Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne
| ,Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge en Allemagne Sèvres 1997
Le passé à la merci de l’oralité et du souvenir. Le baptême de Clovis et la vie de Benoît de Nursie
Texte intégral
- 1 Epistolae Austrasicae no 8, MGH, Ep. 3, p. 122, 1-3. A propos de Nizier, cf. U. Nonn dans. Lexikon (...)
1« Tu as ouï dire que ta grand-mère, Clotilde d’heureuse mémoire, vint au pays des Francs et de quelle manière elle sut amener le seigneur Clovis à la foi catholique ; et comme il était très avisé, il n’eut de cesse de reconnaître le vrai ». Les représentations que le haut Moyen Age avait du passé étaient déterminées par le triple jeu de la mémoire, de l’ouïe et de la transmission orale : « Tu as ouï dire » – Audisti. Cette oralité joue un rôle essentiel même lorsque la connaissance que nous avons de l’événement repose sur une source écrite, comme dans le cas présent, celui d’une lettre adressée par l’évêque de Trèves, Nizier, à la reine mérovingienne des Lombards Chlodoswinde. Originaire d’Aquitaine, Nizier avait été moine avant d’être évêque. Il avait emporté avec lui, de sa région natale aux rives de la Moselle, le culte de saint Martin, qui n’a sans doute pas été indifférent lors du baptême de Clovis. En matière religieuse, Nizier était un redoutable gardien de l’orthodoxie. Et c’est bien d’elle qu’il s’agissait une nouvelle fois : le saint homme pressait la fidèle reine de convaincre son mari, le roi Alboin, d’opter pour la foi catholique1. La mémoire du passé devait donner au présent sa forme et son sens. Le rôle de l’épouse était mis en exergue ; Nizier en revanche gardait le silence sur les circonstances exactes de l’opération : si Clovis avait été baptisé, il s’agissait cette fois de pousser Alboin à la conversion. Nous avons affaire ici à une forme de transmission orale sélectionnée pour une situation précise, et fixée par écrit. Aucun historien ne peut se soustraire au filtre que constitue cet « Audisti, tu as ouï dire ».
2Dès lors en effet que l’on se penche plus précisément sur la question, il apparaît qu’il ne faut pas trop compter sur les facultés mémorielles des civilisations de culture orale ou de celles qui recourent peu à l’écrit. Si aucun palier écrit n’existe entre le moment où une expérience est vécue (information) et le moment où l’on s’en souvient, la mémoire est exposée à d’importantes fluctuations. Le contexte dans lequel l’événement s’est produit, les personnes impliquées, les dates, les lieux et les régions mentionnées, les actes, les buts poursuivis, les intentions et les performances, chaque circonstance isolée – bref, les bruta facta sont exposés à toutes sortes d’altérations. Aucune donnée n’est à l’abri d’une déformation, partielle ou totale. En l’absence de sources parallèles et indépendantes, il est donc strictement impossible de distinguer ce que la mémoire gauchit, et dans quelle mesure elle le fait, ou ce qu’elle ne gauchit pas. Lorsqu’ils prennent pour argent comptant, et sans analyse critique du processus mnésique, des témoignages singuliers évoquant le passé – soit, pour ne citer que quelques exemples, la plupart des textes de Grégoire de Tours, Grégoire le Grand, Paul Diacre, Widukind de Corvey (le Gallus Anonymus), Cosmas de Prague, les plus anciennes chroniques des Polonais et des Tchèques ou encore les écrits de l’érudit Odofredo de Bologne, qui se consacra à l’histoire ancienne de son alma mater – lorsqu’ils occultent les outils et les schémas mnésiques respectivement à l’œuvre chez les uns et les autres, lorsqu’ils négligent le pouvoir d’actualisation de la mémoire, actif en permanence mais sur un mode inconscient, et lorsqu’ils ignorent les stratégies d’omission, individuelles ou collectives, engagées dans l’information remémorée (et non pas, ou pas seulement, dans le présent en souvenance), lorsqu’ils font abstraction, en somme, de l’ensemble des forces susceptibles de déformer les souvenirs et qu’ils considèrent ce type de documents comme s’ils étaient le produit direct de l’événement, comme des procès-verbaux de gendarmerie, pour ainsi dire, ou des comptes rendus de séance parlementaire, les historiens se transforment, sans s’en apercevoir, en fées fileuses de mythes.
3Rien ne saurait les préserver de ce sort, pas même les informations fixées par écrit en différents lieux : ce type de document n’est jamais totalement à l’abri de distorsions, induites par le travail de mémoire et par les processus de transmission orale. Les deux exemples que nous nous proposons d’étudier ici - le baptême de Clovis et la vie terrestre de saint Benoît - mettent en lumière de manière remarquable les mécanismes à l’œuvre dans l’historiographie du haut et du bas Moyen Age. Il s’agit moins, pour nous, d’identifier les différentes strates historiques, littéraires, épigonales où stylistiques - d’analyser, en d’autres termes, le contexte culturel dans lequel ont surgi ces histoires et ces chroniques, si important soit-il - que de porter une attention privilégiée aux processus de sédimentation mnésique eux-mêmes, à la superposition de couches mémorielles et à l’influence qu’elles exercent sur les chroniqueurs, à l’attitude de ces chroniqueurs à l’égard des instruments de la mémoire, à la présence de topoï mnésiques et aux facultés créatrices de la mémoire historique qui, régie par ces topoï, combine sans cesse oubli et invention. Quant au travail littéraire à proprement parler, soit l’utilisation de schémas stylistiques et de modes spécifiques de présentation, il vient ensuite se superposer aux édifices construits par la mémoire et les recouvrir d’un second voile déformant. Ces deux facteurs de distorsion agissent réciproquement l’un sur l’autre. Cependant, nous ne attarderons pas, ici, sur les mécanismes proprement littéraires ; il n’en sera question que de manière périphérique.
Le baptême de Clovis
- 2 Voir surtout, dans l’abondante littérature sur le sujet, W. Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang (...)
- 3 Cf. dans une perspective récente, l’ouvrage de M. Reydellet, La royauté dans la littérature latine (...)
- 4 K.F. Werner, « Introduction », dans La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, H. Ats (...)
- 5 A propos de la tradition orale : W. Levison, dans W. Wattenbach, W. Levison et H. Löwe éd., Deutsc (...)
- 6 A propos de Grégoire de Tours, de Clovis et des sources documentant son baptême, sur les points me (...)
- 7 Gregorii Turonensis, Libri historiarum X, II, 34, MGH, SS rer. Merov. 1,1, p. 82-83 : Grégoire évo (...)
4De quoi Nizier et Chlodoswinde pouvaient-ils donc bien se souvenir ? Qu’entendait-on dire, à leur époque, du baptême de Clovis ? Ces questions nous entraînent dans les profondeurs des représentations religieuses et nationales que chaque siècle, jusqu’à l’époque actuelle, a pu avoir de l’histoire et ne font pas moins que conduire au cœur de la méthode même d’une science historique2. Parmi les sources qui évoquent Clovis, la plus importante est l’ouvrage de l’évêque Grégoire de Tours, Decem libros historiarum ; c’est du moins ce que l’on entend dire généralement3. Depuis quelques temps toutefois, des voix s’élèvent qui voudraient s’émanciper de leur « emprise encombrante » (K.F. Werner)4. Les histoires de Grégoire ont en effet été consignées plus de soixante-dix ans après les faits, sans que l’on ait pu jusqu’à présent découvrir de sources contemporaines dignes de ce nom, elles s’appuient essentiellement sur des traditions orales et leur auteur, né bien après les événements, poursuivait des objectifs ecclésiologiques bien définis, traités dans une perspective typologique et chrétienne5. Grégoire ne fait référence que de manière sporadique à des sources écrites6. Il cite des lettres7 - peut-être même la lettre pastorale que Nizier adressa à Chlodoswinde - et des vies de saints ; il semble en outre avoir eu à sa disposition telle ou telle notice tirée d’annales, ce qui lui permet d’introduire quelques données précises dans son récit, et peut-être même de reconstituer en partie l’ordre chronologique des événements. Au total cependant, si tant est qu’il est aujourd’hui possible de les identifier, les documents dont il disposait semblent avoir été peu nombreux ; ils ont tout juste permis d’élaborer un canevas général. L’essentiel de ce que Grégoire voulait raconter ne pouvait reposer sur de telles sources. On est tenté de soupçonner les propos de Grégoire d’être dans une grande mesure, mais sans pouvoir d’emblée en mesurer la dimension, de purs édifices de mémoire, élaborés par une génération tardive et fort éloignés des événements. Aucune mémoire soutenue seulement par l’oralité n’est en effet capable de se souvenir fidèlement d’époques aussi reculées sans recours à des secours spécifiques, pas même la mémoire, on l’a vu plus haut, des individus impliqués directement dans les événements.
5Le travail consistant à prouver que les propos de Grégoire sont exacts d’un point de vue factuel - à élucider, par exemple, si Clotilde a donné l’impulsion décisive pour le baptême, si la victoire sur les Alamans a ouvert une ère nouvelle ou si celle-ci a été induite par une autre guerre, si c’est la ville de Tours, ou celle de Reims, qui fut le théâtre des événements – tout de même que le devoir de sélection qui s’impose pour savoir quelles affirmations de Grégoire sont fiables ou non - n’incombent pas à ceux qui se défient de cet auteur, mais bien à ceux qui se réclament de ses récits et s’y appuient. Vouloir mesurer le degré de vraisemblance de telle ou telle information ne sert à rien, tout au plus à filer de nouveaux mythes. Les historiens, évidemment, n’en sont pas toujours conscients. Il est donc absolument nécessaire de partir du principe méthodologique suivant lequel rien, absolument rien, ne s’est produit comme le raconte Grégoire, mais que chacun des volets de son récit peut contenir des éléments pertinents. Le degré d’amalgame entre ce qui est « réel » (quelle que soit l’acception de ce terme), ce qui a été oublié et ce qui relève de la fiction dans l’édifice de souvenirs élaboré par Grégoire, ainsi que le coefficient de distorsion à l’œuvre dans ses histoires, doivent être spécifiquement évalués au cas par cas. On peut redouter, hélas, que cette méthode ne puisse être qu’exceptionnellement appliquée dans le cas d’un auteur aussi ancien, et aussi singulier que Grégoire. L’historien aussi, en bien des points, est lui-même incapable de dépasser le stade du mythe.
- 8 Epistolae Austrasicae 1-3, MGH, Ep. 3, p. 112-114.
- 9 Grégoire de Tours évoque la lettre de consolation que Rémi adressa à Clovis dans Hist. II, 31, p. (...)
- 10 Une version courte, et peut-être authentique, de ce testament se retrouve dans Hincmar de Reims, V (...)
- 11 Avitus ep. 46, MGH, Auct. Ant., 2, p. 75-76 ; il se peut que la lettre sans destinataire publiée d (...)
- 12 Cassiodore, Variae, 3, 4 et 3, 41.
- 13 MGH, Capit. I, no 1, p. 1-2.
- 14 Concilium Aurelianense MGH, Conc. 1, p. 1-14 (à partir de 511, juillet 10).
- 15 Sur ce point, voir le résumé de M. Heinzelmann, « Clovis dans le discours hagiographique du VIe au (...)
- 16 Procope, Gotenkriege, en particulier V, 12, 12-19, grec-allemand, publié sous la direction de O. V (...)
6Avant de se pencher sur le récit de Grégoire, il convient de s’assurer de ce que les contemporains directs, ou chronologiquement très proches de Clovis, avaient à dire sur la question. Les témoignages disponibles sont loin d’abonder. Il s’agit, dans un ordre chronologique approximatif, de trois lettres de Rémi de Reims, dont le contenu, eu égard à leur seule attestation dans une anthologie de textes à usage manifestement scolaire, est loin d’être au-dessus de tout soupçon8. Il n’est pas exclu que Grégoire de Tours ait connu cette anthologie et qu’il l’ait utilisée9. Nous possédons par ailleurs le testament de Rémi, dont l’authenticité est à tout le moins contestée et dont le style trahit un évident travail de réécriture intervenu à l’époque carolingienne10. On peut y ajouter une ou deux lettres de saint Avit de Vienne, dont Grégoire a pu avoir connaissance même s’il ne les cite pas11, deux lettres adressées par Théodoric le Grand à son collègue franc12, un seul document de la main même de Clovis13, ainsi que le procès-verbal d’un synode adressé au roi des Francs14, et, enfin, quelques informations dispersées dans divers textes hagiographiques du VIe siècle15. Il convient aussi, dans la mesure où il est chronologiquement éloigné de Grégoire et où il puise dans une tradition non franque, de tenir compte d’un passage de Procope, extrait de la Guerre des Goths16. Mais au total, ces documents livrent seulement quelques informations disparates, parvenues jusqu’à nous par hasard. Même conjuguées les unes aux autres, elles ne permettent pas d’écrire, de Clovis et de son baptême, une histoire digne de ce nom. Comme c’est si fréquemment le cas, les informations relatives à cette figure éminente de l’histoire universelle sont tellement parcimonieuses qu’elles ont permis la formation de légendes qui se sont progressivement substituées au savoir. Il faut attendre Grégoire de Tours pour que soit fixée la première relation cohérente – mais combien elliptique – du règne de Clovis. C’est elle qui détermine, jusqu’à aujourd’hui, l’image que nous avons du passé. De son vivant, le roi mérovingien n’a été loué par aucun poète et aucun historiographe n’a dicté son histoire. Son ascension s’est produite à l’écart de tous les centres littéraires de l’antiquité déclinante ; il semble avoir surgi tout à coup, et c’est après sa mort seulement que son baptême est entré dans le domaine de la légende.
- 17 Epistolae Austrasicae 2, MGH, Ep. 3, p. 113 ; publié sous la direction de H.M. Rochais (Corpus Chr (...)
- 18 Le jugement notamment émis par A. Hauck dans Kirchengeschichte Deutschlands, 1, Berlin-Leipzig, 19 (...)
- 19 Le paganisme de Childéric est figuré de manière saisissante par sa sépulture : R. Brulet, « Tourna (...)
- 20 C’est en tout cas la thèse défendue par Wood (ci-dessus note 6), p. 266 et suiv. et dans son ouvra (...)
- 21 Ailleurs, Grégoire mentionne une seconde sœur de Clovis, déjà baptisée par les ariens mais qui se (...)
- 22 Grégoire de Tours, Hist. II, 31, p. 77-78.
- 23 C. 26 MGH, SS rer. Merov., 3, p. 226. Sur les questions de datation au début du VIe siècle, voir M (...)
7Et pourtant ces témoignages épars livrent des éléments intéressants. La plus ancienne mention du nom de Clovis intervient dans une lettre où saint Rémi félicite le Mérovingien de son entrée en fonction dans la province romaine de Belgique Seconde, semble-t-il, et où il formule quelques exhortations d’ordre religieux17. La datation est controversée et l’interprétation malaisée. Certains chercheurs estiment que la missive date de 481 ou 482, lorsque Clovis avait pris la succession de son père, d’autres en situent la rédaction en 486, lorsque le Mérovingien prit possession du royaume de Syagrius. Il n’est plus possible, à l’heure actuelle, de déterminer si la lettre nous est parvenue dans son intégralité. Elle peut avoir été abrégée ou réécrite, tirée d’une lettre d’un tout autre genre et transformée en banal billet de félicitations accompagné d’un miroir du prince chrétien. Qu’importe, elle semble avoir atteint Clovis avant son baptême spectaculaire ; mais elle s’adresse au destinaire... comme s’il était chrétien. L’historiographie n’a jamais occulté cette ambivalence, mais elle a toujours eu du mal, curieusement, à lui conférer un sens18. Dans cette lettre, Rémi, qui allait baptiser Clovis quelques années plus tard, rappelait à la mémoire du roi adolescent l’exemple de ses parents (parentes tui) et l’exhortait surtout à faire en sorte que la Providence divine ne le quitte pas19. Une lumière peu commune éclaire ici la religion de Clovis et de ses parents : il ne s’agit pas, à en croire cette lettre, d’un paganisme grossier mais tout au plus d’un stade intermédiaire, d’un christianisme non encore réalisé que Dieu avait disposé favorablement, voire aussi, pourquoi pas, d’une attirance ouverte pour l’hérésie arienne, et déjà, par conséquent, pour la religion chrétienne20. Les lettres que Rémi écrivit ensuite à Clovis, pour le consoler21, dans la première, de la mort de sa sœur (baptisée elle aussi, peut-être en même temps que Clovis ?)22 et pour évoquer, dans la seconde, le gouvernement de l’Eglise par le souverain, ont sans conteste été écrites après le baptême ; elles ne comportent donc aucun indice susceptible d’éclairer l’histoire de la conversion. Retenons cependant que le Mérovingien, dès avant son baptême, semble avoir été très proche de la religion chrétienne. Ce sentiment est confirmé notamment par ce passage de la vie de sainte Geneviève (rédigée peu après la mort de Clovis, probablement à l’instigation de sa veuve Clotilde) où il est écrit que Childéric déjà, le père de Clovis, « vénérait la sainte d’un ineffable amour »23.
- 24 MGH, AA, 6, 2, p. 75-76, no 46 ; sur ce point, Daly, Clovis (ci-dessus note 2), p. 637-641.
- 25 Si la mère de Clovis était de religion chrétienne (ci-dessus note 19), elle peut aussi avoir été a (...)
- 26 Cela ne suffit sans doute pas à faire de Clovis un arien, et par conséquent un chrétien. A en croi (...)
- 27 Avitus, ep. 46 MGH, AA 6, 2 p. 75, 7-16 ; à propos de ce passage, cf. N. Staubach, « Germanisches (...)
- 28 La question est résumée chez Nolte, Conversio und Christianitas, p. 72.
8Une lettre écrite par saint Avit de Vienne va dans le même sens. Elle nous est parvenue au cœur d’un ensemble de lettres rédigées par le saint24 ; on peut donc penser que son contenu a été traité avec le plus grand respect, et qu’il n’a pas subi de déformation (même si la fin est coupée). Avit était lui aussi évêque catholique. Sa lettre indique en introduction que des hérétiques, incontestablement des ariens, ont courtisé le roi franc et qu’ils ont exercé une certaine influence dans son entourage25, mais que Clovis, après quelques hésitations – c’est en tout cas ce que suggère le message central de la lettre – a fini par opter pour la confession nicéenne26. Ces lignes trahissent encore l’immense soulagement et le sentiment de triomphe de leur auteur. Contrairement à d’autres dans la même situation, Clovis, poursuit-il, n’est pas resté indécis, il ne s’est pas souvenu, dans un mouvement de vénération craintive, du culte de ses ancêtres, bien au contraire : il a rompu avec eux, il a conservé seulement la noblesse et assuré ainsi à ses descendants la cosouveraineté dans le ciel27. L’affaire était pensée en termes de descendance. Epouse de Clovis et mère des Mérovingiens à venir, la reine Clotilde – que Nizier de Trèves allait faire entrer en jeu des décennies plus tard et dont il paraît attesté, à l’heure actuelle, qu’elle a donné l’impulsion décisive au baptême28 – est occultée dans ce document évoquant les états d’âme d’un roi combattant pour l’avenir de sa progéniture. Clotilde n’était-elle donc pas encore ce qu’elle allait devenir plus tard, l’épouse catholique qui incite Clovis à se faire baptiser ? Etait-il donc possible que saint Avit l’ait complètement ignorée ?
- 29 Avitus, ep. 46, MGH, AA, 6, 2, p. 75, lignes 7-10.
9L’auteur de la lettre ne demeure pas drapé dans un silence propice aux malentendus. Il cite ouvertement ceux qui, lors de telles opérations de conversion, exercent des pressions et tentent de convaincre : des « prêtres » donc, et des « commensaux », sacerdotes et sodales29 : deux termes qui ne désignent assurément pas les épouses. Et pourtant Avit aurait eu de bonnes raisons de nommer Clotilde si, pour cela, l’occasion s’en était présentée. L’évêque des Burgondes n’essayait-il pas justement, à cette époque, d’obtenir la conversion de l’arien Gondebaud, son propre roi et le plus proche parent de Clotilde en pays burgonde ? Aurait-il fallu que la reine se soumette elle aussi à une conversion avant de pouvoir guider son époux vers la juste religion ? Avit se contente de « flatter » le souverain. Il lui écrit qu’avant même sa perfectio, son baptême, il n’avait pas négligé la foi : « Que nous sert de prêcher la foi à un être parfait ? Cette foi que tu voyais avant même de devenir parfait (par le baptême) et sans l’aide d’aucun prêtre » (Numquid fìdem perfecto praedicabimus, quam ante perfectionem sine praedicatore vidistis). La conversion qui s’esquisse ici ressemble bien peu à celle que Nizier élaborera des décennies plus tard et que Grégoire de Tours complétera après lui.
- 30 Cf. ci-dessus note 16 ; cf. Tessier, Baptême, p. 78, 84 et suiv.
10Or cette histoire est attestée par d’autres sources. Procope raconte en effet30 comment les Arborychiens, qui peuplaient la région comprise entre Seine et Loire - dont les pirates saxons venaient d’être chassés par Childéric, père de Clovis - avaient fini par se rallier aux Francs après quelques batailles à l’issue indécise. L’argument était le suivant : les Francs, ou « Germains » comme les appelle Procope, étaient chrétiens, et les Arborychiens ne voulaient pas s’allier avec les Visigoths, qui pratiquaient l’arianisme. Faut-il croire Procope ou Grégoire de Tours ? Le terme de « Francs » signifiait avant tout la famille des souverains des voisins les plus proches, les Mérovingiens, et non les Francs Rhénans établis dans la région de Cologne. Une fois de plus, il n’est pas question de paganisme radical dans l’entourage du roi Clovis, mais plutôt d’une attitude que l’on interprétait déjà, en certains lieux, comme un signe de foi chrétienne. Faut-il alors penser que la conversion s’est opérée sans aucune pression burgonde ? En fait, les sources qui soulignent avec insistance la conversion de Clovis et accordent une place essentielle à Clotilde, présentée comme instigatrice du baptême, sont toutes beaucoup plus tardives. La plus ancienne de ces sources, à supposer qu’elle soit authentique, est le testament de Rémi.
- 31 MGH, AA, 4, 2, p. 64-67 ; sur ce point, voir l’annexe ci-dessous.
- 32 Avitus, ep. 46, MGH, AA, 6, 2, p. 75, ligne 7.
11Les deux versions qui existent de ce testament (courte pour l’une, longue pour l’autre) posent véritablement problème et il est à peu près certain qu’elles ne datent pas du VIe siècle. Il y est dit que l’évêque possédait, entre autres, des biens que lui avait offerts Clovis, « à qui j’ai administré le baptême », indique Rémi dans l’une et l’autre version. Dans la version longue, il est précisé que l’évêque a immédiatement reversé une partie de ces cadeaux pour l’entretien des pauvres. Il est dit aussi qu’il a reçu ces biens « lorsque le roi était encore païen et qu’il ne reconnaissait pas Dieu. Lui qui était encore incroyant ne devait pas me regarder comme convoitant les richesses terrestres, ni me considérer comme moins occupé par le salut de son âme que par l’obtention des biens extérieurs qu’il pourrait me procurer ». Clovis, poursuit Rémi, fut étonné de cette attitude et, « fidèle, sans avoir encore fait profession de foi » (et fidelis et ante fidem), il autorisa l’évêque à venir en aide aux malheureux. Nous voici en présence d’un nouvel indice qui suggère un christianisme de fait avant le baptême, doublé, à la même époque, de relations étroites entre un évêque et un roi. Mais cet indice est tiré de la version longue et particulièrement suspecte du testament : on ne peut donc pas en tenir compte. Quant aux autres sources, elles ne donnent aucune indication directe sur la conversion de Clovis ; la vie de saint Rémi, notamment (la Vita Remedii, sans doute rédigée au VIe siècle) est muette sur ce point31. Il n’est pas évoqué non plus dans les lettres de Théodoric le Grand, ce qui s’accorde avec l’arianisme du roi des Goths. Qui plus est, aucun contemporain de Clovis n’établit de relation entre le baptême et un quelconque événement militaire, une victoire par exemple. Bien au contraire. Avit, qui célébrait dans un même mouvement le triomphe sur l’hérésie et le baptême – vestra fides nostra Victoria est32 – laissait entendre dans sa lettre que les premières victoires du néophyte le mettaient dans l’obligation de répandre la foi parmi les païens.
- 33 Cf. E. Ewig, « Das Bild Konstantins des Groβen in den ersten Jahrhunderten des abendländischen Mit (...)
- 34 Clotilde est qualifiée de bienheureuse, beata : Hist. X, 9, p. 532.
12Tout cela concorde mal avec ce que nous enseigne la « principale » source décrivant le baptême de Clovis, les Histoires de Grégoire de Tours. Le roi des Francs y est décrit comme un païen pur et dur, un « nouveau Constantin » même, et il est à ce titre le symbole de tout un changement d’époque33. L’épisode de la miraculeuse victoire militaire, cause immédiate du baptême et signe de nombreux miracles ultérieurs, apparaît ici pour la première fois. Grégoire fait l’éloge de la pieuse, plutôt, de la « sainte » épouse34 de Clovis et fait « secrètement » entrer en scène l’évêque Rémi. Il raconte une histoire complètement différente de celle que les sources contemporaines des faits ont suggéré. Il montre un Clovis encore complètement pris dans les rets de l’incroyance et de la superstition ; de baptême il n’avait été pendant longtemps nullement question. Mais voilà Clotilde inquiète pour le salut de son premier-né ; Clovis, nous dit-on, n’accepte qu’avec réticence que l’enfant soit baptisé. Le garçon meurt peu après ; le père, furieux, recommande le culte de ses propres dieux et se répand en invectives contre le Dieu de son épouse Clotilde. Un second fils vient au monde, le petit jeu se répète ; mais la reine trouve refuge dans la prière et – ô ! – le puîné guérit. Mais le mari n’est toujours pas gagné à la cause chrétienne. Il faut encore que les Francs entrent en guerre contre les Alamans et qu’ils soient menacés d’une redoutable défaite, pour que le roi implore enfin le Dieu étranger. Et ce dernier vient au secours de Clovis. Clotilde peut enfin, même si elle le fait en secret, faire appel à son catéchiste Rémi, qui parvient à obtenir la conversion de Clovis. Sur le champ de Mars, lorsqu’il s’apprête à demander l’approbation de son peuple, de l’armée franque, le roi nouvellement baptisé n’a pas le temps de dire un mot que –miracle – le peuple a déjà adopté le culte de son souverain. Trois mille Francs se font immédiatement baptiser. La récompense est là : de nouvelles victoires contre les Visigoths, spectaculaires et auréolées d’un éclat miraculeux, et l’anéantissement des Francs païens ( ?) des régions rhénanes. C’est ainsi que Grégoire expose les faits, soixante-dix ans plus tard.
13Sa version des faits nous met donc en présence d’un paganisme inébranlable chez le Mérovingien, qui implore ses idoles, et d’une reine catholique qui incite son époux à accepter le baptême, d’un évêque nommé Rémi qui administre ce baptême et d’une victoire miraculeuse contre les païens, qui rappelle les exploits de Constantin. D’ailleurs, c’est bien d’un nouveau Constantin qu’il s’agit, et d’un nouveau Sylvestre – même si l’historien de Tours passe soigneusement sous silence que c’est un arien qui avait administré le baptême à l’empereur romain. Il n’est pas question, dans la version grégorienne, de la sympathie ancienne que la famille royale éprouvait pour l’Eglise, ni de l’attitude presque déjà chrétienne dont témoignent les lettres contemporaines des faits. Rien de tout cela : c’est secrètement, d’après Grégoire, que Clotilde fait venir son catéchiste auprès d’elle, pour qu’il enseigne la nouvelle religion à cet époux embourbé dans la superstition ; c’est secrètement toujours que l’évêque Rémi demande au païen de venir le trouver pour lui enseigner la foi. Un païen dont nous savons par ailleurs qu’il entretenait avec l’évêque, et depuis longtemps, des relations épistolaires, qu’il avait déjà reçu de lui des enseignements publics, un païen qui dans la bataille, écrit Grégoire, les bras levés et les larmes aux yeux – visibles de loin – avait imploré le Dieu de Rémi pour obtenir la victoire et qui, bien avant son initiation, avait couvert de cadeaux celui qui le baptiserait par la suite. A qui pouvait bien servir cette édifiante histoire ? Pourquoi a-t-elle été écrite comme elle l’a été ? Et quels outils le chroniqueur a-t-il mobilisés ?
- 35 Epistolae Austrasicae 8, MGH, Ep., 3, p. 121, 24-31.
- 36 MGH, Ep., 3, p. 122, 3-5.
14La lettre pastorale que l’évêque Nizier de Trèves adressa, quelques soixante ans après les faits, à la reine mérovingienne des Lombards Chlodoswinde, rappelle que l’image propagée par Grégoire n’est pas la seule que l’on se faisait, à cette époque, du baptême et du royaume de Clovis. Les sources auxquelles Grégoire et Nizier puisent leur connaissance de l’événement sont les mêmes. Et pourtant le savoir est différent chez l’un et l’autre. A Tours, sur le tombeau de saint Martin, Nizier a assisté à des scènes où les aveugles recouvraient la vue, les sourds se mettaient à entendre et les muets à parler35. C’est à Tours, indique-t-il, et nous suivons ici sa lettre, que l’adoration du Dieu juste pourrait s’imposer à Alboin, de même qu’elle s’était imposée à Clovis au même endroit, à la vue des miracles de saint Martin36. L’évêque de Trèves conseille en outre à la jeune reine de se placer sous la protection de saint Rémi (de Reims) et saint Médard (de Soissons) : « Je crois que tu devrais leur rendre visite. Nous serions bien incapables de dire combien de miracles Dieu a accompli par leur intermédiaire ». Nizier avait donc également prié sur leurs tombes. Mais un fait surprend : face à ces thaumaturges, il ne vient pas à l’esprit de Nizier de rappeller le geste de Clotilde, la grand-mère de Chlodoswinde, ce geste qui avait finalement trouvé sa réalisation, selon Grégoire, grâce à l’intervention de Rémi, ce geste dont il recommandait la puissance miraculeuse à la reine lombarde : le baptême de Clovis. Non, c’est à Tours, écrivait-il, qu’il convenait d’aller chercher la véritable foi chrétienne, sur le tombeau de saint Martin. Moine et évêque, grand voyageur et grand érudit, Nizier pouvait-il donc ignorer les traditions rémigiennes ? Ce qu’il avait appris en Aquitaine et à Tours, et emporté avec lui en Moselle, faisait-il pâlir ces traditions ? Ne comptait-on pas, dans le Sud, le baptême de Clovis au nombre des miracles de Rémi ? Ce baptême n’était-il donc pas encore entouré de mystère, n’était-ce pas un événement miraculeux ? Ou bien cette victoire venue du ciel, qui avait conduit au baptême, s’était-elle métamorphosée pour des raisons de cohérence interne à la mémoire ? De guerre contre l’hérésie, était-elle devenue une bataille contre le paganisme ?
- 37 Heinzelmann le fait très justement remarquer dans son article intitulé « Clovis dans le discours h (...)
- 38 Sur ce point, cf. W. Levison, « Zur Geschichte des Frankenkönigs Chlodowech », dans Id., Aus rhein (...)
- 39 Grégoire de Tours, Hist. II, 37, p. 85-88. Sur ce point, cf. M. McCormick, « Clovis and Tours. Byz (...)
15Le récit de Grégoire s’inscrit lui aussi dans la lignée de schémas narratifs et mnésiques vieux de plusieurs millénaires ; fondue désormais dans un moule chrétien, l’histoire de Clovis prend des allures hagiographiques37. D’un point de vue positiviste, cela ne permet en rien de tirer des conclusions sur son degré d’exactitude. En revanche, cela prouve sa « vérité » interne, au sens où l’entendaient ceux qui, jadis, se racontaient cette histoire. Le motif de l’épouse dévouée, qui occupe encore une position centrale au sein de la maison royale dans le miroir des rois de Sedulius Scottus (IXe siècle), et le motif de la bataille gagnée par miracle - que, dans le cas de Clovis, d’autres sources opposent non point aux Alamans mais aux Visigoths38 - comptent parmi les supports mnésiques les plus répandus dans les sociétés tant dépourvues que pourvues de tradition écrite. Ces motifs étaient toujours « vrais ». Grégoire lui-même y recourt une seconde fois, lorsqu’il décrit la bataille décisive que Clovis livre aux Visigoths. Une nouvelle fois, le roi des Francs implore Dieu de lui accorder la victoire, il promet cette fois d’importantes offrandes à saint Martin de Tours, il est conduit miraculeusement sur le champ de bataille, assailli par ses ennemis - blessé, mais il ne meurt pas. Ayant échappé de justesse à la mort et désormais doté de forces prodigieuses, il arrive à la tête de son armée devant les portes d’Angoulême. « Là, le Seigneur lui accorda tant de grâce qu’il lui suffit de regarder les murs de la ville pour qu’ils s’effondrent d’eux-mêmes ». Avec le culte de saint Martin, les Francs sont devenus le peuple élu. C’est ainsi que Clovis peut « retourner à Tours en vainqueur », où lui sont décernés les titres de consul et d’auguste, où il revêt la pourpre et se coiffe d’un diadème39. Tous ces éléments, et bien d’autres encore, sont de nature hagiographique. Le miracle du baptême gagne en importance, Clovis est élevé au rang de souverain béni, il règne sur le nouveau peuple élu de Dieu. Avec saint Martin, l’historiographe peut donc mettre en scène l’accomplissement de ce qui avait été préparé par saint Rémi.
- 40 Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang zum Christentum » (ci-dessus note 2), p. 10-11.
- 41 Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang », p. 27. Nolte déjà, dans Conversio, p. 77-78, avait identi (...)
16Les traditions que nous rencontrons chez Nizier et Grégoire conduisent directement à Tours. C’est là que l’évêque de Trèves situe le baptême de Clovis, influencé dans sa décision, selon l’auteur, par le seul pouvoir de saint Martin et sans l’intervention de Rémi pourtant bien connu ; c’est là que Clotilde se retire après sa destitution et la mort de son époux ; et c’est là que Grégoire affûte sa plume pour fixer par écrit une histoire où le rôle de saint Martin est magnifié (sa protection permet désormais de remporter des victoires), condition qui autorise Grégoire à donner à Rémi le rôle de catéchiste victorieux. On ne s’étonne pas de retrouver dans ces deux histoires, celle des évêques et celle de Clotilde, l’influence déterminante et cruciale de la princesse burgonde, première reine catholique des Francs, dont un chercheur moderne, Wolfram von den Steinen, pense entendre la voix dans le récit de Grégoire40. Mais, que l’on nous permette de demander ce que peut bien vouloir dire « une tradition orale impeccable » (eine tadellose mündliche Überlieferung) pour reprendre les termes de cet auteur41. A ma connaissance, Von den Steinen ne s’est pas expliqué sur ce point. Peu importe, on pouvait recueillir les souvenirs de Clotilde, quels qu’ils aient été, dans la ville de Tours. Mais étaient-ils exacts ? Le récit de Grégoire, qui mêlait sans aucun doute de tels souvenirs (comment pourrait-il en être autrement ?) et d’autres venus d’ailleurs, en est cependant séparé par un nombre inconnu d’histoires merveilleuses, rapportées par des tiers, toujours plus éloignées de leur origine. Qu’est-ce qui, dans ces conditions, reste pertinent dans le récit de Grégoire ?
- 42 B. Opfermann, Die liturgischen Herrscherakklamationen im Sacrum Imperium des Mittelalters, Weimar, (...)
17La comparaison avec la lettre de Nizier permet d’observer directement, et en action, le pouvoir manipulateur de la mémoire collective (qui exploite des informations orales et écrites). Clotilde joue un rôle actif chez Grégoire comme chez Nizier (et dans les sources qu’ils utilisent), et les deux récits datent la visite de Clovis à Tours de la même époque, entre son baptême et la guerre gothique. Mais chez Grégoire, saint Martin a gagné en puissance, il n’est plus impliqué dans l’acte baptismal, et commence, accompagné de saint Hilaire, l’ascension qui fera de lui le saint patron de l’empire Franc. Peu de temps après, le manteau de saint Martin devient la plus précieuse relique des Mérovingiens, et celui qui le portait jadis est leur patron unique. Dans les plus anciennes laudes royales franques aujourd’hui conservées – quoique leur transcription la plus ancienne soit d’époque carolingienne – Martin est présenté comme le saint patron de l’Aquitaine, tandis que Hilaire, Martin et Maurice sont ensemble les patrons de l’armée « romaine »42. Saint Rémi, lui, n’a pas eu la chance de connaître une telle carrière.
- 43 Venantius Fortunatus Vita s. Hilarii c. VII, 20 MGH, SS rer. Merov., p. 9. Sur ce point, cf. Heinz (...)
- 44 Grégoire de Tours, Hist. II, 37, p. 86.
- 45 Tout au moins avec le monastère dirigé par sainte Radegonde, l’une des quatre épouses de Clotaire (...)
18L’ascension de saint Hilaire est, elle aussi, présente en germe dans les Histoires de Grégoire de Tours. Elles évoquent en effet ou plutôt pointent l’existence d’un autre miracle lié à la vie de Clovis. Ce miracle se produit pendant la guerre gothique, lorsque le roi et son armée arrivent à proximité de Poitiers43. Tout à coup le futur vainqueur, béni de Dieu, est entouré d’une vive lumière, surgie de l’église (cathédrale) de Saint-Hilaire44. Grégoire utilise comme source la Vita s. Hilarii de Venance Fortunat, mais il amplifie ce qu’il y trouve pour lui donner une dimension miraculeuse. Poitiers était l’évêché de son ami, Venance justement ; après la mort de ce dernier, Grégoire continua d’entretenir avec cette ville d’étroites relations45. A plusieurs reprises affleure ainsi un horizon mémoriel dans lequel Grégoire lui-même est impliqué : collaboration entre les Francs et les Romains catholiques vivant dans l’empire visigoth arien, d’une part, citation explicite des saints qui, à l’époque où Grégoire rédige son ouvrage, protègent les rois alors en fonction ou les descendants de Clovis, d’autre part.
- 46 Pour la Gaule, cf. O. Pontal, Histoire des conciles mérovingiens, Paris, 1989, p. 296 (entre autres (...)
- 47 Cf. Bourgain et Heinzelmann, « Courbe-toi » (ci-dessus note 2), p. 605.
- 48 III, 21, MGH, SS rer. Merov., 2, p. 101
- 49 B. Kleinheyer, « Sakramentale Feiern. I. Die Feiern der Eingliederung in die Kirche », dans Gottes (...)
19Résumons-nous : le Decerti libros historiarum de Grégoire de Tours offre une image du souvenir construite à la fin du VIe siècle à propos des débuts du royaume chrétien des Francs et de la victoire remportée, près d’un siècle plus tôt, par la religion vraie sur l’hérésie et l’incroyance. Le baptême de Clovis constitue l’un des éléments de cette image produite par la mémoire, il est le socle d’un vaste monument dressé à la gloire de saint Martin. Mais tout reste extrêmement fluide ; et il n’est plus possible aujourd’hui de déterminer ce qui est « exact », ce qui est un produit créé par la mémoire individuelle ou collective, ce qui a ensuite été déformé par le travail littéraire ou par une historiographie typologique. Un dernier exemple, tiré de la constellation baptismale, illustre de manière frappante ce phénomène : il s’agit de savoir à quelle période de l’année liturgique Clovis a été baptisé. Au cours du haut Moyen Age, on s’est progressivement accordé sur la date de Pâques46. Pourtant chez saint Avit, le baptême intervient à Noël, ce qui était encore possible, à cette époque, en vertu du rite gallican. Il n’y a aucune raison de douter de cette information. Nizier ne se sentait pas obligé de préciser la date du baptême lorsqu’il rappelle à Chlodoswinde l’exemple de sa grand-mère. Grégoire de Tours reste également muet sur ce point, même s’il semble avoir plutôt penché pour Pâques que pour Noël47, ce qui n’a pas manqué, au reste, d’avoir des conséquences presque immédiates. C’est ainsi que Frédégaire, qui s’appuie sur les écrits de Grégoire, indique que le baptême de Clovis a eu lieu à Pâques, comme s’il s’agissait d’une affaire entendue48. Et les choses en restèrent là. Depuis, la date de Pâques fait généralement autorité49. Le présent normatif a progressivement recouvert et évacué le passé qui, pour sa part, est muet. Si un heureux hasard ne nous avait pas conservé la lettre de saint Avit et transmis son allusion rapide à la fête de Noël, aucun historien critique, fût-il rompu aux méthodes philologiques, n’aurait eu l’idée de douter de la facticité de ce qui est faux. Et la méthode du hasard n’est-elle pas bien souvent défaillante ?
20Dans ces conditions, un seul et unique constat est possible, et il s’impose : la « principale » source dont nous disposons, l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, est fausse, objectivement fausse, il s’agit d’une construction fictive. Il n’est même pas possible d’apprécier dans quelle mesure elle déforme et défaille, construit et invente. Les doutes s’emparent ainsi de l’attitude de Clovis avant son baptême, tout comme du rôle attribué à Clotilde, de la victoire remportée sur les Alamans et les hérétiques, de saint Martin, de saint Hilaire, de saint Rémi, et de bien d’autres éléments encore. La vaste diffusion manuscrite de cette Histoire des Francs, et l’absence d’autres sources écrites offrant des images du souvenir différentes, ont facilité la canonisation du Clovis façonné par Grégoire. Toutes les évocations postérieures du fondateur du royaume chrétien des Francs, y compris celles qui ont été élaborées par l’historiographie moderne, puisent leurs informations chez Grégoire, même si les chroniqueurs qui lui ont succédé n’ont pas suivi sa tendance hagiographique. L’évêque de Tours, et non le roi des Francs, la mémoire, et non les faits de guerre, dominent et contrôlent les débuts de l’histoire franque. La mémoire s’est superposée à la vie.
Qui était Benoît de Nursie ?
- 50 L’édition la plus récente du texte est la suivante : Grégoire le Grand, Dialogues. Texte critique (...)
- 51 F. Clark, The Pseudo-Gregorian Dialogues (Studies in the History of Christian Thought 37-38), 2 vo (...)
21Il est à la même époque un autre personnage de grande envergure, singulier et vénérable, dont l’image, fixée elle aussi vers 600, a rayé de la mémoire et occulté le cours terrestre de sa vie propulsé à une réalité bien supérieure à celle de sa seule actualité, l’a brouillé tout en le manifestant : il s’agit de saint Benoît, père du monachisme occidental. Qui était-il en vérité ? On a reparlé de lui tout récemment parce que l’authenticité de la seule source dans laquelle sa vie, son œuvre et ses monastères se trouvent documentés, les Dialogues de Grégoire le Grand, a été remise en cause50. L’anglais Francis Clark a en effet tenté, en deux importants volumes, de défendre la thèse (ancienne et désormais réactualisée) selon laquelle les quatre livres d’histoires miraculeuses attribuées au célèbre pape ont en fait été écrits environ quatre-vingts ans après sa mort51. Si c’était le cas, l’imposante figure de saint Benoît s’évaporerait en une traînée de mensonges. La démonstration de Clark s’appuie sur un certain nombre de constatations : Grégoire, contrairement à son habitude, n’a jamais fait allusion aux Dialogues de son vivant ; ils ne sont pas mentionnés parmi la liste presque complète des œuvres du pape dans le Liber Pontificalis, le livre d’histoire officieux de l’Eglise romaine du temps de Grégoire ; Isidore de Séville, pourtant grand admirateur de Grégoire et à peine plus jeune que lui, ne semble pas les avoir connus dans son De viris illustribus ; le style des Dialogues et leur vocabulaire, en outre, ne correspondent pas à ceux des autres ouvrages du grand pape, et bien d’autres arguments encore.
- 52 A. De Vogüé, « Grégoire le Grand et ses Dialogues d’après deux ouvrages récents », Revue d’histoir (...)
- 53 P. Mayvaert, « The Enigma of Gregory the Great’s Dialogues. A Response to Francis Clark », Journal (...)
- 54 A propos des questions de style et de la forme littéraire des Dialogues, voir : E. Auerbach, Liter (...)
- 55 Cf. en particulier Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), passim. Rappelons que pour arr (...)
22La thèse de Clark a été réfutée immédiatement, et avec beaucoup d’énergie, notamment par le plus récent éditeur des dialogues, Adalbert de Vogüé52, et par l’un des meilleurs connaisseurs actuels de l’œuvre complète de Grégoire, Paul Mayvaert53. Selon eux, ces dialogues sont authentiques, ils ont été écrits quelques années avant la mort de Grégoire, en 593/594, mais ne furent simplement pas « publiés » de son vivant. On peut laisser de côté les arguments avancés par les uns et les autres. Mais une chose est certaine : c’est à partir du début du VIIe siècle que ces dialogues ont commencé à être diffusés. Clark va trop loin, donc, lorsqu’il nie qu’ils ont été rédigés vers 600. Et pourtant nombre de ses arguments restent valables. Dès l’Humanisme et la Réforme, le contenu et le style des dialogues ont suscité de vives réticences malgré leur forme littéraire accomplie ; ils étaient considérés, ou dénoncés, comme un corps étranger dans l’œuvre de Grégoire54. Par ailleurs, il revient incontestablement à Clark le mérite d’avoir étudié avec précision l’intéressante histoire de la réception des Dialogues. S’ils semblent avoir été connus ici ou là dès le début du VIIe siècle, leur véritable diffusion, marquée par un immense succès, ne s’esquisse que plusieurs décennies après la mort de Grégoire (604), peut-être même seulement à partir de la seconde moitié du VIIe siècle, non point à Rome ou en Italie, centre de la chrétienté latine, mais à sa périphérie. Les sources réunies par Clark ont été complétées et confirmées en ce sens55. Il s’agit là d’un phénomène étrange. La réception des textes véritablement dus à Grégoire, en effet, n’est jamais intervenue aussi longtemps après leur rédaction, et elle ne s’est jamais produite de manière aussi excentrée. Les doutes émis par Clark quant à l’authenticité des Dialogues ne peuvent donc être complètement écartés. Sont-ils véritablement l’œuvre de Grégoire ? Et quelle lumière, dans ces conditions, éclaire Benoît de Nursie ?
- 56 A propos de Grégoire, cf. R.A. Markus, Theolog. Realenzyklopädie, 14 (1985), p. 135-145 ; du même (...)
- 57 La célèbre lettre de Grégoire à l’évêque Maximien de Syracuse (ep. III, 50, datée de juin 593), se (...)
- 58 Mayvaert, Enigma (ci-dessus note 53), ici p. 379-381 et, dans son sillage, Engelbert, Neue Forschu (...)
23L’attitude de Grégoire lui-même paraît tout d’abord troublante56. Il n’a jamais mentionné les Dialogues nulle part ; il n’est question de ce texte dans aucune de ses nombreuses lettres57, aucun de ses correspondants ne l’a prié de lui en adresser un exemplaire. Le pape ne diffusait pas cette œuvre. On a pensé pouvoir éclairer cette retenue en invoquant sa personnalité. Les récits miraculeux, qui contiennent de nombreux éloges à l’adresse du pape, correspondaient mal, argumentait-on, avec le caractère et la spiritualité du saint homme, plus soucieux de modestie et d’humilité que de gloire et d’honneurs58. Il ne s’agit pas d’analyser ici la vie psychique de Grégoire, personne ne la connaît. Tenons-nous en à la constatation suivante : si Grégoire a véritablement écrit ces histoires miraculeuses, elles correspondent forcément à son caractère. Ce n’est donc pas là, dans la psyché, qu’il faut chercher les raisons de son « silence ». Ne pourrait-on pas, au reste, retourner l’argument ? Ce n’est pas passer sous silence les Dialogues qui importait, mais plutôt les évoquer qui était sans fondement. Peut-être n’en était-il pas l’auteur ? Mais qui, alors, pouvait bien être le créateur de saint Benoît ?
- 59 Mayvaert, A Comment (ci-dessus note 53), p. 345-346 (en référence à un argument du latiniste Franc (...)
- 60 Ed. Moricca, Prefazione, p. VII-XXI ; Berschin, Biographie II, p. 305 ; De Vogüé, Ouvrages récents(...)
- 61 Dial. 3, 30, 1-2 ; sur ce point Reg. 4, 19 (Mars 594), éd. D. Norberg, (Corpus Christianorum SL, 1 (...)
- 62 Cf. Dial. 3, 19, 2 (inondation du Tibre) et Dial. 4, 27, 6 et 4, 37, 7 (épidémie).
- 63 La fiction n’est, du reste, pas suivie en continu : cf. Dial. 1, 12, 7, éd. de Vogüé, p. 118 : hod (...)
- 64 Ainsi dans Dial. 3, 38, 5.
24Le prologue du premier livre des Dialogues, essentiel pour aborder la question de l’auteur, ne laisse place à aucun doute. Grégoire se présente lui-même comme l’auteur de l’ouvrage. Il ne peut s’agir d’une pure invention. Et pourtant, voici que surgissent les premières singularités et particularités. Habituellement, les livres de Grégoire comportent une lettre-dédicace en tête de volume, les Dialogues n’en ont point ; ils ne sont donc pas soumis au même régime que les autres ouvrages. En outre, le prologue évoqué plus haut trahit des signes d’inachèvement, que Paul Mayvaert vient de signaler à nouveau59. Or ceci va à l’encontre de l’opinion généralement admise, selon laquelle les Dialogues auraient été écrits en intégralité vers 593/594, dix ans avant la mort de Grégoire60. Manifestement, ni la dédicace, ni la préface, ne l’ont été à cette date. Par ailleurs, les Dialogues évoquent l’église, autrefois dédiée au culte arien, de Sant’Agatha dei Goti à Rome, que Grégoire, précise l’ouvrage, a consacrée « deux ans auparavant » (ante biennum). Cette mention rend suspecte la datation de 593/594. C’est à cette époque, en effet, que l’église a dû être consacrée ; Grégoire ne peut donc s’en souvenir qu’en 595 ou 596, et c’est à ce moment-là que l’épisode a dû être intégré aux Dialogues61. Il y a donc sans conteste des contradictions chronologiques. De même, l’inondation provoquée par la crue du Tibre est-elle datée de l’automne 589, ante hoc fere quinquennium, tandis que l’épidémie qui sévissait depuis janvier 590 est située seulement ante triennum62. Or un automne, même selon le calendrier romain, n’a jamais duré deux ans. La cohérence chronologique semble avoir peu compté dans ces récits de miracles. En fait, les dates mentionnées par l’ouvrage sont peut-être fictives, tout comme l’indication selon laquelle les Dialogues se sont déroulés pendant quatre jours63. On peut donc imaginer que ces dates sont un simple moyen stylistique destiné à souligner la temporalité des miracles, à leur donner un sens et un lieu historique réels, pour renforcer leur pouvoir d’édification ; c’est en effet la seule chose qui importe. Mais si les dates peuvent être fictives, pourquoi des passages entiers ne le seraient-ils pas, et pourquoi pas, même, l’ensemble du texte ? D’ailleurs, pour citer un dernier exemple, le motif traité dans le quatrième livre (« De la vie de l’âme après la mort du corps ») n’est-il pas complètement décalé par rapport au sujet des trois livres précédents (« les hauts faits des élus »)64 ? Se peut-il que l’ouvrage n’ait pas été conçu d’un jet, mais qu’il soit le fruit de montages ultérieurs ? Serait-il effectivement ce qu’il dit être : la trace écrite de conversations menées à des époques différentes, un témoignage d’oralité, donc ? En quoi cela nous informe-t-il sur le contenu du livre ?
- 65 A propos de la datation traditionnelle, cf. S. Brachter OSB., « Monte Cassinos erste Zerstörung. K (...)
- 66 Ainsi dans les Dial. 3, 9, 1 et 4, 27, 2. Ante Triduum : Dial. 3, 37, 1.
- 67 Par exemple ep. 7, 23, datée de 597 ; cf. aussi F. Clark, « The renewed debate on the authenticity (...)
25Les indices utilisés pour la datation sont loin de constituer des preuves contraignantes puisqu’ils concernent seulement des épisodes particuliers et ne portent pas sur l’ensemble de l’ouvrage65. Si tel n’était pas le cas, des indications temporelles comme « avant-hier » (ante biduum) nous obligeraient à conclure que les livres III et IV, et avec eux toute la suite des Dialogues, sont datés du même jour66. Ces indications temporelles se réfèrent au temps du récit, et non à l’époque où les Dialogues ont été fixés par écrit. Ainsi, pour parler en termes techniques, elles ne livrent aucun terminus ad quem, mais seulement un vague terminus post quem de la genèse de l’ouvrage. Elles mettent en évidence, du point de vue des faits, un traitement successif des histoires miraculeuses, épisode après épisode, fragment après fragment ; dans la mesure où elles ne sont pas complètement fictives, ces indications temporelles ont effectivement une valeur de preuve : elles montrent que la fixation par écrit des Dialogues est intervenue progressivement, sans qu’un plan général ait guidé la main. Le montage des différents épisodes en un ensemble cohérent est intervenu après coup ; nous ne savons ni quand, ni – en principe – sous la plume de qui. Il est certes possible, parfois, d’établir un lien de mémoire entre ce que le pape écrit dans ses lettres et certains passages des Dialogues ; mais les passages en question sont de portée si générale qu’ils ne permettent pas d’affirmer que les lettres sont postérieures à la rédaction des histoires miraculeuses ; ils suggèrent plutôt qu’ils s’agissait de paroles authentiques du pape que n’importe quel compilateur était autorisé à exploiter67.
- 68 Migne, PL 79, 683-916. L’édition de R. Vander Plaetse dans le Corpus Christianorum SL, qui avait é (...)
- 69 La numérotation des passages cités se rapporte uniquement à la première partie, conservée, de l’An (...)
- 70 Cf. p. ex. de Dial. 4, 8 à Dial. 2, 35, 2-3.
- 71 Cf. p. ex. Dial. Prol. 1, 10 ou 3, 7, 1 ou 4, 8 ; cf. éd. de Vogüé 3, p. 42 à propos de Dial. 4, 8 (...)
- 72 Cf. p. ex. les mentions directes dans Dial. 4, 15-4, 17, éd. de Vogüé, p. 58-70, 4, 20, p. 74-76 ; (...)
- 73 Cf. par exemple 4, 52, 1 qui se rapporte à 4, 51, éd. de Vogüé, p. 176 ou 4, 59, 6 qui se rapporte (...)
- 74 Dial., prol. 1, 7 et en particulier 1, 9, éd. de Vogüé, p. 14-16.
26Paterius, familier de Grégoire, est lui aussi en mesure – du vivant de son maître – de citer quelques extraits des Dialogues dans son Liber testimoniorium, commentaire biblique formé de citations empruntées à Grégoire68. Pourtant, il n’en fait qu’un usage modéré : sur les 525 citations du pape que comporte son livre, trois seulement sont tirées des Dialogues ; la première citation est accompagnée, selon l’habitude de Paterius, d’une référence explicite au « livre premier » des histoires miraculeuses de Grégoire, tandis que la seconde citation ne comporte qu’une simple indication de provenance et que la troisième apparaît sans aucune précision d’origine69. Ces faits suggèrent que les Dialogues étaient peut-être en cours de rédaction, au moment où Paterius préparait sa compilation, des Dialogues inachevés. Les renvois d’un chapitre à l’autre des Dialogues ne permettent pas de reconstituer l’ordre dans lequel ils ont été écrits, ils prouvent seulement l’existence d’un travail de rédaction ultérieur70 ; il en va de même pour les ruptures stylistiques récurrentes, lorsque le texte quitte la sphère du dialogue pour celle de la lecture71. Tous ces éléments suggèrent qu’il y a eu élaboration du texte morceau par morceau, et montage ultérieur. A quel moment s’est donc produit le montage, et qui s’en est chargé ? Le « silence » de Grégoire pourrait fournir ici de précieuses indications. Rien ne permet en effet de prouver que le pape se chargeait lui-même des travaux de rédaction de ses ouvrages. La piste pourrait-elle conduire à Paterius, seul parmi les contemporains de Grégoire (celui-ci inclus) à avoir mentionné le Codex Dialogorum ? Ou conduirait-elle au partenaire même du dialogue, Pierre, diacre romain et familier du pape, collaborateur de Grégoire pour les commentaires bibliques, et dont la figure affleure si souvent dans les Dialogues72 ? Pierre, semble-t-il, a fourni quelques anecdotes à l’ouvrage73 ; d’ailleurs, n’est-ce pas lui qui a encouragé Grégoire à décrire les miracles opérés par de saints personnages en Italie ?74 Pourrait-on alors imaginer qu’il ait été plus qu’un simple interlocuteur attentif, posant de temps à autre une question au pape ?
- 75 Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 386-387.
- 76 Libri quinque Sententiarum ex operibus Sancii Gregorii, dans Migne, PL 80, p. 728-990. Cf. sur ce (...)
- 77 Lettre à l’évêque Eugène de Tolède, MGH, AA, 14, p. 288. Cf. Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessu (...)
27Les autres mentions précoces des Dialogues confirment l’impression selon laquelle le montage final a pu s’effectuer sans Grégoire, peut-être même de manière posthume. Elles sont en tout cas suffisamment étranges pour le croire. Isidore de Séville semble avoir bien connu le recueil de miracles75, mais il ne l’attribue pas au pape. Le témoignage de l’abbé et futur évêque espagnol Taio de Saragosse, qui cite les Dialogues de manière directe et indirecte, n’est pas moins surprenant76. Il avait fait le voyage à Rome - on ne sait pas quand au juste – pour y rechercher des manuscrits et des textes inédits de Grégoire. Les lettres qu’il adresse à ses proches indiquent qu’il a pu encore rencontrer, à Rome, certains notaires et certains familiers du pape. « Nous vîmes, nous vîmes notre Grégoire à Rome. Non point avec les yeux du corps, mais avec les yeux de l’esprit. Nous le vîmes non seulement à travers ses notaires, mais aussi à travers ses proches, qui lui avaient prodigué de loyaux services. Leurs récits nous apprirent quelles furent ses actions (virtutes) »77. Des traditions orales se cacheraient-elles donc derrière les Libri Dialogorum ? De Rome, Taio n’emporte pas seulement des souvenirs, il y trouve aussi des manuscrits : en premier lieu le Liber testimoniorum de Paterius et les Dialogues eux-mêmes, dans lesquels il voit un ouvrage du pape vénéré ; il cite d’ailleurs à partir des deux ouvrages. Or il a sûrement recueilli les souvenirs et les manuscrits auprès des mêmes personnes : les notaires et les proches du pape défunt, peut-être même directement auprès de Paterius, ou de son collègue Pierre. Une fois de plus, ces deux familiers de Grégoire semblent liés de près à la genèse des Dialogues. Lequel des deux en a assuré la rédaction finale ? Qui en était le compilateur ?
- 78 Dial. 1, prol., 3e éd. de Vogüé, p. 12 (= éd. Umberto Moricca, Gregorii Magni Dialogi libri IV [Fo (...)
- 79 Reg. 3, 50 (Juillet 593). A propos de Maximien, Nonnosus et les Dialogues, cf. aussi Dial. 1,7.
- 80 Cette histoire de ouï-dire est lisible dans la lettre que Grégoire adresse à Maximien, ep. 3, 50 d (...)
- 81 Sur la question du triptyque : Berschin, Biographie II, p. 308. A propos des psaumes dans les mona (...)
28Peu importe à vrai dire : l’ouvrage est né dans l’entourage de Grégoire, qui a suivi activement son élaboration. Les Dialogues citent les propos du pape et sont bien ce qu’ils prétendent être : la réécriture de conversations auxquelles Grégoire a effectivement pris part. De manière générale, ils éclairent l’atmosphère qui, de son vivant, régnait à la cour pontificale. Ils sont destinés à édifier l’auditeur, à enseigner à son âme (comme dans un exercice de contemplation monacale) comment dépasser l’horizon des choses éphémères pour se consacrer uniquement aux sphères célestes78. Mais ils sont surtout un produit de la mémoire, synthèse de souvenirs et d’oublis, synthèse aussi entre les inventions des différents interlocuteurs et écrivains. Grégoire lui-même voit les choses ainsi. Ne prie-t-il pas l’un de ses informateurs, l’évêque Maximien de Syracuse, de lui raconter « ce qui lui revient en mémoire », et ne se souvient-il pas d’avoir, grâce à lui, appris sur l’abbé Nonnosus des choses qu’ils avait oubliées79 ? Les Dialogues se présentent ainsi comme un recueil de choses entendues ici et là, soumises aux fluctuations de la mémoire et de l’oubli, aux impératifs de l’édification religieuse et au travail littéraire ; il s’agit d’histoires relatant la vie de personnages saints, au nombre de cinquante exactement, passés ou présents, ayant œuvré et vécu dans toute l’Italie80. Ces histoires sont organisées en triptyque. Le quatrième livre, consacré à la vie de l’âme après la mort, fait fonction d’épilogue et la vie de saint Benoît (le second livre) est conçue comme une figure centrale idéale encadrée par les riches scènes du premier et du troisième livre ; l’ouvrage comporte cent cinquante chapitres au total - autant que de psaumes, le plus important texte de prière utilisé par tous les fidèles chrétiens et surtout par les moines81. La matière traitée et la mémoire sont façonnées en fonction des objectifs visés par l’ouvrage. Benoît, « le béni », confère aux scènes éparses, riches et nombreuses, l’unité et le cœur d’une vie spirituelle.
- 82 Dial. 2, Prol. Gratia Benedictus et nomine (éd. de Vogüé, p. 126, 1) et 2, 8, 12, où le diable fai (...)
- 83 Dial. 2, 36 : cuius (sc. s. Benedicti) si quis velit subtilius mores vitamque cognuscere, potest i (...)
- 84 A y bien regarder, les plus anciens témoignages non grégoriens où la Règle est évoquée et qui nomm (...)
- 85 A propos de cette méconnaissance de la « vie », cf. Dial. 2, Prol. 2, éd. de Vogüé, p. 128 : Huius(...)
- 86 Cf. Dial. 2, Prol. 2e éd. de Vogué, p. 128. L’abbé de cette cella, Honoratus, était soi-disant le (...)
- 87 Cf Dial. 1, Prol. 7, éd. de Vogüé, p. 14 : Petrus :...Et quidem bonos viros in hac terra fuisse no (...)
29Tout cela concerne l’homme originaire de Norcia82. Il n’existe en effet, à l’exception des Dialogues, aucun autre témoignage documentant sa vie et son œuvre : contrairement à ce qu’annonce Grégoire le Grand en effet, qui semble l’avoir connue aussi peu qu’il connaissait la biographie du père des moines83, la célèbre règle monastique attribuée à Benoît84 ne donne aucune information sur la vie de son auteur présumé85. Quoi qu’il en soit, on se trouve ici en présence d’un travail de mémoire et d’un montage de souvenirs, qui permettent au narrateur de brosser, à partir d’anecdotes d’origines diverses, à partir de certitudes et de légères déformations, sans aucune connaissance du personnage décrit, le portrait d’un homme que personne n’aurait pu croiser dans la vie réelle, et dont les hauts faits – à l’exception d’une cella suspecte, dont personne n’est capable d’indiquer le nom et la localisation précise86 – ont été effacés par le passage conjugué des barbares, du temps et de l’oubli87. La référence à la règle de saint Benoît est simplement destinée à faire autorité. Peu importe qu’on l’ait connue, peu importent les gesta ou les « bruta facta », peu importe la crédibilité historique ; et peu importe aussi, par conséquent, que les faits remémorés se soient vraiment produits comme on les raconte, et qu’ils se rapportent à une seule et même personne.
- 88 A propos du Stromboli : Dial. IV, 31, 3e éd. de Vogüé, p. 104 (=éd. Moricca, p. 274-275). A propos (...)
- 89 L’intérêt pour le Speco est attesté seulement sous le règne du pape Léon IV, cf. K. Herbers, Leo I (...)
- 90 Cf. C. Leonardi, « Miscellanea Sublacense », Bulletino dell’Istituto storico italiano per il Medio(...)
- 91 Les deux versions conservées de la vie de saint Rémi fournissent un exemple parallèle. La version (...)
- 92 Dial. 2, 3, 13-4, éd. de Vogüé, p. 148-150 (=éd. Moricca, p. 84, 7 et suiv.) ; sur ce thème même : (...)
30La vie de saint Benoît a été écrite au moins cinquante ans après sa mort, il est présenté dans un contexte tout à fait miraculeux, aucune trace ne documente son existence auparavant, ni les conséquences de ses actes après leur réalisation – trop tard, trop « oral », trop édifiant pour livrer des indications fiables, au sens factuel du terme. D’ailleurs ce que Grégoire décrit, ce ne sont pas les conditions concrètes et extérieures de la vie de Benoît, c’est une séquence d’actes isolés et saints, sans cohérence biographique ; c’est, au mieux, une biographie de l’âme. La source du récit est identique à celle qui, au même moment, montre le roi des Goths, Théodoric, dans la gueule de feu du Stromboli, et fait régner au Mont-Cassin le plus furieux paganisme, véritable culte d’Apollon88. Le récit comporte peu d’informations biographiques. Benoît, y lit-on, est né à Norcia, il avait une nourrice et une sœur, il a fait ses études à Rome, il s’est converti, il a mené une vie d’ermite, il a fondé des monastères et est devenu abbé, il a écrit une règle et il est mort dans le dernier monastère qu’il avait créé, au Mont-Cassin. Ces informations sont si maigres, de portée si générale et si peu solides, qu’elles pourraient s’appliquer - à l’exception des noms de lieux, qui confèrent son individualité au récit - à tout fondateur de monastère et à tout abbé du VIe siècle. La Règle de saint Benoît ne fait pas un Benoît ; et son existence à elle ne prouve pas son existence à lui. Et pourtant les maigres données fournies par Grégoire remplissent de manière exemplaire les conditions d’une biographie collective, elles présentent une vie « typique », et non une vie vécue. Les recherches archéologiques menées au Sacro Speco89 ou dans le monastère voisin de Sainte-Scholastique, n’ont pas donné d’épaisseur au personnage, elles n’ont apporté aucune information sur la vie de Benoît90. Même dans les quatre livres des Dialogues eux-mêmes on ne trouve pas la moindre indication de sources antérieures. Et en effet, elles n’ont sans doute jamais existé ; en revanche, les noms de Benoît et de Scholastique sont un indice en soi91, qui nous entraîne sur la même piste sacrée que les douze fois douze moines envoyés par Benoît, dit-on, dans ses différents monastères92, et qui rappellent les cent quarante-quatre mille élus de l’Apocalypse.
- 93 Cf. le passage cité note 83 (Dial. 2, 36) sur l’unité entre règle normative et vie vécue.
31Des mécanismes mnésiques particuliers et complexes se précisent ici. Ils montrent que l’interaction entre écrit et oral est capable de produire des réalités sises bien au-delà de la vie vécue, qui se manifestent sur un mode littéraire et deviennent ainsi, aux yeux de toutes les générations futures, une forme de vie attestée, un morceau de réalité vivante93. On dispose là d’un texte qui prétendait être le produit de conversations et de souvenirs, qui ne tire son autorité, en fait, que de traditions orales, destinées à un public qui ne pouvait se fier qu’à la forme écrite de l’ouvrage et ne savait plus rien de sa genèse. Ainsi, l’oral s’était-il métamorphosé en preuve écrite, et la vérité était-elle désormais sacro-sainte.
- 94 Il est impossible de dater la destruction : H. H offmann, « Die älteren Abtslisten von Montecassin (...)
- 95 Ce n’est pas la même personne que l’abbé Honoratus nommé dans Dial. I, 1.
- 96 Dial. 2, Prol., éd. de Vogüé, p. 128, 22-3.
- 97 Cf. le commentaire de Moricca sur Dial. 2, Prol. p. 72-73, note 1, surtout p. 73.
- 98 Dial. 2, 15, 4., éd. de Vogüé, p. 184.
32Mais où les Dialogues puisent-ils donc leur savoir ? Malgré tous les miracles – personne, avant les Dialogues, ne s’était souvenu du thaumaturge ou personne n’avait jugé bon de le commémorer d’une manière encore plus identifiable. A l’exception des Dialogues de Grégoire, on ne trouve nulle part la trace d’une tradition bénédictine, pas plus que n’est documentée la première destruction du monastère du Mont-Cassin94. Y a-t-il derrière cette histoire autre chose qu’une simple stratégie narrative destinée à masquer la fiction ? Le pape lui-même, qui écrivait pourtant beaucoup, n’évoque la figure de Benoît, cette incarnation de l’abbé idéal, que dans les histoires miraculeuses. Leur auteur s’appuie sur les témoignages que lui ont prétendument fournis quatre informateurs, dont il s’empresse de noter que trois sont morts, mais que le quatrième, le très vieil Honoratus, était encore en vie lorsque les conversations ont eu lieu. Aucune autre source ne fait référence à ces témoins. Et Honoratus est le plus mystérieux des quatre95. Est-il vrai qu’il « dirigeait précisément le premier monastère où Benoît avait vécu »96 ? Mais de quel monastère s’agissait-il ? De la grotte de Subiaco ? Du Monastère anonyme que Benoît allait quitter si rapidement, et furieux, mais qui fut effectivement le premier lieu qu’il dirigea ? De l’un des douze monastères créés par lui dans les environs du Sacro Speco ? Mais nulle part on ne connaît Honoratus. On ne célèbre sa mémoire ni à Subiaco ni ailleurs ; il n’est évoqué que plus tard, dans un document falsifié97 ; et les Dialogues se gardent bien d’être plus précis. Ils n’évoquent Honoratus qu’à une seule autre reprise, lorsque Benoît prononce ces paroles prophétiques à propos de Rome : elle « ne sera pas détruite par des barbares, mais elle se décomposera, épuisée par des orages, des tempêtes, des éclairs et un tremblement de terre ». Grégoire indique que cette prophétie de Benoît lui a été rapportée par Honoratus, qui ne la tenait pas, lui-même, directement du saint homme, mais « de frères »98. Là encore, des ouï-dire ? Ou bien une autorité fictive ?
- 99 Cf. aussi Dial. 3, 38, 3-4., éd. de Vogüé, p. 430 (=éd. Moricca, p. 226, 7 et suiv.).
- 100 L’actualité du miracle est soulignée à plusieurs reprises dans les Dialogues, par exemple Dial. 3, (...)
33Cette prophétie, en effet, était destinée à consoler les auditeurs, à les consoler de manière efficace, et sur-le-champ, face au danger que représentaient les barbares, c’est-à-dire les Lombards99. C’est au plus tard lorsque ce danger pointe que surgissent les témoins. Il faut que le « vénérable » soit en vie (Honoratus donc, dont le nom est éloquent) pour que la vaticination puisse faire naître l’espoir. Il y a extrême urgence, et il faut qu’il témoigne100. Grégoire, en effet, est en train d’organiser la résistance de Rome contre les Lombards. La prophétie de Benoît promet aux siens assistance et protection. Mais le personnage d’Honoratus, ce fantôme insaisissable, est sans doute aussi authentique que la prophétie elle-même. Il n’est pas nécessaire, en effet, de fournir des preuves de l’existence de Benoît. S’il est le « saint homme », le « béni » par excellence, qui renouvelle l’esprit de tous les justes, tout ce que le premier sage venu sait de la sainteté peut s’appliquer à son cas ; Benoît incarne tous les saints ermites et tous les fondateurs de monastères en Italie à l’époque de Grégoire.
34La Règle, que Grégoire ne connaissait pas encore, pourrait avoir été rédigée à peu près en même temps que les Dialogues, peut-être à Rome, d’où elle conquit effectivement l’ensemble du monde monastique. Elle indiquait des voies novatrices et totalement inaccoutumées. Elle ne pouvait pas être décrétée, même si le Siège apostolique souhaitait qu’elle se répande (ce qui, là encore, ne peut être prouvé). Il fallait qu’elle l’emporte sur d’autres règles et qu’elle soit acceptée par les moines pour être diffusée ; il fallait qu’elle ait un fort pouvoir de persuasion pour devenir acceptable. Le saint thaumaturge, le « béni » par excellence, sévère et bon père de tous les moines, aurait-il été créé pour faciliter la diffusion de la règle ? Ce n’est pas impossible. Mais dans la mesure où l’on ne retrouve aucune trace de sa règle, en Italie, avant le VIIIe siècle, il faudrait en conclure que, dans les premiers temps, il n’a eu aucun succès. En tout cas, Grégoire lui-même n’a pas assuré sa promotion.
- 101 Cf. les ouvrages cités ci-dessus note 84, en particulier Wollasch.
- 102 Le premier codex de la règle (par Paul Diacre, Hist. Langob. VI, 40) attesté fut apporté au Mont-C (...)
- 103 Sur cette relation, cf. J. Semmler dans Corpus Consuetudinum Monasticarum I, Siegburg, 1963, p. 45 (...)
- 104 Cf. Zelzer, « Von Benedikt zu Hildemar » (ci-dessus note 84), p. 120.
35En revanche, le culte de saint Benoît, comme sa Règle, ont eu des adeptes précoces en Gaule et chez les Anglo-Saxons101 ; et comme le culte, la règle a retrouvé ensuite le chemin du sud, commençant à se diffuser au-delà des Alpes à peu près en même temps que lui, au début du VIIIesiècle102 – à Rome et en Italie, où elle était peut-être née un siècle plus tôt, en relation étroite avec la Regula Magistril103. Rien n’illustre mieux ces relations que le plus ancien codex retrouvé au Mont-Cassin, qui ne se réfère à aucun exemplaire original bénédictin - dont la tradition, du reste, n’a pas non plus gardé la trace – mais mentionne en revanche une version inspirée de saint Benoît d’Aniane, et donc de la réforme carolingienne engagée à la suite du synode d’Aix-la-Chapelle en 816-17104.
- 105 On ne trouve de patronages de Benoît (ou de Scholastique) à Rome, qu’à partir du IXe siècle, cf. M (...)
- 106 Résumé De Vogüé, « Grégoire le Grand et ses Dialogues » (ci-dessus note 52).
- 107 Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50) p. 381 ; Wollasch, « Benedictas abbas Romensis » ( (...)
- 108 Wollasch, Benedictus abbas romensis (ci-dessus note 84), surtout p. 126 et suiv., a déjà fait rema (...)
- 109 L’absence de Benoît dans les sources liturgiques romaines les plus anciennes a été mise sur le mêm (...)
- 110 A propos de la diffusion précoce des manuscrits, où « les Irlandais et les Anglo-Saxons ont dû jou (...)
- 111 On ignore la date à laquelle la translation des reliques à Fleury (Benoît) et au Mans (Scholastiqu (...)
36Si Benoît, sa « vie » et sa Règle sont apocryphes, il a fallu attendre longtemps, et de nombreux détours, avant que le « béni », et sa sœur l’« érudite » (Scholastique) soient admis dans le chœur céleste105. A certains égards, ce phénomène est lui aussi révélateur106. Les traces les plus anciennes du culte de saint Benoît et de la liturgie liée à sa vénération surgissent en effet plus tard, pas avant le début du VIIIe siècle et dans un premier temps, là encore, hors d’Italie107. Voilà qui concorde mal avec l’image qu’un saint pape donnait d’un saint thaumaturge. En revanche, cela concorde très bien avec la renaissance du culte grégorien qui s’amorce au début de ce siècle sous les papes Grégoire II (715-731) et Grégoire III (731 - 741)108. Les premiers témoignages évoquant saint Benoît, qui est pourtant d’origine romaine109, apparaissent dans les régions où, parallèlement à la Règle, les Dialogues avaient été précocement diffusés et lus avec beaucoup de passion, en Gaule et chez les Anglo-Saxons, où l’on n’avait d’autre support que l’écrit, et où aucune tradition orale ne permettait de contrôler la teneur des textes, où prévalait donc la seule l’autorité du livre et de son « auteur » (saint Grégoire, pensait-on alors) et non un ensemble de connaissances manifestées dans des coutumes non-contrôlées, ou dans le cas de Benoît, dans une suite d’omissions110. Dans ces régions, à Fleury et au Mans plus précisément, on retrouva miraculeusement, à une date indéterminée, le corps de Benoît et celui de sa sœur ; des récits légendaires, fixés vers le VIIIe siècle et qui gagnèrent en précision à mesure qu’ils se répétaient, rapportent comment les reliques sont parvenues jusqu’à ces latitudes111.
- 112 Hallinger, Papst Gregor der Grosse und der hl. Benedikt (ci-dessus note 85), p. 256-259 ; Engelber (...)
- 113 A propos de la diffusion du nom Benoît avant Grégoire le Grand, cf. A. De Vogüé, « La rencontre de (...)
- 114 Le récit de translation originaire du Mans (première moitié du IXe siècle) opère une déduction per (...)
- 115 Hoffmann, « Abtslisten » (ci-dessus note 94), p. 242-47.
- 116 « La tradition ancienne qui évoque une translation de ses ossements en France n’est sans doute pas (...)
- 117 Il semble que saint Willibald, le premier, indiqua saint Benoît à la petite communauté du mont Cas (...)
- 118 Au Mont-Cassin, il semble que l’édification d’un autel dédié à saint Benoît intervienne seulement (...)
- 119 Dial. III, 18, éd. de Vogüé, p. 344-346 (= éd. Moricca, p. 184).
- 120 Cf. Hallinger, « Papst Gregor der Grosse und der hl. Benedikt » (ci-dessus note 85), p. 257.
- 121 Dial. II, 7, 4e éd. de Vogüé, p. 160 (= éd. Moricca, p. 90).
37Pour avoir été passionnément vénéré à l’étranger, Benoît (comme du reste sa sœur Scholastique) n’a jamais été « un saint populaire » dans sa région d’origine112. Personne ne lui vouait de culte, personne ne portait son nom113 ; personne ne cultivait sa mémoire et personne n’entretenait son tombeau114. Pas même Petronax, le nouveau fondateur du monastère du Mont-Cassin, n’alla s’y recueillir115. A Rome, au Mont-Cassin, à Subiaco, il a fallu que l’on « découvre » Benoît et sa sœur, que l’on constate que leurs reliques avaient disparu avant de pouvoir à nouveau les vénérer : on est en droit de se demander si le « béni » et 1’« érudite », à l’origine, étaient véritablement des personnes116. Leur « découverte », en tout cas, s’est opérée loin de la cité éternelle117, et 1’« invention » des reliques semble bien avoir été une « invention » au sens premier du terme, destinée à légitimer leur absence au Mont-Cassin118. Par ailleurs, on a bien du mal à opérer une distinction ferme entre le Benoît du Mont-Cassin et son homonyme de Campanie, évoqué lui aussi dans les Dialogues de Grégoire119. Se pourrait-il que ce soient le nom et la personne qui se cachent en fait derrière le père des moines décrit par Grégoire le Grand ? Que ce soit à lui que pensent certains contemporains du pape lorsqu’ils entendent le nom de Benoît ? Si c’était le cas, ce qui est tout à fait plausible120, nous verrions le patriarche des moines se désintégrer en plusieurs personnages, le Benoît de Grégoire deviendrait image de synthèse, produit artificiel, surhomme, idée, bref cet « homme bon » et faiseur de miracles, des miracles qui, plus ils abreuvent Pierre (le partenaire de Grégoire dans les dialogues), plus ils lui font éprouver le besoin de se désaltérer à leur source121. La vie passée et la vie future de Benoît ne reposeraient alors que sur les vertus édifiantes des Dialogues, sur une tradition orale et sur un culte tardif, très tardif même, et non point sur une réalité vécue.
- 122 P. Brown, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », Journal of Roman Studies, 6 (...)
- 123 Dial. II, 8, 8-9, éd. de Vogüé, p. 164-166 (= éd. Moricca, p. 93).
- 124 Dial. II, 16, 3-5, éd. de Vogüé, p. 186-188 (=éd. Moricca, p. 104-105).
- 125 On trouve une mise en parallèle particulièrement éloquente de la vie de Benoît et de celle de Grég (...)
38Les Dialogues n’offrent pas un récit de vie ; ils décrivent bien davantage un type, la figure même du « saint homme »122, du « béni » par excellence, du thaumaturge. Phénomène prodigieux et étonnant, ce personnage est à la fois un nouveau Moïse, un nouvel Elisée, un nouvel Elie et un nouveau David, nourri de l’esprit des justes123, et capable de percer les secrets de Dieu, uni à Dieu avec lequel son âme se confond124. Il est absolument sans importance de savoir si une vie réelle se cache derrière cette image, et si oui, comment elle le fait. La vérité du type ne s’en trouve pas affectée. Le personnage ainsi créé est une projection des vivants, avides de rédemption et d’édification, et correspond à l’image que ces hommes avaient de la sainteté ; il s’agit d’un être hors du commun, véritablement exemplaire et qui paraît déjà saint à ses contemporains, un être qui, sa vie durant, loue la contemplation, les cloîtres et le monachisme, qui aspire à les connaître et se plaint de les avoir perdus : c’est Grégoire le Grand lui-même125.
- 126 A. De Vogüé, Grégoire le Grand et ses Dialogues (ci-dessus note 52), p. 290 : « éléments d’autobio (...)
- 127 La tension entre monasterium et curae pastoralis saecularium hominum negotia, à laquelle Grégoire (...)
- 128 Dial. II, 33, 3e éd. de Vogüé, p. 232 ; sur ce point : De Vogüé, « La rencontre de Benoît et de Sc (...)
- 129 (Dial. III, 33, 4, per sacra spiritualis vitae conloquia sese vicaria relatione satiarent, éd. de (...)
- 130 Le motif principal de Dial. II, 33, à savoir si sancii viri omnia, quae volunt, possunt, et cuncta (...)
- 131 Seulement dans Dial. II, 33-4, éd. de Vogüé, p. 230-234.
- 132 Dial. 2, 34, 2e éd. de Vogüé, p. 234.
39Il a été démontré, à très juste titre, que les Dialogues contiennent des « éléments d’autobiographie spirituelle »126. En effet, la vie de Benoît, dans la mesure où elle est effectivement présente dans les Dialogues, reflète très clairement la biographie de Grégoire lui-même, son parcours – érudit romain et homme du monde, il fuit la science et devient un ermite « béni », fondateur de monastères et patriarche des moines, il voit sa volonté contrariée (comme l’apôtre Paul) et doit quitter son monastère avec le titre de pape, mais continue toutefois de servir Dieu127. Scholastique, par amour pour son frère et grâce à ses imprécations, réussit à convaincre Benoît de rompre les vœux divins qu’il a prononcés ; une rupture qui, pour n’être pas tolérable, est sanctionnée par Dieu lui-même128, qui invite Benoît et Scholastique à « se rassasier l’un l’autre de saintes discussions d’ordre spirituel »129, exactement comme Grégoire lors de ses conversations avec Pierre130. La sœur de Benoît est d’autant plus étroitement et éternellement liée à son frère qu’elle intervient tardivement (trois jours avant sa mort) et de manière exclusive, dans la vie de Benoît131. La mort ne peut plus séparer cet homme « béni » de son « érudition » ; et la tombe unit désormais les deux « corps », « dont l’esprit avait toujours été uni en Dieu »132. Grégoire et Benoît seraient-ils tout aussi unis que Benedictus et Scolastica l’avaient été dans la mort et en Dieu ?
40Qui donc était Benoît en réalité, dans la vraie vie ? Nous l’ignorons ; et pour l’instant, il ne semble pas être davantage qu’un mythe, qu’une légende pieuse, un fantôme et peut-être une projection, le produit d’une histoire édifiante, qui trouva refuge, comme celle de sainte Barbe ou de saint Christophe, dans le Martyrologium Romanum. Il reste à prouver que la place de saint Benoît de Nursie et de sa sœur y est justifiée, et que leurs noms ne devraient pas plutôt en être rayés, comme l’ont été ceux de Barbe et de Christophe. Une fois de plus, la mémoire, ou plutôt son caractère malléable, ont permis d’écrire une histoire et de la diffuser comme si elle était authentique, alors qu’elle était en fait fort éloignée de la vie vécue. Là encore, la mémoire s’est superposée à la vie.
Annexes
Annexe (cf. note 31)
Après de nombreuses analyses, la datation de la Vita Remedii paraissait enfin assurée, elle semblait être un produit du VIe siècle (cf. Levison dans Wattenbach-Levison p. 103 note 226). Mais cette indication vient tout récemment d’être remise en cause : cf. Heinzelmann, « Clovis dans le discours hagiographique » (ci-dessus note 15), p. 99-100 ; p. 100-101 où sont indiquées d’autres sources « muettes » ; Bourgain, Heinzelmann, « Courbe-toi » (ci-dessus note 2), p. 593-594 note 10 (daté du VIIIe siècle). Dans « Les sources liturgiques de la Vita Remigli de Hincmar », dans : Miscellanea historica in honorem Alberti de Meyer, t. 1 (Univ. de Louvain, Rec. de travaux d’histoire et de philologie 3e sér., 22), Louvain-Bruxelles, 1946, p. 211-227, F. Baix avait certes défendu la thèse selon laquelle la vita qui nous est parvenue (Vita Remidii) a été rédigée au VIIIe siècle, dans le contexte de la « romanisation », de la liturgie franque, et qu’elle avait été conçue, avec les antiphonaires et les réponsaires, pour célébrer la fête de saint Rémi (cf. en particulier p. 222 ; c’est aussi l’avis de Heinzelmann, op. cit., p. 100, note 56) mais la thèse de Baix a été réfutée, cf. Levison, op. cit., p. 123 (et note 288), H. Löwe, ibid. cahier, 5 (1973), p. 519 note 101. Cf. aussi W. Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter III, Karolingische Biographie 750-920 n. Chr., Stuttgart, 1991, p. 365-371. A cette époque, les pratiques liturgiques de la Gaule et de Rome étaient fort éloignées les unes des autres. Tandis qu’à Rome les lectures de vies de saints et de martyrologes ont été interdites pendant longtemps, et qu’elles n’ont commencé à s’établir qu’à la fin du VIIIe siècle, elles étaient depuis le VIe siècle chose courante dans les églises du royaume des Francs, tant pendant l’office qu’avant la messe ; la réunion des actes des martyres en passionnaires intervient au plus tard, en Gaule, au début du VIIe siècle, cf. M. Andrieu, Les Ordines Romani du haut Moyen Age III Les textes (suite) (Ordines XIV-XXXIV) (Spicilegium Sacrum Lovaniense. Etudes et documents, 24), Louvain, 1961, p. 29 et suiv., note 4 ; B. De Gaiffiers, « La lecture des actes des martyrs dans la prière liturgique en Occident », Anal. Bollandiana, 72 (1954), en particulier p. 145-151. Le plus ancien manuscrit de la Vita Remedii, un lectionnaire (Paris BN 12598 = CLA V, 644 B, р. VIII-IX), s’inscrit tout droit dans la tradition liturgique de la Gaule, comme cette vita elle-même, destinée à être lue pendant l’office (cf. c. I, 1 et с. IX, 27). Le fait que les leçons sont au nombre de neuf (cf. Ordo Rom. XII, 23 publié par Andrieu, p. 465 et Ordo XVI, 12 p. 148, sur ce point, voir ibid., p. 134 ; déjà auparavant : Lieber Diurnus Romanorum Pontificum Nocturna Laus. Typen frühchristlicher Vigilienfeier und ihr Fortleben vor allem im römischen und monastischen Ritus [Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 32], Münster, 1956, p. 94-104) se retrouve aussi chez Césaire (et Aurélien) d’Arles (cf. Odilo Heiming OSB, « Zum monastischen Offizium von Kassianus bis Kolumbanus », Archiv für Liturgiewissenschaft, 7 (1961), p. 89-156, ici p. 119-120 : la seconde nocturne des vigiles à deux nocturnes est composée de neufs leçons comportant chacune trois folia). Le cautio du Liber diurnus (V 74) est assurément postérieur au VIIIe siècle ; Baumstark (p. 104) pense aux vigiles romaines du Ve siècle. Dans ce cas, rien n’empêche de dater la Vita Remedii qui nous est parvenue du VIe siècle ; ensuite (d’après Baix), elle aurait encore été utilisée au VIIIe ou au IXe siècles, dans le cadre d’offices dédiés aux saints, qui comportaient certains éléments romains. Il semble qu’Hincmar fasse référence à un tel officium dans sa Remigius-Vita. Mais Grégoire de Tours, avant lui, s’est sans doute appuyé aussi sur un liber vitae liturgique pour évoquer Rémi (cf. Hist. II, 31 p. 77), comme pour évoquer Martin (Liber de virtutibus s. Martini II, 49, MGH SS rer. Merov. I, 2 p. 626). Car l’allusion à ce liber vitae (Remegii) sert seulement à prouver la sanctitas de Remi, lisible dans la résurrection des morts évoquée dans la Vita Remedii, par contre elle n’est pas utilisée comme source pour l’histoire du baptême. Wood lui aussi, « Gregory of Tours and Clovis » (cf. ci-dessus note 6), p. 250-251 doute de l’utilisation de la Vita Remedii par Grégoire de Tours. Mais son argument principal n’est pas convaincant : selon lui, Grégoire n’a pas pu élaborer seul la comparaison entre Constantin et Clovis, d’une part, entre Sylvestre et Rémi, d’autre part (parce qu’il ne connaissait pas la Vita Silvestrii et parce que l’image de Constantin que développe sa source hiéronymienne [dans Hist. I, 36] est prétendument contraire à la sienne), mais qu’il a trouvé la comparaison dans le liber vitae (Remigli), aujourd’hui disparu (Bourgain, Heinzelmann, op. cit., vont dans le même sens). Or, 1°) Grégoire, qui n’évoque pas le baptême de Constantin, ne décrit pas Constantin comme un adepte de l’arianisme, contrairement à la Chronique de Jérôme ; 2°) Grégoire excuse l’assassinat de l’épouse et du fils (scilicet quodproditores regni eius esse voluissent, Hist. I, 36 p. 26-27 ; Hist. II, 40 nous apprend qu’un tel assassinat n’est pas répréhensible aux yeux de Grégoire) ; en outre, Grégoire montre un empereur qui règne féliciter, met fin à la persécution de l’Eglise (pax redita... ecclesiis) et trouve la sainte Croix par l’intermédiaire de sa mère Hélène ; 3°) Grégoire, comme Venance Fortunat, pouvait connaître les hauts faits de Sylvestre, cf. W. Levison, Aus rheinischer und fränkischer Frühzeit. Ausgewählte Aufsätze, Düsseldorf, 1948, p. 433-434 ; 4°) rien n’indique que le liber vitae de Grégoire évoque l’histoire du baptême. L’image que Grégoire a de Constantin est donc cohérente - contrairement à ce que pense Wood - et plutôt positive. Il semble donc inutile de postuler l’existence d’une Remigius-Vita disparue ou celle d’une version antérieure de la Remedius-Vita, qui aurait disparu elle aussi.
Notes
1 Epistolae Austrasicae no 8, MGH, Ep. 3, p. 122, 1-3. A propos de Nizier, cf. U. Nonn dans. Lexikon des Mittelalters 6, col. 1121. L’exposé qui suit s’inscrit dans le contexte de travaux consacrés à des questions de méthodologie et à l’étude critique de sources historiques dont la connaissance est liée à un processus de transmission orale : J. Fried, Der Schleier der Erinnerung (titre de travail).
2 Voir surtout, dans l’abondante littérature sur le sujet, W. Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang zum Christentum. Eine quellenkritische Studie », Mitteilungen des Österreichischen Instituts für Geschichtsforschung Erg, 12 (1932), p. 417-501 ; G. Tessier, Le baptême de Clovis 25 décembre 496 ( ?), Paris, 1964 ; R. Weiss, Chlodwigs Taufe : Reims 508, Berne, 1971 ; H.H. Anton, « Chlodwig », dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde 2, t. 4, p. 478-486 ; P. Périn, Clovis et la naissance de la France, Paris, 1990 ; M. Spencer, « Dating the baptism of Clovis, 1886-1993 », Early Medieval Europe, 3 (1994), p. 97-116 ; William M. Daly, « Clovis, how barbaric, how pagan ? », Speculum, 69 (1994), p. 619-664 ; R. Mussot-Goulard, Le baptême qui a fait la France. De Blandine à Clovis, Paris, 1996 ; cf. aussi, du même auteur, Clovis, Paris, 1997 (Que sais-je ? no 3237), p. 54-65 ; P. Bourgain et M. Heinzelmann, « ‘Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé’. A propos de Grégoire de Tours, Hist. II, 31 », Bibl. de l’Ecole des Chartes, 154 (1996), p. 591-606 ; catalogue de l’exposition Die Franken. Les Francs. Wegbereiter Europas. Précurseurs de l’Europe 5. bis 8. Jahrhundert, A. Wieczorek, P. Périn, K. von Welck et W. Menghin dir., 2 vol., Mayence, 1997, passim (par exemple, mais pas seulement, A. Dierkens, « Die Taufe Chlodwigs », t. 1, p. 183-191).
3 Cf. dans une perspective récente, l’ouvrage de M. Reydellet, La royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, Rome, 1981, p. 95-113.
4 K.F. Werner, « Introduction », dans La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, H. Atsma éd. (Supplément de Francia 16, 1), Sigmaringen, 1989, p. XV ; cf. M. Heinzelmann, Gregor von Tours (538-594) « Zehn Bücher Geschichte ». Historiographie und Gesellschaftskonzept im 6. Jahrhundert, Darmstadt, 1994, p. 1-2 et 176.
5 A propos de la tradition orale : W. Levison, dans W. Wattenbach, W. Levison et H. Löwe éd., Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Karolinger, t. 1, Weimar, 1952, p. 103. R. Buchner dans Gregor von Tours, Zehn Bücher Geschichten (Ausgewählte Quellen zur deutschen Geschichte des Mittelalters, Freiherr vom Stein-Gedächtnisausgabe, 2), 2 vol., Darmstadt, 1970, ici p. XXV et XXIX-XXXIII ; Daly, Clovis, p. 619-625. A propos de la typologie : M. Heinzelmann, Gregor von Tours, surtout les p. 136-137 et 179-185. Du même auteur, « Die Franken und die fränkische Geschichte in der Perspektive der Historiographie Gregors von Tours », dans A. Scharer et G. Scheibeireiter éd., Historiographie im frühen Mittelalter (Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 32), Vienne-Munich, 1994, p. 326-344.
6 A propos de Grégoire de Tours, de Clovis et des sources documentant son baptême, sur les points mentionnés dans les notes 2 et 3, voir aussi : Ian N. Wood, « Gregory of Tours and Clovis », Revue Belge de philologie et d’histoire, 63 (1985) p. 249-272 ; à propos de Grégoire en général : J.M. Wallace-Hadrill, The Long-Haired King, Oxford, 1962, p. 49-70 ; B.K. Vollmann, « Gregor IV (Gregor von Tours) », Reallexikon für Antike und Christentum, 12 (1983), col. 895-930 ; W. Goffart, The Narrators of Barbarian History (A.D. 550-800). Jordanes, Gregory of Tours, Bede, and Paul the Deacon, Princeton, 1988, p. 112-234 ; G. De Nie, Views from a Many-Windowed Tower : Studies of Imagination in the Works of Gregory of Tours (Studies in Classical Antiquity, 7), Amsterdam, 1987 ; Heinzeimann, Gregor von Tours ; sur la diffusion : P. Bourgain et M. Heinzelmann, « L’oeuvre de Grégoire de Tours : la diffusion des manuscrits », dans Grégoire de Tours et l’espace gaulois. Actes du congrès intern., Tours, 3-5 nov. 1994, N Gonthier et H. Galinié dir. (Rev. Archéologique du Centre de la France, suppl. 13), Tours, 1997, p. 273-317.
7 Gregorii Turonensis, Libri historiarum X, II, 34, MGH, SS rer. Merov. 1,1, p. 82-83 : Grégoire évoque les lettres d’Avit de Vienne, mais il ne fait manifestement pas référence, lorsqu’il évoque le baptême de Clovis, à celle qui touche précisément la question ; cela va même plus loin : il n’utilise, dans la mesure où l’on peut s’en assurer aujourd’hui, aucune des lettres de l’évêque burgonde.
8 Epistolae Austrasicae 1-3, MGH, Ep. 3, p. 112-114.
9 Grégoire de Tours évoque la lettre de consolation que Rémi adressa à Clovis dans Hist. II, 31, p. 77-78.
10 Une version courte, et peut-être authentique, de ce testament se retrouve dans Hincmar de Reims, Vita Remiga c. 32, MGH, SS rer. Merov. 3, p. 336-340 ; la version longue, dont on considère généralement qu’elle est pleine d’interpolations, se trouve dans Flodoard, Historia Remensis ecclesiae I, 19, MGH, SS 13, p. 428-434 ; éd. aussi dans la Rev. du Moyen Age latin 37 (1981) p. 109-139. A propos des testaments : U. Nonn, « Merowingische Testamente. Studien zum Fortleben einer römischen Urkundenform im Frankenreich », Archiv für Diplomatik, 18 (1972) (paru en 1974), p. 1-129.
11 Avitus ep. 46, MGH, Auct. Ant., 2, p. 75-76 ; il se peut que la lettre sans destinataire publiée dans le même volume, no 8, p. 40-42, fasse aussi allusion à Clovis. Grégoire l’évoque dans Hist. II, 34 ; cf. ci-dessus note 7.
12 Cassiodore, Variae, 3, 4 et 3, 41.
13 MGH, Capit. I, no 1, p. 1-2.
14 Concilium Aurelianense MGH, Conc. 1, p. 1-14 (à partir de 511, juillet 10).
15 Sur ce point, voir le résumé de M. Heinzelmann, « Clovis dans le discours hagiographique du VIe au IXe siècle », Bibl. de l’Ecole des Chartes, 154 (1996), p. 87-112.
16 Procope, Gotenkriege, en particulier V, 12, 12-19, grec-allemand, publié sous la direction de O. Veh, Munich, 1966, p. 94-96. Sur ce passage, voir B.S. Bachrach, « Procopius and the Chronology of Clovis Reign », Viator, 1 (1970) p. 21-31.
17 Epistolae Austrasicae 2, MGH, Ep. 3, p. 113 ; publié sous la direction de H.M. Rochais (Corpus Christianorum, Ser. Lat., 117), Turnhout, 1957, p. 408-409 ; sur ce point, cf. Daly, Clovis (ci-dessus note 2), p. 631-636.
18 Le jugement notamment émis par A. Hauck dans Kirchengeschichte Deutschlands, 1, Berlin-Leipzig, 1954, p. 554-555, a ouvert sur ce point d’importantes perspectives.
19 Le paganisme de Childéric est figuré de manière saisissante par sa sépulture : R. Brulet, « Tournai und der Bestattungsplatz um Saint-Brice », Die Franken (ci-dessus note 2) t. 1, p. 163-170 ; P. Périn et M. Kazanski, « Das Grab Childerichs I. », ibid., p. 173-182 ; et enfin : M. Müller-Wille, Zwei religiöse Welten : Bestattungen der fränkischen Könige Childerich und Chlodwig (Akademie der Wissenschaften und der Literatur Mainz, Abh. Geistes-und sozialwiss. Klasse 1998, 1), Stuttgart, 1998. Et pourtant Childéric n’hésitait pas à porter une fibule en or romaine, opus interrasile couverte d’un réseau de croix (cf. Die Franken, 1, p. 173, fig. 119 et p. 361, fig. 298-299). Si l’on parvenait à établir un lien entre la cuillère d’argent portant le nom de basera trouvée lors d’une fouille en Thuringe et la mère de Clovis, originaire elle aussi de Thuringe, le contexte chrétien serait relativement évident.
20 C’est en tout cas la thèse défendue par Wood (ci-dessus note 6), p. 266 et suiv. et dans son ouvrage intitulé : The Merovingian Kindoms 450-751, Londres-New York, 1994, p. 44-45 ; cf. d’autres thèses : C. Nolte, Conversio und Christianitas. Frauen in der Christianisierung vom 5. bis 8. Jahrhundert (Monographien zur Geschichte des Mittelalters 41), Stuttgart, 1995, p. 82-85 ; cependant, Cum ista, quae supra dixi, probata cognovit... (MGH, Ep. 3, 122, 24 et suiv.) ne fait pas référence aux conseils d’ordre religieux prodigués en début de lettre, mais aux miracles survenus près du tombeau de saint Martin (MGH, Ep. 3, 121, 24 et suiv.) dont Clovis fit vérifier la véracité et qui, peut-être, l’incitèrent à se convertir aussitôt (cf. p. 122, 4).
21 Ailleurs, Grégoire mentionne une seconde sœur de Clovis, déjà baptisée par les ariens mais qui se tournait désormais vers l’Eglise catholique. Un sermon entier de saint Avit, aujourd’hui perdu, évoque cette conversion : De conversione Lentildis Chlodovaei sororis. Avit lui-même y fait allusion dans le sermon 31, MGH, AA, 6, 2, p. 152.
22 Grégoire de Tours, Hist. II, 31, p. 77-78.
23 C. 26 MGH, SS rer. Merov., 3, p. 226. Sur les questions de datation au début du VIe siècle, voir M. Heinzelmann et J-C. Poulin, Les vies anciennes de sainte Geneviève de Paris, études critiques (Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes, IVe section, sciences historiques et philologiques, 329), Paris, 1986.
24 MGH, AA, 6, 2, p. 75-76, no 46 ; sur ce point, Daly, Clovis (ci-dessus note 2), p. 637-641.
25 Si la mère de Clovis était de religion chrétienne (ci-dessus note 19), elle peut aussi avoir été arienne.
26 Cela ne suffit sans doute pas à faire de Clovis un arien, et par conséquent un chrétien. A en croire la lettre susnommée de Avit, Clovis n’était pas baptisé ; lors de conversions, les baptêmes ariens n’étaient pas réitérés, mais sanctifiés par Ponction du chrême (Grégoire de Tours, Hist. II, 31, p. 78 ou II, 34, p. 81). A certaines époques, l’influence arienne à la cour de Clovis a certainement été très importante, comme en témoigne le baptême de l’une de ses sœurs, Lantechilde, pratiqué par un hérétique : cf. le renvoi au sermon perdu d’Avit de Vienne De conversione Lenteildis Chlodovaei sororis (hom. 31, MGH, AA, 6, 2, p. 152) ; sur ce point, voir : Grégoire de Tours, Hist. II, 31, p. 93 ; cf. aussi Wood, Merovingian Kingdoms, p. 44-45.
27 Avitus, ep. 46 MGH, AA 6, 2 p. 75, 7-16 ; à propos de ce passage, cf. N. Staubach, « Germanisches Königtum und lateinische Literatur vom fünften bis zum siebten Jahrhundert. Bemerkungen zum Buch von Marc Reydellet, « La royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville », Frühmittelalterliche Studien, 17 (1983), p. 1-54, ici p. 29-30.
28 La question est résumée chez Nolte, Conversio und Christianitas, p. 72.
29 Avitus, ep. 46, MGH, AA, 6, 2, p. 75, lignes 7-10.
30 Cf. ci-dessus note 16 ; cf. Tessier, Baptême, p. 78, 84 et suiv.
31 MGH, AA, 4, 2, p. 64-67 ; sur ce point, voir l’annexe ci-dessous.
32 Avitus, ep. 46, MGH, AA, 6, 2, p. 75, ligne 7.
33 Cf. E. Ewig, « Das Bild Konstantins des Groβen in den ersten Jahrhunderten des abendländischen Mittelalters », Hist. Jahrbuch, 75 (1956), p. 1-46 ; Id, dans H. Hunger éd., Das byzantinische Hersscherbild, Darmstadt, 1975, p. 133-192, ici p. 168-169 ; de même dans Id., Aufsätze (Francia Beiheft, 3, 1), p. 72-113, ici p. 96-97.
34 Clotilde est qualifiée de bienheureuse, beata : Hist. X, 9, p. 532.
35 Epistolae Austrasicae 8, MGH, Ep., 3, p. 121, 24-31.
36 MGH, Ep., 3, p. 122, 3-5.
37 Heinzelmann le fait très justement remarquer dans son article intitulé « Clovis dans le discours hagiographique » (ci-dessus note 15), en particulier p. 90-92.
38 Sur ce point, cf. W. Levison, « Zur Geschichte des Frankenkönigs Chlodowech », dans Id., Aus rheinischer und fränkischer Frühzeit. Ausgewählte Aufsätze, Düsseldorf 1948 p. 202-228, ici p. 223-228.
39 Grégoire de Tours, Hist. II, 37, p. 85-88. Sur ce point, cf. M. McCormick, « Clovis and Tours. Byzantine public ritual and the origins of medieval ruler symbolism », dans E. Chrysos et A. Schwarcz éd., Das Reich und die Barbaren, VIÖG, 29, Vienne, 1989, p. 155-180 ; Heinzelmann, « Die Franken und die fränkische Geschichte » (ci-dessus note 5), p. 334 et suiv., à propos de la célébration de Clovis comme roi béni de Dieu.
40 Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang zum Christentum » (ci-dessus note 2), p. 10-11.
41 Von Den Steinen, « Chlodwigs Übergang », p. 27. Nolte déjà, dans Conversio, p. 77-78, avait identifié des processus de déformation littéraires et religieux.
42 B. Opfermann, Die liturgischen Herrscherakklamationen im Sacrum Imperium des Mittelalters, Weimar, 1953, p. 101-102, no I, 1-2, qui datent encore tous deux du VIIIe siècle.
43 Venantius Fortunatus Vita s. Hilarii c. VII, 20 MGH, SS rer. Merov., p. 9. Sur ce point, cf. Heinzelmann, Clovis dans le discours hagiographique (ci-dessus note 15), p. 95-96.
44 Grégoire de Tours, Hist. II, 37, p. 86.
45 Tout au moins avec le monastère dirigé par sainte Radegonde, l’une des quatre épouses de Clotaire Ier. Cf. Grégoire de Tours, De gloria confessorum, c. 104, MGH, SS. rer Merov I 2 p. 814.., I’
46 Pour la Gaule, cf. O. Pontal, Histoire des conciles mérovingiens, Paris, 1989, p. 296 (entre autres avec des renvois à Grégoire de Tours, Hist., VIII, 9, p. 376).
47 Cf. Bourgain et Heinzelmann, « Courbe-toi » (ci-dessus note 2), p. 605.
48 III, 21, MGH, SS rer. Merov., 2, p. 101
49 B. Kleinheyer, « Sakramentale Feiern. I. Die Feiern der Eingliederung in die Kirche », dans Gottesdienst der Kirche. Handbuch der Liturgiewissenschaft, H.B. Meyer et al. éd., 7e partie, 1, Ratisbonne, 1989, p. 100 et suiv.
50 L’édition la plus récente du texte est la suivante : Grégoire le Grand, Dialogues. Texte critique et notes par Adalbert de Vogüé, P. Antin trad. (Sources Chrétiennes, 251, 260 et 265), Paris 1978/79/80, ici t. 2, p. 126-248. Sur les mises en cause anciennes de la fiabilité historique de la « vie » de saint Benoît dans les Dialogues de Grégoire le Grand, voir le résumé du débat dans : P. Engelbert, « Hat Papst Gregor der Grosse die « Dialoge » geschrieben ? », Erbe und Auftrag, 64 (1988), p. 255-265, ici p. 255-256 ; pour aller plus loin, cf. du même auteur, « Neue Forschungen zu den Dialogen Gregors des Grossen. Antworten auf Clarks These », Erbe und Auftrag, 65 (1989), p. 376-393.
51 F. Clark, The Pseudo-Gregorian Dialogues (Studies in the History of Christian Thought 37-38), 2 vol., Leyde, 1987.
52 A. De Vogüé, « Grégoire le Grand et ses Dialogues d’après deux ouvrages récents », Revue d’histoire ecclésiastique, 83 (1988), p. 281-348.
53 P. Mayvaert, « The Enigma of Gregory the Great’s Dialogues. A Response to Francis Clark », Journal of Ecclesiastical History, 39 (1988), p. 335-381 ; à l’opposé, F. Clark, « St Gregory and the Enigma of the Dialogues : A Response to Paul Mayvaert », ibid., 40 (1989), p. 323-343 ; et à l’opposé de nouveau, Mayvaert, « A Comment on Francis Clark’s response », ibid., p. 344-346.
54 A propos des questions de style et de la forme littéraire des Dialogues, voir : E. Auerbach, Literatursprache und Publikum in der lateinischen Spätantike und im Mittelalter, Bern, 1958, p. 72-77 ; ainsi que W. Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter. I Von der Passio Perpetuae zu den Dialogi Gregors des Grossen (Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 8), Stuttgart, 1986, p. 305-324, ici p. 311, avec une vue d’ensemble sur les différences de style entre les Dialogues et les autres œuvres de Grégoire ; Meyvaert, Enigma (ci-dessus note 53), p. 369, explique les différences de style par la différence d’objet traité.
55 Cf. en particulier Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), passim. Rappelons que pour arriver à ce résultat, l’état des manuscrits – sur lesquels s’appuie Clark, entre autres auteurs – n’est pas seul à être déterminant, mais que la réception des Dialogues dans son ensemble, telle qu’elle est fixée dans des sources littéraires, joue elle aussi un rôle essentiel.
56 A propos de Grégoire, cf. R.A. Markus, Theolog. Realenzyklopädie, 14 (1985), p. 135-145 ; du même auteur, Gregory the Great an his world, Cambridge, 1997 ; J. Richards, Gregor der Grosse. Sein Leben – seine Zeit, Graz-Vienne-Cologne, 1983 (angl. 1980) ; C. Straw, Gregory the Great, Perfection in Imperfection, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1988.
57 La célèbre lettre de Grégoire à l’évêque Maximien de Syracuse (ep. III, 50, datée de juin 593), seule source à évoquer l’intention du pape de consacrer un recueil à la vie et à l’œuvre des saints italiens, ne parle en effet que d’une intention ; étant donné le silence que le pape observe par la suite à cet égard, et compte tenu de l’absence d’autres preuves, on ne peut pas en déduire que cette intention a été réalisée. Contrairement à Clark, je ne crois pas que cette lettre est un faux dû au « dialoguiste ».
58 Mayvaert, Enigma (ci-dessus note 53), ici p. 379-381 et, dans son sillage, Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 392-393.
59 Mayvaert, A Comment (ci-dessus note 53), p. 345-346 (en référence à un argument du latiniste Francis Newton).
60 Ed. Moricca, Prefazione, p. VII-XXI ; Berschin, Biographie II, p. 305 ; De Vogüé, Ouvrages récents (ci-dessus note 52), p. 309-310.
61 Dial. 3, 30, 1-2 ; sur ce point Reg. 4, 19 (Mars 594), éd. D. Norberg, (Corpus Christianorum SL, 140) p. 237. Ep. 4, 19 charge l’acolyte Leon de l’entretien de l’église nouvellement consacrée. Dater cette consécration de 591-592 (comme le font Moricca p. XLVIIXLVIII et p. 202 note 1 ; éd. de Vogüé, 2, p. 379, note) présuppose la date de rédaction postulée des Dialogues. C’est une pétition de principe.
62 Cf. Dial. 3, 19, 2 (inondation du Tibre) et Dial. 4, 27, 6 et 4, 37, 7 (épidémie).
63 La fiction n’est, du reste, pas suivie en continu : cf. Dial. 1, 12, 7, éd. de Vogüé, p. 118 : hodiernum tempus ; 2, 38, 5 p. 248 : Aliquantulum iam a locutione cessandum est, ut... vires interim per silentium reparemus ; 3, 58, 5 p. 432 :...subsequenti hoc quarto volumine demonstrabo (ici, la fiction dialogique se trouve écartée et il est fait référence à la lecture).
64 Ainsi dans Dial. 3, 38, 5.
65 A propos de la datation traditionnelle, cf. S. Brachter OSB., « Monte Cassinos erste Zerstörung. Kritischer Versuch einer zeitlichen Fixierung », Studien und Mitteilungen zur Geschichte des Benediktinerordens und seiner Zweige, 56 (1938), p. 109-150, ici p. 111, note 12 et 115, note 21. Les preuves utilisées sont : la lettre du pape à l’évêque de Syracuse, datée de 593 (ci-dessus note 57), en relation avec les rapports s’appuyant sur Maximien (f avant novembre 594) dans les Dial. 1, 7 ; 3, 36 et 4, 33 ; l’allusion à la crue du Tibre intervenue en 589 dans les Dial. 3, 19, 1-2 ; Maximien de Syracuse est vivant dans les Dial. 1, 7, 1 et 4, 33, 1, tandis que Reg. 5, 20 (novembre 594) le tient déjà pour mort.
66 Ainsi dans les Dial. 3, 9, 1 et 4, 27, 2. Ante Triduum : Dial. 3, 37, 1.
67 Par exemple ep. 7, 23, datée de 597 ; cf. aussi F. Clark, « The renewed debate on the authenticity of the Gregorian Dialogues », Augustinianum, 30 (1990), p. 75-105, ici p. 104 et suiv. note 60. Ces citations peuvent également être des références pour la datation d’épisodes séparés.
68 Migne, PL 79, 683-916. L’édition de R. Vander Plaetse dans le Corpus Christianorum SL, qui avait été annoncée, n’est pas parue. L’époque à laquelle a été écrit le Liber testimoniorum est incertaine, la dédicace placée en introduction et adressée à un évêque inconnu permet seulement de déduire que l’ouvrage a été écrit du vivant du pape. Meyvaert, Enigma (ci-dessus note 53), p. 356-357 fait remarquer que Paterius cite la version primitive des Homélies sur Ezechiel de son pape telles qu’elles ont été rédigées en 592/593 et en déduit que le familier de Grégoire n’a guère pu les utiliser après les modifications intervenues en 601/602 (seules à être conservées aujourd’hui). Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 384, répète le même argument. Malgré tout, il n’est pas contraignant et il convient de laisser ouverte la question de la datation du Liber testimoniorum. Le commentaire peut tout à fait avoir été rédigé après 601/602 (mais avant 604).
69 La numérotation des passages cités se rapporte uniquement à la première partie, conservée, de l’Ancien Testament (Gen. à Cant.) ; pour les livres bibliques postérieurs et pour le Nouveau Testament, Paterius se réfère également aux Dialogues, mais la densité de ces références n’est pas vérifiable. Extraits des Dial. : Liber testimoniorum Gn. no 54 (in Codice Dialogorum Libro I dum de effectu praedestinationis tractaretur, adiunctum est : Migne, PL 79, 709C-710A, extrait de Dial. 1, 8, 5-6, éd. de Vogüé, p. 74 = éd. Moricca, p. 49) et Jos. no 1 (in Codice Dialogorum Libro dum de distinctis compunctionum modis tractaretur, adiunctum est : ibid. col. 783D-785A extrait de Dial. 3, 34, 1-4, éd. de Vogüé, p. 400-2 = éd. Moricca, p. 212-214 ; le même texte dans Grégoire, ep. 7, 27 datée de 597) ; s’ajoute à cela Nb. no 4 (ibid. 763B, extrait de Dial. 2, 2, 4, éd. de Vogüé, p. 138-40 [avec commentaire] = éd. Moricca, p. 79) ; cit. d’après Meyvaert, Enigma (ci-dessus note 53), p. 358 et p. 354-355 note 70 ; cf. Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 384. - Codex ne donne aucune indication sur l’état du texte.
70 Cf. p. ex. de Dial. 4, 8 à Dial. 2, 35, 2-3.
71 Cf. p. ex. Dial. Prol. 1, 10 ou 3, 7, 1 ou 4, 8 ; cf. éd. de Vogüé 3, p. 42 à propos de Dial. 4, 8. Sur ce point, ci-dessus note 63.
72 Cf. p. ex. les mentions directes dans Dial. 4, 15-4, 17, éd. de Vogüé, p. 58-70, 4, 20, p. 74-76 ; ou 4, 28, 5, p. 98. Cf. aussi l’index des citations, éd. de Vogüé, 3, p. 318-326. Grégoire lui-même confirme dans ep. XII, 6 (602, Jan.) (éd. Norberg 2, p. 975, 31 et suiv.) l’existence d’un tel type de travail :...filius meus Claudius aliqua me loquente [...] audierat, quae ego scripto tradere prae infìrmitate non potui, ipse ea suo sensu dictavit, ne oblivione deperirent, ut apto tempore haec eadem mihi inferret et emendatius dictarentur. Quae cum mihi legisset, imeni dictorum meorum sensum valde inutilis fuisse permulatum.
73 Cf. par exemple 4, 52, 1 qui se rapporte à 4, 51, éd. de Vogüé, p. 176 ou 4, 59, 6 qui se rapporte à 4, 59, 2-5, p. 196-198.
74 Dial., prol. 1, 7 et en particulier 1, 9, éd. de Vogüé, p. 14-16.
75 Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 386-387.
76 Libri quinque Sententiarum ex operibus Sancii Gregorii, dans Migne, PL 80, p. 728-990. Cf. sur ce point Meyvaert, Enigma (ci-dessus note 53), p. 361-366.
77 Lettre à l’évêque Eugène de Tolède, MGH, AA, 14, p. 288. Cf. Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 385-386.
78 Dial. 1, prol., 3e éd. de Vogüé, p. 12 (= éd. Umberto Moricca, Gregorii Magni Dialogi libri IV [Fonti per la storia d’Italia, 57], Rome, 1924, p. 14, 6 et suiv.)
79 Reg. 3, 50 (Juillet 593). A propos de Maximien, Nonnosus et les Dialogues, cf. aussi Dial. 1,7.
80 Cette histoire de ouï-dire est lisible dans la lettre que Grégoire adresse à Maximien, ep. 3, 50 datée de 593, qui est généralement mise en relation avec les Dialogues ; il n’y a aucune raison de douter de cette relation, puisque les Dialogues eux-mêmes (1, prol. 10, éd. de Vogüé, p. 16-8 [éd. Moricca, p. 16, 15 et suiv.]) en font état.
81 Sur la question du triptyque : Berschin, Biographie II, p. 308. A propos des psaumes dans les monastères : Regula s. Benedicti, c. 8-19.
82 Dial. 2, Prol. Gratia Benedictus et nomine (éd. de Vogüé, p. 126, 1) et 2, 8, 12, où le diable fait de Benoît, qui ne répond pas à son appel, un maudit (de Benedictus, il devient maledictus), cf. éd. de Vogüé, p. 179, 120-3 [= éd. Moricca, p. 96, 12 et suiv.]. La symbolique des noms a été étudiée à plusieurs reprises, par exemple : J.W. Wansbrough, « St. Gregory’s invention in the stories of St. Scolastica and St. Benedict », Revue Bénédictine, 75 (1965) p. 145-151.
83 Dial. 2, 36 : cuius (sc. s. Benedicti) si quis velit subtilius mores vitamque cognuscere, potest in eadem institutione regulae omnes magisterii illius actus invenire, quia sanctus vir nullo modo potuit aliter docere quam vivere (éd. de Vogüé, p. 242). Les normes de la règle se transforment en témoignages biographiques.
84 A y bien regarder, les plus anciens témoignages non grégoriens où la Règle est évoquée et qui nomment Benoît, la célèbre lettre de l’abbé Venerandus de Hauterive à l’évêque Constantius d’Albi (vers 625/630 : regula sancii Benedicti abbatis Romensis) et le codex de la bibliothèque capitulaire de Vérone (cod. LU) de la Règle (vers 800 : regula a sancto Benedicte Romense edita) ne prouvent, à tout prendre, que l’existence d’une tradition du texte et non de la vie de Benoît. A propos de la tradition, cf. l’étude (qui ouvre des perspectives mais est à présent dépassée) de L. Traube, Textgeschichte der Regula S. Benedicti, 2e éd. par H. Plenkers, Munich, 1910 (ici p. 78-79 et p. 123-124) ; K. Zelzer, « Cassiodor, Benedikt und die monastische Tradition », Vienneer Studien, 98 (=NF 19) (1985), p. 215-237 ; du même auteur, « Von Benedikt zu Hildemar. Zu Textgestalt und Textgeschichte der Regula Benedicti auf ihrem Weg zur Alleingeltung », Frühmittelalterliche Studien, 23 (1989), p. 112-130 ; P. Engelbert O.S.B., « Regeltext und Romverehrung. Zur Frage der Verbreitung der Regula Benedicti im Frühmittelalter », Römische Quartalschrift, 81 (1986), p. 39-60 ; J. Wollasch, « Benedictus abbas Romensis. Das römische Element in der frühen benediktinischen Tradition », dans Tradition als historische Kraft. Interdisziplinäre Forschungen zur Geschichte des früheren Mittelalters, N. Kamp et J. Wollasch éd., Berlin-New York, 1982, p. 119-137. La remarque de Traube, selon laquelle (p. 79) les deux des plus anciennes sources citées « se trompent » en faisant de Benoît un abbé romain, alors que, selon les Dialogues de Grégoire, il ne l’était pas, continue d’être pertinente, même si elle est souvent ignorée par les travaux récents. Traube rappelle qu’il s’agit d’une règle qui renvoie à Rome et est liée à un nom qui, lui, n’a rien à faire dans cette ville, signe du phénomène de fusion qui affecte la tradition de manière précoce et empêche, à partir des documents conservés, de tirer des conclusions sur la vie du père des moines.
85 A propos de cette méconnaissance de la « vie », cf. Dial. 2, Prol. 2, éd. de Vogüé, p. 128 : Huius (Benedicti) ego omnia gesta non didici. A propos de la méconnaissance de la Règle : K. Hallinger, « Papst Gregor der Grosse und der hl. Benedikt », Studia Anselmiana, 41 (1957), p. 231-319 ; affirmatif : Die Benediktus-Regel Lateinisch-Deutsch, B. Steidle éd, Beuron, 1980, p. 10 (introduction). A l’opposé A. de Vogüe, « Les vues de Grégoire le Grand sur la vie religieuse dans son commentaire des Rois », Studia Monastica, 20 (1978), p. 17-63 (cf. aussi du même auteur, « The mention of the ‘Regula Monachorum’ at the end of the life of Benedict. Its literary ans spiritual fonction », Cistercian Studies, 20 (1985) p. 3-13) ; l’argument le plus important contre Hallinger se trouve dans le commentaire du livre des Rois, que de Vogüé attribua à Grégoire, et dans lequel la règle de saint Benoît est citée (sur ce point, cf. H. Lutterbach, Monachus factus est. Die Mönchwerdung im frühen Mittelalter. Zugleich ein zur Frömmigkeits-und Liturgiegeschichte (Beiträge zur Geschichte des alten Mönchtums und des Benediktinertums, 44), Münster, 1995, p. 169-174 ; à présent, de Vogüé lui-même a remis en cause la paternité de Grégoire avec des arguments très forts : « L’auteur du Commentaire des Rois attribué à saint Grégoire : un moine de Cava ? », Revue Bénédictine, 106 (1996), p. 319-331. Si le commentaire en question était véritablement l’œuvre de Grégoire, il s’agirait sans conteste d’une œuvre tardive et cela suggérerait, vues les circonstances évoquées par Hallinger, une composition tout aussi tardive du second livre des Dialogues. Pourtant, à l’heure actuelle, il faut plutôt s’en tenir à l’idée que le Commentaire a été écrit au XIIe siècle. Les remarques de Grégoire à propos des Livres des Rois, qui selon ep. XII, 6 (éd. Norberg, p. 975, 33) auraient été fixés par écrit par des personnalités incompétentes, ne pourraient former un commentaire cohérent et aussi long que celui écrit, sans doute, par le moine de Cava.
86 Cf. Dial. 2, Prol. 2e éd. de Vogué, p. 128. L’abbé de cette cella, Honoratus, était soi-disant le dernier homme encore en vie susceptible de fournir à Grégoire des informations sur la vie de Benoît ; sur ce point, ci-dessous p. 92.
87 Cf Dial. 1, Prol. 7, éd. de Vogüé, p. 14 : Petrus :...Et quidem bonos viros in hac terra fuisse non dubito, signa tarnen atque virtutes aut ab eis nequaquam factas existimo, aut ita sunt hactenus silentio suppressa, ut utrumme sint facta nesciamus. Ceci est valable aussi pour Benoît, ses œuvres et ses fondations. Donc, si Grégoire reste silencieux sur le nom de cette cella (cf. note précédente), ce n’est pas parce qu’elle était connue de tous et qu’il aurait été superflu de la nommer, mais bien parce que lui-même ne le connaissait pas. Or, dépourvue de nom, la cellule se désintègre. Le « sacro speco » de Benoît, après son départ, était une caverne vide : cf. Dial. 2, 38, p. 246-248.
88 A propos du Stromboli : Dial. IV, 31, 3e éd. de Vogüé, p. 104 (=éd. Moricca, p. 274-275). A propos du paganisme : Dial. II, 8, 10-11, éd. de Vogüé, p. 166-68 (=éd. Moricca, p. 94-96) ; ce culte était dédié à Apollon. A propos de la légende de Grégoire le Grand qui, ultérieurement, montre saint Benoît en destructeur d’idoles païennes, cf. T. Buddensieg, « Gregory the Grcast, the destroyeur of pagan idols. The history of an medieval legend concerning the decline of ancient art and literature », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 28 (1965) p. 44-65.
89 L’intérêt pour le Speco est attesté seulement sous le règne du pape Léon IV, cf. K. Herbers, Leo IV. und das Papsttum in der Mitte des 9. Jahrhunderts. Möglichkeiten und Grenzen päpstlicher Herrschaft in der späten Karolingerzeit (Päpste und Papsttum, 27), Stuttgart, 1996, p. 277-278 avec notes 20 et 28.
90 Cf. C. Leonardi, « Miscellanea Sublacense », Bulletino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, 65 (1953), p. 65-79. La tradition selon laquelle le monastère de Sainte-Scholastique est le même que celui, voisin, de Saint-Sylvestre, première cellule de Benoît, n’apparaît que vers le Moyen Age tardif ; rien n’atteste non plus l’existence du bâtiment trouvé sous ceux de Sainte-Scholastique, identifié comme un Oratorium et peut-être édifié au VIe siècle, cf les études suivantes, un peu anciennes : de Vogüé, notes comp, de Dial. 2, 3, 13, p. 439 ; P. Carosi OSB, Il primo monastero benedettino (Studia anselmiana 39), Subiaco-Rome, 1956 ; plus court, du même auteur : Badia di Subiaco. Storia - arte - vita, Subiaco, 1970, 12-4 ; C. Giumelli, I monasteri benedittini di Subiaco, Milan, 1982, p. 28 et suiv. Cela indique seulement qu’au IXe siècle, les bâtiments de Sainte-Scholastique ont été construits sur des ruines préexistantes et mises en relation avec Benoît ; d’un point de vue archéologique, il est impossible de démontrer qu’il y a eu continuité architecturale et fonctionnelle. Du reste, cette attention portée aux ruines et à leur valeur de témoignage historique est lisible chez Adrevald de Fleury, Miracula s. Benedicti, c. 1 MGH, SS 15, 1, p. 478, 31-32.
91 Les deux versions conservées de la vie de saint Rémi fournissent un exemple parallèle. La version anonyme, datée au VIe siècle (ci-dessus note 31) met en scène un quidam servus dei (c. 6, 17, MGH, AA 4, p. 66, 9), qui devint ensuite ipse benedictus (6, 18 ib. 1. 14). Hincmar de Reims (c.9) en fit saint Benoît en personne (MGH, rer. Merov. 3, p. 285-290), cf. Berschin, Biographie 111, p. 370-71.
92 Dial. 2, 3, 13-4, éd. de Vogüé, p. 148-150 (=éd. Moricca, p. 84, 7 et suiv.) ; sur ce thème même : A. de Vogüé, « La Règle du Maître et les Dialogues de S. Grégoire », Revue d’histoire ecclésiastique, 61 (1966), p. 44-76, ici p. 55-57.
93 Cf. le passage cité note 83 (Dial. 2, 36) sur l’unité entre règle normative et vie vécue.
94 Il est impossible de dater la destruction : H. H offmann, « Die älteren Abtslisten von Montecassino », Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 47 (1967), p. 224-354, ici p. 241-242. De même, les fouilles pratiquées après la troisième destruction, intervenue pendant la Seconde Guerre mondiale (H. Bloch, The Bombardement of Monte Cassino [February 14-16, 1944], Montecassino, 1976), et lors de la reconstruction de l’abbaye, ne permettent-elles pas d’identifier des bâtiments antiques ou de l’antiquité tardive, cf. le résumé de P. Mayvaert, « Peter the Deacon and the tomb of Saint Benedict. A reexamination of the Cassinese tradition », Revue bénédictine, 65 (1955), p. 3-70.
95 Ce n’est pas la même personne que l’abbé Honoratus nommé dans Dial. I, 1.
96 Dial. 2, Prol., éd. de Vogüé, p. 128, 22-3.
97 Cf. le commentaire de Moricca sur Dial. 2, Prol. p. 72-73, note 1, surtout p. 73.
98 Dial. 2, 15, 4., éd. de Vogüé, p. 184.
99 Cf. aussi Dial. 3, 38, 3-4., éd. de Vogüé, p. 430 (=éd. Moricca, p. 226, 7 et suiv.).
100 L’actualité du miracle est soulignée à plusieurs reprises dans les Dialogues, par exemple Dial. 3, 16, 11.
101 Cf. les ouvrages cités ci-dessus note 84, en particulier Wollasch.
102 Le premier codex de la règle (par Paul Diacre, Hist. Langob. VI, 40) attesté fut apporté au Mont-Cassin par le pape Zacharie – de même que les reliques du saint recueillies à Fleury – cf P. Meyvaert, « Problems concerning the « autograph » manuscript of Saint Benedict’s rule », Rev. bénédictine, 79 (1959), p. 3-21.
103 Sur cette relation, cf. J. Semmler dans Corpus Consuetudinum Monasticarum I, Siegburg, 1963, p. 45-63, ici p. 47. Cf. De Vogüé, Règle du Maître (ci-dessus note 92), passim.
104 Cf. Zelzer, « Von Benedikt zu Hildemar » (ci-dessus note 84), p. 120.
105 On ne trouve de patronages de Benoît (ou de Scholastique) à Rome, qu’à partir du IXe siècle, cf. M.F.P. Jost, Die Patrozinien der Kirchen der Stadt Rom vom Anfang bis in das 10. Jahrhundert, thèse typoscrite, Francfort, 1998.
106 Résumé De Vogüé, « Grégoire le Grand et ses Dialogues » (ci-dessus note 52).
107 Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50) p. 381 ; Wollasch, « Benedictas abbas Romensis » (ci-dessus note 84), en particulier p. 122 et suiv. Le plus ancien témoignage liturgique connu jusqu’à présent est le calendrier de saint Willibrord (BNF Paris lat. 10837, fol. 34-41), que l’on date à l’heure actuelle des premières années du VIIIe siècle, cf. N. Netzer, Cultural Interplay in the Eighth Century. The Trier Gospels and the making of a scriptorium at Echternach (Cambridge Studies in Palaeography and Codicology), Cambridge 1994, 5.
108 Wollasch, Benedictus abbas romensis (ci-dessus note 84), surtout p. 126 et suiv., a déjà fait remarquer explicitement ce phénomène de « retour du souvenir ».
109 L’absence de Benoît dans les sources liturgiques romaines les plus anciennes a été mise sur le même plan, et expliquée par l’absence d’autres saints célèbres, cf. Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 380-81. Or les saints nommés ici, Antoine, Basile, Ambroise, Augustin, Séverin, Fulgence ou Césaire d’Arles n’ont en effet rien à voir avec Rome, tandis que Benoît était considéré comme « romain », et que sa règle était considérée comme la loi « romaine ». Au Mont-Cassin, il semble qu’on ait édifié un autel pour saint Benoît seulement à l’époque où le pape Zacharie (JL 2290) a demandé le rapatriement des reliques bénédictines de Fleury, cf. Meyvaert, « Peter the Deacon » (ci-dessus note 94), p. 9.
110 A propos de la diffusion précoce des manuscrits, où « les Irlandais et les Anglo-Saxons ont dû jouer un rôle particulier », cf. Engelbert, « Papst Gregor » (ci-dessus note 50) p. 261-262.
111 On ignore la date à laquelle la translation des reliques à Fleury (Benoît) et au Mans (Scholastique) a eu lieu, si elle a vraiment eu lieu ; ou, pour être plus précis : le moment où ces reliques sont attestées pour la première fois dans ces villes est complètement incertain ; la tradition date la translation des reliques de Benoît du VIIe siècle, tandis que les témoignages qui l’attestent ne prennent forme qu’au cours du VIIIe siècle ; le transfert des reliques de Scholastique est évoqué pour la première fois chez Paul Diacre (Hist. Langob. VI, 2, MGH, SS rer Langob., 165). Les premières traces de ce transfert se trouvent juste avant et vers le milieu du VIIIe siècle, à une époque où la (re)construction du monastère du Mont-Cassin était achevée depuis longtemps et où l’absence des reliques commença à poser problème : dans le sacramentaire de Gellone (le 4. 12 Monasterio Floriacensi a partibus Romae adventus corporis sancii Benedictii abbatis) et dans la lettre authentique que le pape Zacharie adressa à l’Eglise franque (JL 2290). Les récits de translation les plus élaborés se trouvent dans un texte anonyme, peut-être écrit en Bavière, dont les manuscrits les plus anciens datent encore du VIIIe siècle (R Weber, « Un nouveau manuscrit du plus ancien récit de la translation des reliques de saint Benoît », Rev. Bénédictine, 62 (1952), p. 140-142) et chez P. Diacre, Historio Langobardorum VI, 2 (MGH, SS rer. Langob., p 165, 2 et suiv.) ; Fleury et Le Mans ne disposent de récits propres qu’à partir du IXe siècle. Cf. P.E. Munding, « Die benediktinische Tradition des Clm. 6333 », dans Palimpsesttexte des Codex latin. Monacensis 6333, P.E. Munding et P.A. Dold éd. (Textes et travaux éd. par l’abbaye de Beuron I, 15-18), Beuron, 1930, p. 1-218 ; Meyvaert, Peter the Deacon (ci-dessus note 94), passim ; A. Vidier, L’historiographie à Saint-Benoît-sur-Loire et les miracles de saint Benoît, Paris, 1965, W Goffart, « Le Mans, St. Scholastica, and the literary tradition of the Translation of St. Benedict », Revue Bénédictine, 77 (1967), p. 107-141 ; J. Hourlier, « La translation d’après les sources narratives », Studia Monastica, 21 (1979), p. 213-239.
112 Hallinger, Papst Gregor der Grosse und der hl. Benedikt (ci-dessus note 85), p. 256-259 ; Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 381.
113 A propos de la diffusion du nom Benoît avant Grégoire le Grand, cf. A. De Vogüé, « La rencontre de Benoît et de Scholastique. Essai d’interprétation », Revue d’Histoire de la Spiritualité, 48 (1972), p. 257-273, ici p. 261-262 ; cf. aussi p. 263 à propos du nom Scholasticus ; le nom Scholastique, jusqu’à présent, n’a pu être attesté dans l’antiquité tardive. En revanche, on n’a aucune preuve du fait que, après les Dialogues de Grégoire, ces saints sont devenus patrons à Rome ou en Italie. Le témoignage le plus ancien nous conduit chez les Anglo-Saxons, dans la seconde moitié du VIIe siècle, à Benedict Biscup et auprès d’une religieuse nommée Scholastique (elle est nommée par Aldhelm, De virginitate, salutio, MGH, AA 15, p. 228-229, cf. Mayvaert, Enigma (ci-dessus note 53), p. 342-343 ; Engelbert, Neue Forschungen (ci-dessus note 50), p. 379, note 6).
114 Le récit de translation originaire du Mans (première moitié du IXe siècle) opère une déduction pertinente : corpus sacrastissimum beatae Scolasticae... quod iam dudum ab hominibus quidem negletum, sed ab angelis frequentatum erat,...ad Cenomannis civitatem... deferrent, éd. Goffaert, Le Mans (ci-dessus note 111), 135 c.6, 1. 42-47. La même chose vaut pour Benoît.
115 Hoffmann, « Abtslisten » (ci-dessus note 94), p. 242-47.
116 « La tradition ancienne qui évoque une translation de ses ossements en France n’est sans doute pas tenable », selon R. Hanslik, Lexikon des Mittelalters 1, 9 (1980), col. 1868.
117 Il semble que saint Willibald, le premier, indiqua saint Benoît à la petite communauté du mont Cassin (vers 729/730) : Hugeburc, Vita s. Willi baldi c. 4-5, MGH, SS 15, 1, p. 102, 14-35 ; cf. S. Brechter OSB, « Montecassinos erste Zestörung. Kritischer Versuch einer zeitlichen Fixierung », Studien und Mitteilungen zur Geschichte des Benediktinerordens, 56 (1938), p. 109-150, ici p. 121-124 ; Hoffmann, « Abtslisten » (ci-dessus note 94), p. 244 ; A. Kraus, « Der heilige Willibald von Eichstätt : Person, Zeit, Werk », dans Der hl. Willibald - Klosterbischof oder Bistumsgründer ?, H. Dickerhof, E. Reiter et S. Weinfurter éd. (Eichstätter Studien NF 30), Regensburg, 1990, p. 9-29, ici p. 12-13.
118 Au Mont-Cassin, il semble que l’édification d’un autel dédié à saint Benoît intervienne seulement quelques années avant 759, cf. Mayvaert, « Peter the Deacon » (ci-dessus note 94), 9.
119 Dial. III, 18, éd. de Vogüé, p. 344-346 (= éd. Moricca, p. 184).
120 Cf. Hallinger, « Papst Gregor der Grosse und der hl. Benedikt » (ci-dessus note 85), p. 257.
121 Dial. II, 7, 4e éd. de Vogüé, p. 160 (= éd. Moricca, p. 90).
122 P. Brown, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », Journal of Roman Studies, 61 (1971), p. 80-101.
123 Dial. II, 8, 8-9, éd. de Vogüé, p. 164-166 (= éd. Moricca, p. 93).
124 Dial. II, 16, 3-5, éd. de Vogüé, p. 186-188 (=éd. Moricca, p. 104-105).
125 On trouve une mise en parallèle particulièrement éloquente de la vie de Benoît et de celle de Grégoire dans le Reg. IV, 44 de Grégoire (CCSL 140, 265) : il s’agit d’une lettre dans laquelle le pape se souvient avec beaucoup de tendresse de sa nourrice (Domnam vero illam nutricem meam, quam mihi per litteris commendatis, omnino diligo et gravari in nullo volo) et Dial. II, 1, 1-3, éd. de Vogüé, p. 128-130 (= éd. Moricca, p. 73 et suiv.), où il est dit que sa nutrix quae hunc artius amavit suivit seule le saint dans son ermitage, et que c’est pour elle que Benoît accomplit ses premiers miracles, car il ne voulait pas la voir pleurer.
126 A. De Vogüé, Grégoire le Grand et ses Dialogues (ci-dessus note 52), p. 290 : « éléments d’autobiographie spirituelle ».
127 La tension entre monasterium et curae pastoralis saecularium hominum negotia, à laquelle Grégoire se trouvait exposé, est expliquée dans Dial. I, prol. 3-4, comme ce qui a motivé l’écriture de ces Dialogues mêmes : éd. de Vogüé, p. 12 (= éd. Moricca, p. 14, 6 et suiv.).
128 Dial. II, 33, 3e éd. de Vogüé, p. 232 ; sur ce point : De Vogüé, « La rencontre de Benoît et de Scholastique » (ci-dessus note 113) : mais l’interprétation symbolique des noms de Benoît et de Scholastique, telle qu’elle a été envisagée par Wansbrough, « St. Gregory’s invention » (ci-dessus note 82) n’est en aucun cas remise en cause ; l’interprétation De Vogüé lui-même (par référence à 1. Joh. 4, 16 et le passage des Dial. : Illa plus potuit, quae amplius amavit) est tout à fait compatible avec la symbolique onomastique.
129 (Dial. III, 33, 4, per sacra spiritualis vitae conloquia sese vicaria relatione satiarent, éd. de Vogüé, p. 232 (= éd. Moricca, p. 127, 9-10).
130 Le motif principal de Dial. II, 33, à savoir si sancii viri omnia, quae volunt, possunt, et cuncta inpetrant, quae desiderant obtinere (Dial. II, 32, éd. de Vogüé, p. 228-230 [= éd. Moricca, p. 125, 11-2] est en effet réparti entre les sphères temporelles « jadis » et « maintenant » et inclus dans la tension entre exteriora et interiora, de même que le motif général des Dialogues eux-mêmes : Infelix quippe animus meus occupationis suae pulsatus vulnere meminit qualis aliquando in monasterium fuit... quod nulla nisi caelestia cogitare consueverat... Cumque se pro condiscensione multorum ad exteriora sparsit, etiam cum interira appétit... Perpendo itaque quid tolero, perpendo, quid amisi... Les « dialogues » ultérieurs s’opposent à ce déficit (Dial. I, prol. 3-4, éd. de Vogüé, p. 12 [-éd. Moricca, p. 14, 6-18]).
131 Seulement dans Dial. II, 33-4, éd. de Vogüé, p. 230-234.
132 Dial. 2, 34, 2e éd. de Vogüé, p. 234.
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