Les conseillers municipaux de Paris sous la Troisième République (1871-1914)
|Courants politiques
Texte intégral
1Ayant pour objet un groupe d’élus, notre étude doit tenir compte de facteurs d’ordre politique.
2Pour une époque où le parti politique au sens actuel du terme n’existait pas, le courant politique d’un élu peut être connu à travers quatre éléments : l’« étiquette » lors de l’élection, l’appartenance à un groupe au sein de l’assemblée, les activités partisanes, les attitudes lors des votes sur les sujets constituant les clivages politiques majeurs. Dans le cadre du présent travail, nous avons utilisé les trois premiers critères. Le quatrième, critère probablement le plus objectif, n’a pas pu être incorporé.
- 1 Voir « Sources et bibliographie ».
- 2 Le Radical était en quelque sorte l’organe officieux du groupe de l’autonomie communale.
3En dehors de dictionnaires et d’autres documents biographiques, nous avons consulté une dizaine de grands quotidiens nationaux, de tendances différentes1. Pour les cas ambigus, nous nous sommes appuyé sur les informations de certains journaux : par exemple, a été considéré comme autonomiste un élu soutenu par le Radical2 dans les années 1880.
- 3 Agulhon Maurice, Girard Louis, Robert Jean-Louis, Serman William et al., Les maires en France du C (...)
4Ensuite, les 452 conseillers municipaux composant notre corpus ont été répartis en six groupes, chacun de ces derniers représentant une tendance politique : extrême gauche, gauche, centre gauche, centre droit, droite et extrême droite. Cette classification en six courants a été utilisée notamment dans l’enquête collective sur les maires en France menée par le Centre de recherches sur l’histoire du xixe siècle de la Sorbonne3.
- 4 Rémond René, « Droite-Gauche. Division réelle ou construction de l’esprit? ». Bulletin de la Socié (...)
5Nos conseillers ont été classés selon les courants politiques auxquels ils appartenaient lors de leur entrée au Conseil municipal. Cette méthode a l’inconvénient de ne pas pouvoir tenir compte de l’évolution ultérieure de leurs opinions politiques. Mais, pour une étude quantitative et statistique comme la nôtre, il est difficile de prendre en considération chaque changement d’orientation politique des éléments. D’autre part, étudiant une période relativement longue – 43 ans –, nous sommes obligé de grouper dans la même catégorie des individus ayant des opinions politiques fort différentes : ont été classés à l’extrême droite les nationalistes et les légitimistes, et au centre gauche les républicains modérés des années 1870 et les radicaux des années 1900. Une telle façon de classer peut paraître arbitraire. Mais, comme on le sait, l’opposition droite-gauche est toujours relative : les clivages changent d’une époque à l’autre, et une valeur qu’un parti incarne à un moment peut être défendue par son adversaire à un autre moment. Dans la vie politique de ce pays, les notions de droite-gauche sont couramment employées, et l’opinion leur prête et leur confère une signification. Comme l’écrivait René Rémond, les notions de droite et de gauche sont une sorte de construction de l’esprit, mais elles ne sont pas pour autant arbitraires ni tout à fait artificielles4. En effet, l’histoire montre que les acteurs politiques de différentes époques donnaient sens à l’opposition droite-gauche, et se réclamaient souvent d’une filiation historique. Nous nous permettons de citer les phrases suivantes de l’équipe qui a dirigé l’enquête sur les maires.
- 5 Agulhon Maurice et al, op. cit., p. 50.
« L’affrontement entre socialisme et libéralisme économique est peut-être, de nos jours, et encore au prix de quelque approximation, la forme principale du conflit Droite- Gauche, elle n’en constitue pas l’essence, ni la permanence. Avant d’être la lutte de Léon Blum contre André Tardieu, le combat de Gauche a été la lutte de Gambetta contre Mac-Manon, et plus tôt encore, celle de La Fayette contre Charles X. Or, si Blum était bien socialiste, Gambetta était hostile au socialisme, et La Fayette ne savait même pas que cet idéal pût exister. Il y a bien pourtant entre eux une part d’inspiration commune, assez sensible pour que l’histoire ait eu à enregistrer des uns aux autres une chaîne de filiations, ou, si l’on veut, un passage de relais »5.
6Nous avons classé les élus en six catégories, et nos pas en deux (droite-gauche). Si la classification littérale selon les étiquettes politiques – très nombreuses – avait rendu impossible toute comparaison significative, la simple dichotomie droite-gauche n’aurait pas exprimé les nuances qui existent à l’intérieur de chaque camp. Ces nuances sont d’autant plus importantes qu’au xixe siècle les partis politiques, fort nombreux et peu structurés, se coalisaient et se séparaient sans cesse.
- 6 Ibid., pp. 134-135.
7Notre classification en six catégories s’est inspirée de celle utilisée dans l’enquête collective sur les maires6, à laquelle nous avons apporté des modifications pour qu’elle soit conforme à la situation de la capitale.
TABLEAU 2. Classification du tableau 1

N.B. : (a) radicaux proches des socialistes, adhérents du groupe autonomiste-socialiste.
- 7 Mais, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre III, il n’est pas toujours aisé de savoir si un c (...)
8L’extrême gauche se compose exclusivement de socialistes. Après 1900, les blanquistes et les socialistes « unifiés » se classent à l’extrême gauche, alors que les broussistes ainsi que les socialistes indépendants après 1905 se situent à la gauche. Le critère est la participation au bureau du Conseil municipal : ceux qui sont classés à la gauche formaient une coalition avec les radicaux pour constituer le bureau, alors que ceux de l’extrême gauche restaient à l’écart7.
9Les républicains radicaux sont classés à la gauche de 1871 à 1887. En 1887, deux tendances ont apparu au sein des radicaux : ceux qui étaient proches du socialisme, et ceux qui y étaient hostiles. Nous avons classé les premiers à la gauche, et les seconds au centre gauche. Le fait que les radicaux soient classés au centre gauche à partir de 1887 pourrait surprendre les spécialistes de la vie politique nationale. Mais, répétons-le, cette classification a été élaborée en sorte que la situation des forces politiques de Paris soit le mieux exprimée.
10Les républicains modérés se situent au centre gauche avant 1887, et au centre droit après cette date.
11Pour les conservateurs d’avant 1900, nous avons classé les monarchistes et les bonapartistes à l’extrême droite, et les autres conservateurs à la droite. Mais ce classement peut être discutable dans la mesure où ces conseillers ne formaient pas deux groupes distincts au Conseil municipal. Il en va de même pour les conseillers élus après 1900 : la frontière entre nationalistes et autres conservateurs ou républicains progressistes n’est pas toujours claire. Le courant de la droite et celui de l’extrême droite auraient pu être regroupés. Mais nous avons maintenu la distinction afin de connaître les caractéristiques des conseillers dits nationalistes.
12Les courants politiques ainsi constitués ont forcément une part d’arbitraire. Mais notre classification en six catégories permet de saisir des tendances générales, dont une simple dichotomie ne peut pas rendre compte. Par ailleurs, les coalitions de groupes qui se formaient en vue des élections des membres du bureau du Conseil n’ont dépassé que rarement la frontière entre droite et gauche (le clivage qui passe entre centre gauche et centre droit), sauf pendant les premières années de la Troisième République. Autrement dit, c’étaient soit des groupes classés à gauche (extrême gauche, gauche et centre gauche), soit des groupes classés à droite (centre droit, droite et extrême droite), qui détenaient la majorité de l’assemblée. Cela nous autorise de parler d’opposition droite-gauche.
Notes
1 Voir « Sources et bibliographie ».
2 Le Radical était en quelque sorte l’organe officieux du groupe de l’autonomie communale.
3 Agulhon Maurice, Girard Louis, Robert Jean-Louis, Serman William et al., Les maires en France du Consulat à nos jours, Publications de la Sorbonne, 1986, 462 p.
4 Rémond René, « Droite-Gauche. Division réelle ou construction de l’esprit? ». Bulletin de la Société d’histoire moderne, 1984, n° 2, pp. 7-15.
5 Agulhon Maurice et al, op. cit., p. 50.
6 Ibid., pp. 134-135.
7 Mais, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre III, il n’est pas toujours aisé de savoir si un conseiller participait ou non à un groupe. Pour les socialistes, le classement a été fait suivant l’étiquette politique adoptée lors des élections. Par ailleurs, les socialistes SFIO participaient au bureau en 1907, puis en mars 1909, dernier bureau de gauche, qui a été renversé six mois plus tard.
Table des illustrations
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Titre | TABLEAU 1. Les conseillers municipaux selon les tendances politiques (nombre) |
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Titre | TABLEAU 2. Classification du tableau 1 |
Légende | N.B. : (a) radicaux proches des socialistes, adhérents du groupe autonomiste-socialiste. |
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© Éditions de la Sorbonne, 2002