Les conseillers municipaux de Paris sous la Troisième République (1871-1914)
|Seconde partie. Conseillers municipaux de Paris de 1871 À 1914
Chapitre X. Fortune
Texte intégral
1Dans les analyses faites jusqu’ici, nous avons utilisé les catégories socioprofessionnelles comme principal critère de position sociale du conseiller municipal. Or, il est évident que chaque groupe professionnel est socialement fort hétérogène. Nous devons trouver un autre étalon qui permettrait à la fois de mesurer la diversité de chaque catégorie socioprofessionnelle, et de situer notre corpus par rapport à l’ensemble de la population parisienne. La fortune au décès est sans doute le point de vue le plus adéquat.
A. Procédé de la recherche
- 1 Un des travaux précurseurs en la matière est celui d’Adeline Daumard sur la bourgeoisie parisienne (...)
2La fortune au décès représente les biens, mobiliers ou immobiliers, que l’individu possédait à sa mort. L’âge au décès constitue donc un facteur important : un conseiller mort prématurément peut se présenter comme moins riche qu’un de ses collègues qui a pu exercer sa profession pendant longtemps et en accumuler les richesses. De plus, la fortune au décès d’un conseiller ne représente pas les biens qu’il possédait lorsqu’il était en fonction : parfois, des dizaines d’années séparent la fin de son mandat de la date de son décès, et pendant ce temps il peut s’enrichir considérablement par des moyens auxquels ses fonctions de conseiller municipal sont étrangères. Toutefois, les autres façons d’estimer le patrimoine ne sont guère satisfaisantes. Le revenu n’est connu que pour certains fonctionnaires, qui ont fait l’objet d’un dossier personnel. Le contrat de mariage donne, généralement, un état de fortune de l’élu longtemps avant son entrée à l’Hôtel de ville. Ainsi, l’estimation de la fortune au décès à partir de la déclaration de succession s’avère la méthode la plus pertinente et la moins défectueuse. C’est d’ailleurs pour cela que des historiens l’ont adoptée pour leurs recherches portant sur des groupes sociaux ou des personnels politiques1. Pour notre part, l’utilisation de la même méthode nous permettra de relativiser les résultats de nos analyses en les comparant avec ceux d’autres travaux.
3Toutefois, cette méthode pose plusieurs problèmes intrinsèques, que nous devons essayer de pallier.
4D’abord, la majeure partie de nos conseillers étant mariés, il faut choisir entre la fortune personnelle du défunt et la fortune du ménage. C’est cette dernière que nous avons retenue. Dans une succession, seuls les biens du de cujus sont imposables et, de ce fait, intégralement mentionnés dans la déclaration. Mais ce qui compte sur le plan social, ce sont les possibilités ouvertes au ménage par la fortune cumulée du mari et de la femme, notamment dans une ville comme Paris où la séparation de biens et le régime dotal sont exceptionnels. D’autre part, le montant des biens revenant à la succession d’une personne morte en état de mariage ne peut être comparé avec celui d’un célibataire ou d’un veuf – à moins que la personne ait adopté un régime matrimonial sans communauté.
- 2 D’après les recherches menées par Adeline Daumard au XIXe siècle, environ 2 % des Parisiens se mari (...)
5Or, c’est précisément la fortune du ménage qui est difficile à évaluer. Dans un premier temps, il faut que le couple soit marié sous un régime de communauté, légale ou contractuelle ; les mariages sous le régime dotal sans société d’acquêts ou sous le régime de séparation de biens sont inutilisables pour notre recherche. Ce problème se pose peu, puisque, comme nous venons de l’évoquer, les Parisiens adoptaient généralement un régime avec communauté2.
6Ensuite, il faut évaluer l’ensemble des biens du ménage à partir de la déclaration de succession. En général, cette dernière mentionne avec précision les biens de la communauté et les biens propres du défunt. Les biens propres du conjoint survivant sont énumérés lorsqu’ils font partie de sa reprise en nature, sans que leur montant soit indiqué. Il est toutefois possible d’en estimer le montant, d’après le cours de la Bourse pour les valeurs mobilières, et à partir du prorata du revenu pour les biens immeubles. Nous avons ainsi pu reconstituer une partie des biens appartenant en propre aux épouses de conseillers, mais, il faut le reconnaître, une marge d’erreur subsiste. D’autre part, pour la période antérieure à 1901, certains biens immobiliers appartenant au défunt peuvent nous échapper. Avant la loi du 25 février 1901, les immeubles étaient déclarés dans le bureau d’Enregistrement dans le ressort duquel ils se trouvaient. Là aussi, le prorata du loyer mentionné dans l’actif imposable nous permet d’évaluer approximativement la valeur de ces biens. Ce problème ne se pose pas pour les successions enregistrées après la loi de 1901, qui exige désormais une seule déclaration où figurent tous les biens meubles et immeubles du défunt.
- 3 . Deux ouvrages déjà cités : La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848 : Les fortunes françaises au (...)
7Dans le calcul, il est nécessaire d’éliminer un certain nombre de biens déclarés au moment de la succession. Les dots données aux enfants sont imposables, mais nous n’en avons pas tenu compte, puisqu’elles ne sont plus un élément de la fortune réelle du ménage lors de l’ouverture de la succession. Les « récompenses » et les « reprises » sont des opérations de calcul, et ne correspondent à rien de réel. Nous les avons donc écartées de l’évaluation du patrimoine. Concernant les dettes réelles, elles ne sont déductibles de l’actif – et ne sont donc mentionnées dans la déclaration – qu’après la loi de 1901. Aussi est-il impossible d’apprécier la fortune nette avant cette date. De plus, les dettes ne sont pas affectées à un bien particulier, et leur déduction rend impossible d’étudier les placements (les répartitions des diverses sortes de capitaux par rapport au montant brut de l’avoir total). Nous sommes ainsi amenés à évaluer la fortune brute, moins les dots. C’est d’ailleurs la méthode utilisée par Adeline Daumard, tant dans sa thèse sur la bourgeoisie parisienne sous la Monarchie censitaire que dans l’enquête qu’elle a dirigée sur les fortunes privées et les structures sociales de grandes villes au XIXe siècle3. D’autres historiens ont adopté cette méthode. Elle nous permettra de situer, sur le plan de la fortune, les conseillers municipaux de Paris par rapport à d’autres personnels politiques ou d’autres groupes sociaux de l’époque.
8Toutefois, nous avons choisi d’étudier, non pas l’ensemble des conseillers municipaux, mais une partie d’entre eux : ceux qui sont morts avant 1914, et dont la déclaration de succession principale a été enregistrée à Paris. Ce choix a été fait pour plusieurs raisons.
- 4 Il y a toutefois, parmi les conseillers décédés hors de Paris, une surreprésentation des profession (...)
9D’abord, il n’était pas envisageable d’aller dans les dépôts d’archives de province pour y chercher, et éventuellement consulter, des déclarations de succession. La majeure partie des conseillers municipaux sont décédés à Paris : de nos 452 élus. 93 sont décédés en dehors de la capitale, dont 38 dans l’un des trois départements de la région parisienne (Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne). Les conseillers morts en province ou à l’étranger n’ont rien socialement ni politiquement qui les distingue sensiblement de leurs collègues décédés à Paris4. D’ailleurs, certains des élus morts en province étaient domiciliés à Paris, et leurs successions ont été déclarées dans un bureau parisien. Ainsi, du point de vue géographique, nous pouvons considérer cet échantillon (nous limiter aux conseillers dont la déclaration de succession principale a été enregistrée à Paris) comme relativement représentatif.
- 5 Le fonds a été transféré depuis, et il se trouve aujourd’hui à Aubervilliers.
- 6 Thèse, op. cit., t. 1. p. 87.
10Il n’en va pas de même pour la limitation dans le temps. Notre choix de nous arrêter en 1914 s’explique par des raisons aussi bien méthodologiques que pratiques. L’autorisation qui nous a été donnée par la direction générale des Archives de France nous permet de consulter les archives de l’Enregistrement datant de moins de cent ans et conservées à l’Hôtel des Finances, place Saint-Sulpice à Paris5. Pourtant, la coupure de la Grande Guerre est très importante en matière de droits de succession. D’abord, l’usure monétaire empêche toute comparaison avec la période antérieure à la guerre si l’on s’en tient aux francs courants. Il est donc nécessaire de convertir les sommes soit en francs-or, soit en francs 1914 en utilisant les indices des prix comme critère. Mais, dans tous les cas, ces opérations sont toujours délicates et discutables. D’autre part, la dissimulation fiscale s’est considérablement accrue après la guerre, en raison de l’alourdissement des droits de succession, et de l’extension dans la fortune globale de la part des valeurs mobilières plus faciles à dissimuler. En effet. Jean Estèbe constate que le montant des successions de ministres déclarées après 1914 est quatre fois moins élevé qu’avant la guerre. Même si la démocratisation de l’exécutif y a joué un certain rôle, l’importance de la fraude est flagrante6. Enfin, raison tout à fait pratique, nous arrêter en 1914 nous permet de réduire le nombre des documents à consulter – documents souvent fort copieux et complexes.
- 7 238 conseillers sont décédés avant février 1914, date après laquelle la succession pouvait être déc (...)
- 8 C’est le cas de certaines successions dont le montant est infime.
11Nous avons trouvé 139 déclarations de succession exploitables. Cela représente un peu moins d’un conseiller sur trois, et environ la moitié des élus morts avant 19147. En dehors de ces 139 successions, il en existe un certain nombre qui ne peuvent pas être utilisées pour nos statistiques. C’est notamment le cas des successions des conseillers mariés sous le régime de séparation de biens et le régime dotal ; nous en avons rencontré neuf, dont huit concernent une séparation de biens. D’autres déclarations sont inutilisables : soit il s’agit de la déclaration complémentaire d’une succession enregistrée en province, soit le détail des biens du défunt n’est pas énuméré8. En ce qui concerne l’absence totale de biens à hériter, nous ne pouvons jamais en être sûr : la déclaration pouvait être faite dans un autre bureau que celui dans le ressort duquel le défunt était domicilié, et cette hypothèse est plus probable pour la période antérieure à la loi de 1901, c’est-à-dire avant l’instauration de la déclaration unique. Nous sommes amenés à ne pas tenir compte des cas d’absence de succession dans nos statistiques.
12Les 139 successions retenues sont réparties de façon inégale entre les différents courants politiques et les différentes catégories socioprofessionnelles. Les conseillers du centre sont surreprésentés par rapport à ceux des extrêmes.
- 9 Parmi les 139 conseillers dont la fortune au décès a été évaluée, 82 sont entrés au Conseil municip (...)
13Cette inégalité selon les tendances politiques est due principalement au fait que nous avons éliminé les successions déclarées après 1914. À cause de ce choix de période, les conseillers entrés à l’Hôtel de ville plus tardivement au cours de notre période sont de moins en moins représentés dans cet échantillon9, ce qui sous-représente les socialistes et les nationalistes. Toutefois, notre choix a peu affecté la proportion des différents secteurs professionnels dans l’échantillon.
TABLEAU X-2. Répartition des successions étudiées entre les catégories socio-professionnelles

N.B. : Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages en colonne.
14Aucune succession exploitable n’a été trouvée pour les conseillers employés, et les travailleurs manuels sont légèrement sous-représentés. Mais, grosso modo, chacune des catégories socioprofessionnelles est représentée dans l’échantillon en fonction de son poids numérique dans le corpus. Ainsi, nous pouvons dire que notre échantillon est représentatif du corpus de manière assez satisfaisante.
15Concernant le régime matrimonial des successions étudiées, le plus fréquent est la communauté réduite aux acquêts, qu’avaient choisie environ deux couples sur trois. Par ailleurs, une vingtaine de conseillers sont décédés veufs, et leur fortune au décès doit apparaître, en général, moins importante que celle de leurs collègues morts en état de mariage, car, pour les premiers, le partage de la masse communautaire avait déjà été effectué. Le montant des biens qu’un individu a laissés à ses héritiers ne correspond pas toujours au train de vie qu’il avait mené. Cela est une des difficultés intrinsèques à la méthode adoptée.
État et régime matrimoniaux au décès
-
Communauté légale 28
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Communauté réduite aux acquêts 66
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Régime dotal avec société d’acquêts 3
-
Veufs 21
-
Célibataires 6
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Divorcé 1
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Inconnus 14
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Total 139
B. Richesses des conseillers
16L’état de richesses diffère considérablement d’un conseiller à l’autre. Le montant du patrimoine le plus important s’élève à près de 20 millions de francs, alors que le plus modeste n’atteint même pas le seuil de 500 francs. La somme médiane des fortunes au décès est de 328 474 francs, et la moyenne est de 1 124 313 francs.
17La situation de fortune au décès est extrêmement diverse. D’un côté, nous trouvons une cinquantaine d’élus dont le montant de la fortune finale est inférieur à 100 000 francs. Parmi eux, la moitié ont laissé des biens qui valaient moins de 10 000 francs. A l’opposé, il y a quarante conseillers qui sont morts millionnaires, et certains d’entre eux avaient vécu dans une richesse tout à fait exceptionnelle. C’est cette diversité de la situation de fortune qui explique l’écart immense entre le chiffre médian et la moyenne.
18Certes, cette diversité se retrouve dans chacun des six courants politiques. Mais, avant tout, il y a une très forte inégalité de la situation de fortune entre les courants : les conseillers de droite étaient en général beaucoup plus riches que leurs collègues de gauche. Le principal clivage passe entre centre droit et centre gauche, et la différence entre les deux parties ainsi constituées est flagrante, quel que soit le critère (voir ci-contre le tableau X-4).
19La médiane des patrimoines des élus de droite est autour d’un million : 1,06 million pour les élus du centre droit, 1,11 million pour ceux de la droite, et 0,9 million pour ceux de l’extrême droite. Rares sont ceux dont la fortune finale n’atteint pas le seuil de 250 000 francs. Quelques-uns ont laissé à leurs héritiers un patrimoine d’une valeur colossale : des 44 conseillers de droite, 11 ont laissé des biens dont le montant total dépasse les deux millions de francs. D’ailleurs, parmi les neuf conseillers de l’extrême droite retenus dans l’échantillon, seuls trois sont nationalistes, qui sont entrés au Conseil municipal en mai 1900. Les chiffres de la colonne de l’extrême droite représentent donc essentiellement ceux des conseillers monarchistes ou bonapartistes, élus pour la première fois entre 1871 et 1900. À ce sujet, il est tout à fait regrettable que nous ayons arrêté nos recherches en 1914. La consultation des documents postérieurs à cette date nous aurait permis de prendre en compte davantage de conseillers nationalistes, et de trouver de nombreuses différences sociologiques entre nationalistes et autres conservateurs. Toutefois, notre échantillon laisse entrevoir ces différences. La fortune au décès des trois conseillers nationalistes étudiés est nettement moins importante que celle des autres conseillers de l’extrême droite : le montant des biens laissés par chacun de ces trois nationalistes se situe entre 50 000 et 200 000 francs, tandis que quatre des six autres élus conservateurs de l’extrême droite sont morts millionnaires.
20La fortune des conseillers de gauche est généralement modeste, et plus on s’éloigne du centre vers l’extrême gauche de l’échiquier politique, moins le patrimoine est important (voir le tableau X-4). Ainsi, les conseillers socialistes (appartenant à l’extrême gauche) ont prouvé qu’ils étaient bien étrangers à la véritable richesse : leur fortune médiane n’est que de 1 246 francs. A la gauche aussi, les conseillers menaient un train de vie tout à fait modeste. Plus du tiers des 36 conseillers sont décédés laissant moins de 10 000 francs, et seuls trois possédaient à leur mort plus d’un million de francs. Parmi les 52 élus appartenant au centre gauche, un certain nombre vivaient dans l’aisance (un quart morts millionnaires), mais une bonne partie se situait en bas de la hiérarchie du patrimoine.
21Or, la différence constatée entre les courants politiques résulte, en bonne partie, de la différence selon les catégories socioprofessionnelles. La fortune au décès d’un grand industriel est en général largement supérieure à celle d’un petit fonctionnaire. Les tableaux suivant montrent le patrimoine des conseillers selon leur profession.
TABLEAU X-5A. Montant de la fortune au décès selon les catégories socio-professionnelles (nombre de conseillers)

TABLEAU X-5B. Montant de la fortune au décès selon les catégories socio-professionnelles (médiane et moyenne suivant les courants politiques)

N.B. : les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne.
22Selon les chiffres médians, les catégories socioprofessionnelles les plus riches sont, par ordre, les commerçants-industriels (1 311 000 francs), les hauts fonctionnaires (583 000 francs), les propriétaires (435 000 francs), et les professions libérales (187 000 francs). Mais l’écart est grand entre les commerçants-industriels et les professions libérales, dans le rapport de sept à un. Les moyennes donnent une hiérarchie identique. La fortune des membres des professions libérales, très médiocre à première vue, s’explique, en partie, par le fait qu’une fraction assez importante d’entre eux n’ont laissé qu’un patrimoine modeste : 19 des 66 conseillers appartenant à cette catégorie possédaient moins de 50 000 francs à leur mort, alors que la part de cette couche est infime dans les trois autres catégories. Les cadres et les travailleurs manuels vivaient plus rarement dans l’aisance : la médiane des fortunes au décès des premiers est de 33 000 francs, et celle des seconds n’est que de 1 200 francs. Bref, la situation de fortune dépendait dans une large mesure de la profession exercée, et il y avait une hiérarchie nette de la richesse parmi les diverses catégories socioprofessionnelles.
23D’autre part, les conseillers de gauche étaient souvent moins riches que ceux de droite, même à l’intérieur de la même catégorie socioprofessionnelle. Dans celle des commerçants-industriels, la fortune médiane des élus du centre gauche est trois fois moins importante que celle de leurs collègues du centre droit (513 000 francs contre 1 734 000 francs). Parmi les membres des professions libérales, ceux appartenant au centre gauche étaient nettement plus nantis que ceux de la gauche. Ainsi, les richesses semblent constituer un des facteurs qui différencient certaines des tendances politiques. Toutefois, il faudrait incorporer davantage d’éléments dans l’échantillon pour pouvoir renforcer cette thèse : en l’état actuel des recherches, certains groupes professionnels n’ont qu’un effectif tout à fait infime et ne se prêtent guère à l’analyse statistique.
24Jusqu’ici, nous avons constaté les différences à l’intérieur de notre échantillon. Il est maintenant nécessaire de situer ce dernier par rapport à d’autres groupes qui ont déjà été étudiés. Les conseillers municipaux de Paris étaient-ils plus nantis que d’autres élus, locaux ou nationaux, de l’époque ? De quelles couches de la population parisienne venaient-ils ? Un tableau comparatif a été établi à ce sujet.
TABLEAU X-6. Fortune au décès des conseillers municipaux de Paris comparée à celle d’autres groupes sociaux ou politiques, ainsi qu’à celle de l’ensemble de la population parisienne (pourcentages de chaque tranche)

25Le patrimoine des conseillers municipaux de Paris est à un niveau tout à fait honorable. Comparés aux maires de l’arrondissement de Béthune de la même période, les élus parisiens étaient généralement plus riches. La part des millionnaires était trois fois plus importante parmi les seconds que parmi les premiers, tandis que les petites fortunes étaient nettement plus nombreuses parmi les premiers. La supériorité économique des élus de la capitale sur les maires de Béthune tient en partie à la composition socioprofessionnelle des deux personnels politiques locaux. Près de la moitié des maires de Béthune dont la fortune au décès a été étudiée sont des cultivateurs (43 sur 93), et leurs patrimoines étaient fort discrets : 50 429 francs en moyenne. Mais dans quelques secteurs professionnels comparables, les conseillers de Paris présentent presque toujours un niveau de patrimoine supérieur à celui des maires de Nord. L’écart n’est guère significatif en ce qui concerne les professions libérales : parmi les maires de Béthune, ceux qui appartenaient à cette catégorie (8 notaires, un avocat et un médecin) ont laissé en moyenne 437 116 francs ; dans la capitale, les élus de la même catégorie possédaient à leur mort 468 354 francs en moyenne. La différence majeure concerne les professions économiques : la fortune moyenne des maires de Béthune (17 brasseurs, fabricants de sucre ou minotiers, 5 industriels ou négociants, et un directeur des mines) est de 822 320 francs, alors que celle des conseillers de Paris s’élève à 2,6 millions de francs.
26Nos élus n’auraient pas eu de sentiment d’infériorité face aux patrimoines des gouvernants de leur époque. Si nous comparons les conseillers municipaux avec les ministres décédés avant 1914, la part des millionnaires est légèrement plus importante chez les seconds que chez les premiers (29 % contre 32), et c’est le nombre des fortunes modestes qui différencie les deux groupes : un ministre sur sept avait moins de 100 000 francs au décès, contre un conseiller sur trois. La fortune médiane des ministres est de 455 000 francs, et celle des conseillers municipaux de 328 474 francs. Cet écart semble provenir de la proportion des petits patrimoines.
27Dans l’ensemble de la population parisienne, nos conseillers municipaux se trouvaient le plus souvent à des niveaux supérieurs. Des Parisiens décédés au cours de l’année 1911, 19 % possédaient plus de 100 000 francs, et 4 % seulement plus de 1 million ; à l’Hôtel de ville, le taux était respectivement de 66 % et de 29 %. Le montant de la fortune moyenne des conseillers municipaux est six fois plus élevé que celui des Parisiens : plus d’un million de francs contre moins de deux cent mille. Ainsi, c’était dans les couches supérieures de la société parisienne que se recrutaient la majeure partie des conseillers municipaux. La fortune était un facteur important, sinon déterminant, dans la vie politique municipale.
28Quelques comparaisons par catégories socioprofessionnelles confirment cette position sociale des élus. Nous avons choisi les catégories des professions libérales et des commerçants-industriels, dont les effectifs sont assez importants pour que la comparaison soit significative.
TABLEAU X-7. Comparaisons avec les Parisiens morts en 1911, par catégories socio-professionnelles (pourcentage)

N.B. : La catégorie « négociants » utilisée dans l’enquête collective menée par Adeline Daumard recouvre les grands commerçants, les banquiers, les agents de change, ainsi que les industriels, les gérants des sociétés à responsabilité limitée, les administrateurs de société. Elle est donc comparable avec notre catégorie « commerçants-industriels ».
29Dans un secteur comme dans l’autre, le patrimoine des conseillers municipaux est décalé vers le haut (vers le bas dans le tableau) par rapport à celui de la population parisienne. Au Conseil municipal, plus de la moitié des commerçants-industriels (56 %) étaient millionnaires d’après leur fortune au décès, tandis que seul un quart des Parisiens de cette catégorie professionnelle l’étaient (27 %). Parmi les membres des professions libérales aussi, la part des patrimoines dépassant le million est deux fois plus importante à l’assemblée municipale que dans la société parisienne (18 % contre 8 %). Le rapport est inverse pour les fortunes modestes.
C. Placements
30Le montant de l’ensemble des biens laissés par un individu ne fait savoir que partiellement sa situation de fortune et son comportement financier. Le même chiffre peut correspondre à des stratégies de fortune tout à fait différentes. Dès lors, il est nécessaire de connaître le placement et d’établir une typologie de ce point de vue.
- 10 Voir notamment Daumard Adeline (dir.), Les fortunes françaises... op. cit., chapitre V. Dans les ci (...)
31Nous avons d’abord classé les biens de nos conseillers en trois grandes catégories : immeubles, valeurs mobilières (fonds publics, actions, obligations), et autres biens mobiliers. Diverses études portant sur les fortunes privées montrent que, dans la société française du xixe siècle, l’importance des biens immobiliers diminuait, au détriment des biens mobiliers, et surtout des valeurs boursières. Ces dernières attiraient de plus en plus de Français, quels que soient le milieu et le niveau de richesses10. Cette évolution tient à des facteurs multiples dont le poids varie selon les époques, les milieux sociaux et les régions. Mais la principale cause est certainement l’expansion économique à partir du milieu du XIXe siècle et l’essor des sociétés de capitaux qui en a découlé, avec notamment la libéralisation du régime des sociétés anonymes en 1867.
32Or, la composition des patrimoines de nos conseillers est plutôt de type « ancien ». Elle se caractérise par deux faits majeurs : la part des immeubles dans la fortune finale, certes inférieure à celle des biens meubles, reste considérable ; les conseillers s’intéressaient moins aux valeurs boursières que la moyenne de la population parisienne.
TABLEAU X-8B. Composition des patrimoines, en comparaison avec d’autres groupes (en pourcentage)

Sources : Parisiens 1847 : Daumard Adeline (dir), Les fortunes françaises.... op. cit. Pour les autres groupes, voir le tableau X-6.
- 11 . La part des immeubles est de 20.8 % dans les patrimoines des industriels et négociants, 40,3 % da (...)
33La part des immeubles parmi les biens des conseillers s’élève à 45 %. Sur ce point, la différence entre courants politiques est négligeable, sauf pour l’extrême gauche, mais l’effectif peu important de ce courant rend difficile l’interprétation du chiffre. Comparé à l’ensemble de la population de la capitale, ce chiffre de 45 % est plus proche de celui de 1847 que de celui de 1911. Les valeurs mobilières étaient relativement moins répandues chez les élus : elles constituaient environ un tiers des patrimoines des conseillers, et plus de la moitié des biens des Parisiens décédés en 1911. Les autres groupes avec lesquels nos conseillers ont été comparés avaient un comportement financier plus « moderne » : davantage de placements en valeurs boursières, au détriment des fortunes foncières. Que ce soit les ministres, dont une bonne partie étaient provinciaux et devaient, de ce fait, posséder des propriétés terriennes, ou les élites étudiées par Christophe Charle, basées pour la plupart à Paris, ils s’intéressaient peu à l’immobilier, et possédaient plus de la moitié de leur fortune sous forme de titres. Les maires de l’arrondissement de Béthune font figure d’exception, puisque leurs patrimoines se composaient jusqu’à 42 % par des immeubles. Mais cela s’explique, encore une fois, par la proportion élevée des cultivateurs : 43 maires sur 93 appartenaient à cette catégorie socioprofessionnelle, et ces édiles agriculteurs consacraient plus de la moitié de leurs biens à la terre et à l’immeuble (53,8 %). Les autres maires avaient des comportements financiers nettement moins terriens11.
34Toutefois, il est indispensable d’examiner le contenu de ces chiffres. Dans une étude statistique comme celle-ci, l’écart numérique existant entre les éléments peut fausser considérablement la vue globale : dans notre échantillon, le rapport de la fortune la plus modeste à la plus colossale est de un à cinquante mille. En l’occurrence, le problème est de savoir si la part apparemment importante des immeubles provient d’une poignée de conseillers possédant d’importants biens immobiliers, ou si un grand nombre d’élus étaient des propriétaires.
35Il semble que c’est plutôt la seconde hypothèse qui est la bonne : des biens immobiliers existaient dans la fortune au décès de 84 conseillers sur 139, soit 60 % de l’ensemble de l’échantillon. De plus, ce chiffre est minimal, puisque, pour la période antérieure à 1901, certains immeubles situés en province nous auront vraisemblablement échappé.
- 12 Pour les autres catégories socioprofessionnelles, possédaient des biens immobiliers un travailleur (...)
36L’immobilier attirait des conseillers de différents courants politiques et de différents milieux sociaux. Du centre gauche à l’extrême droite, plus des deux tiers de conseillers étaient des propriétaires (65 % au centre gauche, 76 % au centre droit, 90 % à la droite et 78 % à l’extrême droite). Dans les courants de la gauche et de l’extrême gauche, une minorité d’élus possédaient des biens immobiliers (39 % à la gauche, et 14 % à l’extrême gauche), mais cela tiendrait au fait que les élus de ces tendances étaient généralement moins fortunés, et avaient donc moins de possibilité d’acquérir des immeubles que les autres élus. Concernant la différence selon les catégories socioprofessionnelles, possédaient des biens immobiliers une grande partie des commerçants-industriels (34 sur 43), et la moitié des membres des professions libérales (36 sur 66) et des cadres (6 sur 14)12. Ici aussi, la différence proviendrait de celle des situations de fortune : les premiers étaient plus nantis que les seconds et les troisièmes.
37D’autre part, il est nécessaire d’examiner les placements selon le montant du patrimoine, puisque, dans une échantillon comme la nôtre où les écarts de valeurs sont fort grands, les placements des détenteurs de patrimoines modestes risquent de ne pas être représentés dans une analyse globale. Nous avons donc procédé à une analyse par trois tranches de montants totaux : moins de 50 000, entre 50 000 et un million, et plus d’un million.
38La place des biens immobiliers augmente avec l’importance du patrimoine. Dans les fortunes au décès inférieures à 50 000 francs, la part des immeubles est environ le quart du montant total (27 %) ; dans les patrimoines compris entre 50 000 francs et un million de francs, elle est de 38 % ; dans les fortunes finales des millionnaires, elle occupe près de la moitié (46 %). Cette progression avec le montant du patrimoine s’expliquerait par le fait que, dans une grande ville comme Paris, où le prix des maisons et des terrains était fort élevé, l’immobilier n’était guère à portée des milieux populaires. En effet, aucun des conseillers travailleurs manuels de l’échantillon ne possédait de biens immobiliers à Paris.
39Ainsi, nos conseillers municipaux dépensaient de l’argent pour l’acquisition d’immeubles en fonction de leurs possibilités financières. Nous pourrions dire que l’attrait de l’avoir immobilier n’était pas sensiblement différent suivant les niveaux de richesses ou les tendances politiques.
40Or, c’est précisément cette propension commune à l’immobilier qui est particulière aux conseillers municipaux. Dans la composition des biens laissés par les Parisiens décédés en 1911, la proportion des biens immobiliers ne suit pas l’importance de l’ensemble des biens (voir le tableau X-9, ci-dessus). Les Parisiens millionnaires ne consacraient que le quart de leurs fortunes à l’immobilier, et se tournaient tout particulièrement vers les valeurs boursières, qui composaient plus de la moitié de leurs patrimoines.
41Ainsi, il semblerait que, ce qui différencie nos conseillers tant de la population parisienne que d’autres personnels politiques, c’est cette importance des immeubles dans leur comportement financier.
42Afin de vérifier cette hypothèse sous d’autres angles, nous avons établi la composition des fortunes par catégories socioprofessionnelles, en la comparant avec la partie de la population parisienne appartenant à la même catégorie.
TABLEAU X-10. Composition des patrimoines par catégories socio-professionnelles (en pourcentage)

N.B. : Seules les catégories dont l’effectif est supérieur à 10 ont été retenues. Les trois catégories de droite sont celles utilisées dans l’enquête collective sur les fortunes françaises au xixe siècle. Les « cadres moyens » comprennent les experts comptables, sous-ingénieurs des mines, sous-chefs de bureau de compagnies de chemin de fer, etc.
TABLEAU X-11. Composition des patrimoines par catégories socio-professionnelles, et selon l’importance des biens (en pourcentage)

- 13 Le cas des cadres est difficile à interpréter, du fait du faible effectif dans la tranche supérieur (...)
43Comparés à la partie de la population parisienne appartenant à la même catégorie professionnelle, les conseillers municipaux semblent très attachés aux biens immobiliers. Ce sont surtout les élus commerçants-industriels et membres des professions libérales qui accordaient une place importante aux immeubles (respectivement 46 % et 42 % des patrimoines). Les cadres, eux, consacraient moins du tiers de leurs biens à l’immobilier, et plus de la moitié aux valeurs boursières. D’autre part, indépendamment des catégories socioprofessionnelles, les conseillers plus nantis possédaient une part plus grande de leur patrimoine en biens immobiliers (tableau X-11)13.
44Quels avantages les immeubles procuraient-ils alors à leur détenteur ? Pouvaient-ils constituer une assise électorale efficace dans une ville comme Paris ? Le mandat de conseiller municipal en facilitait-il l’acquisition ? ou bien, les élus de Paris restaient-ils insensibles aux attraits de la Bourse ? Pour pouvoir répondre à ces questions, il faudrait connaître les étapes de l’enrichissement, par la confrontation de la fortune au décès avec l’apport au mariage, et avec les biens hérités des parents. La méthode que nous avons adoptée, qui donne des images statiques des patrimoines, ne permet pas de mesurer leurs évolutions. Toutefois, nous pouvons avancer quelques hypothèses à partir des tableaux établis.
45Il nous faut préciser d’abord la provenance des biens immobiliers de nos conseillers : ils se situaient pour une majeure partie dans la capitale, et la part des immeubles provinciaux était petite, quels que soient la catégorie professionnelle et le courant politique. Pour l’ensemble des 139 conseillers faisant partie de l’échantillon, si 84 possédaient des biens immobiliers quelconques, 66 d’entre eux en avaient à Paris. Au niveau de la valeur, si 45 % des fortunes finales des conseillers existaient sous forme d’immeubles, 85 % de ces biens se concentraient à Paris ; les immeubles situés en dehors de la capitale ne constituaient donc que 15 % de leurs fortunes immobilières. L’immeuble provincial attirait notamment les membres des professions libérales (23 % de leurs avoirs immobiliers se trouvaient hors de Paris) et les cadres (24,7 %), mais peu les commerçants-industriels (7,8 %). Ainsi, nos élus municipaux avaient d’importants biens immobiliers dans la capitale, dont ils étaient édiles.
46La possession d’immeubles a évidemment une valeur sociale. Au temps du régime censitaire, elle donne un prestige social incontestable au propriétaire. Mais ce prestige est moindre à l’époque du suffrage universel. En effet, les immeubles parisiens de nos conseillers ne se situaient pas toujours dans leur circonscription électorale. Parmi les 66 élus propriétaires à Paris, 39 avaient une partie de leurs biens immobiliers dans l’arrondissement qu’ils avaient autrefois représenté à l’Hôtel de ville, et les 27 autres avaient tous leurs biens immobiliers ailleurs. Et parmi les 39 conseillers propriétaires dans leur arrondissement, 13 possédaient des immeubles également en dehors de celle-ci. Certes, les déclarations de succession n’expriment que partiellement l’état de fortune des personnes de leur vivant. Mais il semble que, dans leur choix de placement, nos élus n’étaient pas toujours guidés par des motifs d’ordre politique et électoral.
47En général, le placement en immeubles était, au moins au XIXe siècle, sûr et rentable. Si le choix financier de nos conseillers ne s’explique pas pleinement par des facteurs politiques, signifie-t-il qu’ils avaient un comportement plus prudent que leurs contemporains ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faut connaître la composition des biens mobiliers.
TABLEAU X-12. Composition des valeurs mobilières (en pourcentage)

N.B. : Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages par rapport à l’ensemble des valeurs mobilières de chaque groupe. Pour les sources, voir les tableaux X-6 et X-10.
48Plus de la moitié des valeurs mobilières que détenaient nos conseillers se composaient de titres de fonds publics ou d’obligations, titres à revenu fixe. La part des actions est de 45 %. Ce chiffre est largement supérieur à celui des Parisiens décédés en 1911 (34 %). Si la proportion du montant des actions par rapport au montant total du patrimoine est moindre chez les conseillers que chez les Parisiens, cela est dû à la place importante des immeubles dans les fortunes des premiers.
49Pourtant, comparés à la partie de la population parisienne appartenant au même secteur professionnel, nos conseillers consacraient relativement moins d’argent aux actions. Les conseillers commerçants-industriels possédaient 53 % de leurs valeurs mobilières en actions, et les négociants parisiens décédés en 1911 leur accordaient une place presque identique (52 %). Mais dans la catégorie des professions libérales et celle des cadres, nos conseillers avaient moins de biens en actions que les Parisiens : 28 % contre 32 pour les professions libérales, et 18 % contre 35 pour les cadres. Il en va de même si nous comparons les conseillers municipaux de Paris aux ministres. Entre 52 et 55 % des valeurs mobilières des gouvernants étaient consacrées à des actions, contre 45 % de celles des élus parisiens.
50Bref, le comportement financier de nos conseillers n’était pas « moderne » par rapport à celui d’autres groupes sociaux : nos édiles préféraient aux actions les titres à rendement assuré, comme les rentes et les obligations. Ce qui est à mettre en parallèle avec la part importante des immeubles dans leur patrimoine.
51Des 139 conseillers dont nous avons pu reconstituer la fortune au décès, 102 possédaient des titres boursiers, et parmi eux 78 avaient des actions. Étaient actionnaires 31 des 43 élus membres de professions libérales, 34 des 66 commerçants-industriels. 6 des 14 cadres, 2 des 3 propriétaires, 3 des 4 hauts fonctionnaires, et 2 des 7 travailleurs manuels. Paradoxalement, c’est parmi les conseillers exerçant une profession économique qu’il y avait de gros actionnaires : alors que seule la moitié d’entre eux étaient détenteurs d’actions, 53 % du montant de leurs valeurs mobilières représentaient des titres à revenu variable (voir le tableau X-12). C’est donc la moitié actionnaire de ce groupe professionnel qui avait une stratégie financière nettement plus « moderne » que les autres. Ce goût pour le placement plus audacieux se trouve, à des degrés divers, chez tous les bourgeois économiques de l’époque. Les négociants parisiens du début de ce siècle possédaient plus de la moitié de leurs valeurs mobilières sous forme d’actions, tandis que les cadres et les membres des professions libérales préféraient les rentes et les obligations aux actions ; les hommes d’affaires étudiés par Christophe Charle consacraient 42 % de leur fortune aux actions, qui occupaient plus de deux tiers de leurs valeurs mobilières (le tableau X-12).
- 14 La part des obligations de la ville de Paris est de 0,6 % pour les cadres, 0,2 % pour les commerçan (...)
- 15 La part des obligations de la ville de Paris selon les courants politiques est la suivante : 28,4 % (...)
52Les obligations de la ville de Paris attiraient peu nos édiles. Seuls 48 des 139 conseillers composant l’échantillon possédaient des titres émis par la ville de Paris. Dans l’ensemble, ces obligations ne représentent que 0,3 % du montant des patrimoines de nos conseillers, et aucune différence significative n’existe entre les catégories socioprofessionnelles14. Toutefois, les conseillers de gauche souscrivaient plus à l’emprunt municipal que leurs collègues de droite. Certes, la part représentée dans leur patrimoine par les obligations de la ville de Paris reste faible, mais elle est plus importante à gauche qu’à droite, et elle progresse au fur et à mesure que l’on s’approche de l’extrême gauche, comme si les élus radicaux et socialistes avaient été plus soucieux de la finance de leur ville que les conservateurs et les républicains modérés15. Mais, pour confirmer cette impression, il nous faudrait savoir ce que représentait l’obligation de la ville de Paris dans le marché financier de l’époque – avec ses avantages et ses points faibles -, et procéder à des examens minutieux de la gestion du patrimoine des conseillers.
- 16 Charle Christophe, Les élites de la République, op. cit., p. 368.
53Dans la société française de la Belle Époque, les individus qui occupaient les positions de pouvoir, que ce soit dans les champs politique, économique ou social, étaient aussi ceux qui se ralliaient les premiers aux stratégies financières les plus « modernes »16 : plus de biens en valeurs mobilières, et notamment en actions. Par rapport à ces élites, nos conseillers municipaux avaient un comportement plus « ancien ». Nous pouvons avancer le même constat, en comparant nos élus à l’ensemble de la population parisienne. Si ceux-là se détachaient de celle-ci, c’était par leur niveau de richesses extraordinaire, et non pas par leur stratégie de placements. Les conseillers municipaux de Paris n’étaient pas intégrés dans le monde des élites de l’époque, au moins du point de vue de la stratégie d’enrichissement.
D. Enrichissement
54Si nos conseillers sont parvenus à constituer un patrimoine plus ou moins honorable, l’effort qui avait été exigé pour cela était très différent d’un conseiller à l’autre. Deux individus peuvent atteindre le même niveau de richesses alors que leurs points de départ sont très éloignés l’un de l’autre. Toutefois, savoir comment et par quel moyen nos conseillers municipaux se sont enrichis est une tâche fort difficile. N’ayant pas systématiquement consulté les contrats de mariage des conseillers, ni les déclarations de succession de leurs parents, nous nous contentons de prendre l’origine sociale comme critère du point de départ de l’enrichissement (voir tableau X-13, p. 274).
55Globalement, l’importance de la fortune au décès de nos conseillers dépendait, dans une certaine mesure, de leur origine sociale (voir le tableau X-13). Les fils de commerçants ou d’industriels ont atteint un niveau de fortune largement supérieur à celui des fils de boutiquiers : les premiers étaient trois fois plus riches que les seconds, selon le chiffre médian. Les conseillers dont le père avait exercé une profession relativement intellectuelle (membres des professions libérales, hauts fonctionnaires et cadres) étaient dans une situation de fortune à peu près égale : le montant médian de leurs patrimoines est autour de 500 000 francs. Par rapport à ces élus issus de milieux plutôt aisés, les fils d’employés, d’ouvriers et d’artisans étaient nettement moins nantis. La fortune médiane des fils de travailleurs manuels est de 93 000 francs, soit dix fois moins importante que celle des fils de commerçants-industriels (plus d’un million).
TABLEAU X-13. Fortune selon les catégories socio-professionnelles des pères des conseillers

N.B. : les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne.
56Pourtant, le milieu d’origine était moins décisif qu’il ne paraît. En examinant par professions des conseillers eux-mêmes, nous pouvons nous rendre compte que nombre d’entre eux ont réussi à surmonter leur handicap de départ.
- 17 Encore qu’il s’agisse d’un chiffre minimal, car sa femme possédait vraisemblablement des immeubles, (...)
- 18 Rapport de police, 23 mai 1873 (APP, BA 1087).
- 19 Il était également membre du conseil d’administration de la Société Richer, ce qui lui aurait permi (...)
57Les professions libérales sont l’une de ces catégories socioprofessionnelles où la naissance et l’héritage sont le moins déterminants. En effet, il n’y a aucune corrélation significative entre l’importance du patrimoine des conseillers appartenant à ce secteur, et leurs milieux d’origine. Les fils de travailleurs manuels sont devenus plus riches que les fils de commerçants-industriels, et les fils de cadres plus que les fils de membres de professions libérales (voir le tableau X-13). La vie de Barthélemi Forest est un exemple de cette ascension sociale. Né en 1813 en Saône-et-Loire, fils d’un vannier, il s’est inscrit au barreau de Paris en 1840, à l’âge de 27 ans. Proche de Gambetta, il a été élu au Conseil municipal de Paris en 1874, d’où il est passé à la Chambre des députés en 1883. À sa mort en 1895, il avait des biens dont le montant total est évalué à près de 700 000 francs17. Frère, docteur en médecine, a lui aussi pu accroître son patrimoine de façon fulgurante. Né en 1813, fils d’un menuisier parisien, il était déjà dans « une assez belle situation de fortune »18 avant d’entrer à l’Hôtel de ville en 1878. À son décès en 1889, sa fortune s’élevait à 360 000 francs19.
58En revanche, l’origine sociale était un facteur important dans le secteur des professions économiques. La situation de fortune des conseillers commerçants-industriels diffère considérablement suivant les professions des pères. Ceux dont le père était également grand commerçant ou industriel possédaient en général un patrimoine de plus d’un million de francs (la fortune médiane est de 1.7 millions), tandis que les conseillers de la même catégorie professionnelle mais d’origine plus modeste étaient nettement moins nantis (voir le tableau X-13).
59Ainsi, l’extraction avait une certaine influence sur les richesses de nos élus, mais elle était loin d’être décisive.
60Le mariage constitue un des moyens d’enrichissement. Un homme talentueux mais dépourvu de capital économique peut réussir dans sa vie active en épousant une fille richement dotée.
61Une consultation systématique des contrats de mariage nous aurait permis de connaître plus précisément le rôle du mariage dans l’enrichissement de nos élus. Nous nous bornons à examiner le patrimoine des conseillers selon les catégories socio-professionnelles de leurs beaux-pères. La profession est connue pour 57 des beaux-pères des conseillers dont nous avons pu reconstituer la fortune finale, soit un peu moins de la moitié de l’échantillon. Seules les catégories des commerçants-industriels, des professions libérales et des propriétaires contiennent des éléments suffisamment nombreux pour être analysées statistiquement.
TABLEAU X-14. Fortune des conseillers suivant les catégories socio-professionnelles des beaux-pères

Professions des conseillers concernés :
(1) 9 commerçants-industriels : 6 membres de professions libérales ; 1 propriétaire.
(2) 2 cadres ; 1 commerçant-industriel ; 1 haut fonctionnaire ; 9 membres de professions libérales ; 1 travailleur manuel.
(3) 3 cadres ; 5 commerçants-industriels ; 1 haut fonctionnaire ; 4 membres de professions libérales.
62L’écart est fort important entre les professions libérales et les deux autres catégories. Selon le chiffre médian, les élus alliés à une famille exerçant une profession économique étaient sept fois plus riches que leurs collègues mariés à une fille de membre de profession libérale. La différence entre ces deux catégories professionnelles est, nous l’avons vu, moins importante lorsqu’il s’agit des professions des pères (un rapport de 2 à 1 environ). De même, parmi les conseillers membres des professions libérales, ceux qui avaient épousé une fille de négociant ou d’industriel laissaient une fortune trois fois plus importante que ceux de leurs collègues qui s’étaient mariés à une fille de membre de profession libérale (727 865 francs contre 214 326 en médiane ; N = 6 contre 9). Ici aussi, le mariage avait une influence considérable par rapport à l’extraction.
63Le cas de T. est un exemple de l’enrichissement par le mariage. D’origine très modeste, il a connu plusieurs métiers artisanaux, avant de devenir sculpteur. À son mariage, il n’a apporté que 3 000 francs, et sa femme, fille d’un artiste célèbre, 12 000 francs. La dot de sa femme est certes modique, mais les parents de celle-ci lui ont légué des biens estimés à 130 000 francs, et cette somme constitue plus du tiers de la fortune au décès de T.
64L’examen des cas connus nous laisse penser que l’alliance matrimoniale était parfois un facteur important pour améliorer la situation de fortune. Pour confirmer cette hypothèse, il nous faudrait effectuer une consultation systématique des contrats de mariage, et, d’autre part, analyser minutieusement les reprises des conjoints lors de la déclaration de succession.
E. Générations : rupture de 1881
65Jusqu’ici, nous avons examiné les patrimoines de nos conseillers pour l’ensemble de la période étudiée, sans tenir compte des évolutions temporelles. Or, les précédents chapitres ont montré que des changements sociologiques d’envergure se sont produits à certains moments. Nous allons maintenant voir si ces changements se sont répercutés sur la situation de fortune.
66Une grande rupture s’est opérée en 1881. Selon les chiffres médians, la fortune des conseillers élus pour la première fois après cette date est six fois moins importante que celle de leurs aînés.
67Parmi les 57 individus entrés au Conseil municipal après janvier 1881, la moitié possédaient à leur mort moins de 100 000 francs, 26 % entre 100 000 francs et un million, et 23 % plus d’un million. Ceux qui ont été élus avan1881 étaient nettement plus riches : seuls 22 % avaient moins de 100 000 francs, tandis qu’un tiers étaient millionnaires (tableau X-16).
- 20 La part de chaque courant politique dans l’échantillon est la suivante (pourcentage avant 1881-aprè (...)
68Cette diminution ne peut être imputable à un changement dans la composition politique ou socioprofessionnelle de l’assemblée. En effet, la part de chaque courant politique dans l’échantillon ne se modifie pas sensiblement, tout comme celle de chaque catégorie socioprofessionnelle20. Et une démocratisation s’observe à l’intérieur de la même catégorie socioprofessionnelle, comme le montre le tableau suivant.
TABLEAU X-17. Fortune des conseillers selon les catégories socio-professionnelles, avant et après 1881

N.B. : Seules les catégories dont les éléments sont suffisamment nombreux ont été retenues. Les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne.
69Dans la catégorie des commerçants-industriels et celle des professions libérales, les conseillers élus pour la première fois après 1881 étaient nettement moins opulents que leurs aînés. La fortune médiane est devenue, après 1881, deux fois moins importante pour la première catégorie, et six fois moins pour la seconde. Seul le secteur des cadres a connu un certain enrichissement, mais, vu le nombre des éléments compris dans ce secteur, cela ne nous empêche pas de parler de démocratisation de rassemblée municipale après 1881.
- 21 Voir le chapitre II.
70L’instauration d’une indemnité de conseiller municipal en 1881 est vraisemblablement l’une des raisons de cette rupture. Les édiles avaient désormais droit à près de 4 000 francs par an pour l’exercice de leurs fonctions. Doublée de l’indemnité de conseiller général, la somme touchée par chacun s’élevait à 9 000 francs à la veille de la Grande Guerre21. Le montant mensuel n’était pas négligeable pour ceux qui vivaient dans des conditions modestes.
- 22 Huard Raymond. Le suffrage universel en France. 1848-1946, Aubier. 1991, 493 p., p. 294.
71À en croire un témoignage, il fallait au minimum 8 000 francs pour se présenter aux élections législatives à Paris dans les années 1880-189022. À cette époque, un instituteur touchait de 800 à 2 000 francs par an, et un ouvrier qualifié parisien environ 7 francs par jour. Les élections municipales de Paris, elles, se déroulaient, certes, dans des circonscriptions plus petites que celles des législatives : d’un quart à la moitié, sur le plan de la surface. Mais vu l’intensité de luttes électorales, le coût de la campagne n’aurait pas été sensiblement différent. En permettant à des individus appartenant à des milieux populaires de briguer plus facilement le mandat municipal, la mise en place d’une indemnité a contribué dans une certaine mesure à la démocratisation d’un personnel politique local.
- 23 Voir le chapitre VII.
72D’autre part, nous avons observé qu’un rajeunissement important des édiles était survenu en 188123. Celui-ci semble s’expliquer en partie par l’introduction d’une indemnité. Grâce à quelques centaines de francs par mois accordés, des individus qui n’étaient pas encore parvenus à une situation de fortune confortable ont pu être élus au Conseil, sans trop se soucier de la perte de revenu due aux activités d’édile. Ici, nous assistons à une « professionnalisation » de la fonction de conseiller municipal, bien que l’ampleur du phénomène soit encore limitée.
73La plupart des conseillers municipaux de Paris vivaient dans une situation de fortune plus qu’honorable, même par rapport à des élites politiques ou sociales du temps. L’absence de recherches pour la période de 1800 à 1870 nous interdit de mesurer exactement l’effet du suffrage universel sur les richesses des édiles, mais la rupture de 1870-1871 pourrait être moins importante qu’il ne paraît. En revanche, la situation de fortune était fort différente selon les courants politiques, et ce à l’intérieur de la même catégorie professionnelle. D’autre part, une forte démocratisation s’est produite en 1881, avec l’instauration d’une indemnité accordée aux membres du Conseil municipal.
74Les richesses sont relatives, et elles sont difficiles à évaluer. Les chiffres abstraits établis par le service de l’Enregistrement ne traduisent pas exactement ni totalement l’état de richesses du défunt : le même bien ne représente pas la même chose pour deux individus qui vivent dans des catégories socioprofessionnelles différentes, ou qui ont des relations familiales et des sociabilités différentes. La fortune au décès n’est qu’une facette parmi d’autres de l’état de richesses d’un individu. Mais elle présente, en même temps, un grand intérêt pour une étude du personnel politique, puisqu’elle permet de situer le corpus par rapport à la société dont il est issu, avec des critères relativement fiables et homogènes. Pour notre part, il nous faudrait compléter cette recherche en suivant de près le train de vie et les étapes d’enrichissement de nos élus, ainsi que leur milieu familial.
Notes
1 Un des travaux précurseurs en la matière est celui d’Adeline Daumard sur la bourgeoisie parisienne de l’époque de la Monarchie censitaire (La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848. op. cit. ; EAD., « L’impôt sur les successions et l’étude de la fortune privée des Français au XIXe siècle », Comité des travaux historiques et scientifiques, Bulletin de la Section d’histoire moderne et contemporaine. 1965, pp. 31-69). Ce travail est basé sur la fortune au décès connue à travers les archives de l’Enregistrement. L’exemple a ensuite été suivi par d’autres chercheurs s’intéressant notamment aux problèmes de la structure sociale : Codaccioni Félix-Paul, Lille, étude sociale, 1850-1914, thèse de doctorat d’État, Université de Lille III, 1971, 2 vol., 1193 p. (consultable à la Bibliothèque nationale) ; Les fortunes françaises au XIXe siècle, enquête dirigée par Adeline Daumard, avec la collaboration de F. Codaccioni, G. Dupeux, J. Herpin, J. Godechot et J. Sentou, Paris-La Haye, Mouton. 1973. xv + 603 p. ; Léon Pierre, Géographie de la fortune et structures sociales à Lyon au XIXe siècle (1815-1914), Université de Lyon II, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1974, XIII + 440 p. (partie portant sur la région lyonnaise de l’enquête nationale dirigée par Adeline Daumard).
Concernant le personnel politique, c’est encore une fois Jean Estèbe qui a été précurseur dans l’exploitation des archives fiscales (« Les gouvernants de la Troisième République et leur fortune, 1871-1914 », Revue d’histoire économique et sociale, 1976, n° 2 ; Les ministres de la République, op. cit.). D’autres travaux ont analysé le patrimoine d’hommes politiques : Le Maner Yves, « Les maires d’un arrondissement de pays minier. Béthune », in Agulhon Maurice et al., Les maires en France, op. cit., pp. 235-278 ; Députés et sénateurs de l’Aquitaine, op. cit., chapitre 5.
Enfin, parmi d’autres travaux prosopographiques : Plessis Alain, Régents et gouverneurs de la Banque de France..., op. cit. ; Charle Christophe, Les élites de la République..., op. cit.
2 D’après les recherches menées par Adeline Daumard au XIXe siècle, environ 2 % des Parisiens se mariaient sous un régime de séparation de biens ou sous un régime dotal sans société d’acquêts (Les fortunes françaises, op. cit., pp. 189-191). Adeline Daumard a établi ces chiffres à partir d’un dépouillement des registres de déclarations de succession des années 1820, 1847 et 1911. Or, ces déclarations de succession ne concernent que des individus qui sont morts en laissant des biens à déclarer. Si on comptait tous les décédés, le taux des mariages sous un régime de séparation de biens ou un régime dotal sans société d’acquêts serait encore moins élevé, car les gens morts sans fortune étaient, en général, de milieux populaires, et donc mariés sans contrat. La situation diffère dans une certaine mesure d’une ville à l’autre. A Lyon, par exemple, les cas de régime dotal et de séparation de biens étaient plus fréquents que dans la capitale (Léon Pierre, Géographie de la fortune et structures sociales..., op. cit.).
3 . Deux ouvrages déjà cités : La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848 : Les fortunes françaises au XIXe siècle.
4 Il y a toutefois, parmi les conseillers décédés hors de Paris, une surreprésentation des professions libérales (51 %, contre 46 % dans l’ensemble des conseillers municipaux), et une sous-représentation des professions économiques (22 % contre 28 %).
5 Le fonds a été transféré depuis, et il se trouve aujourd’hui à Aubervilliers.
6 Thèse, op. cit., t. 1. p. 87.
7 238 conseillers sont décédés avant février 1914, date après laquelle la succession pouvait être déclarée après le déclenchement des hostilités.
8 C’est le cas de certaines successions dont le montant est infime.
9 Parmi les 139 conseillers dont la fortune au décès a été évaluée, 82 sont entrés au Conseil municipal avant 1881, 51 entre 1881 et 1900, et seulement 6 après 1900.
10 Voir notamment Daumard Adeline (dir.), Les fortunes françaises... op. cit., chapitre V. Dans les cinq grandes villes étudiées dans cette enquête collective (Paris, Lyon, Lille, Bordeaux et Toulouse), la part des biens immobiliers a considérablement diminué en un siècle, exception faite de Toulouse où la proportion n’a guère changé : à Paris, elle était de 52 % en 1820, et de 45 % en 1847, contre 31 % en 1911 ; à Lyon, elle est passée de 44 % en 1869 à 29 % en 1911 ; à Lille, elle passe de 56 % (1821) à 30 % (1908), et à Bordeaux de 45 % (1824) à 30 % (1911). A la veille de la Grande Guerre, donc, les biens mobiliers avaient pris une proportion considérable dans les patrimoines, très supérieure à celle des investissements immobiliers. Quant à la composition des biens mobiliers, elle diffère suivant les catégories socioprofessionnelles, mais la part prise par les valeurs boursières était en augmentation dans presque tous les milieux. Certes, la part qui leur était faite augmentait, en général, avec le montant total du patrimoine : dans le Paris de 1911, par exemple, elle était de 39 % pour les patrimoines inférieurs à 50 000 francs, de 44 % pour ceux qui étaient compris entre 50 000 francs et un million, et de 50 % pour les millionnaires. Mais les ouvriers, les manœuvres et les employés de commerce parisiens plaçaient de 44 à 47 % de leur fortune totale en valeurs mobilières.
11 . La part des immeubles est de 20.8 % dans les patrimoines des industriels et négociants, 40,3 % dans ceux des notaires, 19,6 % dans ceux des médecins et avocats, et 37,6 % dans ceux des brasseurs, fabricants de sucre et minotiers (Le Maner Yves, « Les maires d’un arrondissement de pays minier... », art. cit., p. 256).
12 Pour les autres catégories socioprofessionnelles, possédaient des biens immobiliers un travailleur manuel sur 7, 3 hauts fonctionnaires sur 4, 2 propriétaires sur 3, ainsi que le seul boutiquier et le seul agriculteur de l’échantillon.
13 Le cas des cadres est difficile à interpréter, du fait du faible effectif dans la tranche supérieure.
14 La part des obligations de la ville de Paris est de 0,6 % pour les cadres, 0,2 % pour les commerçants-industriels, 0,2 % pour les hauts fonctionnaires, 0,6 % pour les membres des professions libérales, et 0,5 % pour les propriétaires. La seule exception est la catégorie des travailleurs manuels, où les obligations de Paris représentent 28,7 % des patrimoines. Mais cela est dû à un cas extrême : il s’agit de D., socialiste ; son patrimoine est évalué à 19 895 francs, dont environ la moitié (9 913 francs) est représentée par des obligations de la ville de Paris. D. est le conseiller travailleur manuel le plus riche, et, surtout, nettement plus riche que les autres conseillers de son groupe professionnel : 5 des 7 conseillers travailleurs manuels ont laissé un patrimoine dont le montant est inférieur à 2 000 francs. Le cas des travailleurs manuels est donc particulier.
15 La part des obligations de la ville de Paris selon les courants politiques est la suivante : 28,4 % à l’extrême gauche (N = 2). 1,1 % à la gauche (9), 0,6 % au centre gauche (17). 0,15 % au centre droit (11), 0,10 % à la droite (4), et 0,05 % à l’extrême droite (5). Le cas de l’extrême gauche s’explique par un cas exceptionnel (voir la note précédente).
16 Charle Christophe, Les élites de la République, op. cit., p. 368.
17 Encore qu’il s’agisse d’un chiffre minimal, car sa femme possédait vraisemblablement des immeubles, dont la valeur n’a pas pu être évaluée. Par ailleurs, dans la succession de Forest, le montant de sa propre reprise est de 12 000 francs, et celui de sa femme est de 7 231 francs, ce qui laisse supposer que le couple n’avait pas apporté une somme importante au mariage.
18 Rapport de police, 23 mai 1873 (APP, BA 1087).
19 Il était également membre du conseil d’administration de la Société Richer, ce qui lui aurait permis d’augmenter son patrimoine.
20 La part de chaque courant politique dans l’échantillon est la suivante (pourcentage avant 1881-après 1881) : l’extrême droite : 2,4-12.3 : la droite : 9.8-3.5 ; le centre droit : 19,5-15.8 ; le centre gauche : 37.8-36.8 ; la gauche : 30.5-19.3 ; l’extrême gauche : 0-12.3. Celle des principales catégories socioprofessionnelles est : commerçants-industriels : 30.5-31,6 ; professions libérales : 52,4-40,4 ; cadres : 6,1-15,8 ; travailleurs manuels : 1.2-10,5. Certes, le nombre des travailleurs manuels augmente après 1881, tout comme celui des cadres. Mais, comme nous allons le voir, les élus appartenant à la même profession étaient plus riches avant qu’après 1881.
21 Voir le chapitre II.
22 Huard Raymond. Le suffrage universel en France. 1848-1946, Aubier. 1991, 493 p., p. 294.
23 Voir le chapitre VII.
Table des illustrations
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Titre | TABLEAU X-l. Répartition des successions étudiées entre les courants politiques |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 44k |
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Titre | TABLEAU X-2. Répartition des successions étudiées entre les catégories socio-professionnelles |
Légende | N.B. : Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages en colonne. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 84k |
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Titre | TABLEAU X-3. Montant du patrimoine (nombre de conseillers) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 104k |
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Titre | TABLEAU X-4. Montant du patrimoine (médiane et moyenne en francs) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 36k |
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Titre | TABLEAU X-5A. Montant de la fortune au décès selon les catégories socio-professionnelles (nombre de conseillers) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 132k |
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Titre | TABLEAU X-5B. Montant de la fortune au décès selon les catégories socio-professionnelles (médiane et moyenne suivant les courants politiques) |
Légende | N.B. : les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 124k |
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Titre | TABLEAU X-6. Fortune au décès des conseillers municipaux de Paris comparée à celle d’autres groupes sociaux ou politiques, ainsi qu’à celle de l’ensemble de la population parisienne (pourcentages de chaque tranche) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 104k |
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URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 116k |
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Titre | TABLEAU X-7. Comparaisons avec les Parisiens morts en 1911, par catégories socio-professionnelles (pourcentage) |
Légende | N.B. : La catégorie « négociants » utilisée dans l’enquête collective menée par Adeline Daumard recouvre les grands commerçants, les banquiers, les agents de change, ainsi que les industriels, les gérants des sociétés à responsabilité limitée, les administrateurs de société. Elle est donc comparable avec notre catégorie « commerçants-industriels ». |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 104k |
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Titre | TABLEAU X-8A. Composition des patrimoines (en pourcentage) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 60k |
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Titre | TABLEAU X-8B. Composition des patrimoines, en comparaison avec d’autres groupes (en pourcentage) |
Légende | Sources : Parisiens 1847 : Daumard Adeline (dir), Les fortunes françaises.... op. cit. Pour les autres groupes, voir le tableau X-6. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 80k |
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Titre | TABLEAU X-9. Composition des fortunes selon l’importance des biens (en pourcentage) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 72k |
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Titre | TABLEAU X-10. Composition des patrimoines par catégories socio-professionnelles (en pourcentage) |
Légende | N.B. : Seules les catégories dont l’effectif est supérieur à 10 ont été retenues. Les trois catégories de droite sont celles utilisées dans l’enquête collective sur les fortunes françaises au xixe siècle. Les « cadres moyens » comprennent les experts comptables, sous-ingénieurs des mines, sous-chefs de bureau de compagnies de chemin de fer, etc. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 68k |
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Titre | TABLEAU X-11. Composition des patrimoines par catégories socio-professionnelles, et selon l’importance des biens (en pourcentage) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-14.jpg |
Fichier | image/jpeg, 100k |
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Titre | TABLEAU X-12. Composition des valeurs mobilières (en pourcentage) |
Légende | N.B. : Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages par rapport à l’ensemble des valeurs mobilières de chaque groupe. Pour les sources, voir les tableaux X-6 et X-10. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-15.jpg |
Fichier | image/jpeg, 160k |
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Titre | TABLEAU X-13. Fortune selon les catégories socio-professionnelles des pères des conseillers |
Légende | N.B. : les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-16.jpg |
Fichier | image/jpeg, 176k |
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Titre | TABLEAU X-15. Fortune au décès des conseillers, avant et après 1881 |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-17.jpg |
Fichier | image/jpeg, 48k |
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Titre | TABLEAU X-16. Fortune au décès des conseillers, avant et après 1881 (pourcentages) |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-18.jpg |
Fichier | image/jpeg, 68k |
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Titre | TABLEAU X-17. Fortune des conseillers selon les catégories socio-professionnelles, avant et après 1881 |
Légende | N.B. : Seules les catégories dont les éléments sont suffisamment nombreux ont été retenues. Les chiffres sont, par ordre, nombre, médiane et moyenne. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/1325/img-19.jpg |
Fichier | image/jpeg, 58k |
© Éditions de la Sorbonne, 2002