Jewellery Showtime
Le bijou d’art contemporain sur le catwalk (1980-1990)
p. 147-167
Texte intégral
1Et si Polly Maggoo était montée réellement sur un podium, vêtue de ses robes en tôles métalliques1, qui en aurait été le créateur ? Paco Rabanne, peut-être, qui – la même année, 1966 – faisait du bijou un vêtement avec ses « 12 robes importables en matériaux contemporains ». Si « le bijou est à l’origine de l’entrée de Paco Rabanne en haute couture2 », celui que Coco Chanel qualifiait de « métallurgiste de la mode »3 fait cependant appel à d’autres créateurs pour réaliser les accessoires de ses défilés. Parmi ses collaborateurs et collaboratrices figurent des artistes du bijou contemporain : c’est le cas de Patricia Lemaire, dont les parures défilent avec les tenues de Rabanne, ainsi que celles d’Olivier Lapidus ou de Christophe Rouxel4.
2Si la majorité des bijoux de mode sont dessinés par des stylistes ou des designers et réalisés par des paruriers5, ce texte se concentre sur les créations d’artistes dont le bijou est le principal médium et qui ont investi le catwalk 6 comme espace de monstration performatif, dans le cadre de collaborations ponctuelles avec la mode durant les deux dernières décennies du xxe siècle. Depuis les années 1950, un nombre significatif d’artistes développent une démarche réflexive autour du bijou comme médium artistique. Ils réalisent des parures qui diffèrent de la définition traditionnelle du bijou et déploient un nouveau rapport au corps : de par leur taille, forme, matériaux ou emplacement, ces accessoires ne sont plus portables au quotidien, déplaçant l’expérience corporelle de la parure vers un mode performatif.
3En parallèle du musée et de la galerie d’art, le catwalk regroupe les conditions de visibilité propices aux nouvelles corporéités7 du bijou contemporain. Patricia Lemaire souligne cette dimension scénique du défilé qui lui permit d’exposer théâtralement ses œuvres les plus sculpturales sur le podium8. Défini par Morgan Jan comme un véritable « spectacle vivant, le défilé de mode est un décor à corps, immobiles ou en mouvement, mettant en scène des vêtements qui, parfois, s’apparentent à de véritables œuvres d’art9 ». Or, les années 1980 marquent un tournant dans l’histoire du défilé de mode en ce qu’il est de plus en plus conçu comme une représentation constituée d’une pluralité de médiums participant chacun à la création d’une forme totale. Cette conception du défilé, pensé comme un tout, émerge avec l’avènement de la « mode-spectacle » qui s’accompagne de la consécration des supermodels et des couturiers-stars. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte d’artification de la mode alors que le bijou connaît un processus similaire de passage à l’art.
4Cette contribution se propose d’étudier les collaborations entre artistes du bijou et créateurs de mode, pour aborder les interactions entre ces deux médiums qui font l’objet de processus d’artification au cours des deux dernières décennies du xxe siècle, en cherchant à comprendre comment le passage sur le catwalk ouvre un espace critique dans la pratique artistique du bijou.
Aux confluences du bijou couture
5En ce qu’elle est un tout formé par plusieurs éléments qui s’ajoutent au vêtement – tels que les accessoires10 – et dont la confection requiert des savoir-faire spécifiques, la mode a recours à plusieurs designers, artisans ou artistes. Or, si les maisons de couture et les studios sont équipés pour la confection textile, rares sont ceux qui disposent d’ateliers outillés pour la production des accessoires. Cet état de fait est à l’origine d’un système collaboratif : la réalisation des bijoux, sacs, chaussures, lunettes et autres boutons est confiée à des artisans spécialisés, extérieurs aux maisons. Emmanuel Aubry, styliste-accessoire chez Thierry Mugler entre 1989 et 1999, explique que ce mode de fonctionnement astreint le designer ou le styliste à se constituer un important réseau d’artistes et d’artisans capables de répondre, grâce à leur savoir-faire et à leur créativité, aux besoins spécifiques de la maison ou du studio11.
6Pour ce faire, les stylistes font principalement appel à des ateliers de parurerie12. La majorité des bijoux sont créés selon un schéma suivant lequel le designer fournit un dessin que l’artisan interprète et exécute ; les partenariats avec des artistes diffèrent en ce que ces derniers mènent en amont une réflexion sur leur médium et son rapport au corps, et apportent leurs propres conceptions artistiques. En outre, les collaborations entre créateur de mode et artiste du bijou connaissent elles-mêmes des réalités diverses. Dans sa collaboration avec Rabanne, entre 1996 et 2000, Patricia Lemaire se démarque nettement d’un travail « à façon », en prêtant au couturier des œuvres issues de sa production artistique à l’occasion des défilés. Le podium constitue alors une véritable scène où l’artiste-bijoutière expose ses réalisations sur le corps des mannequins13. Tandis que pour Olivier Lapidus, elle crée des pièces uniques en fonction des thèmes choisis par le couturier pour ses collections ; puis elle répond aux éventuelles commandes à l’issue du défilé, en réalisant des déclinaisons des bijoux présentés sur le podium, adaptées à la portabilité. Si cette seconde manière de faire est comparable à celle des paruriers, les bijoux de défilé de Patricia Lemaire sont toujours en correspondance avec l’ensemble de son travail artistique.
7La rencontre entre un artiste et un créateur de mode à l’origine de ces collaborations mène souvent à une interaction enrichissante pour chacun. En témoigne l’expérience de Gilles Jonneman14 qui présente ses échanges avec Issey Miyake comme une étape marquante de son parcours artistique15. Ces cas de figure demeurent néanmoins de l’ordre de l’exception, de sorte que différents systèmes de production des bijoux de mode coexistent. À l’image d’un échangeur autoroutier, le catwalk permet à une diversité de créateurs de se croiser. Cet espace, qui se matérialise généralement comme une ligne droite parcourue en aller-retour par les mannequins, suggère un système sous-jacent à plusieurs voies, abolissant alors, au moins temporairement, les hiérarchies entre artistes, artisans, paruriers. Dans cette perspective, la mode peut être un moyen pour les artistes de se positionner au carrefour de plusieurs domaines. Parmi eux, il en est qui font des incursions temporaires sur la scène du défilé – telles Patricia Lemaire ou Pascale Frey16 – tandis que d’autres poursuivent ces collaborations tout au long de leur carrière – comme Gilles Jonneman –, enfin certains choisissent de s’y consacrer exclusivement – c’est le cas d’Erik Halley17.
8En outre, ces collaborations font écho à celles, plus connues, qui impliquent des artistes dont le bijou n’est pas le principal médium. Les accessoires dessinés par Salvador Dali pour Elsa Schiaparelli à partir du milieu des années 1930 demeurent de célèbres exemples. Ainsi, la conception de parures pour la mode est pratiquée à titre exceptionnel par des sculpteurs, peintres, plasticiens, designers ou architectes « pour qui le bijou est un médium occasionnel18 ». À l’opposé de ces bijoux d’artistes19, qui ne sont généralement pas conçus avec le corps et dont la réalisation est sous-traitée à des orfèvres, « les bijoutiers contemporains conçoivent autant qu’ils réalisent et considèrent le bijou comme un champ d’expression à part entière », explique l’artiste Benjamin Lignel dans le catalogue de l’exposition « Dans la ligne de mire » qui s’est tenue au musée des Arts décoratifs de Paris en 2013-201420.
9Néanmoins, les frontières ne sont pas hermétiques : par le truchement de leur connaissance du métal, certains sculpteurs en viennent à développer une réflexion autour du corps paré au contact de la mode. C’est le cas du chaudronnier-tôlier de formation Jean-Pierre Delcros21 lorsqu’il travaille pour Mugler ou Rabanne, et du sculpteur Oskar Gustin, qui réalise des bijoux pour Emmanuel Ungaro de 1968 à 1979.
10Ainsi, le bijou couture évoque plusieurs réalités en ce qu’il peut se rapporter aux créations de différents artistes, artisans et designers. Cette polysémie est également lisible dans la pluralité des termes employés par les auteurs – universitaires ou médiatiques – pour parler des « bijoux de mode » également nommés « bijoux de podium » ou « catwalk jewellery », « fashion jewellery », « costume jewellery », « bijou de défilé » et plus récemment « wearable art ». Ces termes peuvent être utilisés en synonyme les uns des autres ; bien qu’ils désignent des objets divers, ceux-ci ont tous comme dénominateur commun d’être créés pour la mode. En outre, le bijou couture connaît des évolutions au fil des décennies22, qui touchent à la fois les formes, styles et matériaux employés, ainsi que les processus de création.
11Les années 1980 sont marquées par la montée en puissance du prêt-à-porter face à la haute couture, laquelle joue un rôle important dans le développement du bijou de mode qui « va aider les créateurs à construire des défilés spectaculaires23 ». Ce phénomène favorise les collaborations entre créateurs de mode et artistes du bijou car « des stylistes d’avant-garde choisissent [des] stratégies spectaculaires unissant bijou et mode. Ils parent les mannequins de catwalk jewelry, ornements scénographiques extravagants reflétant l’univers du créateur24. » Si les années 1980 constituent un tournant dans la spectacularisation de la mode et de la parure, ce système de collaboration avec des artistes menant à la création de bijoux sculpturaux commence dès la décennie précédente. En 1969, un coup de cils après la sortie de Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? et le premier défilé de Rabanne des « 12 robes importables en matériaux contemporains » (1966), la sculptrice Claude Lalanne réalise pour Yves Saint Laurent des « bijoux de corps » qui sont comme des vêtements de métal galvanisé, recouvrant le ventre ou la poitrine à la manière de bustiers ou corsets. Cette parure habille alors le mannequin d’une seconde peau dorée qui épouse et enferme le buste, de la même manière que le bikini chromé réalisé par Jean-Pierre Delcros pour Mugler quelque vingt ans plus tard en écho aux Carapaces, bijoux de mains créés par Pascale Frey pour le couturier [FIG. 1]. Ainsi, dès les années 1970 au contact de la mode, les artistes métallurgistes sont amenés à étendre leurs parures sur l’ensemble du corps, hybridant le bijou qui de bracelet devient manche, de collier en plastron se transforme en bustier jusqu’au catsuit 25.
Fig. 1. Pascale Frey, Carapace, 1995-1996, collaboration avec Thierry Mugler, bijou de main, métal articulé.

Photographie © Jean-Louis Hess.
12La fin des années 1990 est marquée par un changement de paradigme pour le bijou de défilé car cette période correspond à une transformation du fonctionnement des studios et des maisons de haute couture. Florence Müller note dans son ouvrage Les paruriers que « tous les acteurs du domaine du bijou fantaisie s’accordent sur un point : l’arrivée des grands groupes de la finance à la tête des maisons de couture et la généralisation du marketing appliqué à la mode au début des années quatre-vingt-dix vont entraîner une dilution de la créativité et du luxe26 ». En outre, le contexte économique au tournant des années 2000 connaît alors de profonds bouleversements qui impactent, quoique de manières très différentes, les diverses branches de la bijouterie – de fantaisie, d’auteur ou artistique – et de la joaillerie et haute joaillerie. Entre autres « le phénomène de la délocalisation d’une grande partie de la production, principalement en Asie, fragilise aussi le secteur de la bijouterie fantaisie27 ». Ces nouvelles modalités redessinent les territoires de la mode sans pour autant mettre fin à tout échange entre artistes et couturiers pour la création des catwalk jewellery. Ce phénomène se poursuit en effet encore aujourd’hui, en témoignent les récentes collaborations entre Elie Hirsch et la Maison Schiaparelli en 2022 : l’artiste réalise de véritables vêtements en métal martelé qui couvrent les hanches et le torse des mannequins, entourent les épaules et s’élèvent au-dessus de leur tête.
13Le bijou couture se situe donc à la jonction de plusieurs domaines : entre la parure et le vêtement, entre les différentes catégories qui se construisent les unes par rapport aux autres au sein de la bijouterie-joaillerie, entre l’art et la mode.
Artifications croisées du bijou et de la mode
14Ce rapprochement entre art et mode est récurrent durant les deux dernières décennies du xxe siècle, que ce soit à travers la démarche et les créations de certains couturiers, ou dans les discours et dans les expositions. Ces collaborations entre artistes – du bijou – et créateurs de mode s’inscrivent dans la perspective ouverte par Émilie Hammen qui considère que « c’est la prise en compte d’un ensemble d’initiatives – d’expositions et de collaborations notamment – qui permet de réinscrire [les créations des couturiers] dans un cadre où les mondes de l’art et de la mode dialoguent, voire se superposent28 ».
15Or, depuis les années 1960, le bijou fait l’objet d’un processus d’artification passant par l’enseignement de ce médium au sein des écoles d’art européennes et l’ouverture d’un marché de l’art spécialisé grâce à l’existence de foires, biennales, musées et galeries qui lui sont dédiées.
16Quoique l’on constate une concomitance du passage à l’art du bijou et de la mode dans les années 1980, ces collaborations n’ont rien d’évident pour des artistes qui, depuis deux décennies, tentent de faire reconnaître la pratique artistique de leur médium. Aux yeux de certains commentateurs de l’époque, le podium du défilé est une déchéance par rapport au socle de l’exposition. Dans son ouvrage Made to Wear, Janice West évoque « l’attitude dominante dans le monde de l’art de ne pouvoir prendre au sérieux le bijou en raison de son association avec la mode29 ». En citant les propos de Deborah Norton lors d’une interview avec l’artiste du bijou Caroline Broadhead parue dans la revue Metalsmith en 1991, l’auteure souligne la méfiance des acteurs du bijou institué comme art vis-à-vis des artistes qui se rapproche de la mode, comme c’est le cas de Caroline Broadhead. En 1978, celle-ci fonde C&N avec Nuala Jamison : au sein de leur compagnie, elles créent des parures spécifiquement pour l’industrie de la mode en parallèle de leur travail artistique respectif. Que ce soit pour sa production artistique ou ses bijoux couture, la démarche de Caroline Broadhead vise à « explorer l’interface entre bijoux et vêtements30 ». C’est justement ce que lui reprochent les commentateurs telles que Deborah Norton, craignant qu’au contact de la mode ou de pratiques artistiques telles que la sculpture, l’installation ou la performance, le bijou ne perde tantôt son aura d’œuvre d’art, tantôt ce qui fait de lui un bijou. Cette peur de la confusion est liée à la diversité des expérimentations menées par les artistes du bijou contemporain autour de leur médium, diversité qui caractérise les années 1980. À propos de ce phénomène, Liesbeth den Besten décrit « les artistes du bijou aux prises avec la liberté qui les poussait à franchir les frontières, mais qui les laissait eux-mêmes et le public seuls, dans la confusion31 ». On retrouve ce même constat chez Scilla Speet, interviewée par Janice West dans son ouvrage Made to Wear 32.
17Cette méfiance à l’égard du bijou couture est récurrente dans la décennie 1980 et au début des années 1990. À une époque où est d’ores et déjà instituée une certaine manière de concevoir et d’exposer le bijou comme art, c’est en marge que se développent d’autres démarches réflexives autour de ce médium et du corps, un courant que certains auteurs ont appelé un « au-delà du bijou »33.
18Si l’ensemble des œuvres créées en lien avec la mode par des artistes du bijou se distinguent de la joaillerie d’une part et du bijou fantaisie ou de la parurerie d’autre part, il existe au sein même de la pratique artistique de ce médium maintes approches. Alors que certains artistes créent des bijoux destinés à être portés, quotidiennement ou non, en travaillant sur les différents aspects intrinsèques à leur médium34, d’autres questionnent justement la notion même de portabilité. En 1996, Clare Philips constate que « les frontières où le bijou se rapproche de la sculpture, des vêtements ou même de la performance ont été explorées, et il est devenu un moyen d’expérimentation artistique plutôt qu’une simple parure35 ». Néanmoins, certains commentateurs du bijou portent un regard critique sur la démarche d’artistes qui créent des objets sculpturaux, destinés non plus à être portés quotidiennement mais à être activés durant des temps performatifs. Leur démarche fait écho au body art et à des pratiques artistiques qui impliquent le corps, telles que le happening, la performance, l’action ou l’event. Janice West rapporte ainsi les propos de Barbara Cartlidge, fondatrice de la galerie londonienne Electrum, pour qui cette approche « est à peu près aussi éloignée que possible des bijoux… c’est une position d’artiste, mais qui n’apporte rien pour les bijoux ou la compréhension de ce qu’est le bijou parce que c’est disproportionné, non fonctionnel36 ». Fondée en 1972, Electrum, galerie spécialisée dans le bijou contemporain, expose le travail d’artistes qui circonscrivent l’objet dans des frontières qui demeurent traditionnelles – notamment en termes d’échelle, de forme (collier, bague et broche) et de portabilité.
19C’est donc en marge de cette pratique artistique du bijou, qui prédomine dans la majorité des collections, des galeries et des foires, que se développe le travail d’artistes qui s’interrogent sur le rapport au corps et à l’(im)portabilité. Pour eux, la mode ouvre un espace d’expérimentation libéré des a priori sur ce qu’est l’objet bijou tout en offrant un espace de monstration : le catwalk. D’une part, la pièce de défilé permet de dépasser « la dialectique entre l’unicité de la production artistique et la reproductibilité du design37 ». En effet, les artistes du bijou contemporain se distinguent des artisans entre autres parce qu’ils créent des pièces uniques, plutôt que des séries de multiples. Or le catwalk leur permet de conserver cette unicité de l’œuvre, qui caractérise également en grande partie les vêtements qui défilent sur le podium.
20C’est à la faveur du contexte des années 1980 imprégné par la volonté de s’affirmer dans le champ de la création contemporaine, que les créateurs de mode font appel à des artistes du bijou pour créer leurs pièces de défilé. Pour ce faire, les bijoux sont davantage pensés en amont, en lien direct avec la collection38. C’est le fonctionnement que décrit Gilles Jonneman lorsqu’il présente sa collaboration avec Per Spook entre 1982 et 1988 : six semaines avant le défilé, le couturier lui envoyait le thème de la collection ainsi que des échantillons de matières et de couleurs, à partir desquels l’artiste créait une cinquantaine de bijoux qui défilaient avec les tenues mais n’étaient pas commercialisés par la suite39. Si cette méthode de travail s’apparente à celle des paruriers, elle se distingue des collaborations avec la joaillerie : c’est davantage pour les shootings que les maisons prêtent leurs pièces, laissant aux directeurs artistiques et aux photographes le choix des assemblages avec les vêtements ; un même bijou peut alors figurer sur plusieurs tenues. A contrario, dans le cas des collaborations entre créateurs et artistes, l’effet final est primordial car il s’agit de faire apparaître sur le podium une œuvre totale composée du vêtement, des bijoux et accessoires sur le corps du mannequin. La Chimère, chef-d’œuvre de la collection éponyme de Mugler en 1997, est un parfait exemple de ce phénomène. Cette spectaculaire robe fourreau est le fruit de la collaboration de plusieurs artistes : Jean-Jacques Urcun40 et Mister Pearl41 ont participé à la création du corset articulé et à la réalisation des écailles qui recouvrent l’entièreté de la robe, Erik Halley a conçu la coiffe ornée de plumes.
21D’autre part, il est intéressant de constater que c’est en passant par la forme du fashion show que Gijs Bakker et Emmy Van Leersum font entrer le corps dans l’espace du musée à l’ouverture de l’exposition « Edelsmeden 3 » au Stedeljik Museum Amsterdam le 12 mai 1967 lorsqu’ils font défiler sur un podium leurs bijoux portés par des mannequins, mélant ainsi mode, art et bijou [FIG. 2]. Les deux artistes, reconnus pour avoir mené une approche radicale du bijou, font des emprunts répétés à la mode et au happening tant pour les formes de leurs parures que pour leurs modes de monstration. C’est ainsi qu’ils exposèrent à la galerie Art & Project d’Amsterdam le 31 janvier 1970 leurs Clothing Suggestions – qui, comme leur nom l’indique, mêlent bijoux et costumes en couvrant l’entièreté du corps – portés par des modèles qui arrivèrent directement dans l’espace de la galerie en même temps que le public. « Ce faisant, Bakker et Van Leersum sont entrés en confrontation avec le monde conventionnel du bijou et de l’art42 », note Liesbeth den Besten, témoignant du potentiel critique que ces artistes du bijou puisent dans le vêtement.
Fig. 2. Image issue du documentaire réalisé par Bart Hess reconstituant le show ouvrant l’exposition « Edelsmeden 3 » au Stedeljik Museum Amsterdam le 12 mai 1967. Film réalisé à l’occasion de l’exposition rétrospective « The Gijs+Emmy Spectacle, Fashion and Jewelry Design by Gijs Bakker and Emmy van Leersum », 2014, Amsterdam, Stedelijk Museum.

22Ainsi le passage sur le catwalk joue un rôle paradoxal vis-à-vis du phénomène d’artification du bijou en lui offrant une scène idéale d’expérimentation et d’exposition au risque de le ramener à un rang d’accessoire. Dans ce contexte, la mode apparaît comme un potentiel espace critique pour les bijoutiers qui travaillent sur les questions de portabilité et sur les nouvelles corporéités : en développant des parures statuaires, contraignantes, incorporées, en marge du bijou conventionnel. Ce faisant, les artistes du bijou apportent aux créateurs qui cherchent à construire la mode en tant qu’art total des bijoux spectaculaires qui participent à la construction du défilé comme un « spectaculaire décor à corps ».
Le défilé : un « spectaculaire décor à corps43 » pour des bijoux sculpturaux
23Constitué d’une estrade face à un public, le catwalk est, par définition, un espace de monstration conçu pour mettre en valeur la personne qui y monte ; durant le show, tous les regards convergent vers le mannequin : un corps qui est là dans le but principal de performer la tenue. En cela, le défilé de mode offre aux artistes du bijou contemporain une occasion unique de montrer physiquement leurs œuvres portées et en mouvement – ce que ne permet pas la photographie – dans un contexte où l’attention du public est canalisée.
24Dans les années 1980-1990, les créateurs de mode sont en demande de parures aux formes et dimensions spectaculaires pour accompagner leurs pièces de défilé ; conjointement, les artistes du bijou contemporain sont à la recherche d’espaces de monstration qui leur permettent d’explorer de nouvelles modalités pour leur médium. Le catwalk constitue alors un lieu où bijoux et vêtements se rejoignent et partagent un statut commun qui se rapproche de l’œuvre d’art. D’une part, la pièce de défilé est généralement unique, caractéristique essentielle de l’œuvre d’art ; d’autre part, la dimension représentative du défilé en fait une forme d’exposition en ce qu’il dispose une collection à la vue du public. La spectacularisation de la mode durant ces années favorise la dimension scénique du défilé qui « change de sens, devenant parade, spectacle ou happening artistique44 », note Lydia Kamitsis. La quête du défilé art-total enjoint les créateurs de mode à rechercher l’exceptionnel dans tous les aspects de la parade, ainsi « les couturiers et les créateurs réclament des bijoux d’allure magique, qui se voient de loin, sur les podiums ou dans la pénombre des soirées du Privilège ou des Bains-douches 45 ». Le travail de recherche mené autour de la parure et son rapport au corps par les artistes du bijou contemporain constitue une opportunité pour les créateurs de mode d’enrichir leurs tenues de défilé à une époque où le bijou « [devient] un élément indispensable d’une mode au service de l’image46 ».
25Parmi ces échanges artistiques, il en est de particulièrement féconds qui vont jusqu’à infléchir certaines lignes de création d’un couturier. Ainsi la collaboration entre Pascale Frey47 et Mugler a permis la réalisation non seulement d’un bijou mais aussi d’une tenue entière du fait de la contiguïté entre les univers de l’artiste et du styliste. Quand Pascale Frey contacte le studio de Mugler au début des années 1990, c’est parce qu’elle trouve dans le style du couturier des échos à l’esthétique de ses parures. Elle lui présente des bagues articulées qui recouvrent un ou plusieurs doigts et une partie de la main, et s’apparentent à des gantelets d’armures [FIG. 3] ; ses bijoux séduisent Mugler, lequel vient de créer – avec l’artiste et designer industriel Jean-Jacques Urcun – ses premiers bustiers inspirés de voitures futuristes pour sa collection prêt-à-porter de l’automne-hiver 1989-1990, « Hiver Buick ». Les bijoux gantelets de Pascale Frey se prêtent à la perfection aux « créatures carrossées et cyborgs gynomorphes de Mugler [qui] préfigurent les révolutions du transhumanisme48 ». Cette rencontre débouche sur une collaboration qui s’inscrit dans les débuts de l’univers robotique de Mugler, à la suite de laquelle le couturier commande au chaudronnier aéronautique Jean-Pierre Delcros des bras métalliques et articulés, un bikini chromé, des bustiers et corsets qui accompagnent les bijoux-gants de Pascale Frey et demeurent parmi ses pièces les plus emblématiques. Le look est alors élaboré avec le bijou comme un tout, dans un contexte où le développement de la place de l’image dans l’univers de la mode produit une attention accrue « pour l’environnement, mais également pour le maquillage, la coiffure, la gestuelle qui composent, au final, un ensemble cohérent avec le vêtement représenté – lequel n’occupe plus forcément le tout premier plan49 ».
Fig. 3. Pascale Frey, Carapace, 1993, collaboration avec Thierry Mugler, bijou de main, métal articulé.

Photographie parue dans la revue Femme, avril-mai 1993.
26En outre, l’allure particulière du corps sur le catwalk, à la fois « immobile et en mouvement50 », favorise le déploiement de parures de grande taille, portées à des emplacements inhabituels sur le corps, quitte à infléchir le schème postural du mannequin. C’est le cas d’Object Ball in the Small of My Back réalisé par l’artiste Naomi Filmer51 en 2001 pour le défilé d’Alexander McQueen « El baile del toro retorcido », collection printemps-été 2002. L’œuvre est constituée d’une sphère en verre soufflé mesurant 28 centimètres de diamètre dont l’intérieur, moulé en argent par un procédé de galvanoplastie, permet d’y introduire les dix doigts de la personne qui le porte en lui liant les mains dans le bas du dos, comme on peut le voir sur la photographie prise par Chris Springhall [FIG. 4]. Ce bijou volumineux contraint le mannequin à cambrer son buste vers l’avant, redressant ses épaules, omoplates saillant dans le dos, ses coudes rejetés en arrière par la position de ses mains maintenues sur sa croupe, dans une attitude de danseuse qui fait écho au thème du défilé « la danse du taureau tordu »52. Le show – ou sa captation vidéo – montre l’impact du bijou sur la posture et la démarche du mannequin, tandis que la photographie, en ce qu’elle est une image fixe, ne donne accès qu’à une facette de cette esthétique du corps contraint. Par l’intermédiaire du podium, lequel permet des jeux d’échelle et l’emploi de matériaux fragiles ou massifs qui confèrent au bijou « un aspect de “sculpture” portable53 », la mode offre aux artistes un espace de création et de monstration pour leurs bijoux statuaires54.
Fig. 4. Naomi Filmer, Object Ball in the Small of My Back, 2001, verre, cuivre plaqué d’argent, pour le défilé d’Alexander McQueen « El baile del toro retorcido », printemps-été 2002.

Photographie © Chris Springhall.
27Pour des artistes dont le médium s’articule autour du corps en questionnant l’effet du bijou sur l’apparence et la gestuelle jusqu’à ses limites – lorsque le bijou dicte le geste –, le podium apparaît comme un espace d’expérimentation hors des problématiques de portabilité quotidienne car « ces parures ne sont faites que pour le show […] et participent au spectacle au même titre que la coiffure, le maquillage, la musique et la scénographie55 ». La mode devient alors un espace de création à part entière pour les artistes du bijou contemporain, leur permettant de réaliser des parures qui se déploient sur le corps des mannequins sous les yeux des spectateurs, en recourant à la dimension performative inhérente au fashion show. Dans un cas comme celui d’Object Ball in the Small of My Back, où le bijou transforme l’apparence du mannequin qui le porte, « le corps n’est plus un simple décor, mais un acteur », comme le notait Morgan Jan à propos du jeu chorégraphique et théâtral au sein du défilé56. La parure constitue alors un des éléments qui créent le show.
28De surcroît, ces artistes trouvent dans la mode un débouché économique tout en bénéficiant du prestige du couturier et d’une visibilité qui va au-delà du défilé. Ainsi, les pièces conçues par Pascale Frey et par Jean-Pierre Delcros pour la collection printemps-été 1991 « Superstar Diana Ross » de Mugler apparaissent non seulement sur le podium mais également dans le clip de la chanson de George Michael Too Funky réalisé en 1992 par le couturier. Cet échange entre la scène musicale et celle de la mode n’est pas un cas isolé : on peut citer l’exemple d’autres bijoux que Pascale Frey réalise en collaboration avec Mugler en 1996, portés par Céline Dion, avec le body en métal orné de motifs en cristaux de Jean-Pierre Delcros, pour le shooting qui entoure la sortie de son album Courage en 2019. Créés pour la collection « Anniversaire des 20 ans » du défilé automne-hiver 1995-1996, ce body et ces gants [FIG. 5] sont imaginés comme un tout : les cristaux qui parsèment les hanches et les seins du corset se retrouvent sur l’épaule de la manche métallique articulée et jusqu’au bout des ongles du bijou-gantelet. Si la réalisation des différentes parties du costume passe par plusieurs mains, cela est dû aux techniques employées pour leur réalisation, imposées par des nécessités d’échelle57.
Fig.5. Patrice Stable, Nadja Auermann pour Thierry Mugler, collection « Anniversaire des 20 ans », automne-hiver 1995-1996, body en métal orné de cristaux, collaboration avec Jean-Pierre Delcros ; bijou de main articulé en métal orné de cristaux, collaboration avec Pascale Frey.

Photographie © Patrice Stable.
29Néanmoins, les retombées de ces collaborations avec la mode pour les artistes-bijoutiers sont à nuancer. En dépit de la visibilité exacerbée de leurs œuvres sur le podium, dans les clips musicaux et les photographies de mode, le crédit qu’en retirent les artistes du bijou contemporain est faible. Force est de constater que la place prédominante du couturier tend à oblitérer ses collaborateurs : la femme-robot et les bustiers métalliques restent associés au nom de Mugler, tandis que ceux de Jean-Pierre Delcros, Jean-Jacques Urcun ou Pascale Frey sont rarement cités, quand ils ne sont pas entièrement effacés58. Dans les années 1980 se cristallise le phénomène du couturier superstar 59 – à travers des figures telles que celles de Jean-Paul Gaultier, Karl Lagerfeld ou Mugler parmi d’autres – dont la signature est érigée en marque, ayant pour conséquence d’associer la valeur et le prestige à ce nom seul, « aussi la paternité [des bijoux] en sera-t-elle attribuée au couturier inspirateur plus encore qu’à l’artiste qui les a conçus60 ».
30En revanche, la mode peut constituer un débouché économique important pour les artistes du bijou contemporain. C’est le cas pour Patricia Lemaire qui vécut essentiellement des commandes que lui passent les couturiers de la seconde moitié des années 1990 jusqu’aux débuts des années 2000. Tout en poursuivant à la même période son travail artistique par sa participation à des expositions dans des musées et des galeries, c’est de ses collaborations avec la mode qu’elle tire la majorité de ses revenus qui proviennent à la fois des œuvres prêtées pour les défilés, des bijoux créés spécifiquement pour une collection et des commandes qui en résultent.
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31La présence physique du corps mis en scène et l’aspiration à une forme d’art total qui caractérisent le défilé de mode dans les deux dernières décennies du xxe siècle font du catwalk un espace de monstration spécifique en marge des territoires de l’art contemporain. Les artistes du bijou disposent alors des potentialités de mise en présence de la parure et du corps dans une dimension spectaculaire. En cela la mode leur permet de construire un discours critique autour de leur médium en le détachant, d’une part d’une approche conventionnelle du bijou comme art, et d’autre part de la joaillerie, de la bijouterie fantaisie et du bijou d’artiste. Si l’on peut délimiter précisément ce phénomène à la fin du xxe siècle, on constate néanmoins qu’il a durablement joué en faveur d’une porosité entre les domaines de la mode et de la création contemporaine chez les artistes du bijou jusqu’à nos jours.
Bibliographie
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Skinner, Damian (dir.), Contemporary Jewellery in Perspective, Asheville, Lark Books and Art Jewellery Forum, 2013.
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Notes de bas de page
1La scène d’ouverture du film Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?, réalisé en 1966 par William Klein – par ailleurs photographe de mode reconnu – est un défilé fictif et parodique mettant en scène des mannequins aux corps immobilisés par des robes métalliques rigides et coupantes.
2Florence Müller (dir.), Les paruriers. Bijoux de la haute couture, Bruxelles, Fonds Mercator, 2006, p. 74. Initié à la bijouterie par le truchement de sa mère Olga Rabaneda, Paco Rabanne réalise au milieu des années 1960 des bijoux et accessoirise les tenues de créatrices telles que Michèle Rosier, Christiane Bailly ou Emmanuelle Khanh.
3C’est à l’occasion du défilé des « 12 robes importables en matériaux contemporains », le 1er février 1966 à l’hôtel George V à Paris, que Gabrielle Chanel surnomma Rabanne « le métallurgiste ». Sur Rabanne, voir Lydia Kamitsis, Paco Rabanne. Les sens de la recherche, Paris, Michel Lafon, 1996.
4Patricia Lemaire, artiste du bijou contemporain française, a été formée à l’atelier Bijou de la Haute École des arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg dans la première moitié des années 1990. Elle collabore avec Rabanne entre 1996 et 2000.
5Le parurier est la personne qui fabrique une partie des accessoires de mode qui s’ajoutent au vêtement. La chambre syndicale des paruriers, héritière de la corporation des joailliers-faustiers fondée en 1767, compte plusieurs corps de métiers dont les brodeurs, plumassiers, boutonniers, plisseurs, bottiers et bijoutiers.
6Le terme « catwalk » désigne en anglais le podium de défilé de mode, également appelé « fashion show walkway » ou « runway ».
7J’emprunte l’expression « nouvelle corporéité » (« new physicalness ») à l’historienne de l’art hollandaise spécialiste du bijou contemporain Liesbeth den Besten, qui a pointé dans son ouvrage On Jewellery: A Compendium of International Contemporary Art Jewellery (Stuttgart, Arnoldsche, 2011) l’existence d’un « tournant corporel » du bijou contemporain sans pour autant l’approfondir.
8Entretien téléphonique avec Patricia Lemaire, 18 décembre 2023.
9Morgan Jan, « Le défilé de mode : spectaculaire décor à corps », Sociétés & Représentations, 31, avril 2011, p. 132.
10L’accessoire de mode inclut, dans un large panel, les différents éléments adjoints au vêtement tels que les boutons, boucles et autres objets directement greffés sur les pièces textiles, ou les bijoux, ceintures, sacs, chaussures, lunettes, chapeaux, foulards, etc. qui viennent compléter une tenue. En outre, la mode mobilise une multitude de composantes qui surviennent à des moments précis de sa représentation – lors des shootings ou des défilés – telles que le maquillage et la coiffure qui complètent l’apparence des mannequins, ainsi que la scénographie, la musique et la création lumière qui participent de sa mise en scène. Cette attention portée à chaque élément de son spectacle apparente la mode à une forme d’art total.
11Entretien téléphonique avec Emmanuel Aubry, 8 mars 2024.
12Sur les paruriers et bijoux de mode dans les années 1980 et 1990, voir Deanna Farnetti Cera, Parer la mode. Bijoux de 1750 à 1990, Milan, Cinq continents, 2019 ; Müller (dir.), Les paruriers, op. cit.
13Entretien téléphonique avec Patricia Lemaire, 18 décembre 2023.
14Formé à l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence puis à l’école Duperré (Paris), Gilles Jonneman est bijoutier, artiste et sculpteur. Il a travaillé tout au long de sa carrière avec des créateurs de mode et maisons de haute couture parmi lesquels Pascal Morabito (1967-1976), Courrèges (1966-1971), Per Spook (1982-1988) et Issey Miyake (1991). Depuis 2006, il codirige la ligne « petit h » pour Hermès.
15Entretien téléphonique avec Gilles Jonneman, 7 mars 2024. Voir également Brigitte Gilardet, « Les métiers d’art en exposition : un entretien avec Gilles Jonemann », Histoire musées expositions, 6 juillet 2021 (https://musearti.hypotheses.org/24733, consulté le 20 février 2023).
16Voir plus loin dans le texte et la note 47.
17Erik Halley crée son atelier de bijoutier-parurier en 1994 et commence à travailler pour l’industrie de la mode. Il réalise des bijoux, parures et coiffes qui se distinguent par la variété des matériaux employés, leurs dimensions imposantes et l’emplacement sur le corps des mannequins. Il collabore tout au long de sa carrière avec Swarovski et réalise des pièces de défilé pour Christian Lacroix, Alexander McQueen, Rabanne, Givenchy, Chanel, Thierry Mugler ou Yohji Yamamoto, entre autres, et pour des célébrités du monde de la musique telles que David Bowie, Beyoncé ou Madonna. Il a été récompensé par l’ANDAM Fashion Awards – le prix de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode – en 1997 et 2001.
18Benjamin Lignel, « Le bijou contemporain en France. Inventaire des sous-effectifs », dans Frédéric Bodet (dir.), Dans la ligne de mire. Scènes du bijou contemporain en France, cat. expo., Paris, Les Arts décoratifs, 2013, p. 19.
19On peut relever – comme le fait Noel Guyomarc’h cité par Céline Robin dans son article « Bijou contemporain, la consternante exception française », Revue Ateliers d’art, 166, 2023, p. 28-45 – la confusion que porte en elle l’expression « bijou d’artiste » qui « laisse entendre que le créateur de bijou contemporain n’est pas un artiste ». Sur le bijou d’artiste, voir le catalogue de l’exposition qui fut consacrée à la collection Diane Venet au musée des Arts décoratifs de Paris : Diane Venet (dir.), Bijoux d’artistes, de Calder à Koons. La collection idéale de Diane Venet, cat. expo., Paris, Flammarion, 2018.
20Lignel, « Le bijou contemporain en France », art. cité, p. 19.
21Chaudronnier-tôlier de formation, Jean-Pierre Delcros travaille en premier lieu pour l’aéronautique, en parallèle de quoi il réalise des bijoux en métal qu’il a l’opportunité de présenter à Mugler. Dix années de collaboration s’ensuivent, durant lesquelles Jean-Pierre Delcros réalise entre autres les bustiers, bikinis, casques et gants de métal pour la collection printemps-été « Superstar Diana Ross » en 1991 ainsi que le body de la collection « Anniversaire des 20 ans » du défilé automne-hiver 1995-1996. Ses compétences techniques en chaudronnerie et dinanderie (mise en forme du métal à partir d’une plaque ou feuille) intéressent également Rabanne, pour qui il réalise des parures métalliques, notamment pour la collection automne-hiver 1995.
22Des études chronologiques ont été menées sur l’évolution du bijou de mode. Voir plus précisément Farnetti Cera, Parer la mode, op. cit. ; Müller (dir.), Les paruriers, op. cit.
23Müller (dir.), Les paruriers, op. cit., p. 43.
24Elizabeth Fischer, « Bijou et mode, chassé-croisé entre éternel et éphémère », Revue historique vaudoise, 123, 2015, p. 122.
25Dans la perspective où l’on considère par le prisme du bijou la combinaison intégrale en métal et plexiglas de la « femme-robot » réalisée en partie par Jean-Jacques Urcun et Pascale Frey pour la collection « Anniversaire des 20 ans » (1995-1996) de Mugler.
26Müller (dir.), Les paruriers, op. cit., p. 47.
27Ibid., p. 49.
28Émilie Hammen, « La mode, la nouveauté et les avant-gardes », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, 161, décembre 2022, p. 14.
29Deborah Norton, « Caroline Broadhead: Jewellery and Beyond », Metalsmith, 14/1, hiver 1991, p. 42, citée par Janice West, Made to Wear: Creativity in Contemporary Jewellery, Londres, Lund Humphries, 1998, p. 66 : « the prevaling attitude that the art world couldn’t take jewellery seriously because of its associations with fashion ».
30Interview de Caroline Broadhead dans West, Made to Wear, op. cit., p. 63 : « This has led me more recently to explore the interface between jewellery and clothing. »
31Besten, On Jewellery, op. cit., p. 57 : « Jewellery artists were struggling with the freedom that caused them to cross boundaries but left them and the public alone in confusion. »
32Interview de Scilla Speet dans West, Made to Wear, op. cit., p. 109 : « Les années 1980 et le début des années 1990 ont été marquées par une grande confusion et une grande créativité dans le domaine de la bijouterie. » (« In the 1980s and early 1990s there was a great deal of confusion as well as creativity in jewellery making. »)
33West, Made to Wear, op. cit., p. 58-79 : « Beyond Jewellery ».
34Les bijoux connaissent une variété de formes, matériaux ou significations ; leurs différentes propriétés ou fonctions – sociales, religieuses ou rituelles, économiques, ornementales, sentimentales, magiques et symboliques – constituent autant de points de départ aux réflexions menées par les artistes relativement à leur médium.
35Clare Philips, Jewelry from Antiquity to Present, Londres, Thames & Hudson, 1996, p. 195 : « The boundaries where jewellery approaches sculpture, clothing or even performance were explored, and it become a medium for artistic experiment rather than simple adornment. »
36Interview de Barbara Cartlidge dans West, Made to Wear, op. cit., p. 61 : « It is about as far removed from jewellery as you can get… it is a statement from an artist but it does not actually do anything for jewellery or people’s understanding of jewellery because it is out of proportion, non-functional. »
37West, Made to Wear, op. cit., p. 61 : « The dialectic between the uniqueness of artistic production and the reproductibility of design ».
38Sur l’évolution des pratiques de la parurerie en France au long du xxe siècle, voir l’analyse chronologique de Müller (dir.), Les paruriers, op. cit.
39Entretien téléphonique avec Gilles Jonneman, 7 mars 2024.
40Spécialiste de la mise en forme du plexiglas, Jean-Jacques Urcun collabore à de nombreuses reprises avec Mugler pour la réalisation de pièces de défilé. Outre les bustiers « pare-chocs » d’« Hiver Buick » en 1989-1990, il réalise notamment la combinaison intégrale en métal et plexiglas de la fameuse « femme-robot » – Maschinenmensch tout droit sortie du Metropolis (1926) de Thea von Harbou et de son adaptation cinématographique par Fritz Lang en 1927 – pour la collection « Anniversaire des 20 ans » du défilé automne-hiver 1995-1996. Pour ce costume, Pascale Frey crée des bijoux recouvrant l’entièreté des mains, prothèses robotiques où se dessinent, ciselés dans le métal, les détails des doigts et des ongles manucurés. Cette créature cybernétique aux formes moulées, affublée de talons et dont la transparence du plexiglas laisse apparaître les seins du mannequin qui l’incarne, donne vie à une femme du futur à la suite de la Barbarella (1968) de Roger Vadim dont les costumes ont été en partie créés par nul autre que Rabanne.
41Costumier et corsetier, Mister Pearl travaille essentiellement en collaboration avec des créateurs de mode tels que John Galliano, Christian Lacroix, McQueen, Mugler ou encore Vivienne Westwood depuis la fin des années 1980. Il réalise également des corsets pour les apparitions scéniques de célébrités telles que Kylie Minogue ou Dita Von Teese.
42Besten, On Jewellery, op. cit., p. 46 : « In doing this, Bakker and Van Leersum entered into confrontation with the common conventional jewellery and art world. »
43Jan, « Le défilé de mode : spectaculaire décor à corps », art. cité, p. 132.
44Lydia Kamitsis, « Une histoire impressionniste du défilé depuis les années 1960 », dans Catherine Join-Diéterle et Anne Zazzo, Showtime. Le défilé de mode, cat. expo., Paris, Paris-Musées, 2006, p. 128.
45Müller (dir.), Les paruriers, op. cit., p. 44-45.
46Ibid.
47Pascale Frey est artiste du bijou contemporain, formée à l’atelier Bijou de la HEAR, elle collabore avec Mugler entre 1991 et 1996. Ses pièces défilent avec les tenues chromées réalisées par Jean-Pierre Delcros pour les collections printemps-été « Superstar Diana Ross » en 1991 et automne-hiver « Anniversaire des 20 ans » en 1995-1996, et apparaissent dans le clip de George Michael Too Funky réalisé en 1992 par Mugler.
48Thierry-Maxime Loriot (dir.), Thierry Mugler. Couturissime, cat. expo., Paris, Musée des arts décoratifs, 2021, p. 73.
49Catherine Örmen, « Sacrée mode ! », Transversalités, 108, 2008, p. 155.
50Jan, « Le défilé de mode », art. cité, p. 132.
51Formée au Royal College of Art (Londres) en bijouterie et orfèvrerie, Naomi Filmer commence à travailler pour la mode au milieu des années 1990 : elle réalise des bijoux de défilé pour Hussein Chalayan entre 1994 et 1996, puis pour Shelley Fox, Dai Rees et McQueen au tout début des années 2000.
52Traduction de « El baile del toro retorcido ».
53Müller (dir.), Les paruriers, op. cit., p. 46.
54Zoé Kiner-Wolff, Le bijou statuaire de 1967 à nos jours. L’émergence d’une forme de contrainte corporelle dans le champ de l’art, en Europe et aux États-Unis, mémoire de master 1, sous la direction de Pascal Rousseau, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2018.
55Fischer, « Bijou et mode », art. cité, p. 122.
56Jan, « Le défilé de mode », art. cité, p. 132.
57Les techniques et l’outillage employés par Pascal Frey et par Jean-Pierre Delcros ne sont pas les mêmes en dépit des similitudes liées à la nature du matériau qu’est le métal.
58C’est le cas dans l’exposition « Thierry Mugler. Couturissime », présenté au musée des Arts décoratifs de Paris en 2021-2022 : dans une vitrine, des bagues et bijoux de mains articulées de Pascale Frey sont exposées sans cartel et sans aucune mention du nom de l’artiste.
59Cette construction de la figure du couturier comme génie et artiste débute bien en amont des années 1980 : dès le xixe siècle, en témoignent les études consacrées à Charles Frederick Worth qui « s’est imposé comme une véritable personnification de l’idée même de création de mode » dans les années 1870. Émilie Hammen, L’idée de mode. Une nouvelle histoire, tome 1, Montreuil, B42, 2023, p. 210.
60Farnetti Cera, Parer la mode, op. cit., p. 18.
Auteur
Zoé Kiner-Wolff prépare une thèse à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur le bijou comme pratique d’art contemporain et ses nouvelles corporéités des années 1970 à nos jours. Ses recherches portent sur des artistes qui ont fait du bijou leur médium principal et qui mènent une démarche réflexive sur son rapport au corps et à la portabilité. Cette approche opère un glissement de l’expérience du bijou porté vers des cadres spectaculaires tels que l’exposition, la performance, l’image photographique ou vidéo, la scène musicale ou le podium de défilé. Iel est également artiste, formé·e à l’atelier Bijou de la Haute École des arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg et résident·e au Bastion XIV – ateliers d’artistes de la ville de Strasbourg – où iel poursuit sa pratique artistique.

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