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Infirmières parisiennes

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Christian Chevandier

Introduction

Texte intégral

Dans un monde hospitalier en plein bouleversement, un métier qui se façonne

  • 1 M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963, p. 123.
  • 2 « Une leçon de Charcot à La Salpêtrière », voir N. Simon-Dhouailly, La leçon de Charcot, voyage da (...)

1La scène se passe dans un hôpital parisien, Lariboisière sans doute, durant le dur et triste hiver qui suivit le magnifique été de la Libération. Jean vient d’amener Malou, blessée. Par un échange de regards, à l’aube, une infirmière apprend au jeune homme que la balle a été fatale. Retour à l’hôpital du regard qui « forme comme l’articulation privilégiée des deux aspects fondamentaux du Dire (ce qui est dit et ce qu’on dit)1 », auquel s’était substitué le coup d’œil, essentiel depuis la naissance de la clinique. Pratique atypique du regard, atypique par son usage mais également par les personnages. Dans Les portes de la nuit, Marcel Carné campe sans hésiter l’infirmière comme sujet. Soixante ans plus tôt, peintes par André Brouillet2, seules femmes sur le tableau avec Blanche Wittman, une des hystériques vedettes de La Salpêtrière, que la plus âgée s’apprête à retenir dans ses bras, deux soignantes sont fort discrètes, excentrées, presque hors du cadre, tout juste bonnes à servir Charcot et ses élèves, puis à leur en être reconnaissantes.

  • 3 Cette dimension lacunaire persiste pour la période qui va du milieu du siècle à la fin des années (...)

2C’est ce qui s’est passé entre ces deux représentations, le long moment pendant lequel l’objet est devenu sujet, les dynamiques mises en œuvre, qu’il importe ici de percevoir. Il s’agit de comprendre qui étaient ces femmes, comment la société française du début du xxe siècle a pu dénicher et façonner une telle population, quelle a été la place de ce groupe social dans la ville, dans la cité. Comprendre également pourquoi il s’agit là de femmes, pourquoi le métier de soignante est construit comme un métier de femme. Or, l’historien ne connaît que bien peu de choses sur ces femmes qui travaillaient à l’hôpital. Nombre d’études en sciences sociales sur ces populations ont été menées à la fin du xxe siècle, au moment des mouvements sociaux du personnel hospitalier, au sein duquel les infirmières ont joué un rôle déterminant mais pas exclusif, tandis que reste dans l’ombre ce qui s’est passé auparavant3. Les productions indigènes, en usant de cette expression qu’emploient les ethnologues pour désigner les écrits produits par un groupe sur lui-même, souffrent de la nature même de leur conception, c’est-à-dire d’être élaborées comme éléments d’une construction identitaire, lorsque par leur existence même, voire parfois par leur qualité (et l’on retrouvera ici la référence de certains de ces travaux), elles sont loin d’être insignifiantes.

  • 4 Université Paris 7, 1992. Une version abrégée a été publiée, Des saintes laïques. Les infirmières (...)
  • 5 Origines républicaines d’un modèle infirmier (1870-1900), Paris, Éditions hospitalières, 1998.
  • 6 Cornettes et blouses blanches. Les infirmières dans la société française, 1880-1980, Paris, Hachet (...)

3Soulignons également le paradoxe que forme l’indigence des études confrontée à la richesse de certaines archives hospitalières, celles notamment de l’Assistance publique de Paris, alors qu’un groupe social comme celui des cheminots a été largement étudié, en dépit des difficultés qu’a longtemps représentées l’absence d’archives accessibles, et nous est maintenant bien connu. Cela ne signifie pas que les chercheurs ne sont pas penchés sur ces infirmières. La thèse de Véronique Leroux-Hugon, Les infirmières des hôpitaux parisiens, 1870-19144 (dont la version publiée présente en couverture un détail du tableau de Brouillet), a permis de comprendre comment s’est esquissé ce qu’elle nomme l’ » ébauche » d’un métier. Il y a eu également, toujours sur cette fin du xixe siècle et avec une approche largement déterminée par l’usage de textes normatifs, l’étude de Michel Poisson5. Quant à l’ouvrage collectif dirigé par Yvonne Knibiehler6, il serait abusif de le qualifier de synthèse, tant les travaux faisaient alors défaut et manquent encore pour que puisse être considérée comme écrite une histoire des infirmières françaises, notamment des infirmières hospitalières. Et dans ce siècle mal connu, il est un moment plus ignoré encore, après l’aube étudiée par Véronique Leroux-Hugon, c’est le premier xx siècle, celui qui va de la Grande Guerre aux lendemains du conflit suivant. Temps d’intense mutation du métier, d’intense maturation, c’est sur ce moment qu’il fallait se pencher pour comprendre comment l’activité de l’infirmière, encore bien incertaine, est devenue un métier, comment elle allie dès lors une formation qualifiante, la responsabilité de travaux précis et l’assignation à une place définie dans un milieu où le glissement des tâches et le flou des qualifications se mêlent paradoxalement à des responsabilités énormes et à la nécessité de connaissances précises.

  • 7 . B. Barret Kriegel, « L’hôpital comme équipement », in M. Foucault, B. Barret Kriegel, A. Thalamy, (...)

4C’est un contresens commun que celui qui fait des femmes soignantes, assimilées peu ou prou à des religieuses ou aux femmes des milieux oisifs, des praticiennes de l’action charitable. Filles du peuple, elles sont bien là pour travailler, pour gagner leur vie, et c’est bien en termes d’histoire du travail, d’histoire des travailleurs, d’histoire des travailleuses, que peut s’appréhender leur action. Cette première moitié du siècle est celle où se met en place une organisation scientifique du travail. Si taylorisme et fordisme sont, pour nous, associés à l’usine, c’est faire peu de cas des réflexions sur les pans non-productifs (pour reprendre la typologie d’Adam Smith) de l’économie que de ne pas prendre en compte ce qui se fait dans ce domaine. Comment, alors que cette activité commence à peine, et avec peine, à être pensée en termes de travail, est-elle organisée en tant que tel ? Quelles sont les méthodes mises en œuvres, leurs applications, leurs effets ? Or, cette activité laborieuse ne s’effectue pas dans un lieu neutre. Ce n’est pas l’espace large de l’activité agricole, ce n’est pas l’usine qui tente d’enfermer entre ses murs, ce n’est pas l’échoppe ou l’atelier ouvert dans la ville, sur l’espace social. Mais ce n’est plus l’hôpital qui enferme, y compris ceux qui sont là pour travailler. C’est au contraire le moment où l’on pense l’hôpital en termes de fluidité, lorsque les mouvements, les circulations se substituent comme essentiels à une stase qui effraie7.

  • 8 . Les ouvriers de la région lyonnaise (1848-1914), 2 t., Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1977

5La thèse de Véronique Leroux-Hugon se clôt lorsque commencent les batailles de la Grande Guerre, car il est bien possible qu’alors tout change pour la société, pour la médecine, pour l’hôpital, pour ces femmes. Dès lors, le choix de l’encadrement chronologique du présent ouvrage n’est pas une évidence. Comme la thèse d’Yves Lequin8, nombre de grandes études d’histoire sociale des groupes sociaux se sont fixé des bornes qui étaient celles de l’histoire de la nation. Force est de constater que ces limites se révèlent essentielles, mais, en déplaçant quelque peu la focale, il est possible d’appréhender des dynamiques moins évidentes dans une autre perspective. Parce que je travaille sur un groupe professionnel aux contours bien flous, ce sont les rythmes de ce groupe qui m’ont semblé s’imposer. La première moitié du xxe siècle, c’est ce temps qui va de la transformation des écoles d’infirmières de La Salpêtrière à la création d’un corps de soignantes moins qualifiées, mais pas vraiment sans qualification. C’est aussi le temps qui sépare le Règlement du personnel hospitalier de l’Assistance publique de 1903 et le statut national du personnel tel qu’il est énoncé par le décret du 20 mai 1955 dans le livre IX du Code de la Santé publique, qui exclut certes le personnel de l’Assistance publique de Paris, tout comme celui des Hospices civils de Lyon et de l’Assistance publique de Marseille, mais n’est pas moins le produit de son histoire. C’est donc l’histoire de la maturation d’un métier qui peut ainsi, pour ces décennies, être ébauchée. Une histoire sociale accélérée ou perturbée, nous le verrons, par ces cataclysmes que furent les guerres, par l’évolution de la législation également, celle qui concerne le travail, l’hôpital, le statut des femmes. Cette recherche ne pouvait cependant pas être conçue comme une suite à celle de Véronique Leroux-Hugon : les problématiques ne sont pas les mêmes, le temps y est plus long, les bouleversements de la société s’y présentent plus considérables. J’ai hésité cependant à commencer cette étude au tout début du siècle, craignant que le chevauchement n’en brouille la perception. Je m’y suis résigné. Parce que la prise en compte des bouleversements apportés par la Grande Guerre ne peut être pertinente que si l’on a vu ce qui s’était passé auparavant. Également parce que le moment d’hésitation, de cafouillage presque, qui se situe entre la mise en place des cours municipaux d’infirmières, en 1878, et l’ouverture de la première véritable école d’infirmières, en 1907, correspond bien par ces hésitations à un moment initial. Cette chronologie, qui embrasse la première moitié du siècle, n’en est pas moins inhabituelle pour l’hôpital, lorsque l’on préfère les grandes lois (notamment les réformes de 1941, 1958 ou 1970).

  • 9 Ouvrières parisiennes. Marché du travail et trajectoires professionnelles au 20e siècle, Paris, Éd (...)
  • 10 La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin, 2 (...)

6Femmes travailleuses à l’hôpital parisien dans la première moitié du siècle, sont-elles tout simplement des femmes qui travaillent à Paris ? Deux thèses permettent une meilleure connaissance des travailleuses parisiennes de ces années-là et autorisent une approche comparative, celle de Catherine Omnès sur les ouvrières de la région parisienne au xxe siècle9 et celle de Delphine Gardey sur les employées de bureau10. En mettant en perspective leurs résultats et les miens, sans doute pourrais-je dégager des éléments de compréhension, percevoir les particularités liées à un exercice à l’hôpital. Reste le problème de la spécificité de ces hôpitaux parisiens, de ces soignantes. S’il convient d’étudier leur condition, leur vie, tout en ne perdant pas de vue celles d’autres femmes qui travaillent dans l’agglomération en cette première moitié de siècle, sans doute faudrait-il aller voir d’autres hôpitaux, en d’autres grandes villes, en d’autres pays. Cet ouvrage ne peut avoir l’ambition d’être une grande étude comparatiste, qu’un chercheur ne parviendrait seul à effectuer.

7Il fallait, bien sûr, se pencher sur le personnel soignant des hôpitaux de Paris, parce que c’est de là que tout est parti, c’est d’ici que le modèle irradie, que l’on vient, en l’avouant rarement, trouver un modèle. Parce que, également, les effectifs concernés sont considérables. L’histoire des infirmières, en France, c’est d’abord l’histoire des infirmières de l’Assistance publique de Paris. Je ne pouvais cependant pas me contenter de demeurer en la capitale, et ai décidé d’aller chercher les premières infirmières dans les trois autres grandes agglomérations du pays. Voulant mener une étude comparative sur les hôpitaux de Lille et, surtout, l’Assistance publique de Marseille dans la première moitié du xxe siècle, je n’ai pu que constater les lacunes des politiques de conservation d’archives de ces grandes entités. Il existait fort heureusement à Lyon, sur la colline de Fourvière, dans un ancien couvent de Visitandines, un gisement de sources pour permettre à l’historien de mener à bien ses recherches. Il y a aussi à Lyon des chercheurs qui ont travaillé sur l’hôpital à l’époque contemporaine. En lisant leurs ouvrages, en me plongeant dans ces archives, j’ai tenté d’appréhender la pertinence de mes résultats à propos de l’Assistance publique de Paris, de débusquer de toujours possibles spécificités pour cerner une évolution qui permet de mieux comprendre le monde de l’hôpital et de ses travailleurs, et de ses travailleuses.

8Le premier chapitre va situer l’Assistance publique dans Paris du début du siècle, présenter les différents établissements, notamment ceux dont nous étudierons plus précisément le personnel, s’attarder sur leur histoire dans la première moitié du siècle et sur les personnels non-soignants de cette institution. Ainsi, nous pourrons, dans le chapitre II, mieux comprendre l’évolution des métiers des services de soins ces années-là, plus particulièrement de celui des infirmières dans le chapitre III. Ces femmes, dont nous connaissons alors les pratiques, peuvent dès lors être appréhendées dans l’espace urbain, dans la société, que ce soit par leurs origines, leurs pratiques démographiques voire leurs sociabilités dans la cité, et en cela le chapitre IV est essentiel. Le cinquième chapitre nous permet alors de comprendre quels furent les effets, sur la vie de ces femmes, de leur travail à l’hôpital, une place particulière étant alors accordée dans le chapitre VI aux guerres qui, comme tout moment critique, sont révélatrices de nombre de phénomènes. Et c’est pour tenter de distinguer les spécificités parisiennes que, dans le dernier chapitre, nous tenterons de voir ce qui se passe ailleurs, dans d’autres hôpitaux, ceux de Lyon particulièrement où peuvent se construire des qualifications de soignantes. Cette incursion hors du département de la Seine nous fera aussi dépasser le cadre chronologique en observant quels effets peut entraîner, jusqu’au xxie siècle, la création conjoncturelle d’un groupe professionnel local.

Du collectif à l’individu, méthodes et corpus : seize hospitalières dans l’atelier de l’historien

  • 11 Le chercheur en sciences sociales qui s’aventure hors du territoire limité de sa discipline en tir (...)
  • 12 Sans pouvoir non plus avoir recours à une approche par sondage dans une centaine de milliers de do (...)

9Le risque est grand pour les praticiens de l’histoire sociale de tenter de dénicher à tout prix l’ » échantillon représentatif » en une quête qui ne peut être qu’aporétique puisque la fonction d’un tel échantillon serait de révéler la population dont la connaissance en amont est précisément ce qui permettrait d’en instituer la représentativité11. Les chercheurs des autres sciences de l’homme et de la société se trouvent souvent confrontés à de tels embarras alors que les statisticiens disposent de logiciels pour construire de manière véritablement aléatoire de véritables échantillons. La curiosité épistémologique pourrait être poussée au-delà des sciences sociales, par exemple du côté de la biologie ou de la génétique des populations. Ainsi, alors qu’ils ont théorisé leurs pratiques pour la construction d’un échantillon, il ne viendrait jamais à l’idée des biologistes de faire un échantillonnage à la dimension de la planète pour travailler sur le paludisme. C’est la raison pour laquelle j’ai fait ici le choix de mener, de manière complémentaire à mes approches statistiques, l’étude d’une population restreinte, choisie sans l’illusion d’une chimérique représentativité12. Cette démarche se rapproche de celle de l’ethnologue. Tout comme celui-ci étudie longuement les travailleurs d’un atelier ou d’un service, l’historien doit savoir se pencher sur de tels groupes. Cela nécessite de prendre en compte des spécificités préalablement connues. Pour les travailleuses de l’établissement que j’ai choisi, il s’agit notamment du site, de sa situation, des spécialités qui y sont pratiquées, également de la manière dont un exercice en son sein s’inscrit dans un parcours professionnel.

10S’il est aisé à l’ethnologue de déterminer sa population, puisqu’il la trouve rassemblée et la saisit ainsi, l’historien a bien du mal à établir un groupe à partir de ses archives. L’idéal consisterait en une source permettant de reconstituer un bureau, un chantier, une officine, un service de soins mais les archives sont souvent élaborées à un autre niveau, celui de la grande entreprise ou de l’administration, de l’Assistance publique de Paris dans notre cas, en une logique qui ne débouche guère sur de telles agrégations. C’est au chercheur de s’en charger, tandis que les sources ne l’autorisent que rarement. Il n’est pas facile, dans le cas des infirmières parisiennes, de savoir avec précision dans quel service de soins elles ont travaillé ; quand bien même cela serait possible, il faudrait manipuler des dizaines de milliers de dossiers pour reconstituer, de manière lacunaire et toujours incertaine, le personnel d’un service hospitalier. Dès lors, il est difficile de mener ces recherches à un niveau plus limité que celui d’un établissement. Bien sûr, l’historien n’a pas pour une telle approche à sacrifier le temps long si sa problématique en relève. C’est tout l’intérêt des sources habituelles en histoire des groupes professionnels, dossiers souvent fort fournis des services du personnel ou des caisses de retraites, que d’autoriser une réelle mise en perspective qui n’implique pas que la population étudiée relève de la même génération, pourvu que le nouveau biais ainsi induit soit pris en compte.

  • 13 Il ne s’agit pas là non plus d’une spécificité hospitalière : dans tous les secteurs, les sources (...)

11Mener des recherches sur des effectifs réduits, certes, permet d’approfondir des approches qui pour un ensemble plus vaste se révéleraient impossibles, mais octroie surtout une vision différente. C’est également en cet aspect herméneutique que la démarche de l’historien peut se rapprocher de celle de l’ethnologue. Étudier un plus large groupe amènerait à privilégier plus encore les personnalités les plus fortes, les individus les plus séduisants. L’approche d’une population restreinte ne préserve pas d’un tel travers, mais le réduit profondément : les gens exceptionnels sont si rares qu’il faut bien en ce cas prendre en compte les femmes et les hommes ordinaires. Sans doute l’historien, cloîtré dans le silence des Archives, a-t-il plus de mal à identifier un éventuel effet de saturation alors que l’ethnologue perçoit bien, lui, que si la population qu’il écoute est plus importante, il peut finir par n’ouïr que les plus bruyants dont il sait déjà à quel point il les entend. Il est un autre élément qui rapproche l’étude approfondie de sources banales et l’observation menée par l’ethnologue qui demeure des mois dans une communauté, le nécessaire ennui qui se dégage de tâches, longues, répétitives, d’un intérêt souvent bien réduit. Éplucher les arrêts maladies tout au long de la carrière d’une infirmière, les évaluations administratives annuelles où la surveillante se répète d’année en année, d’infirmière en infirmière (quoique l’on distingue aisément quelles sont les préférées), où l’infirmière générale recopie avec ses tics d’écriture l’observation de la surveillante, où le directeur en rajoute dans le même sens et où le médecin chef de service écrit n’importe quoi, ce qui est bien normal puisqu’il ne connaît pas l’infirmière en question13, c’est long et peu enthousiasmant. Or, c’est précisément cette morosité qui participe de la connaissance fine, presque intime de ces travailleuses.

  • 14 Les mobilités dans la grande ville, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiqu (...)
  • 15 Espace social et espace politique. Lyon à l’époque du Front populaire, Lyon, Presses universitaire (...)

12Cette approche d’une population ne peut se substituer à une démarche quantitative, à la connaissance du groupe social plus vaste dont elle relève. Toutes deux se complètent, s’enrichissent, permettent de préciser la résolution des problématiques. Cela a été pratiqué en histoire urbaine contemporaine par Jean-Luc Pinol qui, pour « une histoire sociale qui n’ignore pas l’évolution des structures sociales mais ne néglige pas pour autant les carrières individuelles », a su élaborer des « biographies d’immeubles », par exemple celui d’une grande maison de la Croix-Rousse qui comprend moins d’une dizaine d’appartements, puis les a croisées avec une étude longitudinale de deux générations de Lyonnais et l’approche transversale des structures sociales14. Il avait été précédemment l’auteur d’une étude statistique menée à partir des listes électorales et des registres du dénombrement de la population de Lyon et de Villeurbanne15, et c’est bien en une continuité que l’usage de ces méthodes doit être appréhendé.

13Mon approche comprend donc trois niveaux. Il y a d’abord une étude de l’ensemble que forme le personnel soignant des établissements de l’Assistance publique de Paris tout au long de la première moitié du siècle, une approche plus fine du personnel de cinq établissements et l’examen précis des travailleurs de l’un d’entre eux, au sein duquel est observé un groupe restreint de soignantes. Pour effectuer, à trois niveaux, ce jeu d’échelle, s’est révélée indispensable la construction à partir des archives hospitalières de séries statistiques inédites. C’est qu’il a fallu attendre le début des années soixante pour que, dans le cadre notamment du IVe Plan, soient réalisées de grandes enquêtes, certaines de nature monographique, qui seront fort précieuses aux historiens de demain. La grande étude sur les infirmières hospitalières effectuée en 1975 par le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale est le premier tableau global qui autorise une perception du groupe social au niveau national. Les résultats de l’approche quantitative, que rien n’oppose fondamentalement à la démarche narrative, sont le plus souvent intégrés dans le texte. Tableaux et graphiques permettent d’appréhender rapidement des données et des dynamiques, et il ne s’agit pas de nier leur importance dans la présentation des résultats d’une recherche, mais leur fonction serait artificielle s’il ne s’agissait que de certifier la démarche quantitative.

  • 16 L’usage des sources utilisées pour cette recherche a nécessité une dérogation des Archives de Fran (...)

14Une approche prosopographique peut se construire à l’aide de divers documents. Les autobiographies seraient une source de choix, mais il n’y en eut pas vraiment avant la modification du vivier et des modalités de formation des soignantes à la fin des années 1960. Le recours au recueil de sources orales16 ne peut faire fi du temps qui passe et emporte les vies. Rarissimes se révèlent alors les récits de vie dont nous disposons, comme celui de Jeanne Sauget, née en 1886 dans le département de la Somme, qui vient à Paris, sert comme domestique plusieurs patrons successifs, accouche toujours célibataire à Port-Royal où elle est engagée comme nourrice :

  • 17 Études de la région parisienne, n° 27, 1970, p. 1-9.

« En 1912, à la suite d’un petit concours, j’entrais à l’AP comme fille de salle… J’étais désormais plus sûre de l’avenir. Mes petites ressources se trouvaient assurées. Je louais un petit logement et je profitais des avantages de l’hôpital (crèche et cantine). À force de volonté, de discipline, de travail et de privations, je parvenais à préparer le concours d’infirmière en suivant les cours du soir. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, j’épousais un agent de Saint-Gobain et moi-même je terminais ma carrière en 1935 comme surveillante.17 »

  • 18 A. Leblanc, Le personnel hospitalier féminin de l’hôpital Broca dans l’entre-deux-guerres, maîtris (...)

15Il est possible cependant de reconstituer des carrières grâce aux dossiers individuels, souvent très riches, conservés aux Archives de l’Assistance publique. Les recherches menées sur le personnel hospitalier féminin de l’hôpital Broca dans l’entre-deux-guerres18 à partir des sept registres du personnel ont permis de reconstituer une population de 547 hospitalières restées plus de six semaines dans cet établissement, sur un total de 713 qui ont été embauchées – avec 318 hommes – entre 1919 et 1939. Pour 136 de ces 547 travailleuses de Broca, ont été retrouvés des dossiers individuels assez hétéroclites, très complets pour certains, ne contenant que quelques feuilles volantes pour d’autres. Pour les 252 personnes nées avant 1900, les mairies ont été sollicitées afin de fournir l’acte de naissance (dans le cas des Parisiennes, la recherche a été effectuée aux Archives de Paris). La copie de 213 actes a été ainsi obtenue.

16Si la partie de ces travaux consacrée aux travailleuses est dans un premier temps une approche statistique largement démographique, accordant une grande place aux origines sociales et géographiques, elle s’articule avec une démarche prosopographique qui permet de percevoir des éléments indiscernables par une étude plus large. Ont été dépouillés les huit premiers de ces 136 dossiers, par ordre alphabétique de nom d’usage (patronyme pour les célibataires, nom de l’époux pour les femmes mariées), puis huit autres communiqués parce qu’ils avaient été les premiers retrouvés par les Archives de l’AP-HP. Passée la quinzaine, je me suis arrêté ; sans doute aurais-je pu, en consultant d’autres dossiers, apprendre et comprendre, mais en laissant de côté les singularités, en accordant moins d’importance aux gens ordinaires, ces femmes qu’il importait ici de connaître plus intimement pour appréhender ce que furent leurs vies et quelle place a pu y tenir leur passage à l’hôpital.

  • 19 La sélection a été effectuée à l’aide des travaux sur l’état civil menés par les démographes Phili (...)
  • 20 Pourtant pas si loin, mais situé sur la rive droite. Comme ces années-là dans d’autres villes et p (...)

17Ce sont donc seize femmes ayant travaillé à l’hôpital Broca dont les dossiers ont fait l’objet d’une analyse approfondie. Pour en rendre plus aisée la présentation, chacune de ces travailleuses, ordonnées par ordre chronologique, a été rebaptisée d’un prénom choisi parmi ceux qui étaient alors largement attribués aux fillettes et dont l’initiale la situe dans un ordre alphabétique19. Alice est ainsi née en 1892, Hélène en 1899, Irène en 1900, Jeanne en 1901, Marguerite en 1904, Nicole début mars et Odette fin mars 1905, Raymonde en 1910. Cette étude correspond à un changement d’échelle et ce corpus n’est en rien une réduction de la population des travailleuses de Broca. Ainsi, tandis que les deux tiers des agents féminins restaient moins d’un an dans l’établissement, ce ne fut le cas, parmi ces seize femmes, que de Georgette, Lucie, Nicole, Pauline et Raymonde. C’est encore moins un échantillon des travailleuses de l’Assistance publique, puisque leur mobilité dans l’administration est fortement biaisée par cet exercice à Broca ; on y retrouve ainsi plus que de raison des passages à La Salpêtrière ou à La Pitié, tandis que de grands établissements comme Lariboisière sont ignorés et que seul l’itinéraire de Georgette passe par Saint-Antoine20. J’ai tracé ces seize parcours de femmes à l’aide de ce que j’ai trouvé dans leur dossier administratif. Pour la moitié, les plus âgées d’entre elles (parce que la loi ne permet pas d’avoir accès à l’état civil pour celles qui sont nées il y a moins d’un siècle) à l’exception d’Hélène, Jeanne et Désirée, j’ai pu y ajouter ce qu’apportent les actes de naissances. Ce sont ces femmes qui sont présentées dans les lignes qui suivent et que nous retrouveront tout au long de l’ouvrage.

  • 21 Sont indiqués entre parenthèses la date et le lieu de naissance, éventuellement la profession des (...)

18Alice (née en 1892, village de l’Aveyron, père métayer, témoins de l’acte de naissance : un instituteur et un cultivateur21). À l’âge de 29 ans, elle fait partie en 1919 des femmes embauchées en nombre après la loi des huit heures. Deux ans plus tard, elle se marie dans le XIIIe arrondissement de Paris, où elle habite, avec un homme qui a été blessé pendant la guerre et qui ira de rechute en rechute. Son premier poste est à La Salpêtrière, où elle reste trois ans. Elle est alors affectée à Bicêtre, où elle est nommée infirmière, puis à Broca avant d’aller par permutation (c’est-à-dire en échangeant son poste avec une de ses collègues) à Beaujon. Elle devient surveillante quelques mois après l’ouverture du nouvel établissement.

19Blanche (née en 1896, village du Lot, parents agriculteurs, témoins de l’acte de naissance : un instituteur et un cultivateur). Elle entre à l’âge de 23 ans à Broussais, parmi les nombreuses nouvelles recrues de la loi des huit heures quotidiennes. Elle obtient quatre ans plus tard un poste à Broca où, agent de service principal à partir de 1923, elle restera quinze années, « admise d’office, pour raison de maladie, à faire valoir ses droits à la retraite » à l’âge de 42 ans, du fait notamment de troubles du comportement. Son époux, manœuvre, connaît dans les années 1930 de très longues périodes de chômage, à tel point qu’il indique « sans profession » sur certains papiers officiels.

20Charlotte (née en 1896, petite ville du Morbihan où dominent les activités de l’industrie agro-alimentaire, père charpentier, mère ménagère). Elle est recrutée par l’Assistance publique pendant la guerre, papillonne quelques semaines d’un établissement à un autre avant de se fixer cinq ans à La Salpêtrière, d’être mutée à Broca en 1920 pour se rapprocher de son époux qui y exerce comme chauffeur. Elle y devient infirmière en 1921, puis surveillante en 1934. Décorée en 1936 de la médaille d’honneur de l’Assistance publique (bronze), elle n’en est pas moins « admise d’office, pour raison de maladie, à faire valoir ses droits à une pension de retraite » en novembre 1939, à l’âge de 43 ans.

21Désirée (née en 1896, village de l’Oise). Réfugiée à Paris pendant la Grande Guerre, elle s’embauche comme fille de salle à Beaujon à l’âge de 19 ans. Affectée un mois plus tard à La Salpêtrière, elle y reste sept ans et épouse en 1919 un ouvrier de l’Assistance publique, dont elle a un enfant en 1922. Elle démissionne alors, puis demande sa réintégration en 1926, est nommée à Necker, retourne à La Salpêtrière avant une mutation à Broca où travaille son mari, en 1931. Quelques jours après le mariage de sa fille, en octobre 1941, elle est révoquée pour des vols de linge.

22Émilie (née en 1898, village de la Somme, père employé des contributions directes, témoins de l’acte de naissance : un instituteur et un cultivateur). Pendant la Grande Guerre, son père meurt à la suite du bombardement de Reims par l’artillerie allemande. Aînée d’une famille de trois enfants (les deux garçons, de trois et huit ans ses cadets, suivront des études supérieures), elle prend en charge ses jeunes frères, notamment lorsque sa mère a en 1922 de graves problèmes de santé. Après avoir suivi, jusqu’au début de la guerre, des cours à l’école pratique de Reims, elle travaille pendant le conflit comme secrétaire dans les hôpitaux militaires tandis que sa mère tient un petit commerce. Elle se présente en 1921 au concours d’entrée de l’École des infirmières, où elle est admise. À la suite de sa formation, elle exerce deux ans à Broca, six ans à Debrousse, quatre ans à Tenon, deux ans à Clichy, puis au laboratoire de Bichat où elle devient surveillante. Elle y reste jusqu’à sa retraite, à l’âge de 56 ans après 33 années dans l’AP, en juillet 1954. Malgré six demandes à partir de 1949, elle n’est jamais inscrite au tableau d’avancement pour être surveillante générale du fait de sa surdité : « N’a pas la santé suffisante pour diriger un grand service de malades » commente sobrement son directeur. Elle demeure célibataire, ce qui lui cause quelque difficulté lorsqu’en 1939, surveillante à Bichat, elle désire y être logée.

23Francine (née en 1898, village du Finistère, père cultivateur, mère ménagère, témoins de l’acte de naissance : cultivateurs). Elle se marie en mai 1918 dans la commune de sa naissance. Son mari est tué avant la fin de la guerre sans avoir eu le temps de connaître leur fils (qui sera fait prisonnier au début du conflit suivant) et elle se remarie avant 1924, est à nouveau veuve avant à la guerre suivante. En 1923, elle s’embauche comme fille de service deux mois à La Pitié, à peu près autant à la maison de retraite de Rochefoucauld et arrive en août 1924 à Broca pour rejoindre son mari, agent principal. Elle deviendra aide-soignante à la suite de la grève de 1949, aura la responsabilité de la consultation d’urologie et prendra sa retraite après plus de trente ans d’exercice dans le même établissement.

24Georgette (née en 1899, village de Dordogne, parents cultivateurs, témoins de l’acte de naissance : cordonniers). Elle entre en 1922 à Saint-Antoine comme fille de service, puis travaille successivement à Trousseau, Broca, Debrousse, épouse un surveillant des services généraux de l’AP. En 1930, elle retourne à Saint-Antoine, y est nommée agent principal l’année suivante, et décède en 1937 d’une méningite.

25Hélène (née en 1899, village de l’Allier – à proximité de sites industriels). Munie de son certificat d’études primaires, elle travaille d’abord comme couturière avant de s’embaucher en 1927 à l’hôpital d’Antony. Fille de salle, elle arrive deux semaines plus tard à Broca où elle restera trente et un ans, terminant sa carrière comme « infirmière spécialisée chef de service de première classe ».

  • 22 Elles sont deux parmi les seize à être originaires du Maine-et-Loire, la moitié des natives de ce (...)

26Irène (née en 1900, ville où l’activité industrielle – notamment métallurgique – est prédominante, Maine-et-Loire22, père débitant de boissons, mère ménagère, témoins de l’acte de naissance : le garçon et le patron d’un débit de boissons). Elle entre à vingt ans comme fille de service et pour quatre mois à l’asile Saint-Joseph. Sept mois après son départ de cet établissement, elle retourne à l’hôpital et travaille à Boucicaut, à La Charité, à Broca. À l’âge de 25 ans, elle se marie, dans le XVe arrondissement de Paris où elle habite, avec un surveillant de Bichat, puis suit les cours municipaux et est nommée infirmière en 1927. Après son divorce en 1939 et l’abandon de son service en juin 1940, posant de nombreux problèmes du fait de son intempérance, elle est mutée en novembre 1940 à la maison de retraite de la Rochefoucault, d’où elle est d’abord mise à pied après un nouveau scandale, puis licenciée en mars 1941 (« Souvent ivre, totalement inapte »).

27Jeanne (née en 1901, village du Loiret). Elle est embauchée à 22 ans comme fille de service à la maternité de Port-Royal, épouse un facteur des postes et a un premier enfant, qui meurt avant d’avoir atteint l’âge d’un an. Elle est mutée en 1925 à Broca, puis six ans plus tard à l’Hôtel-Dieu. Un deuxième enfant naît à la fin des années 1920, un troisième au milieu des années 1930. C’est à la suite de cette naissance qu’elle souffre de troubles mentaux, symptômes d’une maladie dont elle décède en 1935.

28Lucie (née en 1901, village de la Nièvre, père cultivateur, mère « sans profession », témoins de l’acte de naissance : un instituteur et un maître d’hôtel). Embauchée à la maternité de Port-Royal comme fille de salle en 1924, elle ne donne pas véritablement satisfaction, mais parvient à rester à l’Assistance publique parce qu’elle est mère d’une fillette née en 1921 et est prise « à titre de dernier essai » à Broca. Elle est ensuite affectée à nouveau à la maternité, puis à Antony et à Broussais d’où elle part en 1929. « M’a déclaré qu’elle donnait sa démission, ayant trouvé un autre emploi. Mauvais agent », écrit son directeur, peut-être soulagé de ne plus avoir à supporter les relances des débiteurs de cet agent des services hospitaliers (ASH) qui déménage à la cloche de bois et a abandonné sa fille à sa propre mère.

29Marguerite (née en 1904, village des Côtes-du-Nord). Elle a déjà été garde-malade avant de venir s’embaucher, à l’âge de 21 ans, à Broca. Elle y reste dix ans, épouse un gardien de la paix, est mutée à Bicêtre et a un enfant en 1933. En septembre 1941, dans le cadre des mesures prises par Vichy contre le travail des femmes, elle est à sa demande mise en congé sans traitement, puis réintégrée, toujours à sa demande, à Bicètre, en 1948, avant, encore ASH, de prendre dix ans plus tard sa retraite.

30Nicole (née en 1905, village du Maine-et-Loire). Après avoir été « fille de salle dans un restaurant », elle est recrutée fin 1927 et pour sept mois comme nourrice à la maternité de Port-Royal, puis effectue des remplacements de quelques mois comme fille de salle à Necker, à Broca et à La Pitié. Elle est embauchée en mars 1931 à Ivry, se marie à un manœuvre de la Compagnie ferroviaire du PLM et en a deux autres enfants (en 1934 et 1943). À l’hospice d’Ivry, elle travaille de veille, est reclassée comme aide-soignante en 1954 puis affectée l’année suivante à la lingerie de l’établissement. Elle prend sa retraite fin 1960 (pour raison d’invalidité suite à un accident du travail – accident de trajet survenu sur la voie publique) après avoir obtenu (en 1954) la médaille d’argent de l’Assistance publique.

31Odette (née en 1905, ville industrielle de Seine-et-Oise à une quinzaine de kilomètres de la capitale en bordure du fleuve). Titulaire du certificat d’études primaires, fille et sœur d’ouvriers, elle-même en usine dès 1921 et pour huit années, dans un atelier particulièrement insalubre (nettoyage couleurs et vernis), elle s’embauche pendant une année comme débitrice au « Gagne-petit », un magasin de nouveautés. Bénévole dans plusieurs organisations dont un mouvement de scoutisme, toujours prête à donner la main pour aider les habitants de son quartier, elle entre en octobre 1930 à l’école des infirmières, en ressort diplômée deux ans plus tard, est affectée trois mois à Tenon avant d’être mutée à Broca pour se rapprocher de sa famille. Après avoir épousé un marbrier et eu deux enfants au début des années 1940, elle prend sa retraite en janvier 1946. Elle travaille depuis l’âge de 16 ans et en a alors 41.

32Pauline (née en 1905, village encore agricole de l’Oise). Mariée à un mécanicien, elle est mère d’une fillette en 1925, l’année où elle est recrutée comme ASH à Broca. Six mois après, elle est affectée à Bicêtre où elle prend sa retraite trente-six ans plus tard. Entre-temps, elle a bénéficié des mesures de reclassement de la fin des années quarante et a été nommée aide-soignante.

33Raymonde (née en 1910, Paris, Xe arrondissement). C’est à 23 ans qu’elle s’embauche dans les hôpitaux. Elle effectue un remplacement de deux mois et demi à l’Hôtel-Dieu, un autre de six mois à Broca, huit mois à l’Hôtel-Dieu, puis quelques semaines à la maternité de Port-Royal avant d’être embauchée à La Salpêtrière à la veille de Noël 1936. Cinq mois plus tard, elle est affectée à l’Hôtel-Dieu, où elle restera jusqu’à sa mise en disponibilité pour raison de santé, début 1947, puis affectée dans un service « doux ». En 1959, elle est admise à faire valoir ses droits à la retraite.

*

34Tout ouvrage scientifique est une œuvre collective. Les notes signalent à qui, notamment mes étudiantes et étudiants de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, je dois les éléments que j’utilise. Toutes et tous reconnaîtront au passage ce qui leur est dû, clairement signalé. Les responsables et personnels des services d’archives ne m’ont pas mesuré leur appui, que ce soit aux Archives de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (où l’aide de Sophie Riché me fut particulièrement précieuse), aux Archives des Hospices civils de Lyon, aux Archives de la préfecture de police de Paris, dans les divers sites des Archives nationales (et éventuellement leurs délégations dans les ministères), dans les différentes Archives départementales, au Centre d’histoire sociale du xxe siècle, au Musée social, au Musée de la Résistance nationale et dans les Archives syndicales (de la CFDT, de la CGT, de la CGT-FO). Des cadres hospitaliers, Jacques Deschamps de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et Arnaud Bernadet des Hospices civils de Lyon, ainsi que Maurice Rochaix, ont toujours répondu à mes demandes. Tous, je les remercie chaleureusement. Je dois également témoigner de ma gratitude envers de nombreux collègues. Jean-Christophe Coffin, Pierre Judet, Véronique Leroux-Hugon et Claude Pennetier m’ont signalé des éléments ou des archives qui ont permis d’approfondir des analyses. Catherine Omnès, Christophe Dejours, Olivier Faure, Patrick Fridenson, Michel Poisson, Antoine Prost et Jean-Louis Robert ont lu mon manuscrit et m’ont fait part de leurs remarques. Ce fut également le cas pour les passages méthodologiques, comme je l’ai indiqué en note, de Marie Cartier, Jean-Michel Chapoulie, Jean Peneff et François Picon. La qualité éditoriale de l’ouvrage doit tout à Sylvie Le Dantec, du Centre d’histoire sociale du xxe siècle, avec laquelle ce fut une fois de plus un grand plaisir de travailler. Enfin, je remercie tout particulièrement Christine Nallet, mille fois sollicitée, toujours efficace, qui tout au long de cette recherche m’a accompagné et aidé.

Cadres adminitratifs de l’hôpital Tenon en 1890.

Notes

1 M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963, p. 123.

2 « Une leçon de Charcot à La Salpêtrière », voir N. Simon-Dhouailly, La leçon de Charcot, voyage dans une toile, Paris, musée de l’Assistance publique de Paris, 1986. Une reproduction en noir et blanc de ce tableau était accrochée au mur du cabinet de Sigmund Freud à Vienne, Berggasse 19.

3 Cette dimension lacunaire persiste pour la période qui va du milieu du siècle à la fin des années 1960 ; voir cependant C. Chevandier, L’Hôpital dans la France du xx e siècle, Paris, Perrin, 2009, p. 261-277 et 367-384.

4 Université Paris 7, 1992. Une version abrégée a été publiée, Des saintes laïques. Les infirmières à l’aube de la Troisième République, Paris, Sciences en situation, 1992. C’est à la thèse intégrale que renvoient les notes dans le présent ouvrage.

5 Origines républicaines d’un modèle infirmier (1870-1900), Paris, Éditions hospitalières, 1998.

6 Cornettes et blouses blanches. Les infirmières dans la société française, 1880-1980, Paris, Hachette, 1984.

7 . B. Barret Kriegel, « L’hôpital comme équipement », in M. Foucault, B. Barret Kriegel, A. Thalamy, F. Beguin, B. Fortier, Les machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1979, p. 19-30.

8 . Les ouvriers de la région lyonnaise (1848-1914), 2 t., Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1977.

9 Ouvrières parisiennes. Marché du travail et trajectoires professionnelles au 20e siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997.

10 La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin, 2001.

11 Le chercheur en sciences sociales qui s’aventure hors du territoire limité de sa discipline en tire quelque angoisse. Marie Cartier, Jean-Michel Chapoulie, Jean Peneff et François Picon ont pris connaissance de mon passage méthodologique et m’ont tranquillisé. Je les en remercie vivement.

12 Sans pouvoir non plus avoir recours à une approche par sondage dans une centaine de milliers de dossiers individuels conservés aux AAP-HP : des raisons matérielles mais surtout l’ignorance des conditions d’élaboration de ce fond jusque-là inexploré laissaient trop d’incertitudes dans son exploitation et ne permettaient pas un croisement avec des sources d’établissement souvent inexistantes.

13 Il ne s’agit pas là non plus d’une spécificité hospitalière : dans tous les secteurs, les sources concernant les évaluations révèlent surtout l’absence de rigueur des évaluateurs.

14 Les mobilités dans la grande ville, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1991.

15 Espace social et espace politique. Lyon à l’époque du Front populaire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1980.

16 L’usage des sources utilisées pour cette recherche a nécessité une dérogation des Archives de France qui, dans le cadre de la loi de 1979, excluait le recours à ces documents pour contacter d’éventuels témoins.

17 Études de la région parisienne, n° 27, 1970, p. 1-9.

18 A. Leblanc, Le personnel hospitalier féminin de l’hôpital Broca dans l’entre-deux-guerres, maîtrise d’histoire, université Paris 1, 2000. Elle a choisi cet établissement parce que ses registres du personnel ont été versés aux Archives de l’AP et qu’il s’agissait d’une petite structure dont il était possible d’effectuer une étude minutieuse du personnel sur un temps long.

19 La sélection a été effectuée à l’aide des travaux sur l’état civil menés par les démographes Philippe Besnard et Guy Desplanques. Le choix somme toute restreint a pu m’obliger à attribuer à ces femmes un prénom que leur milieu social leur aurait sans doute évité. C’est le cas d’Hélène, née dans un tout petit village d’Auvergne.

20 Pourtant pas si loin, mais situé sur la rive droite. Comme ces années-là dans d’autres villes et pour d’autres corporations (les cheminots lyonnais ou les métallos givordins par exemple), le fleuve structure l’espace.

21 Sont indiqués entre parenthèses la date et le lieu de naissance, éventuellement la profession des parents à la naissance et celle des témoins de l’acte de naissance. La loi de 1979, dans le cadre de laquelle j’ai obtenu la dérogation me permettant de travailler sur ces dossiers, prohibe la divulgation de tout élément permettant d’identifier la personne et m’a amené à ne pas préciser le lieu de naissance pour les quinze communes à la population relativement peu importante.

22 Elles sont deux parmi les seize à être originaires du Maine-et-Loire, la moitié des natives de ce département recrutées à Broca dans l’entre-deux-guerres.

Table des illustrations

Légende Cadres adminitratifs de l’hôpital Tenon en 1890.
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© Éditions de la Sorbonne, 2011

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