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L’atomisme aux XVIIe et XVIIIe siècles

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Jean Salem

Première partie. Pour ou contre l’atomisme ?

Democritica : la réfutation cartésienne de l’Atomisme

Frédéric de Buzon

Texte intégral

  • 1 Mersenne (M.), Harmonie universelle, Paris, 1636 (réimpression : Paris, 1965), Première préface gé (...)

1L’assimilation de la physique cartésienne à un atomisme est antérieure à la première publication du Discours et des Essais : Mersenne ne nomme pas Descartes dans la Préface générale de l’Harmonie universelle (1636), mais il doit sans doute y penser précisément lorsqu’il évoque « l’un des excellents esprits de ce temps », expliquant le ressort et la réflexion des corps par « une certaine matière très subtile » et qu’il conclut son analyse ainsi : « Or il semble que les corps subtils dont il parle se puissent aisément entendre des atomes qui se meuvent perpétuellement : mais on en verra la démonstration physique, lorsqu’il lui plaira la donner1 »,– c’est-à-dire, si l’on comprend le sous-entendu, quand le Monde pourra paraître au monde. Ce soupçon a la vie dure : ainsi, peu de temps après 1637, Descartes se voyait opposer des accusations d’atomisme, sous une forme relativement ambiguë : soit la nouvelle physique empruntait des notions à l’atomisme, ce qui en limitait l’originalité, soit elle ne s’en différenciait pas réellement au fond, ce qui, dans les milieux de tradition scolastique, suffisait à en nier principiellement la validité.

  • 2 Descartes (R.), à Plempius, 3 octobre 1637, A. T., I, 417 : Nunquid hic pro me Leucippum videt vel (...)

2Quelques points de la correspondance illustreront la permanence de l’interprétation atomistique de la physique cartésienne. Lorsqu’il répond en octobre 1637 à Froidmond par l’intermédiaire de Plemp, Descartes remarque : « ne prend-il pas ici pour moi Leucippe ou Epicure, ou certainement Lucrèce… ? »2 ; quelques temps après, Ismaël Bouillau identifiait les opinions de Descartes à celles de Démocrite et d’Epicure dans son De natura lucis publié en 1638, accusation à laquelle Descartes s’opposait de manière plutôt désinvolte :

  • 3 A. T., II, 51.

« Pour ce que l’auteur de ce livre dit de ma philosophie, qu’elle suit celle de Démocrite, je ne saurais pas dire s’il a raison ou non : car je ne crois pas que ce qu’on nous rapporte de cet ancien, qui vraisemblablement a été un homme de très bon esprit, soit véritable, ni qu’il ait eu des opinions si peu raisonnables qu’on lui fait accroire »3.

  • 4 A Mersenne, 30 août 1640 ; A. T., III, 166.
  • 5 Descartes fait allusion aux atomistes antiques dans les Réponses aux Objections touchant la Cinqui (...)
  • 6 A. T., IV, 223 [Lettre de Descartes à un destinataire inconnu], — L’auteur des objections faites à (...)
  • 7 A. T., V, 241-272.

3Descartes a poursuivi régulièrement cette défense ; ainsi en août 16404, il refuse que l’on assimile ses écrits à des Centones Democriti, au motif que les sources manquent pour établir ce que Démocrite pensait précisément du sel, de la neige hexagone, de l’arc-en-ciel, etc., et qu’il faut donc le rétablir dans la pleine paternité des opinions de physique exposées dans les Météores. Gassendi souligne ironiquement la parenté des doctrines à partir d’une allusion cartésienne des Cinquièmes Réponses5, en supposant la concorde entre les principes de la physique de Descartes et ceux de Lucrèce. Descartes répond encore à ce genre d’objections en juin 1645 : « voyant qu’il dit que la façon dont j’ai expliqué l’arc-en-ciel est commune, et que mes principes de physique sont tirés de Démocrite, je crois qu’il ne les a pas beaucoup lus »6. L’explication avec les atomistes antiques se prolonge jusqu’à la fin de la carrière de Descartes, en particulier dans la correspondance avec More de 1648-16497.

  • 8 Baillet (A.), La Vie de Mr Des-Cartes, Paris, 1691 (réimpression : Hildesheim, Olms) II, 272-273 e (...)
  • 9 Notata quaedam GGL circa vitam et doctrinam cartesii, in Leibniz (G. W. F.), Philosophische Schrif (...)
  • 10 Voir en particulier le Système nouveau de la nature…, GP IV, 482 et Leibniz à Sophie-Charlotte, 31 (...)
  • 11 Goudin (A.), Philosophie suivant les principes de S. Thomas, 1668 ; cité par R. Ariew, “Les Princi (...)

4L’assimilation de la physique cartésienne à celle des atomistes était devenue de notoriété publique, comme le fait apparaître la Vie de Baillet8 ; elle se poursuivra naturellement après la mort de Descartes : si Leibniz note que Descartes a eu dans l’explication mécanique des choses physiques des prédécesseurs avec Leucippe et Démocrite, en raison des tourbillons9, il juge aussi qu’il conduit directement à l’atomisme matériel explicitement professé par Géraud de Cordemoy contre l’opinion même de Descartes10. Enfin, mais la liste n’est naturellement pas close, on trouve un manuel thomiste à la fin du XVIIe siècle pour identifier les principes de Descartes, de Leucippe et de Démocrite11, toutes doctrines incapables de se concilier avec l’Eucharistie.

5Cela conduit donc naturellement à tenter d’apprécier le rapport de Descartes à l’atomisme ou aux atomistes : leur emprunte-t-il des “principes” et lesquels ? L’opposition frontale aux thèses atomistiques radicales s’accompagne-t-elle d’une reprise en quelque façon modérée de certaines des positions de cette école ? on différencierait alors entre une philosophie atomistique et une théorie corpusculaire. Je voudrais ici examiner seulement le statut de la réfutation cartésienne des thèses atomistiques en même temps que les motifs qui ont pu conduire à une identification, parfois (mais, comme nous l’avons vu, pas toujours) malveillante.

  • 12 Garber (D.), Descartes’ Metaphysical Physics, Chicago, 1992, ch. 5, p. 117-155 : “Descartes agains (...)
  • 13 Principia philosophiae, IV, art. 202, sommaire (A. T., VIII-1, 325) : Democriti Philosophiam non m (...)

6La question préjudicielle est de savoir ce que Descartes attribue aux atomistes de l’Antiquité, qu’il distingue relativement peu entre eux, et aux modernes : il suspectait la doctrine d’être corrompue par la transmission des textes, comme on l’a déjà noté ; il ne s’agit donc pas ici de comparer à la pensée cartésienne les œuvres de Démocrite ou d’Epicure connues par la philologie actuelle, mais plutôt de voir ce que Descartes lui-même entend sous ces noms. A cet égard, la synthèse la plus récente, celle de Daniel Garber12, montre comment Descartes s’oppose aux atomistes, dont la doctrine est en plein renouveau, sur la double question de l’indivisibilité des corps et sur leur doctrine de l’espace vide, en reliant la réfutation des deux thèses à la. métaphysique cartésienne et à sa physique, et en rapprochant Descartes donc à cet égard de l’aristotélisme. Ces deux points sont évidemment les plus importants, mais peuvent être complétés par rapport à la doctrine que Descartes tient pour être celle qui est professée en particulier par Démocrite. L’article 202 de la partie IV des Principia Philosophiae est le passage cartésien qui thématise le plus précisément le rapport à Démocrite, et, sans doute, plus généralement avec l’atomisme antique. Il fournit une grille de lecture intéressante, dans la mesure où il distingue dans la pensée de Démocrite des opinions avec lesquelles tout le monde devrait être d’accord, et des thèses que l’on doit réprouver. On notera évidemment que cet article est un épisode de plus dans le plaidoyer en défense face aux accusations de l’atomisme : il s’agit bien de montrer que « la philosophie de Démocrite ne diffère pas moins de la nôtre que de la philosophie vulgaire »13.

  • 14 Cf. Épicure, Lettre à Hérodote, § 44.
  • 15 Selon la doxographie de Leucippe et de Démocrite, les atomes diffèrent entre eux par le ῥυσμός, la (...)

7Selon cet article, personne n’a reproché à Démocrite d’admettre l’existence de corps insensibles et cependant susceptibles de grandeur, figure et mouvement. Descartes se trouve en accord avec les modes de raisonnement propres aux atomismes anciens, qui concluent à l’existence de corps insensibles à partir des mouvements observés dans les phénomènes sensibles14 ; le nombre de propriétés de ces corps est limité. La liste des ces propriétés fondamentales est ici l’énumération proprement cartésienne des objets de la mathesis pure, constituant effectivement les principes de sa physique, et non la liste des propriétés reconnues aux atomes par les premiers atomistes15. Donc, l’atomisme ancien a raison dans sa tentative de réduction du sensible, même s’il se trompe dans les qualités premières, et non pas seulement dans les éléments premiers.

8D’autre part, Démocrite a été réprouvé avec raison pour avoir admis (1) l’existence d’indivisibles, (2) le vide entre les corps, mais aussi (3) pour avoir supposé que les petits corps ont de la pesanteur, et enfin (4) pour avoir manqué le détail de l’explication des corps particuliers. Il faudrait ajouter à cela la réfutation des théories de la sensation, liées aux optiques de l’émission (Gassendi), et même à l’acoustique atomistique défendue par Beeckman, mais elles est comprise dans la réfutation des points 1, 2 et 4.

9Ces quatre points devraient organiser mon propos, mais il le feront de manière très inégale, dans la mesure où je ne détaillerai quelque peu que le premier point et un peu moins le second et le troisième. Quant à l’objection selon laquelle le détail de la formation des météores, comme les sels et les nues, n’est pas aperçu par Démocrite, elle signifie que l’on connaît certes mal les opinions des Anciens touchant les questions précises de cette nature, et surtout que l’objet de la physique de Descartes est, depuis ses origines, l’explication des phénomènes particuliers selon la mathesis beaucoup plus que la formulation de principes généraux. De ce fait, l’acceptation ou la réfutation de l’atomisme ne peut se situer seulement au plan des principes, mais doit aussi aller au détail, si elle en est capable.

10(1) La réfutation de la croyance en l’existence de parties insécables est relativement complexe, dans la mesure où elle fait apparaître un triple niveau d’analyse ; je distinguerai entre une réfutation logique et métaphysique et deux réfutations physiques, l’une générale et l’autre plus particulière.

  • 16 A Gibieuf, 19 janvier 1642, A. T., III, 477.
  • 17 A Mersenne, 28 oct. 1640, A. T., III, 213.

11a/ La réfutation logique et métaphysique s’attaque à la notion même d’atome, constamment jugée contradictoire à partir de 1640. Descartes explique à Mersenne, le 30 septembre, que « pour un atome, il ne peut jamais être conçu distinctement, à cause que la seule signification du mot implique contradiction, à savoir d’être corps et d’être indivisible » (A. T., III, 192) ; quelques lignes plus loin, Descartes note : « le principal but de ma métaphysique est de faire entendre quelles sont les choses qu’on peut concevoir distinctement ». La même contradiction est relevée dans une lettre ultérieure : « Il implique contradiction qu’il y ait des atomes ou des parties de la matière qui aient de l’extension et toutefois qui soient indivisibles, à cause qu’on ne peut avoir l’idée d’une chose étendue qu’on ne puisse avoir aussi celle de sa moitié, ou de son tiers, ni, par conséquent, sans qu’on la conçoive divisible en 2 ou en 3 »16. Inversement, des vrais indivisibles, à savoir des points, ne sauraient former par composition la moindre étendue17. L’atome ne peut donc être un principe de la physique, dans la mesure où celle-ci doit se fonder métaphysiquement sur des notions distinctes. Il ne peut donc en aucun cas avoir la valeur fondatrice qu’il a dans toutes les doctrines nommées atomismes, qui sont par là-même plus des métaphysiques que des physiques, au sens en tout cas que Descartes donne à la métaphysique dans la lettre du 30 septembre 1640.

12Cependant l’argument sur la divisibilité n’est en rien exclusif d’une indivisibilité dans la nature et non pas seulement notionnelle. A l’exemple de l’union de l’âme et du corps, toujours à la fois divisible et, en un autre sens, indivisible, l’union de n parties de matière en un corps indivis peut être supposée telle qu’elle résiste à toute division par des forces naturelles. C’est le sens de l’article 20 de la partie II des Principia Philosophiae, qui laisse ouverte la question :

  • 18 Principes de la philosophie II, art. 20 (A.T., IX-2, 74). Les révisions apportées par nous à la tr (...)

« 20. Qu’il ne peut y avoir aucuns atomes ou petits corps indivisibles.
Il est aussi très aisé de connaître qu’il ne peut y avoir des atomes, ou des parties de corps qui soient indivisibles du fait de leur nature. D’autant que, si petites qu’on suppose ces parties, néanmoins, parce qu’il faut qu’elles soient étendues, nous concevons qu’il n’y en a pas une entre elles qui ne puisse être encore divisée par la pensée en deux ou plus grand nombre d’autres plus petites, d’où il suit qu’elle est divisible. Car nous ne pouvons rien diviser par la pensée sans juger que cette chose est divisible, parce que, si nous en jugions autrement, le jugement que nous ferions de cette chose serait contraire à la connaissance que nous en avons. Et quand même nous feindrions que Dieu a voulu faire que quelque partie de la matière […] ne pût être divisée en d’autres plus petites, nous ne pourrions conclure pour cela qu’elle serait proprement indivisible, parce que, quand Dieu aurait rendu cette partie si petite qu’il ne serait pas au pouvoir d’aucune créature de la diviser, il n’a pu se priver soi-même du pouvoir qu’il avait de la diviser, à cause qu’il n’est pas possible qu’il diminue sa toute-puissance comme il a été déjà remarqué. C’est pourquoi absolument parlant elle peut toujours être divisée, parce qu’elle est telle de sa nature »18.

  • 19 Cf. Garber (D.), Descartes’ Metaphysical Physics, op. cit., p. 123-125, qui renvoie à Gassendi.

13Descartes ne dit pas qu’il existe des parties si petites qu’elles résistent à toutes forces des créatures ; il montre seulement que leur notion n’est pas contradictoire en tant que telle et qu’elle peut fort bien coexister avec une divisibilité indéfinie par la pensée, c’est-à-dire en fonction de la toute-puissance de Dieu ; la divisibilité physique n’a cependant pas le statut d’une vérité éternelle. Comme on le remarque parfois, l’indivisibilité possible dans la nature ainsi conçue est compatible avec la doctrine de Gassendi qui admet certes des atomes physiques, mais qui estime aussi que Dieu peut détruire (ou diviser) toute chose, et partant un atome19.

14b/ La dimension physique de la question permet seule de savoir si, même en refusant définitivement la métaphysique de l’atomisme. Descartes en conserve ou non des principes physiques. La division indéfinie de la matière en parties découle directement de la définition du mouvement comme séparation dans un univers plein, une fois réfutées les anciennes théories de la raréfaction et de la condensation et la croyance au vide, ainsi que d’un principe de conservation exprimé par Descartes peu avant les trois fameuses lois de la partie II des Principia philosophiae.

15Tout corps qui se meut entraîne avec lui un cercle de matière, dont Descartes décrit les propriétés dans les articles 33 et 34 de cette même deuxième partie. Le cercle de matière est, dans le premier cas étudié, parfait, c’est-à-dire que le mouvement d’ensemble est exactement équivalent au mouvement des parties d’un anneau matériel rigide, où chaque partie prend la place de la partie précédente. Dans ce cas, le flux est évidemment constant. Mais Descartes ajoute que la même relation de conservation du mouvement existe dans le cas de cercles imparfaits, en prenant comme exemple le mouvement des parties d’un anneau de section variable dans un rapport de 1 à 4. Dans ce cas, il y a compensation des inégalités de lieu par celles des vitesses, de sorte « qu’en chaque espace de temps qu’on voudra déterminer, il passera tout autant de matière dans un cercle par un endroit que par un autre » (art. 33).

16La division de la matière est le résultat de ce mécanisme de circulation :

  • 20 A. T., XI-2, 74 ; texte latin : A. T., VIII-1, 59-60.

« 34. Qu’il suit de là que la matière se divise en des parties indéfinies et innombrables.
Toutefois il faut avouer qu’il y a quelque chose en ce mouvement que notre âme conçoit être vrai, mais que néanmoins elle ne saurait comprendre : à savoir, une division de quelques parties de la matière jusques à l’infini, ou bien une division indéfinie, et qui se fait en tant de parties, que nous n’en saurions déterminer de la pensée aucune si petite, que nous ne concevions qu’elle est divisée en effet en d’autres plus petites. Car il n’est pas possible que la matière qui remplit maintenant l’espace G, remplisse successivement tous les espaces qui sont entre G et E, plus petits les uns que les autres par des degrés qui sont innombrables, si quelqu’une de ses parties ne change sa figure, et ne se divise ainsi qu’il faut pour emplir tout justement les grandeurs de ces espaces qui sont différentes les unes des autres et innombrables. Mais, afin que cela soit, il faut que toutes les petites parcelles auxquelles on peut imaginer qu’une telle partie est divisée, lesquelles véritablement sont innombrables, s’éloignent quelque peu les unes des autres ; car, si petit que soit cet éloignement, il ne laisse pas d’être une vraie division »20.

  • 21 Aristote, Du Ciel, Γ, 4, 302 b 5-8 (trad. P. Moraux), Paris, Les Belles-Lettres, 1965, p. 118. La (...)
  • 22 Principia philosophiae, II, art. 25, A. T., VIII-1, 53.

17La division est rendue nécessaire par l’adaptation des particules de matière, envisagées généralement, aux contraintes du plein : il suffit de concevoir alors la variation continue du diamètre d’un anneau pour que l’on soit forcé d’admettre que quelle que soit la limite conçue d’une division, il faut que les corps se divisent à nouveau pour remplir exactement l’espace. Cette division paraît inconcevable, tandis que la particule reste imaginable. Pour comprendre la relation de ce passage à l’atomisme de Démocrite tel que Descartes devait à peu près certainement le connaître, on peut le rapporter au De Cœlo : « Ces gens prétendent que les grandeurs premières sont infinies en nombre et indivisibles en étendue ; que le multiple ne naît pas de l’un, ni l’un du multiple, mais que toutes choses sont engendrées par la liaison et la collision des grandeurs premières »21. En commun, ces doctrines ont l’idée d’un nombre infini ou indéfini d’éléments. Mais, chez Démocrite et Leucippe, ils sont antérieurs à la formation des composés ; visiblement, pour Descartes, les corpuscules sont au contraire le résultat d’une activité incessante de mouvement et de décomposition sans limite des corps. On comprend donc que leur indivisibilité, conçue sur le modèle de grains de sable s’écoulant dans un tube de section continûment variée, est absolument incompatible avec le monde plein. Dans un cas l’indéfini ou infini est donné ; dans le second il n’est pas dit qu’il est donné, mais il est à coup sûr produit par l’exercice des lois du mouvement. Ce qui est naturel, puisque le concept fondamental de mouvement chez Descartes est la séparation des parties de la matière les unes des autres22.

  • 23 A. T., V, 274.
  • 24 Voir Jacques Rohault, Traité de physique, Paris, 1672, I, 9, p. 52, qui invente la « divisibilité (...)

18Les parties sont donc indéfiniment divisibles, innombrables, mais non certainement infinies en acte, comme le remarque Descartes en réponse à une objection de More en 1649, le terme d’infini positif étant réservé dans tous les cas à Dieu23. Descartes avoue son ignorance quant à savoir si le nombre de parties dans lesquelles la matière est divisible est simplement infini ou non. Cette division indéfinie sera par la suite le dogme de l’école cartésienne24, à l’exception déjà signalée de Cordemoy ; à ce dogme s’opposera l’idée exprimée par Leibniz d’une division en acte à l’infini, particulièrement perceptible dans le vivant. On remarquera naturellement que la réfutation de la doctrine des atomes n’a pas besoin d’une réponse à cette question, puisqu’il lui suffit de la divisibilité effective à l’infini dans le mouvement. On voit aussi que l’établissement de cette thèse suppose d’autre part que l’hypothèse du vide ait été éliminée.

19Mais le problème peut être saisi plus nettement encore à partir de la physique concrète, et notamment de la question des éléments.

  • 25 Principes de la philosophie, III, art. 52 (A. T., IX-2, 128) ; latin : Principia philosophiae, A. (...)

20c/ La genèse des éléments dans la troisième partie des Principia Philosophiae est une conséquence directe de la conception circulaire du mouvement, qui, dans cette partie, s’incarne dans la théorie des tourbillons, laquelle certes a du rapport avec la dîné des atomistes, comme le soulignait Leibniz ainsi qu’on l’a déjà signalé. Depuis le Monde, Descartes dispose d’une explication qui présuppose (cf. Principia philosophiae III, art. 48) l’existence initiale de parties de la matière inégales et irrégulières (si l’on suit le latin plutôt que Picot) sur lesquelles s’exercera l’efficacité (efficacitas) des lois décrites antérieurement. Or, la mise en mouvement de ces parties originelles produit trois éléments fortement différenciés. D’un côté, les contraintes liées à l’érosion des parties anguleuses jointes à la nécessité de ne laisser aucun espace vide entre les parties produisent des parties extrêmement petites, des raclures selon le traducteur25 (III, art. 52). Celles-ci constituent le premier élément. Les parties plus grosses, c’est-à-dire les parties initiales après érosion constituent le second élément. Enfin, d’autres parties, plus grosses encore, résistent davantage au mouvement, c’est-à-dire à la séparation de leurs parties. Cette tripartition se nomme dans le Monde feu, air, terre, mais aussi lumineux, transparent ou opaque comme ici. Il y a gradation dans la vitesse des parties, c’est-à-dire dans la capacité des corps à se séparer, - extrême dans le premier élément, moyenne dans le second (liquidité de Cieux) et moindre dans le troisième. Du point de vue qui intéresse la question de l’atomisme, on tirera immédiatement la conclusion que Descartes, dans sa physique concrète, distingue radicalement la question de la petitesse des éléments et celle de leur dureté. Bien que, dans le cadre abstrait de Principia philosophiae II, art. 20, il ait envisagé des corps si petits qu’aucune force naturelle ne puisse les détruire, dans le cadre de la physique des éléments, la dureté des corps est inversement proportionnelle à leur taille. Plus ils sont petits, plus il se brisent facilement ; plus ils sont divisés, plus ils sont divisibles.

  • 26 Cf. Rohault (J.), op. cit., p. 163 ; et Régis (P.-S.), op. cit., II, ii.
  • 27 Sur Descartes, voir F. De Buzon, “Substantialité et identité : les corps individuels chez Descarte (...)
  • 28 Lucrèce, De la nature, II, 116-120 :
    multa minuta modis multis per inane videbis
    corpora misceri rad (...)

21Cela ne fait donc pas disparaître la question du degré réel de divisibilité de la matière et ses apories, mais renverse la donnée initiale de ce qui constitue tout atomisme physique, l’existence de corps insécables parce que durs et dont la dureté provient de la petitesse. De ce fait, il n’est pas étonnant que Leibniz reproche par ailleurs à Descartes une hypothèse directement opposée à celle de l’atome, celle d’un milieu absolument fluide, capable en un instant d’adopter toutes les formes dont la matière est capable, et qui en ce sens serait fort proche du vide, si, comme le rappellent les physiciens de l’école cartésienne, les trois éléments ne sont jamais que le même genre d’être, s’ils ne représentent que des états de stabilité relatifs et temporaires et peuvent se transformer l’un en l’autre26. De ce fait, ce qui paraît alors problématique est non plus l’existence de corps absolument durs, mais même celle des corps qui ne le sont que relativement et qui ont une certaine stabilité dans le temps, ce qui explique les longues disputes sur l’identité des corps chez Descartes puis dans l’école cartésienne27. L’atome apparaît en définitive comme un préjugé, au mieux comme une image, comme en témoigne le passage du Monde où Descartes emploie le mot comme une image courante et cite quasiment quatre vers de Lucrèce28.

22On est ainsi conduit à apprécier la critique de la notion de vide.

  • 29 Aristote, Physique, IV, 9.
  • 30 Summa Philosophica, Paris, 1611, III, 2, 6, p. 327.

23(2) Comme on l’a vu déjà, les propriétés de divisibilité de la matière, paradoxales quant à l’orientation classique de l’atomisme, n’ont de sens qu’à partir de la théorie du mouvement circulaire et du principe de conservation qu’elle renferme, et celle-ci suppose un monde plein. S’il en était autrement, il n’y aurait aucun besoin d’imaginer un tel mécanisme de compensation. On comprend donc que la réfutation du vide, ainsi que des concepts qui lui sont en un sens liés, ceux de condensation et de raréfaction, soient l’objet d’un exposé circonstancié dans les Principia Philosophiae, dans la mesure où ils constituent le seul obstacle à l’identification de l’extension à l’essence des corps. A cet égard, Descartes met sur le même plan le préjugé du vide et les concepts aristotéliciens de raréfaction et de condensation conçus comme augmentation ou diminution d’une quantité de matière dans un même espace29, en suivant d’ailleurs pour une fois d’assez près Eustache de Saint-Paul30.

  • 31 Voir : à Huygens, 8 décembre 1647 ; à Mer senne, 13 décembre 1647 ; et : à Carcavi, 17 août 1649 = (...)

24La réfutation du vide connaît deux stades dans l’évolution de la pensée cartésienne, où il apparaît d’abord comme une supposition inutile, puis comme une hypothèse contradictoire ; on remarquera que la relation de l’expérience du Puy-de-Dôme ne changera rien à la théorie31.

  • 32 Monde, ch. VI ; Dioptrique, A. T., VI, 86 ; Météores, VI, 233.
  • 33 « Au reste je ne veux pas assurer pour cela qu’il n’y a point du tout de vide en la Nature ; j’aur (...)
  • 34 A. T., XI, 629-630 ; ce passage m’a été obligeamment rappelé par Daniel Garber, que je remercie tr (...)

25Supposition inutile, dans la mesure où la matière subtile telle qu’elle a été décrite, notamment dans sa plasticité, suffit à remplir le rôle que les physiciens atomistes prêtaient au vide ; le mouvement dans le plein étant lui-même rendu apparent, sinon démontré, par l’exemple du bassin de poissons32. Toutefois, dans le Monde, comme un peu plus tard dans les Essais, il n’y a pas de démonstration de l’inexistence du vide, celle-ci attendant des expériences particulières, dont le statut est bien indécis, pour être prouvée33. Corrélativement, un passage peu étudié et fort intéressant des Excerpta anatomica34 indique qu’il ne peut y avoir de vide et met sur le même plan le mouvement dans le vide et le mouvement d’un corps par un esprit (mens) comme autant de fictions utiles pour produire une théorie abstraite du mouvement des corps sans résistance du milieu.

  • 35 A. T., III, respectivement : 138 et 440.
  • 36 A Newcastle, octobre 1645, A. T., IV, 329.

26Hypothèse contradictoire, à partir des deux lettres à Mersenne du 17 mai et du 15 novembre 163835 : si le second texte indique qu’un espace vide est aussi contradictoire qu’une montagne sans vallée, le premier relie directement la question de la réalité de l’espace qui existerait « encore que Dieu n’eût rien créé » à l’établissement des vérités éternelles : « notre entendement en peut atteindre la vérité, laquelle est, au moins selon mon opinion, que non seulement il n’y aurait point d’espace, mais même que ces vérités qu’on nomme éternelles, comme que totum est majus sua parte &c, ne seraient point vérités si Dieu ne l’avait ainsi établi, ce que je crois vous avoir déjà autrefois écrit ». Comme on le voit, la réfutation de l’existence du vide vient de ce que l’extension étant l’attribut principal qui nous fait connaître la matière, on connaît l’espace supposé vide par la même notion que la matière ; l’espace vide apparaît ainsi comme un attribut sans substance. Ce point est rappelé par Descartes dans la correspondance ultérieure36 et les Principia Philosophiae (II, art. 16).

27Il y a ainsi un certain déséquilibre entre la réfutation du vide et celle des atomes. L’inexistence des atomes physiques n’est pas, comme on l’a vu, une vérité éternelle, mais une suite de la définition du mouvement dans le plein et de la réalisation de ses effets. En revanche, l’inexistence du vide est du même ordre que les vérités des mathématiques, dans la mesure où Dieu a fait l’entendement humain tel qu’il ne peut pas penser sans contradiction un espace vide, comme une montagne sans vallée, etc. ; mais cette inexistence ne fait l’objet d’aucune preuve physique. Toutefois, on verra dans la suite un autre concept de vide chez Descartes, à propos du troisième point, la pesanteur.

  • 37 DK 68 A 1 [= Diogène Laërce, IX, 84] ; cf. Lucrèce, II, 87-88.

28(3) Descartes ajoute la pesanteur aux qualités que Démocrite, en conformité avec l’identification ὄγϰος / ἄτομος, attribue aux corps premiers37, et qui est confirmée dans la lecture épicurienne. Quelques points de l’analyse montrent que la présence de ce concept n’est pas fortuite. Descartes, dès le début de la partie II des Principia philosophiae, avait éliminé la pesanteur, de même que d’autres qualités sensibles, comme la dureté, la couleur, etc. de l’essence des corps, au profit du seul attribut réellement inséparable, qui est l’étendue. La suite immédiate du passage ne fait pas apparaître de justification particulière de cette élimination, alors qu’elle est nommée en premier, et que la réfutation de l’atomisme est davantage circonstanciée en ce qui concerne la dureté

  • 38 Voir aussi le passage des Excerpta anatomica mentionné plus haut, p. 37, note 6.

29Or, du point de vue atomistique, en opposition avec la manière dont Descartes représente la physique scolastique qui voit dans tous les phénomènes des formes particulières, ou des qualités réelles, la pesanteur est, au fond, la seule qualité sensible que les atomistes ne réduisent pas à des effets de la taille, de la forme ou de l’arrangement des atomes. Il s’agit donc pour Descartes, dans les explications de la pesanteur, d’aller plus loin dans le mécanisme que ne l’ont fait les atomistes, en supprimant ce résidu de physique qualitative qu’ils partagent avec les scolastiques. Ce qui est fait dans les articles 20 à 27 de la partie IV des Principia. La pesanteur y est décrite comme une action qui ne peut venir que de la pression exercée par les corps environnants. Descartes note alors que cette action serait impossible dans le cas où il y aurait du vide autour de la terre38. En effet.

  • 39 Principia philosophiae IV, art. 21, A. T., VIII-1, 212.

30« afin d’entendre plus parfaitement en quoi consiste la nature de cette pesanteur, il faut remarquer que si tout l’espace qui est autour de la terre et qui n’est rempli par aucune de ses parties, était vide, c’est-à-dire s’il n’était rempli que d’un corps qui ne peut aider ni empêcher les mouvements des autres corps (car c’est ce qu’on doit proprement entendre par vide) et que cependant elle ne laissât pas de tourner en vingt-quatre heures sur son essieu, ainsi qu’elle fait à présent, toutes celles de ses parties qui ne seraient point fort étroitement jointes à elle s’en sépareraient, et s’écarteraient de tous côtés vers le ciel… »39. Picot a bien traduit, pour une fois au mot à mot : le vide est bien, dans son seul nom intelligible, un corpus “quod motus aliorum corporum nulla ratione impediret nec juvaret”. Certes, l’article 22 exclut immédiatement l’existence d’un tel vide par le rappel de la théorie tourbillonnaire. Mais il est très remarquable que Descartes ait formulé la possiblité d’un vide qui ne soit pas assimilé à un non-être ou à un attribut sans substance : il restait encore la possibilité qu’il s’agît d’un corps sans action propre, ce qui ressort des lectures qui assimilent la totale plasticité de la matière subtile au vide des atomistes. Ici, c’est le second élément et non le premier qui est capable de l’action rendant les corps pesants. Mais cela ne change rien au fait que le vide est définitivement compris comme un corps qui n’agit pas, et que, s’il est réfuté, cela signifie que tout corps agit : la matière subtile n’échappe évidemment pas à cela, puisqu’elle permet précisément la lumière, c’est-à-dire une action transmise instantanément, à l’instar de la pesanteur, et qui, dans l’ordre de la quatrième partie des Principia est placée immédiatement après la pesanteur et avant la chaleur. En d’autres termes, les trois thèses fondamentales de l’atomisme sont incapables, dans leur généralité, de comprendre mieux les phénomènes que les principes définitivement fixés dans l’article 64 de la deuxième partie des Principia. On peut alors formuler l’hypothèse que cette incapacité conditionne la lecture même de Démocrite par Descartes, en particulier sur le peu de détails de sa physique.

  • 40 Roux (S.), “Descartes atomiste ?” [communication à paraître].

31Pour conclure, il me semble que le refus de l’atomisme est moins lié chez Descartes à des considérations idéologiques ou politiques, qui le feraient choisir sagement le parti du plein et du continu avec la Scolastique et Aristote pour ne pas s’attirer les ennuis liés à la condamnation de l’atomisme. S’il en était réellement ainsi, il aurait sans doute aussi gardé les formes substantielles et les qualités réelles. Mais il me semble que face à Démocrite, comme au demeurant face à l’École, il se place constamment dans une situation de concurrence, et qu’il cherche à dépasser la philosophie la plus mécaniste de l’Antiquité de l’intérieur. On peut trouver des motifs de l’assimilation de Descartes à l’atomisme dans le fait évident qu’il emploie un vocabulaire parfois très proche (ne serait-ce que les “tourbillons”) et qu’il explique les sensations par des effets mécaniques (quoique très différents de ceux des atomistes) ; on ne peut nier que Descartes ait sans doute, comme beaucoup, reçu l’influence de cette philosophie ; un argument intéressant en faveur de l’assimilation partielle de Descartes à l’atomisme est aussi que les particules qu’il décrit ont « une certaine identité et une certaine solidité »40.

  • 41 .Journal d’Isaac Beeckman, éd. C. De Waard, tome III, La Haye, 1945, p. 360, notes d’août à octobre (...)

32J’en verrais aussi un autre, tenant au statut de la forme et à la question de leur origine, que Beeckman note à propos de Giordano Bruno, mais qui irait au fond aussi bien à Descartes : « Bruno, dans De la cause du principe et de l’un, dit qu’il a été depuis longtemps dans l’opinion de Démocrite, d’Épicure, des Cyrénaïques, des Cyniques et des Stoïciens qui disent que les formes ne sont rien d’autre que les dispositions accidentelles de la matière, parce que, dit-il, cette opinion a des fondements répondant plus à la nature que ceux d’Aristote »41. Ce trait définirait parfaitement la question de l’origine des formes et celle de leur nature, puisque, dans le monde physique cartésien tout au moins, elles ne renvoient jamais à une conception hylémorphique de la matière. Mais, chez les atomistes, la forme est encore un donné, tandis que chez Descartes elle est pour l’essentiel le résultat d’une combinaison de mouvements.

33D’un point de vue métaphysique, les atomistes et les cartésiens stricts sont les seuls à disposer d’une notion de substance matérielle non composée par une forme hétérogène. Toutefois, à l’intérieur de cette description de la matière, les trois opinions atomistiques que nous avons relevées constituent pour Descartes une impossibilité physique, une impossibilité métaphysique et une méprise sur l’essence de la matière identifiée abusivement à l’une de ses qualités.

  • 42 A. T., X, 8.
  • 43 Democritici signifie, chez Leibniz notamment, les auteurs s’inspirant de Démocrite. — Voir en part (...)

34On sait que Democritica est le titre de « 7 ou 8 lignes » contenues dans le fameux petit registre en parchemin ouvert en 1619 et coté C dans l’inventaire de Chanut42, contenant également le Parnassus, les Experimenta et les Praeambula. Rien n’est connu de ce texte, en particulier on ignore s’il s’agit de notes de lecture ; Democritica semble signifier, par analogie avec d’autres auteurs, des opinions inspirées de Démocrite43, et rien chez Beeckman n’indique à l’époque une lecture de la doxographie démocritéenne. Peut-être alors faudrait-il revenir sur la composition du mot et donc sa signification : Demo-critica ?

Notes

1 Mersenne (M.), Harmonie universelle, Paris, 1636 (réimpression : Paris, 1965), Première préface générale, vol. 1, f. A i v – A ii r.

2 Descartes (R.), à Plempius, 3 octobre 1637, A. T., I, 417 : Nunquid hic pro me Leucippum videt vel Epicurum, vel certe Lucretius, qui alicubi, nisi me fallit memoria, spicula solis dixit in carmine. — On notera, avec Adam-Tannery, que spicula solis n’est pas employé par Lucrèce.

3 A. T., II, 51.

4 A Mersenne, 30 août 1640 ; A. T., III, 166.

5 Descartes fait allusion aux atomistes antiques dans les Réponses aux Objections touchant la Cinquième Méditation (A. T., VII, 381 ; traduction française de Clerselier, Paris, 1661, p. 487), – à quoi répond Gassendi dans la Disquisitio (éd. Rochot, Paris, p. 477-479) en rapprochant la pensée cartésienne relative à la matière de deux vers de Lucrèce (I, 685-686).

6 A. T., IV, 223 [Lettre de Descartes à un destinataire inconnu], — L’auteur des objections faites à l’explication de l’arc-en-ciel n’est pas davantage connu.

7 A. T., V, 241-272.

8 Baillet (A.), La Vie de Mr Des-Cartes, Paris, 1691 (réimpression : Hildesheim, Olms) II, 272-273 et 532-534.

9 Notata quaedam GGL circa vitam et doctrinam cartesii, in Leibniz (G. W. F.), Philosophische Schriften, éd. Gerhardt, Berlin, 1880 [= GP], vol. IV, p. 311, et Akademie Ausgabe, Vorausedition [= VE] 542 p. 2672.

10 Voir en particulier le Système nouveau de la nature…, GP IV, 482 et Leibniz à Sophie-Charlotte, 31 octobre 1705, GP VII, 561. Dans ses notes sur la traduction latine du Discernement de l’âme et du corps (Genève, 1679), Leibniz distingue entre les cartésiens vulgaires pour qui toute extension est divisible et Cordemoy (qualifié de semi-gassendiste), pour qui toute substance est une et indivisible. Si les deux partis ont raison chacun de leur côté, comme le pense Leibniz, c’est au prix de l’abandon de la notion de substance corporelle (VE 157 ; texte cité dans : G. de Cordemoy, Œuvres philosophiques, Paris, 1968, p. 362-364).

11 Goudin (A.), Philosophie suivant les principes de S. Thomas, 1668 ; cité par R. Ariew, “Les Principia en France et les condamnations du cartésianisme”, in Descartes, Principia Philosophiae (1644-1694), Naples, 1996, p. 629.

12 Garber (D.), Descartes’ Metaphysical Physics, Chicago, 1992, ch. 5, p. 117-155 : “Descartes against the atomists : indivisibility, space and void”.

13 Principia philosophiae, IV, art. 202, sommaire (A. T., VIII-1, 325) : Democriti Philosophiam non minus differe a nostra, quam a vulgari. — La traduction de Picot donne, de manière assez lointaine : « Que ces principes ne s’accordent point mieux avec ceux de Démocrite qu’avec ceux d’Aristote ou d’autres » (A. T., IX-2, 320).

14 Cf. Épicure, Lettre à Hérodote, § 44.

15 Selon la doxographie de Leucippe et de Démocrite, les atomes diffèrent entre eux par le ῥυσμός, la τροπή et la διαθιγή (ap. Simplicius, Phys. 28, 15 = DK 68 A 38), ce qui revient selon Aristote (Métaphysique, A 4, 985 b 14 = DK 67 A 6) respectivement à la figure (σχῆμα) – A différant de N ; à l’ordre (τάξις) – AN différant de NA ; et enfin à la position (θέσις) – ± différent de H. — Dans tout l’article, Descartes est plus proche au fond d’Épicure, en particulier des § 44 et 54 de la Lettre à Hérodote : « il faut encore penser que les atomes n’apportent avec eux aucune des qualités que l’on voit dans les phénomènes, à l’exception de la forme (σχῆμα), du poids, de la grandeur et de tout ce qui est nécessairement lié à la forme » ; cf. La lettre d’Épicure, trad. J. Bollack, M. Bollack et H. Wismann, Paris, Minuit, 1971, p. 106-107.

16 A Gibieuf, 19 janvier 1642, A. T., III, 477.

17 A Mersenne, 28 oct. 1640, A. T., III, 213.

18 Principes de la philosophie II, art. 20 (A.T., IX-2, 74). Les révisions apportées par nous à la traduction de Picot sont soulignées.

19 Cf. Garber (D.), Descartes’ Metaphysical Physics, op. cit., p. 123-125, qui renvoie à Gassendi.

20 A. T., XI-2, 74 ; texte latin : A. T., VIII-1, 59-60.

21 Aristote, Du Ciel, Γ, 4, 302 b 5-8 (trad. P. Moraux), Paris, Les Belles-Lettres, 1965, p. 118. La traduction latine de Périon (Paris, 1567, f. 48 v), texte d’étude habituel de la physique particulière dans la seconde moitié du XVIe siècle, donne : Aiunt enim primas magnitudines multitudine infinitas esse, magnitudine autem individuas : nec ex uno plura, nex ex pluribus unum effici : sed horum concursu et complexu gererari omnia.

22 Principia philosophiae, II, art. 25, A. T., VIII-1, 53.

23 A. T., V, 274.

24 Voir Jacques Rohault, Traité de physique, Paris, 1672, I, 9, p. 52, qui invente la « divisibilité à l’indéfini » et la justifie par l’arbitraire de tout terme à la division du continu ; Pierre-Sylvain Régis, Cours entier de philosophie, Paris, 1691, II, p. 82-83 : « Toutes les parties de la matière, pour petites qu’elles soient, contiennent des parties possibles infinies, sans que cela puisse empêcher qu’on les conçoive comme des grandeurs finies ; car il a été prouvé qu’on peut concevoir des parties aliquantes ou proportionnelles infinies dans une quantité, sans toutefois concevoir que cette quantité est infinie. D’où il faut conclure qu’il n’y a point de partie de matière pour petite qu’elle soit qui ne se divisât à l’infini si elle n’en était empêchée par des forces égales et opposées qui agissent contre elles. Ce qui fait voir que la résistance que la matière apporte à sa division ne vient pas d’elle-même, mais d’une cause étrangère ». On voit bien alors que le problème de la physique de style cartésien est celui de la stabilité des corps composés, et non, comme dans l’atomisme antique, celui de la combinaison d’éléments premiers très durs.

25 Principes de la philosophie, III, art. 52 (A. T., IX-2, 128) ; latin : Principia philosophiae, A. T., VIII-1, 105

26 Cf. Rohault (J.), op. cit., p. 163 ; et Régis (P.-S.), op. cit., II, ii.

27 Sur Descartes, voir F. De Buzon, “Substantialité et identité : les corps individuels chez Descartes”, in G.-M. Cazzaniga et Y.-C. Zarka (éd.), L’individu dans la pensée moderne, Pise, 1995, p. 173-188 ; voir également le passage de Régis cité plus haut, p. 34, note 5.

28 Lucrèce, De la nature, II, 116-120 :
multa minuta modis multis per inane videbis
corpora misceri radiorum lumine in ipso
et vel ut aeterno certamine proelia pugnas
edere turmatim certantia nec dare pausam,
conciliis et discidiis exercita crebris.
A comparer avec Descartes (R.), Le Monde, A. T., XI, 14 : « car si vous daignez regarder ces petits corps qu’on nomme communément des atomes et qui paraissent aux rayons du Soleil, vous les verrez, lors même qu’il n’y aura point de vent qui les agite, voltiger incessamment çà et là en mille façons différentes ».

29 Aristote, Physique, IV, 9.

30 Summa Philosophica, Paris, 1611, III, 2, 6, p. 327.

31 Voir : à Huygens, 8 décembre 1647 ; à Mer senne, 13 décembre 1647 ; et : à Carcavi, 17 août 1649 = A. T., V, respectivement : p. 653, 98 et 391.

32 Monde, ch. VI ; Dioptrique, A. T., VI, 86 ; Météores, VI, 233.

33 « Au reste je ne veux pas assurer pour cela qu’il n’y a point du tout de vide en la Nature ; j’aurais peur que mon Discours ne devînt trop long, si j’entreprenais d’expliquer ce qui en est, et les expériences dont j’ai parlé ne sont point suffisantes pour le prouver, quoiqu’elles le soient assez pour persuader que les espaces où nous ne sentons rien sont remplis de la même matière et contiennent autant pour le moins de cette matière que ceux qui sont occupés par les corps, que nous sentons » (Le Monde, A. T., XI, 20-21).

34 A. T., XI, 629-630 ; ce passage m’a été obligeamment rappelé par Daniel Garber, que je remercie très vivement ici. Les fragments les plus proches de cette page, très importante pour comprendre l’évolution de la pensée cartésienne relative à la chute des corps après les travaux menés devant Beeckman, datent de 1635. Il paraît vraisemblable d’en dater la rédaction à la même période.

35 A. T., III, respectivement : 138 et 440.

36 A Newcastle, octobre 1645, A. T., IV, 329.

37 DK 68 A 1 [= Diogène Laërce, IX, 84] ; cf. Lucrèce, II, 87-88.

38 Voir aussi le passage des Excerpta anatomica mentionné plus haut, p. 37, note 6.

39 Principia philosophiae IV, art. 21, A. T., VIII-1, 212.

40 Roux (S.), “Descartes atomiste ?” [communication à paraître].

41 .Journal d’Isaac Beeckman, éd. C. De Waard, tome III, La Haye, 1945, p. 360, notes d’août à octobre 1634.

42 A. T., X, 8.

43 Democritici signifie, chez Leibniz notamment, les auteurs s’inspirant de Démocrite. — Voir en partie. le fragment Corpus non est substantia qui s’applique parfaitement à Descartes (pour la seule première phrase !) : Intelligo autem per corpus non id quod Scholastici ex materia et forma quadam intelligibili componunt sed quod molem alias Democritici vocant. Hoc ajo non esse substantiam. (« J’entends par corps non ce que les scolastiques composent à partir de la matière et d’une forme intelligible, mais ce qu’autrement les Democritici nomment masse. Je dis que ce n’est pas une substance ») ; in Leibniz (G. W. F.), Nouvelles Lettres et opuscules inédits, éd. Foucher de Careil, Paris, 1857 (réimpression : Hildesheim, 1971), p. 171. —Voir aussi les notes sur Cudworth (VE 406 p. 1887).

Auteur

Maître de Conférences à l’Université Paris XII.

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