Pensée spéculative et philosophie de la nature : les rapports entre la science de la logique et la philosophie de la nature chez Hegel
p. 191-204
Texte intégral
« Philosophie de la nature. Il se passera encore longtemps avant qu’on s’en débrouille sans aucun faux-semblant. — L’avouer ou bien soutenir avec une obstination effrontée le contraire... » (Hegel. Notes et fragments, Iéna 1803-1806, §82).
1À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, en Allemagne, de nombreuses publications ont pour thème la philosophie de la nature. D’inspiration très variée et de valeur inégale, elles s’efforcent d’attirer l’attention sur des phénomènes naturels ou des faits expérimentaux, récemment découverts, susceptibles de remettre en question l’hégémonie scientifique de la théorie mécanique. Certaines de ces œuvres, d’une imagination fertile et parfois même extravagante, illustrent à leur manière le courant de pensée romantique dont le foyer se situe précisément à Iéna. D’autres, en revanche, sont des travaux sérieux, informés et réfléchis, dont les auteurs sont déjà célèbres, comme Herder et Goethe, ou vont le devenir rapidement comme Schelling et Hegel lui-même. Il n’est donc pas surprenant que cette partie de l’œuvre hégélienne, qui traite de la nature, ait pu être, implicitement ou explicitement, rattachée ou même identifiée à l’orientation d’ensemble de la Natur-philosophie. Or, très tôt, très fermement et de façon constante, Hegel a tenu à s’en démarquer : l’illustration la plus spectaculaire de cette revendication d’originalité étant sa rupture avec Schelling et tous ceux qui, à tort ou à raison, s’en réclamaient1.
2On ne peut redécouvrir et apprécier cette spécificité de la Philosophie de la Nature hégélienne qu’à la condition de lire et de comprendre ce texte ainsi que l’a voulu son auteur, c’est-à-dire comme le moment médian de cette philosophie, en sa vérité et totalité systématique, qu’est l’Encyclopédie des sciences philosophiques, car :
3« C’est seulement le tout de la science qui est l’exposition de l’idée »2. Dès lors, la Philosophie de la Nature étant, avec la Philosophie de l’Esprit, l’une des deux sciences réelles, par distinction d’avec la Science de la Logique — en laquelle s’expose le procès des déterminations pures du penser — rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse trouver dans cette dernière œuvre les ressources dialectiques et conceptuelles susceptibles d’en procurer une intelligibilité proprement spéculative. Entre la Science de la Logique et l’Encyclopédie les rapports ne sont pas seulement de proximité chronologique, puisque le premier ouvrage — par l’ampleur du développement détaillé de ses enchaînements processuels et de ses articulations catégorielles — fournit au second, et notamment à la Philosophie de la Nature, une sorte de structure d’accueil ou de matrice théorique à partir de laquelle prend sens le procès des déterminations réelles-naturelles.
4Comme on le sait, le concept de nature apparaît au terme de la Science de la Logique, à la fin du dernier chapitre consacrée à l’idée absolue :
« En tant que l’idée se pose en effet comme l’unité absolue du concept pur et de sa réalité, donc (se) rassemble dans l’immédiateté de l’être, elle est comme la totalité dans cette forme, — Nature »3.
5Cependant, loin d’être simplement un passage dans un autre, comme dans l’Être, cette émergence de la nature procède immédiatement de l’acte par lequel l’idée absolue, unité différenciée mais indissociable du concept subjectif et de la réalité objective, et moment ultime d’intériorisation et de concrétisation du procès logique, se déprend librement d’elle-même afin de promouvoir ce qui lui est apparemment le plus étranger, le plus radicalement autre, reconnaissant et libérant ainsi cet autre en tant que tel par son extériorisation totale en lui et le sacrifice absolu qu’elle consent d’elle-même :
« L’idée pure, dans laquelle la déterminité ou réalité du concept lui-même est élevée au concept, est plutôt libération absolue, pour laquelle il n’y a plus de détermination immédiate qui ne soit en même temps posée et le concept »4.
6C’est donc bien la richesse infinie et la plénitude concrète de l’idée absolue qui s’expriment dans le surgissement de la nature. Celle-ci est immédiatement issue, par une sorte de transposition inouïe, du résultat médiatisé de tout le procès logique, plus exactement du résultat advenu par la sursomption de la médiation elle-même. Paradoxalement ou contradictoirement, au comble de sa puissance créatrice de sens, l’idée logique aura à s’éprouver dans son absoluité en se réalisant dans ce qui lui est le plus opposé :
« L’idée, en raison de la liberté que le concept atteint en elle, a aussi dans soi l’opposition la plus dure ; son repos consiste dans la sécurité et certitude avec lesquelles elle l’engendre éternellement et éternellement (la) surmonte, et dans elle coïncide avec soi-même »5.
7Dès lors, l’objet de la Philosophie de la Nature consistera en la présentation du procès complexe et multiforme de la lente et difficile reconquête de cette extériorité que l’idée s’est donnée librement, s’exposant selon les déterminations de la réalité naturelle et s’explicitant à l’aide des déterminations logiques du concept. On peut considérer que le surgissement de la nature exige un (re)commencement du procès, non par un retour à l’être, mais par un retour de l’être :
« Ce par quoi nous avons commencé était l’être, l’être abstrait, et désormais nous avons l’idée en tant qu’être ; mais cette idée qui est, c’est la nature »6
8Car si la nature est l’être-autre de l’idée, elle est aussi et d’abord son autre. L’acte originaire de liberté de l’idée traduit la reconnaissance de la réalité naturelle sous ses diverses formes matérielles et organiques, et son accession à l’existence phénoménale. Loin que l’idée logique repousse la réalité naturelle, sensible et empirique, ou l’abolisse en se l’assimilant purement et simplement, elle la pose au contraire sous la forme d’une opposition absolue, d’une différence absolue d’avec elle-même : le risque encouru en permanence de son inintelligibilité, une sorte de dénégation absolue du sens. Épreuve à ce point redoutable que la nature demeurera, de bout en bout, « la contradiction non résolue »7.
9De fait, au tout début de la Philosophie de la Nature, le concept de nature émerge comme un terme encore indéterminé qui n’indique que le négatif et l’extériorité à soi de l’idée de laquelle il procède. La nature, telle qu’elle apparaît initialement ne renvoie à aucun sens pré-donné ou présupposé. Car les phénomènes naturels s’avèrent plutôt réfractaires aux exigences logiques et la nature ne laisse que très parcimonieusement entrevoir les traces des déterminations conceptuelles qui se dissimulent, brouillées et indistinctes, dans son intériorité. Telle est « l’impuissance de la nature »8 qu’elle ne peut que manifester la finitude, la contingence, la part d’imprévisibilité et d’irrationalité, aussi bien fonctionnelles que structurelles, qui semblent devoir la caractériser. La Philosophie de la Nature n’a rien à voir avec une sorte de métascience visant à imposer dogmatiquement à la réalité naturelle un quelconque impérialisme logique puisqu’elle ne fait son miel que des données phénoménales fournies par l’expérience et des résultats élaborés en termes d’universalité par les différentes disciplines positives. Toutefois, le caractère disjoint, parcellaire et lacunaire des résultats des sciences d’entendement laisse subsister de larges zones d’ombre ou d’obscurité dans la compréhension qu’elles proposent de la nature. La tentation aurait donc pu être grande — eu égard à l’information scientifique considérable dont disposait Hegel et dont témoignent abondamment les Additions — de chercher à combler ces lacunes et de rivaliser avec ces diverses sciences en s’installant sur leur propre terrain et en prétendant illusoirement réussir là où elles auraient éventuellement échoué. Or, l’objectif de la Philosophie de la Nature est tout autre et se situe sur un plan différent, qui est celui de la recherche et de l’explicitation des relations conceptuelles intra-ou interdisciplinaires. En effet, si l’activité déterminante et différenciante de l’entendement constitue indiscutablement un des éléments essentiels de la progression scientifique, elle s’avère en revanche incapable d’effectuer le passage du moment dialectique, ou négativement-rationnel, au moment affirmatif ou positivement rationnel9. Car la négation d’une détermination n’est ni l’anéantissement ni la disparition pure et simple de celle-ci. Au contraire, elle la garde pour ainsi dire en mémoire et en fait mention à titre de moment idéel dans la détermination affirmative qui en résulte. Il ne suffit donc pas qu’une détermination se présente comme le résultat négativement advenu par l’Aufhebung de déterminations antérieures, mais il faut encore qu’elle extrapose ses propres différences, autrement dit s’affirme par son insertion dans un procès d’auto-différenciation. Toute détermination ne peut s’expliciter que par la présentation du déploiement processuel de son unité intérieurement, réflexivement et négativement différenciée, puisque toute pensée concrète est l’unité articulée de multiples déterminations différentes. La Philosophie de la Nature ne saurait donc consister en une pure et simple application mécanique à la réalité naturelle des procédures dialectiques et logiques. C’est en effet, à chaque fois, la spécificité différentielle du contenu empirique, et la place qu’il occupe dans le procès considéré qui exigent d’en appeler à telle ou telle détermination conceptuelle appropriée puisque la forme logique est indissociable du mouvement du contenu. Ce qui est une manière d’affirmer de quel poids pèse la réalité qui s’y trouve engagée, et à quel point la logique dialectique est en charge de ce réel, car seule la raison spéculative est apte à envelopper les déterminations abstraites et finies de l’entendement en posant les différences des moments et en les tenant réunies idéellement dans l’identité concrète du procès de l’idée :
« S’il est essentiel de découvrir pour les phénomènes universels comme la chaleur, la couleur, etc., la déterminité spécifique simple parmi tant d’autres conditions et circonstances, il n’est pas moins essentiel, d’un autre côté, de retenir fermement les différences sous lesquelles se manifestent les phénomènes »10.
10Il en va ainsi pour le concept de nature, dont le sens ne peut résulter que de l’enchaînement unitairement et systématiquement ordonnés de multiples procès différenciés. Il ne s’agit donc pas de récuser les sciences ou de les soumettre à quelque contrainte qui leur serait étrangère, mais d’interroger leur organisation principielle et conceptuelle, de la mettre au jour explicitement, de libérer ces sciences de tous les présupposés auxquels elles s’assujettissent, souvent à leur insu, et d’ouvrir ainsi de nouveaux espaces de discours et de savoir. L’élaboration spéculative du concept de nature consistera à réinvestir à leur place et à réordonner ses déterminations dans le procès d’ensemble de la nature afin de parvenir à l’explicitation de leur sens et à la vérification de leur validité. À défaut de pouvoir retracer dans sa totalité l’exposition du concept de nature, on s’en tiendra à la présentation de quelques exemples choisis en tenant compte de l’importance des développements que leur consacre la Science de la Logique.
11Ainsi, notre premier exemple, la mécanique, semble bien, par son immédiateté et son extériorité, apparentée à la sphère logique des déterminations de l’être. Néanmoins elle ne la répète pas, mais expose le devenir propre à cette réalité naturelle qu’est la matière en tant qu’elle se trouve déterminée par la différence de ses formes de mouvement et de communication de celui-ci, et s’élève par leur sursomption au mouvement absolument libre, expression conceptuelle la plus adéquate de l’expansion de la matière. En effet, si la logique de l’être s’inaugure par la déterminité qualitative, l’exposé de la mécanique, dans la Philosophie de la Nature, commence avec les catégories d’espace et de temps, et se poursuit avec celles de lieu et de mouvement. Bien qu’étant en soi des qualités, ainsi qu’en témoignent leur infinité et leur continuité, elles n’en sont pas moins exprimées au moyen de relations de grandeur, c’est-à-dire de déterminations quantitatives logiquement indifférentes au qualitatif11. L’espace désigne la qualité transférée en totalité dans le régime d’extériorité et d’indifférence propre à la quantité tandis que le temps assure l’unité négative de l’être-hors-de-soi. Si le point spatial est encore pure abstraction, en revanche, le lieu est le véritable point concret, l’unité posée de l’ici et du maintenant, médiation de l’espace par la négativité du temps. C’est cette spatialité temporellement posée qui correspond au mouvement et le résultat de tout ce procès est :
« L’unité étant-là immédiatement identique des deux, la matière »12.
12Ces premières dialectiques de la sphère mécanique témoignent du passage de l’idéalité à la réalité, deux catégories dont la logique de l’être a montré qu’elles sont processuellement liées mais dont la représentation et l’entendement ne parviennent pas à ressaisir l’unité et l’identité différenciée. Espace, temps, lieu et mouvement sont les déterminations logiquement ordonnées que le concept de matière présuppose comme les conditions de son déploiement et de son expansion. Ainsi sont réélaborées quelques-unes des catégories fondamentales de la science et de la philosophie mécaniques dans le sens d’une relativisation et d’une dialectisation, ce qui conduit à définir la matière, envisagée dans son auto-mouvement, comme : « La première réalité, l’être-pour-soi étant-là »13.
13Cette refonte du concept de matière prend incontestablement appui sur de nombreux développements logiques. Ainsi, dans la logique de l’être, Hegel consacre un long exposé à l’examen de la signification des notions de répulsion et d’attraction en rapport avec le problème des forces constitutives de la matière, tel que Kant l’envisage dans les Premiers principes métaphysiques de la science de la naturel14. Cette dialectique logique de la répulsion et de l’attraction atteste leur relation processuelle de réciprocité, dont la pensée d’entendement ne parvient à donner qu’une expression imagée. À partir de cet exemple se dévoile un enjeu essentiel pour la constitution d’une philosophie de la nature, à savoir le risque de recouvrement ou d’occultation d’une détermination physique intrinsèque, ici le qualitatif propre à la mécanique quantifiée et mathématisée. Car la physique doit avoir égard au fait qu’elle ne cesse de manipuler expérimentalement et d’agencer quantitativement des déterminations qualitatives. Ce qualitatif, ce ne sont pas les forces répulsive et attractive qui l’expriment, mais les catégories de centre (et) de gravité : le maintien de cette dualité conceptuelle témoignant cependant de la subsistance d’un rapport d’opposition entre la matière et le centre. Le développement de cette contradiction correspond à l’enchaînement des trois moments de l’inertie matérielle, du choc ou de la percussion, et de la chute des corps ou mouvement relativement libre15. En effet, si la gravité est bien une propriété essentielle de la matière, toutefois, elle n’est pas encore ici conforme à son concept puisque la mécanique finie demeure le moment de la différenciation entre la gravité et le centre : le mouvement de chute, bien que posé par le concept de corps, reste conditionné par son éloignement d’avec le centre, qui lui est extérieur et vers lequel il se dirige. C’est donc seulement avec la mécanique absolue que s’accomplit et s’achève le procès proprement mécanique de la matière par la réunification de ses moments disjoints et l’intériorisation du centre de gravité. Le mouvement absolument libre correspond aux trajectoires des planètes et trouve son expression exemplaire et adéquate dans la théorie de la gravitation universelle, à laquelle Hegel rend hommage car elle est la véritable détermination mécanique du concept de corps matériel16. Ces divers exposés empruntent beaucoup aux structures d’intelligibilité que la logique de l’être présente sous la dénomination de la Mesure, et plus précisément dans le premier chapitre, intitulé la Quantité spécifique, de cette troisième section. En effet, ce titre associe délibérément le côté proprement qualitatif de la réalité naturelle à l’énoncé qui en est proposé en termes de relations quantitatives et numériques. Car, la quantité ne spécifie jamais directement l’être puisqu’elle ne concerne que les opérations extérieures susceptibles d’être effectuées sur lui. Cependant certaines procédures mathématiques, qui relèvent d’un style opératoire plus affiné, par exemple celles du développement en série, du rapport différentiel ou des relations de puissances, où le nombre est toujours médiatisé par l’unité, laissent entrevoir la possibilité d’une réunification de la qualité et de la quantité. Cette réunification n’est tout d’abord que l’identité de leur différence et ce n’est qu’au terme du procès de la mesure qu’interviendra leur unité posée, c’est-à-dire l’identité intérieurement différenciée du qualitatif et du quantitatif. Les dialectiques de la mesure ont pour objet de décrire et d’élucider le mode de connexion entre deux types de variation : la variation qualitative ou déterminée et la variation quantitative ou indifférente. Hegel nomme « exposant » de la relation de mesure la loi de correspondance de ces deux variations. À titre d’exemples : dans le cas du mouvement de chute, autrement dit de la loi galiléenne, le rapport de proportionnalité de l’espace parcouru au carré des temps, et dans celui de la troisième loi de Kepler, le rapport entre le carré des durées de révolution et le cube des distances. Le thème majeur, qui sous-tend l’ensemble de l’exposé du procès mécanique dans la première section de la Philosophie de la Nature, concerne la détermination logique du mode de transcription mathématique qui ne détruirait ni ne violerait, mais au contraire respecterait scrupuleusement le caractère à la fois sensible et empirique des phénomènes naturels. C’est dans cette perspective que Hegel reproche à la mécanique classique la pluralisation et la dispersion des forces, tant bien que mal regroupées par couples de notions antagonistes, c’est-à-dire sous l’aspect d’une opposition de contrariété interdisant l’accès à la relation de contradiction. Leur traduction en termes mathématiques ne fait que les tenir éloignées aussi bien du développement immanent du concept que de la réalité physique au sein de laquelle la force ne désigne que l’expression phénoménale de l’auto-expansion de la matière. La Philosophie de la Nature laisse entrevoir la possibilité d’une solution, qui respecterait la réalité naturelle sans enfreindre les exigences logiques du concept, en évoquant le projet d’une éventuelle « mathématique philosophique » ou d’une théorie des grandeurs qui serait une véritable « science de la mesure ».
« La science véritablement philosophique de la mathématique comme théorie des grandeurs serait la science de la mesure, mais cette science présuppose déjà la particularité réelle des choses, laquelle n’est donnée que dans la nature concrète. Elle serait cependant, à cause de la nature extérieure de la grandeur, la science la plus difficile de toutes »17.
14Cet ultime aveu peut laisser subsister quelque incertitude quant à la réalisation prochaine d’un tel projet. Mais l’objet de ces textes est bien de dévoiler les présuppositions et d’expliciter les conditions logiques de validité des catégories fondamentales et des procédures mathématiques de la mécanique classique, alors à l’apogée de sa notoriété.
15Cependant l’exposé d’ensemble de la mécanique ne permet guère d’aller au-delà d’une compréhension encore abstraite et limitée de la matière déterminée par ses divers mouvements et les modalités de leur communication. Aussi le concept est-il à peine parvenu à reconquérir, sur l’extériorité initiale, quelques degrés de liberté. La loi galiléenne de la chute des corps demeure indifférente à la nature intrinsèque de ces corps. C’est même ce qui fonde son applicabilité universelle. L’accélération ou le ralentissement de la vitesse, les changements de direction, les modifications de trajectoires n’affectent pas la réalité matérielle du mobile et n’ont pas à la prendre en compte. C’est seulement dans la Physique proprement dite, seconde section de la Philosophie de la Nature, que l’on pénètre plus intimement dans la connaissance des structures dynamiques de ce que l’on peut appeler la matière conditionnée et qualifiée, ou encore du déroulement de son procès de concrétisation et d’individualisation. Cette sphère physique nous met en présence de déterminations essentielles, scindées et opposées ou différenciées par le mouvement contradictoire de la négativité. Elle accueille en elle des phénomènes naturels nouvellement découverts et dont l’intégration dans la pensée scientifique de l’époque est encore loin d’être totalement accomplie. Elle prend ainsi en charge les résultats de sciences récentes ou tout juste naissantes que l’on peut regrouper sous la dénomination de physico-chimie. Le texte hégélien montre que son ambition est de reconstituer logiquement et conceptuellement l’ordonnance des processus élémentaires expressifs d’une conception énergétique et dialectique de la matière, et non plus seulement cinématique et mécanique, bref d’expliciter les modalités selon lesquelles se noue et se déploie ici la contradiction :
« C’est la contradiction, et ici elle existe matériellement. C’est cette même contradiction qui est au fondement de la dialectique zénonienne du mouvement avec cette différence que dans le mouvement elle ne concerne que des lieux abstraits, et ici, en revanche, des lieux matériels, des parties matérielles »18.
16Ce procès physique prouve que ces déterminations de la matière que sont la gravité ou le poids spécifique (§§ 293-294), la cohésion (§§ 295-299), le son (§§ 300-302) et la chaleur (§§ 303-307) ne constituent pas véritablement des corps matériels dotés d’une existence autonome, mais des modes d’être ou encore des déterminations négatives. Ces divers développements concourent à préciser la conception hégélienne de la nature matérielle. Non seulement elle n’est pas considérée comme inerte et recevant de l’extérieur le mouvement dont elle est animée, mais elle ne l’est pas davantage comme subsistant substantiellement par elle-même. Elle est, au contraire pensée en termes de déterminations processuelles permettant de rendre compte de son auto-mouvement mais également de l’ensemble des réactions, dissociations, combinaisons et transformations qui s’y produisent, afin de montrer comment au moyen de relations quantitatives et de rapports numériques de grandeur émerge un faisceau de qualités et de propriétés spécifiques, expressives des degrés étagés de ce procès matériel et notamment des échanges incessants qui s’y déroulent. Passage d’une matérialité spatialisée à une matérialité temporalisée, ce développement engage un mouvement de totalisation qui culmine avec le procès chimique. Toutefois, l’individualité totale correspond moins à l’explicitation d’une totalité déjà actualisée qu’à un procès de totalisation expressif d’un double mouvement d’Aufhebung : d’élucidation des présuppositions successivement examinées d’une part, de relativisation des subsistants autonomes d’autre part.
17À la différence de ce qui se passait dans le domaine de la mécanique, aucune théorie unitaire et englobante ne permet d’ordonner systématiquement l’ensemble des phénomènes électromagnétiques et électrochimiques mis en évidence par les travaux de Berthollet, de Dalton ou de Berzélius. Et si Hegel envisage l’hypothèse de certaines tentatives d’unification c’est avec l’intention critique avouée de prendre ses distances à l’égard de telles démarches. Il formulera notamment une mise en garde contre toute unification précipitée du magnéto-électro-chimisme, dans laquelle il ne verra qu’une identité immédiate et abstraite, sourde aux différences respectives de ces divers procès parce qu’ignorante de leur organisation conceptuelle hiérarchisée et incapable, de ce fait, d’accéder à la compréhension de leur identité véritable et concrète :
« Autrefois, on a considéré magnétisme, électricité et chimisme comme totalement séparés, sans connexion entre eux, chacun comme une force autonome... La difficulté tient au besoin de les réunir ; elle n’est résolue que dans la nature du concept, mais non dans l’identité, qui est une confusion des dénominations en un seul magnéto-électro-chimisme »19.
18Ici encore, l’intervention spéculative dans le domaine de la nature a été préparée par plusieurs développements de la Science de la Logique, qui sont à son origine et lui fournissent ses fondements. Toujours dans la section de la Mesure de la logique de l’être, mais cette fois dans le second chapitre — intitulé Relation des mesures autonomes dans la première édition, mais qui deviendra significativement la Mesure réelle dans la seconde — Hegel avait montré que la gravité spécifique est insuffisante pour faire connaître les propriétés caractéristiques de chaque corps. Celles-ci ne peuvent se manifester, devenir réelles et parvenir à l’existence phénoménale, que si l’on porte attention aux échanges qui peuvent se produire entre les différents corps particuliers et les modifier selon des déterminations réglées, quantifiées et constantes. Nous sommes ici en présence de la forme logique la plus élaborée de l’unification du qualitatif et du quantitatif, transposable dans le domaine de la nature matérielle. Ce sont, en effet, les qualités intrinsèques des corps qui sont directement concernées par le déroulement du procès chimique. Car la qualité spécifique d’un corps l’engage dans sa totalité puisque nous n’avons plus affaire à un mouvement, comme dans la mécanique, mais à un changement ou une altération (Veränderung) de la totalité des matières différenciées20. Cependant, cette imbrication de déterminations qualitatives et quantitatives doit elle-même être ordonnée, c’est-à-dire régie par des lois organisant, de manière sérielle et relationnelle, les phénomènes d’échange, de combinaison ou d’exclusion entre les différents corps. Et l’expression de « mesure autonome » désigne la qualité d’un corps déterminée par la série des relations quantitatives qu’il entretient avec d’autres. La logique de l’être indique clairement que lorsque se produit une combinaison modifiant la composition d’un corps, la variation quantitative n’est plus seulement une détermination affectant le corps de l’extérieur, mais l’indice d’une modification qualitative, d’un changement réel de ce corps. Une variation continue du quantum est susceptible d’entraîner de véritables mutations qualitatives :
« Il vient un point de cette variation quantitative où la qualité varie, où le quantum se révèle comme spécifiant, de sorte que le rapport quantitatif s’est transformé en une nouvelle mesure, et par là en une nouvelle qualité, en une nouvelle chose...
...Le passage est véritablement un saut »21.
19Cette interaction dialectique entre la variation continue de la quantité et l’émergence discontinue de qualités nouvelles, loin d’être le constat pur et simple d’une différence donnée, correspond au procès au cours duquel s’effectue la différenciation. L’expression logique de cette dialectique est la ligne nodale de relations de mesure (Knotenlinie von Massverhältnissen) ou courbe sinusoïdale analogue à celle du mode de propagation d’une onde sonore. On a là l’explicitation cohérente et rigoureuse d’un ensemble de principes logiques susceptibles de permettre la constitution d’une véritable science de la nature matérielle et l’élaboration des lois de transformation aussi bien des éléments que des corps qui la composent. Malgré le rejet de la conception atomiste, estimée participer d’une métaphysique bâtarde dans la mesure où la négativité et la différence y demeurent extérieures à la chose elle-même22, la réflexion hégélienne aborde des thèmes dont certains seront d’une indéniable fécondité prospective, comme l’exigence d’avoir à constituer une classification périodique des éléments23.
20Quoi qu’il en soit, le procès chimique marque l’aboutissement de l’exposé concernant les formes d’existence et de fonctionnement de la nature inorganique. Il reste néanmoins limité et fini car les enchaînements qui le caractérisent ne font que lier des procès particularisés. Les produits, qui en résultent, sont incapables de se réactiver eux-mêmes si bien que le commencement et la fin diffèrent encore l’un de l’autre. C’est en cela que le procès chimique se distingue du procès organique, celui-ci ayant intériorisé la totalité de ses déterminations et n’ayant plus besoin d’agent externes pour continuer à se développer. Comme le dit encore joliment Hegel : « Nous avons affaire au passage de la prose à la poésie de la nature »24.
21En intitulant La vie le premier chapitre de la troisième et dernière section — consacrée à l’Idée — de la Doctrine du Concept, Hegel n’ignore pas qu’il se risque à énoncer un paradoxe et à s’exposer aux critiques des logiciens :
« L’idée de la vie concerne un ob-jet si concret, et, si l’on veut, (si) réel qu’avec cette même (idée), (et) selon la représentation habituelle de la logique, son domaine peut paraître se trouver excédé »25.
22Cependant, l’idée de vie apparaît bien comme le résultat advenu au terme des dialectiques de la relation téléologique, autrement dit de l’ensemble du procès d’objectivation du concept, s’accomplissant dans la fin réalisée et désignant du même coup la parfaite réciprocité et compénétration de la fin subjective et du ou des moyens objectifs. Cela signifie que l’idée de vie ne se situe pas sur le même plan que le mécanisme et le chimisme, ne les prolonge pas directement et immédiatement, mais qu’elle les présuppose, au même titre d’ailleurs que le procès téléologique lui-même qui constitue le résultat des deux précédents. Logiquement, la vie est l’unité immédiate de l’auto-différenciation du concept subjectif et de son extériorisation objective, et non pas un simple moment de cette dernière. Mais s’il en est ainsi, il faut alors convenir que l’idée de vie ne saurait être purement et simplement identifiée à la vie naturelle telle que l’exposera la Physique organique, mais au contraire soigneusement distinguée de cette vie réelle se manifestant en une multiplicité de figures effectives, se succédant et se dispersant dans l’extériorité naturelle :
« La vie de la nature est la vie dans la mesure où elle s’est projetée dans l’extériorité du subsister (où elle) a sa condition en la nature inorganique et sous la forme où les moments de l’idée ont une pluralité de figurations effectives. La vie dans l’idée est sans de telles présuppositions qui sont comme des figures de l’effectivité ; sa présupposition est le concept tel qu’il s’est trouvé considéré, d’un côté comme subjectif d’un autre côté comme objectif »26.
23Pourtant l’objet de ce chapitre de la Doctrine du Concept est bien de nous permettre de penser et de concevoir la vie au lieu de nous en ternir à sa saisie intuitive, sensible et empirique. C’est même précisément parce que la vie naturelle nous est d’abord livrée sous la forme phénoménale de son être extériorisé et sensible que les déterminations conceptuelles et idéelles exposées dans la Science de la Logique nous sont d’autant plus utiles et nécessaires pour parvenir à l’intelligibilité de l’individu vivant. Simplement, il nous faut convenir que les structures logiques de l’idée de vie ne se restreignent pas à ce que nous montre la réalité naturelle, à la fois conditionnée et limitée, mais sont d’une tout autre ampleur.
24L’idée logique de vie est, en effet, ce moment initial et proprement immédiat du procès d’ensemble de l’idée, elle n’a donc, à ce titre pas d’autre présupposition qu’elle-même — c’est-à-dire le concept dans son unité totalisante, à la fois subjective et objective — dans la mesure où l’idée logique n’est que le déploiement de sa propre circularité, tout entière intérieure au procès pur du penser. De ce point de vue, elle est aussi la présupposition de l’idée du connaître, par conséquent identiquement la pensée de la vie et la vie de la pensée — à la fois objet et activité de ce connaître — finalement l’exigence pour celui-ci d’avoir à l’expliciter conformément à l’auto-mouvement du concept. Car c’est seulement ainsi que l’on pourra outrepasser le « mystère incompréhensible » ou l’« inconcevable » que la vie semble demeurer pour qui s’en tient à la réflexion ou à l’entendement27. Mais il n’en va pas tout à fait de même en ce qui concerne la vie naturelle en laquelle pourtant l’idée tente de se réaliser : « L’idée est venue à l’existence, d’abord à l’existence immédiate, à la vie »28.
25Certes, même sur le plan de la réalité empirique, la vie apparaît comme irréductible aux seuls procès mécaniques et physico-chimiques puisqu’elle y acquiert la forme d’une totalité subjective. Néanmoins, à son commencement, elle semble bien présupposer une totalité d’abord sans vie, cadavérique, celle de la nature géologique29. La vitalité subjective, le vivant, ne commence à émerger qu’avec la nature végétale, mais dans des limites encore très restrictives et contraignantes. En fait, la subjectivité ne parvient à se dégager et se libérer de l’individualité que dans la transition à l’organisme animal — l’organisme vivant au sens plein du terme — par la sursomption de la singularité immédiate et de l’extériorité du végétal30. Cependant, cette apparition de la subjectivité n’est encore que celle d’un sujet en soi, qui s’éprouve dans la forme du « sentiment de soi » et non pas celle d’un sujet pour soi et conscient de soi31. Si la vie naturelle présuppose comme condition de son surgissement, les mouvements et les changements qui se produisent dans la nature matérielle, elle n’accède à un procès de totalisation, du fait des circonstances innombrables qui constituent son environnement, que selon une adaptation optimale au milieu, lequel relève de la nécessité extérieure, c’est-à-dire de la contingence, et non pas de la nécessité intérieure au concept. Or, l’idée logique de vie manifeste précisément l’exigence de rapporter et de confronter les propriétés de l’individu vivant aux déterminations du concept afin de vérifier leur conformité au procès d’auto-différenciation de celui-ci. Ainsi aux trois déterminations caractéristiques du concept : universalité, particularité et singularité, correspondant respectivement trois fonctions spécifiques de l’individu vivant : la sensibilité qui appréhende l’impression extérieure, l’amène à l’intuition et l’intériorise dans le sentiment de soi ; l’irritabilité qui est un mouvement d’extériorisation en direction de l’objectivité naturelle ; enfin, la reproduction qui signifie à la fois l’effort pour se sauvegarder, conserver, accroître son être, et l’engendrement d’un autre individu vivant32. La Physique organique reprend cette organisation triadique, déjà présente dans la Phénoménologie de l’Esprit, et en exhibe la présence dans la réalité naturelle du vivant montrant ainsi que dans l’organisme ces trois déterminations de l’idée logique se concrétisent respectivement dans le système nerveux pour la première, le système sanguin pour la seconde, et le système digestif et glandulaire pour la troisième. Mais, loin que ces systèmes puissent être considérés séparément, chacun d’eux est non seulement solidaire des deux autres, mais co-présent en eux. Chacun d’ailleurs se différencie à son tour en une triplicité anatomo-physiologique et se rassemble, dans l’être vivant, en une unité totalisante, intérieurement différenciée, apparentée en cela à la structure logique de type syllogistique :
« En tant qu’universalité vivante, l’organisme animal est le concept qui se déploie à travers ses trois déterminations en tant que syllogisme dont chacun est en soi cette même totalité de l’unité substantielle et, en même temps, selon la détermination de forme est le passer dans les autres de sorte que de ce procès résulte la totalité en tant qu’existante ; c’est seulement en tant que se reproduisant, et non comme étant, que le vivant est et se conserve »33.
26Ainsi, la figure vitale demeure engagée dans un procès, elle est elle-même procès en tant qu’elle a à se déployer en direction de l’extériorité qu’elle présuppose comme la condition de son propre développement. Dans ce déroulement du procès vital, les catégories de besoin, de douleur, de violence, de sexualité, de maladie et de mort expriment la négativité immanente à l’individu vivant et attestent de la « contradiction absolue »34 que manifeste le procès du vivant avant qu’il ne parvienne à son terme que désigne le concept de genre, accomplissement ultime de l’idée de vie selon la double modalité du germe de l’individu vivant d’une part, de la propagation de l’espèce et de la succession des générations d’autre part.
27Toutefois, si dans l’idée logique de vie ce procès vital assure la médiation entre la singularité de l’individu et l’universalité du genre, il semble que cette médiation fasse défaut dans la réalité naturelle et que l’universalité générique ne s’y actualise que dans la forme d’une progression, celle de la succession des générations — et par conséquent le sacrifice des individus vivants —, progression qui ne parvient pas à outrepasser le « mauvais » infini. Elle confirme et vérifie en cela l’impuissance de la nature qui s’oppose négativement à la puissance innovatrice, créatrice et positive de l’esprit s’objectivant dans l’histoire qu’il fait, même sans le savoir, et qui en retour le fait devenir ce qu’il est. Or, si l’on peut parler d’évolution naturelle, ce n’est pas même au sens darwinien, et cette évolution de toute manière n’est pas le substitut d’une histoire désespérément absente : « La nature organique n’a pas d’histoire... »35. À la différence de son sens proprement logique, la vie se heurte dans la nature à des difficultés et des obstacles de toutes sortes qui font que le concept ne s’y réalise que partiellement. Les altérations et les changements sur le plan générique, les monstruosités sur le plan individuel en sont les témoignages. La vie naturelle ne peut se maintenir et se propager que par le sacrifice des individus vivants, par la mort elle-même naturel du naturel. Jusque dans ses ultimes productions, la nature demeure « la contradiction non résolue » et dans le détail de ses phénomènes il subsiste toujours de l’aléatoire, du contingent, de l’imprévisible :
« L’immédiateté de l’idée de vie réside en ce que le concept n’existe pas en tant que tel dans la vie, en ce que son être-là s’assujettit aux multiples conditions et circonstances de la nature extérieure et peut apparaître sous les formes les plus misérables ; la fécondité de la terre laisse poindre la vie en tout lieu et de toutes les manières... »36.
28Dans la vie naturelle, par laquelle pourtant s’accomplit et s’achève la Philosophie de la Nature, la puissance vitale du genre ne cesse de se heurter durement à la négativité de l’individu universel, c’est-à-dire le corps terrestre, dont Hegel, dans la Phénoménologie de l’Esprit, dénonçait déjà la « violence débridée »37. Si la vie naturelle présuppose l’idée logique de vie, elle ne parvient cependant à l’actualiser que de manière approximative, ne pouvant échapper ni à la finitude ni à la mort, celle-ci étant, semble-t-il, le prix à payer pour « la venue au jour de l’esprit »38. Néanmoins, c’est cette emprise de l’idée logique sur la vie réelle et naturelle qui autorise et rend en effet possible le passage à l’esprit. Sans cela, la nature resterait définitivement muette, murée dans son silence et prisonnière de la rémanence de l’extériorité.
29Ces quelques indications, bien trop sommaires, n’ont d’autre ambition que d’attirer l’attention sur la richesse et la fécondité des ressources que la Science de la logique met à notre disposition en vue de nous faciliter l’accès à l’intelligibilité d’un texte difficile, souvent austère, mais nourri d’une information considérable, texte au demeurant trop peu fréquenté et trop souvent soumis à une critique d’entendement au détriment de son sens spéculatif. Car, contrairement à une idée presque communément admise, la Philosophie de la nature n’est pas un ouvrage obsolète, dont la teneur de sens serait devenue caduque. Même si l’on peut discuter ou contester certaines appréciations relevant de l’histoire de la pensée scientifique, cela ne remet pas fondamentalement en question l’originalité du projet et l’orientation de la démarche spéculative. Loin d’être tournée vers une sorte de relecture d’un passé disparu, la Philosophie de la nature ne se contente pas de dresser un état des lieux à un moment déterminé du développement du savoir scientifique, elle vise à libérer la pensée aussi bien scientifique que philosophique, de certaines évidences hâtives ou illusoires, s’ouvre non seulement au présent ou au proche avenir de son auteur, mais fait entrevoir de nouvelles méthodes, de nouveaux domaines de recherche, de nouveaux modes de pensée et d’expression, qu’il serait éminemment regrettable de méconnaître ou de négliger.
Notes de bas de page
1 Parmi les nombreux textes dans lesquels Hegel a pris ses distances à l’égard de la Naturphilosophie, on peut citer : dans les Notes et fragments, Iéna 1803-1806, Paris, Aubier, 1991, outre le § 82, les notes 10 — où Görres et Wagner sont nommément pris à partie — et 71 ; le célèbre passage de la Phénoménologie de l’esprit, Phänomenologie des Geistes (PhG), Gesammelte Werke : Bd. IX, F. Meiner Verlag, Hamburg, 1980, S. 15-17, tr. fr. (PhE) G. Jarczyk et P. J. Labarrière, Gallimard, Paris, 1993, p. 76-80 ; Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, II, Bd. 9 (Enzykl.), Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1970, Einleitung, Zusatz, S. 9-11 ; Encyclopédie des sciences philosophiques, tome I (Encycl. I) tr. fr. B. Bourgeois, Vrin, Paris, 1970, § 190, Add. p. 606.
2 Encycl. I, § 18, p. 184.
3 Science de la logique III, La logique subjective ou Doctrine du Concept, tr. fr. G. Jarczyk et P.J. Labarrière, Aubier, Paris, 1981, p. 392.
4 Ibid, pp. 392-393.
5 Ibid, p. 280.
6 Encycl. I, § 244, Add. p. 624.
7 Enzykl. § 244, Anmerkung.
8 Ibid, § 250.
9 Cf. Encycl. I, §§ 80-82 et Add. pp. 516-518.
10 Enzykl., § 320, Anmerkung.
11 S.L., I, pp. 163 et 171 ; Encycl. I, § 99, Add., p. 534-535.
12 Enzykl., § 261.
13 Ibid., Zusatz, S. 60.
14 Kant, Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, chap. II.
15 Hegel, Enzykl. : pour l’inertie matérielle §§ 263-264 ; pour le choc §§ 265-266, et pour la chute des corps §§ 267-268.
16 Ibid., § 269-271.
17 Ibid, § 259, Anmerkung.
18 Ibid., § 298, Anmerkung.
19 Ibid., § 313, Anmerkung.
20 Ibid., § 325, Zusatz S. 287 ; § 326, Zusatz, S. 288-292.
21 La théorie de la mesure, tr. A. Doz, Paris, PUF, 1970, p. 79-80.
22 Enzykl., § 333, Zusatz, S. 326.
23 S.L., I, p. 333.
24 Enzykl., § 336, Zusatz, S. 334.
25 S.L., III, p. 283.
26 Ibid., p. 285.
27 Ibid., p. 287 ; Encycl., I, § 216, Addition, p. 616.
28 Enzykl., § 337.
29 Cf. ibid., § 338.
30 Cf. ibid., § 349.
31 Ibid., § 351 ; S.L., III, p. 292.
32 Cette séquence se trouve déjà dans l’œuvre de Schelling, mais elle provenait vraisemblablement de Kielmeyer, cf. PhG, Bd. IX, S. 150 ; PhE, p. 279 ; S.L. III, p. 292-294 ; Enzykl., § 353-356.
33 Enzykl., § 352.
34 S.L., III, p. 287 et 285.
35 PhG, G.W., Bd. IX, S. 165, PhE, p. 301 ; Enzykl., § 249 und Zusatz, S. 32-33.
36 Enzykl., § 368, Anmerkung.
37 PhG., Bd. IX, S. 165 ; PhE, p. 300.
38 Encycl., I, § 222, p. 453 ; III, § 381, Addition, p. 391-392.
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