1Au musée de Paros est exposée une série de kouroi et de korès, conservés de manière fragmentaire ; il s’agit de trouvailles fortuites, anciennes, que Nikos Zapheiropoulos avait l’intention de publier après leur exposition définitive dans les salles du Musée, fondé dans les années 1960. Ces sculptures, jusque là peu nombreuses, étaient conservées dans les cellules du monastère de la Catapoliani, la fameuse basilique justinienne du VI^e siècle ap. J.-C. Parmi elles, un petit kouros (n^o inv. A 249) est particulièrement intéressant.

2La partie supérieure du corps est conservée jusqu’à la taille, et les bras le sont jusqu’au milieu des avant-bras (Fig. 1-4)2. Le kouros a une longue chevelure, qui tombe sur la face avant, de part et d’autre du cou, en deux parotides de quatre mèches chacune et qui descend jusque sur les pectoraux, tandis que dans le dos, le volume de la chevelure s’arrête plus haut, à peu près à la hauteur des épaules. À l’arrière, la chevelure est faite de sillons successifs, horizontaux et peu profonds, qui créent une ondulation en relief ; ces sillons forment à leur terminaison un angle prononcé. Les boucles à l’avant, outre les sillons horizontaux, comportent également des sillons verticaux, légèrement ondulés de manière à former des astragales étroits, assez plats, presque sans volume. La chevelure, rapportée de chaque côté de la tête derrière l’oreille, est divisée par un profond sillon vertical, qui part de l’épaule puis remonte pour suivre, à la hauteur de l’oreille, une courbe en direction du front. Ce sillon semble délimiter deux parties distinctes de la tête qui auraient été travaillées séparément : la partie antérieure, comprenant le front, les tempes et le visage — pour autant que la cassure permette de le dire — était parfaitement délimitée, peut-être au moyen d’une série de boucles en spirale ou d’une couronne3, et plus bas, à partir des oreilles et en dessous, au moyen des astragales de forme presque orthogonale, comme on l’a déjà mentionné. On remarque en outre un sillon moins profond, qui ondule parallèlement au précédent uniquement sur le côté droit (Fig. 4), à l’endroit où commence la face frontale de la mèche parotide : manifestement, il s’agit de la limite angulaire entre cette mèche parotide et son retour latéral.

3La ligne de la colonne vertébrale se distingue très peu du reste de la surface du dos : elle est incisée peu profondément, diverge à peine de la verticale, peut-être dans une tentative pour suggérer un mouvement dans la structure ; pour cette même raison, le sein droit apparaît un peu plus bas que l’autre. Tout le visage manque, exceptée la joue droite.

4Le marbre est blanc à grain fin. La hauteur conservée est de 0,27 m ; la largeur de 0,22 m. La surface est légèrement corrodée sur le dos et la poitrine. Œuvre de petites dimensions — la hauteur totale ne devrait pas dépasser 40 cm ou au plus 45 cm —, ce kouros a conservé sa tête, sans le visage. La chevelure est divisée en deux parties nettement séparées l’une de l’autre — l’avant et l’arrière — ; elle donne l’impression qu’il ne s’agit pas d’une chevelure naturelle, mais d’une perruque. Cette impression est suggérée par l’aspect compact du volume de la chevelure qui tombe dans le dos, ainsi que par le rendu plat des mèches parotides, qui ressemblent à deux bandes plates, avec une extrémité inférieure arrondie. À cela vient s’ajouter le profond sillon qui sépare les deux parties de la coiffure. Je crois que ce sillon a peut-être été fait pour des raisons purement techniques :

1. pour distinguer la chevelure du crâne des mèches avant, qui encadraient les tempes et le front ; autrement dit le sculpteur a été contraint, peut-être, de séparer les deux parties de la chevelure par ce profond sillon, parce qu’il n’a pas représenté le jeune homme avec un bandeau sur la tête — bandeau qui, tout en étant un moyen réaliste pour représenter le maintien de longs cheveux, constitue aussi un moyen pour distinguer les deux types de coiffure (celle du crâne, et celle du couronnement du front), comme c’est par exemple le cas avec les deux kouroi d’Orchomène et du Ptoion4.

2. pour distinguer la partie latérale de la chevelure (Fig. 3-4) qui, avec des sillons obliques, forme la transition régulière entre les ondulations horizontales de la chevelure sur la face postérieure et les mèches parotides, presque plates, faites de boucles schématisées en forme d’astragales.

5La forme de la coiffure dans le dos caractérise des œuvres du début de l’époque archaïque et constitue la marque de la période « dédalique », qui se prolonge jusque dans la première moitié du VI^e siècle av. J.-C. Quant aux mèches parotides, elles n’ont pas encore abandonné le type schématisé. En même temps, elles témoignent de l’effort de Partiste de ne pas se limiter aux caractéristiques anciennes, mais de trouver un moyen pour les harmoniser esthétiquement avec le reste de la coiffure, sans rupture. Du reste, sur le côté (Fig. 3-4), la transition d’un type de coiffure à l’autre est très habilement faite. Si toutefois cette coiffure « en escalier » constitue un lieu commun dans les premières années de l’époque archaïque, sa coexistence, dans la même œuvre, avec des boucles en forme d’astragale se rencontre plutôt rarement. L’exemple le plus ancien est constitué par une statuette en bronze de Samos5, sur laquelle, assurément, les deux mèches parotides sont plus longues que la chevelure dans le dos, exactement comme dans le cas du kouros qui nous intéresse. Vient ensuite la tête 617 de l’Acropole6, où les astragales des mèches parotides ont acquis déjà leur forme normale, ronde, individualisée, caractéristique de la première moitié du VI^e siècle av. J.-C. Une combinaison analogue dans la coiffure se retrouve sur deux kouroi de Cleveland7 et d’Éleusis8 (Fig. 5-11, 17), que l’on place après le milieu du VI^e siècle av. J.-C.

6Cependant, le kouros d’Éleusis présente aussi certaines analogies avec le kouros parien, comme les extrémités triangulaires de la coiffure dans le dos, ou la forme de l’oreille (Fig. 7-8, 17) : même cavité peu profonde, même antihélix qui se divise en deux sillons, même tragus qui dépasse du lobe, absence dans les deux cas d’antitragus. On trouve un traitement similaire de l’oreille sur une autre œuvre, dont seule la tête est conservée, et qui, selon Richter, provient peut-être d’une sphinge, aujourd’hui conservée au British Museum (B 473)9 (Fig. 15-16). Sur cette tête, la chevelure est rendue par des ondulations successives plates et se différencie seulement dans la partie qui entoure les tempes et le front en formant des boucles hélicoïdales, comme sur le kouros d’Éleusis, sur le kouros parien du Louvre10 (Fig. 12-13), mais aussi sur beaucoup d’autres œuvres cycladiques11 de l’époque, peut-être aussi sur le petit kouros parien qui nous occupe, si la partie correspondante était conservée.

7Naturellement, ce qui nous aurait principalement aidés à reconnaître la parenté technique entre les trois sculptures aurait été le visage, qui malheureusement manque exactement dans la même proportion que sur les deux kouroi de Paros et d’Éleusis. Malgré tout, je ne pense pas qu’on puisse argumenter contre l’hypothèse d’une même provenance artistique pour ces trois œuvres, non seulement pour les raisons déjà évoquées plus haut, mais aussi à cause des points suivants : sur le kouros d’Éleusis, le corps plutôt athlétique a certaines caractéristiques qui renvoient aux œuvres pariennes, comme les formes douces du bas-ventre, la région inguinale triangulaire marquée, la fluidité des contours qui, par une ligne pure, détachent chaque partie du corps, la sveltesse et l’opulence des formes aussi bien de la face avant que de la partie inférieure, l’ouverture en éventail du dos depuis la taille jusqu’aux omoplates, ouverture qui commence très bas, dès le point de rencontre supérieur des deux fesses, exactement comme sur le kouros de Copenhague12 et le kouros A 13 du musée de Paros (Fig. 14). La tête présente une forme cubique qui caractérise les kouroi pariens. Le marbre enfin peut être considéré comme provenant des îles.

8La tête de Londres est en marbre parien elle aussi, « an excellent (...) example of this period, from the Elgin Collection ; therefore probably from Athens, perhaps from the Akropolis »13. Cependant, d’après les remarques faites plus haut, et en accord avec toutes les trouvailles récentes à Paros, île dont on a montré le rôle de centre de sculpture à l’époque archaïque et à l’époque classique, cette tête a de grandes chances d’être la création d’un artiste parien, travaillant peut-être aussi à Athènes où les sculpteurs pariens régnaient dans le domaine artistique. Du reste, s’il s’agit véritablement d’une sphinge, datée du deuxième quart du VI^e siècle av. J.-C., il faut alors souligner que, sur les dix sphinges conservées jusqu’à nous, offertes en exvoto dans un sanctuaire et datées de cette époque, neuf sont pariennes et une naxienne — la sphinge des Naxiens à Delphes14.

9On peut également considérer comme une création parienne le merveilleux torse de kouros de Cleveland, qui a suscité tant de discussions et d’interrogations15 à propos de ses caractéristiques novatrices pour son époque ; certaines, à présent, avec les œuvres pariennes nouvellement découvertes, ne constituent plus un problème.

10Pour ce qui est de la datation de notre petit kouros, la forme sans volume, presque schématisée des astragales sur les mèches parotides nous renvoie à des œuvres de la première moitié du VI^e siècle av. J.-C.16 ; mais, plus généralement, toute la structure de la coiffure, encore lourde, « en escalier », avec une ondulation en relief relativement souple en comparaison de celle, plus compacte, de la tête de Londres, est apparentée à des œuvres de la deuxième et de la troisième décennies du VI^e siècle av. J.-C. La forme plus linéaire acquise par ce type de coiffure après le milieu du siècle est conservée dans les kouroi de Cleveland17 et d’Eleusis (Fig. 6). De même, la construction corporelle qui, vue de profil, présente un arrondi des épaules plus fort que celui des pectoraux, placés bien plus bas, rappelle les kouroi de Ténéa-Volomandra, mais aussi le kouros A 3997 de Délos18, avec lequel il présente une grande analogie dans la forme large et arrondie du crâne (en particulier sur la face postérieure), ainsi que dans la structure des pectoraux et des épaules. Le kouros parien présente cependant une différence : l’artiste a essayé d’aller encore plus avant et de donner un mouvement à l’œuvre, en gravant une colonne vertébrale faiblement inclinée et en plaçant un peu plus bas le pectoral droit. En gardant par conséquent à l’esprit ce caractère novateur, on pourrait considérer comme vraisemblable une date du kouros située dans la troisième décennie du VI^e siècle av. J.-C.

11Le kouros A 249 est donc, avec les kouroi de Délos A 404519 et A 3997, parmi les plus anciens kouroi conservés de l’école parienne, qui continua à créer des œuvres d’art très inspirées presque jusqu’à la fin de l’antiquité grecque.