Les orientations de l’histoire politique en France
p. 303-305
Texte intégral
1Je laisserai de côté comme l’ont fait nos deux invités l’abondante littérature sur la Genèse de l’Etat moderne en Europe (et ses sept volumes) et les nombreuses études d’histoire de la souveraineté et d’histoire administrative pour lesquelles Jacques Krynen me semble le plus qualifié. J’interviendrai seulement sur trois points qui ont déjà été évoqués dans les rapports préliminaires.
L’image du roi
2C’est un domaine qui souffre d’un manque cruel d’éditions scientifiques (tous les Miroirs du prince français ne sont pas édités à l’exception de celui de Vincent de Beauvais) et de corpus iconographiques aléatoires où seule l’image de Charles V a fait l’objet de réels travaux (A. Hedeman). Pourtant des progrès incontestables ont été faits dans l’étude des milieux émetteurs historiens officiels ou non, étudiés par Bernard Guenée, notaires et secrétaires de chancellerie dont l’étude a été longtemps focalisée sur l’humanisme mais ne l’est plus (N. Pons, E. Ornato, M. Schnerb-Lièvre). Ceux-ci écrivent une littérature de propagande qui en France reste très liée à la guerre de Cent Ans. Le problème de la langue y est particulièrement sensible dans la mesure où l’amour du beau latin humaniste s’y heurte aux intérêts de la langue nationale.
3Cette image du roi qu’on pourrait croire uniformément bonne et conforme aux valeurs chrétiennes (seuls sont mauvais les conseillers) traduit en fait des oscillations liées à la légitimité discutable des Valois. J’en donnerai deux exemples :
4Un roi fou est-il un bon roi, un roi absent ou un roi malade ? Bernard Guenée a étudié les mots de la folie à l’intérieur de la Chronique du Religieux de Saint-Denis. On pourrait étendre l’enquête à d’autres types de textes car la folie royale ne se dit pas de manière identique dans une ordonnance ou dans une chronique et croiser avec les représentations iconographiques qui sont doubles (crise de la forêt du Mans ou roi allongé sur un lit tandis que la politique se fait ailleurs).
5Y a-t-il en France un pouvoir au féminin concevable après 1316 et 1328 ? Je ne pense pas qu’il y ait grand chose à trouver sur l’argument de la loi salique. Mais nous avons les contrats de mariage, douaires, testaments et comptes d’hôtel de nombreuses reines. La recherche en a inégalement tiré parti. Alors qu’une reine comme Isabeau, une princesse comme Anne de Beaujeu peut être régente et détenir un pouvoir dont elle est en principe incapable, comment les contemporains ne se seraient-ils pas interrogés sur cette intervention féminine ?
6Deux biais intéressants seraient possibles : l’un, de suivre la diffusion réelle jusqu’au XVIe siècle du Miroir des Dames de Durand de Champagne écrit pour Jeanne, épouse de Philippe IV, mais reine en Navarre. C’est une reine-roi qui visite son royaume, se laisse voir et toucher par ses sujets et gouverne (elle choisit des officiers). Or ce Miroir atypique fut traduit et réutilisé par de nombreuses reines jusqu’à Marguerite de Navarre qui le fit réactualiser.
7L’autre serait de s’intéresser à l’image de Clotilde, mère de la dynastie, très active lors de la conversion, conseillant la guerre à Clovis puis à ses fils. Il y a un très gros corpus iconographique (Grandes Chroniques, Cité de Dieu, Miracles Notre-Dame, Vies et offices).
8Aux XIVe et XVe siècles, le baptême y devient minoritaire au profit d’une scène que les textes ne donnent pas ; le partage du royaume entre les fils de Clovis effectué par la veuve. Se mélangent ici trois strates d’utilisation : une Clotilde identifiée à Jeanne de Bourgogne, comme elle bourguignonne et très présente en politique ; elle fait écrire une nouvelle Vita de Clotilde et ajouter de nombreux passages sur les reines dans les traductions de Jean de Vignay ; une Clotilde Anne de Bedford, symbolisant l’union dans la paix de Bourgogne et de France sur un pied d’égalité ; une Clotilde Isabeau, médiatrice entre les princes et source de paix.
9Autrement dit en France, l’image du roi intéressante, c’est celle de la reine et il y a beaucoup à faire d’autant que cette exclusion des femmes du jeu politique pose la question de la légitimité et fait encore partie aujourd’hui de l’exception française.
Les principautés
10Les études sur les principautés ne sont plus aujourd’hui de l’histoire régionale et les principautés ne sont plus considérées comme des copies ratées de la monarchie parisienne. Une nouvelle thèse conduit à s’intéresser à des volumes d’archives moins considérables et favorise les études sur la cour ou le personnel princier des ducs ; Berry, Bourbon, Orléans. Prosopographie des chambellans, les devises, l’usage des étrennes se voient étudiés, tandis que la cour royale est quelque peu délaissée bien que de grands services comme l’aumônerie aient fait l’objet de thèses récentes.
11On peut espérer de cette évolution qui rapproche la France de l’Allemagne une vision plus juste de la hiérarchie des attachements politiques à la fin du Moyen Age, parmi lesquelles la famille, le lieu de naissance, le duché, le royaume, la chrétienté sont encore très présents
Les oppositions à la monarchie
12La recherche française a tendance spontanément à identifier Etat et bien commun et à voir l’histoire de France comme une marche prédéterminée vers la centralité monarchique, sans se préoccuper des possibles qui n’ont pas été. Il faudrait s’interroger plus sérieusement sur le discours des opposants des XIVe et XVe siècles :
- Réévaluer les révoltes nobiliaires. S’il y a un devoir de révolte au XVIe siècle, on voit mal pourquoi il n’en serait pas ainsi avant 1500.
- Faire un relevé de toutes les rumeurs mentionnées dans les textes à l’occasion des crises.
- Le problème central des opposants en France est celui de l’impôt ; c’est le seul à susciter un discours argumenté où se mêlent droit et théologie et le seul à mobiliser durablement l’opinion. Il faut travailler sur les quodlibets anti-fiscaux issus de France du Nord et de Flandre dans la première moitié du XIVe siècle ; le roi est-il propriétaire des biens de ses sujets ? Qu’est-ce qu’un privilège ? Le servage fiscal consiste-t-il à payer l’impôt ou à ne pas le consentir ? Le problème des précédents est loin d’être sans intérêt ; sont évoqués le nom « France », qui garantirait la liberté de tous, les guerres contre l’Empire qui ont mis fin au tribut, ou les rôles fiscaux déchirés par Chilpéric.
13L’histoire politique aurait intérêt en France à se pencher sur ceux qui en furent en quelque sorte les vaincus : les femmes, les princes et les contribuables.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010