L’ARAC en luttes
p. 113-116
Texte intégral
1Fondée en 1917, l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) constitue durant l’entre-deux-guerres l’une des principales organisations de masse de la galaxie communiste et développe un discours antimilitariste, des pratiques et des actions qui la distinguent des autres mouvements d’anciens combattants.
Une association d’anciens combattants communistes
2La fondation de l’ARAC est indissociable de la personne et de l’œuvre d’Henri Barbusse. Le brillant poète, socialiste et dreyfusard avant guerre, obtient le prix Goncourt en 1916 pour son livre Le feu. Le réalisme de ses descriptions fera choc et l’ouvrage de Barbusse rencontre un grand succès public. L’année suivante, Barbusse fait la rencontre de Paul Vaillant-Couturier et Raymond Lefebvre, deux jeunes soldats et intellectuels socialistes, et de leur ami, l’ouvrier Georges Bruyère, qui le convainquent d’apporter son appui et sa notoriété à leur projet de création d’une association d’anciens combattants qui lutterait pour la paix ; en juillet 1917, les quatre hommes lancent dans L’Œuvre un appel qui débouche sur la création de l’ARAC, en novembre 1917. L’ARAC se donne d’emblée comme objectifs d’agir contre la guerre et de défendre la république et les droits à réparation des anciens combattants et victimes de guerre. L’association tient son premier congrès à Lyon en septembre 1919 et participe à la création de l’Internationale des anciens combattants à Genève. Henri Barbusse en devient le premier président et le reste jusqu’en 1935.
3Dans l’après-guerre, on retrouve les fondateurs de l’ARAC au sein du Comité de la IIIe Internationale (C3I). Paul Vaillant-Couturier est élu député de Paris en 1919 et intègre le comité directeur du parti communiste au lendemain du congrès de Tours tandis que Raymond Lefebvre disparaît tragiquement lors d’une tempête, durant son voyage de retour de Russie, en octobre 1920. Georges Bruyère décède prématurément en 1923, à l’âge de 30 ans. Henri Barbusse, qui avait créé entre-temps le mouvement Clarté, adhère finalement à son tour au parti communiste en 1923.
4L’ARAC sort affaiblie de la crise interne qu’elle traverse au début de l’année 1923. Elle se retrouve concurrencée par la Fédération ouvrière et paysanne (FOP), une association d’anciens combattants proche de la SFIO et de la CGT, et par la Fédération nationale des combattants républicains (FNCR), fondée en 1922. La motion défendue par la direction sortante de l’ARAC, accusée par les minoritaires proches du PC de corporatisme et de « passivisme pacifiste », est mise en minorité lors du congrès de Clermont-Ferrand de juillet 1923, mais la nouvelle direction pro-communiste est contestée par l’ancienne majorité, qui lance en septembre un « appel aux vrais antiguerriers » qui débouche sur une scission de l’aile droite en octobre 19231.
5Dès lors étroitement liée au parti communiste, l’ARAC compte au maximum 20 000 adhérents et se situe en marge du mouvement ancien combattant. Dans l’entre-deux-guerres, parmi les trois millions d’anciens combattants adhérant à une association, la grande majorité se retrouve plutôt à l’Union fédérale (UF), proche des radicaux, ou à l’Union nationale des combattants (UNC), proche de la droite nationaliste, qui comptent toutes deux 900 000 adhérents à la fin des années trente. Comme les autres associations d’anciens combattants, l’ARAC se mobilise pour obtenir de meilleures pensions pour les invalides et veuves de guerre et pour l’obtention d’une retraite du combattant finalement instituée par la loi du 31 mars 1932, mais ses positions antimilitaristes la séparent des autres mouvements d’anciens combattants.
6L’antimilitarisme de l’ARAC est affaire de symboles : le journal mensuel de l’ARAC, L’antiguerrier, adopte pour logo un fusil brisé sur fond de soleil levant orné du mot pax (la paix) ; la médaille de l’association arbore le slogan « Guerre à la guerre ». Cet antimilitarisme se manifeste aussi lors des érections de monuments aux morts. Comme le PC, l’ARAC considère qu’ils véhiculent une image glorieuse de la guerre ; là où l’ARAC est organisée, il n’est pas rare qu’elle soit à l’initiative de contre-manifestations à l’occasion des cérémonies d’inaugurations. De même, l’ARAC mène campagne pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple.
7L’ARAC participe bien en novembre 1927 aux « états généraux de la France meurtrie », qui se réunissent à Versailles et donnent naissance à la Confédération des anciens combattants, mais son adhésion est refusée par les autres mouvements d’anciens combattants en raison de ses positions antimilitaristes et de sa proximité avec le parti communiste.
L’ARAC et la question de l’autodéfense ouvrière
8L’ARAC s’engage dans le Comité d’action contre la guerre du Rif, fondé le 16 mai 1925, aux côtés du parti communiste et de la CGTU, développant en particulier une propagande en direction des conscrits et avançant le mot d’ordre de fraternisation. Surveillée par les autorités, l’ARAC est la cible de la répression qui frappe les organisations communistes. De nombreux militants sont condamnés et incarcérés pour provocation à la désobéissance.
9Sous l’impulsion des frères Jacques et Jean Duclos, qui sont élus au secrétariat de l’ARAC en 1926, l’association est reprise en mains. Jacques Duclos est chargé de mettre en place un service d’ordre sur le modèle du Rote Front allemand, qui rassemble près de 70 000 membres : c’est la naissance des Groupes de défense antifasciste (GDA), qui font leur première apparition publique lors d’un meeting, salle Huygens à Paris, le 29 avril 1926. Ils sont présentés comme une réponse à la montée en puissance des organisations paramilitaires de droite comme les Jeunesses patriotes ou le Faisceau.
10Dirigés par Francis Desphelippon, les GDA sont ouverts à tous les militants antifascistes et notamment aux anciens combattants de la FOP. Leur mission est, en effet, de protéger les réunions, les manifestations et les locaux des organisations de gauche. Ils se distinguent néanmoins d’un service d’ordre traditionnel par leur caractère paramilitaire affirmé : les membres sont dotés d’un uniforme (béret et blouse kaki) et d’une canne, les groupes de drapeaux et fanions, la discipline et les marches au pas sont aussi à l’honneur. On compte trois mille membres des GDA début 1927, auxquels il faut ajouter mille deux cents militants des Jeunes gardes antifascistes (JGA), la branche jeune des GDA créée au sein des jeunesses communistes. La question de l’autodéfense ouvrière, même déléguée à l’ARAC, suscite l’incompréhension et l’hostilité de nombreux communistes dont l’antimilitarisme viscéral est heurté par le caractère paramilitaire des GDA2.
11La chute du cartel des gauches en 1926 et la décrue de l’activité des ligues nationalistes rendent moins nécessaire l’existence de groupes d’autodéfense, qui sont rassemblés, en 1927, au sein d’un « Front rouge » confié à Georges Beaugrand, ancien ouvrier boucher et ancien combattant membre de l’ARAC. Le port de l’uniforme est abandonné. Le front rouge périclite toutefois rapidement et Georges Beaugrand est remplacé par Armand Latour, le responsable des JGA.
12L’antimilitarisme de l’ARAC s’exprime à l’occasion des journées contre la guerre organisées chaque année le 1er août entre 1929 et 1933 pour commémorer l’anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Si les sections de l’ARAC sont très impliquées dans la préparation de l’initiative aux côtés du PC et de la CGTU, les résultats sont pour le moins mitigés. En 1929, alors que le parti communiste a adopté l’année précédente la stratégie « classe contre classe » définie lors du VIe congrès du Komintern, la journée du 1er août se donne un horizon insurrectionnel. L’appel du PC, de la CGT et de l’ARAC à la « grève politique de masse » est suivi dans plusieurs usines, comme chez Citroën, chez Hotchkiss à Saint-Denis, ou chez Alstom à Saint-Ouen. La région parisienne est placée en état de siège, cinquante mille policiers et gendarmes sont mobilisés, L’Humanité est saisie et les principaux dirigeants du parti communiste et des organisations qui lui sont liées sont arrêtés, à l’image du secrétaire général de l’ARAC, Jean Duclos, inculpé de « complot contre la sûreté de l’État » en raison de la campagne antimilitariste entreprise par l’ARAC sous son impulsion, ou encore d’Armand Latour, arrêté le 9 août et qui passe neuf mois en prison.
L’ARAC et le combat antifasciste dans les années trente
13Dans les années trente, l’ARAC se dote d’un nouvel organe mensuel, Le Réveil des combattants, créé en 1931 à la suite du XIIe congrès national, qui s’était tenu à Paris les 22 et 23 novembre 1930. À sa création, le nouveau journal compte dix mille lecteurs et un millier d’abonnés. Le nordiste Guy Jerram accède au poste de secrétaire général. L’ARAC participe au Mouvement Amsterdam-Pleyel à la suite de l’appel d’Henri Barbusse et de Romain Rolland dans L’Humanité pour la tenue d’un congrès contre la guerre.
14Le 6 février 1934, l’ARAC appelle à manifester à Paris, en même temps que les ligues nationalistes et l’UNC, mais sur des mots d’ordre totalement contraires, puisque l’ARAC réclame l’arrestation immédiate de l’ancien préfet de police Chiappe. Trois mille membres de l’ARAC sont dans la rue. Ils se battent contre les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque soutenus par des militants de l’UNC. Deux jours plus tard, le bureau de l’ARAC appelle au front unique contre les « décrets-lois » et « contre le fascisme qui monte dans notre pays ».
15L’ARAC est secouée par une nouvelle crise lorsque Guy Jerram, son secrétaire général, qui avait pris parti pour Jacques Doriot sur la question du front unique et souhaitait élargir l’audience de l’association, est mis en minorité par les frères Duclos lors d’un congrès extraordinaire en octobre 1934. Proche de Maurice Thorez et soutenu par la direction du PC, Jacques Duclos est nommé à la vice-présidence de l’association. Jerram est finalement exclu du PC et de l’ARAC l’année suivante. À la mort de Barbusse en août 1935, Paul Vaillant-Couturier devient le nouveau président de l’ARAC jusqu’à son décès en octobre 1937.
16Sous son impulsion, l’ARAC épouse la nouvelle orientation du PCF en matière de défense nationale, qui marque le passage d’un « antimilitarisme antiguerre à l’antimilitarisme antifasciste3 ». Vaillant-Couturier met en place les comités Bilbao pour venir en aide aux républicains espagnols. L’ARAC se renforce en intégrant l’Amicale des volontaires de l’Espagne républicaine (AVER), officiellement constituée en 1938. Le Réveil des combattants tire à 85 000 exemplaires.
17À la mort de Vaillant-Couturier, c’est Félix Brun, ouvrier fraiseur, grand blessé de guerre, député communiste du Rhône depuis 1936 et vice-président de l’ARAC depuis 1931, qui accède à la présidence de l’association.
18L’ARAC n’est jamais parvenue à concurrencer l’UF ou l’UNC, mais, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle constitue un élément majeur du dispositif de l’influence communiste et est donc dissoute après la signature du pacte germano-soviétique. Les locaux sont perquisitionnés et mis sous scellés, les documents et le matériel saisis, Le Réveil des combattants interdit.
19Tout l’enjeu, pour l’ARAC, qui renaît en 1945, sera désormais d’intégrer en son sein une nouvelle génération d’anciens combattants marquée par l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance, qui tend à éclipser le souvenir de la Première Guerre mondiale et des luttes antimilitaristes des révolutionnaires de l’ARAC.
Notes de bas de page
1R. Pozot, L’Humanité, 14 octobre 1923.
2Georges Vidal, « Violence et politique dans la France des années 1930 : le cas de l’autodéfense communiste », Revue historique, 640/4, 2006, p. 901‑922.
3Georges Vidal, « Le PCF et la défense nationale à l’époque du Front populaire (1934-1939) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 215/3, 2004.
Auteur
David Noël est professeur d’histoire-géographie au collège Paul Duez de Leforest (Pas-de-Calais). Docteur en histoire contemporaine de l’université de Bourgogne. Chargé d’enseignement en histoire contemporaine à l’université de Lille. Membre du secrétariat de rédaction de La Pensée et du comité de rédaction du Patriote Résistant. Dernière publication parue : « Le mouvement communiste et l’antimilitarisme dans le Pas-de-Calais de la fin de la première guerre mondiale au tournant des années trente », Revue du Nord, numéro 438.
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