Version classiqueVersion mobile

Images, cultes, liturgies

 | 
Paola Ventrone
, 
Laura Gaffuri

Sessione terza. I linguaggi religiosi nei sistemi della comunicazione politica: liturgie e rituali

Musique de l’un, musique des autres : les cérémonies royales en milieu capitulaire (France, XVIe siècle - début du XVIIe siècle)

Xavier Bisaro

Texte intégral

  • 1 Cet article se concentrera sur l’entrée du roi lui-même. Lorsqu’elle est présente, la reine pénètr (...)
  • 2 « À ces premières paroles du rite de l’entrée correspondent les dernières qui s’éteindront avec le(...)
  • 3 De nombreuses et suggestives pistes de travail ont néanmoins été proposées par M. Fogel, Les cérém (...)
  • 4 D’ailleurs, cette suprématie implicitement accordée au civil sur le religieux est perceptible dans (...)

1Le déroulement des entrées royales ou princières dans les villes épiscopales de la France moderne possède ses invariants1. Quelles que soient ses circonstances historiques ou géographiques, l’entrée se déploie selon un axe reliant l’extérieur de l’enceinte urbaine à l’intérieur de la cathédrale. Partant hors de la cité où des délégations sont venues le quérir, le cortège du prince s’avance vers une porte au niveau de laquelle une première harangue est adressée au souverain. Après un parcours dans la ville où sont ménagées plusieurs stations au cours desquelles inscriptions, tableaux vivants et machines thématisent la fête, la voie royale débouche finalement sur la cathédrale, parvenant ainsi au terme – selon Marie-France Wagner – du cycle de l’entrée avec le chant du Te Deum2. Or, en raison de son caractère automatique, cette dernière cérémonie liturgico-musicale est tellement assimilée à un point fixe qu’elle détermine un angle mort dans les études consacrées aux entrées3. Comme si le brouhaha de la foule et les mousquetades l’emportaient dans le domaine du sonore, comme si la parole cérémonielle civile prévalait, le moment dans la cathédrale semble insignifiant à force d’être répétitif4.

  • 5 Sur les enjeux de pouvoir au sein de la cathédrale durant l’Ancien Régime, cfr. M. Lours, Espaces (...)
  • 6 Participant jusqu’à cette date à l’élection des évêques, les chapitres cathédraux perdirent ce dro (...)

2Au contraire de cette banalisation de la présence du roi dans le principal édifice religieux de la ville, tout paraît prêt dans la cathédrale pour que les problématiques habituelles de l’entrée soient au moins activées, sinon exacerbées5. Rencontre entre celui qui passe – le prince – et ceux qui demeurent – les chanoines –, frottements entre l’extraordinaire de la fête et la coutume d’un lieu clos régi par une compagnie ecclésiastique qui en est la maîtresse, entrevue entre l’incarnation du pouvoir monarchique et ceux qui doivent nouvellement céder à ce pouvoir depuis le concordat de Bologne (1516)6 : autant de vecteurs mettant en lien lui et ces autres qu’il visite. Dans la cathédrale, les formes sensibles du culte – et la musique particulièrement – dialectisent leur confrontation selon des modalités que cet article propose d’examiner.

  • 7 Rouen (1550, II) ; pour chaque relation citée, la référence complète de la source est donnée en an (...)
  • 8 Ainsi à Rouen où « après avoir quitté le paradis terrestre du jardin élyséen, Henri [II] acheva so (...)
  • 9 Lours, Espaces du sacré, pp. 99-100.
  • 10 M.-F. Wagner - D. Vaillancourt (eds.), Le Roi dans la ville - anthologie des entrées royales dans (...)
  • 11 Les deux sources décrivant l’entrée de Rouen en 1550 fournissent un exemple éloquent de cette vari (...)

3Les sources les plus évidentes sur ces cérémonies – c’est-à-dire les relations d’entrées imprimées – pourraient sembler pauvres tant leurs évocations du Te Deum sont brèves et recourent à un lexique sériel peu différencié. Leurs rédacteurs ne soulignent-ils pas fréquemment que tout s’opère en respectant les « ceremonies accoustumees » et les « bonnes & louables coustumes » ?7 En cela, ces relations ne font que refléter tout d’abord la situation des chapitres dans le processus d’organisation de l’événement et de sa mise en mémoire. Même si la cathédrale et ses abords sont envahis par les décors éphémères de l’entrée (s’inscrivant ainsi dans son continuum visuel et symbolique)8, les chanoines restent souvent à l’écart du groupe des organisateurs locaux plutôt constitué par les élites urbaines dont les rapports à l’évêque sont parfois empreints de tension à la fin du XVIe siècle, et ce malgré leur sensibilité à l’identité épiscopale de la ville qu’elles habitent9. Il faut également tenir compte de la scénographie particulière du Te Deum : rassemblés dans le chœur encore clos de la cathédrale, prince, dignitaires et clergé sont soustraits au regard de la foule qui, bien que présente dans la nef, ne peut les observer. Le moment du Te Deum est donc connu de tous, sans qu’il soit forcément possible d’y avoir directement accès. La réceptivité du relationniste – d’ordinaire commissionné par la municipalité10 –, ou la qualité des informations dont il dispose peuvent autant influer sur sa capacité à dépasser ou non le stade allusif dans sa description du Te Deum11. Enfin, ne recourant pas à l’allégorie parlée ou graphique qui sature l’entrée, la cérémonie à la cathédrale ne nécessite pas d’explication particulière dans les comptes-rendus.

  • 12 Sur les enjeux de la place du Te Deum durant le sacre des rois de France au XVIe siècle, cfr. Foge (...)

4Pourtant, outre que plusieurs relations échappent à ce constat, il reste possible de distinguer d’infimes variantes d’une entrée à l’autre, variantes susceptibles d’attester le fait que le passage du prince par la cathédrale obéit à des logiques diverses, de la même manière que le déroulement des cortèges précédant le Te Deum révèle la rencontre des volontés pas toujours convergentes du souverain et des organisateurs locaux. L’examen de cas précis échelonnés depuis le règne de François Ier jusqu’à celui de Louis XIII permettra donc de relever la souplesse des chapitres cathédraux au moment d’accueillir le roi, mais surtout d’évaluer, dans un contexte moins rigide que celui des cérémonies du sacre royal12, la capacité des chanoines tout comme celle de leur hôte à créer du sens avec leurs propres moyens cérémoniaux et musicaux.

1. La ville-cathédrale

  • 13 Cfr. par exemple l’aménagement intérieur et extérieur de la cathédrale de Metz (1610) dont les por (...)
  • 14 Wintroub, L’ordre du rituel, p. 482.
  • 15 La ville de Rouen en 1550 cherche ainsi à surpasser Lyon (1548) et Paris (1549) : ibidem.
  • 16 Sur le joyeux avènement, cfr. L.M. Bryant, The King and the City in the parisian royal entry cerem (...)
  • 17 En revanche, la réception du roi à la cathédrale et la reformulation de cet engagement ont lieu en (...)
  • 18 Metz (1569). Cfr. également le serment prêté par Henri III à Rouen, ville qui le reçoit à l’occasi (...)

5Dans la plupart des relations, la cathédrale figure telle un microcosme de la cité ouverte et traversée par le roi. Accueilli hors de l’édifice par ses dignitaires qui lui en présentent les attributs (eau bénite, évangéliaire) et qui lui adressent une harangue, le roi franchit ensuite une porte, traverse la nef selon un parcours parfois agrémenté de décorations éphémères13, et pénètre dans le chœur, église dans l’église où s’achève cette entrée dans l’entrée. L’enchâssement de la cérémonie ecclésiastique est d’ailleurs confirmé par la communauté de motivations qui peut exister entre le clergé cathédral et les organisateurs civils de l’entrée royale. Au XVIe siècle, celle-ci est assimilable à un don féodal – c’est le signe d’une allégeance (re)fondée – et courtisan à la fois : sa mise en œuvre s’apparente alors à un investissement « consacré à la création d’une splendide manifestation pour signifier la reconnaissance de l’autorité royale par la municipalité »14. Cette deuxième dimension de l’entrée est rendue encore plus sensible en temps de multiplication des déplacements royaux, une dynamique concurrentielle s’instaurant entre les principaux centres urbains15. Pour finir, l’entrée est également le moyen de faire montre des richesses locales, qu’elles soient intellectuelles, artisanales ou simplement financières. Or, le Te Deum à la cathédrale tient de chacune de ces trois finalités, tout en restant imprégné par le modèle du joyeux avènement, cérémonie scellant le pacte entre le clergé de Notre-Dame de Paris et le roi nouvellement couronné de retour de Reims16. Cet héritage médiéval est notamment perceptible lors de la réception de François Ier à Rouen en 1517 : l’entrée du monarque dans la cathédrale par une porte normalement fermée est associée à la confirmation d’un don royal au bénéfice du chapitre, trait caractéristique du joyeux avènement17. Néanmoins, l’imitation de cette cérémonie peut prendre une acuité particulière lorsque, durant les Guerres de Religion, Charles IX accueilli à Metz en 1569 en présence du Cardinal de Lorraine prête serment dans la nef de la cathédrale de persévérer et de vivre selon les constitutions de l’église, alors que celle-ci traverse un épisode de contestation sans précédent18.

  • 19 « Et comme tres Chrestien [Henri III] allant premierement en la maison d’oraison, il y fut solenne (...)

6Comme lors de la progression du cortège royal dans la cité, la musique de la cathédrale entendue au moment où le roi s’y trouve est d’abord constitutive d’un ‘bruit’ global dont chaque élément renvoie à l’éthos de la fête princière : la musique vocale ou instrumentale rejoint ainsi les sonneries de carillon de la cathédrale en un décor sonore sur lequel se détache la parole de la harangue19. Cependant, la diversité de ces composantes n’empêche pas les chanoines de veiller à ce que leur bas-chœur de musiciens apparaisse sous son meilleur jour : de la même manière que la ville est réorganisée en prévision de l’entrée, les enfants de chœur voient leurs traditionnelles vacances de juillet supprimées afin d’être prêts pour la venue du roi lorsque celle-ci est prévue pour le mois d’août (Rouen, 1517). Même si l’oreille du relationniste relègue la musique au second plan de son récit, les chanoines soignent manifestement la préparation de l’événement jusque dans ses dimensions sonores.

  • 20 « Puis [la reine] entra dans l’Eglise : conduicte au cœur, Prieres dictes & quelques motetz chante (...)
  • 21 Pour une analyse sémantique et politique du Te Deum, cfr. J. Ugarte, Deux grands hymnes idéologiqu (...)

7Le style évasif et la concision des descriptions de Te Deum ne doivent pas non plus faire oublier que la musique figurée devient signifiante au cours de la cérémonie. Elle annonce avant tout le lieu du chœur où se déploie le cérémonial aural de l’oraison royale20 : à l’instar de certaines pièces de mobilier (le maître-autel, les stalles, le grand lutrin…), la musique définit le site cérémoniel choisi pour accueillir le prince, c’est-à-dire le chœur capitulaire. Parce que consciemment mis en relation avec les cérémonies du pouvoir à l’époque moderne21, le chant du Te Deum est en outre lié à la personne même du roi. Le déclenchement de son exécution peut alors ne plus simplement expliciter l’approche du chœur, mais marquer précisément l’entrée du roi dans celui-ci :

  • 22 Metz (1569).

« Et à l’instent fut conduit [Charles IX] dans le cœur de l’Eglise, ou les Orgues & Chantres d’icelle, commencerent à chanter le Cantique de Te Deum laudamus, avec plusieurs autres cantiques, Psalmes & suffrages, en si grande devotion & reverence, que les yeulx des assistans & auditeurs, ruisseloient de larmes »22.

8Le rapport entre la musique ecclésiastique du Te Deum et la personne du roi est encore consolidé par les relationnistes faisant de cette scène un révélateur de la dévotion et du plaisir princiers. Dans le ‘scénario’ rédigé par le relationniste de l’entrée à Metz en 1610, Henri IV apparaît dès lors comme le sujet, mais aussi l’objet de la musique, celle-ci favorisant – dans une optique néoplatonicienne – sa préparation au climax du Te Deum :

  • 23 Metz (1610) ; ce texte est rédigé selon une stratégie narrative ‘ subjective’ : les actions de l’e (...)

« Enfin le chant de loüange venant tout a coup à toucher l’oreille & le cœur de sa Majesté, Elle prosternée entendit devotement le Te Deum relevé de Musique de voix, & d’instrumens, avec tant d’harmonie soustenue par les Orgues, que les esprits en sont ravis »23.

  • 24 « Apres la celebration des ceremonies accoustumees en tel effect & que le Roy eust fait son oraiso (...)
  • 25 Rouen (1558).

9Toutefois, cette personnalisation du lien entre le Te Deum et le prince n’exclut pas la signifiance de cet acte musical pour le chapitre lui-même. L’exécution que les chanoines organisent revêt un caractère exceptionnel à plusieurs titres, ce que les comptes-rendus savent suggérer24. Habituellement inscrit dans le prolongement des cérémonies royales, le Te Deum constitue en revanche pour les chanoines un écart liturgique : certes couramment chanté à la fin de l’office des matines, le Te Deum est paré de moyens extraordinaires dans le cas précis de la venue d’un souverain, se trouvant alors en situation d’appendice cérémoniel de la laus perennis sur laquelle il se greffe. Orgues et polyphonie vocale ne sont pas d’un usage quotidien dans l’habitus canonial, et leur emploi souligne plutôt la conjoncture festive voire exceptionnelle. Faire chanter le Te Deum « en musique & sons d’orgue » revient ainsi manifester, selon l’expression d’un relationniste, un « signe de joye »25.

  • 26 Rouen (1550, II).
  • 27 Lours, Espaces du sacré, p. 98.

10Déployer ces moyens est en somme assimilable à une offrande au roi de ce que l’on possède de plus précieux, comme lorsque que l’on revêt à l’occasion de sa venue « des beaulx & excellents aornements d’icelle eglise enrichis d’exquise orfaverie & subtile broderie d’or & d’argent semee de Perles & gemmes fines »26. S’il est d’un usage démonstratif au début du XVIe siècle, cet étalage de la musique cathédrale devient progressivement une affirmation de la santé du corps ecclésiastique local. Dans un royaume où plus de la moitié des cathédrales seront victimes des exactions huguenotes27, il apparaîtra en effet nécessaire d’afficher ses mérites cérémoniaux afin de donner une image présentable de l’intégrité sacrale du lieu. De la même manière que la visite des reliques de la cathédrale endossera un sens nouveau à partir de la fin du XVIe siècle, la qualité musicale de l’accueil du roi en ce lieu deviendra le signe audible d’une stabilité recouvrée.

11Finalement, puisque l’entrée à la cathédrale reproduit à échelle d’un lieu unique l’entrée royale dans sa totalité, les chanoines organisent leurs cérémonies à l’instar des édiles civils : leur musique est à la fois marqueur de la circonstance, don au roi et preuve de leurs capacités.

2. Le roi-chanoine

  • 28 « [Deux chanoines donnent au roi] une riche & tresprecieuse croix & mise à son col, que l’on dict (...)
  • 29 Sur le contexte particulier de cette entrée, cfr. Y. Lignereux, Les « trois corps du roi ». Les en (...)
  • 30 « Messire Nery de Tourveon Chanoine & grand Obeancier en l’Eglise sainct Just, usant du Privilege (...)
  • 31 Lyon (1595). Après ces propos du doyen du chapitre primatial de Saint-Jean, l’archevêque revient s (...)

12Un deuxième modèle serait defini par les cérémonies où roi et chapitre semblent opérer à statut égal. Dans un tel contexte, la proximité entre le prince et les chanoines peut prendre la forme d’un échange d’objets28 ou de signes de concorde ostensiblement montrés par le roi, surtout lorsque ce dernier procède à des entrées de réconciliation après une période troublée. Abordant en 1595 la capitale ligueuse que fut Lyon29, Henri IV est justement dans cette situation. À l’extérieur de la ville, il commence par relever le chanoine venu le haranguer30, avant que celui-ci ne lui rappelle que l’église de Lyon est « l’ornement du Clergé de France, la preuve des nobles familles, l’exemple de la premiere discipline de l’église, compagnie tres-religieuse en ses ceremonies, & de tout temps ennemie des nouveautez »31. En contrepartie de la reconnaissance de cette identité, le chapitre lyonnais se retrouve instrumentalisé par le discours royal, Henri IV profitant de la fierté capitulaire pour mieux la retourner :

  • 32 Lyon (1595), p. 95.

« je croiy que ceste compagnie estant la premiere de mon Clergé, & remplie de Gentils-hommes qui approchent des Rois plus pres que les autres, elle servira d’exemple de la fidelité & de l’obeissance qu’on doit au Souverain »32.

  • 33 « l’eglise de lyon est immuable & quod non suscepit novitates. Parquoy en icelle on ne chante que (...)
  • 34 L’usage du Te Deum à ce titre n’est pas inconnu dans l’Europe du XVIe siècle : son chant conclut a (...)
  • 35 Lours, Espaces du sacré, p. 109. Cette place est reconnue à la personne du roi dans plusieurs cath (...)

13Cette réconciliation culmine avec l’intronisation du roi au chapitre. Parvenu à la primatiale Saint-Jean, Henri IV est effectivement créé premier comte de la compagnie : un surplis lui est donné ; le roi le porte jusque devant l’autel ; il se met à genoux ; « au mesme instant le clergé commença à chanter le Te Deum laudamus ». Même si cette conclusion chantée donne l’impression de renouer avec les codes habituels de l’entrée royale, c’est bien une autre cérémonie qui se déroule ici. Dans une cathédrale sur laquelle aucune inscription ou décoration n’a été plaquée, dans un chœur vide de toute installation palatine (ni trône, ni baldaquin), le Te Deum résonne mais chanté par le clergé de la primatiale Saint-Jean seul, c’est-à-dire en plain-chant et sans musique figurée conformément aux statuts du chapitre lyonnais particulièrement stricts en la matière33. En somme, ce Te Deum proprement capitulaire accompagne de manière adéquate ce rituel d’intégration du roi à un corps ecclésiastique34, et la cérémonie transforme la cathédrale en un « lieu de communion »35 nouvellement instaurée.

3. Le prince en son église

  • 36 Lyon (1564).

14Un troisième et dernier type de cérémonie donne plutôt à voir le caractère intrusif que peut revêtir le Te Deum. De manière générale, le roi porte toujours avec lui son cérémonial ou, en tout cas, celui attaché à son entrée : on le reçoit invariablement « avec les cérémonies accoustumées »36 liées à sa venue. D’autre part, il arrive que la cathédrale abrite le roi pour des offices à l’écart de l’entrée proprement dite. Dans ce cas, l’église publique se transforme en chapelle privée, comme à Lyon au moment de l’entrée d’Henri III en 1574. Le Te Deum ayant été chanté en l’absence du roi avant son entrée, celui-ci se contente d’assister à une messe à la primatiale :

  • 37 Lyon (1574).

« Le mercredy, huictieime dudict moys, jour de la Nativité nostre Dame, sa Majesté alla ouïr la Messe en ladicte Eglise Sainct Jean, laquelle Messe fut chantée devotement en Musique, & celebrée par Monsieur Dangers [sic], qui administra sadicte Majesté assistée de deux Cardinaux, des Princes & grans Seigneurs de sa Cour, avec une tresgrande multitude de peuple, louant Dieu de bon cœur de son heureux retour en la France »37.

  • 38 Appellation de la messe entendue par le roi le lendemain de son entrée dans Avignon (1622), p. 260

15Même si les lieux sont ceux du principal chapitre lyonnais, le dispositif est très clairement royal : la messe est dite par l’évêque d’Angers et confesseur du roi, Guillaume Ruzé ; elle est également chantée en musique alors que les usages de cette cathédrale le proscrivent en temps normal. La messe en polyphonie entraîne donc la probable nécessité de chantres musiciens, peut-être ceux de la Chapelle royale, en tout cas distincts des chantres du bas-chœur de la primatiale Saint-Jean. Résonne alors dans les murs mêmes des chanoines-comtes lyonnais un son certes ecclésiastique, mais étranger à leur église. À la présence des membres de la cour royale – auxquels s’ajoutent plusieurs prélats extérieurs – répond donc le décor sonore qui leur est propre. Occasionnées par l’occurrence d’un dimanche ou d’une fête liturgique lors des journées consacrées à l’entrée, ces messes royales sont en outre encadrées par des cérémonies liées à la sacralité du souverain (toucher des écrouelles à Rouen le jour de Noël 1596, à Metz le jour de Pâques 1610). C’est donc naturellement qu’elles sont qualifiées de « Messe du Roy »38 où que celui-ci se trouve.

16Progressivement, ce sont pourtant les cérémonies religieuses de l’entrée elle-même qui accordent une importance grandissante à l’habitus curial. À la manière des villes de plus en plus envahies par la geste absolutiste, la cathédrale semble traitée à la fois avec plus de distance et plus d’interventionnisme, comme il apparaît lors de l’entrée de Louis XIII à Troyes en 1629. Au cours de cette manifestation, la première église accueillant le souverain est la collégiale Saint-Étienne, collégiale étroitement liée à l’histoire des comtes de Champagne avant de devenir royale. Salué par le chapitre de cette église comme il l’est ordinairement par celui d’une cathédrale, le roi assiste ensuite depuis un oratoire éphémère à une messe dite au maître-autel de la collégiale selon le dispositif suivant :

  • 39 Troyes (1629), p. 104. En outre, les orgues jouèrent pendant les processions d’entrée et de sortie (...)
  • 40 « Dès qu’il est éveillé, [Louis XIII] récite à genoux l’exercice quotidien du Chrétien, selon les (...)
  • 41 Troyes (1629), pp. 116-118.
  • 42 Dispositif déjà décrit pour l’entrée de Limoges (1605). Le sens de cette transformation des lieux (...)

17Alors que la messe est célébrée par un des chapelains royaux, « les Chantres & enfans de chœur chanterent au Jubé des motets en Musique »39. Le dispositif capitulaire est ici oublié au profit de celui, familier au roi, de la messe basse durant laquelle sont exécutés des motets en musique40. De la même manière que dans les palais qui l’hébergent, le roi est ici hôte provisoire d’un lieu qu’il s’approprie suffisamment pour que son étiquette musicale prime sur celle des habitants permanents. Le Te Deum chanté le lendemain à la cathédrale semble se dérouler selon des modalités moins privatives : l’aumônier du roi n’est plus à ses côtés et l’évêque de Troyes officie pontificalement41. Néanmoins, la décoration allégorique réserve une large place aux armes de France (façade) et aux inscriptions évoquant l’élection divine du lys ou les vertus du roi (panneaux dans la nef et tableaux sur le jubé). Mais c’est dans le chœur que l’installation royale est la plus marquante. Les chanoines dans leurs stalles et l’évêque dans sa chaire épiscopale sont en effet devancés par le roi, placé dans un oratoire en bois construit le plus près possible du sanctuaire, en pointe du chœur42. La dimension musicale de la cérémonie confirme ce centrage sur la personne politique du souverain :

  • 43 Troyes (1629), p. 119.

« Ce faict la musique desdites deux Eglises jointes ensemble commença à chanter au jubé avec les Orgues le Te Deum avec le Psalme Exaudiat, à la fin duquel ledit Sieur Evesque dist les Antiennes & Collectes accoustumées pour le Roy, & termina ceste action par sa benediction. Pendant laquelle musique sa Majesté faisant ses prieres regarda attentivement plusieurs fois les precieux reliquaires en grand nombre de ladite Eglise, que l’on avoit mis sur le Maistre Autel »43.

  • 44 « Domine, salvum fac regem, et exaudi nos in die qua invocaverimus te ». Michèle Fogel faite remon (...)
  • 45 Boureau, Les cérémonies royales, p. 1258.

18Outre que les musiques de deux églises cathédrale et collégiale sont réunies – il ne s’agit donc plus pour la cathédrale seule de faire valoir ses forces –, le Te Deum est désormais couplé au psaume XIX dont le dernier verset est chanté pour le roi à la fin de toute messe haute dans les églises du royaume44. Perdant de sa singularité, ce Te Deum prend ainsi part à la prière musicale régulière en faveur du roi et se détache nettement des usages capitulaires de la cathédrale troyenne pour mieux participer au « grand paradigme commémoratif de l’État »45.

  • 46 Bordeaux (1615), p. 8.
  • 47 Sur la fonction des chapelles de musique princières dans la construction de l’image du pouvoir pri (...)
  • 48 Entrant dans Avignon en 1622, le roi transitera pareillement par la cathédrale puis par le collège (...)
  • 49 Bordeaux (1615), p. 8. Cet attrait pour l’architecture religieuse nouvelle et les modes d’expressi (...)
  • 50 Ibid., p. 16.

19L’occupation royale des lieux est encore plus évidente à Bordeaux lors de l’entrée de Louis XIII en 1615. Parce qu’occasionnée par son mariage, cette manifestation se démarque du modèle de l’entrée de prise de pouvoir. De plus, encore adolescent, le roi est insuffisamment impliqué dans les affaires du royaume et trop jeune pour que cette entrée donne lieu à un rite d’association ou d’intégration au chapitre cathédral. Ces conditions particulières favorisent alors l’utilisation des lieux de culte bordelais d’une manière « palatine ». Ce sont tout d’abord des églises périphériques, non paroissiales et souvent liées à des ordres nouvellement établis ou fraîchement réformés, qui sont transformées en oratoires personnels pour la famille royale. La toute neuve église des Pères Minimes est choisie par le roi pour écouter vêpres « qui furent chantées par sa Musique »46, c’est-à-dire la Chapelle royale47. De son côté, la reine investit l’église de la Congrégation de Notre-Dame, ordre féminin récemment fondé par saint Pierre Fourier48. Attirant avec elle les « plus grands de la Cour », elle est finalement rejointe par le roi, celui-ci « peut estre entendu que cette Chappelle estoit belle & devote »49. Quant à la cathédrale retenue pour recevoir le consentement des époux, elle est ornée de tapisseries appartenant à la Maison du Roi et « portées tout exprés de Paris »50. Le chœur lui-même reflète la transformation complète du lieu en chapelle palatine. Non seulement son espace est occupé en son centre par un échafaud couvert d’un dais abritant le roi, la reine et la reine-mère, mais il est en plus surélevé d’une galerie posée au-dessus des stalles canoniales. Enfin, il est aménagé pour accueillir un dispositif musical reflétant la circonstance :

  • 51 Ibid., p. 17.

« A ces deux costez, mais plus pres de l’autel, on avoit dressé deux galeries, l’une pour la Musique du Roy, qui estoit du costé de Monsieur le Cardinal, & l’autre pour celle de la Royne qui estoit au costé opposite »51.

20Exit les chanoines, oubliés les chantres du chapitre : au milieu des grands, des ambassadeurs, des jurats et des membres du Parlement local, seul l’archevêque de Bordeaux en habits pontificaux est là pour rappeler que l’événement se déroule bien à la cathédrale Saint-André.

21La relation de l’entrée marseillaise de 1622 confirme le rôle effacé que joue désormais la cathédrale, au moins pour ceux qui assurent le récit de l’événement. Alors qu’aucune cérémonie ecclésiastique n’est décrite, le passage du roi devant les chanoines ressemble plus à une déambulation en milieu curial au cours de laquelle les chanoines adoptent des attitudes protocolaires attendues en vertu d’une forme de civilité publique entre roi et chapitre :

  • 52 Marseille (1622), p. 529.

« Le Roy fut conduit en mesme ordre en l’eglise cathedralle Majeur. On fit tirer les gros canons de campagne et les couleuvrines qui deffendent la mer contre de ladite eglise, où il y fut receu par Messieurs du chapitre, qui observerent exactement les ceremonies et rendirent au Roy les actions d’humilitté et d’obeissance à quoy les vrais et naturels subjects sont tenus et obligés envers leur prince couronné, au deffenseur et protecteur de l’eglise de Dieu et de la religion catholique ; Monsieur l’official lui en fit de particuliers remerciements »52.

  • 53 Fogel, Les cérémonies de l’information, p. 144.
  • 54 Paris (1629), p. 18.
  • 55 D. Vaillancourt, La ville des entrées royales : entre transfiguration et défiguration, « XVIIe siè (...)
  • 56 Boureau, Les cérémonies royales, p. 1260.
  • 57 H. Visentin, Des tableaux vivants à la machine d’architecture dans les entrées royales lyonnaises (...)
  • 58 Sur la notion d’équilibre entre initiatives de la communauté recevante et attentes des pouvoirs po (...)

22Quelques années plus tard, entrant à Paris suite à la prise de La Rochelle, la réception de Louis XIII à Notre-Dame pourrait prendre des formes plus canoniques et canoniales. Hormis le fait que la cathédrale parisienne soit considérée officieusement comme la paroisse du roi53, le virage semble pourtant définitivement pris en dépit de la persistance d’éléments anciens. Accueilli par l’archevêque et le chapitre, le roi traverse la nef, entre dans le chœur et, « aussi-tost se chanta le Te Deum en Musique »54. Toutefois, au lieu de reliques ou de curiosités ecclésiastiques, Louis XIII admire dans son parcours les drapeaux de vaincus qu’il avait fait installer dans la nef de la cathédrale un an auparavant, et son agenouillement devant l’autel est observé par « Messieurs de la Ville » dans les stalles hautes, ceux-ci ayant rejoint le chœur pendant que l’archevêque haranguait le roi devant le portail de l’église ! Pour paraphraser Daniel Vaillancourt, ce dispositif cérémoniel procède non pas d’une transfiguration de la cathédrale mais plutôt de sa défiguration55, et l’opération de « détournement »56 des prérogatives capitulaires s’avère achevée. Alors que le public-spectateur des entrées tardives telles que celle-ci à tendance à se taire57, la musique qu’il peut écouter a certes peu changé depuis plusieurs décennies : le Te Deum en musique reste ce qu’il est. L’équilibre entre chapitre et souverain que cette musique sonorise n’en est pas moins radicalement nouveau58.

  • 59 Cfr. la récente publication de C. Davy-Rigaux - B. Dompnier - D.-O. Hurel (eds.), Les cérémoniaux (...)
  • 60 F. Le Moigne, 1941-1951 : les deux corps de Notre-Dame de Paris, « Vingtième siècle. Revue d’histo (...)
  • 61 R. Chartier, Georges Dandin ou le social en représentation, « Annales Histoire, Sciences sociales  (...)

23Au terme de cette trop brève typologie des cérémonies royales en milieu capitulaire, plusieurs enseignements sont néanmoins possibles. D’une part, le potentiel historiographique des cérémonies ecclésiastiques de l’époque moderne apparaît comme essentiel. Souvent terrorisé par la technicité des comptes-rendus ou, au contraire, par leur apparente insignifiance, le regard glisse à la surface de ces documents qui doivent permettre, au contraire, d’aborder des aspects importants de la société ecclésiastique et de ses rapports au monde qui l’entoure59. Plus particulièrement, il serait envisageable de sonder ce qui se dessine, au moins en France, comme une réelle culture du Te Deum depuis la Renaissance jusqu’au milieu du XXe siècle60. Il conviendrait également de souligner le fait que, même si le texte d’une action musicale demeure constant, son effet aux oreilles des acteurs de la scène peut, en revanche, différer profondément. De la même manière que Roger Chartier le fit pour l’écrit imprimé ou pour des représentations théâtrales61, il deviendrait donc possible de faire parler une action musicale du passé non pas seulement en termes stylistiques ou littéraires, mais aussi en considérant les multiples conditions de sa mise en œuvre. Envisagée de la sorte dans le cas de ces cérémonies de Te Deum en présence du roi, la musique ecclésiastique retrouve alors toutes les fonctions qu’elle endossa à l’époque moderne : solenniser la prière selon les contingences d’une circonstance précise ; encourager la dévotion par le ressort sensoriel ; se présenter, voire s’imposer à l’écoute et au regard des autres.

Annexes

Annexe

Relations d’entrée étudiées

Rouen (1517)

Charles de Robillard de Beaurepaire (ed.), L’entrée de François Premier roi de France dans la ville de Rouen au mois d’août 1517, Rouen, Imprimerie de Henry Boissel, 1867

Paris (1549)

C’est l’ordre qui a esté tenu a la nouvelle et joyeuse entrée [de Henri II à Paris], Paris, Jacques Rosset, [1549]

Rouen (1550)

Auguste Beaucousin (ed.), L’entrée à Rouen du roi et de la reine Henri II et Catherine de Médicis, Rouen, Imprimerie de E. Cagniard, 1882Entrée à Rouen du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis en 1550, Rouen, Imprimerie de Espérance Cagniard, 1885

Lyon (1564)

Discours de l’entrée de Tresillustre, Trespuissant, Treschretien, & Tresvictorieux Prince Charles de Valois neuviéme de ce nom, Paris, Pour Pathurin Breuille, 1564

Metz (1569)

La Celebre et magnifique entrée de Charles neuviesme, Tres-chrestien Roy de France, faicte en sa Ville & Cité de Metz, Paris, Par Jean Dallier, 1569

Lyon (1574)

L’Ordre tenu à l’arrivée du Treschrestien Roy de France & de Pologne, Henry de Valois troisiesme de ce nom, Lyon, Par Benoist Rigaud, 1574

Rouen (1588)

Brief Discours sur la bonne et jouyeuse reception faicte a la Majesté du Roy par ses tres fidelles & obeïssants subjects de la ville de Rouen, Rouen, Chez Pierre Courant, 1588

Lyon (1595)

L’Entrée de tres-grand, tres-chrestien, tres-magnanime et victorieux prince Henry III Roy de France & de Navarre, Lyon, De l’imprimerie de Pierre Michel, s. d.

Rouen (1596-1597)

J. Felix - Charles de Robillard de Beaurepaire (eds.), Entrée à Rouen du roi Henri IV en 1596, Rouen, Imprimerie de Espérance Cagniard, 1887

Limoges (1605)

Achille Leymarie (ed.), Trois royales entrées à Limoges, Limoges, Ardillier, 1845

Metz (1610)

Abraham Fabert, Voyage du Roy a Metz, l’occasion d’iceluy : ensemble les signes de resiouyssance faits par ses habitans pour honorer l’entrée de sa majesté, [Metz], 1610

Bordeaux (1615,

à l’occasion du mariage de Louis XIII et Anne d’Autriche)L’Heureuse arrivee du Roy dans Bourdeaus, et ce qui s’y est passé despuis, Lyon, Par Nicolas Jullieron, 1615

Orléans (1616)

Les Cérémonies faictes à l’entrée du Roy & de la Royne […], Lyon, Par Guichard Pailly, 1616

Rouen (1617)

Discours sur les preparatifs et magnificences faictes pour la reception de sa Majesté en sa bonne ville de Roüen, Paris, Chez Sebastien Lescuyer, 1617

Soissons (1618)

Description du voyage du Roy et discours a Messieurs de Soissons, Paris, Chez Nicolas Alexandre, 1618

Chartres (1619)

Les Magnificences preparees en l’Eglise Nostre Dame de Chartres, Lyon, Par François Yvrad, 1619

Tours (1619)

Les Triomphes et magnificences faicts a l’entree de la Royne mere du Roy en la ville de Tours, Lyon, Par François Yvrard, 1619

Saintes (1620)

L’Arrivée de Monsieur le duc d’Espernon, vers Sa Majesté, Lyon, Chez Claude Armand dit Alphonce, 1620

Béarn (1620)

Veritables Memoires de ce qui s’est passé de jour en jour au voyage du Roy, Paris, Chez Julian Jaquin, 1620

Marseille (1622)

M.-CL. Canova-Green, L’entrée de Louis XIII dans Marseille le 7 novembre 1622, « XVIIe siècle », CCXII (2001), 3, pp. 521-533

Avignon (1622)

La Voye de laict ou le Chemin des Heros au Palais de la Gloire, Avignon, De l’Imprimerie de I. Bramereau, 1623

Troyes (1629)

M.-F. Wagner, D. Vaillancourt (eds.), Le Roi dans la ville : anthologie des entrées royales dans les villes françaises de province (1615-1660), Paris, Honoré Champion, 2001

Paris (1629)

Eloges et discours sur la triomphante reception du Roy en sa ville de Paris apres la reduction de La Rochelle, Paris, Chez Pierre Rocolet, 1629

Notes

1 Cet article se concentrera sur l’entrée du roi lui-même. Lorsqu’elle est présente, la reine pénètre dans la ville puis dans la cathédrale avant ou après le monarque selon un cérémonial réduit.

2 « À ces premières paroles du rite de l’entrée correspondent les dernières qui s’éteindront avec le Te Deum laudamus, chanté invariablement à la cathédrale, lieu ultime de toutes les cérémonies, même lors des déambulations plus ou moins improvisées » ; M.-F. Wagner, De la ville de province en paroles et en musique à la ville silencieuse ou la disparition de l’entrée royale sous Louis XIII, « XVIIe siècle », LIII (2001), 3, p. 464. Lors de rares entrées, le Te Deum en cérémonies est précédé d’exécution de cette même hymne dans le cadre des tableaux vivants ponctuant la procession. Ainsi, à Troyes en 1486, une jeune fille présente son cœur à Charles VIII, environnée par deux autres allégories : « La seconde fille qui ioüoit des orgues, & chantoit dessus un agréable Te Deum, exprimoit la joye & la liesse que ressentoit le peuple de voir son Roy. Quant à la troisiéme fille qui fournissoit le vent [pour l’orgue], elle denotoit la mémoire que la Ville devoit eternellement avoir des bienfaits souvent receus de sa Majesté, avec l’attente d’autres encore plus grands, qu’il luy auroit plû par sa bonté leur promettre à sa venüe » ; Théodore et Denis Godefroy, Le Ceremonial françois, Paris, Chez Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1649, I, p. 679. Toutefois, l’appellation générique Te Deum désignera dans cet article l’ensemble des cérémonies occasionnées par l’accueil du monarque dans une cathédrale à l’issue d’une entrée royale.

3 De nombreuses et suggestives pistes de travail ont néanmoins été proposées par M. Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1989.

4 D’ailleurs, cette suprématie implicitement accordée au civil sur le religieux est perceptible dans certaines métaphores employées par les chercheurs travaillant sur les entrées royales. Marie-France Wagner considère ainsi que la parole cérémonielle entendue au long d’une entrée édifie ‘une ville’ se superposant à la ville du quotidien : Wagner, De la ville de province, p. 464. Plus généralement, sur le déficit de prise en compte des pratiques liturgiques par les historiens cérémonialistes, cfr. A. Boureau, Les cérémonies royales françaises entre performance juridique et compétence liturgique, « Annales. Économies, Sociétés, Civilisations », XLVI (1991), 6, p. 1256.

5 Sur les enjeux de pouvoir au sein de la cathédrale durant l’Ancien Régime, cfr. M. Lours, Espaces du sacré et du pouvoir. La cathédrale et la ville moderne en France (vers 1560-1790), « Histoire », VII (2003), 1, pp. 97-120.

6 Participant jusqu’à cette date à l’élection des évêques, les chapitres cathédraux perdirent ce droit à l’occasion de ce concordat.

7 Rouen (1550, II) ; pour chaque relation citée, la référence complète de la source est donnée en annexe.

8 Ainsi à Rouen où « après avoir quitté le paradis terrestre du jardin élyséen, Henri [II] acheva son périple en entrant dans la cathédrale Notre-Dame. Le rite de passage touchait ici à sa fin, lorsqu’il changea symboliquement ses habits et s’agenouilla pour prier devant l’image de la Vierge Marie » ; M. Wintroub, L’ordre du rituel et l’ordre des choses : l’entrée royale d’Henri II à Rouen (1550), « Annales. Histoire, Sciences Sociales », LVI (2001), 2, p. 490.

9 Lours, Espaces du sacré, pp. 99-100.

10 M.-F. Wagner - D. Vaillancourt (eds.), Le Roi dans la ville - anthologie des entrées royales dans les villes françaises de province (1615-1660), Paris, Honoré Champion, 2001, p. 14. Le fait que de nombreux relationnistes au XVIIe siècle soient jésuites (Wagner, De la ville de province, p. 467) pourrait également expliquer la relative indifférence de ces textes à l’égard de cérémonies mettant en valeur les usages et les moyens de chapitres séculiers.

11 Les deux sources décrivant l’entrée de Rouen en 1550 fournissent un exemple éloquent de cette variabilité de la description de la cérémonie du Te Deum.

12 Sur les enjeux de la place du Te Deum durant le sacre des rois de France au XVIe siècle, cfr. Fogel, Les cérémonies de l’information, p. 161.

13 Cfr. par exemple l’aménagement intérieur et extérieur de la cathédrale de Metz (1610) dont les portails sont masqués par un arc, et le jubé orné de tableaux allégoriques (la Paix et la Justice) prolongeant le vocabulaire iconographique employé pour la décoration des rues de la ville.

14 Wintroub, L’ordre du rituel, p. 482.

15 La ville de Rouen en 1550 cherche ainsi à surpasser Lyon (1548) et Paris (1549) : ibidem.

16 Sur le joyeux avènement, cfr. L.M. Bryant, The King and the City in the parisian royal entry ceremony : politics, ritual and art in the Renaissance, Genève, Librairie Droz, 1986.

17 En revanche, la réception du roi à la cathédrale et la reformulation de cet engagement ont lieu en deux temps, à quelques jours de distance.

18 Metz (1569). Cfr. également le serment prêté par Henri III à Rouen, ville qui le reçoit à l’occasion de la signature de la paix contrainte avec la Ligue (édit d’Union, 1588).

19 « Et comme tres Chrestien [Henri III] allant premierement en la maison d’oraison, il y fut solennellement receu de Messieurs les Ecclesiastiques & Chanoines de l’Eglise metropolitaine fondée de nostre Dame, avec Motets, Chants spirituels en Musique, & sons d’orgues et de cloches, avec une Harangue, et bien venüe consolative, doctement prononcée, & par sa Majesté bien ententivement escoutée » ; Rouen (1588).

20 « Puis [la reine] entra dans l’Eglise : conduicte au cœur, Prieres dictes & quelques motetz chantez par les Chantres » ; Metz (1569).

21 Pour une analyse sémantique et politique du Te Deum, cfr. J. Ugarte, Deux grands hymnes idéologiques : le Te Deum, l’Internationale, « Mots », LXX (2002), pp. 9-26.

22 Metz (1569).

23 Metz (1610) ; ce texte est rédigé selon une stratégie narrative ‘ subjective’ : les actions de l’entrée ou les bâtiments de la ville sont décrits en fonction de l’appréciation que le roi porte à leur sujet. Henri IV est décrit de la même manière dans la relation de l’entrée de Limoges (1605), p. 58. La relation de l’entrée avignonnaise de Louis XIII en 1622 insiste pareillement sur le rapport entre la musique et la personne du roi qui « oüy devotement & avec demonstration de plaisir le Te Deum laudamus que Mr de la Tour originaire de Namur en Flandres & maistre de la Chapelle de ceste Eglise, fit chanter superbement sur l’orgue avec quelques autres motets » ; Avignon (1622), p. 259.

24 « Apres la celebration des ceremonies accoustumees en tel effect & que le Roy eust fait son oraison, le Tedeum laudamus cantique d’exultation accompaignée d’action de graces fut aux orgues & a voix doulce musicalement chanté, pour l’heureulx & desiré advenement du roy » ; Rouen (1550, II).

25 Rouen (1558).

26 Rouen (1550, II).

27 Lours, Espaces du sacré, p. 98.

28 « [Deux chanoines donnent au roi] une riche & tresprecieuse croix & mise à son col, que l’on dict avoir esté portée par ce grand Empereur Charlesmagne, & par luy donnée à la dicte Eglise, pour un joyau tresprecieux & rare, y ayant de la vraye croix : et tousjours depuis la portée le Roy à son col » ; Metz (1569). Dans ce cas, l’échange d’objets scelle la proximité entre le chapitre et le roi, en même temps qu’il souligne la lignée dynastique de ce dernier.

29 Sur le contexte particulier de cette entrée, cfr. Y. Lignereux, Les « trois corps du roi ». Les entrées d’Henri IV à Lyon, 1594-1596, « XVIIe siècle », LIII (2001), 3, pp. 405-417. Sur la fonction des entrées durant le règne d’Henri IV, cfr. S.A. Finley-Croswhite, Henry IV and the towns. The pursuit of legitimacy in French urban society, 1589-1610, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, chapitre III.

30 « Messire Nery de Tourveon Chanoine & grand Obeancier en l’Eglise sainct Just, usant du Privilege dont sa dignité de tout temps a esté honnoree pour porter la parolle, les voeus, & les remontrances du Clergé à l’entree des Rois, se presenta à ses pieds, mais comme il se prosternoit, sa Majesté le fit lever & entendit de luy cette harangue » ; Lyon (1595). Le relationniste insiste peu après sur le fait que le clergé s’adressa au roi debout.

31 Lyon (1595). Après ces propos du doyen du chapitre primatial de Saint-Jean, l’archevêque revient sur ce thème durant sa harangue au roi. En comparaison, la harangue adressée en 1622 à Louis XIII par le capiscol du chapitre cathédral de Marseille est exempte de toute référence à l’ancienneté et aux coutumes de sa compagnie ; cfr. Marseille (1622), p. 526.

32 Lyon (1595), p. 95.

33 « l’eglise de lyon est immuable & quod non suscepit novitates. Parquoy en icelle on ne chante que plain chant sans aucune chose faicte, ny orgue, ny aultres instrumens quelconques » ; Symphorien Champier, Ung petit livre de lantiquite de Lyon (1530), cité par D.A. Sutherland, The Lyons contrapunctus (1528), Madison, A-R Editions, 1976, I, p. XXII note 44. Sur la vie musicale lyonnaise au XVIe siècle, cfr. F. Dobbins, Music in Renaissance Lyon, Oxford, Oxford University Press, 1992.

34 L’usage du Te Deum à ce titre n’est pas inconnu dans l’Europe du XVIe siècle : son chant conclut ainsi la cérémonie d’intronisation des novices de plusieurs confréries de disciplinati italiennes, ainsi que le prévoit leur libro da compagnia (information aimablement communiquée par Fañch Thoraval).

35 Lours, Espaces du sacré, p. 109. Cette place est reconnue à la personne du roi dans plusieurs cathédrales (le roi est chanoine d’honneur de Bourges, Rouen, Sens, Reims et Amiens) mais pas forcément à ses représentants. Parmi les laïcs habitués du chœur, les délégués du pouvoir royal – le présidial notamment – sont considérés comme des corps étrangers par les chanoines : ibid., pp. 107-108.

36 Lyon (1564).

37 Lyon (1574).

38 Appellation de la messe entendue par le roi le lendemain de son entrée dans Avignon (1622), p. 260.

39 Troyes (1629), p. 104. En outre, les orgues jouèrent pendant les processions d’entrée et de sortie du roi.

40 « Dès qu’il est éveillé, [Louis XIII] récite à genoux l’exercice quotidien du Chrétien, selon les heures du Concile. Deux heures après, on le conduit à la Messe, chantée en musique solennellement les jours de fête & de dimanche, & les jours ouvriers à une Messe basse avec quelques beaux motets » ; portrait du roi par son confesseur, le père Coton (1613), cité par E. Oroux, Histoire ecclésiastique de la Cour de France, Paris, De l’Imprimerie Royale, 1777, II, p. 336. Le format de la messe basse en musique semble avoir été courant dès le règne de François Ier ; J. T. Broeck, Musical patronage in the Royal Chapel of France under Francis I (r. 1515-1547), « Journal of the American Musicological Society », XLVIII (1995), 2, pp. 231-233. Néanmoins, le règlement de la Chapelle royale de 1585 prescrit une autre forme pour la messe quotidienne en présence du souverain (messe haute durant laquelle sont dites deux messes basses), laquelle ne laisse place à deux messes basses que lorsque le roi est en déplacement ; Oroux, Histoire ecclésiastique, p. 183.

41 Troyes (1629), pp. 116-118.

42 Dispositif déjà décrit pour l’entrée de Limoges (1605). Le sens de cette transformation des lieux de la cérémonie est tellement explicite que le relationniste de l’entrée de Louis XIII à Chartres (1619) n’hésite pas à parler de « Chœur preparé à la Royale » ; Godefroy, Le Cérémonial françois, p. 984.

43 Troyes (1629), p. 119.

44 « Domine, salvum fac regem, et exaudi nos in die qua invocaverimus te ». Michèle Fogel faite remonter la première association du Te Deum et du Domine salvum aux cérémonies consécutives à la reprise de la ville d’Amiens en 1597 ; Fogel, Les cérémonies de l’information, p. 182.

45 Boureau, Les cérémonies royales, p. 1258.

46 Bordeaux (1615), p. 8.

47 Sur la fonction des chapelles de musique princières dans la construction de l’image du pouvoir princier à la Renaissance, cfr. V. Borghetti, Music and the representation of princely power in the fifteenth and sixteenth century, « Acta Musicologica », LXXX (2008), 2, pp. 179-214.

48 Entrant dans Avignon en 1622, le roi transitera pareillement par la cathédrale puis par le collège des jésuites, lieu emblématique du catholicisme post-tridentin.

49 Bordeaux (1615), p. 8. Cet attrait pour l’architecture religieuse nouvelle et les modes d’expression dévotionnelle des congrégations nouvelles annonce la faveur que Louis XIII témoignera peu après à l’Oratoire parisien. L’entrée à Troyes de 1629 le conduit d’ailleurs à entendre la messe chez les oratoriens de cette ville.

50 Ibid., p. 16.

51 Ibid., p. 17.

52 Marseille (1622), p. 529.

53 Fogel, Les cérémonies de l’information, p. 144.

54 Paris (1629), p. 18.

55 D. Vaillancourt, La ville des entrées royales : entre transfiguration et défiguration, « XVIIe siècle », LIII (2001), 3, pp. 491-508.

56 Boureau, Les cérémonies royales, p. 1260.

57 H. Visentin, Des tableaux vivants à la machine d’architecture dans les entrées royales lyonnaises (XVIe-XVIIe siècles), « XVIIe siècle », LIII (2001), 3, p. 427.

58 Sur la notion d’équilibre entre initiatives de la communauté recevante et attentes des pouvoirs politiques dans le cadre des entrées princières, cfr. L.M. Bryant, La cérémonie de l’entrée à Paris au Moyen Âge, « Annales. Économies, Sociétés, Civilisations », XLI (1986), 3, p. 515.

59 Cfr. la récente publication de C. Davy-Rigaux - B. Dompnier - D.-O. Hurel (eds.), Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne. Une littérature de codification des rites liturgiques, Turnhout, Brepols, 2009 [“Église, Liturgie et Société dans l’Europe Moderne”, 1].

60 F. Le Moigne, 1941-1951 : les deux corps de Notre-Dame de Paris, « Vingtième siècle. Revue d’histoire », LXXVIII (2003), 2, pp. 75-88.

61 R. Chartier, Georges Dandin ou le social en représentation, « Annales Histoire, Sciences sociales », XLIX (1994), 2, pp. 277-309.

Table des illustrations

URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/17160/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 25k

© Éditions de la Sorbonne, 2014

Licence OpenEdition Books

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search