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Philosophies de la nature

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Olivier Bloch

Quatrième journée

C.S Peirce ou l’idée d’une métaphysique scientifique évolutionnaire

Claudine Tiercelin

Texte intégral

  • 1 Peirce rappelait que pour un pragmatiste, « presque toutes les propositions de métaphysique ontolo (...)
  • 2 Je me permets de renvoyer pour plus de précisions à Peirce et le pragmatisme, PUF, coll. Philosoph (...)

1Une imagerie tenace s’attache au pragmatisme : souci de l’utile, de pratique et de l’action, aversion déclarée, commune avec le positivisme logique, pour la métaphysique. Juste à certains égards1, cette vision n’en est pas moins simpliste, voire franchement inexacte. Car si le pragmatisme —qui n’est pas en soi une « doctrine de métaphysique », mais une méthode, « pour établir la signification des mots difficiles et des concepts abstraits » (5.464), a bien une fonction thérapeutique2, il ne frappe pas de non-sens les énoncés de la métaphysique : au contraire, dans l’esprit de son fondateur, C.S. Peirce, il n’est que la propédeutique nécessaire à une « métaphysique scientifique purifiée » (5.423), qui doit se développer en une métaphysique scientifique et réaliste. Dès 1890 se met ainsi en place une véritable cosmogonie évolutionnaire, aux accents souvent schellingiens, dans laquelle se voient simultanément affirmées l’évolution continue et orientée de la réalité (synéchisme) et la présence irréductible d'un certain hasard (tychisme) ou d’une certaine indétermination de la nature.

1. DE LA MÉTAPHYSIQUE RÉALISTE À LA COSMOGONIE ÉVOLUTIONNAIRE

2Pour Peirce, la métaphysique est une discipline moins chargée de coiffer toutes les sciences que de discuter les problèmes soulevés par celles-ci (6.6). Sa tâche est d’examiner « les caractères les plus généraux de la réalité et des objets réels » (6.6). C’est bien une science, et une science « positive », mais elle ne fait appel à aucune technique particulière (6.4). Elle fait des hypothèses, testées à la lumière d’observations que chacun peut faire quotidiennement (1.34 ; 6.3) : un désir sincère de vérité, et une après-midi libre devant soi, en procédant par hypothèses et inductions, et l’on devrait pouvoir venir à bout de la majeure partie des problèmes métaphysiques (6.1-5).

  • 3 Rappelons la fameuse formule pragmatiste formulée en 1879 dans l’article paru dans la Revue Philos (...)
  • 4 Selon les termes de K. O. Apel, « la métaphysique de l’évolution », Philosophie, 1986, p. 25-47, p (...)
  • 5 Le texte de référence date de 1867 ; il s’agit de « Sur une nouvelle liste de catégories », ARM, p (...)
  • 6 Ce point a été souligné par les commentateurs, notamment Apel, (art. cit.) et C. Hookway, Peirce, (...)

3Grand lecteur de Kant et des médiévaux (notamment de Duns Scot), l’ambition de Peirce fut d’emblée de réfléchir aux conditions de possibilité de la métaphysique : le pragmatisme apparaît vite comme la meilleure méthode de diagnostic des raisons de l’échec de celle-ci3. Or dans l’architectonique du système transcendantal emprunté à Kant, la métaphysique présuppose la logique. Dans la classification peircienne des sciences, la métaphysique va elle aussi reposer sur la logique, qui chez Peirce prend un double tour, mathématique et catégorial ou phénoménologique. La doctrine des catégories, qui repose sur le phénomène originel de la représentation du réel dans des signes joue en effet le rôle d’une sorte de synthèse transcendantale de l’aperception4 et dégage trois catégories réelles et irréductibles, bien que liées dans le phénomène5 : Priméité, (conception de l’être ou de l’exister indépendamment de toute autre chose), Secondéité (conception de l’être en relation, en réaction avec quelque chose), Tiercéité enfin (conception de la médiation, par laquelle un Premier et un Second entrent en relation) (6.32 ; ARM, p. 211). Mais jusqu’à quel point les catégories ont-elles une application universelle ? Jouant un rôle voisin de la déduction transcendantale kantienne des principes6, la métaphysique va expliquer comment doit être la réalité pour que les espoirs régulateurs de la logique soient absolument vrais.

4Mais le réalisme (scotiste) de Peirce lui fait refuser l’idée (kantienne) de certaines limites indépassables de la connaissance humaine, rendant par là-même caduque la distinction kantienne entre principes régulateurs et spéculatifs. « La question du réalisme et du nominalisme...signifie la question de savoir jusqu'où les faits réels sont analogues à des relations logiques et pourquoi » (4.68). Partant, « La métaphysique consiste dans les résultats de l’acceptation absolue des principes logiques comme n’étant pas simplement régulativement valides, mais comme des vérités d’être » (1.487 ; cf. 7.580 ; 6.113). Aussi le principe régulateur (et non spéculatif) visant à réaliser un concept adéquat de la réalité dans le processus indéfini de la recherche (8.44 ; 1.405) est-il finalement subsumé sous un principe pratique, celui de « l'espoir intellectuel » (1.405), qui veut que le réel soit fondamentalement connaissable et que nous procédions pratiquement comme si toute question pourvue de sens devait à long terme recevoir une réponse (8.43).

  • 7 (5.93-5.119), présentée et commentée par B.Van Fraassen au début de Laws and Symmetry, Oxford, Cla (...)

5Peirce propose plusieurs arguments en faveur de son complexe « réalisme scolastique », parmi lesquels, celui invoqué lors d’une « expérience » au cours d’une conférence à Harvard7, où Peirce demande à son auditoire de « prédire » ce qui va se passer, s’il lâche la pierre qu’il est en train de tenir : « Je sais, dit-il, que la pierre tombera, comme un fait, dès que je lâcherai mon emprise ». « Si je sais vraiment quelque chose, en conclut-il, ce que je connais doit être réel « (5.94) : le fait que nous savons (ou en termes pragmatistes, que nous sommes incapables, ou — ce qui revient au même — n’avons aucune raison sérieuse de douter) que la pierre tombera lorsque nous la lâcherons est la « preuve que la formule, ou l'uniformité, telle qu’elle fournit une base sérieuse à la prédiction, est, ou si on préfère, correspond à, une réalité »(5.96) (qui sera qualifiée, quelques lignes plus loin de « loi de la nature »). Et nous n'avons pas le droit de croire que les phénomènes continueront à se présenter dans le futur de la même manière, sauf à croire en la réalité en question.

6Une seconde idée-force du réalisme est l'exigence d'intelligibilité et la reconnaissance — contre Comte et les positivistes — de la légitimité des hypothèses. S’en méfier, c’est admettre des limites à notre capacité cognitive (6.60), et de l’inexplicable (1.139) ; c’est « bloquer la recherche (1.135), entraver le cours normal de la science (6.171). Dans cet esprit, « il faut supposer que l’univers a une explication, dont la fonction, comme c’est le cas de toute explication logique, est d’unifier la variété qu’on observe en lui » (1.487).

7Mais que la métaphysique soit scientifique n’implique pas qu’elle se réduise à une science ou à des méthodes de validation empiriques : Suivre la science, c’est moins suivre des règles ou des méthodes qu’une forme de vie, et de devoir, un certain idéal de rationalité normative, intégré au travail d’une communauté de recherche, tourné vers la découverte de la nature de la réalité, concept central de la métaphysique scientifique. La métaphysique est donc une science positive, mais non positiviste. Il ne s’agira pas d’une pure dérivation empirique des catégories par les sciences ou par l’histoire, ou par le sens commun. Les sciences devront intervenir dans l’explication d’ensemble de « l’univers de l’être » (6.214) ; d’où le recours aux analyses des théoriciens de l’évolution, mais en se démarquant des cosmologies évolutionnaires du temps (H. Spencer, John Fiske ou Frank Abbot), ainsi que du sens commun, cette instigation naturelle certes utile (6.10), mais désormais insuffisante pour expliquer certaines découvertes scientifiques complexes. C’est cette explication de substitution à la métaphysique quasi-instinctive du sens commun que Peirce croit trouver dans sa cosmologie évolutionnaire.

2. LES DEUX PRINCIPES DE LA COSMOGONIE : LA CONTINUITÉ (SYNÉCHISME) ET LE HASARD (TYCHISME)

8Le vestibule logique de la métaphysique révèle à Peirce la force de deux idées : que la Tiercéité, catégorie de la continuité ou de la généralité est fondamentale ; que la nécessité comme l’exactitude absolues — jusques et y compris en mathématiques — sont un leurre. Ce sont les deux principes (synéchisme et tychisme) autour desquels Peirce construit sa métaphysique évolutionnaire.

  • 8 On se reportera ici aux explications très éclairantes données par Ketner et Putnam dans l’introduc (...)

91) Peirce ne cessera de dire que l’idée de continu est cardinale (6. 211) et qu’on ne peut la saisir qu’à partir de sa logique des relations et de ses recherches mathématiques. Brièvement8 : le continu n’est pas pour Peirce la notion mathématique bien définie qui s’attache pour nous à certaines fonctions, courbes ou lignes. Elle part d’une analyse mathématique de la continuité de la ligne, pour culminer en une vaste généralisation métaphysique. Le continu est conçu comme une possibilité de division répétée ne pouvant jamais être épuisée dans aucun monde possible, pas même dans un monde où pourraient s’accomplir des processus infiniment non dénombrables (c’est la version peircienne des réponses négatives au Principe de Plénitude). Dire par exemple que l’habitude est générale ou continue, c’est dire qu’elle doit permettre Ω réalisations possibles, i. e. permettre une telle richesse d’exemplifications possibles que dans aucun monde possible elles ne seront toutes réalisées. Ainsi, la métaphysique peircienne du continu n’est pas simplement ou principalement une métaphysique qui insiste sur le nombre important de continua dans la nature, ou sur le nombre de fonctions continues importantes en physique ; c’est une métaphysique qui identifie la continuité idéale avec l’idée d’une possibilité inépuisable et créatrice. L’intuition sous-jacente est que nous vivons dans un monde où il existe un nombre immense de possibilités, et de possibilités compatibles. Et qu’en outre, la raison pour laquelle elles ne peuvent être réalisées n’est pas que la réalisation de certaines d’entre elles empêche logiquement la réalisation de telles autres, même si ce cas de figure peut aussi exister. Comme le dit Ketner (RLT, p. 53-54), l’intuition métaphysique centrale est que le possible outrepasse toujours l’actuel et que cela n’est imputable ni à la finitude de nos capacités humaines, ni à des limitations imposées par les lois physiques.

10La seconde leçon — provenant, et ce n'est pas un moindre paradoxe, des mathématiques— est que les axiomes de la géométrie n’ont pas du tout l’absolue nécessité à laquelle on avait cru (6.30). Puisque les axiomes métaphysiques sont des « imitations des axiomes géométriques », « nous ne pouvons avoir aucune raison de penser que tous les phénomènes dans leurs plus petits détails sont précisément déterminés par la loi ».

11Rendre compte de la régularité, de la continuité, mais aussi de la variété, du discontinu, de l’inexact : tel est l’enjeu. Le premier problème est le plus épineux parce que « les uniformités sont précisément le genre de faits qu’il s’agit d’expliquer... La loi est par excellence ce qui exige une raison »(6.12).Comment procéder ? La logique semble imposer de le faire en la dérivant de lois plus générales ou plus abstraites. Mais on tombe alors dans une régression à l’infini (6.60), sauf à postuler la présence de lois de toute éternité : c’est réénoncer les faits à expliquer sans les expliquer, et donc renoncer à l'exigence d’intelligibilité (6.171 ; 6.12 ; 6.60). Recourir à l’histoire naturelle pour bloquer la régression, en recourant à une loi non dérivable ? C’est tentant, d’autant plus qu’on refuse aussi une forme d’idéalisme transcendantal qui expliquerait cela par référence à l’activité constitutive d’un sujet connaissant. Peirce ne s’en tient pourtant pas à cette forme d’explication génétique et historique, car son but n’est pas une cosmologie, mais une « cosmogonie philosophique » (6.33), dont les conclusions seront néanmoins susceptibles d’être vérifiées (1.410 ; 6. 62).

12Or si la cosmogonie évolutionnaire est la seule rationnelle, c’est parce que seule une explication de la manière dont la loi évolue évitera les explications ultimes : on doit pouvoir montrer qu’un processus évolutionnaire qui n’a pas à être nécessairement pensé comme régi par la loi peut expliquer l’émergence d’un cosmos régi quant à lui par la loi. C’est par ce biais qu’est introduite la nécessité de la métaphysique évolutionnaire et par là-même la thèse de l’indéterminisme et du tychisme, thèse devenue particulièrement importante au XXe siècle avec la relativisation de la mécanique classique, et ici introduite, non pour inférer de façon rigoureuse des lois déterministes à partir de lois statistiques dont les premières seraient les cas-limites mais pour expliquer par une méthode semi-catégorielle semi-génétique, la légalité à partir du hasard.

132) La seule manière possible d’expliquer les lois de la nature et l’uniformité en général, est donc « de supposer qu’elles résultent de l’évolution, partant, de supposer qu’elles ne sont pas absolues, et qu’il ne faut pas leur obéir précisément. Voilà qui constitue un élément d’indétermination, de spontanéité ou de hasard absolu dans la nature » (6.13). Si le synéchisme est la première évidence dégagée par la métaphysique, le tychisme ou théorie de la présence irréductible du hasard est la deuxième. Comme beaucoup d’auteurs à la même époque, Peirce critique le nécessitarisme et la croyance que « le moindre fait dans l’univers est précisément déterminé par la loi » (6.35). Refuser le nécessitarisme, c’est donc affirmer le libre arbitre, mais c’est surtout refuser ses implications matérialistes et de réduire la causalité finale à la causalité efficiente (6.38). Le déterminisme est peu convaincant, d’abord parce qu’il n’est pas a priori certain (6.36), qu’il n’y a rien dans la raison ou dans la nature qui l’exige, que ce n’est pas un « présupposé » ou un postulat du raisonnement scientifique (6.39). La découverte des géométries non-euclidiennes démontre qu’on ne peut s’en tenir à une conception de premiers principes mathématiques comme étant strictement exacts ou exactement confirmés par l’observation (1.30 ; 1.400). Or, si l’on peut désespérer d’éliminer le vague en mathématiques, on voit mal comment il en irait autrement en métaphysique. Il faut donc s’attendre à ce que les premiers principes de la métaphysique ne soient que des approximations sur la réalité. Le dogmatisme nécessitariste est donc contraire à l’esprit général de la science qui a partie liée avec le probable, et surtout inutile, puisque la validité de l’inférence statistique (la forme d’inférence la plus commune en science) ne dépend que de la prédésignation et de la procédure d’échantillonnage : (6.39-42). De ce que la nature est régulière, on ne saurait donc conclure à son exactitude : si l’on essaie de vérifier n’importe quelle loi de la nature, on s’aperçoit que « plus les observations sont précises, plus elles montrent de façon certaine des écarts irréguliers par rapport à la loi » (6.46). Mais ce n’est pas l’indéterminisme épistémique qui est en cause : « Quelle que soit notre tentation d’attribuer ces écarts à des erreurs d’observation, si l’on remonte assez loin jusqu’aux véritables causes, on devra admettre qu’elles sont toujours dues à la détermination arbitraire ou au hasard » (6.46).

  • 9 En vérité, l’indéterminisme épistémique qui devait s’épanouir avec Heisenberg en 1905 était déjà b (...)
  • 10 Voir par exemple A. A. Coumot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères (...)

14En invoquant le terme de « hasard absolu », Peirce va donc revendiquer l’existence d’une indéterminité réelle et pas simplement d’une indéterminité qui proviendrait de notre ignorance (6.57)9 et soutenir deux thèses : la première, qui lui est commune avec ce que l’on soutenait au XIXe siècle, avec le développement des techniques statistiques dans les sciences fondamentales10 que les lois de la nature sont des lois statistiques (de la forme : la probabilité qu’un F soit G est p) plutôt que des lois déterministes ; la seconde, qui porte sur la question de savoir jusqu’à quel point la réalité est ou non gouvernée par la loi, l’argument majeur étant que les lois sont au mieux approximativement vraies, qu’elles contraignent le cours des événements, mais qu’il y a de la place pour le hasard, et pour des déviations spontanées à partir des lois. D’une part donc, les lois ne sont pas absolument exactes, et d’autre part « elles n’ont pas un balancement absolu dans la nature »(1.325). D’où deux facettes du hasard, 1) comme contingence radicale, absolue spontanéité, ou, en termes catégoriels peirciens, Priméité, quand on veut souligner la variété de la nature, le libre-arbitre de l’agent, 2) comme distribution statistique, incarnant donc déjà une forme d’ordre, ou de Tiercéité, quand on veut atténuer l’absurdité qu’il y aurait à soutenir l’absence totale d’ordre. Les déviations à partir de la loi restent « soumises à une certaine loi probabiliste » (6.91) : il s’agit bien de fréquences, simplement de fréquences qui ne pourront converger qu’à long terme vers des valeurs fixes. Il serait parfaitement contradictoire avec le synéchisme de soutenir qu’il n’y a aucune loi dans l’univers. Aussi Peirce dit-il parfois que le synéchisme est premier, et qu’il ne faut pas accorder au tychisme une place démesurée (6.202). Un monde absolument livré au hasard serait contradictoire et donc impossible (6.404) : « Tout l’univers aurait alors un tel air de systématicité et de régularité parfaites qu’il n’y aurait plus aucune question à poser »(6.406).

3. « CHANCE, LOVE AND LOGIC » : L’ÉVOLUTION LOGIQUE DU RÉEL

15Le tychisme est donc introduit comme prémisse nécessaire à l’explication évolutionnaire de la loi (6.764), explication impossible dans les termes d’une métaphysique déterministe.

16Être à l’écoute de la science, mais ne pas s’en laisser compter par elle, et la penser à partir de l’analyse rendue possible par les catégories : aussi doit-on avoir en philosophie « un évolutionnisme intégral, ou rien du tout » (6.16). Quelles leçons de « logique »(5.363) retirera-t-on des théoriciens de l’évolution ? De chacun des trois (Darwin, Lamarck, Clarence King) quelque chose, car les trois modes d’évolution ont eu un rôle à jouer dans la production de l’espèce. De la théorie darwinienne, Peirce retient deux facteurs : l’hérédité et la sélection naturelle, plus en accord avec le tychisme et la Priméité (6.298 ; 6.304) mais aussi avec la Secondéité (le choc de la sélection). Mais la paléontologie et la géologie semblent donner raison à la théorie de l’évolution cataclysmique, en établissant que les espèces se sont surtout modifiées lors de chocs géologiques (6.17), comme le montre aussi l’histoire des institutions et des sciences qui procède par sauts (1.109 ; 6.17) : elle coïncide donc bien comme théorie de la stimulation et du défi avec la Secondéité, et avec l'idée de la connaissance comme cette enquête reposant sur un va et vient entre doutes perturbateurs et croyances-habitudes. Quant au lamarckisme, il souligne l’aspect téléologique de l’évolution, seul capable d’expliquer l’acquisition d’habitudes en termes de lutte et d’efforts finalisés, et donc de mieux comprendre, de l'intérieur, la Tiercéité (6.16), en assurant une meilleure transition à l’observation psychologique du principe de continuité généralisé dans « la loi de l’esprit », où il fait corps avec le synéchisme. Peut-on rêver meilleur modèle quand on définit l’évolution comme ce qui n’est « ni plus moins que l’élaboration d'une fin définie » ? (1.204)

17Repensées en termes catégoriels, ces trois formes d’évolution s’articulent dès lors ainsi : à l’évolution fortuite (tychisme) répond la Priméité, la spontanéité, ou le continuum indifférencié de possibilités qualitatives. Le second principe de sélection par élimination illustre la Secondéité (action, réaction, choc, lutte, facticité, confrontation avec le réel). Le troisième principe enfin, essentiel, déjà présent dans le continuum indifférencié, qui se maintient dans la variation fortuite par différenciation et développement, et assure la cohérence de l’ensemble, c’est la Tiercéité, principe de médiation rationnelle : c’est la loi de l’habitude, la véritable loi de l’évolution, qui permet d’expliquer toutes les lois particulières : « En biologie, l'idée de variation fortuite (sporting) est un Premier ; l’hérédité un Second, le processus par lequel les caractères accidentels se fixent, un Troisième. Le hasard est un premier, la loi un second, la tendance à prendre des habitudes, un troisième. L’Esprit est un premier, la Matière un second, l’Évolution un troisième » (6.32).

18Revenons sur cette naissance progressive du cosmos à partir du chaos, cet « état initial dans lequel l’univers était inexistant, et donc un état de pur néant » (6.215). Dans ce « néant germinal », fortement schellingien, « tout est impliqué ou pressenti », proche de la matière aristotélicienne (6.206 et 6.355-359), « en soi indéterminée, en soi inconnaissable, mais à la fois déterminable par la forme et même sensible à travers elle » (6.356). Comment s’effectue alors le second moment ? De façon non nécessaire. De l’indétermination pure, rien de nécessaire ne s’ensuit. C’est le point crucial qui, Peirce le répète à l’envi, le sépare de Hegel : Hegel a tort de penser, non que l’univers est rationnel, mais qu’il est, parce que rationnel, contraint d’être tel qu’il est (6.218). L’univers a une logique, mais qui n’est pas forcément déductive : elle est plutôt inductive ou hypothétique : c’est la logique « de la liberté » (cf. Ravaisson ou Boutroux) ou de la « possibilité » (6.219). La possibilité n’est donc pas seulement logique : ce serait la priver de sa puissance et de son dynamisme. C’est plutôt quelque chose de virtuel, (cf. Bergson) susceptible de s’actualiser quand seront réunies toutes les conditions de sa réalisation (6.365) ; telle est « la loi de la liberté » très différente de la loi déterministe La relation entre potentialités et réactions se fait ensuite par l’intermédiaire de la loi, et donc de la troisième étape : mais cela signifie que les réactions contiennent déjà en germe « une tendance à prendre des habitudes », et qu’une fois cette tendance vers la généralité apparue (6.490), elle travaillera sur elle-même. L’habitude remplace ainsi l’énergie spontanée qui soutient ces formes (6.300).

19Sont ainsi réconciliés les éléments tychastiques et anancastiques de la théorie : à elle seule l’évolution tychiste ne peut expliquer la sympathie positive existant entre les choses créées et qui apparaît à partir de la continuité de l’esprit (6.304) ; mais l’évolution anancastique seule ne le peut davantage, contrairement à ce que rêvait Hegel (6.305). L’agapisme, si : « le développement agapastique de la pensée consiste en l’adoption de certaines tendances mentales, mais pas complètement à l’étourdie, comme dans le tychisme, ni tout à fait aveuglément, par la seule force des circonstances ou de la logique, comme dans l’anancisme, mais par une attirance immédiate pour l’idée elle-même dont la nature a quelque chose de divin, avant que l'esprit ne s’en saisisse, par le pouvoir de la sympathie, c’est-à-dire en vertu de la continuité de l’esprit »(6.306).

20Aussi l’évolution rejoint-elle en définitive l’action de l’amour (dite agapisme) ou de la « Règle d’or »(6.288), celle de Saint-Jean « l’évangéliste ontologique », qui a fait en sorte que « l’Être suprême et unique par lequel toutes choses ont été créées à partir de rien, soit le chérissant amour » (6.289).

21En définitive, la loi de l’habitude est donc la loi de l’esprit. Et c’est pourquoi la métaphysique de l’évolution parvient à l’idée que le cosmos est « vivant », le monisme ou l’identité de la matière et de l’esprit apparaissant dès lors comme une conséquence naturelle de la métaphysique : « la seule théorie intelligible de l’univers est celle de l’idéalisme objectif, selon lequel la matière est de l’esprit dégénéré, des habitudes invétérées devenant des lois physiques » (6.25 ; 6. 101 ; 6. 158) ; 6. 261 ; 6. 264 et 6. 605). Aussi doit-on « considérer la matière comme des habitudes qui se sont figées de telle sorte qu’elle a perdu le pouvoir d’en former et d’en perdre » (6. 101 ; cf. 6. 23 ; 6. 148). L’univers n’est donc pas celui que nous décrivaient les mécanistes : c’est un univers animé par des causes finales (1.211 ; 5.65), surtout gouverné par la « raisonnabilité » travaillant au sein du concret. Mais l’indétermination radicale reste le caractère dominant de l’évolution (1. 615).

22La cosmogonie peircienne se présente en définitive comme une sorte d’hyperbole (8.317) s’orientant en deux sens, vers l’origine de ce cosmos, et vers le développement en cours de réalisation. Dans les deux cas, on n’a que des limites : les atteindre serait transcender l’ordre spatio-temporel auquel l’homme reste soumis. Au mieux peut-on spéculer sur le comment des origines et de la fin (8.317).

CONCLUSIONS

  • 11 L’un des partisans les plus convaincus d’une épistémologie évolutionnaire, Donald T. Campbell n’a (...)
  • 12 C’est pourquoi, même s’il attend de l'aide de ce « splendide et fameux chapitre de Kant sur l’arch (...)

23Le projet peircien d’une métaphysique scientifique évolutionnaire est difficilement classable. Ni métaphysique de la nature11 ni métaphysique systématique12, il apparaît comme une entreprise néanmoins très spéculative. Peirce le qualifie lui-même d’« idéalisme objectif » et admet ses connotations schellingiennes (6. 102 ; ARM, p 231), liées à certaines influences transcendantalistes. De plus les considérations éthiques et religieuses n’en sont pas absentes. Est aussi évoqué le pouvoir ou l’efficace des idées « qui déterminent l’existence des objets » (1.213). L’un des ressorts majeurs du tychisme est bien l’opposition au matérialisme (6.61 ; Ms 282) : il permet d’insérer l’esprit « là où il faut » et d’empêcher sa réduction à la matière, résolvant ainsi le problème de la relation entre l’âme et le corps (6.61). Il n’empêche : Peirce a toujours refusé de confondre l’instinct religieux et les arguments des théologiens et des philosophes. La conviction religieuse s’appuie sur une expérience directe de Dieu. Dieu n’a pas à entrer dans la métaphysique à titre d’hypothèse explicative. Le philosophe et le savant n’ont rien à dire sur les miracles, ni qu’ils sont vrais, ni qu’ils sont faux(1.90-1). Mais en retour, ils n’ont rien non plus à attendre des révélations (1.143).

24On a aussi reproché à Peirce son synéchisme et sa conception du continu : mais, comme Ketner et Putnam l’ont montré, celle-ci est beaucoup moins baroque qu‘on ne le pense, et notamment depuis que les travaux d'A. Robinson en analyse non standard ont rendu leurs lettres de noblesse aux infinitésimaux, sur la réalité desquels Peirce s’appuie beaucoup dans sa démonstration.

  • 13 pour une démonstration convaincante de l’importance de celle-ci, voir R. Dawkins, L’Horloger aveug (...)
  • 14 Apel, art. cit. p. 45.
  • 15 Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge University Press, 1990, chap. 23, p. 200 sq.

25Certes, cette idée d’une logique catégorielle des choses peut paraître étrange, comme peuvent paraître rapides les conclusions de Peirce en faveur d’un monisme pensé comme nécessairement non matérialiste. De même, la cosmologie évolutionnaire n’est pas toujours en accord avec les enseignements de la science : Peirce a notamment sous-estimé l’importance explicative de l’hypothèse darwinienne13. Mais sur d’autres points, il a anticipé des modèles de pensées devenus courants en biologie, selon lesquels toute évolution doit s’entendre d’une part comme la spécialisation, et en conséquence comme un accroissement de la rigidité touchant la vie créatrice, et d’autre part, comme un développement plus élevé qui fait une percée en direction d’une virtualité plus originelle et non spécialisée14 (cf. 6. 33). En outre, Peirce ne s’est pas contenté de développer une doctrine spéculative sur le hasard. Il est certainement celui qui a le plus contribué, au XIXe siècle à « l’apprivoisement du hasard »15.

  • 16 A. A. Cournot, op. cit., tome II, chap. XXVp. 476.
  • 17 Il ne faut pas en effet oublier que celui qui est l’un des pères de la logique contemporaine (par (...)
  • 18 Dont Peirce loue le kantisme et le plaidoyer en faveur du hasard absolu (6. 238 ; 6. 505, 511 ; 6. (...)
  • 19 Voir les thèmes développés dans De la Contingence des lois de la nature, Paris, 1874, et notamment (...)
  • 20 À ma connaissance, Peirce cite Maine de Biran, mais jamais Ravaisson (pourtant De l’habitude, date (...)
  • 21 Cf. J. Dewey, Experience and Nature, La Salle : Open Court, Illinois, 1926, p. 407-408.
  • 22 voir par ex. Patrick Suppes, A Probabilistic Theory of Causality, Amsterdam, North Holland, 1970 e (...)

26« Toute tentative pour comprendre quelque chose », écrit Peirce, toute recherche, suppose, ou du moins espère que les objets mêmes de l’étude soient soumis à une logique plus ou moins identique à celle que nous employons » (6.189). La métaphysique réaliste scientifique est incontestablement cet espoir de parvenir à partir des catégories dégagées par la logique à une meilleure compréhension de ce que Coumot appelait « l'idée de l’ordre et de la raison des choses »16. Ce faisant, Peirce a fait le pari d’un rôle possible de la philosophie, voire de la métaphysique dans les sciences. En ce sens, ce savant de métier qu’il était17 est plus proche, sur de nombreux thèmes, du courant spiritualiste qui se développe en France au XIXe siècle, chez des auteurs tels que Renouvier18, Boutroux19, ou Ravaisson20 qu’il ne l’est des pragmatistes tels que James et Dewey, qui refusaient de considérer que la philosophie pût être un guide pour la physique21. Peirce continue à penser non seulement que la philosophie a quelque chose à dire mais que la métaphysique, et une métaphysique qui n’est pas seulement conçue sur le mode d’une épistémologie naturalisée, est encore possible. Cette métaphysique, Peirce la conçoit comme nécessairement indéterministe. A-t-il raison lorsqu’il prétend que tous les phénomènes de développement ne sont explicables que dans ce cadre, et non dans un cadre déterministe ? Après tout la fusion de la sélection naturelle darwinienne et de la génétique de Mendeléef se propose justement de faire quelque chose de ce genre. Et Peirce ne propose guère d’arguments concluants pour exclure cette possibilité. On peut se demander pourtant si le schéma métaphysique indéterministe qu’il propose n’est pas mieux adapté à ce que nous enseignent la physique et l’histoire des sciences contemporaines22.

  • 23 D. Armstrong, What is a law of nature ?, Cambridge University Press, 1983.
  • 24 Van Fraassen (op. cit.) propose notamment de substituer aux lois de la nature le modèle de la symé (...)

27Ce que l’on pourrait enfin reprocher, c’est l’hypothèse réaliste elle-même, associée à l’exigence d’intelligibilité : après tout, la question de savoir pourquoi il y a des lois est-elle vraiment une question scientifique ? Certains pensent que oui (tels D. Armstrong23) partisans de l’adoption d’un réalisme fort, postulant la réalité de lois de la nature ; d’autres (tels B. Van Fraassen) qu’il s’agit là d’une hypothèse dont on peut parfaitement se passer en sciences, sans renoncer pour autant à des objectif rationnels24. Quelle que soit l’option philosophique que l’on adopte sur ces différents points, ce qui frappe en définitive le plus dans ce projet peircien d’une cosmologie évolutionnaire, c’est la modestie extrême de la plupart des hypothèses avancées (1.103-9 ; 1.116). Si ces conclusions ne permettent pas de sauver la cosmologie évolutionnaire, elles la resituent dans la perspective qui est la sienne, dont la clé pourrait être livrée par cette description que fait Peirce de sa méthode en métaphysique :

« On peut décrire ma philosophie comme la tentative d'un physicien qui fait des conjectures sur la constitution de l'univers, pour autant que les méthodes de la science le permettent, et en s'aidant de tout ce qui a été fait par les philosophes qui l’ont précédé. J'étaierai mes arguments par autant d'arguments que je le pourrai. Mais il ne faut pas songer à des preuves démonstratives. Les démonstrations des métaphysiciens ne sont que poudre aux yeux (moonshine). Le mieux que nous puissions faire, c’est de fournir une hypothèse qui ne soit pas dénuée de toute vraisemblance, qui soit dans la ligne générale du progrès des idées scientifiques, et qui soit susceptible d’être vérifiée ou réfutée par de futures observations »(1.7).

Notes

1 Peirce rappelait que pour un pragmatiste, « presque toutes les propositions de métaphysique ontologique sont ou dénuées de sens, ou pur bavardage, ou bien alors absurdes » (5.423). Voir par ex. l'article de 1905 : « What Pragmatism is », paru dans The Monist, avril 1905, p. 161-181, repris dans The Collected Papers of CS Peirce, Harvard University Press, 1931-58, 8 vols., cités par la suite, par numéro de volume puis de paragraphe (5. 411-437), trad. franç. par J. Deledalle-Rhodes et M. Balat, in A La Recherche d’une Méthode (ARM), Presses Universitaires de Perpignan, 1993, p. 311-332.

2 Je me permets de renvoyer pour plus de précisions à Peirce et le pragmatisme, PUF, coll. Philosophies, 1993, et La Pensée-Signe, édit. J. Chambon, coll. Rayon Philo, 1993.

3 Rappelons la fameuse formule pragmatiste formulée en 1879 dans l’article paru dans la Revue Philosophique « Comment rendre nos idées claires » : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet ».

4 Selon les termes de K. O. Apel, « la métaphysique de l’évolution », Philosophie, 1986, p. 25-47, p. 30.

5 Le texte de référence date de 1867 ; il s’agit de « Sur une nouvelle liste de catégories », ARM, p. 19-39.

6 Ce point a été souligné par les commentateurs, notamment Apel, (art. cit.) et C. Hookway, Peirce, Routledge & Kegan Paul, 1985, p. 265.

7 (5.93-5.119), présentée et commentée par B.Van Fraassen au début de Laws and Symmetry, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 19 sq., trad. franç. par C. Chevalley, Lois et Symétrie, 1995, Vrin, coll. Mathesis.

8 On se reportera ici aux explications très éclairantes données par Ketner et Putnam dans l’introduction de Reasoning and the Logic of things (RLT), Harvard University Press, Cambridge, Mass. : 1992, trad. fr. par C. Chauviré, P. Thibaud et C. Tiercelin, Le raisonnement et la logique des choses, Paris, Le Cerf, 1995.

9 En vérité, l’indéterminisme épistémique qui devait s’épanouir avec Heisenberg en 1905 était déjà bien connu des milieux scientifiques du XIXe siècle (Voir par ex. les vues de Clerk Maxwell sur le déterminisme dans The Collected Scientific Papers of James Clerk Maxwell, ed. W. J. Niven, Cambridge University Press, 1890, vol. H, p. 760. Voir aussi le chapitre que Max Planck consacre au déterminisme et à l’indéterminisme épistémiques dans L’image du monde dans la physique moderne, Paris, Gonthier, 1949, p. 31-46.).

10 Voir par exemple A. A. Coumot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, (1851) Œuvres Complètes, édition J. C. Pariente, Vrin CNRS, Paris, 1975.

11 L’un des partisans les plus convaincus d’une épistémologie évolutionnaire, Donald T. Campbell n’a d’ailleurs pas manqué de le faire observer : tout en soulignant un certaine ambivalence de Peirce à cet égard, lequel avait « dans son exploration créative tous les ingrédients pour une épistémologie évolutionnaire de la rétention sélective », Campbell conclut que Peirce a finalement rejeté une telle approche, ‘Evolutionary Epistemology’, in Evolutionary Epistemology, Theory of Rationality and the Sociology of Knowledge, G. Radnitzky et W. W. Bartley III edits., Open Court, La Salle, Illinois, 1987, p. 76.

12 C’est pourquoi, même s’il attend de l'aide de ce « splendide et fameux chapitre de Kant sur l’architectonique »(6.604), Peirce rappelle aussi que « la complétude systématique...est la décoration presque la plus vaine que l’on puisse attacher à la philosophie ».

13 pour une démonstration convaincante de l’importance de celle-ci, voir R. Dawkins, L’Horloger aveugle, 1986, trad. franç. Paris, R. Laffont, 1989.

14 Apel, art. cit. p. 45.

15 Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge University Press, 1990, chap. 23, p. 200 sq.

16 A. A. Cournot, op. cit., tome II, chap. XXVp. 476.

17 Il ne faut pas en effet oublier que celui qui est l’un des pères de la logique contemporaine (par ses travaux notamment sur la logique des relations et sur la quantification) et qui fut toute sa vie durant à l’écart de l'université, était aussi mathématicien, chimiste, psychologue (avant James) et a en fait passé une bonne partie de sa vie à l’Institut Géodésique des États-Unis, où il a effectué des découvertes importantes sur le pendule, les éclipses, les erreurs d’observation. Le seul ouvrage paru de son vivant (en 1878) est un rapport sur des Recherches photométriques. À dire vrai, il n’est guère de domaine du savoir qu’il n’ait non seulement approché mais étudié en profondeur.

18 Dont Peirce loue le kantisme et le plaidoyer en faveur du hasard absolu (6. 238 ; 6. 505, 511 ; 6. 393), mais fustige le « nominalisme » — on sait l’aversion de Renouvier pour toutes les formes de « réalisme » (cf. Les dilemmes de la métahysique pure, Paris, Alcan, 1927) — et les insuffisances en logique. « Son rasoir — écrit Peirce — ne m’impressionne pas » (cuts no ice). The New Elements of Mathematics, édit. C. Eisele, Mouton, 1976, vol. III, t. 2, p. 788-800.

19 Voir les thèmes développés dans De la Contingence des lois de la nature, Paris, 1874, et notamment le rejet du principe de plénitude selon lequel tout événement possible doit être réalisé.

20 À ma connaissance, Peirce cite Maine de Biran, mais jamais Ravaisson (pourtant De l’habitude, date de 1838). Or il y a ici plus qu'une « ressemblance de famille » entre les deux auteurs, qu'il faudrait creuser — l’habitude étant, chez Ravaisson, cette possibilité « virtuelle » qui manifeste la causalité « finale » d'une « loi de la grâce », révélant la continuité entre la nature — unité organique et lieu du contingent-et l’esprit et le déclin progressif du supérieur qui tend à s’annihiler dans l’inférieur sans être complètement détruit — qui a sans doute pour base commune la familiarité de Peirce et du « Schelling français » avec la tradition de l’idéalisme allemand, mais aussi celle du Sens commun écossais.

21 Cf. J. Dewey, Experience and Nature, La Salle : Open Court, Illinois, 1926, p. 407-408.

22 voir par ex. Patrick Suppes, A Probabilistic Theory of Causality, Amsterdam, North Holland, 1970 et Probabilistic Metaphysics, Oxford, Blackwell, 1984.

23 D. Armstrong, What is a law of nature ?, Cambridge University Press, 1983.

24 Van Fraassen (op. cit.) propose notamment de substituer aux lois de la nature le modèle de la symétrie.

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