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Théorie critique et modernité négro-africaine

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Jean-Godefroy Bidima

Deuxième partie: Discours “affirmatifs” et négation du “non-encore” : les modalités de l’éradication du possible en Afrique

Liminaire

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"Car ce monde est loin d'être un ordo sempitemus rerum, il n'a rien d'un processus sans bavures, ne possède aucune aptitude à constituer un décor fermé ; sans cesse se libèrent de ce qu'il est devenu des percées vers une autre possibilité..."

Ernst BLOCH, Experimentum mundi, Trad, G. Raulet,
Paris, 1981.

1Après avoir examiné les différents plis et replis que comporte la catégorie de possibilité dans la Théorie Critique, nous dégagerons une perspective de lecture qui peut se conjuguer sous deux modalités. D'une part, nous pouvons procéder à une lecture de... et d'autre part, à une lecture avec... Expliquons ces deux formules sibyllines. En étudiant les différentes articulations, les clivages et présupposés de la catégorie de possibilité dans la Théorie Critique, nous faisons bien entendu une "lecture de" la Théorie Critique. Cette "lecture de" est une sorte d'examen, à l'intérieur d'une philosophie, des problèmes liés aux options internes choisies par elle, cet examen peut se proposer de relever les ambiguïtés, de démasquer les continuités et discontinuités, de briser les Totalités et de recomposer les médiations dans le dire de cette philosophie. Toutefois, puisque toute philosophie peut entretenir un rapport dialectique avec l'histoire et, partant, avec la praxis, la lecture d'une théorie ou d'une catégorie n'a, et n'aura, quelque pertinence qu'en s'articulant sur l'histoire en train de se faire. C'est ce qui explique que nous options, après avoir vu les articulations de la catégorie de possibilité dans la Théorie Critique au cours de la première partie de notre travail, pour une lecture du réel historique avec la Théorie Critique ; et comme le problème du possible nous intéresse, nous lirons avec la Théorie Critique comment l'idée de possible, s'efface dans une histoire particulière, à savoir celle de l'Afrique présente. Deux raisons expliquent la lecture de l'histoire africaine avec la Théorie Critique. Remarquons que la Théorie Critique est liée au Temps et à l'action.

  • 1 Max Horkheimer, Théorie Critique, 1978, p. 362.

2"Lorsque je regarde le monde d'hier et d'aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de penser qu'à chaque instant, à différents endroits de la terre, il y a des hommes qui sont martyrisés et qui doivent vivre dans des conditions effroyables... Et ce n'est pas la faim qui est ici le pire, mais l'angoisse devant la violence. Et c'est sûrement une tâche de la Théorie Critique que de dénoncer cela"1. L'ancrage de la Théorie Critique dans l'examen des glaciations multiples des figures de la domination, nous pousse à rattacher la Théorie Critique à la dénonciation des diverses déclinaisons de la violence en Afrique. La seconde raison d'attacher la Théorie Critique à l'histoire africaine est relative au destin que doit avoir tout système de pensée. Vis-à-vis de celui-ci, il s'opère souvent un phénomène de mode suivi de la mythisation. La Théorie Critique risque, avec l’engouement qui caractérise une certaine intelligentsia bien-pensante à son égard, de devenir un alibi pour la mystification intellocrate. Elle risque encore de n'être qu'un motif pour une assemblée d'universitaires, de chercheurs, de spécialistes qui se réunissent de temps à autre pour accomplir un rite de célébration (qui peut se nommer colloque, journée de pensée sur, etc...). Et, lors de la célébration, on s'abandonne aux exégèses, on se surprend en train de jeter ponts et passerelles entre les théories... peut-être bien pour oublier la sévérité de ce monde menaçant.

3Dans cette partie, il s'agit de surprendre la non-vérité dans ses semblants et faux-fuyants à travers ses fausses médiations et promesses. Surprendre les masques de la non-vérité rentre dans le projet général de la catégorie de possibilité, à savoir démasquer la création continuée de l'hétéronomie et de son envers : la nécessité. Etre dans la nécessité de subir une histoire rectiligne, une praxis manipulatoire qui se fragmente en plusieurs petites manutentions et un horizon conceptuel privilégiant, non pas la négation dans ce qu'elle a de subversif, mais l'assurance tranquille d'un discours/pratique "affirmatif", revient aussi à déterminer la méthode par laquelle nous devons saisir les multiples coagulations de l'idéologie réificatrice en Afrique. Déterminer la méthode implique de circonscrire le lieu de son déploiement.

4D’abord la méthode. Celle qui sera utilisée pour dévoiler comment le discours négatif, qui est aussi celui du possible se transforme en un discours clos/affirmatif (Marcuse) se veut négative. Cette méthode est bien celle qu'utilise Adorno quand il fustige la réconciliation du Sujet avec la fausse Totalité à travers l'oubli de la "constellation", de la négation et de la médiation. La même méthode a été utilisée par Marcuse dans sa démarche dont le but essentiel fut de démasquer le discours totalitaire dans ses rationalisations. La croisade de Horkheimer contre la Théorie traditionnelle qui, forte de ses systématisations logiques, produisait une série d'abstractions propres à fructifier le glacis identitaire, rentre aussi dans le processus du travail du négatif. Et enfin, le démasquage de la rationalité instrumentale à travers la mystification de la dépolitisation permanente de la sphère publique préconisé par Habermas contribue aussi à lutter contre cette espèce de nécessité. Cette méthode est celle qui saisit aussi bien le monde de la pensée que celui-ci de l'objet dans les termes mêmes de leur inadéquation et de leur dissonance internes. Méthode refusant toute esquive liée au théoricisme, aux mythologies, aux rationalisations, aux fausses désublimations et aux théologies, elle se propose de libérer, au sein du continuum historique frappé du sceau de la logique de l'identification/classification, les déterminations catégorielles et historiques préludant l'advenue à l'effectivité du non-identique (Adorno), ou du non-encore (Bloch) et, en un mot, du possible.

5Il faut circonscrire ensuite les "lieux" à travers lesquels cette méthode va se déployer, autrement dit, sur quoi portera la critique de l'éradication du discours du possible en Afrique ?

6L'objet du premier chapitre sera d'examiner le discours politique et les stratégies du "faire-croire" dans l'espace public négro-africain. Concernant ces stratégies, on s'emploiera à étudier les diverses modalités du langage à travers lesquelles les "contrats de parole", la production de la fiction et la distorsion de la communication en Afrique Noire trouvent leur permanence. Le discours philosophique, qui se voulait discours d'ouverture vers la rationalité et la liberté, s'est mué, en démarche sclérosante, en discours affirmatif. D'où le titre, la philosophie africaine : discours de maîtrise, qui sera celui de l'examen de cette dernière constellation.

Anmerkungen

1 Max Horkheimer, Théorie Critique, 1978, p. 362.

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