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À Paris sous la Révolution

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Raymonde Monnier

Économie

Paris et les transports sous la Révolution

Anne Conchon

Volltext

1Au cours du xviiie siècle, l’afflux de voyageurs, le nombre de carrosses, comme le va-et-vient des charrettes et des bateaux qui pourvoyaient à l’approvisionnement d’une ville plus étendue et plus peuplée, confirment les nombreux témoignages littéraires sur l’intensification de la circulation parisienne. Or, mis à part quelques développements consacrés à la période révolutionnaire dispersés dans diverses monographies, la question des transports parisiens a été très peu étudiée pour cette décennie. Il faut reconnaître que la documentation à la fois lacunaire et éparse ne se prête pas facilement à l’investigation historique, notamment pour la période révolutionnaire. Cette contribution, loin de prétendre présenter les résultats d’une recherche aboutie, entend, dans l’esprit de ce colloque, faire un état des aspects connus de la question, proposer quelques pistes de réflexion et indiquer plusieurs fonds à dépouiller. Étudier le marché des transports parisiens suppose de prendre en compte des dimensions multiples qui touchent à la fois aux infrastructures de transports et à la structuration de l’espace qu’elles impliquent, aux modalités d’exploitation dans un contexte troublé et aux enjeux de la libéralisation. Ce sont là les trois axes qui guideront notre propos.

L’espace des transports

2Pour commencer il importe de prendre en considération les changements qui affectent la trame de Paris sous la Révolution, mais aussi les liens qu’elle tisse avec sa périphérie immédiate ou le territoire national en son entier. C’est ce jeu d’échelles qui permet de donner un sens à une réflexion sur le problème des transports dans la capitale, sans qu’il soit nécessaire de s’arrêter à des considérations sur son poids démographique, l’étendue de ses fonctions de commandement et l’extension urbaine de Paris dont les limites reculent à la fin de l’Ancien Régime avec la construction de l’enceinte des fermiers généraux (1787-1791).

  • 1 Atlas de la Révolution française, Paris, Éditions de l’EHESS, t. 1, 1993, p. 56-57.
  • 2 Madeleine Fouché, La Poste aux chevaux à Paris et ses maîtres de poste à travers les siècles, Pari (...)

3Paris s’intègre d’abord dans un système de transports qui relie la ville au territoire national et qui confirme son rôle de capitale économique dans sa capacité à attirer et à animer la circulation des marchandises comme celle des voyageurs. Il fut décidé que Paris serait au cœur du dispositif des barrières nouvellement établies pour percevoir le droit de passe. Les premières barrières furent placées au départ des principales avenues de la commune de Paris, conformément à la loi de finances du 9 vendémiaire an VI, avant d’innerver l’ensemble d’un réseau routier fortement centralisé. Les lignes postales et les dessertes des diligences en provenance ou à destination des principales villes de province convergeaient également vers Paris. Sous la Révolution, la géographie des dépôts et des stations pour ces communications extérieures se modifia quelque peu dans la capitale. Des bureaux installés aux quatre points cardinaux continuaient d’assurer les liaisons avec les environs de Paris. Pour les liaisons en Île-de-France et les voyages à destination de la province, le départ des diligences se faisait depuis l’hôtel des Messageries royales situé rue Notre-Dame-des-Victoires ou de relais dispersés dans Paris1. En frimaire an II, Jean-Barthélémy Lanchère, maître de poste de Paris, arguant du fait que ses locaux situés rue de la Contrescarpe étaient trop exigus, sollicita leur transfert à une adresse moins éloignée du siège de la poste aux lettres. Surtout ces bâtiments, confisqués comme bien national, avaient été divisés en lots et commençaient à être vendus les uns après les autres. Il obtint l’autorisation en 1798 de s’installer dans les écuries du duc d’Orléans, rue Saint-Thomas-du-Louvre, jusqu’à la résiliation de leur bail en 18002. Le problème des terrains nécessaires au garage des voitures et à l’entretien des matériels restait toutefois entier. Il avait bien été ordonné la construction de hangars pour le service des postes dans une cour de la section Guillaume Tell, sans qu’on sache toutefois s’ils furent effectivement édifiés.

  • 3 Archives nationales (AN) F14 188.
  • 4 G. Lemarchand, Rapport au nom de la 6e commission [du Conseil municipal] sur le régime de la Seine (...)

4Parallèlement, les autorités révolutionnaires poursuivirent l’ambition de faire de la Seine, non plus seulement le vecteur de l’approvisionnement de Paris, mais une voie navigable au service de l’économie nationale. De nombreux projets témoignent de cette vocation de la capitale à être le port commercial de la France, et même de l’Europe en plaçant Paris à la confluence d’un vaste réseau de navigation intérieure. En l’an III, le citoyen Auvray ne rêvait-il pas de faire de la capitale « l’entrepôt principal du commerce de l’Europe3 » ? Dans le même ordre d’idées, les projets de navigation maritime qui avaient fleuri dans la seconde moitié du xviiie siècle pour relier Paris à Dieppe ou Rouen, et faire de la capitale un port de mer, se multiplièrent pendant la Révolution4.

  • 5 Commencé en 1810, ce canal ne fut jamais achevé. Sigismond Lacroix, Actes de la Commune de Paris p (...)
  • 6 S. Lacroix, op. cit., 2e série, t. VI, p. 64-78.
  • 7 Maurice Tourneux, Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution, Paris, Imprimerie no (...)

5Dans la continuité de ce qui avait déjà été entrepris au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, les autorités révolutionnaires s’efforcèrent de rénover et de développer le réseau de transports convergeant vers la capitale. En 1795, la Convention dépêcha autour de Paris des représentants chargés de veiller aux chantiers routiers dans leurs ressorts respectifs afin de pourvoir à l’approvisionnement en céréales de la ville. Plusieurs projets de canalisation sont alors motivés par le souci de garantir l’approvisionnement de la capitale et de fournir un emploi aux plus pauvres. La proposition de M. Dunouy d’établir un canal de Saint-Maur à Paris fut déclinée par le département des Travaux publics5. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, J.-P. Brullée avait suggéré le percement d’un canal, dit de Paris, destiné à raccourcir la navigation sur la Marne, la Seine et l’Oise. Un décret de l’Assemblée nationale de novembre 1790 l’autorisa à ouvrir une liaison fluviale prenant dans la Beuvronne, un affluent de l’Ourcq, jusqu’au plateau de la Villette qui devait former deux branches, l’une aboutissant à la Seine près de l’Arsenal, l’autre à l’Oise près de Pontoise6. Finalement, J.-P. Brullée céda ses droits à d’autres entrepreneurs qui ne relanceront le chantier qu’en janvier 1799. En 1791, l’Assemblée nationale accorda en outre une subvention pour l’ouverture d’un nouveau canal à Passy, qui ne verra jamais le jour. La même année M. de Coucy proposa de canaliser la Seine depuis Maisons7. La construction du canal de l’Essonne, entre Orléans et Corbeil, fut par ailleurs concédée en août 1791 à trois entrepreneurs parisiens. Cette nouvelle liaison devait faciliter l’approvisionnement de Paris en captant le trafic marchand de la Loire inférieure qui remontait depuis Nantes pour le diriger directement vers la Seine en évitant le détour par le canal d’Orléans. Ce projet, continuellement relancé jusqu’à la Restauration, ne sera jamais mené jusqu’à son terme.

  • 8 Bernard Causse, Les Fiacres de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, PUF, 1972, p. 39.
  • 9 Procès-verbal du 3 germinal an IV, cité par Pierre Lavedan, « Projets d’urbanisme à Paris au xviii(...)

6À l’échelle de la ville, la période révolutionnaire eut un impact somme toute assez modeste en matière de création d’infrastructures. Depuis la seconde moitié du xviiie siècle, la monarchie et la municipalité n’avaient eu de cesse de promouvoir une refonte de l’espace fluvial et l’aménagement de nouvelles voies de communication capables d’irriguer l’ensemble du tissu urbain. Parallèlement plusieurs rues avaient été élargies, portant à quelque 800 hectares l’espace de la circulation routière au sein de la ville, soit un quart de sa superficie8. Par son échelle et par les enjeux qui s’y attachent, Paris a indéniablement stimulé l’imagination des ingénieurs et des architectes, où le déploiement des infrastructures et la facilité des communications se conjuguent avec une volonté de régénérer la ville historique par le commerce. Avec la confiscation des bâtiments conventuels, des églises, des hôtels, décrétés biens nationaux, de nombreux terrains étaient désormais disponibles pour réaliser des projets de voies nouvelles et repenser l’espace de la circulation à Paris. La commission des Artistes proposa ainsi la création de plusieurs rues perpendiculaires aux quais afin de permettre une meilleure coordination des transports fluviaux et routiers, et plus généralement de favoriser la circulation dans la ville9. Les nombreux projets que cristallise le Paris révolutionnaire témoignent aussi d’un urbanisme volontiers utopique. En l’an V, Pierre Giraud imagine ainsi une sorte de téléphérique formé de deux nacelles coulissant sur des câbles tendus au-dessus d’un bras de la Seine et capable de transporter une douzaine de voyageurs. Cependant, les réalisations furent plutôt rares au sein d’un cadre bâti peu propice aux innovations urbanistiques. Cela tient aussi en partie à la situation désastreuse des finances municipales. Certains chantiers engagés par la monarchie trouvèrent toutefois leur aboutissement sous la Révolution. L’achèvement du pont de la Concorde en 1791 vint ainsi compléter les neuf ponts qui reliaient déjà les deux rives de la capitale.

  • 10 Table des procès-verbaux de l’Assemblée constituante, Paris, An XIV, p. 12.
  • 11 Isabelle Backouche, La Trace du fleuve. La Seine et Paris (1750-1850), Paris, Éditions de l’EHESS, (...)

7Afin de résorber l’encombrement des ports et de répondre à l’accroissement du trafic marchand, les projets de gare fluviale – mûris dès les années 1760 – se multiplièrent sous la Révolution. Des travaux avaient commencé depuis les années 1780 à Ivry pour y aménager un havre pour les bateaux, mais ils ne furent jamais achevés. En août 1790, la municipalité de Paris demanda l’extension de la gare de Paris près de Saint-Maur pour réguler le trafic fluvial en provenance de la Marne10. L’année suivante, l’architecte Pierre Giraud imaginait une gare au centre de la capitale dans le cadre d’un vaste projet d’aménagement de la Seine. L’emplacement dégagé après la démolition de la Bastille contribua à relancer l’idée d’une gare parisienne : après Corbet et Mangin, puis Brullée en 1789, Cathala proposa l’année suivante d’y établir une gare en demi-cercle et Perrier d’y creuser un bassin de commerce. Comme l’a bien montré I. Backouche, il s’agissait de rejeter l’activité portuaire à la périphérie de Paris pour pouvoir satisfaire à l’augmentation du trafic marchand11.

8Les infrastructures de transports ont pâti sous la Révolution, comme dans les décennies qui la précèdent, des lenteurs de la politique menée en matière d’aménagement urbain. Il faudra attendre la création du poste de directeur des Travaux publics de la capitale (1811) pour que se dessinent de nouvelles perspectives.

La circulation à l’épreuve de la conjoncture

  • 12 Musée de la Poste 450-7, Acte de despotisme (22 mai 1792).

9À Paris sous la Révolution, le marché des transports reste extrêmement segmenté selon que les hommes et les marchandises circulent par eau ou par terre. La majeure partie des consommations parisiennes (bois, matériaux de construction, denrées…) continue d’arriver par la Seine. Il est toutefois extrêmement difficile de mesurer le trafic marchand après la destruction de la plupart des sources comptables. Le montant des droits perçus sur les ports, connu pour les années 1789-1790, fournit quelques précieuses indications sur la répartition du trafic fluvial : ce sont à l’évidence les ports situés en amont (la Tournelle et Saint-Bernard) et sur la rive gauche qui jouissent de la circulation la plus active. Le trafic postal connut quant à lui un net essor avec l’expédition dans les départements des bulletins de lois créés par la loi du 14 frimaire an II. Selon Gouin, inspecteur du bureau du département général des postes, il partait quotidiennement de Paris quelque 20 000 lettres, sans compter les 50 000 à 60 000 journaux, en direction de la province et des pays étrangers12. Alors que les carrosses et les cabriolets, voitures légères tirées par un ou deux chevaux et très en vogue au xviiie siècle, s’étaient multipliés à Paris jusqu’à la Révolution, tout porte à croire que l’émigration d’une fraction notable de la noblesse et de la bourgeoise fit diminuer la proportion des attelages et des équipages privés comme collectifs.

  • 13 AN D VI 8. Pétition des loueurs de carrosses de places de la ville de Paris à l’Assemblée national (...)
  • 14 Dans les années 1793-1794, les autorités républicaines organisèrent dans la capitale des relais et (...)
  • 15 Procès-verbaux des séances de la Convention, G. Lefebvre, M. Reinhard et M. Bouloiseau éd., Paris, (...)
  • 16 Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en (...)

10Sur fond de crise économique et sociale, les transporteurs professionnels se plaignaient des difficultés qu’ils éprouvaient dans leur activité. À l’évidence les loueurs de carrosses avaient noirci la situation des transports parisiens pour réclamer la révocation du privilège de la compagnie Perreau. Outre les conséquences dommageables d’un hiver rigoureux, ils invoquaient pêle-mêle les voitures brisées par le peuple en révolution pour barrer les rues, la perte de la clientèle aristocratique qui avait déserté Paris, et plus généralement un climat de troubles peu propice aux déplacements13. Il n’en reste pas moins que les difficultés conjoncturelles, aggravées à compter de 1792 par les besoins de la guerre14, ont indéniablement pesé sur l’économie des transports parisiens. Les doléances étaient nombreuses pour se plaindre de l’inflation des fourrages et de la pénurie de chevaux. Le renchérissement des frais d’exploitation pénalisait plus particulièrement les petits entrepreneurs qui assuraient l’essentiel des courses dans Paris. Les mareyeurs qui approvisionnaient la capitale en poissons frais demandèrent quant à eux à échapper aux réquisitions des chevaux15. La municipalité parisienne procédait en effet au même moment au recensement des montures et des voitures dans chaque section. Il s’agissait de pourvoir aux besoins des armées de la République et de satisfaire aux impératifs d’approvisionnement de la capitale. Il fallait toutefois veiller à ne pas ruiner l’économie des transports publics, déjà sérieusement ébranlée par la conjoncture et par les réquisitions. Afin de ne pas entraver le service postal, les postillons furent ainsi exemptés de la conscription. Cette dérogation fut étendue aux mariniers. Et à compter de septembre 1794, les charretiers furent dispensés de servir dans la garde nationale16.

  • 17 La Commission des subsistances de l’an II. Procès-verbaux et actes, Paris, Librairie Ernest Leroux (...)
  • 18 André Rémond, Études sur la circulation marchande en France aux xviiie et xixe siècles, Paris, Lib (...)

11Pour soutenir les activités de transport, les autorités révolutionnaires durent par ailleurs multiplier les indemnités. Jean-Barthélémy Lanchère obtint ainsi 1 086 077 livres d’avril à août 1795 pour l’achat de chevaux et de fourrages. En l’an II, les cultivateurs des alentours réclamèrent d’être payés pour les frais de transport des grains livrés dans les magasins nationaux. La commission des subsistances ordonna le 22 frimaire an II que soit dressé un état des fourrages nécessaires pour nourrir les 3 600 chevaux présents à Paris et à Franciade (Saint-Denis) ; ce sont les départements limitrophes qui durent pourvoir à l’approvisionnement de la capitale17. Il est toutefois difficile d’établir avec certitude un lien entre l’inflation des dépenses d’exploitation et un possible renchérissement des prix des transports à Paris, pour lesquels on dispose d’informations extrêmement lacunaires18.

Libéralisation et réglementation

  • 19 Michèle Bimbelet-Privat et Odile Krakovich, Registres des délibérations du Bureau de la ville de P (...)

12La question des transports est enfin à resituer dans des configurations administratives et politiques qui permettent d’interroger les décisions publiques, d’autant plus complexes dans le cas parisien qu’elles mobilisent à différents échelons la ville19, le département et le pouvoir central.

  • 20 AN H2 1960. Ordonnance de police rendue par le tribunal municipal sur le rapport de M. Cahier de G (...)
  • 21 Recueil des actes du Comité de salut public, op. cit., t. XXIII, p. 328.

13Qu’il s’agisse de l’approvisionnement de la capitale ou de la mobilité des personnes, les transports firent pendant la Révolution l’objet d’une surveillance toute particulière de la part des autorités. Les ports, régulièrement secoués par des pillages et des désordres divers (janvier 179020, mai 1792, juin 1793 au port de la Grenouillère puis au port Saint-Nicolas, mai 1795 au bureau des coches situé sur le quai Saint-Bernard21…), furent placés sous l’autorité d’un bataillon de gendarmerie. Les fouilles et les contrôles se multiplièrent aux barrières de Paris.

  • 22 AN BB3 81A. Ordre du jour de la garde nationale (9 août 1793).

14Dans une ville vivant au rythme de l’événement et de sa célébration, la circulation fut plusieurs fois interrompue à l’occasion de diverses manifestations. Les rues parisiennes furent ainsi proscrites aux fiacres lors de la fête de la Fédération, puis le 13 septembre 1791 entre 5 et 11 heures à cause de l’illumination des Tuileries et des Champs-Élysées après l’acceptation de la constitution par le roi. Il en sera de même le 10 août 1793 pour la commémoration de la chute de la royauté. Cette interdiction ne s’appliquait toutefois pas aux charrettes assurant l’approvisionnement de la capitale et aux diligences du service des postes et messageries22.

  • 23 Nicholas Papayanis, « Un secteur des transports parisiens : le fiacre, de la libre entreprise au m (...)
  • 24 AN D VI 8 n° 66. Délibération du Conseil municipal adressée au Comité des finances, décidant la li (...)
  • 25 « État des lieux où les cochers des carrosses de places seront tenus de conduire les particuliers (...)
  • 26 AN AD IX 560. Mémoire pour les concessionnaires du privilège des voitures de place, et autres y ré (...)
  • 27 S. Lacroix, op. cit., t. 1, p. 172-180.
  • 28 AN D VI 8. Municipalité de Paris. Extrait du registre du Conseil de ville (19 juin 1789).
  • 29 AN AD I 88. Loi relative à la résiliation du privilège exclusif des carrosses de place et des voit (...)
  • 30 Sur la liquidation de ce privilège, voir A.-M. Casenave et A. Douarche, Les Tribunaux civils à Par (...)

15La libéralisation des transports parisiens à compter de 1789, qui imposait de concilier des impératifs en apparence contradictoires – la recherche du profit et les exigences du service public – obligeait surtout à poser à nouveau le problème de la réglementation23. L’enjeu résidait dans la définition même de la liberté des transports. La Révolution décréta en effet la suppression des compagnies privilégiées qui régissaient les transports de voyageurs dans la capitale sous l’Ancien Régime24. L’organisation des transports publics participait d’un strict partage de l’espace et d’une délimitation des services en fonction des trajets desservis, dans Paris intra-muros, jusqu’aux faubourgs et dans la proche banlieue. Les carrosses de place (loués à l’heure) et de remise (loués à la journée, à la semaine ou au mois) desservaient Paris jusqu’aux nouvelles barrières25, mais ne pouvaient pas s’aventurer au-delà d’un périmètre de deux lieues sauf à concurrencer le service des messageries. Depuis 1779, une compagnie privilégiée, la compagnie Perreau, détenait le monopole des carrosses de place circulant dans la ville, des petites voitures pour les environs de Paris et de plusieurs dessertes de petites messageries ; elle percevait également un droit de 6 sols par jour sur chaque carrosse de remise. Dès le milieu du mois de juillet 1789, elle ne put obtenir le paiement de cette taxe qu’elle exigeait des loueurs de carrosses. Jusqu’à la cessation de ses activités en septembre 1790, elle se plaignait que « des carrosses de place & de remises viennent se placer à l’entrée de leurs bureaux, & y attendent, & provoquent les voyageurs ; des affiches mêmes ont été apposées aux portes de ces mêmes bureaux pour indiquer des entrepreneurs particuliers qui annoncent de meilleures voitures & de plus grandes facilités26 ». La résistance des loueurs de voitures et des cochers, qui adressèrent plusieurs pétitions à l’Assemblée nationale, eut finalement raison du privilège de la compagnie Perreau27. De son côté, la municipalité avait aussi vivement plaidé en faveur de la liberté des transports28. Finalement le décret du 19 novembre 1790 résilia ce traité, ouvrant dès lors les transports publics parisiens à la concurrence. Quiconque disposant d’une voiture pouvait désormais se livrer à cette activité à condition de se soumettre aux règles de police et de s’acquitter d’une taxe de 5 sols par jour et par véhicule29. Dans le même temps, l’entreprise des voitures de la Cour qui depuis 1685 détenait le monopole des liaisons entre Paris et le lieu de résidence de la cour, périclitait depuis le retour du roi à Paris en octobre 1789 ; victime elle aussi de la vindicte des loueurs de carrosses, elle fut emportée par la Révolution30. Quant au privilège des chaises à porteurs de la cour, il avait été supprimé depuis le 1er mai 1789.

  • 31 Voir les comptes rendus des audiences en 1791 (AN Z1H 565).
  • 32 Voir les archives de la préfecture de Police qui conservent les procès-verbaux dressés par les com (...)
  • 33 BnF Li16 29. Vœu d’un piéton présenté à l’Assemblée nationale, s. l., juillet 1789.
  • 34 BnF Li16 11. Pétition d’un citoyen ou motion contre les carrosses et les cabriolets, s. l., 1790.
  • 35 AN AD I 88. Arrêté du Bureau central du canton de Paris (22 germinal an V).
  • 36 AN AD I 88. Arrêté du Bureau central du canton de Paris concernant les cabriolets de place pour la (...)

16Si la libéralisation des transports publics à Paris impliquait la disparition des entreprises privilégiées qui jusque-là avaient encadré les services de transports, elle ne signifiait pas pour autant l’absence de règles. Dans un premier temps, les corps constitués manifestèrent peu de velléités ou de capacité à réguler la liberté des transports. La multiplication des désordres obligea les autorités municipales à exercer leur droit de police pour réglementer le trafic routier. S’il est difficile d’attester une recrudescence des accidents de la circulation, les archives du Bureau de la ville31 et de la préfecture de Police32 permettent de saisir les risques encourus par les piétons et les plaintes des usagers. Des voix anonymes ne se privèrent pas de réclamer la suppression des cabriolets pour les réserver aux femmes et aux personnes âgées33, ou les remplacer par des chaises au porteur34. Après les premiers trottoirs construits à la veille de la Révolution, des accès piétonniers commencèrent à être aménagés dans la capitale comme le passage Conti. En l’an V, la municipalité en vint à une mesure radicale en supprimant les cabriolets de place à l’intérieur de Paris35 ; seuls étaient tolérés ceux qui assuraient les dessertes avec la banlieue36.

17Indépendamment des accidents, la libéralisation des transports parisiens entraîna de nombreux désordres que les autorités s’employèrent à réprimer avec plus ou moins de succès. Les embouteillages à proximité des théâtres et des maisons de jeu n’étaient certes pas nouveaux. Les cochers n’étaient d’ailleurs pas les seuls responsables ; des étals, des matériaux ou des marchandises obstruaient bien souvent les voies publiques et les carrefours au mépris de la législation en vigueur. Il n’en reste pas moins qu’avec la suppression des entreprises privilégiées, il devenait impossible de réclamer des effets oubliés dans la voiture d’un conducteur travaillant pour son compte en dehors de tout contrôle administratif ; les immatriculations à la craie mettaient par ailleurs les contrevenants à l’abri de toutes poursuites.

  • 37 Procès-verbaux du Comité des finances de l’Assemblée nationale, C. Bloch éd., Rennes, 1922, 2 vol. (...)
  • 38 Procès-verbaux des séances de la Convention, G. Lefebvre, M. Reinhard et M. Bouloiseau éd., Paris, (...)
  • 39 AN D VI 8. Extrait du registre du Conseil de la ville (19 juin 1790).
  • 40 Malgré les réclamations des loueurs pour traiter de gré à gré avec leurs clients (Procès-verbaux d (...)

18Plusieurs projets de réglementation visèrent à concilier la liberté des transports urbains et les exigences de service public37. Le nombre d’emplacements assignés par la municipalité au stationnement des carrosses de place augmenta sensiblement, passant de 33 en 1789 à 46 en l’an V. Il fut aussi question de limiter le nombre de voitures en circulation dans la capitale, et de le proportionner aux besoins réels du marché parisien. Le comité des finances jugeait que 700 carrosses de place pouvaient suffire pour desservir la capitale, en sachant que tous ne circulaient pas au même moment, soit que le loueur fût contraint de changer de cheval, soit que le véhicule fût immobilisé pour des réparations. Le plafonnement du nombre de carrosses était également un moyen de limiter l’incertitude d’une activité nécessitant de lourds investissements, et de renseigner les loueurs sur les potentialités du marché38. Au nom de la liberté absolue, la municipalité parisienne s’y opposa, consciente que la concurrence devait profiter aux loueurs les plus riches39. Finalement les règlements ne portèrent que sur les obligations de service, la tarification des courses40 et la fixation des salaires des cochers.

  • 41 BnF Lb40 1441. Extrait du procès-verbal du district des Mathurins (7 août 1789).
  • 42 BnF Lb40 1. Municipalité de Paris. Département de police (9 juillet 1790).
  • 43 AN AD I 88. Arrêté de la municipalité de Paris (20 avril 1792) imposait d’apposer un numéro d’imma (...)
  • 44 AN AD I 88.
  • 45 BnF FP 4998. Bureau central du canton de Paris. Arrêté concernant les carrosses de place, et la fi (...)

19La réglementation de l’Ancien Régime, loin d’être remise en cause, fut renforcée par les autorités révolutionnaires. Très tôt, le district des Mathurins rappela que les chevaux devaient circuler au pas dans les rues41. Plus généralement, la municipalité parisienne réaffirma son pouvoir de police sur les transports de la capitale en constituant le principal producteur de dispositifs réglementaires. Un premier Règlement provisoire concernant les voitures de places et de remises, promulgué le 24 septembre 1789, ne fut semble-t-il jamais appliqué. En juillet 1790, la municipalité rappela les dispositions tarifaires et les sanctions encourues par les cochers qui profiteraient de la crédulité des provinciaux venus assister à Paris à la fête de la Fédération42. Les loueurs de carrosses furent sommés de s’enregistrer auprès du commissaire de police de chaque section43. Un nouveau règlement fut édicté pour les voitures de place en mars 1793, et pour les carrosses au mois de juillet suivant. Ni l’un ni l’autre ne semblent avoir été appliqués. Il est sûr en revanche que l’arrêté du Bureau central du canton du 7 brumaire an V fut utilisé pour verbaliser les infractions aux règles de circulation et sanctionner les contrevenants44. Les archives de la préfecture de Police témoignent de fait d’une stricte exécution de ce texte. Au-delà de la réaffirmation des prescriptions réglementaires d’usage (obligation de charger les usagers dans l’ordre où ils se présentent, exigences d’entretien et de sécurité, immatriculation des voitures, stationnement sur une file, question de la responsabilité, visites d’inspection…), il imposait aux loueurs de déclarer leur activité et de payer la patente, et aux cochers d’être munis d’un livret. Un nouveau règlement fut toutefois nécessaire dès l’année suivante pour rappeler les dispositions précédentes et clarifier les procédures d’immatriculation45.

20La période révolutionnaire témoigne d’une indéniable continuité de la politique des transports engagée au siècle des Lumières, dans la capitale elle-même et le territoire dans lequel elle s’inscrit. Si les projets d’urbanisme, parfois utopiques, furent assez nombreux, les réalisations furent beaucoup plus rares et la ville resta faiblement structurée par la circulation. Il faudra attendre l’Empire pour qu’un certain nombre de chantiers trouvent leur aboutissement (canaux Saint-Martin et Saint-Denis, rue de Rivoli…). Les autorités révolutionnaires durent par ailleurs faire face à des difficultés d’approvisionnement liées principalement à la pénurie de chevaux et la cherté des fourrages. C’est sans doute la disparition des privilèges qui a le plus contribué à modifier l’organisation des transports parisiens. Alors même que la Révolution les ouvrait à la concurrence et à l’initiative privée, la réglementation se faisait de plus en plus précise et contraignante dans le but de garantir la qualité du service et l’ordre sur la voie publique. Ces perspectives de recherches mériteraient assurément d’être approfondies et élargies dans le cadre de travaux à venir.

Anmerkungen

1 Atlas de la Révolution française, Paris, Éditions de l’EHESS, t. 1, 1993, p. 56-57.

2 Madeleine Fouché, La Poste aux chevaux à Paris et ses maîtres de poste à travers les siècles, Paris, Nouvelles éditions latines, 1975, p. 71-76.

3 Archives nationales (AN) F14 188.

4 G. Lemarchand, Rapport au nom de la 6e commission [du Conseil municipal] sur le régime de la Seine. Paris port de mer…, Paris, 1911. S.-S.-Cl. Lemoyne, « Précis historique sur le canal de Paris à Dieppe et à Rouen », Mémoires et documents pour servir à l’histoire du commerce et de l’industrie en France, Julien Hayem éd., Paris, 1912, p. 81-100.

5 Commencé en 1810, ce canal ne fut jamais achevé. Sigismond Lacroix, Actes de la Commune de Paris pendant la Révolution, Paris, L. Cerf, 1894-1955, 2e série, t. II, p. 96-104.

6 S. Lacroix, op. cit., 2e série, t. VI, p. 64-78.

7 Maurice Tourneux, Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution, Paris, Imprimerie nouvelle, 1890-1913, t. IV, n° 25847.

8 Bernard Causse, Les Fiacres de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, PUF, 1972, p. 39.

9 Procès-verbal du 3 germinal an IV, cité par Pierre Lavedan, « Projets d’urbanisme à Paris au xviiie siècle », Coloquio Artes, n° 2, juin 1972, p. 5-10.

10 Table des procès-verbaux de l’Assemblée constituante, Paris, An XIV, p. 12.

11 Isabelle Backouche, La Trace du fleuve. La Seine et Paris (1750-1850), Paris, Éditions de l’EHESS, 2000, p. 273-280.

12 Musée de la Poste 450-7, Acte de despotisme (22 mai 1792).

13 AN D VI 8. Pétition des loueurs de carrosses de places de la ville de Paris à l’Assemblée nationale (1790).

14 Dans les années 1793-1794, les autorités républicaines organisèrent dans la capitale des relais et des dépôts pour les transports militaires : chevaux, voitures et harnais devaient y être entreposés pour équiper les armées du Nord et de l’Est.

15 Procès-verbaux des séances de la Convention, G. Lefebvre, M. Reinhard et M. Bouloiseau éd., Paris, CNRS, 1963, p. 252 (11 octobre 1793).

16 Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission…, Paris, Imprimerie nationale, 1964, t. XVII, p. 139.

17 La Commission des subsistances de l’an II. Procès-verbaux et actes, Paris, Librairie Ernest Leroux, 1925, p. 112.

18 André Rémond, Études sur la circulation marchande en France aux xviiie et xixe siècles, Paris, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1956 , t. 1 « Les prix des transports marchands de la Révolution au Premier Empire ».

19 Michèle Bimbelet-Privat et Odile Krakovich, Registres des délibérations du Bureau de la ville de Paris, 1789-1790, Paris, Service des travaux historiques de la ville de Paris, 1990.

20 AN H2 1960. Ordonnance de police rendue par le tribunal municipal sur le rapport de M. Cahier de Gerville, au sujet des désordres et abus commis par les charretiers et voituriers sur les ports… (29 janvier 1790).

21 Recueil des actes du Comité de salut public, op. cit., t. XXIII, p. 328.

22 AN BB3 81A. Ordre du jour de la garde nationale (9 août 1793).

23 Nicholas Papayanis, « Un secteur des transports parisiens : le fiacre, de la libre entreprise au monopole (1790-1855) », HES, 5 (4), 1986, p. 559-572.

24 AN D VI 8 n° 66. Délibération du Conseil municipal adressée au Comité des finances, décidant la liberté absolue pour tous de mettre en circulation des voitures de toutes formes (19 juin 1789).

25 « État des lieux où les cochers des carrosses de places seront tenus de conduire les particuliers qui voudront s’en servir pour y aller, & des sommes qui leur seront payées pour lesdites courses », Règlement provisoire concernant les voitures de places & de remises, 24 septembre 1789 (AN D VI 8).

26 AN AD IX 560. Mémoire pour les concessionnaires du privilège des voitures de place, et autres y réunies, 1790, p. 4.

27 S. Lacroix, op. cit., t. 1, p. 172-180.

28 AN D VI 8. Municipalité de Paris. Extrait du registre du Conseil de ville (19 juin 1789).

29 AN AD I 88. Loi relative à la résiliation du privilège exclusif des carrosses de place et des voitures des environs de Paris (24 novembre 1790).

30 Sur la liquidation de ce privilège, voir A.-M. Casenave et A. Douarche, Les Tribunaux civils à Paris pendant la Révolution, 1791-1800, Paris, L. Cerf, 1905-1907, t. 1, p. 496, p. 546, p. 583-584, p. 731-732 et p. 794.

31 Voir les comptes rendus des audiences en 1791 (AN Z1H 565).

32 Voir les archives de la préfecture de Police qui conservent les procès-verbaux dressés par les commissaires de police entre 1789 et 1806 (série AA).

33 BnF Li16 29. Vœu d’un piéton présenté à l’Assemblée nationale, s. l., juillet 1789.

34 BnF Li16 11. Pétition d’un citoyen ou motion contre les carrosses et les cabriolets, s. l., 1790.

35 AN AD I 88. Arrêté du Bureau central du canton de Paris (22 germinal an V).

36 AN AD I 88. Arrêté du Bureau central du canton de Paris concernant les cabriolets de place pour la circulation à l’extérieur de Paris (22 prairial an V).

37 Procès-verbaux du Comité des finances de l’Assemblée nationale, C. Bloch éd., Rennes, 1922, 2 vol., p. 209 : projet de règlement en douze articles de l’abbé Papin sur le roulage des voitures de la ville de Paris et ses faubourgs. Alexandre Tuetey (Répertoire général des sources manuscrites de l’histoire de Paris pendant la Révolution française, Paris, 1890-1914, vol. 5) signale un projet inabouti faute de fonds.

38 Procès-verbaux des séances de la Convention, G. Lefebvre, M. Reinhard et M. Bouloiseau éd., Paris, CNRS, 1963, p. 247 : lettre du citoyen Aubert concernant le projet d’établissement de 300 voitures pour le service intérieur de Paris, renvoyée aux comités de commerce et de subsistance (7 juillet 1793).

39 AN D VI 8. Extrait du registre du Conseil de la ville (19 juin 1790).

40 Malgré les réclamations des loueurs pour traiter de gré à gré avec leurs clients (Procès-verbaux des séances de la Convention, op. cit., p. 218 et p. 247), la municipalité déterminait le prix des courses.

41 BnF Lb40 1441. Extrait du procès-verbal du district des Mathurins (7 août 1789).

42 BnF Lb40 1. Municipalité de Paris. Département de police (9 juillet 1790).

43 AN AD I 88. Arrêté de la municipalité de Paris (20 avril 1792) imposait d’apposer un numéro d’immatriculation sur les voitures de place ainsi que les initiales de la section où résidait le propriétaire. Ce texte fait par ailleurs référence à un arrêté du 16 avril précédent sur la police provisoire des voitures de place.

44 AN AD I 88.

45 BnF FP 4998. Bureau central du canton de Paris. Arrêté concernant les carrosses de place, et la fixation du salaire des cochers (24 fructidor an VI).

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