèrent, comme dans tout l’espace germanique à la même époque333, sous l’impulsion politique de seigneurs et de princes dont l’intérêt se conjuguait avec celui des citadins : utiliser le grand essor démographique et économique pour accélérer la production et la circulation des richesses. L’instrumentalisation seigneuriale au service de la construction d’un territoire, constitue la caractéristique de cet ensemble de cités. Ces villes seigneuriales (landesherrliche Städte334 ou Territorialstädte335), bien moins étudiées que les villes impériales, ont complété le dispositif urbain de l’Oberrhein.
Fribourg
167Fribourg336, ville seigneuriale emblématique, connut une histoire accélérée par rapport à Colmar, son alter ego sur l’autre rive du Rhin. Ville fondée comme bien d’autres par l’active dynastie des Zähringen, Fribourg bénéficie d’une remarquable historiographie complètement revisitée ces dernières années par des fouilles archéologiques d’importance337 et des études textuelles fondamentales338. Sous ces éclairages nouveaux, se dessine plus précisément le passage de la fondation d’un marché seigneurial (1120) vers la constitution d’une ville aux compétences étendues à toute la région (ville impériale en 1415). Peu de villes peuvent se targuer d’avoir obtenu, en un temps relativement bref, autant de privilèges : fondation d’un marché en 1120, confirmation (reconstruite) de Bertold IV de Zähringen en 1152, franchises (le texte le plus connu sous le nom de Erweiterte Handfeste) de Bertold V en 1186, franchises renouvelées et couchées sur un rouleau de parchemin (Stadtrodel) en 1218, celles retranscrites entre 1317 et 1341 (dites Tennenbacher Text du nom de l’abbaye de conservation) et enfin droits de la ville, les premiers en langue allemande, de 1275 et 1293339.
168Grâce à toute cette richesse documentaire articulée sur les données archéologiques, la fondation de Fribourg se révèle originale. Elle n’est pas le seul fait du prince (ici le fils de Konrad de Zähringen). Elle résulte plutôt d’un accord entre deux parties, le duc, certes, mais aussi un groupe solide de marchands, autour d’un projet de marché. Les pouvoirs et les compétences s’allièrent pour exploiter les conditions favorables du site, à proximité d’un château garantissant les intérêts des deux parties : la sécurité pour les marchands, les droits seigneuriaux et les bénéfices du pouvoir pour les Zähringen. À la différence des villes de la rive gauche, anciens domaines du fisc, les ducs se trouvaient parfaitement libres, ce territoire n’étant ni divisé entre plusieurs maîtres ni même exploité340.
169Les étapes de la mise en forme de la future ville peuvent être suivis pas à pas, d’une part, grâce aux travaux archéologiques de repérage des sites successivement occupés341, d’autre part, grâce à la prosopographie des familles342. Alors que les marchands passaient, dans l’historiographie, pour les premiers installés, les plus anciennes familles provenaient en réalité de la ministérialité des Staufen (les Snewlin), de celle de l’abbaye de Murbach (ascendants des Tottikofen) ou de celle des Üsenberg (les Arra-Tröscher). La ministérialité a, comme dans d’autres villes, surtout épiscopales343 de la région, manifesté très tôt son intérêt pour les activités urbaines, commerciales et artisanales. Entre 1220-1240, après la disparition des Zähringen, la ville prenant donc son « indépendance », la douzaine de familles les plus riches procédaient de deux origines sociales vite confondues, le service du prince et la marchandise.
170Les nouveaux maîtres, comtes de Fribourg, toujours en manque d’argent, engagèrent et vendirent aux bourgeois enrichis tous leurs droits. Les conflits, cependant, ne manquèrent pas de surgir entre les urbani (bourgeois) et l’immigration incontrôlée des agents du prince et de chevaliers. Deux cultures juridiques de référence se heurtaient : le droit des agents au service du prince, et le droit des bourgeois dans l’intérêt de la ville344. Les « franchises », successivement accordées à la ville, permettaient de régler, au coup par coup, les tensions et d’assurer la poursuite de la prospérité urbaine. Le lotissement urbain systématique, dans des espaces réglementés et « calibrés », ainsi que les avantages commerciaux ou économiques attirèrent des marchands de tout l’Oberrhein, pour faire de Fribourg une plaque tournante dans les relations avec les villes plus anciennes de Colmar et Sélestat, sans compter bien entendu Strasbourg et Bâle. Avec ses murailles d’origine, Fribourg se situe aussi comme la ville allemande la plus précoce345 par la constitution de son conseil (mention en 1178 quand le droit de Fribourg fut accordé à Diessenhoffen). Toute l’organisation des métiers était déjà en place à la fin du XIIIe siècle.
171La ville de Fribourg, connue de façon exceptionnelle à maints égards (fondation politico-commerciale, production législative précoce, intense, et diffusée dans neuf villes346 de la région), peut cependant servir de référence pour bien d’autres villes seigneuriales moins connues et plus modestes. Ces villes furent-elles totalement instrumentalisées au service du prince ou au contraire, furent-elles le fruit d’un rapport de force entre la puissance en place et la dynamique commerciale de marchands venus d’ailleurs ?
Neuenburg
172Neuenburg347 fait également partie des villes fondées par les Zähringen, entre 1170 et 1180. Elle bénéficiait d’une position stratégique essentielle pour le passage du Rhin avec un bac (fähre) mentionné dans les franchises (stadtrechte) de 1292. Evitant les bords du Rhin, toujours inondables, les premières murailles entourèrent la ville au début du XIIIe siècle. À l’extinction des Zähringen (1218), Neuenburg fut attribuée, pour sa partie inféodée, à l’Empire, pour la partie en alleux, aux Kyburg et au comte de Fribourg. Frédéric II tira profit d’un conflit interne entre les partisans de Philippe de Souabe et Otton IV, conflit activé par l’évêque de Bâle, pour reprendre tous les droits impériaux. Neuenburg s’acquitta, en tant que ville d’Empire, du Reichssteuer en 1241. Sous l’autorité du Schultheiβ depuis 1218, la ville dut prendre progressivement quelque indépendance puisqu’un conseil (rat) y fonctionna à partir de 1258. Après l’Interim, Rodolphe de Habsbourg fit de Neuenburg, en 1292, une ville (Stadt) avec les éléments de statuts déjà bien rodés dans les autres villes impériales et enrichie par un marché et les droits du bac. Neuenburg comme Fribourg, après une mise sur orbite seigneuriale, devint ville impériale.
173Dans l’Oberrhein étudié, les autres villes seigneuriales ne bénéficient que d’une documentation parcimonieuse avant 1350, n’autorisant aucune investigation aussi poussée que pour Fribourg, du moins en ce qui concerne leurs origines.
174Dans le cadre d’une politique de territorialisation, quelques localités ont pu jouer, en accumulant les atouts urbains, un rôle modeste de centralité citadine ou de petite capitale administrative comme on a pu l’observer pour quelques princes ecclésiastiques ou laïques : Rouffach pour l’évêque de Strasbourg, Guebwiller pour l’abbé de Murbach, Ribeauvillé348 et Bergheim349 pour les Ribeaupierre, Thann350 et Cernay351 pour les Ferrette.
175Les ducs de Lorraine tenaient Saint-Hippolyte352, en tant qu’avoués du monastère ayant appartenu à Saint-Denis353, et ayant reçu la localité et son bailliage, en fief, des landgraves de Basse-Alsace.
176Les Habsbourg n’eurent, d’après le terrier de 1303, qu’Ensisheim354, Wattwiller et Landser355. Avant leur action en faveur des villes impériales, en tant que souverains, ils ne semblent pas avoir développé de véritable politique urbaine. Après la constitution de leur territoire avec le Sundgau, ils devinrent les maîtres de Fribourg en 1368, et, au début du XVe siècle, de Kenzingen (1427), d’Endingen (1428) et de Sulzburg (1428).
177Ces deux dernières villes, avec Kenzingen, résultent de la politique urbaine des Üsenberg356. En 1290, le partage de leur seigneurie fit de Kenzingen la petite capitale de la partie nord et d’Endingen celle du sud.
Kenzingen
178Dans la plaine rhénane, au bord de la Forêt-Noire, à l’affluent de l’Elz, la villa ou Kencinger marca est attestée depuis 773. Les Üsenberg, en tant qu’avoués des biens de l’abbaye d’Andlau dans le Brisgau, veillaient à la donation faite en 880 par l’impératrice Richarde. Les seigneurs de Kenzingen, tout proches, établirent un village, protégé par un castrum, point d’appui efficace pour leur politique de défrichement, comme la petite noblesse du Brisgau qui se taillait des seigneuries dans le piémont de la montagne. Rodolphe II d’Üsenberg, pour imposer son pouvoir, décida en 1249 de construire une ville à un kilomètre du village, ville qu’il dota du même droit que la ville de Fribourg. Civitas en 1253, la communauté riche de son vignoble et de son riche terroir est représentée par des consules (1290) et devint stadt en 1335. Un rector scolarum est mentionné en 1242 et la ville disposait d’un hôpital dès 1316. Le sceau de la ville atteste de son caractère de ville territoriale puisqu’il porte un château et les armes des Osenberg, des ailes d’alouette. Le processus de construction politique autour d’une « capitale » se compléta vers 1350 quand les Üsenberg achetèrent pour 150 marcs d’argent un véritable territoire autour de la ville, la cour de l’abbaye d’Andlau, forêts et domaines d’exploitation.
Endingen
179Oppidum (763) renforcé par son site naturel, aux bords du Kaiserstuhl, et villa d’exploitation fertile sur le lœss, Endingen se composait de deux noyaux, le village bas et le village haut. À l’occasion du partage de 1290 de la seigneurie des Üsenberg, Hesso fit d’Endingen sa capitale. Ville en 1295 et dotée du même droit que Fribourg, la nouvelle cité disposa d’un organe de décision, le rat, en 1309, et une dizaine d’années plus tard, mena à bien, pour se protéger, la construction de murailles qui ne laissèrent à l’extérieur qu’une partie du village bas. La politique de la ville, forte désormais, manifesta, dès les années 1320, une volonté de desserrer l’emprise des Üsenberg. Elle conclut, dans ce but, diverses alliances avec les ennemis des Üsenberg : les seigneurs de Falkenstein, la ville de Fribourg et mena de rudes opérations militaires. Les Üsenberg finirent par s’en débarrasser en la vendant au chevalier Snewlin im Hof. Endingen, forte de la richesse de son terroir et de son péage, résista vaillamment, grâce aux nombreuses alliances auxquelles elle participa.
Sulzburg
180Au pied de la Forêt-Noire, à une dizaine de kilomètres de Badenweiler, des mines de cobalt, d’argent, de plomb et d’antimoine regroupaient, depuis le début du XIe siècle, toute une population de mineurs et de ruraux aux environs du monastère de Bénédictines dédié à saint Cyriaque depuis 993. Les Üsenberg en étaient les maîtres, avoués de l’évêque de Bâle, fondateurs et seigneurs de la ville (cives en 1283, Schultheiβ en 1315 et stadt en 1371).
181Toute une série, enfin, de villes, ni royales, ni territoriales, ni mixtes mais « virtuelles », non instrumentalisées par des seigneurs, se virent attribuer quelques privilèges leur autorisant une relative indépendance. Riquewihr357 figurait parmi les villages appartenant aux Eguisheim puis la localité devint, au XIIe siècle, la propriété des Horbourg qui voulurent en faire une ville : muraille vers 1291, organisation rectiligne du tissu urbain, stadt en 1320. Vendue aux comtes de Wurtemberg en 1324, elle entra dans le développement de leur seigneurie. Dotée en 1362 d’un conseil, supervisé par un prévôt (vogt), agent des comtes, la ville continua à être florissante grâce au vignoble et à l’excellente administration des Wurtemberg (après 1350).
182Burckheim, sur la route principale le long du Rhin, au pied du Kaiserstuhl, offrait la sécurité aux marchands grâce à un château, le Burgberg, qui, en 778, faisait partie des biens confisqués à Guntram par Otton. Le souverain en fit don à l’abbaye d’Einsiedeln, déjà bien possessionnée dans le vignoble du Kaiserstuhl. Au XIIe siècle, la bourgade abritait des ministériaux des Zähringen (marchands eux aussi ?), puis des Üsenberg358 qui firent, sans doute,359 construire la muraille. Le statut de ville avec un conseil, confirma, en 1348, le fonctionnement de cette petite ville.
183Müllheim360, Staufen361 et (Emmendingen362), tardivement qualifiées de villes, sans avoir encore beaucoup de qualités à l’époque étudiée, appartenaient de jure à la nébuleuse des villes naines (Zwergstadt).
184Toutes ces localités, depuis les plus anciennes jusqu’aux plus récentes, présentaient un nombre variable de qualités urbaines échelonnées dans le temps et surtout, répondaient plus ou moins à une volonté politique d’utiliser ces villes comme instruments de pouvoir. Ces groupements de population, au caractère particulier, se situaient, il ne faut pas l’oublier, dans un contexte régional d’habitat très dense des terroirs, villages, domaines et mottes de plaine qui seront traités dans le prochain chapitre.
185La tentation des historiens d’opposer méthodiquement les villes à celles qui ne le seraient pas ne trouve guère d’écho dans les textes ou dans l’esprit des contemporains. Il est d’ailleurs symptomatique que, même en usant d’une large terminologie pour définir l’organisation urbaine de l’Oberrhein, il reste des sites qualifiés dans l’historiographie, tantôt de villes, tantôt de bourgades ou de villages : Emmendingen, Guémar363, Sainte-Croix-en-Plaine364, Wihr-au-Val365 et Soultzbach366, par exemple. Même désignées comme stadt ou stettlin, ces localités ne présentaient guère d’atouts susceptibles de leur faire acquérir une certaine indépendance. Ce point mérite d’être souligné car, faute de véritable autonomie comme les villes italiennes, celles de l’Oberrhein usaient d’une certaine indépendance dans leur politique intérieure ou extérieure.
186Après la présentation de la genèse des villes, famille par famille, il est temps de procéder à une synthèse de leurs points communs, dans leur organisation et leur fonctionnement, pour dégager leur capacité à exercer un réel pouvoir dans l’échiquier politique de l’Oberrhein, à l’instar des princes laïques ou ecclésiastiques.
Politique urbaine des souverains et des seigneurs
187Bien des sites, exploités et habités, au moins dès le IXe siècle, pour leurs avantages géographiques et économiques, ont été transformés progressivement en villes par la volonté politique des souverains, ou des princes ecclésiastiques qui en tiraient avantages et profits : marché, muraille, franchises, relation directe à l’empereur (villes impériales). Après ce développement des sites royaux carolingiens, plusieurs phases d’accélération dans la mise en place d’un semis urbain peuvent être observées. Dans un climat général d’expansion du nombre des hommes, de leurs activités, et de production de richesses, les décennies 1130 à 1250 représentent, on le sait, l’éveil de dynamiques nouvelles. En ce temps de plein épanouissement de la Rittertum367, les villes se dégagèrent peu à peu de leur caractère seigneurial originel, en développant des activités spécifiques et un mode de richesse alternatif, sans éliminer la richesse foncière qui, jusque tard dans la période médiévale, restait la meilleure, parce que la plus sûre, surtout dans le vignoble. Tout ce développement portait à maturité l’intense préparation de plusieurs décennies antérieures (échappant en grande partie à l’historien) pendant lesquelles les cités durent travailler à concrétiser, sous forme juridique, leur indépendance, en faisant confirmer par le souverain un corpus de privilèges et de droits élaborés au coup par coup.
188La réalité urbaine de l’Oberrhein date essentiellement de l’époque des Staufen (1130-1250) avec l’indépendance organisée des corps de villes ; puis, pendant l’Interim (1250-1273) l’indépendance devint autonomie, sanctionnée juridiquement par la vague des statuts de Rodolphe de Habsbourg et de ses successeurs, à partir de 1275.
189Le temps des Staufen (surtout Frédéric Barberousse 1152-1190) signifiait donc, pour l’Oberrhein, le temps par excellence de mise en place d’un semis urbain très dense. Comme tous les princes et les petits sires, les Staufen procédèrent à la création ou à la stimulation des villes, dans leurs fonctions économiques et politiques. Ils disposaient, dans l’Oberrhein, d’atouts majeurs. À leurs possessions familiales (Hausgut) constituées d’alleux ou de fiefs (comme, par exemple, Mulhouse), s’ajoutait le fisc royal (Reichsgut) (ce fut le cas de Colmar), constitué de palais ou résidences368, de terres (Grund und Boden), et d’une présence en ville, sous forme de droits et de revenus divers, situés dans l’ensemble encore hétéroclite du milieu urbain. À l’osmose entre l'Hausgut et le Reichsgut, les Staufen ajoutèrent le Kirchengut, ces biens d’Église dont ils disposaient au titre d’avoués (à Sélestat, à Colmar). L'Oberrhein et ses territoires urbains étant une terre fertile en propriétés ecclésiastiques, bien des villes émargeaient, à l’origine, de deux maîtres plus ou moins rapidement confondus : l’Église en tant que Grundherr, et le roi, en tant que Stadtherr, l’avoué (Vogteiherr) assurant la présence effective. Au premier maître, les villes payaient le Grundzins et au second, elles prêtaient l’hommage ; elles s’acquittaient aussi de diverses impositions et surtout elles étaient soumises à sa justice. Sélestat, Colmar, Munster et Mulhouse représentaient ces villes réputées villes royales puis impériales, grâce au truchement de l’avouerie permettant de mettre la main sur les possessions ecclésiastiques et d’évincer la tutelle épiscopale. Rodolphe, encore comte, a aidé les villes de Strasbourg, de Colmar et de Mulhouse à se dégager de l’emprise de l’évêque de Strasbourg, pour devenir impériales.
190Entretenir une forte relation avec ces cités a d’abord été la politique des Staufen369. Pour s’assurer des ressources et des étapes dans leurs itinérances, la dynastie au pouvoir a joué la carte des villes. Mais à la différence d’autres princes, dont la stratégie politique visait à développer la territorialisation autour de métropoles-capitales, organisant tout un arrière-pays et hiérarchisant des villettes satellites, dans l’Oberrhein, ni Colmar ni Fribourg, ni Sélestat ni Mulhouse n’ont joué ce rôle en dépit de leur poids démographique et économique. Les Staufen ont usé de leurs villes comme sources de revenus en opérant des ponctions financières régulières et extraordinaires. Ils ont donc favorisé ce qui pouvait assurer un accroissement de leur richesse par le commerce et l’exploitation des terroirs, mais sans la construction d’un contado avec les villages soumis à l’autorité de la ville, les voies de communication entretenues et orientées vers la ville, le marché urbain dictant ses exigences, etc. Un phénomène semblable a été observé du point de vue de la politique des princes vis-à-vis de leurs possessions. Si l’on s’attache à présent à suivre la politique des villes parvenues à l’indépendance, la constatation est identique : elles n’organisèrent pas (ou peu) leur arrière-pays pour en faire de véritables territoires. En revanche, un autre type de structures inter-urbaines, en réseau, leur donna un réel poids politique comme il en sera question dans le troisième chapitre.
191Vis-à-vis des princes ecclésiastiques et laïques qui tentaient d’imposer progressivement leur pouvoir dans la région, les villes représentaient-elles une troisième force ?
Villes et regalia
192On peut l’admettre si l’on considère l’accaparement et l’exercice à leur profit des regalia. Comme pour les princes, l’absence du souverain favorisa la prise d’autonomie de facto. Mais, à la différence des princes, les villes ne pouvaient se passer d’un roi, indispensable pour accéder à l’autonomie de jure. Sous les Staufen, sous les rois concurrents de la période de l’Interim et sous les Habsbourg, surtout Rodolphe, l’essor urbain progressa rapidement au rythme de l’octroi de privilèges. Ils accordaient les droits nécessaires à l’exercice de leur autonomie en échange du partage des richesses tirées des terroirs et des échanges commerciaux. Au prix de cette quête permanente de la reconnaissance du souverain, se développèrent rapidement ces villes-terroirs que leur dynamique et leur poids politique à l’échelle de l’Oberrhein rendaient autonomes par rapport aux tactiques impériales ou princières. En tant que telles, les villes comptaient alors.
193Dans l’histoire de cette autonomisation, se distinguaient nettement les villes dites seigneuriales, de loin les plus nombreuses et les moins étudiées370, et les villes impériales371, objet de tous les soins des historiens du Reich et de l’histoire des institutions (Verfassungsgeschichte). Sur une quarantaine de villes dans la partie étudiée de l’Oberrhein, huit372 sont réputées impériales : Sélestat, Kaysersberg, Turckheim, Colmar, Munster, Brisach, Neuenburg et Mulhouse. À une distance de quelques dizaines de kilomètres les unes des autres, ces villes impériales (Reichsstädte) constituaient un réseau bien en place au milieu du XIIIe siècle. La trentaine d’autres villes, seigneuriales, jouaient le rôle de petites capitales de principauté (Ribeauvillé, par exemple, pour les Ribeaupierre ou la tête de pont épiscopale de Rouffach). Leur fonctionnement et leur développement se trouvaient soumis directement à la volonté du Stadtherr, fondateur et maître de la ville, souvent différent du Grundherr, propriétaire du sol. Ce dernier n’apparaissait le plus souvent que pour percevoir l’imposition foncière (Grundzins). En revanche, le Stadtherr, maître du jeu politique, infléchissait directement les destinées politiques et économiques. Les villes seigneuriales ne pouvaient donc pas, en principe, jouer un rôle autonome ou distancié de la politique de la seigneurie ou de la principauté dont elles constituaient le centre. Elles s’inscrivaient dans la logique seigneuriale, complexe et aléatoire, d’exploitation des villes en tant que centres de revenus. Confortées par des privilèges (Freiheiten) accordés en échange de leurs contributions comme les villes d’Empire, elles ne pouvaient, cependant, à la différence de ces dernières, développer aucune politique concertée avec les villes voisines dépendantes d’autres maîtres.
194Si l’on retient, pour l’analyse, les villes susceptibles de constituer une troisième force politique, il faut s’intéresser aux villes d’Empire, construites sur le fisc ou sous la protection particulière du souverain, car elles se trouvaient, juridiquement et théoriquement, les seules à être dotées de dispositifs leur permettant d’exercer leur souveraineté (Landeshoheit) et valant autonomie373. Même si cette autonomie ne recouvrait pas l’entière réalité politique et économique, elle servait de modèle aux autres villes et, pour la région de l’Oberrhein, l’existence de villes d’Empire a eu pour effet principal d’être un stimulant dans la dynamique urbaine. En réalité, ces villes royales en leurs débuts, ne devinrent « impériales » qu’avec la reprise en main de l’Empire et de l’héritage des Staufen dans l’Oberrhein, par Rodolphe de Habsbourg après 1273. La terminologie même de Reichsstadt374 ne devint habituelle qu’au XIVe siècle.
195Ces villes impériales, dans leur histoire individuelle, se trouvaient donc, comme partout ailleurs, intimement liées aux caractéristiques de la royauté allemande, itinérante (Wanderkönigtum) et sans moyens. À la différence des rois anglais ou français, dont le domaine permettait de vivre « du sien » et d’entretenir une administration même embryonnaire, le roi allemand devait se déplacer quaerens quem devoret ! L’exercice du droit de gîte ou l’entretien de résidences lui offraient des lieux où tenir les plaids, signer les actes, réactiver les fidélités ou percevoir des revenus. « L’idéal serait que le roi soit partout », puisqu’il ne possédait pas de capitale. Il devait se montrer, entretenir des liens de fidélité, s’imposer dans un rapport de forces constant qui le mettait aux prises avec les forces locales. La nécessité de cette politique de présence se mesure a contrario après la mort, en 1190, de Frédéric Barberousse ou quand Frédéric II, pour mener sa politique italienne, courut le risque de longues absences. Pour pallier le danger de rébellion et résister à la montée concurrente des grandes familles en Allemagne, le souverain n’avait d’autre choix que de contracter alliance avec les villes, preuve de leur nouveau poids politique et économique.
196Dans l’Oberrhein, il est indéniable que les souverains ont recherché cette alliance en accordant, au coup par coup, des privilèges aux villes. La force politique de ces cités, stimulées par l’octroi des droits régaliens et autres privilèges, se traduisit alors par la construction de leurs entités et l’ultime étape de leur indépendance de facto fut la confirmation de jure de leur Stadtrecht. La relation privilégiée de l’empereur avec ses villes mérite de retenir l’attention, même brièvement, car elle différait sensiblement des autres villes d’Allemagne ou d’Italie.
197Suffisamment rapprochées les unes des autres pour être des points de défense et des relais efficaces, suffisamment riches pour fournir des ressources indispensables aux opérations militaires, suffisamment dotées en oligarchies qualifiées pour être des relais politiques et administratifs, les villes ont joué, en dépit de leur petite taille mais encouragées par la volonté impériale, un rôle de troisième force. Leur atout politique majeur, à la différence des villes seigneuriales, résidait dans la fidélisation à l’Empire par l’immédiateté, fleuron de leur histoire constamment rappelé. Cette relation directe avec le souverain, d’abord épisodique et floue, a été reprécisée et réactivée avec Rodolphe de Habsbourg. Le résultat, toutefois, apparaît paradoxal. Dans la mesure, en effet, où le nouveau souverain mettait en place une administration qu’il souhaitait efficace et présente, elle formait écran et contredisait la notion même d’immédiateté. La création d’un grand bailli impérial à Haguenau (Reichslandvogt) pour sauvegarder les intérêts de « ses villes »375, c’est-à-dire des impériales, semble avoir eu pour conséquence de leur couper l’accès direct au roi376. Politiquement, les villes retrouvaient peu ou prou une situation de villes seigneuriales, l’immédiateté devenant « un sous-produit » de la constitution d’Empire (Peter Moraw). Cette tendance lourde et de longue durée, nécessite, bien entendu, une étude nuancée.
198En ce qui concerne la proximité impériale traduite par le privilège de l’immédiateté (Reichsunmittelbarkeit), la terminologie n’est pas d’un grand secours pour l’historien car elle reste fluctuante, que ce soit les termes utilisés par la chancellerie impériale ou ceux reproduits par les secrétariats des villes. Les empereurs usaient de la forme plurielle : « nos villes du Saint Empire Romain », « nos échevins de l’Empire », « nos chers fidèles de l’Empire »377. L’appartenance à un ensemble, à une même catégorie de villes, amenait celles-ci à la prise de conscience d’appartenir à une même potestas378, celle de l’empereur. Cette relation directe avec un maître souvent lointain, pouvait offrir bien des avantages quand la ville se trouvait en état d’assumer son autonomie. Mais ces relations se détérioraient et devenaient plus agaçantes avec l’activité d’un landvogt sur place et donc nécessairement proche (situation qui n’est pas sans rappeler le seigneur dans « sa » ville). Au XIIIe siècle en tout cas, les villes ne se targuaient pas de l’affection impériale, du moins dans leurs titulatures fort modestes : « Stadt zu colmer, meister und rath zu Mulhousen »... Cette position ambivalente vis-à-vis de l’empereur est qualifiée par Peter Moraw de position intermédiaire (Zwischenposition) en opposition aux villes du Rhin inférieur qui sont ouvertes à son influence (königsoffen) et celle de Souabe, lointaines (königsfern)379.
Institutions urbaines
199Si la relation privilégiée avec l’empereur ne laisse que des traces timides dans les actes, se manifestait-t-elle de façon plus prégnante dans le fonctionnement de la ville personnalisée par son conseil (Rat) ? Les villes connurent toutes, peu ou prou, les mêmes étapes de mise en place de leurs systèmes d’organisation politique. Pendant la période de dynamique urbaine sous les Staufen (jusqu’en 1250 environ), se forma, parallèlement au pouvoir exécutif exercé au nom du souverain par le Schultheiβ, un conseil (rat), dont les fonctions concernaient essentiellement l’organisation de la cité. Il fallait assurer la défense donc construire une muraille, organiser les moyens à mettre en œuvre, stimuler les échanges commerciaux autour du marché, faire face à toutes les difficultés de groupes d’habitants qui devaient vivre ensemble et en paix en dépit de leurs intérêts divergents380, etc. Le caractère seigneurial des cités ne favorisait pas l’unité puisque les groupes de pression, les clans et les partisans dominaient d’autant plus aisément le jeu social que les institutions régulatrices restaient embryonnaires. La période de l’Interim (1250-1273) stimula considérablement les organismes urbains à chercher, à l’extérieur, des appuis, et à former des réseaux d’entraide et d’alliances comme nous le verrons. L’organisation interne des institutions se mit alors aussi en place avec efficacité, puisque dès l’élection de Rodolphe de Habsbourg, les textes des statuts se trouvaient prêts à lui être soumis pour confirmation. Les bourgeois avaient réussi à mater ou à chasser les nobles et se trouvaient maîtres de la ville : pouvoir exécutif et législatif, administration financière et commerciale, politique extérieure, toutes fonctions assurées par le conseil. La dernière étape fut l’entrée au gouvernement des métiers dans les années 1330. Pour reprendre plus en détail le processus de cette organisation, il faudra voir l’apparition du sceau de la ville (sa personnalité juridique), l’étendue de ses droits et pouvoirs, son conseil, sa politique et son administration.
Le sceau
200Souvent bien avant l’apparition au grand jour juridique de l’existence d’une communauté de bourgeois susceptible de faire pièce à l’empereur (universitas, Bürgergemeinde ou encore consilium), elle se manifestait par l’usage d’un sceau, expression de sa personnalité juridique, accordée ou usurpée. Le sceau381, pendant ou plaqué, témoignait de l’existence d’une civitas. Cette concomitance chronologique reste, cependant, très difficile à établir car le sceau, dont la conservation matérielle comporte des risques, pouvait exister bien avant qu’un acte ne l’atteste ou n’en soit porteur. La personnalité juridique pouvait s’exercer sans la preuve historique du sceau, soit parce qu’il a été perdu (détruit) soit plus vraisemblablement parce qu’il n’a pas encore été fabriqué. Colmar, par exemple, mettait en forme et négociait ses privilèges en 1278. Bien avant, dans une charte382 de 1214 conservée dans le fonds de l’abbaye de Pairis, destinataire, est apposé un sceau au lion, portant en légende, sigillum columbariensium civium, et dans le texte correspondant, est expressément évoqué le (sigillum) communitatis columbariensium. Quelques années plus tard, entre 1216 et 1222, un contrat de location à Payerne383 porte les restes d’un sceau à l’aigle impérial : sigillum commune colombarie. Le grand sceau de la ville devint courant à partir de 1270 : sigillum universitatis columbariae et le petit sceau dit « secret » en 1335 : s. columbar. secret. (sigillum columbariensium secretum).
Droits et pouvoirs
201En sus de la personnalité juridique, les villes impériales tenaient à gagner une position privilégiée vis-à-vis des autres villes sous tutelle seigneuriale. Dans la logique de la question posée (les villes représentaient-elles une troisième force ?), il faut examiner l’étendue de leur souveraineté ou autonomie, à l’aune des autres forces en présence, en l’occurrence celle des princes. Ceux-ci bénéficiaient, on le sait, depuis 1232 officiellement, d’un statut leur accordant l’exercice des regalia dans leurs territoires. La mise en parallèle fait apparaître bien des points communs entre la personne physique du prince et la personne morale citadine. Elles possédaient les droits sur le territoire et les habitants, la justice du sang, le pouvoir de légiférer (Satzungen), le droit de lever des taxes (Steuerhoheit), le droit de battre monnaie, le droit de défense, d’user de la force militaire et la capacité en matière de politique étrangère : droit de contracter des alliances, des contrats etc.
202Si les princes ont usurpé, ou obtenu par le rapport de force, cette indépendance politique, les villes l’ont négocié et marchandé au coup par coup. Très révélateurs de cette histoire en mille feuilles, les privilèges ou statuts (Freiheiten, Handfeste) jalonnent la dynamique urbaine vers une plus grande indépendance. La légitimation de la ville reposait sur ces documents faits de « collages » de textes antérieurs et souvent perdus, d’emprunts à des situations voisines, de coutumes plus ou moins attestées384. Ils constituaient, à un moment choisi par la communauté des bourgeois, le texte dont ils voulaient faire leur référence, établissant souvent une filiation juridique entre villes. L’étude de Marita Blattmann385 sur le droit citadin dans l’Oberrhein fait apparaître la complexité du matériau originel. Pour Fribourg, cœxistaient, avant d’aboutir à un seul document, les privilèges seigneuriaux des Zähringer et les textes juridiques civils sans cesse enrichis (rescripta, rodales), élaborés en dehors de toute autorité extérieure à la civitas, pendant les trois premiers quarts du XIIIe siècle. À partir de la ville-mère, la transmission a suivi plusieurs modalités. Brisach, par exemple, a produit (de 1158 à 1275) un arrangement « neutre » de dispositions juridiques, sans rapport proche, mais inspiré de la ville-mère. Colmar en 1278 et Sélestat en 1292, autres exemples, ont procédé différemment en combinant divers documents provenant d’un modèle juridique commun. A une époque où le droit non-écrit avait autant d’importance que l’écrit, ces emprunts de ville à ville pouvaient s’appliquer aux statuts écrits et conservés, mais aussi aux franchises ou libertés non codifiées. Il faut toutefois insister sur la différence juridique entre les chartes de franchises, privilèges et autres libertés qui pouvaient conférer des caractères d’urbanité à une localité, et le « véritable » droit de la ville, le Stadtrecht, qui accordait l’équivalent de la Landeshoheit (même à des villes microscopiques !).
203Cette complexité fugace et cette mobilité de références expliquent, en partie, la frustration de l'historien qui cherche, malgré tout, à comprendre le fonctionnement d’un ensemble. L’absence de sources n’est pas seule en cause : l’organisation, toujours en chantier, de la communauté urbaine s’est construite pendant deux siècles et la dynamique a toujours été plus difficile à saisir que l’instantané. C’est dire qu’au terme de notre enquête en 1350, les gouvernements urbains continuaient à évoluer386 vers une maîtrise exclusive des droits régaliens et des profits économiques.
Le conseil
204Au cœur du dispositif administratif, se trouvait le Rat, formé des bourgeois, les « meilleurs » de la cité, qui prenaient décisions et règlements en matière politique (intérieure et extérieure), judiciaire, économique et sociale. Il leur incombait de répartir l’imposition directe (taille ou gewerff), de percevoir les revenus propres de la ville (l'ungelt sur la vente du vin, les péages, l’exploitation des propriétés de la ville, etc.). Les conseillers nommaient les agents municipaux (sergents, forestiers, gourmets, chargeurs de vin, etc.). L’organisation militaire exigeait toute sa vigilance pour l’entretien et la garde des remparts, les achats de matériel de construction ou de guerre. Les activités judiciaires, cependant, dans un premier temps aux côtés du Schultheiβ puis sans lui, constituaient l’essentiel des responsabilités du conseil. Chaque semaine il siégeait (wochengericht) et assurait la coordination des assesseurs, des jurés, des témoins ainsi que la rédaction des contrats de rentes ou autres transactions entre particuliers.
205Si l’on retient la première mention du conseil ou des consules (ce qui, on le sait, ne reflète pas la réalité souvent bien antérieure), un siècle sépare la première vague des conseils, dans les villes royales (1225 pour Colmar) et métropoles ecclésiastiques (1201 pour Strasbourg), et les seigneuriales (1327 pour Ribeauvillé387). L’activité administrative et législatrice des conseils se trouva progressivement consignée dans les Ratsbücher dont la conservation commence au plus tôt à la fin du XIVe siècle, pour notre région. Cette logistique administrative se réduisait souvent, dans les faits, à sa plus simple expression. Si Colmar, d’une certaine façon, jouait un rôle central dans la région étudiée, et bénéficiait depuis 1278 d’un statut, la ville ne disposait pourtant que d’un gouvernement chétif et à géométrie variable388. Avant l’entrée en force des métiers dans les années 30 du XIVe siècle, et l’éviction des nobles 20 ans plus tard, le nombre des maires (Bürgermeister) cooptés à la tête du conseil a varié de 3 à 4. En principe, ils étaient choisis pour consolider l’équilibre toujours fragile des forces sociales en présence dans la ville : deux nobles et deux bourgeois. Quant au nombre des conseillers (Ratsherr) et des maîtres des métiers (Meisterlute), leur présence et leur nombre variaient, sans doute, selon les activités agricoles de l’époque de l’année ou les points à l’ordre du jour. Le protocole note brièvement en guise de liste de présence : « die do des rates waren » (ceux qui étaient là, au conseil) ! En principe, les réunions convoquées à la cloche (gelütener Rat), se tenaient les mardi et samedi de six heures à dix heures du matin : ce qui laissait ensuite une bonne journée de travail.
206Il est certain que la politique d’une ville ne se jouait pas uniquement au conseil, mais autour d’un gobelet, dans la tiédeur vespérale de l’auberge réservée aux hommes d’un métier ou d’une catégorie sociale (Stube, Stammtich). Ces réunions de notables et personnages en vue, dite Herrenstube à Ribeauvillé ou Guebwiller, ou Waagkeller à Colmar, constituait une « institution » parallèle dont la mise en place échappe, en grande partie, à l’historien. Autre force agissante, la noblesse citadine agitait la vie politique dans les rues de Colmar, par exemple, quand elle ne trinquait pas au Scheppelin. Elle appliquait ses propres règles du jeu (Fehde389 ou guérilla privée) au détriment des intérêts bourgeois qui n’aspiraient eux, qu’à la paix, source de profits économiques. Ce n’est qu’après leur bannissement et leur éviction de Colmar en 1358, que la constitution municipale prit forme plus complètement.
Politique et administration
207Le seuil non dépassé de « petite ville » reflétait, en fait, l’activité (viticole souvent) des dirigeants qui ne disposaient pas de la disponibilité nécessaire des « élites » pour la chose publique. Cette fameuse disponibilité (Abkömmlichkeit), mise en valeur par les sociologues à la suite de Max Weber, a été observée dans les grandes villes : le patriciat, pouvant déléguer ses tâches de gestion domestique ou d’entreprise commerciale, se consacrait alors presque exclusivement au fonctionnement de la ville, plus précisément, à la construction de sa richesse, de son image et de son prestige vis à vis des autres villes. Dans celles de l’Oberrhein, la plupart des conseillers, viticulteurs, se consacraient au travail de leurs vignes accaparant tout au long de l’année. L’horizon politique s’élargissait lors des marchés et des foires au cours desquels ils écoulaient leur vin aux bourgeois des villes voisines tout en échangeant des services et discutant de problèmes délicats de politique extérieure ou de parité de monnaies.
208Professionnel de la mémoire politique et doté de compétences techniques, le Stadtschreiber, secrétaire général des villes, jouait un rôle de continuum dans la vie politique, alors que les conseillers et les Bürgermeister changeaient au rythme de tous les trimestres dans certaines villes. Les compétences de ces « pivots » de la vie administrative dépassaient parfois leur cité, puisqu’il n’était pas rare de les voir passer d’une ville à l’autre390.
209Au-delà de l’administration, abandonnée progressivement aux villes contre dédommagement par le souverain, l’enjeu restait l’exercice de la justice (et ses profits) rendue par le Schultheiβ, son représentant. Dans ce domaine, les villes obtenaient aussi gain de cause. Dans leurs statuts, un des privilèges accordés consistait à choisir le Schultheiβ parmi les bourgeois. Ce personnage représentant l’empereur jouait un rôle capital surtout quand la commune n’était pas en état de soutenir un rapport de force. Choisi au sein de la communauté des bourgeois, la ville pouvait espérer son soutien. Au cœur des tensions entre l’empereur et ses villes, ou pire encore, des dissensions internes entre nobles, prenant parti pour ou contre la ville, le Schultheiβ exerçait une fonction ambivalente, difficile et souvent inopérante pour le maintien de la paix publique. Or cet idéal de paix restait si prioritaire que pour y parvenir le Schultheiβ essayait de s’allier au corps de ville, appelé plus tard, le magistrat391. Progressivement, à partir de la première moitié du XIVe siècle, l’évolution vers un changement plus radical se fit jour. Le Schultheiβ se fit doubler par un représentant des bourgeois, magister civium ou Bürgermeister (à Colmar dès 1296). Enfin, troisième étape, le conseil et les maîtres des métiers prirent le relais de fait, puis, de droit, en rachetant la charge, au XVe siècle.
210Outre leur gouvernement et l’exercice de la justice, la souveraineté des villes s’exprimait aussi par leur faculté à percevoir les taxes et gérer leur fiscalité. Les documents de la pratique font défaut avant le XIVe siècle pour connaître les techniques de gestion urbaine qui supposaient continuité, mémoire et légitimation. Mais les textes réglementaires ou quelques listes permettent d’apprécier les facultés contributives. Dans ces secteurs, on devine la concurrence d’intérêt entre l’empereur et les représentants de la ville. Le pouvoir du Schultheiβ s’étendait à toutes les prestations dues par la ville à l'empereur. Au paiement des impositions dites ordinaires (Reichssteuer)392 ou extraordinaires s’ajoutaient la taxe sur les Juifs, la livraison de vin, d’armes ou d’objets de luxe nécessaires à la cour itinérante, pire encore pour l’économie d’une petite ville, son gîte et son couvert. Dans les dépenses de la ville de Colmar, les séjours impériaux ne passaient pas inaperçus. La turbulence urbaine contre ces impositions impériales ou ces ponctions extraordinaires explosait d’ailleurs à l’état endémique. En 1284, Otton d’Ochsenstein, grand bailli impérial, fit savoir aux Colmariens qu’une taxe exceptionnelle allait être levée sur leurs biens immobiliers. La ponction fiscale de l’année atteignant déjà 30 000 livres, les futurs imposés, après avoir cherché appui auprès d’autres villes également « maltraitées », s’insurgèrent en brûlant de façon symbolique un village des Habsbourg, Deinheim, situé dans leur banlieue. L’empereur Rodolphe, en personne, fit le siège de Colmar. Tout rentra dans l’ordre, c’est-à-dire que les Colmariens durent payer. La perception des taxes indirectes se partageait dans la plupart des villes : un tiers de l'Ungeld (taxation portant sur les transactions) à l’empereur, deux tiers à la ville.
211L’économie urbaine a trouvé en quelque sorte sa consécration par l’octroi du droit régalien de battre monnaie. La ville de Colmar, par exemple, pouvait pratiquer le monnayage avant 1376, date à laquelle Charles IV a renouvelé le privilège393. Toutefois, ni avant ni après cette date, la frappe monétaire ne semble avoir été pleinement exploitée, sauf à fabriquer des piécettes de peu de valeur. En 1300, les habitants d’Uri payaient leurs rentes à Colmar « en mauvais Rappen394 colmariens plutôt qu’en bons Pfennig de Zürich »395. Les préoccupations majeures de la ville, dans ce domaine, concernaient la parité avec les autres monnaies, la strasbourgeoise et la bâloise.
212Si les facultés contributives des villes impériales étaient largement sollicitées par les impositions réputées extraordinaires, plus catastrophiques encore apparaissaient les engagements396. Les droits et revenus d’une ville, tout ou partie, étaient abandonnés au créancier qui les percevaient directement, jusqu’à extinction de la dette impériale. En 1251, Kaysersberg et Brisach étaient engagées à Rodolphe de Habsbourg contre Rheinfelden « sous réserve des droits de l’évêque de Bâle ». En 1324, Neuenburg, Colmar, Sélestat, Mulhouse et Brisach formaient un lot engagé à Ulrich de Ribeaupierre. Munster fut engagée en 1330 à Jean de Bohême. Les contemporains pouvaient-ils évaluer ce que « rapportait » telle ville ou le montant à percevoir, arbitraire, déterminait-il la somme exigée ? Les villes impériales, par la pratique de l’engagement, et forcées par l’Empire (vom Reich gedrängt), retrouvaient la situation de dépendance des villes seigneuriales. Les inconvénients dépassaient largement le seul domaine fiscal et constituaient des limites au champ d’initiatives économiques et surtout commerciales. Les possibilités d’agrandir leur territoire par achat ou par créances s’en trouvaient affectées. Chère autonomie !
213Or, l’intérêt majeur que les villes impériales pouvaient tirer de l’immédiateté était justement de bénéficier d’une (relative) autonomie leur permettant de constituer leurs territoires397, glacis de protection, réservoir humain et terroirs d’exploitation. Dans la partie alsacienne de l’Oberrhein, peu de villes ont réussi cette extension vitale qui aurait constitué un troisième facteur d’autonomie. Il s’agit là d’un point de différence essentiel d’avec les princes qui, peu ou prou, comme les Ribeaupierre ou plus tard les Habsbourg, enracinaient leur politique dans des emprises territoriales lisibles. Là encore l’Oberrhein offrait une particularité par rapport à d’autres régions de l’espace germanique ou d’autres pays398, où les villes s’organisaient avec leurs territoires.
214L’exercice de véritables droits de souveraineté (Hoheitsrechte) sur le ban pouvait assurer ce glacis protecteur indispensable au développement économique. À l’époque considérée, les villes étaient-elles seigneurs du sol et des hommes ? Quelle justice pouvaient-elles exercer ? Avaient-elles des droits de patronage sur les églises ? Ces droits pouvaient être exercés par des institutions comme les hôpitaux ou par les bourgeois eux-mêmes. La propriété au sens juridique du terme restait, pour toutes les villes impériales, même en dehors de la région particulière de l’Oberrhein, exceptionnelle399.
215L’apport démographique en provenance des campagnes, indispensable au renouvellement de la population urbaine fragile, n’est documenté qu’à partir des XIVe ou XVe siècles. À Colmar, par exemple, les nouveaux bourgeois se recrutaient dans un cercle n’excédant pas quinze kilomètres400. Avec toutes les réserves méthodologiques qui s’imposent, on peut donner un ordre de grandeur de certains bans401. Le plus important était celui de Colmar avec soixante-huit hectares, Sélestat quarante-quatre, Mulhouse trente-trois, Turckheim dix-sept, Kaysersberg à peine dix. Pour Brisach, la charge de Schultheiβ comprenait aussi quelques villages dans un rayon de huit kilomètres (Hoch-et Nierderrimsingen, Achkarren, etc.). Il y a forte présomption pour penser que le ban de la ville englobait au moins cet espace avant de passer directement à l’Autriche en 1369.
216Un élément essentiel pour l’acquisition de ces territoires semble avoir été les hôpitaux municipaux. Ce problème, dont l’étude se trouve bien engagée pour le Luxembourg par Michel Pauly402 et pour la Lorraine par Jean-Luc Fray403, reste difficile à résoudre dans l’Oberrhein faute de sources suffisantes. Seules quelques dates attestent de l’existence de tels établissements mais leur fonctionnement, leur politique en lien avec celle de la ville, leur interférence avec le territoire urbain ou même leur poids économique restent inconnus. A Fribourg, dont la constitution du territoire urbain fut pourtant tardive selon Berent Schwineköper404, l’hôpital figurait déjà dans le Stadtrodel de 1220 et dès l’origine, tous les règlements hospitaliers étaient pris par le conseil. Destiné aux seuls bourgeois, l’hôpital dut être doublé au début du XIVe siècle par celui du Saint-Esprit pour accueillir d’autres citadins405. L’hôpital colmarien également dédié au Saint-Esprit est attesté depuis 1255406, l’hôpital de Sélestat apparaît dans les documents entre 1280-1294. Celui, toujours du Saint-Esprit, de Neuenburg, mentionné en 1281, témoigne de l’activité de la ville en tant que pôle d’attraction. Mulhouse n’offre, de façon surprenante, aucune trace d’établissement hospitalier avant le début du XIVe siècle407, alors que l’enceinte terminée vers 1224 abritait une population estimée à un millier d’habitants et que les Johannites et les Teutoniques, dévoués au soin des malades, s’étaient installés dès le début du XIIIe siècle. À Brisach, la même absence de sources ne fait apparaître l’hôpital (du Saint-Esprit) qu’en 1370 au moment où il passa sous la surveillance du magistrat. Était-il antérieur et de combien, à cette date ?
217La nécessaire autonomie économique et politique passait par l’exploitation d’un ban de grande ampleur, terres et hommes. Les Reichsstädte de l’Oberrhein drainaient et exportaient les productions viticole, céréalière, fruitière ou forestière de leur arrière-pays408, sans compter l’élevage en pleine expansion. D’après les règlements municipaux de Colmar, par exemple, jusqu’au milieu du XIVe siècle, le foin coupé dans la zone de ried (pâturage humide) de la banlieue devait être exposé trois jours en place publique avant d’être engrangé409. Une évidente richesse se lit dans les investissements familiaux, les constructions ou les œuvres d’art, ainsi que dans les aménagements urbains à une époque plus tardive. Mais accumulation de richesses ne signifiait pas, on l’a vu, richesse (et gestion) urbaine.
218Ce chapitre se termine avec l’évocation synthétique des villes, dans leur implantation et leur fonctionnement intérieur, qui les plaçaient au rang de troisième force, dans la géographie des pouvoirs politiques. Il restera à analyser ce qui constituait leur caractéristique en 1250 et 1350 : leur fonctionnement en réseau410 qui joua le rôle de véritable laboratoire à la conscience urbaine, et qui, par l’émergence d’entités nombreuses et solidaires, a retardé d’un siècle la territorialisation princière.
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219La géographie des pouvoirs implantés dans l’Oberrhein présente plusieurs caractéristiques : la densité à grande échelle, la complexité à petite échelle et l’emprise diversifiée. Ancrée dès le haut Moyen Âge dans la région et prédominante dans la possession des terroirs fertiles, la double puissance royale et ecclésiastique a configuré en grande partie la dévolution des terres et des droits. La présence active des Staufen, princes territoriaux et souverains, a stimulé la dynamique et la mise en valeur de terroirs et de lieux d’échanges (axes de circulation nombreux et centres urbains) en contre-partie d’une délégation importante de droits conférant à leurs détenteurs l’autorité publique dans leur territoire. L’Interim, ouvert à partir de 1250 pour plus de vingt années, a constitué une opportunité politique saisie par les principaux pouvoirs en place pour consolider de fait puis de droit leur autonomie. Aucun d’entre eux, cependant, n’a pu s’imposer et entreprendre la construction d’un espace territorial unique. Pourtant, avant 1262, dans ce puzzle de l’Oberrhein, l’évêque de Strasbourg apparaît dans sa stratégie de puissance comme un gagnant potentiel. Implanté dans un vaste territoire autour de Rouffach, disposant de droits et de biens dans les différentes villes, maître principal dans le nord de l’Alsace et l’Ortenau, sur la rive droite du Rhin, ce prince ecclésiastique d’Empire disposait d’atouts indéniables. Le nombre et la puissance cumulée de ses concurrents ont stoppé cette dynamique d’emprise politique lors de la fameuse bataille d'Oberhausbergen en 1262. Les villes manifestèrent à cette occasion leur pouvoir aux côtés des Habsbourg et d’autres princes. L’abbé de Murbach ne semble pas avoir déployé d’autre stratégie que celle de son prestige, d’autre tactique que celle du profit retiré de passages stratégiques et de la dynamique urbaine, en recentrant son territoire. L’abbaye a privilégié son implantation alsacienne. Parmi les princes laïques, les Ribeaupierre ont également joué la carte d’un pouvoir centré autour de leurs châteaux et de leur triple ville, Ribeauvillé, cœur d’un vignoble renommé. Pas de volonté d’expansion susceptible de tenir une grande région, même si les relations diplomatiques ou familiales dépassaient les Vosges vers la Lorraine. En revanche, les Habsbourg, s’appuyant sur des possessions et des ambitions extérieures à la région, ont déployé toute une stratégie à long terme de petits pas. L’accumulation de droits et de biens dispersés mais judicieusement implantés les rendait présents partout et quand l’opportunité d’un ensemble territorial construit s’est offerte avec la succession des Ferrette en 1324, le fruit politique était mûr pour qu’ils deviennent les maîtres. Dans la cour des grands se sont introduit les villes. Dotées de pouvoirs régaliens, elles ont poussé ensemble et ont progressivement imposé leur politique grâce à l’attraction de leur richesse. Leur tactique et leur stratégie de pouvoir se sont mises en place par la construction d’une force commune, en réseau. Cette organisation particulière sera présentée comme le nec plus ultra des caractéristiques de l'Oberrhein. À tous ceux qui ont tenu un rôle de vedette à un moment ou à un autre entre 1250 et 1350, il faut ajouter ces familles ou établissements ecclésiastiques plus modestes mais bien présents qui ont contribué à faire du tissu politique de l’Oberrhein une trame serrée et fermement accrochée au vignoble. Toute cette géographie des pouvoirs s’articule, en effet, sur une géographie des terroirs et de leur exploitation.
Notes de bas de page
1 J. D. Schœpflin, Alsatia illustrata..., op. cit. Traduction de Ravenez, L'Alsace illustrée..., op. cit. p. 19.
2 L'œuvre d’érudition immense de Schœpflin offre un bel exemple de cette séduction opérée par un puzzle politique dont on veut donner toutes les pièces. Dans une perspective de droit public, Schœpflin a établi (avec les données disponibles à son époque) un catalogue des pouvoirs en place dans une chronologie si large qu’elle s’en trouve presque gommée. Les seigneuries de « l’Alsace germanique » occupent le tome quatre de la traduction : celle de Thann (juridiction des Habsbourg, prévôtés et mairies), la ville d’Ensisheim, la seigneurie d’Issenheim, Staffelfelden, bourg et château, Hattstatt et Vœglingshofen (alleux de Schwartzenberg sur la rive droite du Rhin offerts à l’évêque de Strasbourg, puis vendus aux Habsbourg, cédés en fief aux Hattstatt), Eguisheim château et cinq villages, comté d’Eguisheim, comté de Horbourg et seigneurie de Riquewihr, Mundat de Rouffach, territoire de l’abbaye de Murbach, seigneurie de Landsberg (engagée aux Ribeaupierre puis cédée aux Habsbourg), seigneurie des Ribeaupierre, etc. L’énumération, fort longue et complexe, fait apparaître la multiplicité des pouvoirs qui s’imbriquaient, se transformaient, disparaissaient de la documentation pour réapparaître sous d’autres formes.
3 M. Parisse, « Désintégration et regroupements territoriaux dans les principautés lotharingiennes du XIe au XIIIe siècle », in Zwischen Gallia und Germania, Frankreich und Deutschland. Konstanz und Wandel raumbestimmender Kräfte, Trèves, 1987 (Trierer Historische Forschungen, 12), p. 155-180.
4 M. Schaab, « Grundlagen und Grundzüge der pflälzischen Territorialenentwicklung 1156-1410 », Geschichtliche Landeskunde, 10 (1974), p. 1-21. Id., « Die Festigung der pfälzischen Territorialmacht im 14. Jahrhundert », in H. Patze (éd.), Der deutsche Territorialstaat im 14. Jahrhundert, t. 2, Sigmaringen, 1971 (VuF, 14), p. 171-197. P. Moraw, « Die kurfürstliche Politik der Pfalzgrafschaft im späten 14. und im frühen 15. Jahrhundert », Jahrbuch für westdeutsche Landesgeschichte, 9 (1983), p. 75-97.
5 R. Merkel, Studien zur Territorialgeschichte der badischen Markgrafschaft in der Zeit vom Interregnum bis zum Tode Markgraf Bernhards I (1250-1431) unter besonderer Berücksichtigung des Verhältnisses der badischen Markgrafen zu den Bischöfen von Strasssburg und Speyer, Dissertation, Fribourg, 1953.
6 Exemple le plus éloquent de l’organisation à partir de Louis II (mort en 1294) d’un véritable État avec chancellerie, produisant des actes en allemand (1311), et appareil administratif. P. A. Srinkart., Kanzlei, Rat und Urkundenwesen der Pfalzgrafen bei Rhein unter den Herzogen von Bayern, 1294-1314, Cologne-Vienne, 1986.
7 Johann der Blinde. Graf von Luxemburg, König von Böhmen, 1296-1346, Luxemburg, 1997 (Publications du CLUDEM, 14).
8 Pour la fin du Moyen Âge, E. Schubert, Fürstliche Herrschaft und Territorium im späten Mittelalter, Munich, 1996 (Enzyklopädie deutscher Geschichte, 35).
9 H. Büttner, Geschichte des Elsaβ..., op. cit., p. 71. La vallée de la Fecht fera l’objet d’une donation à l’origine de l’abbaye de Munster.
10 X. Mossmann, « Les regestes du prieuré de Saint-Pierre à Colmar », Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments historiques d'Alsace, 16 (1893), p. 110-133. Ibid., 17 (1895), p. 34-56. A. Scherlen, Winzenheim. Geschichte der Gemeinde, Colmar, 1929 (Saint-Gilles p. 40-50). À l’occasion du sauvetage récent de la chapelle et la mise en valeur de fresques, une plaquette a été réalisée reprenant l’essentiel des informations au demeurant fort lacunaires : Saint-Gilles de Wintzenheim, prieuré puis domaine des Hanhart et de leur postérité Graff. 1148-1777-1815, Riquewihr, 1994.
11 La première mention est de 1148.
12 Ce premier noyau de la ville de Colmar se situait au sud de l’enceinte construite au XIIIe siècle, non loin de la Lauch, et s’opposait au deuxième noyau constitutif de la ville, le Niederhof autour de Saint-Martin appartenant à l’abbaye de Munster pour une part et au chapitre de Constance pour une autre.
13 Ermite vivant au VIe ou VIIIe siècle près de Nîmes dont la légende contient des épisodes avec biches ou cerfs. Ce saint (mais il n’était pas le seul !) aurait-il été choisi pour son biotype forestier qui était aussi celui de ce prieuré ?
14 Aujourd’hui disparu. Le prieuré connut un certain développement puisque, au moins à trois reprises jusqu’au XVe siècle, le prieur de Saint-Gilles fut nommé visiteur d’autres maisons rattachées à l’ordre de Cluny. G. Charvin, Statuts, chapitres généraux et visites de l’Ordre de Cluny, Paris, 1965.
15 Schultheiβ de Haguenau 1215-1237. Traduit par prévôt, bailli ou écoutète, dans une ville, le Schultheiβ (scultetus) est celui qui ordonne (heiβen) ce qui est dû (schuld).
16 Phénomène surtout marquant dans de vastes ensembles à l’est, comme la Thuringe, le Brandebourg, la Lusace ou la Bohême.
17 J. Schneider, « Le problème des principautés en France et dans l’Empire (Xe-XVe siècles) », in Actes du 103e Congrès national des Sociétés Savantes, Nancy-Metz, 1978, p. 9-39. J. Favier (dir), Histoire de France, t. 2, Le temps des principautés, Paris, 1984. L. Génicot, « Noblesse et principautés en Lotharingie du XIe au XIIIe siècle » in L. Génicot, Études sur les principautés lotharingiennes. Recueil de travaux d'histoire et de philologie, Louvain, 1975, p. 39-58. M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale. Les familles nobles du XIe au XIIIe siècle, Nancy, 1982. W. Reichert, Landesherrschaft zwischen Reich und Frankreich. Verfassung. Wirtschaft und Territorialpolitik in der Grafschaft Luxemburg von der Mitte des 13. bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts, Trèves, 1993 (Trierer historische Forschungen, 24). R. Sablonier, Adel im Wandel. Eine Untersuchung zur sozialen Situation des ostschweizerischen Adels um 1300, Göttingen, 1979. H.K. Schulze, Adelsherrschaft und Landesherrschaft. Studien zur Verfassungsund Besitzgeschichte der Altmark, des ostsächsischen Raumes und des hannoverschen Wendlandes im hohen Mittelalter, Cologne-Graz, 1963.
18 Leur exceptionnelle étendue par rapport aux autres terres germaniques a été soulignée par plusieurs auteurs : G. Bührer-Thierry, Evêques et pouvoir dans le Royaume de Germanie. Les églises de Bavière et de Souabe 876-973, Paris, 1997, p. 24, 29, 31. H. Büttner, Geschichte des Elsaβ..., op. cit., p. 48, 70 et suiv.
19 T. Zotz, « Grundlagen und Zentren der Königsherrschaft im deutschen Südwesten in karolingischen und ottonischen Zeit », in Archäologie und Geschichte..., op. cit., p. 277.
20 MGH Const. II (Friderici II) 73, Privilegium in favorem principum ecclesiasticorum (p. 86-91). MGH Const. II (Friderici II) 304, Constitutio in favorem principum (p. 418-420). Les principaux éléments de ces textes seront repris dans la suite de ce travail.
21 D. Hägermann, « Regalien, -politik, -recht », Lex. Μ. 7 (1995), col. 556-558.
22 En 1158, à Roncaglia, quatre docteurs ès lois de Bologne et 28 judices de diverses villes italiennes mirent au point la notion de regalia, dans sa conception la plus large. MGH Const. I (Friderici I) 175-178, Curia Roncaliae, 175 : definitio regalium. Regalia sunt hec : Arimannie, vie publice, flumina navigabilia, et ex quibus fiunt navigabilia, portus, ripatica, vectigalia que vulgo dicuntur tholonea, monete, mulctarum penarumque compendia, bona vacantia, et que indignis legibus auferuntur, nisi que spetialiter quibusdam conceduntur, et bona contrahentium incestas nuptias, et dampnatorum et proscriptorum secundum quod in novis constitutionibus cavetur, angariarum et parangariarum et plaustrorum et navium prestationes, et extraordinaria collatio ad felicissimam regalis numinis expeditionem, potestas constituendorum magistratuum ad justitiam expediendam, argentarie, et palatia in civitatibus consuetis, piscationum redditus et salinarum, et bona committentium crimen majestatis, et dimidium thesauri inventi in loco cesaris, non data opera, vel in loco religioso : si data opera, totum ad eum pertinet.
23 Cour avec une assemblée judiciaire = ding. Cette question sera reprise dans le chapitre 2 sur les terroirs.
24 Sur l’axe de circulation Strasbourg-Colmar, près de Ribeauvillé. Il en sera question avec les Ribeaupierre. Bibliographie et références seront données alors.
25 Appelée « cour humide » (nasser dinghof) car on servait à boire pendant les réunions du tribunal. La cour de Bas-Guémar était sèche (trockener dinghof).
26 Ces marches communautaires servaient au pâturage du bétail. Voir carte en annexe.
27 C. D. Schott et H. Romer, « Immunität », Lex. Μ. 5 (1991), col. 390-392. F.L. Ganshof, « L’immunité dans la monarchie franque », in Les liens de vassalité et les immunités, Recueil de la Société Jean Bodin, t. 1, 2e éd. 1958, p. 171-216. E. E. Stengel, Die Immunität in Deutschland bis zum Ende des 11. Jahrhunderts, Innsbruck, 1910.
28 Du latin immunis ou munus = service, charge, cadeau.
29 Origine du terme mundat en usage dans l’évêché de Strasbourg, comme nous le verrons.
30 L’évêque de Bâle possédait des fidélités, des droits, et surtout des mines.
31 M. Parisse (dir.), De la Meuse à l’Oder. L'Allemagne au ΧIIIe siècle, Paris, 1994, p. 82-83.
32 H. Dubled, « L’avouerie des monastères en Alsace au Moyen Âge VIIIe-XIIe siècles », Archives de l’Église d'Alsace, IX (1959), p. 1-88, « L’avouerie des monastères en Alsace au Moyen Âge XIIIe-XVe siècles », Ibid, XIV (1964), p. 64-141.
33 Ils détenaient l’avouerie de fondation pour Ottmarsheim, 1045. La plus importante était celle du Haut-Mundat, terre épiscopale de l’évêque de Strasbourg autour de Rouffach. Ils avaient aussi l’avouerie de Wattwiler et du Val de Saint-Amarin, dépendant de Murbach.
34 C. Wilsdorf, « Un domaine dans la première moitié du XIIIe siècle : la cour du comte de Woffenheim d’après son coutumier », in Histoire rurale de l’Alsace..., op. cit., p. 101-112.
35 M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte zur Zeit der Zähringer. Rekonstruktion der verlorenen Urkunden und Aufzeichnungen des 12. und 13. Jahrhunderts, 2 vol., Fribourg-Würzburg, 1991 (Veröff. aus dem Archiv Freiburg in Brisgau, 27), p. 53, p. 459.
36 Dans l’espace étudié et avant 1350 : Sélestat, Kaysersberg, Turckheim, Munster, Brisach, Colmar, Neuenburg, Mulhouse.
37 La recherche allemande s’intéresse beaucoup à ces itinéraires royaux et aux résidences : H. C.Peyer, « Das Reisekönigtum des Mittelalters », VSWG, 51 (1964), p. 1-21. Cartes dans la partie de H. M. Schwarzmaier, « Das Königsgut in karolingischer, ottonischer und salischer Zeit », in Historischer Atlas von Baden-Württemberg..., op. cit., V, 2, p. 1-12.
38 Cette hypothèse a déjà été émise pour d’autres régions et nous y reviendrons dans le chapitre 2 consacré aux terroirs.
39 Cf. cartes de H. M. Schwarzmaier, « Königsaufenthalte und Pfalzorte im deutschen Südwesten », in Historischer Atlas von Baden-Württemberg.... op. cit., V, 2, p. 9.
40 Die Zeit der Staufer. Veröff. zur Staufer-Ausstellung, 4 vol., Stuttgart, 1977.
41 Cf carte de F. X. Vollmer, « Stauferbesitz um 1240 », in Historicher Atlas von BadenWürttemberg... op. cit., V, 4, p. 7, sur laquelle apparaissent les localités réunissant les fonctions administratives et patrimoniales. A. Meister, Die Hohenstaufen im Elsaβ. Mit besonderer Berücksichtigung des Reichsbesitzes und des Familiengutes derselben im Elsaβ 1079-1255, Strasbourg, 1890. H. Werlé, « Staufische Hausmachtpolitik am Rhein im 12. Jahrhundert » ZGO 110 (1963), p. 241-370.
42 W. Hotz. Pfalzen und Burgen der Stauferzeit. Geschichte und Gestalt, Darmstadt, 1981.
43 Otto von Freising, Gesta Friderici, F. J. Schmale (éd.), Darmstadt, 1974, p. 152.
44 Frédéric Barberousse est passé 40 fois dans l’Oberrhein en y datant des actes. Sur 1200 pièces de sa chancellerie, 38 concernaient l’Alsace et il y a séjourné deux ou trois ans en 28 séjours d’un ou deux mois. J. Y. Mariotte, Les Staufen en Alsace..., op. cit., p. 50-51.
45 K. Bosl Die Reichsministerialität der Salier und Staufer, 2 vol., Stuttgart, 1950-51 (Schriften der MGH, 10). Id., « Die Reichsministerialität als Element der mittelalterlichen deutschen Staatsverfassung im Zeitalter der Salier und Staufer », in K. Bosl., Frühformen der Gesellschaft im mittelalterlichen Europa. Ausgewählte Beiträge zu einer Strukturanalyse der mittelalterlichen Welt, Munich-Vienne, 1964, p. 326-355. L. Fenske, « Ministerialität und Adel im Herrschaftsbereich der Bischöfe von Halberstadt während des 13.Jahrhunderts », in J. Fleckenstein (dir.), Herrschaft und Stand. Untersuchungen zur Sozialgeschichte im 13. Jahrhundert, Göttingen, 1979, p. 157-206. Ibid., J. Fleckenstein, « Die Entstehung des niederen Adels und Rittertum », p. 17-39. Ibid., W. Rösener, « Ministerialität, Vasallität und niederadelige Ritterschaft im Herrschaftsbereich der Markgrafen von Baden vom 11. bis zum 14. Jahrhundert », p. 40-91. V. Rödel, Reichslehnswesen, Ministerialität, Burgmannschaft und Niederadel. Studien zur Rechtsund Sozialgeschichte des Adels in den Mittel-und Oberrheinlanden während des 13. und 14. Jahrhunderts, Darmstadt-Marbourg, 1979 (Quellen und Forschungen zur hessischen Geschichte, 38). Id., Guerrier-chevalier-noble. La basse noblesse rhénane au Moyen Age. Développement et activités. Catalogue d'exposition organisé par les Archives du Land de Rhénanie-Palatinat, Coblence, 1993. (Le chapitre concernant la ministérialité a été rédigé par Michel Parisse). H. Dubled, « Quelques réflexions sur les « ministeriales » en Alsace », Archives de l’Église d'Alsace, 3 (1949-50), p. 375-382. H. W. Klewitz, Geschichte der Ministerialität im Elsaβ bis zum Ende des Interregnums, Francfort, 1929 (Schriften des wissenschaftlichen Instituts der ElsaβLothringen im Reich an der Universität Franckfurt, 8).
46 V. Rödel. Guerrier-chevalier-noble..., op. cit., p. 21.
47 La thèse d’Etat de Georges Bischoff, soutenue le 6 janvier 1997 à Strasbourg, apporte des éléments décisifs sur la noblesse ainsi que les travaux systématiques de Bernhard Metz sur les mottes de plaine (les châteaux de montagne étant mieux connus) qui étaient l’œuvre de ces sires.
48 O. P. Clavadetscher, « Nobilis, edel, fry », in H. Beumann (éd.). Historische Forschungen für Walter Schlesinger, Cologne-Vienne, 1974, p. 242-251. K. F. Werner, « Adel », Lex. Μ. 1 (1980), col. 118-126. La hiérarchie nobiliaire ne fut théoriquement organisée qu’au XIIIe siècle par le juriste Eike von Repgow. Son fameux Heerschild organise comme les boucliers à la bataille les 6 ou 7 (variable selon les coutumiers, correspondant aux 7 âges du monde) échelons d’une pyramide composée de tous ceux qui peuvent convoquer des vassaux. 1 : souverain. 2 : princes ecclésiastiques. 3 : princes laïcs : ducs, margraves ou comtes palatins. 4 : comtes et sires sans titres (edelfrei), sires (herren). 5 : nobles dignes d’êtres échevins (schöffenbare ou mittelfreie). 6 : chevaliers (ritter), écuyers (knecht) ou ministériaux. 7 : ministériaux ou personne ? (hésitation des coutumiers).
49 Cette puissante famille dominait essentiellement le Sundgau qui représentait une véritable principauté. Les limites nord de la seigneurie effleuraient la zone étudiée (Staffelfelden, Thann, Cernay) mais leur présence était attestée à Ensisheim, Guebwiller, Rouffach, Colmar et Ammerschwihr. En plus d’avoueries à Thann, Murbach et Ammerschwihr, ils tenaient aussi quelques châteaux : Wildenstein, Eguisheim, Hohenack et Wineck. C. Wilsdorf Histoire des comtes de Ferrette (1105-1324). Altkirch, 1991. On sait que Jeanne de Ferrette, seule héritière, épousa en 1324 Albert le Sage, archiduc d’Autriche, apportant en dot aux Habsbourg une principauté territoriale de première importance dans l’Oberrhein. G. Bischoff, « Le Sundgau des Habsbourg : une esquisse historique », BSIM, 3 (1984), p. 69-85.
50 La seigneurie de Horbourg (sur l'Ill, à proximité de Colmar) est attestée au XIe siècle avec Cuno. Elle comprenait une bonne dizaine de villages, dont Wihr-en-plaine, fief de l’évêque de Strasbourg. A ces villages relativement regroupés autour de leur château de Horbourg (détruit en 1162 par Hugues d’Eguisheim-Dabo) s’ajoutaient sept autres, dans leur seigneurie de Riquewihr où ils se trouvaient en compétition avec les Ribeaupierre. En 1324 Walther et Burckard, sans héritiers, vendirent l’ensemble pour 4 000 marks d’argent à Ulrich de Wurtemberg (qui le conserva jusqu’à la Révolution française). T. Schœll, « Le comté de Horbourg. Les 11 villages », Revue d'Alsace, 1895, p. 98-110 ; id., « La seigneurie de Riquewihr », p. 366-392 ; id., « Ulrich et Christophe. Georges et Frédéric », p. 466-481.
51 Au nord de Rouffach dans le Haut-Mundat de l’évêque de Strasbourg. Citée avant 1188 et centrée sur un château à Hattstatt, il s’agit d’une des plus anciennes familles à posséder un sceau équestre au XIIIe siècle. En 1299 Conrad Werner céda ses droits à l’évêque de Strasbourg qui les lui remit en fief. Disposant comme l’évêque de l’immunité, les Hattstatt partageaient avec lui la haute justice. V. Feller-Vest, Die Herren von Hattstatt. Rechtliche, wirtschaftliche und kulturgeschichtliche Aspekte einer Adelsherrschaft (13. bis 16. Jahrhundert), Berne-Francfort, 1982 (Europäische Hochschulschriften Reihe 3, Geschichte und Hilfswissenschaften, 168).
52 H.W. Hermann, « Dagsburg », Lex. M. 3 (1986), col. 431. Très influente dans le nord de l’Alsace (avoueries de Altdorf, Erstein Andlau) et en Lorraine (protectorat de Metz c’est-à-dire comtes de Metz, et d’autres églises), la famille apparaît moins dans l’Oberrhein étudié si ce n’est en tant que détentrice de l’avouerie de Saint-Pierre de Colmar et par l’agitation du comte Hugues qui, profitant de l’absence en Italie de Frédéric, s’allia avec les Zähringen contre les Horbourg, fidèles au souverain.
53 C. Brun, Geschichte der Grafen von Kyburg bis 1264. Philosophische Dissertation, Zurich, 1913. Die Grafen von Kyburg. Kyburger-Tagung 1980 in Winterthur, Olten, 1981 (Schweizer Beiträge zur Kulturgeschichte und Archäologie des Mittelalters, 8). R. Sablonier, « Kyburgische Herrschaftsbildung im 13. Jahrhundert », in Die Grafen von Kyburg..., op. cit., p. 39-52.
54 H. Büttner, Egino von Urach-Freiburg, der Erbe der Zähringer, Ahnherr des Hauses Fürstenberg, Donaueschingen, 1939 (Veröff. aus dem Fürstlich Fürstenbergischen Archiv, 6). H. Jänichen, « Die Grafen von Urach », Alemannisches Jahrbuch, 1976-78, p. 1-15.
55 En conflit avec les Zähringer et la ville de Fribourg, la seigneurie se scinda en 1290 entre la partie sud comprenant le Kaiserstuhl dont la capitale choisie par Hesso fut Endingen (ville 1295) et la partie nord autour de Kenzingen fondée en 1249 par Rudolf II et dotée du droit de Fribourg. Les Eguisheim ne sont pas mentionnés car ils ont disparu en 1225.
56 H. Hansjakob, Die Grafen von Freiburg im Breisgau im Kampfe mit ihrer Stadt, Zurich, 1867.
57 Dans le cadre de l’Institut de Landesgeschichte, Ansel-Mareike Andrae-Rau travaille sur les Üsenberg et Eva-Maria Butz sur les comtes de Fribourg. La publication de leurs travaux apportera beaucoup à l’état des connaissances actuelles de la géographie politique de la région. D’après leurs recherches, les Üsenberg, dépendants de l’évêque de Bâle dès le XIe siècle, très liés aux abbayes d’Einsiedeln et Andlau, ont connu leur apogée entre 1250 et 1350. A.M. Andrae-Rau, Der Anfall des Territoriums der Üsenberger an die Habsburger, article à paraître. Quant aux comtes de Fribourg, leur richesse tirée des mines d’argent leur ont valu un prestige considérable au XIIIe siècle sanctionné par leur alliance avec les Lichtenberg.
58 H. Dubled, « L’écuyer en Alsace au Moyen Âge », Revue d’Alsace, 92 (1953), p. 47-56.
59 Le clivage entre libre et non-libre selon François-Louis Ganshof n’est pas opérationnel. Il convient d’envisager la liberté « comme une propriété hautement graduelle (du plus libre au moins libre) ». Cf L'Allemagne au XIIIe siècle..., op. cit., p. 114.
60 Vassaux exclusifs ou ledich mann. Onze familles bénéficiaient de cette position. Ces vassaux devaient assurer la défense de l’abbaye et occupaient des fonctions administratives ou judiciaires importantes. G. Bischoff, Recherches sur la puissance temporelle de Murbach (1299-1525), Strasbourg, 1975, p. 73.
61 J. Becker, « Die Wirksamkeit und das Amt der Landvögte des Eisass im 14. Jahrhundert » ZGO, X (1895), p. 321-360.
62 D’après Bernhard Metz et Georges Bischoff, la noblesse locale arriva à maturité vers 1300. Les derniers résultats ne sont pas encore publiés. On se reportera à B. Metz, « Les mottes castrales en Alsace. Quelques compléments », Revue d'Alsace, 113 (1987), p. 57-79.
63 Voir carte, Les principaux princes territoriaux de l'Oberrhein au XIIIe siècle, en annexe.
64 G. Seith, Die rechtsrheinischen Gebiete des Bistums Basels und ihr Übergang an Baden. Diss. jur. Fribourg, 1950. J. E. Lichdi, « Bistum Basel und zähringische Herrschaftsbildung in der Freiburg Bucht », Schau-ins-Land, Zs des Breisgau-Geschichtsvereins, 110 (1991), p. 7-63. B. M. von Scarpatetti, « Politische Präsenz und Grunsherrschaft des Bistums Basel am südlichen Oberrrhein », Führer zu vor-und frühgeschichtlichen Denkmälern, 47 (1981). Voir carte en annexe.
65 Geschichte der Stadt Freiburg..., op. cit., p. 327-330.
66 Depuis le milieu du XIIIe siècle, la lutte était âpre entre l’évêque et la ville de Strasbourg au sujet des communaux, des droits de justice et de la réalité du pouvoir citadin. Quand fut intronisé Gauthier de Geroldseck (27 mars 1260), la violence prit de telles proportions que, sitôt sa première messe célébrée en grande pompe, l’évêque quitta la ville pour ne plus y revenir. Le 8 mars 1262, les bourgeois de Strasbourg et leurs alliés, ceux de Colmar et de Bâle, infligèrent une impitoyable défaite à l’évêque, dans la banlieue de Strasbourg, à Oberhausbergen. La ville de Strasbourg gagnait son entière autonomie. W. Wiegand, Bellum Waltherianum, Strasbourg, 1878.
67 L’ensemble des biens des droits et des terres formant le temporel porte la désignation de Hochstift (évêché par rapport à diocèse).
68 Princes « amphibies » selon Georges Bischoff, c’est-à-dire bilingues, possessionnés de part et d’autre de la frontière linguistique. G. Bischoff, « Les Ribeaupierre, seigneurs des Vosges, du vignoble et des vallées », Société d'histoire du Val de Lièpvre, 11e cahier (1986), p. 12.
69 Guillaume II, au début du XVIe siècle, avait envoyé deux de ses fils en pension chez un professeur à Fribourg et exigeait une haute surveillance imposée par leur rang ! G. Bischoff, « Les Ribeaupierre... », op. cit., p, 11.
70 W. Reichert, « Herrschaftliche Raumerfassung und Raumgliederung im Westen des Reiches am Beispiel der Grafen von Luxemburg, 1200-1350 », ZHF, 19, Heft 3 (1992), p. 257-316.
71 M. Pauly, « Pour ladicte ville faire moutplier. Die Städte-und Handelspolitik Johanns des Blinden in der Grafschaft Luxemburg », in Johann der Blinde. Graf von Luxemburg, König von Böhmen 1296-1346, Luxembourg, 1997 (Publications du CLUDEM, 14), p. 219-254.
72 R. Fester, Markgraf Bernhard I von Baden und die Anfänge des badischen Territorialstaates, Karlsruhe, 1896 (Badische Neujahrsblätter, 6).
73 Un jeu subtil d’alliances peut pallier ce genre de situation : quand Ulrich III de Ferrette disparaît en 1324, le mariage de sa fille et de Léopold de Habsbourg avait été arrangé de longue date, non sans imagination, Léopold étant prélat !
74 De nombreux termes désignaient les textes de référence, fruits d’une mise par écrit accumulée et empilée des privilèges royaux (ou seigneuriaux), des droits coutumiers et de la jurisprudence. La question sera abordée plus avant avec les villes en réseau.
75 A. Gatrio, Abtei Murbach im Elsass, 2 vol., Strasbourg, 1895 (utile mais non scientifique). A. Heitzler et C. Wilsdorf, « Murbach », in Helvetia Sacra, III/1, Die Orden mit Benediktinerregel. Frühe Klöster. Benediktiner und Benedikterinnen in der Schweiz, Berne, 1986, t. 1, p. 872-895. (Histoire très rapide de l’abbaye et notices des abbés jusqu’au XVe siècle).
76 E. Gilomen-Schenkel, « Introduction », in Helvetia Sacra, op. cit., p. 42-46.
77 Comme les Etichonides en Alsace avec Murbach, les fondateurs et donateurs se recrutent dans les grandes familles au pouvoir : la famille ducale alémanique issue de Gotfried pour Saint-Gall, la Reichenau et Lucerne, celle des Viktoriden plus à l’est, pour Disentis, Casis, Mistail, Pfäfers et Mustaïr.
78 C. Wilsdorf, « Le comte Eberhard et les monastères de Murbach et de Remiremont », Francia, 3 (1975), p. 59-68.
79 A, Bruckner. Regesta Alsatiae, 496-918, Strasbourg-Zurich, 1949, p. 53, no 113. F. Beyerle, « Bischof Perminus und die Gründung der Abteien Murbach und Reichenau », Revue d’Histoire Suisse, 27(1947), p. 129-173.
80 A. Angenendt, Monachi peregrini. Studien zu Pirmin und den monastischen Vorstellungen des frühen Mittelalters, München, 1972, cf. Murbach : p. 78-97, p. 180-185, p. 234-242.
81 Au XVe siècle, par exemple, apparaît le mythe d’une origine irlandaise, interprétation de l’expression Vivarius peregrinorum de l’acte de 728 renforcée par le toponyme Pilgerweier. Le caractère symbolique est évident.
82 A. Bruckner, « Untersuchungen zur älteren Abtreihe des Reichsklosters Murbach », Elsass-Lothringisches Jahrbuch, 16 (1937), p. 31-56. Les abbés figurent dans le Liber memorialis de Remirement, E. Hlawitschka, K. Schmid, G. Tellenbach (éd), Dublin-Zurich, 1970 (MGH Libri memoriales, 1), p. 92, p. 100, p. 131-137.
83 La bibliothèque municipale de Colmar qui a recueilli, à la Révolution, les fonds des bibliothèques monastiques séquestrées, conserve quelques ouvrages liturgiques (Missel, milieu du XIe siècle, Ms 444) et manuscrits à peinture (Bible du début du XIIe siècle, 2 vol, Ms 129-130). Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, P. Schmitt (dir), LVI, Colmar-Paris, 1969, passim. Sont particulièrement remarquables : Missel du milieu du XIe siècle, codices 443 et 444. Evangéliaire d’environ 1200, Ms 489.
84 G. Cames, « Les grand ateliers d’enluminure religieuse en Alsace à l’époque romane », Cahiers de l'art médiéval, 1967 (Publications du Centre Alsacien d’art roman, V, fasc. 1), p. 5-24.
85 C. Wilsdorf, « Remiremont et Murbach à l’époque carolingienne », in Remiremont, l'abbaye et la ville. Actes des journées d’études vosgiennes de Remiremont, 17-20 avril 1980, M. Parisse (éd.), Nancy, 1980, p. 47-57.
86 H. Bloch, « Ein karolingischer Bibliothekskatalog aus Kloster Murbach », in Straβburger Festschrift zur 46. Versammlung deutscher Philologen und Schulmänner, Strasbourg, 1901, p. 257-285. K.E. Geith et W. Berschlin, « Die Bibliothekskataloge des Klosters Murbach aus dem 9. Jahrhundert », Zs für Kirchengeschichte, 83 (1972), p. 61-87. W. Milde, Der Bibliothekskatalog des Klosters Murbach aus dem 9. Jahrhundert, Heidelberg, 1968.
87 P. Bachoffner, « Fragments d’un manuscrit d’art vétérinaire du IXe siècle de la bibliothèque de l’abbaye de Murbach en Haute-Alsace », in Neue Beiträge zur Geschichte der Pharmazie, Zurich, 1979, p. 17-28.
88 On peut découvrir par exemple une collection de modèles pour l’enseignement de la métrique constituée par Walahfrid Strabon et envoyée à l’abbé Isger. B. Bischoff, « Eine Sammelhandschrift Walahfrid Strabos », Zentralblatt für Bibliothekswesen, 75 (1950), p. 42, no 22.
89 C. Vogel, « L’hymnaire de Murbach contenu dans le manuscrit Junius 25 (Oxford, Bodleian 5137). Un témoin du cursus bénédictin ou cursus occidental ancien », Archives de l'Église d'Alsace, 25 (1958), p. 1-42.
90 M. Barth, « Aus dem litugischen Leben der Abtei Murbach- Kalendaren und Heiligenlitanien 11.-15. Jahrhunderten », Freiburger Diözesanarchiv, 73 (1953), p. 59-87. C. Vogel, « Contribution des abbayes de Murbach et Wissembourg à l’élaboration de la liturgie chrétienne durant le haut Moyen Âge », in Les lettres en Alsace, Strasbourg, 1962, p. 35-40.
91 Mentionné comme saint patron à partir de 731-32. Cf. A. Bruckner, Regesta..., op. cit., p. 62, no 122.
92 « Annales Murbacenses », in Nouvelles œuvres inédites de Grandidier, 5, Colmar, 1900, p. 157-166. Grandidier a forgé un certain nombre de pièces dont la notice de fondation. W. Lendi, Untersuchungen zur frühalemannischen Annalistik. Die Murbacher Annalen mit Edition, Universität Freiburg, 1971 (Scrinium Friburgense, 1).
93 Les historiens de l’art avancent des hypothèses de datation entre 1122 et 1175.
94 Murbach. Congrès archéologique de France. 136e session, 1978, Haute-Alsace, Paris, 1982. J. Müller, Die Klosterkirche Murbach im Elsass, Cologne, 1992 (Veröff. der Abteilung Architekturgeschichte des Kunsthistorischen Instituts der Universitäts zu Köln). Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Haut-Rhin, canton de Guebwiller. Paris, 1972. (Texte p. 118-125 et illustrations p. 319-351).
95 La présentation de l’abbaye de Munster sera reprise infra en relation avec la politique de l’évêque de Strasbourg dans la mesure où elle lut l’objet d’enjeu politique. L’abbé n’a pas joué de rôle majeur dans la vie politique de la région même s’il a dominé d’une main de fer toute la vallée. C. Wilsdorf, « L’abbaye de Munster à travers les siècles », Annuaire de la Société d'Histoire du Val et de la Ville de Munster, 1958, p. 47-67.
96 Toute présentation repose sur l’ouvrage fondamental de G. Bischoff, Recherches sur la puissance temporelle de l’abbaye de Murbach (1299-1525), Strasbourg, 1975.
97 E. E. Stengel, Die Immunität in Deutschland bis zum Ende des 11. Jahrhunderts..., op. cit. C. D. Schott et H. Romer, « Immunität »... op. cit. Voir supra le sous-chapitre sur l’immunité.
98 Voir supra le sous-chapitre sur les regalia.
99 J. D. Schœpflin, Alsatia Diplomatica..., op. cit., p. 401, no 1388. Insigne monasterium Murbacum in spiritualibus immediate ad Sacrosanctam Ecclesiam Romanam et m temporalibus cum suis opidis, castris, vilis, hominibus, juridictione, mero et mixto imperio ac juribus universis absque medio ad Sacrum Romanum imperium spectaverit et hodie spectet... (Lettre de l’abbé Barthélemy d’Andlau contre les exactions de Pierre de Hagenbach entre 1472 et 1474).
100 Jules Trouillat a édité un faux qui situait le diplôme d’immunité de Murbach comme le plus ancien d’Alsace accordé par Thierry IV en 727. J. Trouillat Monuments de l'histoire de l’ancien évêché de Bâle, t. 1, no 33. Confirmation par Pépin en 760, MGH, DD, Pépin, 17. Par Charlemagne : MGH, DD, Charlemagne, 64, 772 et 95, 775.
101 Diplôme perdu comme les précédents mais une tapisserie du XIIe siècle le mentionne. Cf. F. X. Kraus, Kunst und Alterthum in Elsass-Lothringen, t. 2, Strasbourg, 1884, p. 479. Acte le plus complet de 1342.
102 ADHR 9G, Titres généraux, Lade 3, no 19.
103 G. Bischoff Recherches..., op. cit. H. Büttner, « Murbacher Besitz im Breisgau », Elsaβ-Lothringisches Jahrbuch, 18 (1939), p. 314-319. En ce qui concerne Lucerne, il semble que vers 740 l’abbaye ait été indépendante. Elle bénéficia en 840 de l’immunité. Puis Lucerne apparaît en 1135 (après 200 ans de silence documentaire) comme prieuré de Murbach. Quand et comment ? Cf Helvetia Sacra, III/2, op. cit., p. 832-833.
104 Konrad von Widergrün von Stauffenberg (1305-1334), moine à Marmoutier avant son élection, s’empressa de réintroduire la règle monastique. ADHR 9G, Titres généraux, Lade 5, no 1. Son successeur Konrad Wemher von Murnhart (1334-1343) annihila cet essai de réforme.
105 Hugues (1216-1236) fut conseiller de Frédéric IL Son abbatiat débuta avec la consécration en 1216 de l’église abbatiale par l’évêque de Bâle. Thiébaut (1244/45-1260) prit le parti pontifical contre celui de Frédéric II. Berthold de Steinbrunn (1260-1285) affirma son indépendance sous l'Interim, confirmée par les faveurs de Rodolphe de Habsbourg. Il autorisa l’installation des Teutoniques à Guebwiller. Berthold de Falkenstein (1285-1298) accueillit les Dominicains à Guebwiller.
106 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch, op. cit., I, p. 70, no 61.
107 Urkundenbuch Basel..., op. cit., I, p. 65, no 98.
108 J. Trouillat, Monuments..., op. cit, p. 526, no 353.
109 C. Wilsdorf, « Dans la vallée de la Thur aux XIIIe et XIVe siècles : la fondation de la ville et du château de Saint-Amarin par l’abbé de Murbach », Bulletin philologique et historique, 1967, p. 314-318.
110 Aveu de fief dans J.D. Schœpflin, Alsatia..., op. cit., I, p. 427, no 583.
111 Les Annales de Murbach ou de Colmar (Cf. sources imprimées) ou encore les chroniques sont prolixes à cet égard. Par exemple : X. Mossmann, Chronique de Guebwiller, Guebwiller-ColmarStrasbourg, 1844, p. 15-17.
112 La distinction dans le domaine foncier et les revenus des deux menses, celle de l’abbé comme seigneur foncier et celle du chapitre et de ses membres pour assurer la vie matérielle de la communauté, n’apparaît pas clairement dans les sources avant le XIVe siècle. L’ensemble hétéroclite des comptes (ADHR 9G, Murbach, Lade 1-12) concerne surtout la période moderne.
113 Acte d’échange entre les abbayes de Murbach, Lucerne et Engelberg ; A. Vogel, « Urkunden des Stiftes Engelberg », Geschichtsfreund, 51 (1896), p. 16, no 37.
114 En 1253 l’abbé Thiébaut racheta à Walter de Horbourg l’avouerie de la vallée avant d’y édifier château et ville. Cf. J. D. Schœpflin, Alsatia..., op. cit., I, p. 426, no 580 et 581.
115 C. Wilsdorf, Les comtes de Ferrette et leur seigneurie du début du ΧΙIe siècle à 1324, Ms ADHR, Thèse de l’École nationale des Chartes, 1951. Id., Histoire des comtes de Ferrette..., op. cit.
116 = Hartmannswillerkopf.
117 C. Wilsdorf, « Dans la vallée de la Thur aux XIIIe et XIVe siècles », Les transformations... op. cit.
118 La légende rapporte qu’au cours de la translation (après vol) du pouce du saint évêque Thiébaut de Gubbio, il fut impossible au pèlerin de quitter le sapin sous lequel il s’était reposé après Vieux-Thann. Le désir du saint de s’établir en ces lieux fut exaucé par la construction d’un premier sanctuaire (avant 1287) et le pèlerinage qui s’y développa connut un immense succès jusqu’aux pays Baltes.
119 Regesta Imperii V Friedrich II..., op. cit.. no 2112.
120 Il ne reste que deux documents permettant une vue plus globale. ADHR 9G, Murbach, Titres généraux, deux Lehensbücher (1356 environ et 1506-1507).
121 Georges Bischoff a commencé son étude sur le temporel de Murbach à l’abbatiat d’Albert de Liebenstein (1299-1303), pour cette raison. Cet abbé réussit, en peu de temps, à compromettre durablement la situation économique de l’abbaye. G. Bischoff, Recherches..., op. cit..
122 J. D. Schœpflin, Alsatia..., op. cit., I, p. 362, n°453.
123 G. Bischoff Recherches..., op. cit., p. 27-28.
124 Regesta Imperii V, Friedrich II, op. cit., no 2104.
125 Pour le droit régalien de battre monnaie : J. M. Schmitt, « Aperçu sur l’histoire monétaire de l’abbaye de Murbach », Moneta Mulhusina, Bulletin du Cercle numismatique de Mulhouse, 40-41 (1978), p. 21-37.
126 Construit par Thiébaut vers 1255, il fut détruit en 1268 par son successeur Berthold pour mater l’indiscipline des vassaux, nobles de Saint-Amarin qui l’avaient reçu en fief. La nouvelle construction (« château de la paix ») fut sans doute remise en chantier rapidement, puisque la chapelle du château fut consacrée en 1280.
127 MGH SS 17, Hanovre, 1861, p. 105. W. Wiegand, Bellum Waltherianum, Strasbourg, 1878.
128 Histoire du diocèse de Strasbourg..., op. cit. A. Bruckner, Helvetia Sacra, 7 vol., Berne, 1972-1978 (pour la partie de l’Oberrhein dans le diocèse de Bâle). A. M. Burg, « Die alte Diozese Strassburg von der bonifazischen Reform (ca. 750) bis zum Napoleonischen Konkordat (1802) », Freiburger Diozesanarchiv, 1966, p. 220-351. P. A. Grandidier, Histoire de l’Église et des Évêques-Princes de Strasbourg. Essai historique et topographique sur l'église cathédrale, 2 vol., Strasbourg, 1776-78.
129 L. G. Glöckler, Geschichte des Bisthums Straβburg, 2 vol., Strasbourg, 1880. J. Fritz, Das Territorium des Bistums Straβburg um die Mitte des 14. Jahrhunderts und seine Geschichte, Strasbourg, 1885 (avec carte). F. Kiener, Studien zur Verfassung des Territoriums der Bischöfe von Straβburg, I. Die Entstehung der Gebietsherrschaft, Leipzig, 1912. (ouvrage peu sûr en ce qui concerne les notions juridiques).
130 De munt (ahd)= la main protectrice. Muntschaft a été latinisé en mundium, mundeburdium, mainbour en français. Dès les Ve-VIIIe siècles, pouvoir (royal) d’accorder une protection générale ou particulière. G. Waitz, « Über die Bedeutung des Mundium im deutschen Recht », in Geschichtliche Abhandlungen 1, K. Zeumer (éd.), 1896. Dans l’introduction de son inventaire, l’archiviste Duboys explique : « l’étymologie (sic) du mot obermundat est certaine. Le roi Dagobert donna à l’évêché de Strasbourg un certain district situé en Haute-Alsace et à l’évêché de Spire un autre, situé en Basse-Alsace, de là ces deux districts ont pris le nom de mundat : munus datum », p. 1.
131 C. E. Perrin, Essai sur la fortune immobilière de l'abbaye alsacienne de Marmoutier aux Xe et XIe siècles, Strasbourg, 1935.
132 J. Y. Mariotte, « Les chancelleries alsaciennes au Moyen Âge », in La Mémoire des siècles, 2000 ans d'écrits en Alsace, Catalogue de l’exposition présentée à l’occasion du Bimillénaire de Strasbourg par la Fondation Mécénat, Science et Art, Strasbourg, 1988, p. 104.
133 Regesten der Bischöfe von Straβburg, H. Bloch et P. Wentzke (éd.), Innsbruck, 1908. Pour le territoire épiscopal de l’Oberrhein (le Haut-Mundat), les archives se trouvent aux ADHR sous la cote 3G. Un inventaire en a été établi en 1758 par Duboys mais sous une forme si complexe qu’il n’est guère utilisable, en tout cas, pas sans tables de concordance entre anciennes et nouvelles cotes. Le classement est fait par bailliages : Rouffach (bailliage et ville), Eguisheim, Guebcrschwihr, Gundolsheim, Obermorschwihr, Orschwihr, Pfaffenheim, Soultzmatt, Westhalten, Wettolsheim, Sainte-Croix-en-Plaine, Neuenburg (Brisgau), Dintzheim, Woffenheim (près de Sainte-Croix-en-Plaine), Meyenheim, Herrlisheim, Hattstatt, Husseren, Vœgtlinshoffen, Marbach (l’abbaye), Lautenbach (le chapitre). Les seuls dossiers avant 1350 concernent des rentes à Rouffach (3G 64, carton 4 : Landzins. Landkost. 1333-1636), des lettres et confirmations portant sur le droit de bourgeoisie de la ville de Rouffach (3G b10-11, 1309-1315) ou des terriers plus tardifs mais à utilisation rétrospective ; carton 31 (urbaires, registres à partir du XVIe).
134 G. Bührer-Thierry, Évêques et pouvoir dans le royaume de Germanie. Les Églises de Bavière et de Souabe 876-973, Paris, 1997, annexe 1, p. 231-242.
135 J. Y. Mariotte, Les Staufen..., op. cit., p. 47-48.
136 Henri III de Stahleck (1244/45-1260), Gauthier de Geroldseck (1260-1263), Henri IV de Geroldseck (1263-1273), Conrad III de Lichtenberg (1273-1299), Frédéric II de Lichtenberg (1299-1305), Jean I de Dirpheim (1306-1328), Bertold II de Bucheck (1328-1352).
137 Geneviève Bührer-Thierry fait déjà cette constatation pour la période qu’elle a étudiée, Évêques et pouvoir..., op. cit., p. 109.
138 Les historiens allemands utilisent le terme de Hochstift. J. Fritz, Das Territorium..., op. cit. F. Kiener, Studien zur Verfassung des Territoriums..., op. cit., p. 1-3. Das Reichsland Elsaβ-Lothringen..., op. cit., III, Teil II, p. 1087-1088.
139 Ce qui fait souvent dire de façon erronée que l’église paroissiale lui est dédiée alors qu’elle fut placée sous le vocable de Notre-Dame de l’Assomption,
140 Vita sancti Arbogasti, AA SS Boll. 22 Juli V, 177-179.
141 Par un de ses successeurs, une des plus grandes figures du Xe siècle, l’évêque Erchanbald (965-991). H. Büttner, Geschichte des Elsaβ..., op. cit., p. 66.
142 Celui de la ville (stat) qui reçut en 1343 sa charte de franchise et celui des campagnes (land).
143 En 1174, l’empereur céda à la pression de membres éminents du clergé pour interdire à l’évêque des inféodations sans l’accord des chanoines et des ministériaux. Cette mesure entraîna une révision des droits de l’évêque : Die Urkunden Friedrichs I.... oρ. cit. p. 631.
144 Conrad II dit Lyne de Hunebourg (1190-1202).
145 Après la mort de Frédéric Barberousse et de son fils homonyme lors de la troisième croisade (1190), Henri VI conféra en 1192 la Souabe à son frère Conrad de Rothenburg alors qu’une grande partie de l’Alsace aurait été attribuée à un autre frère Otton, comte palatin de Bourgogne (dit « sans terre »). Otton, pour s’assurer de son héritage, partit en guerre contre la noblesse de la région, surtout le comte de Dabo, ainsi que les évêques de Strasbourg et de Bâle. Il fit assassiner les comtes de Montbéliard et de Ferrette. À la mort d’Henri VI (en septembre 1197), Philippe de Souabe fut candidat à la royauté contre Otton de Brunswick. Philippe assiégea Molsheim et Strasbourg pour que l’évêque Conrad le reconnaisse. C’est à cette occasion que l’évêque récupéra les inféodations de ses prédécesseurs. Quand mourut Philippe en 1208, son neveu Frédéric II assura la relève en manifestant le plus grand intérêt pour l’Oberrhein, terres qui correspondaient, somme toute, à son tropisme méridional...
146 Charles Martel mit à la tête du diocèse l’abbé de Reichenau, Heddo, disciple de Pirmin (734-760). Un de ses successeurs, Rémy (av.778-782 ou 783) fonda l’abbaye d’Eschau. Rachio (ou Rachion) fut à la fois évêque et abbé de Munster (782-783-ap. 786).
147 Après les évêques-moines, le siège épiscopal vit les évêques chapelains ou ambassadeurs des souverains. Bernold (825-832), homme de confiance de Louis le Pieux, inaugura la série qui ne fut pas aussi longue que dans d’autres diocèses compte tenu de la « marginalité » de cet évêché. Geneviève Bührer-Thierry a pu montrer (Évêques et pouvoir..., op. cit., p. 39-41) qu’il n’y eut pas d’intercesseurs alsaciens, par exemple, et que la proximité avec les souverains s’arrêta vers 880. E. C. Scherer, Die Strassburger Bischöfe im Investiturstreit, Bonn, 1923 (évêques replacés dans la hiérarchie du Heerschild).
148 M. Parisse, « L’Église en Empire (v. 900-1054) », in Histoire du christianisme, t. 4 : Evêques, moines et empereurs (610-1054), J. M. Mayeur (dir.), Paris, 1993, p. 793-815. Id., « L’évêque d’Empire au XIe siècle. L’exemple lorrain », Cahiers de Civilisation Médiévale, 27 (1984), p. 95-105.
149 G. Bührer-Thierry, Évêques et pouvoir.... op. cit., p. 150-151, p. 191.
150 Quelques personnalités seront évoquées supra. La liste complète des évêques de Strasbourg se trouve dans Le diocèse de Strasbourg..., op. cit., p. 335-338.
151 Il en revint avec le projet de fondation de Sainte-Foy à Sélestat.
152 K.F. Werner, « Missus, cornes, marchio. Entre l’administration centrale et l’administration locale de l’Empire carolingien », in Histoire comparée de l'administration (IVe-XVIIIe siècles), W. Paravicini et K.F. Werner (éd.), Munich, 1980 (Beihefte der Francia, 9), p. 191-239. L'inquisitio permettait aux églises de faire appel au tribunal épiscopal pour récupérer leurs biens spoliés. Les monastères royaux, dont les biens étaient assimilés aux biens fiscaux, disposaient aussi de ce droit d’inquisitio, privilège qui figurait en bonne place dans les diplômes royaux de confirmation.
153 DLG 149 (diplôme du 12juin 873 à Aix-la-Chapelle).
154 L’évêque eut en charge le comté du Brisgau. H. Hoffmann, « Grafschaften in Bischofshand », Deutsches Archiv, 46 (1990), p. 373-480.
155 Loricatori = Panzerreiter.
156 MGH LL sect. IV, Const. I, p. 633, no 436. H. Zielinski, Der Reichsepiskopat in spätottonischer und salischer Zeit (1002-1125), Stuttgart, 1984.
157 Aux environs de Strasbourg et en Basse-Alsace, le Dachstein, le Haut Barr, etc. F. Rapp, Recherches sur les châteaux forts alsaciens, t. 1 : Le château dans la vie médiévale et dans la politique territoriale, Strasbourg, 1968.
158 À six kilomètres au nord-ouest de Strasbourg.
159 W. Wiegand Bellum Waltherianum..., op. cit.
160 DLG 148 (diplôme du 11 juin 873 à Aix-le-Chapelle).
161 ADHR 3G, Évêché de Strasbourg, carton 3.
162 DLG 149 (diplôme du 12 juin 873 à Aix-la-Chapelle).
163 AM Strasbourg, série XII, fonds de la monnaie. J. Cahn, Münz-und Geldgeschichte der Stadl Strasssburg im Mittelalter, Strasbourg, 1895.
164 O. Kammerer, « Straβburg : das Selbstverständnis einer Stadt im 13. Jahrhundert. Stadtwerdung. Stadtbild. Geschichtsbewusstsein », in Europas Städte zwischen Zwang und Freiheit. Die europäische Stadt um die Mitte des 13. Jahrhunderts. Ratisbonne, 16-19 février 1995, W. Hartmann (éd.), Universitätsverlag Regensburg, 1995 (Sonderband aus der Schriftenreihe der Europa-Kolloquien im Alten Reichstag), p. 63-82.
165 Nommé par l’évêque mais tenant son pouvoir de l’empereur, l'advocatus exerçait la juridiction sur tout le territoire épiscopal.
166 Il rendait la justice ordinaire pour les affaires civiles.
167 « Surintendant » des bâtiments, de la voirie, des ponts et fortifications.
168 Le diocèse de Strasbourg..., op. cit., p. 51.
169 J. Y. Mariotte, « Les chancelleries alsaciennes », op. cit., p. 105.
170 L’historiographie veut que l'évêque de Strasbourg, en 1003, obtint de l’empereur Henri II l’administration et l’usufruit des biens de l’abbaye Saint-Étienne. Dans la seconde moitié du ΧΙIe siècle, l’évêque se trouva en concurrence avec l’autre grand propriétaire foncier de Mulhouse, le roi Frédéric Ier. Ces éléments restent à prouver. La présence impériale cessa en tout état de cause avec la fin de la dynastie des Staufen et, en 1254, l’évêque redevint seul maître. En 1261, les Mulhousiens, avec l’aide de Rodolphe de Habsbourg, expulsèrent le prévôt épiscopal de son château construit au sud-ouest de l’enceinte et, en 1262, ils mirent fin à toute domination épiscopale en rasant de fond en comble le château. M. Mœder, Les institutions de Mulhouse au Moyen Âge, Strasbourg-Paris, 1951.
171 En 1248, le duc de Lorraine, que le passage entre son pays et l’Alsace, par Kaysersberg au pied du col du Bonhomme, intéressait grandement, conquit le château et la ville en formation pour le compte de son allié du moment, l’évêque de Strasbourg. Profitant de la défaite de Oberhausgerben infligée au prélat par la ville de Strasbourg, Rodolphe de Habsbourg reprit, pour le compte de l’Empire, l’ensemble de la forteresse et de la ville en 1265. L. Sittler, Kaysersberg, Ingersheim, 1979.
172 L’évêque entretenait des partisans dans cette ville royale. Pendant la lutte entre l’Empire et la papauté, lutte qui dévasta l’Alsace à partir de 1245, les Colmariens livrèrent plusieurs batailles aux Rouffachois, sujets de l’évêque. À la disparition des Staufen, le danger que représentait le prélat strasbourgeois devint préoccupant. C’est dans cette lutte victorieuse de la ville que se situe l’épisode fameux (1261) du Schultheiβ Rœsselmann chassé par les partisans de l’évêque et revenu en ville dans le cheval de Troie, en l’occurrence un tonneau livré au doyen du chapitre Saint-Martin. C’est aux cris de « Habsbourg ! Habsbourg ! » que les Colmariens retrouvèrent leur cité et la paix.
173 Unité de superficie valant entre 6 à 9 ares.
174 ADBR, G 377, f° 41 (Urbar des Bistums).
175 A. Vetulani, Le grand chapitre de Strasbourg des origines à la fin du ΧΙΙIe siècle, Strasbourg, 1927.
176 F. A. Gœhlinger, Histoire du chapitre de l'église collégiale Saint-Martin de Colmar, Colmar, 1951.
177 T. Zotz, « Milites Christi : Ministerialität als Träger der Kanonikerreform », Quellen und Abhandlungen zur Mittelrheinischen Kirchengeschichte, 68 (1992), p. 301-328.
178 F. Rapp, « Les chanoines réguliers de saint Augustin », in Encyclopédie d'Alsace, 1 (1983), p. 1525-1527.
179 Fondé en 1089, sous l’influence de Saint-Ruf-en-Avignon, Marbach est à l’origine du mouvement canonial dans la vallée du Rhin et en Suisse. F. A. Gœhlinger, Histoire de l'abbaye de Marbach, Colmar, 1954.
180 G. Bischoff, « Le couvent de Schwartzenthann », Annuaire de la Société d’Histoire des régions de Thann-Guebwiller, 1968-69, p. 70-89. Dans le voisinage de Marbach et sous sa direction spirituelle, une petite communauté de femmes s’installa (à une date incertaine) au lieu-dit Schwartzenthann. Ce monastère est célèbre en raison du prestigieux « codex Guta-Sintram », actuellement conservé au grand séminaire de Strasbourg (no 37) et qui est l’œuvre de Guta, chanoinesse de saint Augustin à Schwartzenthann et de Sintram, chanoine à Marbach (1154). Il comprend un nécrologe (de 1154 à 1310), un homéliaire magnifiquement enluminé, la règle de saint Augustin commentée par Hugues de Saint-Victor et un coutumier de Marbach avec des notations musicales et des préceptes d’hygiène (le premier traité de pharmacie et de médecine connu en Alsace). Le codex Guta-Sintram. éd. Fac-similés, Lucerne, 1982
181 Dans la vallée supérieure de la Lauch, séparée de Murbach par un petit massif, le HohrupfDemberg, fut fondée en 810 une abbaye bénédictine dépendant de Honau (sur une île du Rhin, près de Strasbourg). Le parti pontifical adopté par l’abbaye pendant la Querelle des Investitures causa sa destruction par l’empereur Henri IV. Le monastère fut reconstruit après 1090 grâce à ses avoués, les Habsbourg. La communauté sécularisée adopta alors la règle de saint Augustin sous l’impulsion de Manegold (voir infra).
182 Colmar comptait deux paroisses, Saint-Pierre et Saint-Martin. Au cœur commercial de la ville, cette dernière prit une telle ampleur qu’un seul curé (nommé par l’abbaye de Munster) ne pouvait suffire à la tâche. L’abbé de Munster et l’évêque de Bâle firent donc approuver en 1234 par le pape la création d'un chapitre de chanoines qui reçut en 1237 ses statuts. L’effectif des chanoines était déjà de 16 en 1245.
183 Chapitre cité dès le ΧΙIe siècle, desservant une paroisse vouée depuis le VIIe siècle au culte de l'ermite Amarin. À partir de 1234, l’abbé de Murbach avait le droit de collation de la charge du curé, choisi parmi les chanoines.
184 Né vers 1060 à Lautenbach ( ?), Manegold reçut sa formation à Murbach. Érudit et homme d’action, il se lança dans la Querelle des Investitures aux côtés du souverain pontife, contre Henri IV dont il dut éviter les foudres en s’exilant en Bavière. En 1095, avec Burchard de Gueberschwihr, il fonda le célèbre couvent d’Augustins de Marbach dont il assura la direction avec le titre de prévôt. Il prêcha la réforme de la société avec une telle vigueur qu’Henri IV le fit emprisonner. Il est mort (d’après le nécrologe de Marbach), le 2 janvier mais de quelle année ? Il avait obtenu confirmation en 1103 des privilèges de son établissement.
185 À la différence de l’abbaye de Murbach qui a largement développé son pouvoir dans l'Oberrhein, et au-delà, et comptait au nombre des princes de la région (raison pour laquelle elle a été traitée en tant que telle), celle de Munster ne s’est pas déployée de la même façon et figure donc dans ce chapitre comme un des enjeux de la puissance de l’évêque de Strasbourg.
186 Chapitre rural intitulé Ultra Colles Ottonis.
187 C. Wilsdorf, « L’abbaye de Munster à travers les siècles », Annuaire de la Société d'Histoire du Val et de la Ville de Munster, XIII (1958), p. 47-67. L. Ohl, Geschichte der Stadt Munster und ihrer Abtei im Gregorienthai. Schirmeck, 1897.
188 ADHR Série H Munster. Fonds important et mal classé de 132 cartons, inventaire approximatif de A. Scherlen, Summarisches Inventar des Alten Archiv von Stadt und Tal Münster, Colmar, 1925.
189 C. Wilsdorf, « Les Lettres à Munster », Annuaire de la Société d'Histoire du Val et de la ville de Munster, XV (1960), p. 10-14.
190 Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg, Ms 77, obituaire B qui court de l’an 1 à 835 (écriture du XIIe siècle). Ms 82, obituaire C.
191 Bibliothèque Municipale de Colmar, Ms 122 (XIIIe siècle).
192 La notice du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France.... op. cit., indique un missel avec le calendrier de Bâle, no 220 p. 103. Texte publié par E. Herzog, « L’obituaire de l'abbaye de Munster », Annuaire de la Société d’Histoire du val et de la ville de Munster. 1933, p. 9-106. (Avec trois index fort utiles : abbés/religieux/ecclésiastiques, personnes, lieux).
193 P. Schmitt, « Un manuel du XVe siècle des droits et des coutumes de l’abbaye de Munster », Revue d'Alsace. 1928, p. 333-346, p. 466-478, p. 566-577. Ibid., 1929, p. 90-103, p. 207-218, p. 397-417, p. 638-657.
194 En amont du village de Stosswihr, plus tardivement. C’est, du moins, la tradition de l’abbaye, reprise par Dom Calmet, Histoire de l'abbaye de Munster, Colmar, 1882. B. Judic reprend la question des origines.
195 La tradition explique ce patronage par la présence de disciples du saint, à Munster. Un article récent replace le culte de saint Grégoire dans le contexte de la Germanie méridionale où l’influence de ce Père de l’Église fut considérable. B. Judic, « Le culte de saint Grégoire le Grand et les origines de l’abbaye de Munster en Alsace » in L’hagiographie du Haut Moyen Âge en Gaule du Nord, M. Heinzeimann (dir), Stuttgart, 2001 (Beihefte der Francia, 52), p. 263-295.
196 C. Wilsdorf, « Un prélat politique au temps de Louis de Pieux, Godefroy, abbé de Munster » Revue d'Alsace, 1958, p. 7-20.
197 Les droits de l’abbé figurent dans les accords avec les habitants de Munster, accords dits Weistümer et publiés par Grimm-Stoffel (Cf. sources). En 1330, les us et coutumes furent fixés par écrit.
198 Ohnenheim, Jebsheim, Sundhoffen, Baigau, Modenheim.
199 J. Y. Mariotte, « Les Staufen et l’avouerie du Val Saint-Grégoire », Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte. Siegel-und Wappenkunde, 38 (1992), p. 135-143.
200 À partir d’un acte de 1183 entre Munster et Pains concernant un bien à Baigau, Heinrich Büttner évoque toute la situation politique de la seconde moitié du XIIe siècle, et le rôle de l’évêque de Bâle. H. Büttner, « Bischoff Heinrich von Basel und Münster im Gregoriental um das Jahr 1183. Ein Beitrag zur staufischen Geschichte in Elsaβ », ZGO, 106 (1958), p. 165-175.
201 Dominant en aval, près de Griesbach, la vallée à l’entrée de Munster, à 540 mètres d’altitude. La ville de Munster n’est qu’à 380 mètres.
202 La ville de Munster sera présentée infra.
203 Défaite de Oberhausbergen déjà mentionnée. Cet ultime épisode concluait une évolution de mise à distance de l’évêque en tant que maître de la ville et amorcée depuis le début du XIIIe siècle. L’ordonnance de 1201 sanctionnait l’entrée des bourgeois aux côtés des agents de l’évêque et amorçait un nouvel équilibre. Le statut de 1214, en mettant en place l’embryon d’organes municipaux avec un conseil et des échevins, permit à la ville d’asseoir sa nouvelle autorité (ravitaillement, politique extérieure, ordre public) en l’appuyant sur des revenus non négligeables (banvin racheté à l’évêque, marché, péages, etc). La dernière étape, dans cette prise du pouvoir, fut le traité de 1263, consécutif à la victoire de l’année précédente. L’évêque ne conservera que la monnaie jusqu’en 1296. En 1321 le gouvernement urbain entreprit la construction de l’hôtel de ville, image de son pouvoir.
204 Les sources ne sont guère prolixes pour les débuts des lignages qui vont former la famille. Aux ADHR, la série E, provenant de la seigneurie des Ribeaupierre dont une partie subit les séquestres révolutionnaires, et l’autre, le départ de la famille à Munich, se trouva regroupée au XIXe siècle. Mais ces deux parties du fonds ont fait l’objet de deux instruments de recherche incomplets ou sélectifs. Des pièces ont été dispersées dans d’autres fonds Rappolsteinisches Urkundenbuch, t. 1 édité par Karl Albrecht (Cf. sources imprimées).
205 L. Sittler, Un seigneur alsacien de la fin du Moyen Âge. Maximin ou Smassmann Ier de Ribeaupierre (1398-1451). Strasbourg, 1983. B. Jordan, La noblesse d'Alsace entre la gloire et la vertu. Les sires de Ribeaupierre 1451-1585, Strasbourg, 1991 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, collection « textes et documents », XLIV).
206 Leur emprise en terres germanophone et francophone leur vaut les deux formes patronymiques.
207 H. Dubled, « La notion de ban en Alsace au Moyen Âge », Revue historique de droit français et étranger. 4e série, 39 (1961), p. 30-75.
208 K. Schubring, Die Herzoge von Urslingen. Studien zur ihrer Besitz-, Sozial- und Familiengeschichte, mit Regesten, Stuttgart, 1974.
209 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch.... op. cit., I, p. 25 et suiv.
210 La publication de la thèse de Georges Bischoff, là encore, apportera des éléments décisifs.
211 M. Blattmann, Die Freiburger..., op. cit., t. 1, p. 271.
212 R. Brieger, Die Herrschaft Rappolstein, ihre Entstehung und Entwicklung, Strasbourg, 1907.
213 G. Bischoff, « Les Ribeaupierre, seigneurs des Vosges, du vignoble et des vallées », Société d’histoire du Val de Lièpvre, 11e cahier (1986), p. 11-25.
214 Annalen und Chronik.... op. cit., p. 188-189.
215 T. Biller et B. Metz, Die Burgen von Elsaβ.... op. cit. Le problème des châteaux sera repris avec l’habitat dans le chapitre 2 consacré aux terroirs.
216 B. Bernhard, Recherches sur l'histoire de la ville de Ribeauvillé, Colmar-Ribeauvillé, 1888. Ribeauvillé représente un bel exemple de ville seigneuriale. F. Hussler, Le couvent des ermites de Saint-Augustin à Ribeauvillé de sa création à sa sécularisation (1297-1527), mémoire de maîtrise soutenu en 1995 à l’Université de Haute-Alsace.
217 De nos jours, on peut encore parfaitement observer le tracé quasi circulaire des rues et ruelles à l’intérieur de chaque partie de la ville et la porte dite « des bouchers », faisant franchir deux enceintes, témoigne de cette juxtaposition surprenante. Voir plan en annexe.
218 En 1298 entre Anselme II et Henri IV, frères, et Henri V, neveu.
219 Rappolsteinisches Urkundenbuch..., op. cit., t. 1, no 79, 80 (1249 Ulrich), no 148 (1282 Ulrich et Anselme), no 155 (1284 Frédéric III duc de Lorraine).
220 Jusqu’à son achat par les Staufen en 1227, ils ont partagé le château avec les Horbourg.
221 Leurs possessions, liées à un grand prestige, leur permettaient de fréquenter les cours princières de part et d’autre des Vosges. Ulrich VII (ca 1337-1377) épousa Marguerite de Lorraine et ses successeurs fréquentèrent la cour des rois de France. Les Ribeaupierre partageaient également avec le duc de Lorraine l’exploitation des mines de Sainte-Marie.
222 Progressivement les Ribeaupierre vont réunir en leur possession les droits et les biens surtout par achat, mais ce n’est pas encore le cas entre 1250 et 1350. Ils voisinaient avec l’évêque de Strasbourg, l’empereur, Murbach, Saint-Dié, le prieuré de Lièpvre.
223 À titre d’exemple, citons la « généalogie » d’une partie de Guémar, processus courant : cour (Dinghof) à Nieder Guémar, fief des comtes du Nordgau ; puis donation à Murbach ; ensuite, village et droit de patronat aux landgraves de Basse-Alsace ; puis Zwing und Bann en fief aux Ribeaupierre (1354).
224 Ensemble indivis entre sept communes (Ribeauvillé, Bergheim, Guémar, Saint-Hippolyte, Orschwiller, Elsenheim et Ohnenheim). Première mention en 1357 mais existence plus ancienne. Voir carte en annexe.
225 B. Jordan, Les sires de Ribeaupierre..., op. cit.
226 T. Mayer, « Die Habsburger am Oberrhein im Mittelalter in Gesamtdeutsche Vergngenheit », in Fs Heinrich von Srbik, Munich, 1938, p. 47-54. A. Schulte, Geschichte der Habsburger in den ersten drei Jahrhunderten, Innsbruck, 1887. A. Wandruszka, Das Haus Habsburg. Die Geschichte einer europäischen Dynastie, Vienne, 1956. G. Hödl, Habsburg und Österreich 1273-1483, Vienne-Cologne-Graz, 1988. G. Bischoff, Gouvernés et gouvernants en Haute-Alsace à l’époque autrichienne. Les Etats des pays antérieurs des origines au milieu du XVe siècle, Strasbourg, 1982 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, série Grandes Publications, 20). W. Baum, Die Habsburger in den Vorlanden 1386-1486. Krise und Höhepunkt des habsburgischen Machtstellung in Schwaben am Ausgang des Mittelalters, Vienne-Cologne-Weimar, 1983. La commémoration en 1996 du millénaire des Habsbourg a suscité travaux de recherche, exposition et catalogue permettant d’approfondir surtout les temps postérieurs à la période ici envisagée (1250-1350).
227 Pour le Sundgau et après 1324 : P. Stintzi, « Die habsburgische Güter im Elsaβ », in Vorderöstereich, F. Metz (éd.), Fribourg-en-Brisgau, 1969, p. 475-536.
228 J. Schmidlin. Ursprung und Entfaltung der habsburgischen Rechte im OberElsaβ, Fribourg-en-Brisgau, 1902. O. Stolz. Geschichtliche Beschreibung der ober- und vorderösterrreichen Lande, Karlsruhe, 1943. E. Hlawitscka, Die Anfänge des Hauses Habsburg-Lothringen. Genealogische Untersuchungen zur Geschichte Lothringens und des Reiches im 9., 10. und 11. Jahrhundert, Saarbrück, 1969 (Veröff. der Komm. für saarländische Landesgeschichte und Volksforschung, 4).
229 Dans l’Argau au nord-ouest du lac de Zug. Histoire et références du couvent dans R. Amschwand, R. W. Brüschweiler, J. J. Siegrist, « Muri », in Helvetia Sacra III, 1/2 (1986), p. 896 et suiv.
230 T. Zotz, « König Otto I., Graf Guntram und Breisach », ZGO, 137 (1989), p. 64-77.
231 Au nord-est de Mulhouse avec péage sur le Rhin. Grâce à l’intérêt constant que suscite cet édifice et à un incendie récent, l’abbatiale a fait l’objet de fouilles dirigées par Rollins Guild et d’une restauration complète.
232 Rodolphe a sans doute perdu ces avoueries en raison de ses chances d’être élu roi des Romains. Mais il conservera ultérieurement, de fait, des terroirs de plaine et dans le vignoble.
233 Quatrième du nom dans la généalogie familiale et premier de la dynastie royale.
234 En 1331, ils firent l’acquisition des villes de Schaffhouse, Brisach, Neuenburg et surtout, en 1368, Fribourg et le landgraviat du Brisgau.
235 H. E. Feine, « Die Territorialbildung der Habsburger in deutschen Südwesten vornehmlich im späten Mittelalter », Zs der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, germanistische Abt. 67 (1950), p. 176-308. H. Koller, « Die politische Grundhaltung der Habsburger und der Südwesten des Reiches », in Die Eidgenossen und ihre Nachbarn im deutschen Reich des Mittelalters, P. Rück et H. Koller (éd.), Marbourg, 1991, p. 37-59.
236 K. S. Bader, Der deutsche Südwesten in seiner territorialstaatlichen Entwicklung, Stuttgart, 1950.
237 L’avouerie a déjà été évoquée. Rappelons que les Habsbourg détenaient celles de Murbach, du Haut-Mundat, d’Ottmarsheim, de Baumgarten et de Pairis.
238 Les voyages ou interventions de Rodolphe et de ses successeurs ne dépassaient pas trois jours (les villes ou châteaux assurant le gîte n’en demandant pas plus !).
239 Cet aspect de la protection impériale et des confirmations de privilèges sera étudié avec les villes.
240 Le landgrave, ne résidant pas, est représenté par le grand bailli impérial (Reichslandvogt) pour l’administration et la justice.
241 La destruction de châteaux, repaires de chevaliers-brigands (Raubritter), relevait de cette politique de maintien de l’ordre : en 1269, Rodolphe détruisit le Reichenstein sur le ban de Riquewihr, trop proche il est vrai d’un ancien fief du duc de Lorraine passé aux Horbourg, le Bilstein (qui figure dans le terrier de 1303).
242 Les Butenheim (1191), les Guebwiller (1228), les Meywihr (1288). Les travaux, à ce sujet, de Bernhard Metz et Joëlle Bumouf seront repris dans la deuxième partie consacrée aux terroirs et à l’habitat.
243 La fouille de ce site par Joëlle Bumouf a initié la recherche archéologique des mottes en Alsace. J. Bumouf, « Les mottes castrales en Alsace », Revue d'Alsace, 111 (1985), p. 3-45. Ibid., 112 (1986), p. 3-48.
244 R. Maag. Das habsburgische Urbar..., op. cit.
245 Dans l’espace géographique étudié, peuvent être retenus les Ämter d’Ensisheim et du Hohlandsberg. Albrechtstal (Val de Villé) se trouve plus au nord et Landser plus au sud.
246 Les redevances se répartissaient en stur (taille) et ungeld (taxe sur les transactions ou débits de boisson). En fait dans le terrier, il s’agit de droits de justice.
247 Les toponymes ne se recoupent pas. Il y a donc quarante-six toponymes pour lesquels sont perçus des droits de justice, véritable attribut de la Landeshoheit.
248 Dinghof : nous reviendrons sur cette organisation dans l’étude des terroirs.
249 Attestation non confirmée par d’autres sources. Après l’extinction des Eguisheim en 1225, une guerre opposa les prétendants à la succession : les Ferrette et l’évêque de Strasbourg qui finit par l’emporter (traité de 1251). On trouve presque tous les couvents et les deux évêques de l’Oberrhein possessionnés à Eguisheim. Bon nombre de familles nobles y avaient également des cours avec leurs rapports de droit (Wetstümer) : Ribeaupierre, Horbourg, Hattstatt.
250 Une grande cour domaniale, achetée au Xe siècle par l’évêque de Strasbourg, passa au chapitre Saint-Thomas pour revenir vers 1250 à l’évêque et en 1269 à Rodolphe de Habsbourg. D’après les rapports de droit, la cour avait haute et basse justice vers 1300.
251 Six kilomètres au nord d’Ensisheim, sur l'Ill. Cour de l’abbaye de Murbach pourtant donnée aux Reguisheim ? Exploitation partielle ? Le tribunal du landgraviat semble y avoir siégé à plusieurs reprises.
252 Douze kilomètres au nord de Mulhouse sur 1Ί11. Cette cour passa précisément en 1303 des Ferrette aux Habsbourg.
253 Deux kilomètres au nord de Cemay.
254 T. Martin, « Das Bild Rudolfs von Habsburg als « Bürgerkönig » in Chronistik, Dichtung und moderner Historiographie ». Blätter für deutsche Landesgeschichte, 112 (1976), p. 203-228.
255 J. J. Schwien, Ensisheim, le lieu du glaive. Essai sur la mémoire d’une ville, thèse dactylographiée, Strasbourg, 1984. La dénomination de cette cité dite « du glaive », relève d’un simple jeu de mot humaniste tout aussi fantaisiste que l’appellation de ville impériale. F. J. Merklen, Ensisheim, jadis ville libre-impériale et ancien siège de la régence archiducale des pays antérieurs d'Autriche, 2 vol., Colmar, 1840.
256 J. Becker, « Die Wirksamkeit und das Amt der Landvögte des Eisass im 14. Jahrhundert », ZG, X (1895), p. 321-360.
257 Grosso modo, le fuder représente environ 10 hectolitres, l’ohm 55 litres. La métrologie sera reprise dans le chapitre concernant le vignoble.
258 La thèse de Georges Bischoff constitue la mise au point la plus complète à cet égard.
259 La tautologie d’Erich Keyser est une des nombreuses définitions de la ville données par les historiens : « Est ville, celle qui se dit elle même ville » (Stadt ist, was sich selbst Stadt nennt). A. Joris, « La notion de ville », in Les catégories en histoire, C. Perelman (dir.), Bruxelles, 1969, p. 44-45.
260 Les sources offrent une terminologie variée : civitas, oppidum, burg, stadt, städlein, etc., sans qu’il soit toujours possible d’établir une différence (que les contemporains ne faisaient d’ailleurs pas nécessairement).
261 Die Zustände des Elsaβes, in Annalen und Kronik von Kolmar....op. cit., p. 132.
262 Andere kleinere waren damals noch gar keine Städte, Ibid., p. 132.
263 Ibid. p. 138.
264 Unsere und des heiligen riches siedle... Unsere und des heiligen reiches Schöffen... Unsere und des reiches liebe getreue... Formules de tous les actes.
265 Daz wir unsern luten den lieben burgern und der stat ze Mulhusen an Suntgowe han gegeben du recht die hie nah geschriben stant, AM Mulhouse, 21 Magna carta libertatum. X. Mossmann, Cartulaire de Mulhouse, Strasbourg, 1883, no 121, p. 90-92.
266 Die burger und die gemeinde unser stette ze Colmer, Sletzstat... Mulnhusen, Keysersberg, Thurenkein und ze Munster, unser lieben getruwen. AM Colmar, AA 3 (12 décembre 1347).
267 Le partage, par exemple, d’une forêt sur le ban de Colmar, entre le chapitre de Constance et l'abbaye de Payerne en 1167. Cité dans son recueil d’actes conservés au Generallandes Archiv de Karlsruhe par F. J. Mone, « Urkunden über des Oberelsaβ », ZGO, 11 (1860), p. 318.
268 Les élites urbaines au Moyen Age, XXVIIe congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l'Enseignement Supérieur Public, Rome, mai 1996, Paris-Rome, 1997 (Série Histoire Ancienne et Médiévale, 46. Collection de l’École Française de Rome, 238).
269 Dem Schultheissen, dem rate und den burgern von Nuwenburg (9 avril 1299). Urkundenbuch der Stadt Basel, t. 3, no 467, p. 250.
270 W. Wattenbach et F. J. Schmale, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vom Tode Kaisers Heinrichs V bis zum Ende des Interregnums, t. 1, Darmstadt, 1976.
271 La recension d’une bibliographie exhaustive sur l’histoire des villes a été entreprise par l’Institut für vergleichende Stadtgeschichte de Münster-en-Westphalie, Bibliographie zur deutschen historischen Städteforschung, H. Stoob (éd.), Cologne-Vienne, 1981 (Veröff. des Instituts für vergleichende Stadtgeschichte in Münster, Städteforschung, 1). Cet institut international publie sous le titre Städteforschung des études (A) et des documents (B).
272 Le corpus documentaire est tardif. Grâce aux archivistes et historiens allemands, les actes solennels et officiels les plus anciens ont fait l’objet de publications. Les Urkundenbücher présentent dans l’ordre chronologique, pour un certain nombre de villes, les actes conservés avec leur analyse, parfois leur transcription. L’ensemble des statuts urbains a fait l’objet d’une série spéciale de publication, les Stadtrechte. En ce qui concerne les actes de la pratique, ils sont peu nombreux avant 1350 et souffrent de classements aléatoires.
273 Une synthèse de diverses théories a été proposée par F. Irsigler, « Stadt und Umland in der historischen Forschung, Theorie und Konzepte », in N. Bulst, J. Hoock, F. Irsigler (éd.), Bevölkerung, Wirtschaft und Gesellschaft, Stadt-Land Beziehungen in Deutschland und Frankreich, 14. bis 19. Jahrhundert (Actes du colloque de Bielefeld, 1980), Trèves, 1983, p. 13-33.
274 Fouille exemplaire citée dans J. Chapelot et R Fossier. Le village et la maison au Moyen Âge, Paris, 1980, p. 203-215.
275 Ces superficies représentent l'espace intra muros calculé par F. J Himly, Atlas des villes médiévales d'Alsace, Strasbourg, 1970, (Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace), p. 26-32.
276 D’une centaine d’habitants (Saint-Amarin) à peut-être 5 000 à la fin du Moyen Age (Colmar, Fribourg). À cette époque, dans l’espace germanique, les grandes villes (Groβstadt) dépassaient les 10 000 habitants (Nuremberg, Cologne, Strasbourg, Metz, Prague, Magdebourg, etc). Les villes moyennes (Mittelstadt) comptaient entre 10 000 et 2 000 habitants (Colmar, Fribourg, Ratisbonne, Mayence, Lünebourg) et beaucoup de petites villes (Klein- ou Winzigstadt) 500 habitants. J. Sydow, Städte im deutschen Südwesten. Ihre Geschichte von der Römerzeit bis zur Gegenwart, Stuttgart-Berlin-Cologne-Mayence, 1987, p. 148.
277 Par exemple, l’historien suisse, H. Ammann, « Vom Lebensraum der mittelalterlichen Stadt, eine Untersuchung aus schwäbischen Beispielen », Berichte zur deutschen Landeskunde, 31 (1963), p. 283-316. En France, les historiens modernistes ont lancé l’enquête : J.P. Poussou et P. Loupes (dir.), Les petites villes du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1987.
278 Y. Barel, La ville médiévale, système social, système urbain, G renoble, 1975.
279 Les premiers sceaux de la ville de Fribourg montrent deux tours et une porte de ville fortifiée. Freiburg 1091-1120, Neue Forschungen zu den Anfängen der Stadt, H. Schadek et T. Zotz (éd.), Sigmaringen, 1995 (Archäologie und Geschichte. Freiburger Forschungen zum ersten Jahrtausend Südwestdeutschland, 7).
280 O. Kammerer, « Le dedans et le dehors à l’échelle des villes impériales de l'Oberrhein », Revue d'Alsace, 122 (Mélanges offerts à Francis Rapp) (1996), p. 159-169.
281 La charte de franchise accordait, en Lorraine, par exemple, la faculté d’une administration par un collège de jurés. La charte de Beaumont et les franchises municipales entre Loire et Rhin, (actes du colloque organisé par l’Institut d’Études Régionales de l’Université de Nancy II, sept. 1982 pour le 800e anniversaire de la charte de Beaumont-en-Argonne), Nancy, 1988. En Savoie, la charte garantissait certaines libertés personnelles et réglait l’exercice de la juridiction seigneuriale. R. Mariotte-Löber. Ville et seigneurie : les chartes de franchises des comtes de Savoie, fin XIIe siècle-1343, Annecy-Genève, 1973.
282 Cet aspect de la question sera repris dans le second chapitre consacré aux terroirs.
283 M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte zur Zeit der Zähringer. Rekonstruktion der verlorenen Urkunden und Aufzeichnungen des 12. und 13. Jahrhunderts, 2 vol., Fribourg-Würzburg, 1991 (Veröff. aus dem Archiv Freiburg i.Breisgau, 27).
284 Article 51 : Si autem receperint in concivem servum cujusquam domini, quem existens in provincia non repetiverit infra anni spacium, postea apud eos liberer remanebit. Handfeste König Adolfs, 24 décembre 1292, Oberrheinische Stadtrechte. II Schwäbische Rechte (Neuenburg), W. Merk (éd.), Heidelberg, 1913, p. 13.
285 La formulation de Jean Favier s’adapte bien à l’Oberrhein : « ...concentration de fonctions diverses même réduites à l’ébauche : fonctions administratives, religieuses, commerciales voire industrielles. C’est aussi son histoire qui fait la ville. C’est une conscience collective, précisée en des luttes communes et fortifiées par des privilèges communs ». J. Favier, Philippe le Bel, Paris, 1985.
286 Le matériau utilisé pour l’enquête sur la notion de ville est la typologie retenue par François-Joseph Himly dans son Allas des villes..., op.cit. et celle du Badisches Städtebuch, E. Keyser (éd.), Stuttgart, 1959 (Deutsches Städtebuch. Handbuch städtischer Geschichte, IV, Südwest-Deutschland, 2, Land Baden-Württemberg).
287 G. Dupuy, L'urbanisme des réseaux, théories et méthodes, Paris, 1991.
288 Y. Barel, La ville médiévale..., op. cit.
289 Voir carte, Principales villes de l'Oberrhein 1250-1350, en annexe.
290 Rapport de droit. Celui de Woffenheim, au sud de Colmar, sera analysé dans le chapitre des terroirs. Ammerchwihr se trouve à 7 km au nord-ouest de Colmar.
291 J. P. Poussou, Les petites villes..., op. cit., p. 483-493 (voir surtout la discussion finale).
292 Il faut se débarrasser du présupposé induit par le devenir de ces villes car de toute petites villes médiévales ont pu devenir par la suite importantes, d’autres pas, ou au contraire certaines villes médiévales « centres » ont pu perdre toute influence et dynamisme sur la région à l’époque moderne.
293 O. Feger, « Das Städtewesen Südwestdeutschlands vorwiegend im 12. und 13. Jahrhundert », in Die Städte Mitteleuropas im 12. und 13. Jahrhundert, W. Rausch (éd), Linz, 1963 p 41-54
294 Histoire de Colmar, G. Livet (dir.), Toulouse, 1983.
295 Territoire qui est devenu, pour la ville de Colmar, un ban exceptionnellement important de quelques 6 600 hectares, long de 16 kilomètres vers le nord, riche en forêts. Après 884, les derniers Carolingiens disparus, le domaine aurait été accaparé par l’aristocratie puis donné à des églises. Hypothèse de Christian Wilsdorf dans Histoire de Colmar..., op. cit.. p. 31.
296 Propriété de l’évêque Conrad de 934 à 975, qui le donna au chapitre de son église épiscopale.
297 Les fouilles archéologiques attestent de la présence de cabanes et de constructions diverses entre les deux « noyaux ». P. Brunei, « L’archéologie médiévale à Colmar », Annuaire de Calmar, 1974-75, p. 99-126. Ibid., 1982, p. 17-28. Id., « L’archéologie urbaine : Colmar », BSIM, 3 (1987), p. 75-77.
298 Schultheiβ de Haguenau (1215-1237), résidence principale de l’empereur en Alsace et donc proche de ses décisions et de ses visées politiques.
299 P. W. Finsterwalder, Colmarer Stadtrechte, Heidelberg, 1938 (Oberrheinische Stadtrechte, hg von der Badischen Historischen Kommission, 2 Abteilung, Schwäbische Rechte, Elsässische Stadtrechte III).
300 Les traces documentaires de ce tribut impérial ne sont conservées qu’épisodiquement à partir de 1241. La somme due par les différentes villes repose sur une estimation, faite par le souverain, de leur importance économique. A. Knöpfler, « Die Reichsstädtesteuer in Schwaben, Elsaβ und am Oberrhein zur Zeit Kaiser Ludwig des Bayern », Württembergische Vierteljahrshefte für Landesgeschichte, XI (1902), p. 287-351.
301 J. Geny, Geschichte der Stadt Schlettstadt, Sélestat, 1905 (Städte und Burgen in Elsass-Lothringen, 10).
302 Palais médiévaux ·. 25 ans d'archéologie, Le Mans, Université du Maine, 1994. Actes du colloque international du Mans Palais royaux et princiers au Moyen-Âge, octobre 1994, sous la direction d’Annie Renoux. Contribution et bibliographie pour l’Allemagne de Thomas Zotz.
303 Hildegarde est l’épouse de Friedrich von Büren, l’ancêtre des Staufen, (Stammvater) et l’héritière des comtes d’Alsace.
304 J. Geny, Schlettstadter Stadtrechte, Heidelberg, 1902 (Oberrheinische Stadtrechte, op. cit., I).
305 En 1312, Henri de Ribeaupierre racheta la charge pour 400 marcs d’argent.
306 G. Livet et R. Oberlé, Histoire de Mulhouse des origines à nos jours, Strasbourg, 1977. M. Moeder. Les institutions de Mulhouse au Moyen Âge, Strasbourg, 1957.
307 X. Mossmann, Cartulaire de Mulhouse, 6 vol., Strasbourg, 1883-1890.
308 A. Poinsignon, Die Urkunden des Stadtarchivs zu Breisach, 1889 (Mitteilungen der badischen historischen Kommission, 11). T. Zotz, « Est in Alsaciaepartihus castellum Brisicau. Breisach als Schauplatz der politischen Geschichte im 10. Jahrhundert », Zs des Breisgau-Geschichtsvereins « Schau ins Land », 111 (1992), p. 9-23. B. Schwineköper, « Eine neue Geschichte Breisachs », Schau ins Land, 94/95 (1976-77), p 363-383. G. Haselier, Geschichte der Stadt Breisach am Rhein, 1, Breisach, 1969.
309 Castellum Brisicau... quod et Rhenus in modum insulae cingens et naturalis ipsa loci asperitas munit. « Liutprand de Crémone, Antapodosis IV/27 », in Die Werke Liutprands von Cremona, 3. Aufl., J. Becker (éd), Hanovre, 1915, p. 122. Le Rhin qui coulait principalement à l'est de Brisach, selon l’itinéraire Antonin de la carte routière du IVe siècle, entoura vers le Xe siècle, le piton rocheux, le transformant en île. Puis le fleuve prit, au XIIe siècle, le parti de longer la colline rocheuse par l’ouest, abandonnant son cours par l’est. Les environs du Vieux Brisach, (1743), in Landkarten aus vier Jahrhunderten. Katalog zur Ausstellung des Generallandesarchivs Karlsruhe mai 1986, bearb. von H. Musall, J. Neumann, E. Reinhard, M. Salaba, H. Schwarzmaier, Karlsruhe, 1986, carte B 5, p. 87.
310 Castellum romain. Des fouilles récentes ont remis en question la datation de Günther Haselier : H. Bender, L. Pauli, I. Stork, Der Münsterberg in Breisach II, Munich, 1993 (Münchner Beiträge zur Vor-und Frühgeschichte, 40).
311 H. Maurer, « Breisach », in Die deutschen Königspfalzen. 3 : Baden-Württemberg, 1. Lfg., Göttingen, 1988, p. 46-62.
312 L. Sittler, Kaysersberg, Ingersheim, 1979.
313 L’intérêt des souverains vis-à-vis des abbayes suscita la production de documents considérés comme prestigieux par les établissements destinataires et, de ce fait, conservés. Mais, a contrario, l’absence de traces documentaires n’implique pas nécessairement une non-existence.
314 L. Ohl, Geschichte der Stadt Münster und ihrer Abtei..., op. cit. Voir bibliographie concernant l’abbaye et le Val, dans la partie concernant l’évêque de Strasbourg qui a eu sous sa dépendance l’abbaye de Munster.
315 A. Billig. Histoire d'une ancienne ville impériale : Turckheim, Colmar, 1975.
316 Cette ligue de dix villes d’Alsace (1354), la fameuse Décapole, fera l’objet d’une analyse dans le troisième chapitre.
317 X. Mossmann, Murbach et Guebwiller. Histoire d'une abbaye et d’une commune rurale d'Alsace, Guebwiller, 1866. C. Wilsdorf, « Introduction », in Inventaire général des Monuments et des Richesses artistiques de la France. Canton de Guebwiller, Paris, 1972, p. 8-20. G. Bischoff « Guebwiller au Moyen Âge. Naissance et développement d’une ville seigneuriale d’Alsace, 1275-1434 », Annuaire de la Société d'Histoire des régions de Thann-Guebwiller, 1973-74, p. 95-119. Id, « Naissance et illustration d’une conscience politique 1434-1476 », ibid, 1975-76, p. 27-40.
318 La ville s’étendait le long de la Lauch sur plus d’un kilomètre de long (onze tours furent nécessaires) et une largeur maximale de 300 mètres, compte tenu de l’escarpement de la vallée. Sa superficie de 22 hectares la situait parmi les villes les plus vastes de la région.
319 G. Sifferlen, La vallée de Saint-Amarin, 3 vol., Strasbourg, 1908-1909.
320 La route correspondait, après l’ouverture, vers 1220, des cols du Simplon et surtout du Gothard, à un axe de circulation majeur entre l’Italie et les Flandres, pour marchands et pèlerins allant toujours de pair. C. Wilsdorf Dans la vallée de ta Thur..., op. cit.
321 R. Biery, « Sankt Amarin, eine Münzstätte der Fürstabtei Murbach ». Jahrbuch des Geschichts-und Altertumsvereins für die Südvogesen, 1 (1940-43), p. 112-120.
322 T. Walter, Urkundenbuch und Regesten der Stadt und Vogtei Rufach (662-1350), Colmar, 1908. Id., Urkundenbuch und Regesten der Stadt und Vogtei Rufach (1350-1500), Colmar, 1913. Id., Aus der Verfassungsgeschichte der Stadt Rufach, Guebwiller, 1895.
323 Par exemple les abbayes de Luxeuil, Marbach, Feldbach, Rheinau (près de Schaffhouse), Unterlinden de Colmar, Klingenthal et Saint-Léonard de Bâle, Kœnigsfelden, les Augustins de Mulhouse, etc. Voir le chapitre 2 concernant le vignoble.
324 Annales de Colmar..., op. cit. 1278 : l’évêque reçut 80 marcs d’argent alors que ses prédécesseurs n’en percevaient que 60. Même si le discours et surtout les chiffres de la chronique doivent être révisés, on peut retenir la richesse de cette ville viticole.
325 A, Scherlen, Eguisheim, Dorf und Stadt, Colmar, 1929.
326 Descendants des ducs d’Alsace, les Eguisheim, au nombre des plus grandes familles princières de l'Empire, proche de la dynastie des Saliens, furent comtes du Nordgau. Un de leurs plus illustres descendants fut Bruno, évêque de Toul (1026-1048) qui devint le pape réformateur Léon IX.
327 Les fouilles archéologiques des trois châteaux ont mis en évidence la présence romaine de ce site, station d’altitude. Signalé dès le VIIIe siècle, le « vieux » château, le Wahlenburg, modèle d’architecture-Staufen (Frédéric II), fut détruit en 1027 lors de la guerre de l’empereur Conrad II, apparenté aux Eguisheim, et le duc de Souabe. Il semble avoir été reconstruit très rapidement. Au XIIe siècle fut ajouté le Dagsburg par les Eguisheim-Dabo (Hugues IV avait épousé la comtesse Heilwige de Dabo). Vers 1200, les Ferrette construisirent le Weckmund, du nom de leur héritage des Vaudémont.
328 Traité de 1251 entre l’évêque Berthold de Teck et les Ferrette. C. Wilsdorf, Histoire des comtes de Ferrette..., op. cit.
329 Très significatif de l’emprise épiscopale, ce sceau était celui de l’évêque Conrad de Lichtenberg (1273-1299) avec deux clefs entrecroisées.
330 Représentant de l’évêque (comme il peut l’être de l’empereur déjà évoqué) le Schultheiβ, dans toutes les villes, est mis progressivement, mais inéluctablement, à l’écart par les bourgeois du conseil, dégageant ainsi leur ville de sa tutelle.
331 E. Reinhard et P. Rückert (éd.), Staufische Stadtgründungen am Oberrhein, Sigmaringen, 1998 (Oberrheinische Studien, 15). K. Weller, « Die staufische Städtegründung in Schwaben », Württembergische Vierteljahrschrift für Landesgechichte, NF 36 (1930), p. 145-268.
332 In omni civitate vel oppido Alamannie. MGH Const. I (Friderici II.), 1232, no 156.
333 De 1150 à 1200, 2 000 villes furent créées en Europe centrale avec une accélération de 10 à 20 par décennie. Après 1200, le rythme devint exponentiel avec plus de 200 fondations par décennie vers 1300. H. Stoob, Forschungen zum Städtewesen in Europa. Bd 1 : Formen und Schichten der mitteleuropäischen Städte. Eine Aufsatzfolge. Cologne-Vienne, 1970. K. Gerteis, Die deutschen Städte in der fruhen Neuzeit, Darmstadt, 1986.
334 J. Treffeisen et K. Andermann (éd.), Landesherrliche Städte in Süddeutschland. Sigmaringen, 1994 (Oberrheinische Studien, 12).
335 E. Isenmann, Die deutsche Stadt im Spätmittelalter 1250-1500. Stadtgestalt, Recht. Stadtregiment, Kirche. Gesellschaft. Wirtschaft, Stuttgart, 1988, p. 107-110.
336 Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau. Bd 1 Von den Anfängen bis zum « Neuen Stadtrecht » von 1520. H. Haumann et H Schadek (éd.), Stuttgart, 1996. Freiburg 1091-1120. Neue Forschungen., op. cit.
337 Idem.
338 M. Blattmann. Die Freiburger Stadtrechte..., op. cit.
339 Id., t. 1, p. 5 et suiv.
340 L’évêque de Bâle, cependant, y exerçait des droits. Thomas Zotz a utilisé, pour démontrer cette absence d’implantation à l’endroit du futur Fribourg, un acte d’Henri II de 1008, inféodant à l’évêque de Bâle un territoire de chasse (Wildbann) au nord du Brisgau. MGH DHII, no 188. Regesta Imperii II, 4, no 1695. T. Zotz, « Siedlung und Herrschaft im Raum Freiburg am Ausgang des 11. Jahrhunderts », in Freiburg 1091-1120..., op. cit., p. 49-78.
341 Dans le dernier tiers du XIIe siècle, devant le château s’étaient installées des constructions de bois, puis de pierre, espace qu’occupera le marché « fondé » par Konrad, c’est-à-dire doté de privilèges et de protection.
342 H. Nehlsen, « Cives et milites. Ein Beitrag zur Geschichte des ältesten Freiburger Patriziats », Schau-ins-Land, 84-85 (1966-67), p. 79-124.
343 Les ministériaux de l’évêque de Strasbourg ne boudaient pas les activités des bourgeois et réciproquement. Conrad Virnekorn, maître de douze pelletiers au service de l’évêque, deux fois maître des bourgeois, recevait des missions de l’évêque pour aller s’approvisionner à Mayence ou à Cologne. H. Mosbacher, « Kammerhandwerk, Ministerialität und Bürgertum in Strassburg », ZGO, 119 (1971), p. 33-173. K. Schulz, Ministerialität und Bürgertum in Trier, Bonn, 1968 (Rheinisches Archiv, 66). Id., « Die Ministerialität in rheinischen Bischofsstädten », in Stadt und Ministerialität, E. Maschke et J. Sydow (éd.), Stuttgart, 1973 (Veröff. der Komm. fur geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg), p. 17-42.
344 Comme dans d’autres villes : K. Schulz, « Die Ministerialität als Problem des Stadtgeschichte. Einige allgemeine Bemerkungen, dargestellt am Beispiel Worms », Rheinische Vierteljahrsblätter, 32 (1968), p. 184-219. L. Fenske, « Ministerialität und Adel im Herrschaftsbereich der Bischöfe von Halberstadt während des 13. Jahrhunderts », in J. Fleckenstein (dir.), Herrschaft und Stand. Untersuchungen zur Sozialgeschichte im 13. Jahrhundert. Göttingen, 1979, p. 157-206.
345 Bâle 1218, Bern et Zurich 1220, Constance, Villingen et Colmar 1225, Mulhouse 1226, etc.
346 Diessenhofen 1178, Freiburg i. Ü. 1157-1249, Flumet 1228, Berne 1250, Bremgarten 1240, Brisach 1198-1275, Colmar 1278, Kenzingen 1249-1283, Bräunligen 1313-1369.
347 F. Huggle, Geschichte der Stadt Neuenburg am Rhein, Fribourg, 1876-81. H. Maurer, « Zur Geschichte der Grafen von Neuenburg », Zs der Gesellschaft für Beförderung der Geschichte-, Altertum-, und Volkskunde von Freiburg, dem Breisgau und den angrenzenden Landschaften, 6 (1883-1887), p. 451-465. J. Treffeisen, Die Breisgaukleinstädte Neuenburg, Kenzingen und Endingen in ihren Beziehungen zu Klöstern, Orden, und kirchlichen Institutionen während des Mittelalters, Fribourg, 1991 (Forschungen zu Oberrheinischen Landesgeschichte, 36). Voir gravure de Merian, en annexe.
348 Cf. supra le sous-chapitre sur les Ribeaupierre. Ribeauvillé était une ville depuis 1290, avec un atelier monétaire (1291), fortifiée avant 1287 en trois noyaux juxtaposés, marché en 1302, sceau et conseil (rat) en 1327. La richesse de la ville contribuait largement à celle des sires de Ribeaupierre qui quittèrent leurs nids d’aigle à la fin du XIIIe siècle pour venir vivre en ville.
349 Le marché est premier : 1307. Puis fortifications de la ville (stadt) 1312-1313, conseil (rat) en 1328 et sceau en 1357.
350 Pèlerinage et commerce (péage en 1220) assuraient la richesse de la ville où résidaient les Ferrette à partir de 1260. Murailles construites entre 1296-1304. Universitas et sceau attestés en 1296. Conseil (rat) en 1394.
351 Six kilomètres au nord-ouest de Thann, point de friction entre les Ferrette et l’abbaye de Murbach, puis avec ses avoués, les Habsbourg. Fortifications en 1268. Sceau et cives mentionnés en 1299. Stadt en 1383 et conseil (rat) en 1419.
352 Fortifiée avant 1250, cette ville assurait un relais efficace et une source de revenus profitable aux ducs. La communauté des bourgeois n'apparaît en tant que telle qu’au début du XIVe siècle et le conseil un siècle plus tard. M. Mœder, « Saint-Hippolyte, des origines à la Révolution », in Vie en Alsace, 1934, p. 25-31.
353 Le célèbre abbé Fulrad avait fondé un monastère, entre 768 et 774, pour y déposer les reliques de saint Hippolyte. Mais, de façon surprenante, ce saint, ou plutôt ses restes, ne connurent aucun succès. L’établissement fut donné à Lièpvre qui le recéda à Saint-Denis.
354 Mention de burgenses en 1277, sans doute en même temps que les fortifications (avant 1282). Stadt en 1303 mais sceau plus tardif, après 1348.
355 Stadt en 1303 (depuis 1269 ?) avec fortifications et foire. Sceau après 1424.
356 Voir supra le service du roi.
357 A. Hund, Stadtrechte von Reichenweier, das Stadtbuch, Heidelberg, 1909. L. Sittler, Riquewihr, Ingersheim, 1980.
358 Le burgberg primitif devint alors une résidence (occasionnelle) appelé ensuite le schloβberg. Voir les travaux, à paraître, de Ansel-Mareike Andrae-Rau, de l’Institut für Landesgeschichte de Fribourg.
359 Ou le margrave de Hachberg. Badisches Städtebuch.... op. cit., p. 205-206. À compléter par Das Land Baden-Württemberg..., op. cit., plus récent.
360 À l’origine, deux villages, le haut et le bas, appartenant aux abbayes de Saint-Gall puis de Lorsch. Les Zähringen, sans en faire une ville, cédèrent la localité à Frédéric Ier (1158). Au XIIIe siècle, sous l’autorité des comtes de Fribourg, Müllheim prospéra puisqu’elle fut qualifiée de ville en 1341 avec un conseil (rat) en 1372.
361 Les Zähringen surent exploiter ce site minier d’importance (nous y reviendrons dans le chapitre 2). Mais ils laissèrent à une famille de leurs ministériaux le soin de fonder une ville (1280) qui prit une telle ampleur qu’elle provoqua la « jalousie » des Fribourgeois, voir supra.
362 Comme Müllheim (et bien d’autres), Emmendingen était constituée de deux villages à l’origine, le haut et le bas, en la main du margrave de Baden-Hachberg aux XIIIe-XIVe siècles. Son marché (1418) fit l’objet d’une destruction en 1424 par les Fribourgeois alliés pour la circonstance aux Bâlois. Sa qualité de ville reste hypothétique.
363 Cette localité a été évoquée en tant que tête de pont des Ribeaupierre dans la plaine, sur le grand axe de circulation nord-sud. Guémar sera encore évoquée dans le chapitre 2 concernant les terroirs.
364 Sainte-Croix, déjà évoquée, s’est constituée non pas par extension du village de Woffenheim (disparu) mais du couvent tout proche de Bénédictins, fondé entre 1006 et 1035 par Hugues IV d’Eguisheim. Les murailles et le terme d’oppidum, qualifiant la localité au milieu du XIIIe siècle, expriment la volonté de l’évêque de Strasbourg, succédant ici aux Eguisheim, de développer la ville. À partir de 1349, Sainte-Croix disposa d’un sceau.
365 Située dans la partie antérieure de la vallée de Munster, Wihr appartenait à l’abbaye du Val Saint-Grégoire, puis à l’Empire. Inféodée aux Ribeaupierre qui ont contribué à son développement, Wihr, au début du XIVe siècle, apparaît dans la documentation comme oppidum, burg ou stette. Les Ribeaupierre (et surtout le trublion Anselme dans les années 1293) l’utilisaient comme base de départ d’expéditions armées contre la famille des Guirsberg. Wihr fut doté de murailles précisément entre 1279 et 1293. Le conseil (rat) n’est mentionné qu’en 1469.
366 La localité, toute proche de Munster, mentionnée pour la première fois en 1211 (mais d’origine sans doute antérieure), apparaît dans les Annales de Colmar comme castellum (agglomération fortifiée) depuis 1275, complété par un château attesté en 1289. Les Hattstatt possédaient depuis 1294 cette stettlin qu’ils cédèrent à la fin du siècle, pour moitié au duc de Lorraine, pour moitié au comte de Blâmont.
367 J. Fleckenstein, « Das Rittertum der Stauferzeit », in Die Zeit der Staufer..., op.cit.. p. 103-109.
368 T. Zotz, « Grundlagen und Zentren der Königsherrschaft im deutschen Südwesten in karolingischer und ottonischer Zeit », in Archäologie und Geschichte..., op. cit., p. 275-293.
369 H. Stoob, « Formen und Wandel staufischen Verhaltens zum Städtewesen », in Fs Hermann Aubin zum 80. Geburtstag, Wiesbaden, 1965, p. 423-451. E. Maschke, « Die deutschen Städte der Stauferzeit », in Die Zeit..., op.cit., p. 59-73.
370 Il faut rappeler l’extrême indigence des sources municipales avant le XIVe siècle.
371 Les villes libres de Strasbourg et de Bâle sont exclues géographiquement de notre étude.
372 Endingen, Kenzingen et Fribourg ne deviennent villes impériales qu’en 1415.
373 H. Rabe, « Stadt und Stadtherrschaft in 14. Jahrhundert : die schwäbisches Reichsstädte », in Stadt und Stadtherr im 14. Jahrhundert, W. Rausch (éd), Linz, 1972 (Österreische Arbeitskreis für Stadtgeschichtsforschung, II), p. 301-318.
374 K.S. Bader, Die oberdeutsche Reichsstadt im alten Reich. Esslingen, 1965 (Esslinger Studien, 11), p. 23-42. O. Kammerer, « Les villes de l’Oberrhein à l’époque médiévale. Villes d’Empire (Reichsstädte) et villes libres (Freie Städte) », in De l'autonomie des villes. Besançon 1290-1990, Actes du colloque organisé par l’Association du Septième Centenaire des Franchises de Besançon. Besançon, septembre 1990, Besançon, 1992 (Annales littéraires de l’Université de Besançon, 470), p. 73-84.
375 Civitas imperii, oppidum nostrum, etc.
376 J. Becker, Geschichte der Reichslandvogtei im Elsass, Strasbourg, 1905.
377 Nostrae et sacri romani imperii civitates, unsere und des heiligen riches stedte, unsere und des (heiligen) reiches Schöffen, unsere und des reiches liebe getreue.
378 1274. Colmar à Neuenburg : unius et ejusdem domini potestas. Oberrheinische Stadtrechte. II : Schwäbische Rechte (Neuenburg)..., op. cit., p. 4, no 5.
379 P. Moraw, « Reichsstadt, Reich und Königtum im späten Mittelalter », ZHF, 4 (1979), p. 385-424.
380 Ces questions seront reprises dans le troisième chapitre.
381 La sigillographie apporte des éléments indispensables pour ces périodes peu prolixes en textes. Souvent en mauvais état et détachés des actes, les sceaux ont fait l’objet de récolements et d’inventaires dans les différents services d’Archives, sans toutefois pouvoir être exhaustifs. Aux ADHR, les sceaux ont donné lieu à la fabrication d’un CDRom. Il en subsiste encore beaucoup dans les dossiers, mal conservés, en miettes et non répertoriés.
382 ADHR H Pairis, carton 9, no 1.
383 ADHR 3 G Saint Pierre, carton 11.
384 Le conflit récurrent entre les bourgeois de Guebwiller et l’abbé de Murbach est à cet égard très révélateur : lors des négociations précédant l’obtention de privilèges, l’abbé accusait les bourgeois de récupérer les coutumes et de les utiliser contre lui. Ce rapport de force s’établit, dès 1275, pour la limitation de l’imposition directe. Pendant l’abbatiat de Berthold de Steinbrunn (1305-1334), le conflit porta sur la jouissance des forêts et l’autorisation de défrichements pour agrandir le vignoble. Sous l'abbé Conrad Werner Mumhard (1334-1343), la difficile négociation s’établit pour des redevances des communaux contre l’entretien de la muraille. G. Bischoff, « Naissance et développement d’une ville seigneuriale », op. cit., p. 104.
385 M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte.... op. cit.
386 J. Sydow, « Zur Verfassungsgeschichtlichen Stellung von Reichsstadt, freier Stadt und Territorialstadt im 13. und 14.Jahrhundert », in Les libertés urbaines et rurales du 11e au 14e siècle, (Colloque international de Spa, 1966), Bruxelles, 1968, p. 281-309.
387 Première vague sous les Staufen et l’Interim (Colmar, 1225. Mulhouse, 1226. Rouffach, consules en 1241 et consilium en 1244. Fribourg entre 1248 et 1252. Sélestat, 1258). Phase intermédiaire (Guebwiller, 1275. Munster, 1287. Kenzingen, 1290). Deuxième vague au XIVe siècle (Eguisheim et Neuenburg au début XIVe siècle. Kaysersberg, 1304. Endingen, 1309. Herrlisheim, 1312. Türckheim, 1312. Ribeauvillé, 1327. Bergheim, 1328. Marckolsheim, 1350. Riquewihr, 1362. Müllheim, 1372. Ammerschwihr, 1388. Thann, 1394). Au XVe siècle les derniers conseils (Cernay, 1419. Saint-Hippolyte, 1435. Bürckheim, 1450).
388 Ce conseil d’une ville ayant pris son indépendance s’oppose à celui d’une ville seigneuriale comme Guebwiller par exemple. Dans cette dernière, le conseil des nobles et des bourgeois fonctionnait sous la direction du prévôt représentant l’abbé de Murbach. Ce conseil (chambre d’enregistrement ?) comptait en 1275, 26 membres (22 bourgeois et 4 nobles), en 1309, 16 membres (10 bourgeois et nobles). G. Bischoff, « Naissance et développement »..., op. cit., tableau p. 105.
389 C. Terharn, Die Herforder Fehden im späten Mittelalter. Ein Beitrag zum Fehderecht, Berlin, 1994.
390 G. Burger, Die südwestdeutschen Stadtschreiber im Mittelalter, Böblingen, 1960.
391 Pendant plusieurs années à Colmar, après que le magistrat, soit l’ensemble du corps de ville, eut pris parti en 1315 pour Frédéric de Habsbourg contre Louis de Bavière, les affrontements entre les Rouges (partisans des Habsbourg) et les Noirs (pour Louis), mirent la ville à feu et à sang.
392 MGH Const. 3, 1904, p. 1. Reichssteuerverzeichnis de 1241 : Neuenburg 100 marcs, Sélestat 150 marcs, etc. A. Knöpfler, Die Reichsstädtesteuer in Schwaben Eisass und am Oberrhein.... op. cit., p. 287-351.
393 L. Sittler, « Les monnaies colmariennes », Moneta Mulhusina. Bulletin du cercle numismatique de Mulhouse. 50 (1981), p. 239-243. La sous-série CC (monnaies) des archives municipales de Colmar a fait l'objet récemment d’un inventaire analytique manuscrit qui peut permettre d’avancer cette étude.
394 Monnaie courante. C. A. Hanauer, Études économiques sur l’Alsace ancienne et moderne, t. 1 Les monnaies, Paris, 1876.
395 Innerschweiz und frühe Eidgenossenschaft, 1, Verfassung, Kirche, Kunst (Hg) Historischer Verein der Fünf Ort, Olten, 1990, p. 75.
396 G. Landwehr, Die Verpfändung der deutschen Reichsstädte im Mittelalter, Cologne-Graz, 1967.
397 P. Blickle, « Zur Territorialpolitik der oberschwäbischer Reichsstädte », in Stadt und Umland..., op. cit., p. 54-71. W. Leiser, « Territorien süddeutscher Reichsstädte. Ein Strukturvergleich », Zs für bayerische Landesgeschichte. 38 (1975), p. 967-981.
398 Un exemple hors de la région : M. Bochaca, La banlieue de Bordeaux. Formation d'une juridiction municipale suburbaine (vers 1250-1350), Paris, 1997. R. Kiessling, Die Stadt und ihr Land. Umlandspolitik. Bürgerbesitz und Wirtschaftsgefüge in Ostschwaben vom 14. bis 16. Jahrhundert, Cologne-Vienne, 1989. Toutes les monographies de villes impériales insistent sur l’intérêt d’un vaste Umland. On constate que, dans l’ensemble des villes d’Empire, seules les badoises et les alsaciennes en sont privées.
399 Wolfgang Leiser cite l’exemple plus tardif de Rothenburg o.d.Taube dont le territoire a bénéficié des achats, au nom de la ville, de Heinrich Topplers (1378-1408).
400 L. Sittler, « Les bourgeois de Colmar. Essai d’une vue d’ensemble », in La bourgeoisie alsacienne.... op. cil., p. 21-34.
401 F. J. Himly, Atlas des villes d’Alsace...op. cit. Il est difficile de faire une estimation avant le XIVe siècle.
402 M. Margue et M. Pauly, « Das erste Spital in Luxemburg. Eine unerforschte Quelle zum Wirken Walrams von Monschav-Limbourg und zur Geschichte der Stadt Luxemburg (1221) », Revue d'histoire luxembourgeoise, 47/1 (1995), p. 15-42.
403 J, L. Fray, « Hospitäler, Leprosenhäuser und mittelalterliches Strassennetz in Lothringen (ca. 1200-ca. 1500) », in Auf den Römerstrassen ins Mittelalter, Beiträge zur Verkehrsgeschichte zwischen Maas und Rhein von der Spätantike bis ins 19. Jahrhundert, F. Burgard et A. Haverkamp (éd.), Mayence, 1998, p. 407-426. Même si la problématique de cet article concerne plutôt l’équipement sanitaire d’une région, des éléments intéressant la dynamique des villes peuvent en être tirés.
404 B. Schwineköper, Protokoll über die 2. Arbeitstagung « Spital und Stadt », Tübingen, 1964 (Arbeitskreis für südwestdeutsche Stadtgeschichtsforschung), p. 6, p. 35.
405 Stadtarchiv Freiburg im Breisgau, A 2 Urkunden des Heiliggeistspitals.
406 AM Colmar, Hôpital de Colmar B 3-5, B 6-19, propriétés 1315-1786. Ibid. H 1-10, état alphabétique des personnes mortes à l’hôpital XIIIe-XVIIIe siècle. La documentation ne commence en réalité qu’au XVe siècle.
407 L’hôpital ne s’y trouve mentionné qu’à partir de 1316. Cartulaire de Mulhouse, t. 1, no 154. P. Mieg, « La léproserie de Mulhouse », Bulletin du Musée Historique de Mulhouse 55 (1935-1936), p. 77-120.
408 Cette question sera reprise dans le chapitre 2 concernant la géographie des terroirs.
409 AMC BB 43, Altes Rotbuch.
410 Cette problématique fera l’objet du chapitre 3.
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