À Paris sous la Révolution
|Administration et finances
Administration et finances à Paris sous la Révolution
Rapport introductif de François Monnier
Texte intégral
1Qu’on se souvienne de ce qu’étaient, en France, l’État et son administration à la fin du xviiie siècle. Bien peu de chose, à dire vrai ! Pourtant, dès avant la Révolution, tout est en mouvement, et le premier capitalisme et ses organisations industrielles, où, pour la première fois, triomphe la technique, la technique nouvelle, rationnelle, produisent un élargissement tout à fait considérable de la société, particulièrement sensible à Paris, mais également dans quelques grandes villes de province. Une nouvelle classe dirigeante apparaît, plus puissante en nombre et en force que l’ancienne, plus instruite également : la bourgeoisie. Cette entreprenante classe sociale possédait avant tout et surtout une chose : le talent, le talent pratique. Elle savait organiser, discipliner, persévérer dans ses efforts et les coordonner.
2Au milieu d’elle, omnipotente et grosse de tourmentes, flottait bravement le « navire de l’État ». Mais ce navire était chose de rien, ou guère plus. C’est à peine s’il avait des soldats, des bureaucrates, de l’argent. Il avait été fabriqué depuis longtemps déjà, mais on n’avait pas encore su le consolider en cet édifice puissant que nous connaissons aujourd’hui. Car la monarchie arrive, à la fin du xviiie siècle, avec un État encore bien faible, fouetté de tous côtés par une société vaste et bouillonnante. La disproportion entre le pouvoir de l’État et le pouvoir social est alors si grande que si l’on compare sa situation avec celle des temps de Charlemagne, l’État du xviiie siècle semble quasiment dégénéré. « L’État carolingien », si tant est qu’on puisse lui donner ce nom, était infiniment moins puissant que celui de Louis XVI, mais en revanche la société qui l’entourait n’avait aucune force, de sorte que l’écart entre les deux nous apparaît considérable, sans commune mesure avec ce que connaît la fin de l’Ancien Régime : ce qui fait toute la différence.
- 1 C’est la raison, d’ailleurs, pour laquelle le fédéralisme ne cessera d’être considéré comme un pou (...)
3Car ce n’est pas l’un des moindres paradoxes de la monarchie absolue que d’avoir opéré avec un État relativement faible, alors que la société environnante commençait déjà à grandir. Pourquoi donc, si l’État pouvait tout, s’il était « absolu », ne se renforçait-il pas ? C’est un mystère qu’il faudrait bien chercher à percer et qui tient peut-être à la position de la bourgeoisie, qui est en train de s’imposer, mais qui ne s’est pas encore emparée de tous les leviers du pouvoir, alors que l’aristocratie de sang ne témoignait guère de goût pour la rationalisation et la bureaucratie. Cela s’explique aussi, peut-être, parce que l’État monarchique n’a pas encore totalement accompli sa mue et qu’il respecte instinctivement plus la société et ses privilèges que ne le fera par la suite notre État du xixe siècle. Toujours est-il que l’énorme différence de niveau entre la force sociale et la force du pouvoir public a rendu possible la Révolution, qui – ce n’est pas un hasard – proclame, dès le 4 août, l’abolition des privilèges, signifiant on ne peut plus clairement la prééminence nouvelle de l’État sur la société. C’est ainsi que la Révolution a fait cadeau à l’État – comme Mirabeau l’a fait remarquer à Louis XVI – d’être désormais « sans parlements, sans pays d’états, sans corps privilégiés, sans clergé, sans noblesse… » Par là même, elle assure la prééminence parisienne1. Il faudra attendre, bien sûr, encore deux générations et la révolution de 1848, la dernière de notre histoire nationale, pour que cette prédominance de l’État sur la société devienne effective dans les faits.
4Toujours est-il que, par la Révolution, la bourgeoisie – la bourgeoisie parisienne avant tout et surtout – s’est emparée du pouvoir et a su appliquer à celui-ci ses vertus rationnelles, sa détermination et son goût pour la bureaucratie. De sorte qu’en deux générations, à peine, elle a réussi à créer un État puissant, capable de contrecarrer le pouvoir social. En ce sens, la Révolution a réellement fait table rase du passé, en imposant, depuis Paris, un État régénéré et une administration forte et moderne.
- 2 C’est ainsi, par exemple, que l’on sait tout – ou pratiquement – de la centralisation administrati (...)
5Comment cela s’est-il fait ? On le sait un peu aujourd’hui. Seulement on a fait beaucoup plus, jusqu’à présent, une histoire politique (institutionnelle et juridique) de l’État et de la bureaucratie2 qu’une histoire proprement administrative, qui considérerait l’administration de l’intérieur et qui s’efforcerait de percer le dedans et le par-dessous des choses. Car si la littérature sur le Paris révolutionnaire est abondante, les études sur l’administration parisienne et son fonctionnement sont plus rares. Bien des zones d’ombre subsistent encore : on examine trop – nous le répétons – les aspects politiques et institutionnels de la gestion de Paris et trop peu ceux qui sont proprement financiers, administratifs et techniques. De sorte qu’il reste encore beaucoup à faire, d’autant que l’administration de Paris a ses règles et coutumes propres, qui se démarquent des pratiques habituelles de notre administration : Paris a toujours eu un goût prononcé pour l’autonomie, et ses administrateurs ont toujours pris des initiatives qui ont détonné sur les pratiques du reste du pays, durant la Révolution comme à tout autre époque. Paris est traditionnellement un État dans l’État, et les bureaux des administrations centrales n’osent pas toujours contrôler ce qui s’y passe, surtout à une époque où Paris symbolise la Révolution, où Paris est la Révolution. Alors, comment procéder ? Nous allons nous efforcer de proposer quelques pistes.
L’état de la demande
6En histoire de l’administration, c’est une sage démarche, si l’on veut lutter contre le conformisme, si l’on désire traiter des problèmes nouveaux, des questions inédites, que de se pencher sur la demande, afin d’éviter de n’intéresser que soi. « Que convient-il d’étudier ? » est bien la première question qu’il faut se poser, surtout si l’on regarde une époque qui a tant passionné que la Révolution et une ville, comme Paris, qui a focalisé tant d’attention. Alors, quelles sont les lacunes ? Quelles sont les priorités ? Et puis, quand on a arrêté un sujet, encore faut-il savoir comment l’étudier, à quelles questions il convient de répondre, ce qui est loin d’être toujours évident. Comment, aussi, ne pas raisonner de façon restrictive ? Comment inclure les recherches ou les types de recherches abandonnés ou dédaignés à tort, pour lesquels il n’y a pas de demande actuelle, notamment en raison des usages, mais qui n’en sont pas moins importants ? Car s’il faut savoir répondre aux attentes de nos contemporains, il faut s’efforcer aussi de prévoir ou de provoquer la demande future ou inédite, afin de ne pas travailler uniquement selon la coutume universitaire.
7Bien sûr ! La démarche est arbitraire, puisqu’elle est interprétative et qu’elle conduit à découper a priori un champ de recherche. Mais il faut bien en voir les avantages. Une telle exploration incite à prendre en considération des secteurs inexplorés, méprisés ou craints, parce que réputés trop techniques ou trop difficiles, comme c’est le cas, par exemple, des finances parisiennes. Elle conduit aussi à se rapprocher des besoins des administrateurs et de la vie administrative telle qu’ils la pratiquent chaque jour, car l’histoire n’est pas une fin en soi, elle ne sert pas uniquement à faire plaisir aux historiens. Ceux-ci doivent s’attacher à explorer l’administration telle qu’elle est, au plus proche de la réalité, avec ses erreurs, ses défaillances, ses vices, sa vie souterraine, mais aussi avec sa grandeur, sa puissance, ses mérites et ses avantages, et non pas à la décrire telle qu’elle devrait être selon la norme, la règle juridique ou le dogme politique.
8Réfléchir à la demande conduit également à obliger à se poser certaines interrogations, lorsqu’on se lance dans un travail concret, à sortir des sentiers battus, à soulever des problèmes gênants, à envisager des questions auxquelles on ne peut pas forcément répondre pleinement, à compliquer l’analyse, aussi, car en matière d’administration, toute simplification est abusive.
Les types de demandes
9À propos du thème qui est le nôtre ce matin : « Paris : administration et finances », on peut se retrouver face à plusieurs sortes de demandes qu’il convient d’analyser avec soin, afin d’inventorier les champs de recherche qu’elles peuvent ouvrir. Mais la réflexion est évidemment délicate, car rien n’est plus incertain que le champ de recherche de l’historien de l’administration.
La demande administrative de mémoire
10Cette demande provient des administrations, centrales et municipales, ainsi que des administrateurs qui cherchent à savoir d’où ils viennent et à comprendre de quoi est fait leur passé. Cette demande va croissant depuis une vingtaine d’années, alors que les mutations de la bureaucratie ne cessent de se faire plus pressantes. Pour autant, cette demande reste floue, surtout à propos d’une période déjà aussi lointaine et aussi fondatrice que la Révolution et dans un lieu aussi symbolique que Paris.
11Il faut pourtant s’efforcer d’y répondre, mais cela est loin d’être aisé et l’embarras est grand, car on ne sait jamais vraiment à quelles questions il convient de travailler. Et puis, que peut-on dire et ne pas dire, même pour une période aussi lointaine, quels problèmes doit-on passer sous silence ou, inversement, sur quelles interrogations convient-il de mettre l’accent ? La réponse n’est pas toujours évidente : il est ainsi bien difficile d’évoquer la médiocrité d’un service, sans froisser la susceptibilité de ceux qui l’occupent encore, même s’il a changé de nom, d’autant que les administrateurs, tout comme les politiques, font facilement les transpositions qui s’imposent…
12Il faut pourtant tenter de répondre à cette demande, en usant de prudence et de diplomatie, seule manière, pour les historiens de l’administration parisienne, d’intéresser à nos travaux tant la municipalité – qui est demandeuse – que les administrations centrales.
La demande sociale des Parisiens
13La société a besoin de comprendre les mécanismes de la bureaucratie, ses liens avec le corps social, les institutions et les hommes politiques, ses principes d’action. Sans doute, cette demande – qui émane du grand public – est-elle incertaine. Elle tourne souvent au procès de l’administration, notamment quand elle prend une coloration politique, comme cela est si facile avec la période révolutionnaire. Une réponse bien conduite pourrait cependant contribuer à une meilleure information du public et à donner une meilleure image et une meilleure compréhension de la bureaucratie. C’est pourquoi il ne faut pas la négliger.
La demande des autres branches de l’histoire
14Les autres branches de l’histoire ont besoin de connaître le passé administratif de leur secteur : c’est ainsi que l’histoire de l’urbanisme ou l’histoire sociale doivent pouvoir suivre les soubresauts des services chargés de la voirie, de l’aménagement de la ville ou de l’assistance parisienne, leur fonctionnement, leurs modes de gestion et leurs coutumes, connaître les hommes qui les ont peuplés. C’est là une demande externe qui ne peut être négligée, à laquelle l’historien de l’administration doit rester à l’écoute, car il ne doit pas travailler seul, isolé et parce qu’elle est le gage du développement et de la reconnaissance de sa discipline.
La demande technique
15C’est une demande d’outils de travail, d’inventaires de sources, de guide de recherche, de recueils de documents, de banques de données, de méthodes… à laquelle l’historien de l’administration ne répond pas, alors que les besoins sont immenses, notamment en ce qui concerne l’histoire parisienne de la Révolution, et que c’est une bonne manière de susciter l’intérêt des jeunes historiens.
16Ces divers types de demandes devraient être traduits en programmes de recherche – ce qui serait un bon moyen d’intéresser les autorités municipales à nos travaux. Mais on peut aussi chercher à inventorier les champs d’études possibles, à les dénombrer de manière aussi précise que possible, comme les communicants qui vont suivre vont s’efforcer de le faire. À quoi faut-il s’intéresser ? Sur quoi faut-il insister ? Qu’est-ce qui est laissé en déshérence ? Qu’est-ce qui est important dans un segment déterminé ?
L’inventaire des champs de recherche
17Cela revient à chercher à établir, à partir des différents types de demandes qui viennent d’être évoqués, un inventaire qui traduise en quelque sorte un programme de travail, qui guide l’offre pour répondre à la demande, tout en procédant à des dénombrements aussi précis que possibles, car en principe aucun travail ne devrait être entrepris s’il ne correspond pas à un besoin précis.
18Bien sûr, nous n’allons pas anticiper sur les interventions qui vont suivre, mais simplement essayer de préciser un peu la démarche. Et d’abord, il faut bien reconnaître qu’une telle prospection est un exercice arbitraire : c’est, sans le dire, une grille de recherche, qui tend à prendre en compte des secteurs quelque peu oubliés ou ignorés, si ce n’est méprisés, ou jugés excessivement techniques ou difficiles ; c’est aussi établir un certain nombre de priorités, qui ne sont évidemment que ce qu’elles sont, mais qui tiennent compte de ce qui a été réalisé jusqu’à présent.
19C’est dire, enfin, que cet inventaire doit tenter d’infléchir certaines habitudes plus ou moins discutables de la recherche pour la recentrer sur des approches qui ne sont pratiquement pas explorées. C’est ainsi qu’en histoire de l’administration, et plus particulièrement en histoire de l’administration parisienne, les chercheurs ont tendance à privilégier les approches dogmatiques, coupées du réel et mutilantes, ou trop politiques, ou trop juridiques, qui cherchent à expliquer, à justifier ou à critiquer la Révolution et les choix qu’elle a faits, alors que l’on aurait besoin de se rapprocher des realia, pour comprendre ce qui est réellement arrivé au niveau administratif, de montrer de quoi était faite la vie bureaucratique de la Révolution, de qui étaient composés les bureaux, comment ils fonctionnaient (ou ne fonctionnaient pas), quel était le jeu des ambitions, des engagements politiques, quel était le désordre engendré par les événements révolutionnaires, les abus, bref ce qui faisait le quotidien de l’administration et non pas seulement les grandes idées qui étaient débattues au niveau politique et qui devaient servir théoriquement de soubassement à l’action administrative.
20Une telle démarche n’a pas pour objectif d’être exhaustive, mais de répondre aux besoins les plus immédiats de la recherche et de participer à son renouvellement, car on a oublié depuis longtemps qu’au milieu de la tourmente révolutionnaire, les bureaux ont continué de fonctionner, les salaires et les retraites d’être payés, les techniques de travail de progresser, les conditions de l’action d’être modifiées et la bureaucratie d’être critiquée, notamment en raison des désordres et de la corruption qu’elle n’a pas su interrompre…
21Alors, quels pourraient être ces segments ? Il n’est évidemment pas possible d’entrer aujourd’hui dans le détail, mais simplement d’en donner une idée, notamment à partir des exemples qui seront développés dans un instant.
Le personnel
22On connaît bien les changements de statuts du personnel administratif, tant parisien que central, durant la Révolution, notamment la distinction qui a été faite entre le fonctionnaire, qui – selon la terminologie de l’époque – est celui qui exerce une fonction élective, rétribuée ou non et qui est l’élu de la nation, et l’employé, qui occupe un emploi et qui est aux ordres de sa hiérarchie et au service de son administration.
23Les avantages et les inconvénients de ce système sont aujourd’hui connus : la trop grande indépendance de l’élu par rapport à l’administration et, en contrepartie, sa trop grande dépendance vis-à-vis de ses électeurs. Cela n’a pas été sans incidence sur les rentrées de contributions, qui ont connu les plus grands désordres, ce qui malheureusement est beaucoup moins étudié ; ou encore sur les conflits qui n’ont cessé d’opposer les administrations départementales et municipales au pouvoir central, dont l’exemple parisien est emblématique et pourtant délaissé, comme on le verra tout à l’heure avec les querelles qui ont opposé la municipalité parisienne à l’État. Cette opposition ne trouve évidemment pas sa source dans cette différence de statut des serviteurs de l’intérêt public, mais elle n’en a pas moins certaines conséquences qu’il serait intéressant de connaître.
- 3 Mais bien des nuances doivent être faites, car la bourgeoisie intellectuelle, celle des hommes de (...)
24Par ailleurs, l’élection des fonctionnaires n’a pas véritablement apporté de sang neuf ni de bouleversement au niveau de l’exécution, car les commis d’Ancien Régime ont survécu : on avait besoin de leurs compétences et ils ont su rapidement s’adapter aux transformations de la loi3. On voit tout l’intérêt qu’il y aurait à connaître en détail ces questions pour Paris, qui est le lieu de l’émergence de notre bourgeoisie administrative. De sorte qu’il est tout à fait étrange que l’on n’en sache pas plus et que nos connaissances en restent pour le moment au niveau des généralités, ou des personnes les plus en vue et non pas à celle de la masse des fonctionnaires et employés.
- 4 « Tout homme en place ne fait rien par lui-même et prend des agents secondaires. Le premier agent (...)
25Qui occupait les bureaux parisiens ? Comment recrutait-on ? Que sont devenus les anciens agents ? Comment procédait-on aux avancements, puisqu’on a continué à avancer sous la Révolution et à tenter de faire carrière ? Comment étaient gérés les employés ? Comment étaient payés les traitements et les retraites ? Comment étaient réglées les plaintes, les conflits de personnes, les interventions politiques ? Comment étaient contrôlés les bureaux ? La période révolutionnaire a connu également une certaine inflation du personnel administratif, notamment sous l’autorité du Comité de salut public, car face à la menace étrangère, il a bien fallu recentrer le pouvoir et étoffer l’administration centrale. Saint-Just dénonce cette inflation4. La Révolution s’enlise dans la bureaucratie. Qu’en était-il exactement ? Ce sont là des questions qui mériteraient d’être étudiées.
La vie quotidienne et la vie privée
26La gestion du temps quotidien (les horaires, les trous dans l’emploi du temps, les échos de la Révolution, la vie matérielle, l’activisme politique, les repas, etc.), la hiérarchie et les formes de commandement, la taille des services, les coutumes corporatives, le mobilier de bureau, la charge de travail et son rapport aux effectifs, le niveau de vie des employés, le travail des bureaux, la perception de la Révolution à l’intérieur des services constituent aussi certaines des facettes de cette histoire bureaucratique qui reste à entreprendre. D’autant que d’un bureau à l’autre, d’un service à l’autre, la pression des affaires et des événements n’est pas la même et qu’aucune généralisation ne peut être établie.
27Mais le quotidien du bureau ne constitue pas la seule vie familière du bureaucrate. Sa vie privée est tout aussi importante aux yeux de l’historien qui a tout intérêt à savoir ce qu’il pense, ce qu’il croit, ce qu’il lit, qui il fréquente, surtout en période troublée. Quelle est sa vie matérielle, son logement, sa nourriture, ses vêtements, son usage du temps libre, sa vie intellectuelle, son activité et ses engagements politiques, ses habitudes de sociabilité ?
Les conflits administratifs
28Sous la Révolution, le contentieux administratif reste important, dont la querelle entre l’État et la Ville est un des éléments, mais également, bien sûr, les conflits entre l’État et la Ville et les particuliers, comme avec les entreprises et fournisseurs. Il est d’autant plus important de s’y intéresser que ces conflits sont marqués par le contexte révolutionnaire, car il ne s’agit pas simplement de disserter sur la séparation ou la non-séparation entre pouvoir judiciaire et pouvoir administratif, mais de voir ce que concrètement cela donnait, sans oublier que tout ne se réglait pas devant les tribunaux, de manière officielle. Il en est ainsi du contentieux fiscal, dont il conviendrait de faire l’histoire sous la Révolution, ainsi que celle du contrôle fiscal, de son efficacité et de ses limites ; ainsi encore, du contentieux des marchés publics, sans parler de celui qui concerne la vente des biens nationaux…
Le maintien de l’ordre
29Le maintien de l’ordre, qui va faire l’objet d’une présentation particulière, est au centre de l’histoire administrative révolutionnaire, surtout à Paris, où l’administration a eu pour mission de défendre un certain ordre : juridique, comptable, financier, social et policier, et d’approvisionner en subsistances et en matières premières la population parisienne. Quelles techniques a-t-on utilisées pour y parvenir ? Comment a-t-on agi, réglementé, ordonné, contrôlé ? Qui définissait l’ordre ? Quelles étaient les missions assignées aux divers services ? En fait, les missions étaient floues, incertaines, mal définies, incomplètes, inadaptées, ordonnées sans textes précis, souvent sans bases juridiques, car au gré des circonstances, il fallait agir dans l’urgence, parer au plus pressé, ce qui n’allait pas sans certaines dérives et certains dérapages qu’il faudrait chercher à préciser. Autant dire qu’on ne peut se contenter d’une approche simplement juridique.
30Par ailleurs, quelles étaient les techniques du maintien de l’ordre ? Ainsi, simple exemple, comment était maintenu l’ordre comptable ? Comment entendait-on la séparation du comptable et de l’ordonnateur ? Y avait-il un certain contrôle du premier sur le second ? un contrôle financier à l’échelle ministérielle ? un contrôle hiérarchique sur certains ordonnateurs ?
31Pour tout cela, il faut aller au-delà des textes, comprendre comment cela fonctionnait en pleine action révolutionnaire, quel était l’esprit qui animait ce maintien de l’ordre, quel était le contexte, envisager les normes non écrites, les usages, les dérapages, les erreurs…
32Prenons un autre exemple, celui des disettes et des révoltes frumentaires qui s’ensuivent. Celles-ci ne sont pas dues seulement aux mauvaises récoltes et aux désordres révolutionnaires. Elles sont aussi la conséquence de la départementalisation du territoire, qui a démantelé l’ancien Contrôle général des finances, qui assurait une certaine coordination dans l’approvisionnement parisien et une certaine planification des récoltes. On en veut pour preuve la pénurie de bois de l’an III, qui, à la différence des disettes frumentaires, n’est pas la conséquence de mauvaises récoltes, mais de la segmentation du territoire et de la quasi-absence de possibilité, pour les autorités parisiennes, d’intervenir en amont de la capitale, comme on l’avait toujours fait jusqu’alors.
Le contrôle politique
33Le pouvoir politique – et donc le ministre (ou ce qui en tient lieu) et les responsables municipaux – doit pouvoir s’assurer du contrôle de l’administration, car c’est de ce contrôle qu’il tire la légitimité de ses décisions. Seulement, ce contrôle est sujet à toutes sortes de nuances, surtout en période révolutionnaire. Ainsi, le ministre peut être un simple contrôleur de gestion, qui s’assure que sont respectées ses grandes orientations, ou bien il peut être lui-même un véritable gestionnaire, le premier de son administration, ce qui suppose tout de même pour lui une certaine durée et un outil technique en bon état, ce qui a été loin d’être toujours le cas durant les années qui nous occupent. Or, selon les différentes phases de la Révolution, la conception du rôle du pouvoir politique et de ses représentants a varié. De sorte que, là encore, l’historien doit éviter les conclusions générales ; il doit apprécier en termes réels le rôle du personnel politique, pour tenir compte du contexte, mais aussi des personnalités de chacun, comprendre les difficultés propres à chaque régime particulier, déterminer le poids politique du ministre ou de l’autorité municipale, leur poids dans la vie nationale, comme leur implication locale, leurs intérêts politiques immédiats et leurs conflits avec leurs entourages.
34L’historien doit même faire preuve d’une certaine perspicacité et chercher certaines intentions peu avouables face à des mesures qui pourtant peuvent être symboliques. C’est ainsi que le renforcement de la centralisation par Robespierre, après octobre 1793, est avant tout destiné à mieux contrôler Paris : il procède du double souci d’endiguer, avant de les abattre, les institutions parisiennes écloses sous la poussée populaire de la Commune et d’harmoniser les mesures prises durant l’été et l’automne dans le domaine administratif, notamment.
L’action administrative et les représentants de la nation ou du peuple
- 5 En fait, la position des Girondins était infiniment plus nuancée qu’on est habitué à l’expliquer, (...)
35L’administration est dans une situation ambiguë face aux représentants de la nation, surtout dans un régime d’assemblée, comme sous la Convention, car elle dépend de ceux-ci pour ses moyens d’action financière et juridique, alors qu’elle appartient à l’exécutif et qu’elle est liée, par là même, à un système d’ordre ancien, qui peut être contesté et qui s’oppose théoriquement, mais le plus souvent vainement (mais est-ce vraiment si certain ?), à la volonté politique des représentants de la nation, comme le pensaient notamment les Girondins5. De sorte que les conflits ne manquent pas. C’est ainsi que l’Assemblée entend non seulement contrôler l’administration par les discussions budgétaires, par les interpellations aux ministres, mais aussi par ses commissions spécialisées, qui ont été parfois prépondérantes et même dictatoriales et qui n’hésitent pas à déléguer certains de leurs membres pour se substituer à la hiérarchie ministérielle et administrative. Que signifie alors l’indépendance de l’administration, quelle est sa latitude d’action ? Quel est le poids du népotisme, de l’affairisme ? Dans quelle mesure l’administration peut-elle lutter contre la pression des intérêts de groupe ou les intérêts privés, relayés par les représentants de la nation ? Ce sont des questions qu’il faut se poser.
Les conflits internes
36Les structures administratives sont des lieux de divisions, de conflits, de tensions, surtout en période révolutionnaire, que l’on gère plus ou moins facilement. Pour bien comprendre l’administration et son fonctionnement, il est nécessaire de saisir ces désaccords, leur durée, leur économie, d’en appréhender les sources et d’en analyser les conséquences, même si ce n’est pas toujours aisé, car les dissensions sont souvent dissimulées, niées, notamment pour des raisons politiques qu’on ne peut guère saisir. Entre services, à l’intérieur même des bureaux, entre administration centrale et administration municipale, entre grands commis et petits employés, dont les intérêts divergent, les querelles de clans, les oppositions de points de vue, d’engagements politiques et de doctrine se donnent libre cours et traduisent souvent les ambitions d’activistes dont la sincérité est sujette à caution, même si la chronique n’en est pas toujours facile à suivre.
Le désordre administratif
37L’idée que l’administration puisse être lisse, rationnelle, impartiale, juste, transparente est irréaliste car les désordres, les erreurs, les abus abondent, d’autant que les réformes ne portent pas toujours les fruits espérés. Pourtant, cette histoire en quelque sorte négative de l’administration est rarement entreprise, et les affaires et les désordres sont en général imputés aux politiciens ou à leurs créatures et non pas à l’administration et à ses agents.
- 6 Comme l’a si bien montré Guy Thuillier, Les Pensions de retraite des artistes de l’Opéra (1713-191 (...)
38Ce n’est pourtant pas toujours le cas, d’autant qu’il fallait travailler dans la désorganisation6. Car la Révolution a détruit, remis en cause des acquis, bouleversé des carrières, utilisé des expédients avant qu’il ne soit possible de reconstruire… Ces années chaotiques n’ont pas été seulement celles des idéaux, des grandes idées, de l’espoir, mais aussi des vols, des malversations, de la corruption, des pillages, des règlements de comptes et il ne sert à rien de le cacher, car cela fait partie de notre histoire administrative : on ne change pas de système sans faire de la casse…
39Cet inventaire est naturellement bien incomplet. Il est simplement conçu comme une tentative de réflexion sur ce que peut être la demande en histoire de l’administration à Paris sous la Révolution et constitue une sorte d’analyse de l’action administrative, que l’historien doit prendre en compte. Il montre la nécessité de compliquer l’approche de l’administration parisienne sous la Révolution.
La nécessité de compliquer
40Effectivement, dans une histoire aussi incertaine que celle de l’administration révolutionnaire, on a tout intérêt à compliquer le jeu, pour élargir son champ de manœuvre, d’autant que l’on n’est nullement tenu d’imiter les prédécesseurs et leurs approches trop politiques et sociologiques du fait bureaucratique. Compliquer est même une nécessité : il faut aller au-delà du clair, de l’apparent, penser à ce qui se situe au-delà. Et plus on creuse, plus on complique et plus on prend conscience qu’on sait peu de choses et qu’il reste quantité de questions à explorer.
41Mais pour compliquer l’approche de l’administration passée, il faut faire un effort d’invention, chercher à se détacher des modèles anciens, lutter contre le conformisme, pour traiter des problèmes nouveaux, des questions inédites, ne pas tout miser sur la politique, concevoir que l’historien n’est pas un simple spectateur du passé, que son travail lui confère un sens, qu’il y ajoute lui-même du sens et de la densité en l’examinant.
Multiplier les questions et les points de vue
42La manière de poser une question ou des questions, de bonnes questions, des questions fécondes, d’élaborer un questionnaire, d’interroger des documents, influe sur la manière de comprendre et de traiter un sujet : l’historien est comme le contrôleur, il est celui qui a l’art de poser des questions nouvelles, judicieuses, fructueuses, qui trouveront des prolongements et qui permettront de comprendre au-delà même de sa propre spécialité. Comment ? Pourquoi ? Qu’est-ce ? Que puis-je connaître ? Comment évoluent les choses ? Qu’est-ce qui est important et ne l’est pas ? Quelles conséquences peut-on en tirer ? Que n’ai-je pas vu ? Qu’est-ce qui importe aux autres historiens ? Qu’est-ce qui comptera aux yeux de mes successeurs ? Quelles illusions entretiens-je ?
43Le monde de l’administration révolutionnaire est un monde perdu, oublié, en partie irrationnel à nos yeux, dans lequel tout n’est pas explicable, lisible, lisse, compréhensible, qui ne permet pas de raisonner uniquement en termes de causes et de conséquences, ce qui aboutit à s’éloigner du réel. C’est un monde également qui n’est pas déterministe, mais dans lequel les personnalités jouent un grand rôle, tout comme les événements, imprévisibles par nature. De sorte qu’on ne peut parvenir à des « vérités » générales, croire à des lois de l’histoire, desquelles on pourrait tirer des conduites pour l’avenir, ce qui relèverait de la manipulation idéologique.
44Il est du devoir des historiens de procéder à un dénombrement le plus complet possible des problèmes qu’il a à résoudre, ce qui revient à appliquer le quatrième précepte du Discours de la méthode de Descartes : dénombrer, faire des revues aussi générales que possible, mais aussi le second : diviser les difficultés, ce qui oblige à multiplier les facettes, les reflets, les points de vue, de faire éclater ce que l’on croit voir, comprendre, savoir, ce que l’on entend dire et ce qui est communément reçu. Comment raisonnait à Paris un chef de bureau en 1792 ? en 1793 ? Quel était son horizon administratif ? intellectuel ? Quelles contraintes subissait-il ? Quels étaient ses principes d’action ? Comment s’accommodait-il des circonstances et des événements ? Comment était compris le maintien de l’ordre ? Le prix du pain, de la viande, du bois est une question essentielle, sans commune mesure avec ce qu’elle est en province, qui touche presque à la sûreté de l’État. Mais dans cette obsession de l’ordre, quels étaient les arrangements que l’on prenait avec les lois et les principes, quelles étaient les tolérances que l’on admettait en matière de mendicité, de prostitution, quels étaient les menus désordres que l’on autorisait, en matière de mœurs, de filouterie ?
45Là encore, il fallait bien tenir compte du contexte et de la position si singulière de Paris, là encore l’écart devait être sensible avec les départements, les textes, les principes, les interdictions générales, là encore les tolérances, les dérogations, les demi-mesures, les demi-interdictions mériteraient des études approfondies. Quelles conséquences a eues l’augmentation des forces de police sur l’opinion et le comportement des Parisiens ? Quel ordre ces nouvelles forces ont-elles imposé ? Se sont-elles contentées d’appliquer celui que les représentants du peuple définissaient ? Comment se sont conciliés, en ces années difficiles, l’intérêt de l’État, et l’intérêt de Paris et des Parisiens ?
46C’est ainsi qu’il faut bien comprendre le rôle de l’arbitraire dans l’administration, tout particulièrement lors des temps de troubles, où les politiques et la hiérarchie sont tout-puissants, où les contrepoids sont déréglés, pris entre surpuissance ou insignifiance, où les intérêts sont brouillés, où les destitutions sont nombreuses et où l’esprit de corps ne joue plus guère son rôle.
Les conséquences
47Évidemment, cette complexification nécessite certains efforts de la part de l’historien, car une telle histoire est plus exigeante. Elle demande plus de temps et plus d’imagination qu’une histoire lisse, tout en accroissant les risques d’être mal comprise, de déstabiliser son lecteur et de multiplier les zones d’incertitude et les questions insolubles.
48De sorte que, pour chaque sujet, pour chaque question, il faut dresser la liste des choses que l’on peine à saisir, qu’on ne sait pas traiter ou qu’on ne peut traiter, faute de sources, par exemple, des trous, de ce qui ne se laisse pas voir, ce qui est un autre aspect du dénombrement évoqué plus haut. C’est d’autant plus important que, ce faisant, on peut combler certains vides, trouver la bonne source, le bon témoignage, la bonne explication ou du moins l’explication plausible, probable. Cela permet d’avoir une vue mobile des choses, d’entrevoir des problèmes à traiter et de faire de nouvelles ouvertures pour les autres chercheurs.
49Et ce que l’on ne peut traiter, ce que l’on ne peut voir, par manque de sources, notamment, il faut l’insinuer, en s’appuyant sur un vieux précepte : ce n’est pas parce qu’on n’a pas de documents ou de témoignages que la chose n’existe pas. On est là dans le domaine du probable et il est parfois nécessaire d’aller – surtout pour une période aussi difficile que celle de la Révolution – sous forme de suggestions, au-delà des documents disponibles (qui sont parfois biaisés), sans pour autant verser dans la fiction pure et simple ou même simplement dans l’approximation. Les contrôleurs le savent bien dans l’administration, qui n’arrivent jamais à saisir qu’une partie des choses, quand ils touchent par exemple à l’absentéisme, à l’alcoolisme, au gaspillage de temps, aux formalités inutiles, mais qui n’en doivent pas moins conclure. Il en va de même pour l’historien, qui doit chercher à ne pas trop simplifier.
50Par ailleurs, la période qui nous intéresse est souvent délicate à déchiffrer, car tout comportement administratif, toute attitude, tout texte doivent s’apprécier dans leurs cadres et termes propres et non pas en fonction de ce que l’on pense et croit à présent, non pas conformément à nos préjugés idéologiques ou selon l’expérience juridique, administrative et politique contemporaine, ce qui serait tomber dans les travers anciens de la pensée scolastique, ce qui est pourtant le cas de certains juristes.
51Cela est particulièrement exact lorsqu’on cherche à compliquer un problème. Il est vrai que certains historiens prônent les vertus de l’anachronisme, comme mode d’interrogation de la politique ou du social, afin de poser aux contemporains des questions qui ne se posaient pas à l’époque étudiée et du même coup mieux saisir les enjeux du moment. Mais cette démarche est peu appropriée à l’histoire administrative, dont le grand ennemi est précisément l’anachronisme, car comment, par exemple, saisir les opinions politiques des bureaucrates d’Ancien Régime, qui ont franchi le pas de la Révolution, si l’on applique nos préjugés actuels ou notre politiquement correct à une époque qui pensait tout autrement ? L’anachronisme est alors la marque d’une volonté idéologique, partisane.
52De sorte que compliquer les choses apparaît comme une nécessité, comme l’un des buts de guerre de l’historien de l’administration révolutionnaire, ne serait-ce que parce qu’un travail qui simplifie, procédé trop fréquent, est appelé à devenir rapidement obsolète. C’est bien pourquoi nous n’avons pas d’autres buts aujourd’hui, avec les exemples qui vont suivre, que d’ouvrir de nouvelles voies et de nouvelles perspectives, aborder des rivages méconnus et préparer le terrain pour les historiens de demain.
Notes
1 C’est la raison, d’ailleurs, pour laquelle le fédéralisme ne cessera d’être considéré comme un pouvoir intermédiaire entre l’État et la société, et de lutter contre Paris.
2 C’est ainsi, par exemple, que l’on sait tout – ou pratiquement – de la centralisation administrative et des résistances qu’elle a occasionnées, de la structure et des fonctions des administrations centrale et locale, de la suppression de la vénalité des offices et de leur indemnisation en assignats rapidement dévalués, du principe de l’élection pour les postes administratifs de responsabilité ou, à l’inverse, du statut de l’employé, qui occupe un emploi, sur ordre du gouvernement, nommé et payé par celui-ci, de l’organisation ministérielle, de la départementalisation et de l’uniformité communale, de la morphologie administrative révolutionnaire, de l’accroissement des effectifs, des progrès de la bureaucratisation, de la séparation des fonctions administratives et juridictionnelles, etc.
3 Mais bien des nuances doivent être faites, car la bourgeoisie intellectuelle, celle des hommes de loi, a vu certaines de ses positions érodées, au profit d’une bourgeoisie plus moderne, plus active, plus impliquée dans la vie économique, ce qui se voit bien au niveau municipal, lors des élections des notables.
4 « Tout homme en place ne fait rien par lui-même et prend des agents secondaires. Le premier agent secondaire a les siens et la République est en proie à vingt mille sots qui la corrompent, qui la combattent, qui la saignent. » Ou encore : « Le ministère est un monde de papier. La prolixité de la correspondance et des ordres du gouvernement est une marque de son inertie. Il est impossible que l’on gouverne sans laconisme. Il ne se fait rien et la dépense est pourtant énorme. Les bureaux ont remplacé la monarchie. »
5 En fait, la position des Girondins était infiniment plus nuancée qu’on est habitué à l’expliquer, c’est ainsi que ce n’est pas tant l’administration centrale en elle-même qu’ils critiquaient mais ce qui subsistait d’arbitraire en elle et au sein de l’exécutif. Paris est toujours resté pour eux le centre d’impulsion de la Révolution, dont la puissance était nécessaire pour contenir les troubles en province ; entre l’anarchie des troubles départementaux et la puissance de l’administration centrale, le choix était facile pour eux (ainsi que pour leurs affaires locales) : le respect de la loi passait nécessairement par Paris, il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner la pratique du ministère Roland, qui applique une politique étatique et centralisée… Plus tard, l’année suivante, durant la crise de l’été 1793, la Gironde ne proposera jamais une politique de rupture au profit d’un système décentralisé, mais appellera au contraire à la reconquête du pouvoir central. Et si un conflit a existé entre les Girondins et Paris, ce n’est pas un conflit contre le centre du pouvoir, mais contre la populace parisienne, la « canaille », et la Commune du 10 août, qui dénaturaient la Révolution.
6 Comme l’a si bien montré Guy Thuillier, Les Pensions de retraite des artistes de l’Opéra (1713-1914), Paris, 1999, 607 p.
© Éditions de la Sorbonne, 2008