Droit et éthique chez Kant
|Première partie. Existence et liberté
Chapitre II. Le fondement de la responsabilité : la constitution de la personne
Texte intégral
1. La catégorie de la relation : personnalité, personne et réciprocité
- 1 C.R.Prt., Ak. V 65, p. 687. Précisons toutefois, qu’en tant que relation entre sujets pratiques, c (...)
- 2 Ibid., Ak. V 66, pp. 688-689.
- 3 Ibid., p. 688.
- 4 Le terme « personne » apparaît bien à la fin du deuxième scolie du § 8, Ak. V 38, p. 655, mais cet (...)
1Suivant le fil directeur de notre réflexion, le principe d’action réciproque, à l’œuvre dans les lois de la nature, s’exerce également dans les lois du devoir, au moyen d’une analogie. Cette dernière cependant ne donne pas lieu à une extension de la connaissance mais à une ressemblance complète de rapports entre deux séries hétérogènes, dont la dimension opératoire consiste à envisager une réciprocité dans le domaine de la liberté. Le principe de l’égalité d’action et de réaction est donc commun à la sphère spéculative et à la sphère normative, à la différence que cela ne vise pas une relation entre phénomènes, nécessaire à la détermination objective d’une unité de l’expérience possible, mais une relation entre personnes agissantes. Or, la dissemblance entre ces deux réalités s’explique par le double point de vue ou horizon de sens, selon lequel doit être considérée l’action même d’une personne. Celle-ci ne se limite pas au seul point de vue phénoménal, en tant qu’événement du monde sensible inscrit dans un déterminisme naturel. Elle appartient également à la conduite d’un être intelligible1 qui se pose comme causalité spontanée de sa propre conduite et qui, partant, engage une réciprocité entre l’ensemble des êtres intelligibles dans la mesure où les déterminations d’une raison normative ne peuvent avoir lieu que relativement aux phénomènes. L’intersubjectivité des êtres raisonnables compris comme personnes, dont il faut préciser à présent les fondements et la possibilité, est introduite par Kant dans la « Table des catégories de la liberté par rapport aux concepts du bien et du mal » de la Critique de la raison pratiquer2, sous la catégorie de la relation. Les catégories de la liberté ont ceci de particulier par rapport aux catégories de la nature, qu’elles ne se réduisent pas à des formes de la pensée désignant d’une manière indéterminée des objets en général pour toute intuition possible. En se rapportant à la détermination d’un libre arbitre et non aux conditions naturelles de l’exécution de son dessein, les catégories de la liberté « n’ont pas besoin d’attendre des intuitions pour recevoir une signification », puisqu’elles produisent la réalité de ce à quoi elles se rapportent3, plaçant ainsi le principe déterminant dans la liberté, propriété d’un être intelligible. À ce titre, la catégorie de la relation pose une articulation entre la causalité nouménale, dont le principe se situe en dehors du monde sensible, et la réciprocité des personnes, selon une relation à la personnalité, à l’état de la personne et à la réciprocité d’une personne à l’état des autres. Dans ce passage, où les concepts de personne et de personnalité apparaissent pour la première fois4, Kant n’ajoute aucune explication, considérant que la table des catégories est assez claire. Il est donc nécessaire, pour saisir la signification de la catégorie de la relation et pour comprendre comment l’intersubjectivité s’articule avec la liberté pour devenir interpersonnalité, de restituer l’implicite de la démarche kantienne à partir des catégories correspondantes dans la Critique de la raison pure et de l’ensemble de la théorie morale de la Critique de la raison pratique.
- 5 Ibid., pp. 308-309.
- 6 C.R.P., Ak. IV 228, A 362, p. 1439.
- 7 Ibid., Ak. IV 229, A 364, p. 1440.
- 8 Ibid., Ak. IV 230, A 365-366, p. 1441. Dans l’Anthropologie du point de vue pragmatique, Ak. VII 1 (...)
- 9 Ces deux thèses se reportent respectivement au troisième paralogisme de la raison pure de la premi (...)
- 10 C.R.P., Ak. III 267, B 407, p. 1052.
- 11 Anthr., Ak. VII 161, p. 979.
- 12 CR. P., Ak. III 275, B 421, p. 1062.
- 13 Fin chose., Ak. VIII, p. 309 et Ak. VIII, p. 318.
- 14 Ibid., p. 318.
- 15 C.R.P., Ak. III 280, B 430, p. 1068.
- 16 Ibid., p. 1068.
2Chacune des trois catégories, comme le suggère l’analyse pertinente de Mohr5, peut être lue selon une double signification : d’une part, en tant que conditions conceptuelles de la compréhension d’une suite de phénomènes. Et d’autre part, en tant que conditions conceptuelles de l’application des prédicats moraux à une action. La première catégorie, qui est celle de la relation à la personnalité, renvoie à la catégorie de la substance qui désigne ce à quoi on attribue un événement, comme à sa cause intentionnelle ultime, de manière telle que celui-ci est considéré comme relevant des intentions qui sont conçues comme des accidents du sujet. Cela implique que le sujet se présente à la fois comme support des accidents qui persiste à travers toutes les actions changeantes et comme l’instance intelligible de la détermination de la maxime d’une action. Cela confère à cette catégorie une signification morale, car une maxime détermine une manière d’agir à laquelle il est possible d’appliquer les prédicats de « bien » et de « mal ». Or, la difficulté qui se pose dès lors est de savoir comment concilier ici la doctrine du sujet comme noumène capable de déterminer son caractère moral, indépendamment de toute causalité naturelle externe, et la position selon laquelle le sujet se connaît lui-même uniquement comme phénomène du sens interne. Dès la première édition des paralogismes dans la Critique de la raison pure, Kant opère une démarcation entre l’usage métaphysique et l’usage pratique du concept de personnalité, bien qu’elle soit davantage suggérée que véritablement argumentée6. L’identité du Je de la conscience ne correspond pas à une identité numérique de soi-même en des temps divers. En effet, elle est conclue d’une représentation de soi dans le temps et non d’une réalité ontologique : c’est une aperception identique du temps inhérent à la sensibilité de chaque sujet qui lui donne l’identité de la conscience en différents temps. Cela est manifeste au travers de l’exemple de l’altérité dans laquelle autrui ne peut rendre compte de mon identité numérique, car l’identité nécessairement liée à ma conscience n’est pas liée à l’intuition extérieure de mon sujet7. L’identité n’est donc qu’une condition formelle de l’unité de la pensée à qui il manque l’intuition de ce même sujet donné comme objet. C’est pourquoi il n’est guère possible de déterminer une réalité objective du concept de personnalité, car l’identité n’est que la forme qui accompagne nos représentations. À ce point, Kant mentionne un passage vers l’idée d’un usage pratique de la personnalité en précisant que ce concept ne procède à aucune extension de la connaissance de soi, mais s’avère nécessaire à l’usage pratique et seulement à celui-ci8. Il faut reconnaître que la brièveté de la remarque n’aide en rien à saisir la pertinence de ce passage. C’est pourquoi, il convient de se reporter à la seconde édition des paralogismes qui reprend la difficulté et l’explicite. Précisons d’ailleurs qu’afin de répondre à la critique selon laquelle Kant semble soutenir deux thèses incompatibles relativement à la personnalité9, l’auteur réécrit ce chapitre lors de la seconde édition de la Critique de la raison pure en 1787, antérieur d’un an seulement à la Critique de la raison pratique. L’auteur prend soin de souligner que, dans sa propre représentation, le sujet ne prend pas conscience de lui-même comme déterminant, car tous les modes de conscience de soi ne sont que des fonctions logiques qui ne font connaître à la pensée aucun objet10 : la conscience de soi est seulement celle d’un moi déterminable en tant qu’elle ne peut être appréhendée que par le sens interne. Cette intuition intérieure, qui lie le divers sensible à l’unité de l’aperception, ne peut donc signifier l’identité de la personne comme substance. Kant considère que le sens interne n’est pas une aperception pure, une conscience de ce que l’homme accomplit, mais de ce que l’homme subit, dans la mesure où il est affecté par le jeu de sa propre pensée11. Cependant, si dans le domaine de la spéculation la personnalité se révèle stérile, elle rend intelligible l’idée d’un usage pratique de la raison en ce qu’elle permet de déterminer notre conduite « comme si notre destinée s’étendait infiniment au-delà de l’expérience et par conséquent de cette vie »12. Cette remarque est d’importance, car en opérant un dépassement du temps historique, celui des séries causales empiriquement déterminées par une durée atemporelle, la personnalité se situe à la racine même du passage vers l’être humain comme être intelligible en se représentant une durée infinie (duratio noumenon) qui ne répond à aucun concept déterminable13. Ainsi, le sujet n’avance guère dans la connaissance de lui-même, mais pose une intention morale se poursuivant à l’infini, qui se maintient et demeure constamment la même. Il se conçoit ainsi comme principe de détermination qui choisit sa maxime comme si, à travers tous les changements, se poursuivant dans le temps à l’infini, son état moral n’était soumis à aucune vicissitude temporelle. Ce temps pratique, dont l’origine est celle d’une causalité intelligible, devient l’expression d’une connaissance morale de la personne en tant que celle-ci se donne une réalité suprasensible à travers l’intention morale14. L’existence du sujet ne se réduit donc pas à une série d’événements pathologiquement conditionnés car, en déterminant lui-même les conditions morales de son existence, il se présuppose a priori législateur au regard de son existence et cause intelligible de ses actions déterminant son existence même15. Par là, il devient possible pour le sujet de découvrir une spontanéité par laquelle sa réalité effective (unsere Wirklichkeit) devient déterminable indépendamment des conditions de l’intuition empirique, s’apercevant ainsi que « dans la conscience de notre existence, quelque chose d’apriori est contenu » eu égard à un certain pouvoir interne, en relation à un monde intelligible16. Ce pouvoir interne, qui rend compte de l’idée d’une autodétermination ne se fonde sur aucune connaissance de soi comme substance, mais sur certaines lois de l’usage pur de la raison comprise comme spontanéité pure, dont il faudra préciser la nature par la suite. C’est à partir de cette articulation que Kant parvient à concilier dans la seconde édition des paralogismes, la limitation du concept de personnalité comme objet de connaissance théorique et la possibilité d’une connaissance morale. Il s’ensuit que la catégorie de la personnalité rend compte à la fois d’une cause intelligible imputable des actions appartenant au monde sensible et d’une instance morale qui se donne à elle-même sa propre nature.
- 17 Ibid, Ak. III 93, A 80 / B 105, p. 834.
- 18 Ibid, Ak. III 524, A 807 / B 835, p. 1367.
3La relation à la personnalité permet alors de saisir la relation à l’état de la personne, selon la loi de dépendance de l’effet par rapport à sa cause, ce qui correspond à la catégorie de la causalité17. Chaque action, comme phénomène, en tant qu’elle produit un événement, est elle-même quelque chose qui advient et qui présuppose un autre état où se rencontre sa cause : elle est donc la conséquence ou l’effet d’une cause. Cette dernière se présente soit comme sensible, ce qui renvoie à l’état de la personne empirique, physique ou psychique, relevant ainsi de conditions empiriques ; soit comme intelligible, auquel cas elle doit être rapportée à la nature morale que la personne se donne à elle-même, indépendamment des déterminations sensibles. Ainsi, l’état de la personne rend raison de tout changement d’action et permet par là même de qualifier une action de bonne ou mauvaise en ce qu’il est nécessaire de recourir, au caractère de la maxime, compris comme effet de la condition morale de la personne. Ce qui est pertinent dans ce passage, c’est l’inscription de l’action humaine dans le sensible, à partir d’une causalité intelligible, et l’horizon qu’elle ouvre sur la communauté humaine. Dans un extrait du « Canon de la raison pure » dans la Critique de la raison pure, Kant annonce ce passage en expliquant que dans son usage moral, la raison pure donne lieu à « des principes de possibilité de l’expérience, c’est-à-dire d’actions, qui conformément aux prescriptions morales pourraient être trouvées dans l’histoire de l’homme »18. Cette remarque est décisive car elle revêt une double portée. D’une part, l’action humaine est l’expression d’un ordre non sensible, appartenant à la conduite d’êtres intelligibles qui sont les législateurs a priori de leur conduite, et rendent donc possible une espèce particulière d’unité systématique, à savoir l’unité morale. Ce monde intelligible n’est qu’une Idée, un concept de la raison auquel aucun objet ne peut être adéquatement donné dans l’expérience, puisqu’il fait abstraction de toutes les conditions de la moralité et de l’impureté de la nature humaine. Cependant, comprise comme Idée normative, elle peut et doit avoir réellement une influence sur le monde sensible, et acquiert par là une réalité objective en tant qu’elle se rapporte à un corpus mysticum des êtres raisonnables dans lequel le libre arbitre de chacun, sous des lois morales, a une complète unité systématique tant avec lui-même qu’avec la liberté de tous les autres. D’autre part, ce monde moral en se rapportant au monde sensible devient opératoire car en tant qu’Idée, celle-ci donne à chaque homme un horizon communautaire vers lequel il faut œuvrer au sein même de l’histoire. Les déterminations de la raison normative n’ayant lieu que relativement aux phénomènes, elles engagent un Je dont la dimension nouménale reste certes inconnaissable dans le domaine théorique, mais qui se révèle comme un sujet historique dont la causalité rationnelle s’exprime dans le temps. Or, le dessein implicite de Kant dans les catégories de la liberté est de montrer que la causalité entre la personnalité et l’état de la personne ne peut faire abstraction de l’interpersonnalité : autrement dit, l’action qui se manifeste comme événement établit une relation de l’individu à la communauté.
- 19 Le terme « dialogique » est emprunté à la terminologie kantienne dans Métaphysique des moeurs, Ak. (...)
- 20 C.R.Prt., Ak. V 66, p. 689.
- 21 C.R.P., Ak. III 93, A 80 / B 105, p. 834.
- 22 Rêves, Ak. II 322, pp. 533-535.
- 23 Mohr, op. dt., p. 310.
4En effet, le sujet historique agit dans le temps et rend raison de ses actions par sa dimension nouménale. Toutefois, ce sujet ne se réduit pas à une structure monologique qui ne renvoie qu’à une sphère privée de l’individu, sans aucun échange avec l’autre. Au contraire, parce que chaque action s’inscrit dans une relation réciproque d’une personne à l’état des autres, il est inscrit dans une dynamique dialogique19. La troisième catégorie selon laquelle toute action s’engage dans « une relation réciproque d’une personne à l’état des autres »20 prend ainsi tout son sens : en appliquant la catégorie de la communauté d’action réciproque entre un agent et un patient21 à la sphère des personnes agissantes, tout être raisonnable conçoit son état ou son action dans un horizon d’intersubjectivité de personnes vivant en même temps. Prise comme causalité intelligible qui se manifeste dans le temps, la personne, ou le sujet historique, influence l’état des autres personnes par une égalité d’action et réaction, bien que cette interaction ne puisse être représentée concrètement dans aucune expérience. En effet, dès l’opuscule de 1766 à l’encontre de Swedenborg22, l’auteur réfute toute possibilité d’une communication entre des esprits immatériels. Affirmer l’existence d’un monde immatériel, comme un tout existant par soi-même dont les parties sont liées par action réciproque, n’est guère possible sans l’entremise des lois corporelles à l’œuvre dans la matière. Ce qui permet de concevoir une liaison réciproque entre des substances, c’est précisément le fait qu’elles soient étendues, autrement dit, qu’elles occupent un espace, par leur action externe sur d’autres, comme des forces agissantes et qui réagissent à toute activité. Or, la nature même d’un esprit immatériel exclut précisément l’étendue et, partant, rend impossible sa manifestation dans l’espace comme figure, ce qui rejette la thèse de la connaissance même d’êtres immatériels dans l’univers puisque, à aucun moment ils ne sont l’objet d’une expérience possible. Cette indication confère à la réciprocité comme catégorie de la liberté une validité normative : sans prétendre à une réalité objective dans la sphère de la connaissance, elle se présente avant tout, comme le remarque à juste titre Mohr23, comme la condition conceptuelle d’une reconnaissance d’un événement comme action, dont le concept implique l’idée d’une communauté interpersonnelle d’acteurs qui réside dans la réciprocité de deux activités : celle de poser la personne comme faculté de commencer de soi-même une série d’événements qui sont l’expression d’une intention morale, et celle de comprendre des événements comme la dimension phénoménale des intentions. De là, l’évaluation morale de l’action est estimée selon la compatibilité de l’intention morale de la personne avec celle de l’ensemble des êtres raisonnables. Autrement dit, une action n’est bonne que dans la mesure où la coexistence des libertés est le principe déterminant de cette intention morale.
- 24 C.R.Prt., Ak. V 87, p. 713.
- 25 Ibid., pp. 713-714.
5Cette dynamique de la relation dans les catégories de la liberté, qui met en jeu une causalité de la personnalité sur l’état de la personne prise dans une interpersonnalité d’êtres raisonnables, est reformulée et explicitée par Kant dans le chapitre « Des mobiles de la raison pure pratique ». Ce passage concerne l’origine du devoir et constitue la personnalité comme fondement de la valeur que les hommes peuvent se donner à eux-mêmes. Dans la mesure où la personnalité se pose comme causalité intelligible qui engage l’existence humaine empiriquement déterminable dans le temps, elle soumet la personne à son autorité en tant qu’elle appartient au monde sensible. Cela confirme donc que l’état de la personne est à la fois l’effet et le signe d’une intention morale que la personnalité se donne à elle-même. Cependant, l’argument kantien ne se limite pas à formuler la personnalité comme une propriété de déterminer une intention morale qui s’exerce dans le monde sensible, il lui donne une signification morale complète en précisant ce qui restait jusqu’ici indéterminé dans notre réflexion, à savoir la nature même des lois de l’usage de la raison comme principe de l’autodétermination. Kant précise que ce sont « des lois pures pratiques qui lui sont dictées par la raison », des lois « inconditionnées »24, et que ce pouvoir d’être soumis à de telles lois est considéré en même temps comme « la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière », autrement dit, comme la propriété de se déterminer indépendamment de toute causalité naturelle. Or, c’est par là que la personnalité est liée à l’idée de communauté car la personne, comme appartenant au monde sensible, est soumise à sa propre personnalité, « en tant qu’elle appartient en même temps au monde intelligible »25. Cette indication est décisive pour toute la suite de notre recherche par la dynamique qu’elle présente entre liberté, loi du devoir et monde intelligible : il s’agit de montrer comment une théorie de la liberté ne trouve sa réalité qu’au sein de la loi morale comme fait de la raison, et comment, à partir de cette articulation, l’idée d’une communauté dans laquelle l’être humain lie ses fins à celle de toutes les personnes vivant en même temps devient réellement normative. Tout cela atteste que le concept de personnalité n’est pas le fondement d’un principe moral, mais, au contraire, qu’il ne fait sens qu’à partir d’une loi morale, qui confère à la liberté une réalité objective.
2. Le concept négatif et positif de la liberté
- 26 M.M., Ak. VI 223, p. 470.
- 27 Ibid., p. 470.
- 28 LM, p. 148.
- 29 Re/., Ak. VI 26, p. 37.
- 30 Ibid., p. 37-38, note.
6La personnalité se révèle comme un principe d’autodétermination qui se donne une intention morale et, en cela, elle engage la question de la responsabilité : elle se présente à la fois comme l’instance qui décide de l’intention qui régit l’action et l’auteur d’actions qui persiste à travers ses modifications. Bien plus qu’une relation de complémentarité, l’imputation pour Kant, se trouve à la racine même de la personnalité. En première instance, définie comme le jugement par lequel quelqu’un se trouve considéré comme auteur d’une action26, elle fonde la distinction entre une personne et une chose : seul un être dont les actions sont susceptibles d’imputation est considéré comme une personne, car la personne soumise aux lois qu’elle se donne elle-même, se rend auteur de son action par la liberté qu’elle manifeste, par opposition à une chose, être privé lui-même de liberté27. Cela implique donc que seule l’action qui découle de la liberté de la personne en rapport avec des lois normatives peut être imputable au sujet28. Ensuite, prise comme disposition (Anlage), possibilité originaire comprise dans la nature humaine, et élément de la destination de l’homme, l’imputation (Zurechnung) est comprise dans le concept de la personnalité29 : en déterminant inconditionnellement l’arbitre, par la loi de sa propre raison, la personnalité prend conscience de sa liberté, en même temps que de l’imputabilité de toutes les actions30. Cette argumentation introduit un indice dont il faut tenir compte dans la visée de notre réflexion : un sujet qui répond de ses actes est celui qui agit librement d’après la loi qu’il se donne. Cependant, seule une loi morale inscrite dans la raison fonde la personnalité comme être raisonnable apte à la responsabilité. Il s’agit alors de montrer comment la liberté est possible et comment elle n’acquiert sa propre réalité qu’au sein d’une loi morale qui est donnée en nous-mêmes par la raison, sans laquelle la personnalité n’aurait aucun fondement normatif.
- 31 MM., Ak. VI 223, p. 470.
- 32 C.R.P., Ak. III 369, A 543 / B 571, p. 1175.
- 33 Ibid., Ak. III 364, A 534 / B 562, p. 1169.
- 34 Ibid., Ak. III 169, A 192 / B 237, p. 928.
- 35 Ibid., Ak. III 363, A 533 / B 561, p. 1168.
- 36 La causalité naturelle et la causalité libre renvoient respectivement à l’entendement et à la rais (...)
- 37 C.R.P., Ak. III 365, A 536 / B 564, p. 1170.
- 38 Relig., Ak. VI 39-40, p. 54.
7C’est à partir de l’agir et de son origine qu’il convient d’entreprendre notre recherche afin de comprendre si celui-ci peut désigner un acte, à savoir une action soumise à des lois d’obligation où le sujet est considéré du point de vue de la liberté de son arbitre31. Chaque action, en tant qu’elle produit un effet, présuppose un autre état dans lequel se rencontre sa cause32, et la difficulté consiste à savoir à quelle espèce de causalité elle renvoie. À ce titre, la « Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure apporte des éléments de réponse, en indiquant qu’il n’est possible de concevoir que deux espèces de causalité relativement à ce qui produit un effet33. L’une, suivant la nature, correspond à la liaison dans le monde sensible d’un état avec sa cause selon des conditions de temps. En vertu du principe de la succession dans le temps, tous les changements arrivent suivant la loi de liaison de la cause et de l’effet comme loi de l’entendement qui rend l’expérience possible : lorsque advient un état, il ne peut être empiriquement perçu s’il n’existe pas un phénomène qui le précède nécessairement, car une naissance que ne précède aucun état des choses ne peut être appréhendée par l’entendement34. D’après une telle règle, tout événement a pour cause dans le temps un événement qui est à la fois antérieur et déterminant. La causalité naturelle fait donc de chaque phénomène un commencement subalterne, car il est à la fois cause de l’état suivant et effet de l’état précédent, selon un principe nécessaire de l’entendement qui rend raison de ce qui arrive. Il ne faut pas attendre de cette causalité une action originale, par laquelle advient un état qui se pose comme causalité spontanée. Au contraire, la causalité suivant la liberté, comme propriété de certaines causes de phénomènes, doit être une faculté de s’autodéterminer, plus rigoureusement, un pouvoir de commencer de soi-même un état dont la causalité n’est pas soumise à son tour à une autre cause qui la détermine dans le temps35. Cette causalité est intelligible, car ce qui détermine ce pouvoir à l’action ne repose jamais sur des conditions temporelles, mais sur l’idée d’une spontanéité absolue des causes produites par la raison : en cela, elle donne lieu à une action originaire par rapport aux phénomènes. Par conséquent, la difficulté qui se présente à partir de ces deux espèces de causalité36 n’est pas tant de savoir si tout effet dans le monde doit résulter de la nature ou de la liberté, que de comprendre comment l’une et l’autre peuvent avoir lieu à la fois dans un seul et même événement sous des rapports différents37. En reconnaissant une nécessité naturelle dans la série des phénomènes, est-il encore possible de rendre compte d’un événement qui soit à la fois un simple effet de la nature résultant d’une cause subalterne et un effet par liberté se posant comme spontanéité absolue ? Ce qui est en jeu ici c’est une double relation à l’événement, selon la raison et selon le temps, à travers laquelle se pose la question de l’origine (Ursprung) de l’action, autrement dit, celle d’une provenance d’un effet de sa cause première qui n’est pas à son tour l’effet d’une autre cause de même nature38. Il est vrai que l’événement comme phénomène a une origine temporelle (Zeitursprung), car, au regard de son accomplissement, il est l’effet d’une cause antécédente dans le temps. Il y a donc contradiction à rechercher pour l’action libre une origine temporelle, car l’idée de liberté prend place uniquement dans la relation de l’intelligible comme cause, au phénomène comme effet. Ainsi, l’action libre ne peut être rapportée qu’à une origine rationnelle qui ne prend en considération que l’existence de l’effet. La détermination de l’arbitre pour produire une telle action n’est pas conçue d’après un principe de détermination dans le temps, mais simplement d’après la représentation de la raison qui produit l’idée d’une spontanéité absolue, sans aucun rapport à quelque état antérieur. En s’imposant comme spontanéité, dans la mesure où elle n’est pas affectée par la sensibilité, la raison permet de rendre possible l’idée de responsabilité. Répondre d’un acte revient lors à prendre en compte une autre origine que celle des phénomènes dans le temps : seule une origine rationnelle, par laquelle le sujet se manifeste comme causalité absolue, permet d’imputer l’action et de la condamner comme blâmable, car elle est l’effet d’une décision originaire et atemporelle. La personnalité d’un être raisonnable apte à la responsabilité se fonde donc sur la raison, car elle seule produit une causalité suivant la liberté. Il reste à présent à démontrer comment la contradiction entre la nature et la liberté pourrait être levée, afin de dépasser le caractère hypothétique de la liberté elle-même.
- 39 C.R.P., Ak. III 521, A 802 / B 830, p. 1363 et Ak. III 364, A 534 / B 562, p. 1168.
- 40 C.R.P., Ak. III 372, A 548 / B 576, p. 1179.
- 41 OP. P., pp. 275-276.
- 42 CRP., Ak. III 375, A 554 / B 582, p. 1183.
- 43 Ibid., Ak. III 366, A 539 / B 567, p. 1172.
- 44 Système nouveau de la nature et de la communication des substances, p. 69.
- 45 Anthr., Ak. VII 119, p. 940.
- 46 Anthr., Ak. VII 292, p. 1105.
- 47 C.R.P., Ak. III 374, A 552 / B 580, p. 1181.
- 48 Ibid., Ak. III 372, A 549 / B 577, p. 1179.
8À cette fin, nous nous proposons d’étudier l’arbitre sensible, développé dans la « Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure, afin de comprendre comment la liberté au sens pratique, qui se définit par la rationalité du vouloir, se révèle comme un fait d’expérience. Un arbitre sensible qui est pathologiquement affecté est purement animal (arbitrium brutum) quand il ne peut être déterminé que par des impulsions sensibles. En effet, l’arbitre animal est celui qui est conditionné par les mobiles de la sensibilité ou stimuli imposés par sa nature. Cependant, l’arbitre humain, qui lui aussi est sensible, se révèle comme un arbitre (Willkür) qui peut être déterminé, indépendamment des impulsions sensibles, par des mobiles représentés par la raison, ce qui le définit comme un arbitrium liberum. Cette possibilité s’explique par l’indépendance du libre arbitre comme pouvoir de se déterminer indépendamment des impulsions sensibles : l’influence pathologique affecte l’arbitre humain sans nécessité à la différence de l’animal39. Dans une dimension empirique, l’arbitre est un fait d’expérience qui se manifeste comme une liberté de choix exprimée dans l’action. Par la raison, le sujet est en mesure de se représenter ce qui lui est bon ou nuisible, et d’exercer ainsi une contrainte en opposant à ce qui est toujours conditionné sensiblement, « une règle et une mesure, même une défense et une autorité »40. Quel que soit l’objet, relatif à la simple sensibilité comme l’agréable ou à la raison pure comme le bien, la raison ne suit pas l’ordre des choses telles qu’elles se présentent dans le phénomène : la raison se crée un ordre propre suivant les idées auxquelles elle adapte les conditions empiriques, exerçant ainsi une causalité dont elle attend des effets dans l’expérience. Il ne faut donc pas conclure que l’arbitre s’inscrit dans l’indéterminisme. Une action moralement indifférente se réduirait à un acte résultant de lois naturelles sans relation avec une liberté de choix. Ce genre de liberté se présenterait comme la négation d’elle-même car, insiste Kant, ce serait pour elle une condition anarchique totalement subjective et indépendante de tout motif déterminant41. Dans l’expérience, l’arbitre caractérise le pouvoir de résister aux mobiles sensibles, mais également celui de choisir ses mobiles, en soi ni bons ni mauvais, selon un principe. Afin qu’un objet devienne un mobile en tant que principe subjectif de détermination, il doit au préalable être admis dans un principe subjectif d’action que le sujet raisonnable adopte pour lui-même et suivant lequel il se propose d’agir. La détermination négative de la liberté comme indépendance par rapport aux conditions sensibles se double alors d’une détermination positive, qui serait celle d’un pouvoir de commencer de soi-même une série d’événements42. Au point de vue normatif, la raison se révèle aussi bien comme contrainte à l’égard des conditions empiriques que l’imposition d’une tout autre règle et d’un autre ordre que celui de la nature, ce qui renvoie la liberté pratique à la liberté transcendantale comme à son fondement. L’idée d’une spontanéité qui peut commencer d’elle-même à agir correspond à l’acte par lequel l’être humain, au moyen de la raison, se donne un caractère, une loi de sa causalité sans laquelle cette spontanéité ne serait pas une cause43. En son sens philosophique, le terme de caractère se réfère à la pensée de Leibniz, qui développe l’idée d’une loi, interne à la substance, d’après laquelle elle agit spontanément, tout en déroulant la série des événements compris depuis toujours dans sa notion, ce qui lui permet de conserver les qualités morales de sa personnalité, indépendamment de tous les changements de la matière44. Kant reprend la définition de caractère afin de concilier la spontanéité de la cause et l’institution d’une règle normative, dans le domaine de la raison. Du point de vue pragmatique, relatif à ce que l’homme comme être agissant par liberté fait ou doit faire de lui-même45, Kant opère une distinction entre avoir tel ou tel caractère qui désigne simplement le type de sensibilité et avoir un caractère, relatif à cette propriété de la volonté (Wille) d’après laquelle le sujet se lie lui-même à certains principes pratiques qu’il s’est prescrit de manière irréversible par sa propre raison46. Il ne s’agit pas de savoir ce que la nature fait de l’homme, mais ce que l’homme fait de lui-même par le caractère qu’il se donne. Seul un être qui ne se limite pas à sa dimension phénoménale s’affirme comme la cause de ses actes comme phénomènes. Cela nous conduit à distinguer deux caractères dans le sujet raisonnable ; d’une part, un caractère empirique par lequel ses actes comme phénomènes sont enchaînés avec d’autres phénomènes selon des lois constantes de la nature ; d’autre part, un caractère intelligible par lequel le sujet agissant n’est soumis à aucune condition de temps. Pour comprendre comment ces deux caractères s’articulent ensemble, il convient de rappeler que la raison, en son sens normatif, est d’abord une faculté de commencer d’elle-même une série d’événements. Cela découle de la nature de sa causalité qui n’est soumise à aucune succession dans le temps. La causalité de la raison dans le caractère intelligible ne naît pas ou ne commence pas dans un certain temps à produire un effet, car elle est d’abord un pouvoir par lequel commence la condition sensible d’une série empirique d’effets, ce qui indique que la condition même de cette série est empiriquement inconditionnée47. Cette causalité absolue est certes spontanée, mais elle est aussi déterminante, car elle montre dans ses effets une règle d’après laquelle il est possible d’inférer les motifs de la raison et ses actions quant à leur espèce et à leur degré, et de porter un jugement sur les principes subjectifs de son arbitre48.
- 49 Ibid., Ak. III 367, A 540 / B 568, p. 1173.
- 50 Ibid., Ak. III 63, A 38 / B 55, p. 798.
- 51 Ibid., Ak. III 366, A 538 / B 567, p. 1172.
- 52 OP. P., p. 276.
9Ainsi, par l’usage de la raison, un acte atemporel produit des effets dans le monde sensible, établissant une relation entre caractère intelligible et caractère empirique. Le fondement de cette relation n’est compréhensible qu’à partir du rapport entre phénomène et chose en soi, comme le suggère Kant : « Ce caractère intelligible, il est vrai, ne pourrait jamais être immédiatement connu, puisque nous ne pouvons percevoir aucune chose qu’en tant qu’elle apparaît, mais il devrait être pensé conformément au caractère empirique de la même manière que nous devons en général donner dans la pensée un objet transcendantal pour fondement aux phénomènes. »49 Le phénomène est le rapport de l’objet au sujet en tant qu’il a la propriété d’apparaître, au moyen des formes de la sensibilité, alors que la chose en soi est la réalité considérée en elle-même, abstraction faite du rapport avec notre intuition, ce qui explique que sa nature soit problématique. Ces causalités s’inscrivent sous deux points de vue50 : la causalité sensible ou empirique relativement aux effets de cette action concerne un phénomène dans le monde sensible, et la causalité intelligible désigne l’action considérée comme celle d’une chose en soi51. Or, s’il est vrai que la chose en soi est autre que le phénomène puisqu’elle n’apparaît pas, cela ne signifie nullement que le sujet sensible se double d’un sujet intelligible : ce sont deux faces d’une même réalité, le caractère empirique n’étant que la manifestation extérieure et sensible d’une réalité intérieure et intelligible. Cela montre que sous ces deux points de vue, c’est bien la même réalité qui s’exprime, à savoir celle d’une chose en soi qui demeure inconnaissable et dont les phénomènes ne font connaître immédiatement que le mode de sentir. À partir de cette indication, il devient possible de cerner la nature de la relation. Entre le caractère intelligible et le caractère empirique se joue d’une part, une relation de cause à effet : en produisant des effets dans le temps, la causalité de la raison se présente comme la condition permanente de tous les actes volontaires dans lesquels l’homme se manifeste. Celle-ci se conjugue, d’autre part, avec une relation de signe à chose signifiée, car le caractère empirique est le schème sensible d’une réalité intelligible, au sens où il est l’intermédiaire entre la multiplicité phénoménale de la vie qu’il unifie et l’unité pure dont il procède, selon la règle que la raison se donne dans son caractère intelligible et qui engage la totalité de ses actions dans l’expérience. Suivant cette double relation, la liberté de l’arbitre concerne une libertas phaenomenon, exprimant une spontanéité simplement relative au regard des mobiles sensibles, effet et signe d’une libertas noumenon, comme spontanéité absolue en ce qu’elle se rapporte aux choix des maximes des actions52.
- 53 CRP., Ak. III 310, A 448 / B 476, p. 1104.
- 54 Ibid., Ak. III 375, A 554 / B 582, pp. 1183-1184.
- 55 Ibid., p. 1184.
- 56 M.M., Ak. VI 430, p. 716.
- 57 Dr.mentir, Ak. VIII 426, p. 437.
- 58 C.R.P., Ak. III 206, A 244 / B 302, p. 975.
- 59 Ibid., Ak. III 375, A 554 / B 582, p. 1183.
10Par conséquent, il devient possible de penser l’imputabilité des actions à partir de la liberté transcendantale car l’idée d’une telle liberté permet de concevoir une spontanéité absolue de l’action, indépendamment des conditions empiriques53. C’est ce que montre Kant à travers l’exemple présenté dans la « Dialectique transcendantale »54, en commentant un acte volontaire sous la forme d’un mensonge de nature maligne par lequel un homme a introduit un certain désordre dans la société. Dans une dimension phénoménale, l’acte peut être expliqué à partir de causes naturelles qui l’ont déterminé dans le temps, comme la mauvaise éducation et une détestable société. Pourtant, bien que cette action soit déterminée par des conditions empiriques, l’auteur n’en est pas moins blâmable car, dans sa dimension nouménale, l’acte est attribué à la causalité intelligible de l’être raisonnable « qui, en dépit de toutes les conditions empiriques aurait pu et dû déterminer autrement la conduite de l’homme »55. Cela engage de fait la responsabilité du sujet car l’acte est l’effet d’un caractère intelligible qui agit suivant une spontanéité absolue, commençant de lui-même une série d’événements dans le monde sensible. Le sujet ici se présente comme l’auteur de l’acte (auctor) et comme l’auteur des effets engendrés par cet acte (Urheber). Précisons que le mensonge qui met en jeu la responsabilité du sujet revêt une signification toute particulière, en ce qu’il se rapporte aussi bien à l’éthique qu’au droit. L’attitude qui consiste à s’abandonner à la fausseté délibérée dans l’expression de ses pensées est un renoncement à sa personnalité. Un homme qui ne croit pas lui-même ce qu’il dit à un autre a encore moins de valeur qu’une simple chose ; non seulement, il s’oppose par là à la finalité naturelle de la faculté de communiquer ses pensées, mais il devient indigne de l’idée d’humanité qu’il porte dans sa destination éthique : « C’est un crime de l’homme envers sa propre personne, insiste Kant, et une indignité qui rend l’individu méprisable à ses yeux. »56 L’absence de véracité rend également vaine la source du droit, car le mensonge nuit toujours à autrui : même s’il ne nuit pas à un autre homme, il nuit à l’humanité en général57. La pensée de Kant situe le devoir de véracité à la racine même de la coexistence des libertés extérieures qui se fonde sur un contrat : tous les principes juridico-normatifs doivent contenir une vérité rigoureuse, afin que chaque contrat ait force de loi. En conséquence, l’imputabilité des actions n’est concevable qu’à partir du caractère intelligible au-delà duquel cependant il n’est guère possible de remonter. Le caractère intelligible n’est qu’une idée régulatrice de la raison ouvrant au sujet un horizon dans lequel il peut se penser comme causalité inconditionnée. Cela résulte de l’idée de liberté, qui est seulement envisagée du point de vue de sa possibilité logique, nécessaire à son concept, mais qui est loin de suffire pour sa possibilité réelle58 : de simples concepts a priori ne suffisent pas à conclure à un fondement réel dans l’expérience possible. Faisant abstraction de toute intuition sensible, le concept de liberté n’est pas contradictoire, mais il ne se rapporte à aucun objet dans l’expérience. Du coup, nos imputations ne se rapportent uniquement qu’au caractère empirique car le jugement d’imputabilité est un fait d’expérience qui sert à éclairer le principe régulateur de la raison par un exemple tiré de l’usage empirique et non à le confirmer59. Ce que revendique ici l’idée de liberté, ce n’est pas le droit d’imputer, mais le droit de concevoir ce qui rend possible l’imputation, le caractère intelligible étant par lui-même inconnaissable.
3. La réalité objective de la liberté
- 60 Ibid., Ak. III 230, A 287 / B 343, p. 1007.
- 61 C.R.Prt., Ak. V 48, p. 666.
- 62 Ibid., p. 666.
- 63 Ibid., Ak. V7, p. 614.
11À ce point de notre réflexion, la liberté se révèle comme un concept problématique, un concept qui ne renferme aucune contradiction, mais dont la représentation ne permet pas d’affirmer ni qu’elle est possible ni qu’elle est impossible, car son intuition sensible fait défaut60. Il n’y a pas de contradiction à considérer toutes les actions des êtres dans le monde sensible, comme physiquement conditionnées, et en même temps répondant à une causalité physiquement inconditionnée, puisque l’action prise comme phénomène est l’effet d’une spontanéité absolue et intelligible61. Cependant, l’idée de la liberté n’est envisagée que du point de vue de sa possibilité, ne rencontrant dans l’expérience aucun exemple qui puisse lui conférer une réalité. Il est vrai que le caractère spéculatif de la liberté institue le fondement de la responsabilité, dans la mesure où ce pouvoir d’absolue spontanéité permet de « défendre la pensée »62 d’une cause agissant librement. Toutefois, nos imputations ne peuvent se rapporter qu’au caractère empirique, car la moralité de nos actions et celle de notre conduite demeurent entièrement cachées : du point de vue transcendantal, le concept de liberté est à la fois indispensable comme concept problématique pour l’usage complet de la raison spéculative, et totalement incompréhensible63. Afin de dépasser cette dimension hypothétique, la liberté doit être envisagée à partir de son concept positif, à savoir comme pouvoir de se donner sa propre loi. Cette visée est double : d’une part, il s’agit de conférer une réalité objective à la liberté, à travers la loi morale comme idée de la raison ; d’autre part, de faire de cette loi morale la pierre de touche qui inscrit l’individu dans un horizon communautaire au moyen de la législation universelle qu’elle impose.
- 64 F.M.M., Ak. IV 446, p. 315.
- 65 C.KPrt., Ak. V 60, p. 681.
- 66 Ak. IV 412, p. 274.
- 67 MM, Ak. IV 446, p. 315.
- 68 Ibid., Ak. IV 412, p. 274.
- 69 Ibid., Ak.IV 427, p. 293.
- 70 Rel., Ak. VI 24, p. 34, note.
12Le texte de 1785, Fondements de la métaphysique des mœurs, marque un tournant décisif dans la question portant sur la liberté. Rappelant les acquis de la Critique de la raison pure, Kant ouvre une nouvelle voie dans la détermination positive de la liberté, en précisant le rapport entre la volonté et la loi. La volonté (Wille) est définie comme une sorte de causalité qui appartient aux êtres vivants en tant qu’ils sont raisonnables64. À la différence de l’arbitre (Willkür), la volonté est une faculté de désirer, considérée non par rapport à l’action, mais plutôt par rapport au principe qui détermine l’action. Sans jamais être déterminée immédiatement par l’objet et par la représentation de l’objet, elle est une faculté de faire d’une règle de la raison, le mobile de l’action par laquelle un objet peut être réalisé65 ; à proprement parler, elle n’a donc pour elle-même de principe de détermination et requiert la raison pour dériver les actions des lois66, ce qui l’institue comme raison pratique. Au moyen de la raison, cette causalité se présente comme une propriété d’agir indépendamment des causes étrangères qui la déterminent. Cependant, pour saisir l’essence de l’objet de la liberté, cette définition est inféconde, car elle ne révèle la liberté que dans son concept négatif. Or, la volonté ne se limite pas à l’indépendance de sa détermination à l’égard des impulsions sensibles, elle est également une causalité agissant selon des lois immuables67. S’il est vrai que toute chose dans la nature agit d’après des lois68, en aucune mesure la liberté n’est une propriété de la volonté se conformant à des lois de la nature, car en situant l’origine de l’action exclusivement dans le temps, elle serait en contradiction avec elle-même. Force est de reconnaître que le concept de causalité implique en lui celui des lois, tout effet répondant nécessairement à une cause, et en ce sens la volonté échappe à l’anomie, car elle se détermine toujours en fonction de motifs, fins objectives qui valent pour tout être raisonnable69 : une action moralement indifférente (adiapharon morale) serait ainsi une action qui suit simplement des lois naturelles, interdisant tout commandement et toute interdiction70.
- 71 F.M.M., Ak IV 412, p. 274.
- 72 C.KPrt., Ak. V 29, p. 641.
- 73 Ibid., p. 641.
- 74 Ibid., Ak. IV 441, p. 309.
- 75 Ibid., Ak. IV 413, p. 275, note.
- 76 C.R.Prt., Ak. V 34, p. 648.
- 77 Ibid, Ak. V 20, p. 628.
- 78 Ibid, Ak. V 22, p. 631.
- 79 Ibid, Ak. V 73, p. 697.
- 80 Anthr, Ak. VII 130, p. 948.
- 81 C.RPrt., Ak. V 26, p. 637.
13Toutefois, la subtilité de la pensée kantienne sur ce point consiste à montrer que la volonté est une faculté d’agir d’après la représentation des lois, autrement dit selon des principes71. Cette remarque est capitale en ce qu’elle confère à la réflexion portant sur la liberté morale et la liberté dans le mal toute sa cohérence. En effet, si la volonté était une causalité agissant uniquement d’après des lois, elle s’inscrirait dans un déterminisme naturel, incapable de se représenter des principes déterminants, indépendants des conditions empiriques. Une telle représentation ne porte pas sur les principes déterminants des événements de la nature se produisant selon la loi de causalité, produits par des causes déterminantes considérées comme phénomènes72. Ce que la volonté se représente par la raison, ce sont des principes pratiques, compris comme des propositions renfermant une détermination générale dont dépendent plusieurs règles pratiques73. Cependant, en agissant d’après un principe déterminant émanant de la sensibilité, adoptant ainsi un principe subjectif qui ne concorde pas avec les conditions objectives, la volonté n’est pas encore en soi pleinement conforme à la raison. Le principe déterminant d’après lequel elle agit est un principe matériel, supposant un objet dont la réalité est désirée : ce n’est donc pas la volonté qui se donne à elle-même la loi, c’est l’objet qui la lui donne selon un intérêt74. La notion d’intérêt exige une précision d’ordre conceptuel afin de ne pas se méprendre sur le sens du texte kantien : la volonté humaine peut prendre intérêt à une chose sans pour cela agir par intérêt. La première expression désigne l’intérêt pratique porté à une action et révèle la dépendance de la volonté à l’égard des principes de l’action elle-même. La seconde traduit l’intérêt pathologique relatif à l’objet de l’action, marquant certes la dépendance de la volonté à l’égard des principes de la raison, mais au service de l’inclination : la raison se réduit à fournir « la règle pratique au moyen par lesquels on peut satisfaire au besoin de l’inclination »75. C’est en ce dernier sens qu’il s’agit de comprendre la notion d’intérêt dans ce passage : affectée pathologiquement, la volonté donne seulement le précepte de suivre, en faisant usage de la raison, des lois naturelles qui contraignent à suivre une inclination76 engendrant ainsi une hétéronomie de l’arbitre (Willkür), une dépendance à l’égard de la loi naturelle qui contraint de suivre une impulsion. Cela peut alors produire chez l’être raisonnable un conflit (Widerstreit) opposant les maximes et lois pratiques77. Considérée comme principe subjectif d’action dont la condition est adoptée par le sujet comme valable seulement pour lui-même, la maxime s’oppose à la loi dont la condition est reconnue comme objective, valable pour la volonté de tout être raisonnable. C’est à partir de l’antagonisme entre ces deux principes normatifs que s’explique la résistance qu’offre l’individu à la communauté, en adoptant comme principe déterminant l’amour de soi ou le bonheur personnel78. Cette inclination est l’expression d’un égoïsme, car l’amour de soi consiste dans une bienveillance envers soi-même par-dessus toutes choses79. Revendiquant un penchant à se satisfaire soi-même, l’individu ne s’isole pas de la communauté, simplement il entre en conflit avec elle, écartant de ses principes tout pluralisme, à savoir toute « manière de penser qui veut qu’on se considère et qu’on se conduise non comme le dépositaire du monde entier en son moi, mais comme simple citoyen »80. En supposant que des êtres finis et raisonnables pensent malgré tout d’une manière entièrement identique, relativement aux objets de leurs sentiments de plaisir et de douleur, « cette unanimité fondée ne serait encore que contingente »81, car prise comme sentiment, elle ne serait valable que subjectivement, dénuée de toute nécessité objective en vertu de principes a priori.
- 82 Ibid., Ak. IV 440, p. 308.
- 83 C.RPrt., Ak. V 28, p. 640.
- 84 Ibid, Ak. V 33, p. 647.
- 85 Ibid, Ak. V 31, p. 644.
- 86 Ibid., Ak. V 31, pp. 644-645.
- 87 Ibid., Ak. V 72, p. 696.
- 88 Ibid., Ak. V 47, p. 664.
- 89 Ibid., Ak. V 32, p. 646.
- 90 Ibid., Ak. V 7, p. 613, note.
- 91 Dans la Critique de la raison pure, Introduction IV, Ak. III 34-35, A7/B11, p. 765, Kant distingue (...)
14Or, toute la visée de l’argument kantien est d’instituer l’autonomie comme la propriété qu’a la volonté d’être elle-même sa loi. Ce qui requiert une double exigence : agir selon un principe que la volonté adopte, et faire que ce principe puisse se présenter comme législation universelle valable pour la volonté de tous les êtres raisonnables. Cela revient à adopter des maximes qui, dans un même acte de vouloir, soient comprises en même temps comme lois universelles82. En aucun cas, l’individu ne doit pour cela renoncer à tout intérêt mais bien plutôt convertir sa destination en un horizon moral en le rendant pratique, afin de lui reconnaître une valeur universelle, de telle sorte que sa volonté converge avec celle de tous les autres sous l’autorité d’un principe rationnel. Il s’agit pour l’individu de prendre intérêt à la loi et non d’agir par intérêt car, dans ce dernier cas, la volonté de tous ne peut se présenter comme un corps commun (gemeines Wesen) ayant un seul et même objet, puisque chacun a le sien, correspondant à son propre bien-être83. Cette convergence au sein d’une législation universelle se fonde sur un principe déterminant pour la volonté, indépendant de la matière de la loi qui ne peut être donnée qu’empiriquement, et néanmoins dans la loi. La représentation par la raison de la seule forme législatrice de la loi rend la volonté indépendante de la loi naturelle des phénomènes et déterminable universellement, convertissant un intérêt pathologique en un intérêt pratique, législatif et communautaire. La condition d’une volonté autonome réside dans une raison législatrice, qui ne se suppose qu’elle-même aussi bien dans l’indépendance à l’égard de toute matière de la loi que dans la détermination de l’arbitre (Willkür), par la simple forme législatrice universelle84, instituant ainsi un libre arbitre (freie Willkür) : « La volonté, insiste Kant, est pensée comme indépendante de conditions empiriques, par conséquent comme volonté pure déterminée par la simple forme de la loi, et ce principe déterminant est considéré comme condition suprême de toutes les maximes. »85 La pensée a priori d’une telle législation universelle n’est pas un concept vide, elle acquiert une réalité en se présentant à la conscience comme un « fait de la raison » (Faktum der Vernunft)86. Cette expression qui peut sembler paradoxale, puisque le seul concept d’une raison pratique interdit de considérer ses principes comme un fait de l’expérience, demande une explication. Si l’auteur utilise le terme de fait (Faktum), ce n’est pas en référence aux faits empiriques (Tatsachen) : le caractère essentiel de toute détermination de la volonté réside dans l’exclusion des attraits sensibles, au préjudice de toutes les inclinations contraires à la loi87. Ce fait est bien plutôt une donnée originaire, au-delà de laquelle il est impossible de remonter et qui ne saurait être déduite par des données antérieures à la raison. Même en admettant qu’il est impossible de trouver dans l’expérience un seul exemple où cette loi est exactement suivie, il faut reconnaître que la conscience de cette loi fondamentale, s’imposant par elle-même, est donnée comme apodictiquement certaine88. Il suffit d’analyser le jugement que les hommes portent sur la légalité de leurs actions par rapport à la loi, autrement dit ce qui est accompli conformément au devoir : quoi que puisse objecter l’inclination, la raison de chacun incorruptible et contrainte par elle-même confronte chaque fois la maxime de la volonté, dans une action, avec la volonté elle-même en tant qu’elle s’élève à un principe pratique a priori qui possède « la nécessité que la raison exige d’un principe »89. Cela révèle que l’être raisonnable peut répondre de lui-même devant le tribunal de sa raison car, à travers la conscience de ce principe comme la loi morale, il s’affirme comme être en soi, représenté comme conscience pure, se jugeant comme phénomène dans la conscience empirique90. Cela montre également que la liaison de la maxime de cette volonté avec cette loi n’est pas analytiquement incluse dans un vouloir préalable, ce qui indique que cette liaison ne s’opère que sous la forme d’une synthèse qui est a priori la liaison entre l’action et la volonté étant universelle et nécessaire91.
- 92 Nous suivons ici l’analyse de Bernard Carnois dans La cohérence de la doctrine kantienne de la lib (...)
- 93 C.KPrt., Ak. V 4, p. 610.
- 94 Ak. IV 446-447, pp. 215-316 ; C.KPrt., Ak. V 45, p. 662 et Ak. V 55, p. 675.
- 95 MM, Ak. IV 447, p. 316.
- 96 C.KPrt., Ak. V 28, p. 640.
- 97 F.M.M., Ak. IV 447, p. 316.
- 98 M.M., Ak. VI 226, p. 473.
- 99 F.M.M., Ak. IV 412, p. 274.
- 100 Le mobile est le fondement subjectif déterminant de la volonté d’un être dont la raison n’est pas (...)
- 101 Rel., Ak. VI 24, p. 35.
- 102 OP. P., p. 275.
- 103 M.M., Ak. VI 213, p. 457.
- 104 Rel, Ak. VI 24, p. 35.
15Ainsi s’explique comment la volonté, déterminée par une loi objective et nécessaire, donnée par la raison, est autonome. La loi morale comme fait est tout autant du fait de l’existence de la raison que du fait de l’existence d’un principe rationnel normatif qui permet à l’être raisonnable de porter en lui la responsabilité de ce qu’il doit être92. Aussi bien par l’indépendance de la volonté par rapport aux inclinations, que par le fondement de l’imputabilité qu’elle constitue, la loi de la raison implique la liberté selon une dépendance réciproque. C’est ce que développe Kant dans la Préface de la Critique de la raison pratique en reconnaissant que « la liberté est sans doute la ratio essendi de la loi morale, mais que la loi morale est la ratio cognoscendi de la liberté »93. La liberté, comme propriété d’une causalité intelligible déterminant l’état d’une personne, est la condition de la loi morale, et la loi morale comme fait de la raison prouve la réalité objective de la liberté. En effet, étant donné qu’il n’est guère possible de prendre immédiatement conscience de la liberté puisque son concept premier est négatif et que l’expérience ne fait connaître que la loi des phénomènes, l’auteur montre que c’est par la conscience immédiate de la loi morale que la liberté est prouvée : en présentant à notre conscience un principe déterminant sur lequel ne doit prédominer aucune condition sensible, la raison se manifeste comme pouvoir législateur et comme pouvoir de résister à ce qui affecte pathologiquement la volonté. Dans l’autonomie morale, le seul principe déterminant de la volonté, par sa validité universelle et a priori, c’est la loi de la raison. À partir de cette conclusion, il importe d’examiner l’expression « volonté libre » (freier Wille) dont Kant fait usage à plusieurs reprises94, et qui est susceptible de conduire à une méconnaissance de la nature de la volonté. Deux passages éclairent notre réflexion sur ce point. Dans la troisième section des Fondements de la métaphysique des mœurs, l’auteur admet qu’« une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose »95. La liberté de la volonté ne concerne pas une liberté de choix, elle ne peut résider que dans l’autonomie. Le seul principe de la volonté étant la simple forme législatrice des maximes96, son autonomie s’exprime dans la propriété qu’elle a d’être à elle-même sa loi, sa maxime pouvant se prendre pour objet à titre de loi universelle97. La volonté est soumise à cette loi législatrice et seulement en ce sens, elle est autonome, se considérant à la fois auteur de sa loi et volonté législatrice universelle. L’« Introduction à la métaphysique des mœurs », dans Métaphysique des mœurs, apporte un élément qui confirme que la liberté de la volonté n’est en aucun cas une liberté de choix. Kant soutient dans une remarque que « la volonté qui ne s’applique à rien d’autre qu’à la loi, ne peut être dite ni libre ni non libre »98. La volonté est autonome en étant absolument nécessaire car elle ne porte pas sur des actions mais immédiatement sur la législation relative aux maximes des actions ayant une validité universelle. Déterminée par la raison, la volonté est alors comprise comme « une faculté de choisir cela seulement que la raison, indépendamment de l’inclination reconnaît comme pratiquement nécessaire, c’est-à-dire comme bon »99. Cela signifie que la volonté ne choisit pas sa loi, mais la pose nécessairement en vertu de sa nature rationnelle. Par conséquent, si la volonté n’est pas un pouvoir de choix mais une détermination de l’arbitre, seul l’arbitre peut être dit libre selon la Métaphysique des mœurs. Afin de cerner la nature de cet arbitre et la signification de la liberté qui lui est rattachée, il est pertinent de formuler une précision terminologique. À la différence de la volonté (Wille) dont le principe de détermination se trouve dans la raison du sujet, l’arbitre humain est tel qu’il peut être affecté par des impulsions sans être déterminé par elles. Cette argumentation conduit à formuler deux remarques : l’arbitre humain, en lui-même, n’est pas pur, même s’il n’est pas conditionné nécessairement par les mobiles100 de la sensibilité, ceux-ci n’agissant que sous le mode de sollicitations. Ensuite, il détermine lui-même par un choix quel mobile est admis dans sa maxime subjective. En effet, l’arbitre ne peut être déterminé par aucun mobile, à moins que l’homme ne l’ait admis dans sa maxime. Il s’ensuit que le mobile, quel qu’il soit, peut se maintenir au niveau de la spontanéité absolue de la liberté101, manifestant par là un pouvoir assurément incompréhensible, à savoir celui de résister à des mobiles sensibles et de choisir entre eux102. Ainsi il convient de distinguer l’arbitre (Willkür) du libre arbitre (freie Willkür) : le premier désigne une faculté de désirer subjective et contingente qui choisit un mobile admis dans sa maxime, ce qui traduit une limitation de la nature d’un être car la constitution subjective de son arbitre ne coïncide pas d’elle-même avec la loi objective de la raison pratique. Au contraire, l’arbitre n’est véritablement libre que s’il est déterminé par la raison pure103 : dans le jugement de la raison, la loi morale est pour elle-même un mobile et celui qui en fait sa maxime est moralement bon104, conjuguant ainsi une indépendance vis-à-vis des mobiles sensibles et une autonomie morale, à savoir la faculté de la raison pure d’être par elle-même pratique.
- 105 C.KPrt., Ak. V 42, p. 658.
- 106 MM, Ak. IV 452, pp. 322-323.
- 107 C.KPrt., Ak. V 32, p. 645.
- 108 F.M.M., Ak. IV 458, p. 330.
- 109 Ibid.
- 110 Kant définit l’idée comme un concept nécessaire de la raison auquel aucun objet qui lui correspond (...)
- 111 F.M.M., Ak. IV 451, p. 322.
- 112 Ibid., Ak. IV 458, p. 330.
- 113 C.KPrt., Ak. V 44, p. 660.
16Toute cette analyse permet à présent de saisir comment la loi morale est la pierre de touche qui inscrit l’individu dans la communauté au sein d’un monde intelligible (intelligible oder Verstandeswelf). En montrant que la raison pure peut être normative, Kant expose par là la fécondité de la loi comme principe rationnel : d’abord, en se présentant comme un fait, elle témoigne d’un principe moral au moyen duquel la volonté se détermine elle-même, excluant tout élément empirique105. Ensuite, la loi morale comme fait atteste que la conscience de la liberté de la volonté lui est inséparablement liée, ce qui prouve sa réalité objective. Enfin, soumise à une loi qui lui est donnée par sa propre raison, la volonté d’un être raisonnable se reconnaît comme être en soi qui, en tant qu’intelligence, appartient à un monde intelligible106. En vertu de l’universalité de sa législation, qui est le principe formel suprême de la volonté, ce principe de la moralité est proclamé par la raison comme étant en même temps (zugleich) une loi pour tous les êtres raisonnables. Cette simultanéité s’explique par la nature de la loi qui place la volonté dans une tout autre sphère que celle des conditions empiriques, exprimant une nécessité qui se fonde sur la simple forme législatrice et universelle, indépendamment de toutes les différences subjectives qui reposent sur la matière du vouloir107. C’est pourquoi, en plaçant le principe déterminant de la causalité de l’homme comme être sensible dans la raison pure qui, en ce sens, devient normative, celui-ci s’introduit par la pensée (denken) dans un monde intelligible108, plus rigoureusement dans un système total des êtres raisonnables comme êtres en soi, soumis à la loi morale109. Kant prend soin de préciser qu’il ne s’agit nullement de prétendre à une extension de la connaissance, la raison pratique ne visant qu’à déterminer en général la causalité relativement à des objets, mais d’en avoir une idée110. Ce qui suggère que le concept d’un monde intelligible, qui est aussi bien celui d’une totalité d’êtres en soi que celui d’un monde intellectuel (zur intellectuellen Welt)111, n’est qu’un point de vue que la raison se voit obligée d’adopter en dehors des phénomènes afin de se concevoir comme pratique112. Il s’ensuit que la loi morale n’est pas seulement la loi fondamentale d’une nature suprasensible, elle se révèle également comme celle d’un monde de l’entendement pur. La volonté soumise à cette loi doit donc façonner le monde sensible comme ensemble d’êtres raisonnables à partir de l’idée d’un monde intelligible ; le premier désigne le monde ectype (natura ectypa) car il est l’effet possible du second, le monde archétype (natura archetypa) produit par la raison, afin de pouvoir se présenter pour la volonté comme un principe déterminant113. Il est alors pertinent de montrer apriori ce que la loi morale comme mobile doit produire dans l’esprit, afin que l’homme s’élève à son moi véritable, en tant qu’être en soi appartenant à un univers de personnes.
- 114 F.M.M., Ak. IV 458, p. 330.
- 115 C.KPrt., Ak. V 75, p. 698.
- 116 Ibid., Ak. V 73, p. 697.
- 117 Ibid., Ak. V 79, p. 704.
- 118 Ibid., Ak. V 75, p. 699.
- 119 Ibid., Ak. V 73, p. 697.
- 120 Ak. V 76, p. 701.
- 121 M.M., Ak VI 223, p. 470.
- 122 C.R.Prt., Ak. V 87, p. 714.
- 123 M.M., Ak. VI 462, p. 758.
17Il faut rappeler que le conflit entre la maxime et la loi se manifeste lorsque la matière du vouloir s’institue comme principe déterminant de la volonté. Ce conflit, qui est à l’origine de la résistance de l’individu face à la communauté, est d’autant plus certain que la nature de l’homme comme être sensible est constituée de telle sorte que les objets de l’inclination s’imposent en premier lieu. Du coup, en opposition avec son véritable moi ou sa volonté114, le moi pathologiquement affecté a tendance à faire valoir d’abord ses prétentions comme premières et originelles, « comme s’il était notre moi tout entier »115. Dans ces conditions ce moi déterminable est incapable de fonder par ses maximes une législation universelle, indiquant ainsi que l’égoïsme est à la racine même de cette résistance, en se déclinant comme amour de soi et présomption ; la première expression désigne une tendance à faire de soi-même, d’après les principes déterminants subjectifs de son arbitre, un principe objectif de la volonté en général ; lorsque celui-ci s’érige en législateur et en principe pratique inconditionné, revendiquant la satisfaction de soi-même (arrogantia), il devient présomption116. Or, la loi morale qui seule est véritablement objective, doit exclure toute influence de l’égoïsme, afin de s’opposer à la tendance de l’être sensible qui considère ses conditions subjectives comme lois. Cela témoigne du souci de Kant de dépasser les différences subjectives par la loi morale et de faire prendre conscience à l’individu que son véritable moi est un être en soi, membre d’un monde moral. La loi morale devient opératoire en ce sens, d’après la proposition selon laquelle « tout ce qui amoindrit les obstacles qui s’opposent à l’activité favorise par la même cette activité »117. Dans un premier temps, l’auteur considère que ce qui porte préjudice à la présomption, dans le jugement, l’humilie. L’effet de la loi morale comme mobile est d’abord négatif, sur l’impulsion fondée sur le sentiment et comme tout effet exercé sur le sentiment, cet effet est pathologique118. Elle impose une limitation aux inclinations et fait obstacle à l’activité du sujet en tant qu’il prend celles-ci pour principes déterminants, ruinant l’idée qu’il se fait de sa valeur personnelle. Dans un second temps, et toujours selon la même proposition, l’effet de la loi morale devient positif : ce qui dans la représentation, comme principe déterminant de la volonté, nous humilie dans la valeur que l’on se donne, excite le respect. Kant considère que l’abaissement des prétentions produisant une humiliation du côté sensible est une élévation de l’estimation pratique de la loi elle-même du côté intellectuel, reconnaissant que l’effet positif de la loi morale est un sentiment produit par une cause intellectuelle a priori et qui concerne le respect pour la loi119. La loi de la raison s’affirme alors comme principe déterminant formel de l’action par la raison pure, et principe déterminant subjectif en tant que mobile pour cette action, produisant un sentiment de respect qui favorise l’influence de la loi sur la volonté. Au moyen de ce sentiment, l’individu prend conscience de la valeur qui le lie intrinsèquement à une communauté de personnes car « le respect ne s’adresse jamais qu’à des personnes, en aucun cas à des choses »120 ; par opposition à une chose qui n’est susceptible d’aucune imputation, la personne est ce sujet dont les actions sont susceptibles d’une imputation, car elles sont l’effet et le signe d’une personnalité morale qui n’est rien d’autre que la liberté d’un être raisonnable soumis à des lois morales121 et qui éveille le respect122. Si le respect de la loi inscrit l’individu dans une communauté de personnes, c’est parce qu’il est identique à la conscience du devoir, conférant à tout homme comme être moral une prétention légitime au respect de ses semblables et, réciproquement (wechselseitig), il est obligé au respect envers chacun d’eux123, reconnaissant en lui-même et en tout homme le lien intrinsèque qui les lie, à savoir la dignité de l’humanité. Cependant, ce devoir de respect n’est qu’un devoir négatif, dans la mesure où, en se présentant comme maxime de restriction, par la dignité de l’humanité en une autre personne, il impose de ne pas élever sa valeur personnelle au-dessus des autres.
18Par conséquent la loi morale est au fondement même de la personnalité, en ce qu’elle permet à la volonté de se donner sa propre loi et par là même d’être autonome et de conférer à la liberté une réalité objective. C’est précisément au sein de cette autonomie que l’individu, en s’élevant à son véritable moi comme être en soi, devient responsable de ses actes et conscient de son appartenance comme membre d’une communauté intelligible. D’après cette idée, sa volonté, s’inscrivant ainsi dans un univers de personnes, doit façonner le monde sensible de telle sorte que l’existence humaine tende vers une destination communautaire. Cependant, cette idée comme tâche se manifeste comme problème, car la liberté de l’individu se révèle également dans la transgression de la loi morale, offrant une résistance à sa destination communautaire au sein d’un horizon moral.
Notes
1 C.R.Prt., Ak. V 65, p. 687. Précisons toutefois, qu’en tant que relation entre sujets pratiques, cette intersubjectivité s’affirme comme une interpersonnalité, autrement dit, comme un rapport entre personnes, considérées comme des êtres doués de liberté.
2 Ibid., Ak. V 66, pp. 688-689.
3 Ibid., p. 688.
4 Le terme « personne » apparaît bien à la fin du deuxième scolie du § 8, Ak. V 38, p. 655, mais cette occurrence n’est pas systématisée ni prise réellement en compte dans l’argumentation du passage. Notre remarque suit la note de G. Mohr, « Personne, personnalité et liberté dans la Critique de la raison pratique », dans Revue internationale de philosophie, mars 1988, vol. 42, no 166, p. 308, note 33.
5 Ibid., pp. 308-309.
6 C.R.P., Ak. IV 228, A 362, p. 1439.
7 Ibid., Ak. IV 229, A 364, p. 1440.
8 Ibid., Ak. IV 230, A 365-366, p. 1441. Dans l’Anthropologie du point de vue pragmatique, Ak. VII 127, p. 946, Kant indique que l’homme en disposant du Je dans sa représentation s’élève au rang de personne, identique à travers tous les changements qui peuvent lui advenir et cela en vertu de l’unité de la conscience. En se représentant comme un seul et même sujet au moyen du sens interne, il prend conscience des transformations intérieures de son esprit (de sa mémoire, ou des principes qu’il admet), Ak. VII 134, p. 952, note.
9 Ces deux thèses se reportent respectivement au troisième paralogisme de la raison pure de la première édition de la Critique de la raison pure, qui soutient que la personnalité de l’âme ne peut être tenue pour une substance métaphysique, et à la deuxième section des Fondements de la métaphysique des mœurs, dans laquelle la personne est comprise comme noumène d’après l’idée de la dignité.
10 C.R.P., Ak. III 267, B 407, p. 1052.
11 Anthr., Ak. VII 161, p. 979.
12 CR. P., Ak. III 275, B 421, p. 1062.
13 Fin chose., Ak. VIII, p. 309 et Ak. VIII, p. 318.
14 Ibid., p. 318.
15 C.R.P., Ak. III 280, B 430, p. 1068.
16 Ibid., p. 1068.
17 Ibid, Ak. III 93, A 80 / B 105, p. 834.
18 Ibid, Ak. III 524, A 807 / B 835, p. 1367.
19 Le terme « dialogique » est emprunté à la terminologie kantienne dans Métaphysique des moeurs, Ak. VT 478, et désigne un échange réciproque de questions et réponses entre le maître et l’élève, p. 775.
20 C.R.Prt., Ak. V 66, p. 689.
21 C.R.P., Ak. III 93, A 80 / B 105, p. 834.
22 Rêves, Ak. II 322, pp. 533-535.
23 Mohr, op. dt., p. 310.
24 C.R.Prt., Ak. V 87, p. 713.
25 Ibid., pp. 713-714.
26 M.M., Ak. VI 223, p. 470.
27 Ibid., p. 470.
28 LM, p. 148.
29 Re/., Ak. VI 26, p. 37.
30 Ibid., p. 37-38, note.
31 MM., Ak. VI 223, p. 470.
32 C.R.P., Ak. III 369, A 543 / B 571, p. 1175.
33 Ibid., Ak. III 364, A 534 / B 562, p. 1169.
34 Ibid., Ak. III 169, A 192 / B 237, p. 928.
35 Ibid., Ak. III 363, A 533 / B 561, p. 1168.
36 La causalité naturelle et la causalité libre renvoient respectivement à l’entendement et à la raison. L’entendement est un pouvoir de ramener les phénomènes à l’unité au moyen de règles a priori afin de rendre l’expérience possible (C.R.P., Ak. III 109, B 132, p. 853), et la raison est la faculté de ramener à l’unité les règles de l’entendement au moyen de principes qui produisent des idées transcendantales et qui expriment la totalité des conditions (C.R.P. Ak. III 238, A 299 / B 356, pp. 1016-1019).
37 C.R.P., Ak. III 365, A 536 / B 564, p. 1170.
38 Relig., Ak. VI 39-40, p. 54.
39 C.R.P., Ak. III 521, A 802 / B 830, p. 1363 et Ak. III 364, A 534 / B 562, p. 1168.
40 C.R.P., Ak. III 372, A 548 / B 576, p. 1179.
41 OP. P., pp. 275-276.
42 CRP., Ak. III 375, A 554 / B 582, p. 1183.
43 Ibid., Ak. III 366, A 539 / B 567, p. 1172.
44 Système nouveau de la nature et de la communication des substances, p. 69.
45 Anthr., Ak. VII 119, p. 940.
46 Anthr., Ak. VII 292, p. 1105.
47 C.R.P., Ak. III 374, A 552 / B 580, p. 1181.
48 Ibid., Ak. III 372, A 549 / B 577, p. 1179.
49 Ibid., Ak. III 367, A 540 / B 568, p. 1173.
50 Ibid., Ak. III 63, A 38 / B 55, p. 798.
51 Ibid., Ak. III 366, A 538 / B 567, p. 1172.
52 OP. P., p. 276.
53 CRP., Ak. III 310, A 448 / B 476, p. 1104.
54 Ibid., Ak. III 375, A 554 / B 582, pp. 1183-1184.
55 Ibid., p. 1184.
56 M.M., Ak. VI 430, p. 716.
57 Dr.mentir, Ak. VIII 426, p. 437.
58 C.R.P., Ak. III 206, A 244 / B 302, p. 975.
59 Ibid., Ak. III 375, A 554 / B 582, p. 1183.
60 Ibid., Ak. III 230, A 287 / B 343, p. 1007.
61 C.R.Prt., Ak. V 48, p. 666.
62 Ibid., p. 666.
63 Ibid., Ak. V7, p. 614.
64 F.M.M., Ak. IV 446, p. 315.
65 C.KPrt., Ak. V 60, p. 681.
66 Ak. IV 412, p. 274.
67 MM, Ak. IV 446, p. 315.
68 Ibid., Ak. IV 412, p. 274.
69 Ibid., Ak.IV 427, p. 293.
70 Rel., Ak. VI 24, p. 34, note.
71 F.M.M., Ak IV 412, p. 274.
72 C.KPrt., Ak. V 29, p. 641.
73 Ibid., p. 641.
74 Ibid., Ak. IV 441, p. 309.
75 Ibid., Ak. IV 413, p. 275, note.
76 C.R.Prt., Ak. V 34, p. 648.
77 Ibid, Ak. V 20, p. 628.
78 Ibid, Ak. V 22, p. 631.
79 Ibid, Ak. V 73, p. 697.
80 Anthr, Ak. VII 130, p. 948.
81 C.RPrt., Ak. V 26, p. 637.
82 Ibid., Ak. IV 440, p. 308.
83 C.RPrt., Ak. V 28, p. 640.
84 Ibid, Ak. V 33, p. 647.
85 Ibid, Ak. V 31, p. 644.
86 Ibid., Ak. V 31, pp. 644-645.
87 Ibid., Ak. V 72, p. 696.
88 Ibid., Ak. V 47, p. 664.
89 Ibid., Ak. V 32, p. 646.
90 Ibid., Ak. V 7, p. 613, note.
91 Dans la Critique de la raison pure, Introduction IV, Ak. III 34-35, A7/B11, p. 765, Kant distingue le jugement analytique du jugement synthétique : le premier est celui dans lequel le prédicat appartient au sujet comme quelque chose qui est contenu dans son concept ; le second est celui dans lequel le prédicat, quoique en connexion avec le sujet, n’est pas contenu dans son concept.
92 Nous suivons ici l’analyse de Bernard Carnois dans La cohérence de la doctrine kantienne de la liberté., Paris, Seuil, 1973, pp. 93-118.
93 C.KPrt., Ak. V 4, p. 610.
94 Ak. IV 446-447, pp. 215-316 ; C.KPrt., Ak. V 45, p. 662 et Ak. V 55, p. 675.
95 MM, Ak. IV 447, p. 316.
96 C.KPrt., Ak. V 28, p. 640.
97 F.M.M., Ak. IV 447, p. 316.
98 M.M., Ak. VI 226, p. 473.
99 F.M.M., Ak. IV 412, p. 274.
100 Le mobile est le fondement subjectif déterminant de la volonté d’un être dont la raison n’est pas déjà, par sa nature même, nécessairement conforme à la loi objective, alors que le motif est le fondement objectif du vouloir ; sur ce point, F.M.M., Ak. IV 428, p. 293, et C.R.Prt., Ak. V 72, p. 695.
101 Rel., Ak. VI 24, p. 35.
102 OP. P., p. 275.
103 M.M., Ak. VI 213, p. 457.
104 Rel, Ak. VI 24, p. 35.
105 C.KPrt., Ak. V 42, p. 658.
106 MM, Ak. IV 452, pp. 322-323.
107 C.KPrt., Ak. V 32, p. 645.
108 F.M.M., Ak. IV 458, p. 330.
109 Ibid.
110 Kant définit l’idée comme un concept nécessaire de la raison auquel aucun objet qui lui corresponde ne peut être donné dans les sens. Cependant, l’idée n’est pas forgée arbitrairement, mais nous est donnée comme une tâche par la nature même de la raison, ayant ainsi un usage régulateur, C.KP., Ak. III 253-256, A 326/B 382, pp. 1035-1038.
111 F.M.M., Ak. IV 451, p. 322.
112 Ibid., Ak. IV 458, p. 330.
113 C.KPrt., Ak. V 44, p. 660.
114 F.M.M., Ak. IV 458, p. 330.
115 C.KPrt., Ak. V 75, p. 698.
116 Ibid., Ak. V 73, p. 697.
117 Ibid., Ak. V 79, p. 704.
118 Ibid., Ak. V 75, p. 699.
119 Ibid., Ak. V 73, p. 697.
120 Ak. V 76, p. 701.
121 M.M., Ak VI 223, p. 470.
122 C.R.Prt., Ak. V 87, p. 714.
123 M.M., Ak. VI 462, p. 758.
© Éditions de la Sorbonne, 2005