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L’idée de révolution : quelle place lui faire au XXIe siècle ?

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Olivier Bloch

Introduction

Olivier Bloch

Texte intégral

1Le présent volume rassemble les communications présentées lors de trois journées d’études qui se sont tenues les 3, 4 et 5 octobre 2003. Elles avaient été organisées sous l’égide du Centre d’Histoire des Systèmes de Pensée Moderne (CHSPM) de l’Université de Paris 1, avec le concours du CERPHI (Centre d’Études en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées) et de la Société Chauvinoise de Philosophie, par un comité rassemblant sous ma direction, aux côtés d’enseignants et chercheurs de ces organismes, des personnalités d’autres Universités, d’autres ordres et secteurs d’enseignement et de recherche, dont on trouvera pour la plupart ici les contributions qu’ils ont présentées lors des Journées.

2Celles-ci prenaient la suite d’un séminaire de même libellé que j’avais tenu en 2001-2002, succédant à celui que j’avais organisé en 2000-2001 sur le thème Philosopher en France (1940-1944), lui-même suivi de deux journées d’études en 2002, dont les Actes, sous le titre Philosopher en France sous l’Occupation, ont été publiés peu avant le présent volume, après le numéro que la Revue philosophique lui avait consacré en juillet-septembre 2002.

3Les deux séries d’investigations ressortissaient à un type d’enquête effectivement centré sur le rapport de la réflexion philosophique aux situations historiques dans lesquelles elle se trouve engagée qu’on le veuille ou non, visant à faire de telles « époques » un objet philosophique, dans la perspective, en l’occurrence, d’un thème général : « Philosophie et Histoire à l’époque contemporaine ».

4En ce qui concerne le thème abordé ici, et les motivations et questionnements qui en tracent le cadre historique ou historial, conceptuel et problématique, j’avais ouvert le séminaire de 2001-2002 sur ces mots : « En cette période de Restauration qui est la nôtre, on s’interroge, et on interroge, ici et là, les uns et les autres, sur le[ur] désir de révolution » etc., faisant par là écho au numéro publié en février 2001 sous ce dernier titre par la revue Lignes, en qualifiant de bienvenues et stimulantes les interrogations et les réponses qu’on pouvait y trouver, en tant qu’elles manifestaient, dans leur persistance, les sentiments d’insatisfaction, de révolte, d’écœurement, etc., suscités par les ignominies, horreurs et hypocrisies de l’état de choses actuel, social, politique, intellectuel, médiatique, l’arrogance et le cynisme des puissants et de leurs relais, et le désir de les changer et/ou de les renverser – toutes motivations plus que jamais actuelles, mais envisagées là de façon délibérément subjective, contournant les questions théoriques, historiques, désignées et visées par le terme même de révolution, laissant par là aussi plus ou moins sur sa faim le lecteur.

5L’expression même que j’avais employée en commençant avait, je crois, surpris quelques participants du séminaire. Peut-être, huit ans plus tard, est-elle moins surprenante ? L’expression « cette période de Restauration qui est la nôtre » désigne en tout cas une incontestable situation de fait : celle de la période consécutive à l’effondrement de l’URSS en 1991, effondrement du ou des systèmes issus de la révolution d’octobre 1917 en Russie, révolution marquant toute l’histoire de ce que Hobsbawm a bien nommé le « court xxe siècle », et qui se présentait et/ou était perçue comme prenant le relais ou la suite d’une série de « révolutions » antérieures. À cet échec final d’un processus et d’un ensemble de processus, succède, comme on doit le constater quelle que soit l’appréciation qu’on peut porter sur cette situation et sur les processus et les événements qui y ont conduit, succède, donc, comme en 1815, à une période plus courte issue d’une autre révolution, le retour en force d’un ensemble de valeurs, d’appréciations, de certitudes, d’institutions – pensons entre autres aux restaurations monarchiques effectuées ou en cours ici et là – qu’avaient mises en cause non seulement l’événement de cette révolution comme telle et ses suites, mais l’ensemble des orientations, mouvements, aspirations connotés comme révolutionnaires quels qu’ils soient, vis-à-vis de quoi les pouvoirs et idées dominantes aujourd’hui sont en position de revanche. Cette restauration est de plus en plus sensible dans l’air du temps, doxique et médiatique, par les connotations péjoratives immédiatement associées au terme et à l’idée, comme à bon nombre d’autres plus ou moins apparentés.

6En face de cette situation, le questionnement doit porter sur l’idée de révolution en général, qui avait dominé luttes et débats politiques et sociaux pendant deux siècles, de 1789 à 1991, la clôture et l’échec, rendus manifestes à cette dernière date, des parcours et tentatives qu’elle avait suscités posent la question : « l’ère des révolutions est-elle close ? », l’idée de révolution est-elle périmée avec cet effondrement, le caractère insupportable, aux yeux de beaucoup, du régime social actuel peut-il, doit-il engendrer d’autres processus pour y mettre fin ?

7La problématique où s’inscrivent de tels questionnements comporte assurément un aspect linguistique : on doit s’interroger sur le terme, sa définition et son usage – et si l’on peut bien, de façon provisoire, pour délimiter en un premier temps l’objet de la recherche, s’accorder pour y voir un changement brusque ou rapide des rapports de pouvoir entre les hommes, produit par des processus ou mouvements dirigés contre un état de choses existant, menés par la majorité d’une population et en sa faveur ou du moins avec son soutien, sa complicité, ou son acceptation, une telle définition nominale ne peut que déboucher, comme le montrait bien, nonobstant son titre apparemment modeste, l’ouvrage d’Alain Rey, Révolution, histoire d’un mot (Paris, Gallimard, 1989), sur des interrogations d’ordre philosophique, historique et pratique.

8Les questions philosophiques portent, peut-on dire, sur la Révolution comme idée en un sens plus déterminé, comme concept, et comme catégorie.

9La catégorie de révolution doit désigner, ici comme ailleurs, une forme générale de fonctionnement de la pensée sans contenu déterminé, une structure de pensée formelle, cadre ou schéma pratique, politique et/ou de philosophie politique, fonctionnant par rapport à d’autres, corrélatifs et antonymes, dans les couples marqués par ces corrélations et ces oppositions : Révolution-Réaction, Révolution-Contre-révolution, Révolution-Réforme(s), Révolution-Utopie, Révolution-Progrès... Cette caractérisation du terme, ainsi que la mise en œuvre de tels couples, imprégnaient plus ou moins la plupart des communications présentées en octobre 2003, et donc les textes qu’on lira ici.

10L’idée de Révolution, qui (si l’on veut bien excuser ici une terminologie fâcheusement idéaliste...) donne corps à ces schémas, est à considérer ici au sens qu’a le terme dans ce que l’on est convenu d’appeler l’histoire des idées, une idée structurée elle-même par l’histoire, chargée de connotations historiques, apparue dans des conditions déterminées, et évoluant avec les situations, représentée dans des œuvres et/ou courants de pensée, avec ses implications et connexions situées historiquement, les valeurs, forces et tendances dont elle est porteuse. À cet aspect avaient été consacrées en particulier les communications présentées dans une des deux commissions fonctionnant en parallèle le samedi 4 octobre. On les retrouvera dans la première partie du présent volume.

11Le concept de révolution, à proprement parler, doit être compris comme inclus dans une construction théorique, constitutif de cette construction doctrinale, scientifique, philosophique, avec les implications pratiques qui en découlent, comme il en va en particulier, et pour cause, de celles de Marx et de la tradition marxiste. À ce concept, à ces constructions, et à ces implications étaient consacrées une partie des communications de la première journée, celle du vendredi 3 octobre, et la plupart de celles de la troisième, le dimanche 5 octobre. On les trouvera rassemblées ici en troisième partie.

12Sous tous ces aspects, l’usage courant du terme, celui du moins auquel on est porté de premier abord à penser, vise la et les révolutions politiques et sociales, et c’est celui dans lequel il est, pour l’essentiel en tout cas, pris dans les contributions qu’on vient de dire.

13Reste toute la série des emplois, non moins courants aujourd’hui aussi, qui désignent les révolutions opérées ou s’opérant dans le monde de la culture prise au sens le plus large : révolutions scientifiques, techniques, littéraires et artistiques..., auxquelles étaient consacrées les communications d’une des deux commissions du samedi 4 octobre, dont on trouvera ici les textes en deuxième partie. Un des questionnements récurrents dans ces contributions, et ailleurs, questionnement fondamental pour toute la problématique, consiste à se demander si les usages en question, avec les objets sur lesquels ils portent et les domaines qu’ils visent, n’ont à l’égard de « la révolution » au sens politique et social qu’une valeur métaphorique, s’il ne s’agit pas plutôt d’un usage proprement analogique, ou s’ils entretiennent avec elle, et en quel sens, une relation fonctionnelle effective.

14Dans tous les cas et sous tous ces rapports, la problématique ici abordée comporte, comme j’ai jugé expédient de le souligner par les titres donnés à la première et à la troisième partie, des aspects indissolublement théoriques et historiques, du côté du passé comme du présent et de l’avenir, et des dimensions pratiques et prospectives : d’où sort l’idée de révolution, comment se structure-t-elle et se modifie-t-elle, quels rapports de fait peut-on établir entre l’idée et ses applications ? – l’ère des Révolutions est-elle finie, l’idée est-elle devenue sans objet et sans fonction, ou bien a-t-elle un rôle à jouer dans des circonstances modifiées, sous quelle forme et à quelles conditions ?

15On ne s’attendra bien évidemment pas, comme il en va assurément de toute publication collective de ce genre, mais combien davantage sur un thème comme celui-là, à trouver ici une réponse intégrale et synthétique à cet ensemble de questionnements. Nous espérons du moins qu’on y trouvera des éléments dignes de contribuer à l’élaboration de telles réponses. D’autres rencontres, en préparation ou en perspective, et les publications auxquelles elles donneront lieu, pourront au reste, en parallèle avec le processus historique lui-même, prolonger, enrichir, compléter et approfondir cette contribution et cette élaboration.

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