Chapitre IV. Famille
p. 77-115
Texte intégral
1La méritocratie est l’une des valeurs officielles de la Troisième République. Mais le recrutement des classes politiques n’était pas toujours fondé sur elle, et les traces de l’époque des grands notables étaient perceptibles dans cette société en principe démocratique. Sous la Troisième République, le monde de la politique était le lieu où méritocratie et favoritisme se disputaient la suprématie, sans que l’une l’emporte totalement sur l’autre.
2Le poids de la famille dans le destin des hommes politiques de la Troisième République a été minutieusement étudié par Jean Estèbe, dans sa thèse portant sur les gouvernants de 1871 à 1914. L’auteur y montre que les notables traditionnels ont progressivement perdu leur influence au détriment de la bourgeoisie diplômée et des hommes issus de milieux populaires1. Concernant les ministres, la démocratisation a donc été réalisée dans une certaine mesure. Cela dit, le gouvernement était loin d’être un reflet fidèle de la société française de l’époque.
3La même tendance se retrouve-t-elle pour les conseillers municipaux de Paris ?
4Membres d’une assemblée locale à vocation administrative, ils se distinguaient, toutefois, sensiblement des autres élus locaux, à cause de l’importance, à tous les sens du terme, de la ville dont ils étaient conseillers municipaux. Les élections étaient hautement politisées, ainsi que les débats à l’assemblée. Le conseiller municipal de Paris présente donc un double caractère, celui d’homme politique et celui d’édile. Dans ce chapitre, nous allons voir ce double aspect, à travers les facteurs familiaux.
A. Origines sociales
5À la différence des ministres étudiés par Jean Estèbe, peu de nos conseillers municipaux ont laissé des mémoires accessibles aux chercheurs, ou ont fait l’objet d’une biographie individuelle, sauf quelques personnages exceptionnels, tels que Clemenceau ou Millerand. Dans de nombreux cas, l’acte d’état civil est la seule source d’informations qui soit entre nos mains. Nous connaissons donc peu de choses sur la famille des conseillers municipaux.
6La profession des pères des conseillers, connue pour la plupart, peut donner une idée sur leurs milieux d’origine. Comme on le sait, les informations de l’acte d’état civil sont parfois fort ambiguës, et manquent de précision. Lorsque cela était possible, nous avons consulté d’autres documents : dictionnaires biographiques, dossiers personnels ou déclarations de succession. Mais l’appellation des professions et le sens qui lui est accordé dans les registres d’état civil sont souvent différents d’une région à l’autre. De plus, les professions qu’avaient exercées les pères des conseillers ont plus ou moins évolué au cours du siècle : être avocat sous le règne de Napoléon, comme le père d’Édouard Degouve-Denuncques, n’est pas équivalent à être avocat pendant la Troisième République, comme le père de Louis Lagache. Ces réserves sont nécessaires pour interpréter les tableaux suivants, qui classent la profession des pères des conseillers par tendances politiques et par périodes d’élection.
7Parmi les pères de nos conseillers, un peu moins du quart (22,7 %) pratiquaient une profession manuelle, que ce soit dans l’agriculture, l’artisanat, ou la manufacture. Il y avait aussi 35 employés (8,4 % de l’ensemble), et 30 boutiquiers (7,2 %), qui vivaient souvent dans des conditions difficiles. Plus nombreux sont ceux qui appartenaient à des milieux aisés : nous trouvons 86 commerçants-industriels (20,5 %), 54 cadres (12,9 %), 63 membres de professions libérales (15,0 %), et 34 propriétaires (8,1 %).
1. Les milieux populaires
8Au Conseil municipal de Paris de la Troisième République, il y eut 79 fils de travailleurs manuels, soit près de 19 % de l’ensemble. Cette catégorie socioprofessionnelle était beaucoup plus importante chez les pères que chez les conseillers eux-mêmes : 33 des 452 conseillers municipaux étaient travailleurs manuels (7 %). Nombre de conseillers issus de milieux ouvriers avaient ainsi réalisé une ascension sociale en une génération. Rien d’étonnant à ce qu’ils défendent leurs milieux d’origine : 68 des 79 conseillers issus de ces milieux étaient de gauche. Dans le courant de l’extrême gauche, plus du tiers des élus était issus de ces milieux (voir tableau IV-1 A).
9Parmi les pères de ces 79 conseillers, nous avons classé 48 comme « artisans ou ouvriers », et 31 comme « ouvriers » ou « manœuvres »2. Les premiers travaillaient dans des secteurs d’activités plutôt traditionnels, comme la menuiserie, la cordonnerie ou l’ébénisterie. Les seconds avaient un travail plus simple et exigeant peu de connaissances professionnelles. Cette deuxième catégorie devient plus importante après 1881, date à laquelle les socialistes sont revenus sur la scène politique (voir le tableau IV-1B).
10Nombre d’élus issus de milieux ouvriers étaient eux-mêmes travailleurs manuels. Ils étaient entrés dans le monde politique par la voie des mouvements socialistes, dont les partis politiques étaient relativement démocratisés. Mais une poignée de conseillers avaient réussi à faire une ascension fulgurante, et à arriver à un niveau de vie que leurs parents ne pouvaient pas imaginer.
11Xavier Cattiaux est un exemple. Il est né en 1821, dans un village du Nord. Ses parents se déclaraient journaliers à sa naissance. Il a eu la chance de poursuivre ses études, mais a été obligé de les suspendre à l’âge de 16 ans, pour entrer comme employé dans une maison de commerce qu’avait fondée son père. Il a ensuite pu commencer ses études de médecine à Paris, où il a reçu le titre de docteur. N’oubliant pas son origine modeste, il a ouvert son cabinet à Belleville. Pour Cattiaux, la réussite de son père, journalier devenu commerçant, était probablement à l’origine de sa propre promotion sociale.
12Le père d’Alfred Thuillier, Jean-Baptiste, était un « manouvrier ». N’ayant plus reçu d’instruction après l’école primaire, Alfred est entré dans la vie active à l’âge de 15 ans, comme petit employé aux écritures chez un entrepreneur de plomberie et de couverture. Devenu métreur quelques années plus tard, il est ensuite parvenu à s’établir en tant qu’entrepreneur de plomberie dans la capitale, en 1869, à 30 ans. Ayant épousé, en 1872, la fille d’un industriel parisien du même secteur d’activités, il a pu étendre ses réseaux d’affaires. Il a alors fondé avec son frère une entreprise assez importante, rue de Paradis, dans le Xe arrondissement, employant une trentaine d’ouvriers. Après avoir exercé diverses fonctions dans le bureau de bienfaisance et au Tribunal de commerce, il a été élu en 1890 à l’Hôtel de ville, où il est resté jusqu’en 1899, date à laquelle il est entré au Sénat.
13Le cas d’Etienne Perrichont est identique. Né en 1817, fils d’un journalier dans la Creuse, orphelin à 10 ans, il dut tout à son travail et à ses efforts – son mariage en 1843, avec la fille d’une journalière et d’un père non déclaré, ne lui apporta pas grand-chose3. Après avoir travaillé dans différentes entreprises de travaux publics, il s’établit à son compte au début du Second Empire, et se vit confier d’importants travaux publics, tels que la construction des viaducs de Morlaix et d’Auteuil (chemin de fer de ceinture), de grands réservoirs à Montrouge, ou du pont de Tolbiac. Il s’est enrichi considérablement, à tel point qu’un agent de police a dit à son sujet : « On présente M. Perrichont comme huit fois millionnaire.4 » Il a été élu conseiller municipal en 1888, dans le XVIe arrondissement. Par ailleurs, une de ses filles a épousé un entrepreneur de travaux publics, Jean-Marie Le Breton, et leur fils, Eugène, a succédé en 1896 à Etienne Perrichont au siège de conseiller municipal d’Auteuil.
14Ce genre de réussite n’était pas rare. Certes, un quart des fils de travailleurs manuels sont restés dans le même milieu social que leurs pères (20 cas sur 79). Mais d’autres sont devenus membres de professions libérales (26), grands commerçants ou industriels (24), employés ou fonctionnaires à responsabilité (6)5.
15Les conseillers municipaux de Paris d’origine modeste avaient souvent réalisé une ascension sociale considérable, et c’est ce qui leur a permis de se faire élire édiles de la capitale, et puis parlementaires.
16Parmi les pères de nos édiles, il y avait également 16 agriculteurs, qui peuvent être considérés comme appartenant à des couches sociales relativement proches de celles des travailleurs manuels6. Cette catégorie socioprofessionnelle est presque absente chez les conseillers municipaux de la capitale : un seul horticulteur, Curé, lui-même fils d’un modeste cultivateur, représente ce secteur à l’Hôtel de ville. Les agriculteurs étaient plus nombreux parmi les pères des élus, sans pour autant constituer un groupe important. Certes, la situation de chaque cas est mal connue, et, concernant un certain nombre, la frontière avec le groupe des « propriétaires » est floue. Mais les élus municipaux de Paris étaient rarement d’origine paysanne.
17Politiquement, les conseillers fils d’agriculteurs étaient plutôt de gauche : 3 appartenaient à l’extrême gauche, 6 à la gauche et 6 au centre gauche, contre un seul au centre droit. Nombre d’entre eux ont été élus après 1881.
18Ces élus fils de paysans avaient réalisé une ascension sociale importante. Parmi eux, 4 étaient cadres, 4 autres négociants ou industriels, et 4 autres membres de professions libérales, tandis que un seul exerçait un travail manuel, un autre était simple employé, et le dernier tenait une petite boutique. Une propriété, même de taille modeste, permettait aux enfants d’accéder à l’enseignement ou de constituer un capital nécessaire pour débuter dans les affaires. Si Philippe Lazies, né en 1846, fils d’un jardinier dans les Pyrénées, a pu s’établir comme entrepreneur de travaux publics à l’âge de 23 ans, c’est sans doute grâce à son père, qui était propriétaire lors du mariage de Philippe. Cette alliance a peu apporté du point de vue économique, car le père de la mariée n’était pas mentionné sur l’acte de mariage, établi sans contrat.
19Le cas de Louis Peuch est un exemple de l’ascension sociale par le travail. Il est né en 1859, dans un petit village du Cantal, de parents cultivateurs. Son biographe dit qu’« il a vécu dans les montagnes une dure jeunesse, travaillant tout l’été, et, pendant l’hiver, étudiant avec application, afin de conquérir un à un tous les diplômes universitaires qui lui ont permis de devenir instituteur »7. Un hommage qui lui a été rendu à l’occasion de ses vingt-cinq années de mandat municipal évoque aussi sa vie dans les montagnes, où il s’est formé « sans guide, presque sans maître »8. Il est devenu instituteur communal à Montmartre, puis dans le IIIe arrondissement, où il est nommé directeur d’école communale.
20Alexandre Simoneau fut plus chanceux. Fils de laboureur, il a été employé par son beau-frère, entrepreneur de constructions, avant de lui succéder à la tête de l’entreprise en 1851, à l’âge de 26 ans. Il l’a dirigée jusqu’en 1873, date à laquelle il s’est retiré des affaires pour vivre de ses rentes. Il jouissait aussi d’une certaine notabilité lorsque, au 4 septembre, Arago l’a nommé adjoint de Clemenceau, dans le XVIIIe arrondissement. Il a ensuite été conseiller municipal de Taingy, son village natal de l’Yonne, de 1870 à 1879. Enfin, le quartier des Grandes-Carrières l’a choisi comme conseiller municipal de 1884 à 1893.
21Trente conseillers étaient fils de boutiquiers. Notre catégorie des boutiquiers correspond à un niveau social intermédiaire entre le monde du travail manuel d’une part, et celui du négoce et de l’industrie de l’autre. Elle est mieux représentée parmi les pères des conseillers que parmi les conseillers eux-mêmes : 30 parmi les premiers, contre 4 parmi les seconds. Cette différence n’est pas très significative, du fait de l’inégalité des renseignements entre les deux générations concernées. Toutefois, des métiers comme ceux d’épicier, de cabaretier, de pâtissier ou de traiteur n’apparaissent jamais parmi les professions des élus, alors que 6 des pères des élus exerçaient un de ces métiers9.
22Les élus fils de boutiquiers appartenaient à diverses tendances politiques. Certes, ils étaient plus nombreux à l’extrême gauche que dans les autres courants politiques. Mais l’effectif peu important de cette catégorie dans chaque courant ne nous permet pas de la lier à une tendance politique particulière.
23Concernant l’évolution dans le temps, les élus issus de ce milieu étaient plus nombreux dans les débuts du régime que par la suite. Dans l’assemblée élue en janvier 1878. 10 conseillers étaient fils de petits commerçants. Ce nombre tombe à 9 en 1881, à 7 en 1884 et à 5 en 1887. Dans les années 1890, il n’y avait que 2 ou 3 élus issus de ce milieu. Après le tournant du siècle, le nombre remonte aux alentours de 5.
24Les conseillers municipaux fils de boutiquiers se trouvaient dans une situation généralement meilleure que leurs pères. Parmi eux, 4 étaient, au moment de leur première élection, artisans ou ouvriers, et un était boutiquier (le boucher Barillier, fils d’un traiteur) ; 4 étaient négociants, et 6 fabricants ou industriels. À leur côté, il y avait 5 cadres, 1 professeur d’université et 8 membres de professions libérales (dont 2 avocats, 2 médecins et un pharmacien). Ainsi, près de la moitié des élus fils de boutiquiers étaient entrés dans le monde des « bourgeoisies des capacités ». André Saturnin Morin est un exemple de cette réussite. Né en 1807 dans une famille de bouchers à Chartres, il est devenu avocat, puis notaire à Nogent-le-Rotrou. Lorsque le gouvernement de la Seconde République l’a choisi comme sous-commissaire à Nogent-le-Rotrou, ses revenus étaient estimés à 4 000 francs10. Il a vécu de sa plume depuis 1848 : il était surtout connu comme un écrivain libre penseur. A son décès en 1888, le montant de sa succession s’élevait à plus d’un million de francs, celle-ci étant composée d’un immeuble parisien au Faubourg-Saint-Germain, d’une propriété en Eure-et-Loir et de diverses valeurs boursières.
25Les « employés » – commis d’entreprises privées ou agents publics – vivaient dans des conditions à peine meilleures que les travailleurs manuels. Il y en avait 35 parmi les pères de nos élus, soit 8 % de l’ensemble. Cette catégorie aussi était beaucoup plus importante parmi les pères que parmi les fils : 8,4 % contre 2,2 %.
26Parmi les 35 pères employés, nous trouvons 9 soldats, matelots ou gendarmes, 9 employés des services d’intérêt public (facteurs ruraux, employés des chemins de fer, etc.), et 17 employés privés, parmi lesquels nous avons classé 3 domestiques et un maître d’hôtel garni.
27Les fils de ces 35 employés ont connu des sorts fort différents. Lorsqu’ils ont été élus à l’Hôtel de ville, 4 étaient ouvriers ou artisans, et 4 autres étaient petits employés comme leurs pères, tandis que 8 étaient cadres, un petit commerçant, 7 gros commerçants ou industriels, 9 membres de professions libérales, et un haut fonctionnaire.
28Ernest Dumas était né en 1830, de parents non mariés. Son père était garçon boucher, et sa mère était fille d’un « manouvrier ». Ernest a d’abord été employé au P.L.M. comme garde magasin comptable. Il a ensuite entrepris le commerce de vins, et y a connu un certain succès. Mais c’est plutôt ses liens avec Etienne Arago, Garnier-Pagès et Jules Simon qui lui ont ouvert la porte de l’Hôtel de ville : le Gouvernement de la Défense nationale l’a choisi comme adjoint du xiie arrondissement, où il sera élu conseiller municipal l’année suivante.
29Parfois, l’ascension sociale du père a permis celle du fils. Charles Callon, ingénieur des Arts et Manufactures et professeur à son école, avait collaboré avec son frère Jules, polytechnicien, pour aider leur père, commis de comptoir selon l’acte de naissance de Charles, à fonder des filatures près de Rouen. Le père d’Emile Beurdeley était maître d’hôtel garni à Paris à sa naissance ; Émile n’aurait pas réussi à obtenir le titre d’ingénieur des Arts et Manufactures et à épouser la fille d’une famille de propriétaires de Provins qui lui a apporté une dot confortable, si son père n’avait pas accédé à l’état de propriétaire – bien que cette appellation puisse correspondre à des états tout à fait différents. La mobilité sociale, assez forte à ce niveau de la hiérarchie sociale, pouvait être décisive dans les destinées de la génération suivante.
30Les conseillers issus de milieux populaires étaient de plus en plus nombreux au fil des années. Cette démocratisation du recrutement était le fruit de la progression de la gauche sur la scène politique parisienne. Si un bon nombre d’entre eux avaient pu réaliser une ascension sociale par rapport à leurs pères, ils étaient toujours soucieux du sort des gens de leurs milieux d’origine : ils militaient pour une République plus sociale et plus démocratique.
2. Les bourgeoisies diplômées et de fonction
31À côté des fils du peuple que nous venons d’examiner, il y avait à l’Hôtel de ville des hommes issus de milieux plus aisés. Ces milieux peuvent se diviser en deux groupes : ceux dans lesquels le capital économique avait une place centrale ; ceux où les connaissances et les capacités intellectuelles primaient. Dans le second groupe se rangent les catégories des cadres, des professions libérales et des hauts fonctionnaires. C’est de ce second groupe qu’il s’agit ici.
32Parmi les pères de nos conseillers municipaux, il y avait 54 cadres, 22 hauts fonctionnaires et 63 membres de professions libérales. Ils forment exactement un tiers de l’ensemble (139 sur 419), mais la part de ces professions était beaucoup plus large parmi les conseillers (60 %).
33Les conseillers nés dans ces milieux n’étaient pas liés à des courants politiques particuliers, à la différence des conseillers d’origine populaire : parmi les 139 élus fils de cadres, de membres de professions libérales ou de hauts fonctionnaires, 62 étaient de droite, et 77 de gauche. A part le courant de l’extrême gauche, toutes les formations politiques y trouvaient une bonne partie de leurs hommes : 29,1 % de la gauche, 28,2 % du centre gauche, 42,8 % du centre droit. 48,5 % de la droite et 52,3 % de l’extrême droite. Tout au long de notre période, la part des élus issus de ces milieux est restée relativement stable (voir tableau IV-1B).
34Parmi les pères « cadres », nous trouvons : 9 employés supérieurs ou moyens du secteur privé, tels que comptables ou représentants de commerce ; 16 fonctionnaires moyens – receveurs, percepteurs, juges de paix et autres fonctionnaires ; 8 ingénieurs civils dont 3 géomètres et un conducteur des Ponts et Chaussées ; 10 officiers dont 2 officiers aux douanes ; et 11 enseignants, parmi lesquels un régent de collège, 2 professeurs du secondaire, 4 instituteurs.
35En général, les cadres avaient une forte volonté d’ascension sociale. En fait, parmi nos 54 conseillers issus de ces milieux, 30 exerçaient une profession libérale – dont un médecin, 11 avocats et 13 journalistes écrivains -, 9 étaient devenus cadres comme leurs pères, et un était entré dans le monde des universitaires. La position sociale du père conduisait l’enfant vers l’enseignement secondaire, voire supérieur – plus de la moitié a obtenu une licence – et par là vers une profession prestigieuse, une profession libérale de préférence.
36Cette tendance se trouve encore plus accentuée dans les familles d’enseignants, ce qu’illustre le cas d’Adrien Veber. Celui-ci est né en 1861 dans un village de Moselle. Son père, François, avait passé 13 ans dans l’enseignement primaire, avant d’être nommé juge de paix dans les Ardennes. Élève boursier du lycée de Charleville de 1871 à 1879, Adrien a obtenu le titre de bachelier en 1879, et se dirigeait vers l’École normale supérieure, à laquelle il a dû renoncer. Dès 1879, il a commencé à enseigner comme aspirant-répétiteur au lycée de Saint-Omer. Il a été maître répétiteur pendant cinq ans au lycée Saint-Louis à Paris, tout en préparant sa licence en droit en vue d’entrer dans la magistrature. Le diplôme obtenu, il s’est inscrit en 1888 au barreau de Paris, et y a exercé longtemps11. Il était toujours intéressé par les questions sociales. Il a entrepris dans ses lycées des actions corporatistes, et publié avec d’autres maîtres-répétiteurs un journal s’intitulant la Réforme universitaire, ce qui lui a valu une suspension de ses fonctions. Il a épousé le socialisme : il a été successivement membre de la Fédération des socialistes indépendants, du Parti socialiste français et du Parti socialiste SFIO.
37Les professions libérales sont la catégorie socioprofessionnelle la plus importante parmi les conseillers municipaux : presque la moitié d’entre eux (207) étaient membres de professions libérales. Mais parmi les pères, c’était le cas d’un sur sept seulement (63). Sur ces 63 pères membres de professions libérales, 37 étaient hommes de loi : 14 notaires, 4 avoués, 5 petits officiers ministériels, et 14 avocats. Les professions médicales étaient représentées par 12 médecins et 5 pharmaciens. Les journalistes et hommes de lettres, nombreux parmi les élus, étaient quasiment absents parmi leurs pères (seuls 2 cas). Il y avait également quelques artistes, un architecte et un compositeur de musique12.
38A l’époque que nous étudions, la situation économique et sociale des membres des professions libérales était fort différente entre Paris et province. L’exercice dans la capitale pouvait généralement permettre un train de vie plus confortable et procurer un prestige plus grand. Parmi les pères de conseillers membres de professions libérales, la moitié (31) étaient domiciliés à Paris lorsque leurs fils futurs édiles parisiens sont nés. Esprit Blanche, père d’Émile, était un célèbre médecin de Passy, ayant une belle clientèle. Le père du docteur Auguste Delpech, membre de l’Académie de médecine et conseiller municipal du VIIe (Invalides), était un médecin du Faubourg-Saint-Germain. Georges Gamard a hérité de son père une étude de notaire rue de Choisetil (IIe), dont la clientèle, « très nombreuse, [était] en majeure partie recrutée dans le monde aristocratique »13. Albert Liouville est né dans une famille illustre d’avocats : son père, Félix, était bâtonnier de l’Ordre en 1856-185814.
39Plus que les élus fils de cadres, les élus issus de milieux des professions libérales étaient liés à certaines tendances politiques : proportionnellement, ils étaient deux fois plus nombreux à droite qu’à gauche (voir le tableau IV-1A).
40Ces conseillers exerçaient, souvent, les mêmes professions que leurs pères (50 sur 63). Cette volonté de rester dans le monde du talent intellectuel provient sans doute du prestige incontestable des professions libérales. Frébault, présenté comme un « médecin des pauvres », était fils d’un chirurgien aide-major. Le pharmacien Lamouroux avait un père ayant exercé la même profession, tout comme les docteurs Clemenceau, Robinet, Blanche, Royer, Auguste Delpech, Desprès et Fiaux. Les avocats Roussel, Ambroise Rendu, Liouville, Lagache, Gustave-Adolphe Hubbard, Engelhardt, Auffray et Maublanc étaient tous issus de familles d’avocats. Les notaires et les avoués préféraient transmettre leur charge à leur fils : c’est le cas de Lavocat, de Frémyn et de Potier. Les élus publicistes – profession relativement démocratisée – étaient souvent fils d’avocats ou d’officiers ministériels : 10 des 79 conseillers municipaux publicistes ou écrivains étaient dans ce cas.
41Même en restant dans le même secteur d’activités que leurs pères, les conseillers municipaux avaient souvent réalisé une ascension sociale. Les petits officiers ministériels (huissiers et greffiers), dont le prestige et les conditions de vie étaient plutôt proches de ceux des employés, sont totalement absents parmi les conseillers, alors qu’il y en a 5 parmi les pères.
42Les hauts fonctionnaires se situaient à un niveau social généralement supérieur à celui des membres des professions libérales. Parmi les pères de nos conseillers, 22 appartenaient à cette catégorie : 7 hauts fonctionnaires de ministères ou de préfectures, dont 2 préfets (Charles Le Bègue de Germiny et Alexandre Chassaigne), un sous-préfet (Antoine François Pugliesi-Conti), 2 inspecteurs généraux (des prisons, Jules Lalou, et de l’Université, Charles Marcel Tranchant) ; un ingénieur des Ponts et Chaussées ; un maître des requêtes au Conseil d’Etat15 ; 8 magistrats ; 3 professeurs d’université (Marcelin Berthelot, François Sulpice Beudant, professeur à la Faculté des sciences de Paris, et Victor Léon Brousse, professeur de médecine à Montpellier) ; et 2 maréchaux de camp.
43La part des hauts fonctionnaires est plus importante parmi les pères que parmi les fils : parmi les conseillers municipaux, 7 seulement appartenaient à cette catégorie16. Cela est imputable à la conjoncture politique de l’époque. Dans les années 1870-1880, une grande méfiance régnait à l’égard des hauts fonctionnaires et surtout des magistrats, considérés souvent comme hostiles aux institutions républicaines. Dans ces conditions, il était difficile pour eux de briguer un mandat quelconque, surtout dans une ville républicaine comme Paris. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre traitant des activités professionnelles des conseillers (chapitre VI).
44Les élus fils de hauts fonctionnaires étaient, sans être liés à une tendance politique particulière, plutôt favorables à l’ordre qu’au mouvement. Leur nombre est en décroissance avec le temps : 7,5 % en 1871-1881, 4 % en 1881-1900, et 3,4 % après 1900.
45Ces édiles fils de grands commis de l’Etat étaient pour la plupart en position sociale non moins élevée que leurs pères. Parmi eux, 12 avaient choisi une profession libérale (dont 7 avocats et 2 médecins), 3 la haute fonction publique (un magistrat et deux professeurs), 3 étaient « cadres » (parmi lesquels un ingénieur civil17, un inspecteur aux Messageries maritimes et un professeur de lycée), 2 étaient commerçants-industriels, et 2 autres propriétaires. A ce niveau de la hiérarchie sociale, l’ascension n’était plus facile.
46Sans être nécessairement hauts fonctionnaires, les élus fils de grands commis de l’Etat avaient tendance à choisir le même domaine d’activités que leurs pères. Avocats, Eugène Le Bègue de Germiny et Paul Chassaigne-Goyon étaient fils de maîtres des requêtes au Conseil d’État, et Maurice Veran, Guillaume Maillard et Georges Daguilhon-Pujol, fils de magistrats. Henri Allain-Targé, fils d’un procureur général, avait été, avant de se lancer dans le journalisme, substitut du procureur impérial d’Angers. André Berthelot et Charles Beudant, fils d’universitaires, ont suivi les pas de leurs pères, tout comme Paul Brousse qui, né d’un professeur de médecine à Montpellier, a lui aussi choisi la médecine. Au total 15 élus fils de hauts fonctionnaires ont marché dans les sillons de leurs pères en choisissant leur profession dans le même domaine.
47Numériquement, les élus issus de milieux des « bourgeoisies intellectuelles » (membres des professions libérales, cadres ou hauts fonctionnaires) constituaient le noyau dur de l’assemblée municipale de la capitale. Le bagage intellectuel était un héritage parfois infiniment plus précieux que les simples chiffres du montant des biens transmis.
3. Bourgeoisies économiques et fractions possédantes
48Un certain nombre de conseillers étaient originaires de milieux où le capital économique occupait une place centrale. Parmi les pères de nos édiles, 86 étaient commerçants-industriels, et 34 propriétaires. La frontière avec d’autres groupes est parfois floue, notamment celle qui sépare les « commerçants-industriels » des « boutiquiers ». Le mot « marchand » peut désigner un gros ou un petit commerçant. Nous avons considéré comme négociants tous ceux qui se déclaraient comme tels, auxquels ont été assimilés les commerçants en gros. La question est bien plus difficile pour les fabricants et les industriels : comment peut-on distinguer les industriels des artisans à partir des indications figurant sur les actes d’état civil ? Dans certains cas, le montant des biens que le conseiller a hérités de son père a servi de critère. Pour les propriétaires, il est presque sûr qu’ils étaient inactifs. Mais au XIXe siècle, le mot désignait moins une profession qu’un état : un ancien boutiquier pouvait se déclarer propriétaire, tout comme un possesseur de nombreuses propriétés foncières.
49Parmi nos élus, 86 étaient fils de commerçants-industriels, soit un cinquième de l’ensemble. La part de cette catégorie socioprofessionnelle est moins importante parmi les parents que parmi les enfants : 123 de nos conseillers y appartenaient.
50Sur ces 86 pères commerçants-industriels, nous trouvons 25 fabricants ou industriels, 48 négociants ou commerçants en gros, 11 individus pour lesquels la branche d’activités exacte n’est pas connue, et 2 banquiers. Ces distinctions ne sont pas très importantes, car nombre d’entreprises de l’époque, peu spécialisées, effectuaient à la fois la fabrication et la vente.
51Sur le plan politique, les élus issus de milieux de bourgeoisies économiques se trouvaient tant à gauche qu’à droite, mais ils étaient surtout nombreux au centre droit (32 % des élus), et presque absents à l’extrême gauche (un seul cas). Au cours de la période étudiée, leur proportion s’est amenuisée. De 29 % parmi les élus de la période 1871-1881, elle tombe à 17 % en 1881-1900, et à 12 % en 1900-1914. Cette régression de la profession économique est constatée également parmi les conseillers eux-mêmes : 36 % des conseillers élus entre 1871 et 1881 appartenaient à cette catégorie, alors que c’était le cas de moins de 20 % après 1900. Cette tendance provient de deux facteurs : la démocratisation relative de l’assemblée municipale suite au retour sur scène des socialistes ; la politisation des élections municipales, qui a favorisé l’entrée au Conseil municipal de journalistes et d’avocats, spécialistes de la parole et de la plume, au détriment de négociants et d’industriels, plutôt notables de quartier.
52Certains conseillers appartenaient à une « dynastie » du négoce ou de l’industrie. La famille d’Ernest Gouin est une des plus illustres (graphique IV-1). Henry-François Gouin (1686-1748) a fondé une banque en 1714 qui a porté son nom. Son petit-fils, Henry-Jacques-Marie (1758-1823), fut vice-président de la Chambre de commerce de Paris, et député d’Indre-et-Loire sous la Restauration. Son neveu, Alexandre Gouin (1792-1872), tout en assurant la direction de la banque de sa famille, a acquis une grande notoriété dans la politique : député depuis 1831, il a occupé le portefeuille de l’Economie sous Thiers en 1840, et n’a pas cessé de recevoir un mandat politique au cours de la Seconde République et du Second Empire : représentant à la Constituante, député au Corps législatif de 1852 à 1867, et sénateur de 1867 à 1870. La sœur d’Alexandre, Alexandrine, a épousé le fils d’Henry-Jacques-Marie, son cousin, et de cette union est né Ernest-Alexandre (1815-1885), un de nos édiles. Polytechnicien spécialisé dans la construction des chemins de fer et des locomotives, il a fondé en 1846, aux Batignolles, des établissements pour la construction de machines, qui prendra le nom de Société de construction des Batignolles. Peu intéressé par la politique, il n’a pas brigué de mandat parlementaire. Il a laissé à sa mort une fortune colossale, d’un montant de près de 10 millions de francs.
53Le cas d’Ernest Gouin est sans doute exceptionnel, mais il y avait d’autres conseillers issus de familles d’industriels ou de négociants. François Froment-Meurice est né dans une famille d’orfèvres remontant au XVIIIe siècle, qui dut sa renommée à François Désiré (1802-1855), argentier de la ville de Paris et grand-père de François. Paul Christofle appartenait à la célèbre maison d’orfèvrerie du même nom, dont le fondateur, Charles-Henri (1805-1863) était son père. Gustave Germer-Baillière était issu de l’une des branches de la dynastie de libraires, les Baillière.
54Parmi les conseillers fils d’industriels ou de négociants, la moitié sont restés dans le même secteur d’activités (44 sur 86). Par ailleurs. 31 ont choisi une profession libérale – dont 16 journalistes ou écrivains. 10 avocats et 4 médecins -, 4 étaient ingénieurs et un juge de paix.
55Les « propriétaires » sont assez nombreux parmi les pères, alors qu’ils le sont beaucoup moins parmi les conseillers. Cela provient de notre classification (voir annexe). Pour un grand nombre de pères qui se déclaraient « propriétaires » dans l’acte de naissance de leurs fils, nous n’avons pas de moyen de vérifier s’ils vivaient véritablement des rapports de leurs propriétés ou valeurs. Si le père de Severiano de Heredia, gérant de plantations de cannes à sucre à Haïti, était un véritable propriétaire, le père de Charles Guillard, soi-disant propriétaire, était dans une situation telle que son fils, collégien, a été obligé de donner des répétitions pour vivre.
56Cette diversité des situations des propriétaires explique le fait qu’ils ne soient pas liés à un courant politique précis – bien qu’ils soient peu nombreux à l’extrême gauche.
57En revanche, les conseillers fils de propriétaires étaient très souvent membres de professions libérales : 24 sur 34, parmi lesquels 9 publicistes ou hommes de lettres, 11 avocats et 2 médecins.
58Les origines sociales des conseillers municipaux de Paris étaient relativement modestes. Environ trois conseillers sur dix étaient fils d’agriculteurs, de travailleurs manuels ou de boutiquiers. Si les trois quarts des conseillers étaient soit membres de professions libérales, soit commerçants-industriels, c’était le cas d’un tiers des pères. Nombre d’élus avaient donc réalisé une ascension sociale. Son degré diffère selon les courants politiques : si les élus socialistes (courant de l’extrême gauche), d’origines généralement modestes, étaient souvent eux-mêmes ouvriers, leurs collègues républicains et radicaux (gauche et centre gauche) avaient souvent amélioré leur situation sociale d’origine. À droite, de nombreux conseillers étaient nés dans un milieu aisé, et y sont restés.
59L’origine sociale déterminait plus ou moins l’orientation et l’affiliation politiques. Le tableau suivant regroupe les catégories socioprofessionnelles en trois grands groupes, en sorte que les principaux clivages soient mis en relief.
60Les principaux clivages passent entre centre droit et centre gauche d’une part, et entre gauche et extrême gauche d’autre part. De l’extrême droite au centre droit, la plupart des conseillers étaient issus de milieux bourgeois, économiques ou intellectuels : moins d’un conseiller sur cinq étaient d’origine plus ou moins populaires (fils d’agriculteurs, de travailleurs manuels, de boutiquiers ou d’employés). Dans les courants de la gauche et du centre gauche, la part des milieux populaires est nettement plus importante, dépassant les 40 %. Les bourgeoisies intellectuelles et économiques occupaient les unes et les autres environ 30 %. Mais l’origine des élus de la gauche était plus modeste que celle des élus du centre gauche : parmi les premiers. 23 % étaient fils de travailleurs manuels, contre 19 % parmi les seconds. A l’extrême gauche, plus des trois quarts des conseillers étaient issus de milieux populaires.
4. Diversité des extractions
61La capitale attirait, par son extrême diversité sociale et politique, des gens venus d’horizons tout à fait différents. Elle comprenait en son sein des quartiers aussi différents que le Faubourg-Saint-Germain et Belleville, le quartier du Sentier et le Faubourg-Saint-Antoine. Ainsi, sur les bancs de l’assemblée municipale de Paris, se côtoyaient un fils de manœuvre et un marquis, un opulent industriel et un postier.
62D’après les actes de naissance, 17 conseillers étaient nés de parents non mariés, soit un peu moins de 4 %. La plupart d’entre eux avaient eu la chance de voir le couple parental se régulariser. Mais 4 n’ont jamais connu leur père, et portaient le nom patronyme de leur mère sous lequel ils ont acquis leur notoriété. D’ailleurs, ces enfants « bâtards » étaient souvent nés d’un couple dont le mari était en situation sociale estimée comme assez honorable ; ils étaient fils d’avocats (3 cas), de négociants (2), d’officier (1), de médecin (1) ou de peintre (1)18. La majeure partie de ces conseillers nés hors mariage ont épousé le républicanisme, souvent radical : sur ces 17 conseillers, 6 appartiennent à la gauche, 5 au centre gauche et 2 à l’extrême gauche, contre 2 au centre droit, un à la droite et un autre à l’extrême droite. Quatre ont été parlementaires, dont un président de la République (Millerand).
63A l’opposé, se trouvaient des individus dont la naissance avait une signification particulière : fils appartenant à une famille noble.
64Au XIXe siècle, rien ne différenciait les familles nobles du reste de la population sur le plan juridique. Mais la noblesse est restée une réalité sociale tout au long du XIXe siècle. Une réalité de plus en plus diversifiée : se déclaraient nobles les descendants de nobles d’Ancien Régime, comme les nouvelles recrues, et les uns et les autres n’avaient pas les mêmes idées quant aux rôles à jouer dans la société. Sur le plan politique, la noblesse, liée souvent au royalisme, a perdu son influence au cours d’une Troisième République qui, en arrêtant de conférer des titres nobiliaires, a définitivement abandonné – théoriquement au moins – la discrimination selon la naissance au profit du mérite. Les fils de certaines familles nobles n’affichaient plus leur extraction nobiliaire, soit par conviction politique, soit par crainte de heurter les opinions de plus en plus républicaines. D’autre part, la générosité en matière d’anoblissement montrée par les régimes qui se sont succédé depuis Napoléon Ier, a rendu l’usurpation des titres fréquente.
65Ainsi, la noblesse, au XIXe siècle, était encore plus diversifiée que par le passé. Nous pouvons distinguer plusieurs degrés d’appartenance nobiliaire : nobles titrés, quelle que soit leur ancienneté ; personnes dont un ou plusieurs membres de la famille ont été anoblis et qui reconnaissent eux-mêmes ce fait : membres d’une famille anoblie à un moment donné ou alliée à une lignée nobiliaire, mais qui n’affichent plus ce fait.
66Dans la vie politique française du XIXe siècle, les nobles étaient loin d’avoir perdu leur influence. La part des nobles dans la Chambre des députés atteignait la moitié en 1827 et le tiers sous le règne de Louis-Philippe, avant de tomber à 15 % en 1848 ; elle a ensuite remonté, en dépassant le tiers en 1869 et en 187119. La position des nobles était également importante dans les conseils généraux : 17 % des conseillers étaient nobles en 1840, 22 % en 1848 et 28 % en 187020. Mais l’influence de la noblesse s’est estompée après la période de l’Ordre moral. Sa présence massive dans l’Assemblée nationale de 1871 s’explique plutôt par les conditions tout à fait exceptionnelles dans lesquelles se trouvait le pays et s’est déroulée la campagne électorale, que par une préférence volontaire des électeurs accordée à la noblesse. À la veille de la Grande Guerre, la noblesse fournissait seulement moins d’un dixième des députés (9,4 % en 1910).
67Pour les nobles, la capitale était un lieu hautement symbolique. Pour nombre d’entre eux, surtout pour ceux qui appartenaient à la vieille aristocratie de l’Ancien Régime, il était bon ton d’assurer leur présence dans la capitale en gardant un hôtel particulier au Faubourg-Saint-Germain ou au Faubourg-Saint-Honoré. Ainsi, la présence de nobles dans la vie politique parisienne ne reflète pas exactement leur poids économique et social dans la ville.
68Parmi nos conseillers municipaux, 5 affichaient un titre nobiliaire dans leur nom, soit environ 1 %. Le suffrage universel était pour les nobles titrés une épreuve très rude. Avant 1870, on en comptait beaucoup plus : d’après les notices existantes des conseillers municipaux21, il y avait, parmi les 298 conseillers de 1800 à 1870, 54 nobles titrés, quelles que soient l’ancienneté et l’authenticité du titre, soit un taux de 18 %22. La régression de l’influence de la noblesse après 1871 est donc flagrante. Elle est probablement due à l’introduction du suffrage universel. Déjà, le suffrage censitaire en vigueur de 1834 à 1848 avait été fort défavorable à la noblesse, car seuls 3 des édiles ainsi élus étaient des nobles23.
69Les 5 conseillers nobles titrés de la Troisième République représentaient tout naturellement des quartiers riches et bourgeois de la capitale : Fortuné, marquis d’Andigné, élu du quartier de la Muette (XVIe) de 1904 à 1935 ; François Harouard de Suarez, comte d’Aulan, représentant du quartier de Chaillot (XVIe) de 1904 à 1910 après avoir été député de la Drôme (1898-1902) ; Henri-François-Joseph Boudet, comte de Puymaigre, conseiller des Invalides (VIIe) de 1912 à 1940 ; Omer Despatys, baron de Courteille, élu du Ier arrondissement (Place Vendôme) de 1881 à 1904 ; et Eugène Le Bègue, comte de Germiny, conseiller du quartier de Saint-Thomas-d’Aquin (VIIe) de 1874 à 1878. Politiquement, ils étaient tous conservateurs. D’Andigné a été vice-président des Jeunesses patriotes et membre de la Fédération républicaine. D’Aulan a été président de la Ligue plébiscitaire de la Drôme, et membre du conseil directeur du comité central de l’Appel au peuple.
70Trois d’entre eux étaient issus de familles qui appartenaient à l’ancienne noblesse.
71La famille d’Andigné était de la noblesse chevaleresque d’Anjou24, pouvant remonter, dit-on, au XIIe siècle. Les ancêtres de Fortuné avaient été maintenus dans leur noblesse en 1667. Son grand-père, Louis-Marie-Antoine-Auguste-Fortuné, comte d’Andigné (1765-1857), fut général et pair de France héréditaire depuis 1815, et son père, Henri-Marie-Léon, marquis d’Andigné (1821-1895), militaire, légitimiste, fut élu conseiller général et sénateur de Maine-et-Loire sous la Troisième République. Son grand-père maternel était aussi un noble : Etienne-Léon de Robin, marquis de Barbentane.
72La famille d’Aulan était d’origine mi-espagnole, mi-française. Denis-François-Marie, conseiller du Roi, épousa une héritière de la maison de Suarez, d’extraction chevaleresque espagnole, qui avait acquis au XVIIe siècle le marquisat d’Aulan, ancien fief royal du comtat venaissin. Leur fils, Etienne (1804-1878), reçut l’héritage et releva le titre de marquis d’Aulan par une ordonnance royale de 1814. Son fils, Marie-Jean-Arthur (1833-1915), père de notre conseiller François d’Aulan, a cumulé les mandats de maire d’Aulan, de conseiller général et de député de la Drôme sous la Troisième République.
73Quant aux Boudet de Puymaigre, ils étaient d’origine bourbonnaise, fixés en Lorraine depuis le xviiie siècle. Pierre Boudet, sieur du Mas, maintenu dans sa noblesse en 1667, a épousé Charlotte de Bize, héritière de la seigneurie de Puymaigre, près de Boussac. Le grand-père de notre conseiller, Jacques-François-Alexandre (1778-1843), a fait une carrière préfectorale, et a été créé comte héréditaire en 1822.
74Les deux autres conseillers nobles étaient, semble-t-il, de noblesse plus récente. Un des ancêtres d’Eugène Le Bègue, comte de Germiny (en Meurthe-et-Moselle) aurait obtenu des lettres de noblesse à la fin du XVIe siècle25. Il y aurait eu dans sa famille un conseiller au Parlement de Rouen. Mais c’est seulement à partir du père d’Eugène, Charles-Gabriel Le Bègue, comte de Germiny (1799-1871), que des membres de cette famille ont commencé à afficher un titre nobiliaire. En revanche, cette famille compte de nombreuses célébrités. Charles-Gabriel fut préfet de Seine-et-Marne, conseiller d’État, sénateur sous Napoléon III et ministre des Finances de janvier à avril 1851. Son père, Henri-Charles (1778-1843), avait été lui aussi préfet, député (1815-) et pair de France (1819). Le neveu de celui-ci, Marie-Henri-Gabriel (1811- ?), était également député à la fin du Second Empire26. Par ailleurs, Eugène Le Bègue de Germiny était lié, par sa mère, à la famille alsacienne des Humann, dont notamment Georges Humann (1780-1842), grand-père de notre conseiller, député et ministre des Finances sous Guizot (voir graphique IV-2).
75Omer Despatys de Courteille était issu d’une famille appartenant à la haute bourgeoisie de Clamecy. Son grand-père, Pierre-Etienne (1753-1841), fut avocat au Parlement de Paris, et créé baron en 1811. Omer et son père Octave ont demandé en 1875 l’autorisation de joindre à leur nom celui de de Courteille.
76À côté de ces conseillers nobles qui affichaient leur qualité, il y en avait d’autres qui, à des degrés divers, descendaient d’une famille anoblie ou d’un noble, sans revendiquer cette filiation. Nous en avons compté une douzaine.
77Cinq d’entre eux semblent avoir des ascendants anoblis avant la Révolution française. Les frères Jehan et Jacques de Bouteiller – le second a succédé au premier au Conseil municipal au siège de Chaillot (XVIe) – étaient issus d’une famille nantaise qui avait prospéré dans le négoce au XVIIIe siècle. Un des membres de cette famille avait exercé la charge anoblissante de secrétaire du Roi, maison et couronne de France, et un Henri de Bouteiller, comte de Maupertuis, officier de la marine royale sous Louis XIV, se comptait parmi les ascendants au cinquième degré des deux conseillers frères (voir graphique IV-3)27 . Jean-Marie-Antoine de Lanessan, conseiller municipal de la Monnaie (VIe) et ministre de la Marine dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau, descendait d’une ancienne famille girondine, dont Jean, apparenté au quatrième degré de notre conseiller municipal, fut anobli en 1725 par une charge de trésorier de France. Son fils Thomas-Jean (1726-?), arrière-grand-père du ministre de la Marine, était probablement le dernier à se réclamer de l’appartenance nobiliaire.
78Eugène La Goublaye de Ménorval était neveu de François, comte de Ménorval, lui-même petit-fils de François de La Goublaye, chevalier, seigneur de Bellenoë (1716-1791), maintenu dans sa noblesse en 1770. Mais ni Eugène ni son père Eugène-Jean-Laurent ne portaient de titre nobiliaire28.
79Denys Cochin, conseiller des Invalides (VIIe) de 1881 à 1894, était né dans une illustre famille parisienne qui avait donné son nom à l’hôpital fondé par un de ses membres Jean-Denys, curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Un membre, Cyr-Claude-Denis, fut anobli en 1748 par l’échevinage de Paris qu’il exerçait. Jacques-Denys (1757-1837), arrière-grand-père du conseiller, auquel Louis XVIII a promis le titre héréditaire de baron, ne l’a pas reçu, pour avoir négligé d’instituer son majorat (voir graphique 1V-5).
80Un conseiller était de la noblesse dite récente : il s’agit de Jacques-Nestor-Lucius de Songeon, fils de Jean-Marie (1771-1834), général de brigade de la Grande Armée et chevalier de l’Empire29.
81Parmi ces 6 conseillers municipaux, 4 appartiennent à la gauche selon notre classement politique (les frères de Bouteiller. Songeon et Lanessan), un au centre gauche (La Goublaye de Ménorval), et un à la droite (Cochin). Ils avaient abandonné leur titre nobiliaire soit par conviction politique personnelle, soit selon une tradition familiale. Guillaume Bouteiller30, arrière-grand-père de Jehan et de Jacques, était un révolutionnaire à Nantes, qui avait participé, avec son fils Charles François, à la défense de sa ville contre l’armée vendéenne en 1793. Songeon était un quarante-huitard, exilé au coup d’Etat de décembre 1851 ; il a été élu à l’Hôtel de ville dans le populaire XVIIIe arrondissement. Lanessan montrait sa sympathie pour les communards en organisant et en participant à des manifestations en leur faveur. La Goublaye de Ménorval était un enseignant exclu de l’Université pour avoir arraché, à Dreux, les affiches qui annonçaient le Coup d’État du 2 décembre ; il a ensuite ouvert une institution libre, et a été vice-président de l’Association polytechnique.
82D’autres conseillers municipaux seraient apparentés à des nobles. Yves Guyot, avait un grand-père maternel qui était entré « par mariage dans une famille noble du pays les Des Noelles des Mittries »31. Charles Hérisson, ministre du Commerce (1883-1884), avait un grand-père paternel bailli de Saint-Fargeau (Yonne). Louis Bréton était le neveu d’Antoine-François dit Hutteau d’Origny, anobli en 1815. Deux conseillers auraient appartenu à une noblesse étrangère : Ernest Deligny, nommé en avril 1878 comte d’Alosno par le roi d’Espagne, en récompense de ses activités industrielles minières dans ce pays32 ; Anatole Bartholoni, député au Corps législatif de 1860 à 1869, issu, semble-t-il, d’une famille noble de Florence, installée à Genève à la fin du XVIe siècle.
83Ainsi, les nobles au Conseil municipal de Paris ne constituaient une force ni numériquement importante ni politiquement et socialement cohérente. Certains représentaient des quartiers fort bourgeois et nobles comme ceux des Invalides (Cochin, Puymaigre), de Saint-Thomas d’Aquin (Bartholoni, Le Bègue de Germiny), ou de Chaillot (de Bouteiller, d’Aulan). D’autres étaient élus dans des quartiers populaires (Songeon dans le XVIIIe, ou Guyot à Saint-Avoye, IIIe). Les élus nobles titrés n’ont pas joué un rôle de premier plan à l’assemblée municipale : aucun n’a été président ni vice-président de l’assemblée, et aucun n’a été en position de chef dans un groupe politique. Le Paris de la Troisième République offrait aux nobles des occasions de s’illustrer, mais ce sur la scène mondaine et non pas sur la scène politique.
5. Héritage politique : mandats transmis, passion héritée
84L’origine sociale, considérée sous l’unique angle socioprofessionnel, est certes un facteur important dans la destinée d’un individu, mais elle n’est pas toujours décisive. Tous nos édiles s’étaient intéressés d’une manière quelconque à la politique ou à l’administration, mais ce n’était pas en fonction des conditions sociales de leur famille. La passion pour la vie publique peut se transmettre au sein d’une famille, de diverses façons et sous diverses formes. Si Henri-Joseph Ranvier est entré dans le socialisme, c’est sous l’influence de son père, Gabriel. Celui-ci était membre de l’Internationale et du Comité du Salut public lors de la Commune. Henri-Joseph, qui n’avait alors que 14 ans, avait été arrêté et incarcéré au terme de la Semaine sanglante. A la sortie de la prison, il partit rejoindre son père, réfugié à Londres.
85Mesurer l’influence familiale est une tâche difficile. Concernant nos élus, il existe peu de travaux biographiques et de mémoires, sources de première importance en la matière. Toutefois, les mandats électifs exercés par les membres de la famille peuvent donner une idée sur l’environnement familial dans lequel le conseiller a été élevé.
86Des 452 conseillers municipaux de Paris élus entre 1871 et 1914, 63 avaient au moins un ascendant33 ayant exercé un mandat, de celui de conseiller municipal jusqu’à celui de parlementaire.
87Du point de vue politique, c’est le courant de la droite qui compte le plus de fils d’édiles ou d’hommes politiques : plus du tiers des élus de la droite avaient un ascendant ayant exercé un mandat. Or, ce courant est représenté essentiellement par des conservateurs qui ne se réclamaient pas de la République34. Nous pouvons assimiler à ce courant celui de l’extrême droite d’avant 1900, composé principalement de monarchistes. Ces élus hostiles au régime républicain étaient souvent issus d’une famille ayant une tradition d’exercice politique : dans la proportion d’un cinquième à plus de la moitié des cas. En revanche, les conseillers nationalistes présentent des traits tout à fait différents : la plupart d’entre eux n’avaient pas eu ce privilège d’être élevés dans un environnement propice à la vie politique. Quant au socialisme, il n’accordait pas plus d’importance aux éléments familiaux de ses candidats. Sur les 52 élus socialistes qui sont classés à l’extrême gauche, un seul avait un parent mandataire : il s’agit de Le Grandais, socialiste indépendant, fils de Pierre-Marie-François, maire de Brest de 1847 à 1848.
88Au cours de la période étudiée, les conseillers nés dans une famille d’hommes politiques ou d’édiles ont été de moins en moins nombreux : la part de ces élus passe de 15,5 % en 1871-1881 à 14 % en 1881-1900, et à 10,9 % en 1900-1914. La diminution est lente mais constante. Au Conseil municipal élu en juillet 1871, 11 élus avaient un ascendant mandataire, et c’est le chiffre le plus élevé de toute notre période. Dans les circonstances exceptionnelles d’après la Commune, où l’ordre et la paix sociale étaient les thèmes principaux de la campagne électorale, les électeurs se sont tournés vers des valeurs sûres, candidats appartenant à des familles déjà connues en politique. Ensuite, l’intensification des luttes politiques a déplacé progressivement les critères de choix vers les capacités et les compétences du candidat lui-même.
89Les familles de ces 63 édiles apparentés à un mandataire appartenaient souvent à un milieu professionnel où les capacités intellectuelles et techniques primaient. Nous avons classé la profession du père de ces conseillers par catégories socioprofessionnelles, bien que ce ne soit pas toujours le père qui ait exercé le mandat. Nous trouvons 19 membres de professions libérales, 9 hauts fonctionnaires et 7 cadres ; ces trois catégories occupent 57 %, alors que dans l’ensemble de notre corpus elles ne représentent que 33 %. Cette tendance s’accentue encore à la génération des fils. Parmi les 63 conseillers en question, 40 étaient membres de professions libérales (dont 15 avocats, 13 publicistes et 7 médecins), 2 étaient hauts fonctionnaires, et 2 autres cadres. L’intérêt pour la politique partagé en famille se traduisait souvent par un choix professionnel très net, celui d’une profession qui permet de valoriser au maximum le don pour la politique.
90Dans les deux tiers des cas (43 sur 63), c’est le père qui exerçait le mandat, et dans les autres, c’était un des oncles ou des grands-pères. Comme nous l’avons vu, le taux des conseillers issus d’une famille d’hommes politiques est plus élevé à droite qu’à gauche, mais cette tendance se retrouve accentuée si nous nous limitons aux élus dont le père avait reçu un mandat : la part de ces élus est de 36 % à droite, et 10 % à gauche35. Nous pouvons dire que la transmission de la passion pour la vie publique était plus fréquente et plus directe à droite, notamment parmi les conservateurs hostiles à la République.
91Or, les mandats exercés par les ascendants de nos conseillers sont variés. Certains avaient simplement assuré l’administration d’un petit village : Sébastien Braleret était le fils d’un cultivateur, lequel fut maire de Velorcey, petite commune de la Haute-Saône, pendant 18 ans. Le père de Brenot était, en 1850, propriétaire et maire de la commune de Saint-Germain-de-Modéon, dans la Côte-d’Or. D’autres avaient joué un rôle important sur la scène politique nationale, ou même gouverné la France, comme le père d’Amédée Dufaure, Jules, plusieurs fois chef du gouvernement dans la première décennie de la Troisième République.
92Sur les 63 conseillers municipaux retenus ici, 24 avaient au moins un parent ascendant parlementaire36. Autrement dit, près d’un conseiller sur vingt était issu d’une famille d’hommes politiques (au sens étroit du terme). Parmi eux, 5 étaient apparentés à un ministre, et 11 à un pair ou sénateur37.
93Ces 24 élus étaient, encore une fois, plutôt de droite que de gauche : 8 sont classés à la droite (24 % des élus de ce courant), 4 à l’extrême droite (9 %), tandis que 5 à la gauche (4 %), 5 au centre gauche (3,6 %), 2 au centre droit (3,4 %), et aucun à l’extrême gauche. Chronologiquement. 11 d’entre eux ont été élus entre 1871 et 1881 (6,3 % des élus de cette période), 9 entre 1881 et 1900 (4,8 %), et 4 après 1914 (4,3 %).
94Parmi les 5 conseillers issus de familles comptant un ministre dans son sein, 4 étaient les propres fils de ces ministres. Il s’agit d’Amédée Dufaure, d’Eugène Le Bègue de Germiny, de Maurice Bixio et d’André Berthelot. Dufaure était fils de Jules, président du Conseil à l’époque fondatrice de la Troisième République, et petit-fils par sa mère de Pierre Jaubert, célèbre orientaliste et pair de France depuis 1830. Eugène Le Bègue de Germiny était fils de Charles-Gabriel (1799-1871), préfet puis receveur général des Finances, nommé ministre des Finances en janvier 1851 et sénateur sous le Second Empire. Le père de Maurice Bixio était Jacques-Alexandre, rédacteur du National, représentant du Doubs à l’Assemblée constituante, et ministre de l’Agriculture et du Commerce durant une courte période du 20 au 29 décembre 1848. André Berthelot était fils du célèbre chimiste et professeur au Collège de France Marcelin Berthelot, sénateur inamovible, qui s’est vu confier le portefeuille de l’Instruction publique et des Beaux-Arts par René Goblet (1886-1887) et celui des Affaires étrangères par Bourgeois (1895-1896). Ernest Gouin était neveu d’Alexandre-Henri Gouin (1792-1872), parlementaire presque sans interruption de 1831 à 1870, et ministre de l’Économie sous Thiers en 1840.
95Sept autres conseillers descendaient d’un sénateur. Maurice Quentin-Bauchart était petit-fils d’Alexandre (1809-1887), représentant de l’Aisne en 1848, conseiller d’État et sénateur sous le règne de Napoléon III (voir graphique IV-4). Les frères Jehan et Jacques de Bouteiller étaient arrière-petits-fils par leur grand-mère paternelle de Louis Drouin, nommé sénateur en l’an VIII (voir graphique IV-3). Le père et le grand-père de d’Andigné étaient pairs héréditaires, et le premier a été élu sénateur de Maine-et-Loire en 1876. André Gent avait des liens de parenté avec Alphonse Gent (1813-1894), représentant du Vaucluse en 1848 et de 1871 à 1879, et sénateur en 1882. Floquet, président du Conseil, comptait quatre parlementaires parmi les ascendants du côté maternel : son grand-oncle, le maréchal Harispe, pair de France et sénateur du Second Empire, son grand-père, Thomas Etcheverry, député des Cent-Jours, et deux de ses oncles, Jean-Amédée-Victor Etcheverry et Jean-Baptiste Etcheverry, le premier étant représentant des Basses-Pyrénées en 1848, et le second député gouvernemental pendant le Second Empire (voir graphique IV-6).
96Douze autres conseillers municipaux étaient fils, petits-fils ou neveux d’un député. Henri Allain-Targé était fils de François-Henri (1797-1884), député gouvernemental de Maine-et-Loire en 1837. Le comte d’Aulan était fils de Marie-Jean-Arthur (1833-1915), député bonapartiste de la Drôme sous la Troisième République, et arrière-petit-fils de Jean-Philippe-Gaspard Camet de La Bonardière, député de la Seine. Louis Bréton, gendre du libraire Louis-Christophe Hachette dont il était associé, était fils de Louis-Henry (1776-1855), notaire, conseiller général et député de la Seine sous la Restauration, et petit-neveu de François-Louis Hutteau, député du Tiers aux États généraux. Paul Chassaigne-Goyon, député de la Seine dans l’entre-deux-guerres, était fils d’Alexandre, représentant du Puy-de-Dôme en 1849 et conseiller d’État sous le Second Empire. Le père d’Édouard Degouve-Denuncques, Louis-François-Joseph (1783-1833), était magistrat, conseiller à la Cour de Paris sous Louis-Philippe, et député du Pas-de-Calais de 1827 à 1833.
97Denys Cochin était issu d’une célèbre famille parisienne. Son grand-père Jean-Denis-Marie (1789-1841) et son arrière-grand-père Jacques Denys (1757-1837) avaient été députés, tout comme son grand-père maternel, Denis-Emmanuel Benoist d’Azy. Georges Daguilhon-Pujol appartenait à une famille de magistrats : il était petit-fils d’un député du Tarn, neveu de Pierre Daguilhon-Pujol, député bonapartiste du Tarn de 1869 à 1881, et fils d’un conseiller général du Tarn. Omer Despatys de Courteille était petit-fils de Pierre-Étienne Despatys, député du Tiers aux États généraux, et député également sous la Restauration. Georges Gamard était neveu d’Alexandre-Jean-Louis Bourdon du Rocher, maître des forges, député de la Sarthe de 1827 à 1830. Albert Liouville était fils de l’illustre bâtonnier Félix Liouville, et neveu de Joseph-Adolphe (1806-1882), représentant de la Meurthe à la Constituante et conseiller municipal de Paris en 1848 (voir graphique IV-7). Édouard Lockroy avait deux arrière-grands-pères maternels conventionnels (Pierre-Claude Nioche et Marc-Antoine Jullien, dit Jullien de la Drôme ; voir graphique IV-8). Paul-Joseph Pugliesi-Conti était fils d’Antoine François Pugliesi, conseiller général de la Corse, et petit-fils de Charles-Etienne Conti, représentant de la Corse en 1848 et sénateur du Second Empire.
98Les conseillers apparentés à un parlementaire ou à un élu local avaient probablement pris le goût de la vie politique plus précocement que d’autres, et avaient appris, dans leur famille, la technique, la stratégie et les relations nécessaires pour être mandataire. Mais quelle était l’influence de la famille sur leur orientation politique ? Les enfants étaient-ils fidèles aux idées de leurs parents ? La réponse n’est pas simple. L’époque où le conseiller vivait n’était plus celle de son père ou son grand-père. Les valeurs politiques avaient considérablement changé entre temps. Il est donc téméraire de comparer un conseiller municipal conservateur de la fin du siècle à un député ministériel de la Monarchie de Juillet. De plus, nous ignorons les opinions politiques de maires de petits villages, les recherches minutieuses sur le terrain n’ayant pas été possibles.
99Toutefois, nous pouvons dire au moins, concernant les conseillers apparentés à un parlementaire, que les enfants suivaient en général les traces de leurs ascendants.
100Les conseillers nobles n’ont pas gâché les efforts de leurs ascendants de se maintenir dans cette élite sociale. André Berthelot a hérité de son père Marcelin non seulement le talent de scientifique – André a été maître de conférences d’histoire des religions à l’École pratique des hautes études – mais une foi en la République. Amédée Dufaure, réticent à l’égard de la République, a été au début de sa carrière secrétaire du préfet de la Seine Ferdinand Duval, un orléaniste, avant de devenir chef du cabinet de son père (1876-1878). Les Daguilhon-Pujol étaient bonapartistes par tradition. Nous avons recensé seulement deux cas où le père et le fils avaient des opinions opposées. Henri Allain-Targé, conseiller puis député radical de Paris, avait sans doute du mal à parler de politique avec son père, qui était député ministériel sous la Monarchie de Juillet. Celui-ci a quitté la magistrature en 1848 pour se retirer de toute vie active, alors qu’il n’avait que 51 ans. Charles Floquet n’admirait sans doute pas ses quatre parents parlementaires, puisqu’ils vénéraient soit Napoléon Ier, soit son neveu.
101Il y a des cas où le conseiller a hérité de son père ou d’un autre parent non seulement la passion pour la politique, mais aussi la notoriété locale, et parfois la circonscription électorale elle-même.
102Huit conseillers, soit près de 2 % de l’ensemble, avaient un père membre du Conseil municipal de Paris. Parmi eux, quatre étaient fils d’un membre de l’une des assemblées municipales antérieures à 1870. Le père de Maurice Bixio, Jacques-Alexandre, avait été conseiller municipal de Paris sous la Deuxième République. Louis Bréton était fils de Louis-Henry, député conservateur de la Seine sous la Restauration et membre du Conseil général de la Seine durant la même période. Victor-Auguste Frémyn avait un double héritage : il était fils de Valentin-Étienne. président de la Chambre des notaires et membre du Conseil municipal de Paris de 1851 à 1857, et petit-fils par sa mère de Louis-Auguste Lahure, adjoint de l’ancien IVe arrondissement et conseiller municipal de Paris sous la Monarchie de Juillet (1831-1847).
103Denys Cochin appartenait à une des familles qui ont marqué le plus l’histoire de la capitale (voir graphique IV-5). Les Cochin s’étaient associés à l’administration et à la bienfaisance de la capitale dès l’Ancien Régime. Claude-Denis (1698-1786), botaniste, fut échevin de Paris. Jacques-Denis (1757-1837), arrière-grand-père de notre conseiller Denys Cochin, fut maire de l’ancien XIIe arrondissement et député de la Seine sous Charles X. Son fils, Jean-Denis-Marie (1789-1841), avocat à la Cour de cassation, fut lui aussi nommé maire du XIIe arrondissement, où il fut élu député en 1837, et conseiller municipal en décembre 1830, poste qu’il a conservé jusqu’à sa mort. Son fils, Pierre Suzanne, dit Augustin (1823-1872), père de Denys Cochin, était homme de lettres et philanthrope notoire s’intéressant aux questions des ouvriers et des pauvres. Il a assuré les fonctions d’édile de Paris d’abord en tant qu’adjoint puis maire du Xe arrondissement ancien (1850-1858), ensuite comme conseiller municipal de Paris de 1858 à 1860. Denys Cochin a donc été fidèle à la tradition de sa famille remontant au xviiie siècle.
104Deux autres élus avaient un père membre de l’assemblée municipale d’une commune de la « petite banlieue » annexée à Paris en 1859 : Henry Paymal, marchand de bois à Bercy comme l’avait été son père, Joseph-Martin, conseiller municipal de cette ville de 1855 à 1859 ; Lucien Puteaux, fils de Louis-François, entrepreneur de bâtiments aux Batignolles-Monceaux dont il fut un des conseillers municipaux dans les années 1840-1850.
105Un élu était fils d’un conseiller général de la Seine élu en banlieue : Ferdinand Riant, riche propriétaire dans le quartier de l’Europe (VIIIe), fils de Didier-Nicolas (c. l790-1864), élu à l’Hôtel de ville dans la circonscription de Saint-Denis38 en 1834.
106Les sept conseillers municipaux dont le père avait fait partie d’une assemblée locale dans le département de la Seine avant 1871 (y compris le Conseil municipal de Paris et le Conseil général de la Seine) étaient plutôt de droite39. Ce qui n’est guère étonnant : on se souvient de la docilité, vis-à-vis des autorités supérieures, des conseils municipaux et du Conseil général du département de la Seine d’avant 187040. Du point de vue chronologique, c’est dans les débuts de la Troisième République que ces édiles sont entrés à l’Hôtel de ville : cinq d’entre eux ont été élus au premier scrutin de juillet 1871 (Riant, Bréton, Frémyn, Paymal et Puteaux), un au premier renouvellement ayant eu lieu en novembre 1874 (Bixio), et un en 1881 (Cochin). Ainsi, la succession familiale de mandats parisiens était fort difficile, sauf dans des périodes exceptionnelles comme en 1871.
107Quatre autres conseillers avaient un père membre du Conseil municipal de Paris de la Troisième République. Trois d’entre eux ont succédé à leur père dans la même circonscription : Pierre Quentin-Bauchart, Henri Rouselle et Maurice Binder. Pierre Quentin-Bauchart était fils de Maurice, conseiller municipal du quartier des Champs-Elysées (VIIIe) auquel il a succédé à sa mort. Henri Rouselle était fils d’Ernest, représentant du quartier de la Maison-Blanche (XIIIe), qu’il a remplacé en 1896, après son décès. Maurice Binder a occupé en 1884 le siège de conseiller municipal du Faubourg du Roule (VIIIe) laissé par son père Louis-Germain, bonapartiste, en fonction de 1871 à 1884. Joseph Petitjean, fabricant de papiers peints, conseiller municipal radical-socialiste du XIIe (Bel-Air) de 1909 à 1919, a représenté un quartier voisin de celui où son père Joseph Thomas avait été élu à l’Hôtel de ville en 1890 (Sainte-Marguerite).
108Trois conseillers avaient un oncle également membre du Conseil municipal. Albert Liouville était neveu de Joseph-Adolphe Liouville (1806-1882), professeur au Collège de France, représentant de la Meurthe en 1848 et nommé conseiller municipal de Paris la même année (voir graphique IV-7). Les deux autres étaient neveux d’un conseiller de la Troisième République. Albert Dehaynin, grand industriel et administrateur de plusieurs sociétés – il fut entre autres président des Chemins de fer de l’Est algérien et de la Compagnie des entrepôts et magasins généraux de Paris – a siégé au Conseil municipal de 1871 à 1874, avec son oncle Félix Dehaynin, industriel lui aussi. Gustave-Adolphe Hubbard, conseiller de Montparnasse (XIVe) puis député de Seine-et-Oise, était fils de Nicolas-Gustave (1828-1888), quarante-huitard et proche de Gambetta qu’il a soutenu comme rédacteur de la République française ; Nicolas-Gustave avait un frère, Arthur, autre quarante-huitard, conseiller municipal du XVe (Saint-Lambert) de 1878 à 1881. Par ailleurs, Eugène-Jean-Marie Le Breton a succédé en 1896 à son grand-père maternel Étienne Perrichont, au siège de conseiller municipal d’Auteuil : Perrichont avait renoncé au mandat municipal en faveur de son petit-fils.
109Quelques autres élus avaient un parent mandataire dans la capitale41. Le frère de Désiré-Adolphe Adam, Edmond, fut adjoint au maire de Paris en 1848 et représentant de la Seine de 1871 à 1875 ; il a également influencé le monde politique parisien en tant qu’époux de Juliette Lamber. Émile Beurdeley avait un frère, Paul, maire du VIIIe arrondissement de 1887 à 1905. Le frère d’Ernest Breley, Pierre-Eugène-Emile, fut adjoint et député du IIe. Henri-Joseph Ranvier était le fils d’un maire d’arrondissement pendant la période du siège, tout comme Gabriel Robinet, fils de Jean-François-Eugène, médecin positiviste, maire du VIe en 1870 et membre de la Commune.
110La transmission de mandats, directe ou indirecte, était relativement limitée à l’Hôtel de ville. Seuls les camps conservateurs pratiquaient largement cette coutume. Les autres courants politiques, notamment ceux de gauche, avaient peu de recours à l’influence familiale. Au fur et à mesure que la lutte politique municipale s’intensifiait, et que l’Hôtel de ville prenait l’allure d’un petit théâtre résumant en quelque sorte la vie politique nationale, il y avait de moins en moins de notables traditionnels régnant sur le quartier depuis des décennies, ou parfois même des siècles. A un rythme certes fort lent, capacités et compétence l’emportaient sur le poids de la famille.
111Mais les ascendants ne sont pas les seuls à pouvoir procurer à un individu une assise électorale ou des réseaux humains.
B. Alliance et parenté
112Le mariage représentait pour les hommes politiques de la Troisième République un des moments cruciaux de leur existence, surtout lorsqu’ils étaient d’extraction modeste42. Pour entrer dans le monde politique et y réussir, il fallait épouser la fille d’un homme riche, bien intégré dans la bonne bourgeoisie. Le prétendant compensait son origine modeste et la faiblesse de son capital économique par ses capacités réelles – intellectuelles ou autres. Si le père décidait de miser sur cet homme et sur son avenir, il accordait à sa fille une dot confortable. Le jeune homme y répondait par des réussites, sociales et politiques, en utilisant au maximum l’aide financière et les réseaux de son beau-père.
113Cette partie concernant le mariage des conseillers est l’une des plus délicates à traiter. D’abord, plus que pour les gouvernants ou d’autres élites, les renseignements sur le mariage et l’alliance de nos conseillers sont difficiles à trouver. Dans la plupart des cas, la famille de l’épouse n’est pas assez célèbre pour faire l’objet d’une notice biographique. L’acte de mariage est donc presque le seul document disponible ; encore que le contrat de mariage ou la déclaration de succession donnent parfois des informations complémentaires. Ainsi, pour connaître la famille de l’épouse de l’élu, nous n’avons pas d’autre moyen que d’avoir recours à l’indication professionnelle figurant sur l’acte d’état civil. Cela entraîne d’autres difficultés. À cause de son âge généralement avancé au moment du mariage de sa fille, le beau-père se présente souvent comme propriétaire ou rentier. Pour les conseillers et leurs pères, nous avons assimilé les retraités aux actifs du même secteur d’activités, afin d’éviter de gonfler la catégorie des propriétaires-rentiers, ce qui n’a pas toujours été possible pour les beaux-pères43.
114L’idéal aurait été de consulter systématiquement les actes de mariage – en dépouillant, pour Paris, tous les fichiers alphabétiques44 et toutes les tables décennales des vingt arrondissements – et de se reporter ensuite aux contrats de mariage d’une part, en vue de préciser la situation économique et sociale de la famille de l’épouse et de connaître le montant des apports en mariage, et aux actes de naissance de l’épouse d’autre part, qui auraient permis de distinguer, concernant les beaux-pères, les véritables propriétaires-rentiers des retraités. Il ne nous a pas été possible de réaliser un tel dépouillement, faute de temps.
115Nous sommes partis des déclarations de succession enregistrées à Paris. Dans ces documents figurent, en général, la date et le lieu de mariage en cas de communauté légale, ou la date de l’acte et le nom du notaire si un contrat précède le mariage45. La consultation de registres de déclarations effectuée tant aux Archives de Paris qu’à l’Hôtel des Finances, place Saint-Sulpice, nous a permis de retrouver l’acte ou le contrat de mariage pour un certain nombre d’élus. D’autre part, grâce à la mention marginale sur l’acte de naissance, qui devient obligatoire en 1897 pour le mariage, et à l’autorisation de consultation qui nous a été donnée de la part du procureur de la République du Parquet de Paris, nous avons eu accès à des actes de mariage datant de moins de cent ans et conservés dans les mairies d’arrondissement. Pour les conseillers dont nous connaissions de façon approximative la date et le lieu de mariage, nous avons fait des recherches dans les tables décennales pour consulter l’acte de mariage. Il y avait également quelques cas, assez rares malheureusement, où les dictionnaires biographiques ou les dossiers personnels ont fourni des renseignements sur la famille de l’épouse.
116Après une période de recherches assez longue, nous avons pu connaître la profession du beau-père de 123 conseillers (les cas de remariages exclus), soit environ 27 % de l’ensemble46. Ces 123 cas de mariages ne sont pas exactement représentatifs de l’ensemble de nos conseillers. Les actes établis en province ont été demandés par courrier, et dans la plupart des cas les mairies ou les dépôts d’archives sollicités nous ont envoyé une photocopie ou un extrait du document. Mais les mariages parisiens sont surreprésentés. L’accès aux documents a été plus facile à Paris. De plus, le procédé de nos recherches, qui sont parties des déclarations de succession enregistrées dans la capitale, sous-estime les provinciaux de souche. D’autre part, les conseillers économiquement plus aisés sont surreprésentés, puisque ceux qui sont décédés sans laisser de biens sont pratiquement exclus de l’échantillon, sauf s’ils se sont mariés après 1897, date à laquelle la mention marginale a été introduite.
117Toutes ces réserves nous incitent à interpréter les résultats avec précaution. Mais le nombre des cas connus (plus du quart) est, espérons-nous, suffisant pour tenter de faire quelques analyses sur la stratégie matrimoniale des élus47.
118Nous avons trouvé 14 célibataires (3,1 %). Ils ne sont concentrés ni dans une période, ni dans un secteur socioprofessionnel précis, ni dans un courant politique. Ce chiffre est inférieur au taux de célibat chez les ministres de la Troisième République étudiés par Jean Estèbe, ou à celui dans les élites sélectionnées par Christophe Charle. Il se situe globalement en dessous de la moyenne nationale48. Mais les célibataires peuvent être sous-estimés, parce que nous n’avons pas pu retrouver l’acte de décès pour tous les conseillers municipaux.
119D’autre part, cinq conseillers se sont mariés trois fois, et 47 deux fois. Mais, en principe, nous ne tenons pas compte des remariages. Certains de ceux-ci ont été contractés très tôt, et ont joué un rôle décisif sur le destin politique des intéressés ; d’autres à des âges avancés.
1. Choix du moment, choix du lieu
120Nous connaissons l’âge au mariage de 223 conseillers. Ils se sont mariés en moyenne à 31,8 ans (la médiane est de 29 ans). Ce chiffre est légèrement inférieur à l’âge moyen au mariage des gouvernants de la Troisième République (entre 33 et 34 ans), et identique à celui des parlementaires d’Aquitaine de la même période (31,5 ans)49. Les conseillers municipaux de Paris convolaient donc assez tardivement, et sur ce point ils semblent avoir eu le même comportement matrimonial qu’une partie des hommes politiques de l’époque : retarder leur mariage soit pour pousser davantage leurs études, soit pour acquérir une position assez élevée et confortable dans leur profession. Les élus locaux de Paris avaient-ils choisi la même stratégie ?
121Si nous examinons l’âge au mariage des élus par tranches d’âge de cinq ans, la strate la plus importante est celle de 25-29 ans (70 cas), suivie de celle de 30-34 ans (53) et celle de 20-24 ans (41). Le mariage devient rare après le seuil de 35 ans : 24 mariages entre 35 et 39 ans, et 14 entre 40 et 44 ans. Mais un certain nombre d’individus ont commencé une vie conjugale à des âges fort avancés : 11 conseillers se sont mariés après 50 ans, dont trois à plus de 65 ans. La moyenne relativement élevée de l’âge au premier mariage est due partiellement à quelques mariages tardifs.
122La différence selon les courants politiques est difficile à interpréter. L’écart entre les deux courants extrêmes de ce point de vue est certes grand : les élus de la gauche ont attendu en moyenne 34 ans pour fonder leur famille, alors que leurs collègues de la droite se sont mariés six ans plus tôt, à 28 ans. La même opposition se retrouve entre centre gauche et centre droit (32 ans contre 29 ans). Mais les conseillers de l’extrême droite ont convolé à 33 ans, soit de trois ans plus âgés que les élus socialistes (de l’extrême gauche)50. Nous pouvons certes dire que, grosso modo, les élus de gauche se sont mariés plus tardivement que ceux de droite, mais les facteurs socio-professionnels étaient vraisemblablement plus décisifs que les facteurs d’ordre politique. De même, l’évolution dans le temps ne présente pas de tendance significative : 32,2 ans pour les conseillers élus en 1871-1881, 30,8 ans en 1881-1900, 32,5 ans en 1900-1914.
123Le tableau suivant montre l’âge moyen au mariage par secteurs socioprofessionnels.
124Seuls les secteurs des professions libérales et des commerçants-industriels, et celui des cadres dans une moindre mesure, comprennent des éléments suffisamment nombreux pour que la moyenne et la comparaison soient significatives. Le mariage à des âges relativement jeunes des commerçants et des industriels est probablement lié à des exigences professionnelles : ceux qui avaient débuté comme gérants d’une petite boutique, métier dans lequel l’aide familiale était indispensable, se mariaient en général jeunes ; d’autres, pour réussir mieux dans leurs affaires, cherchaient une alliance qui compléterait et augmenterait leur capital économique. Les membres des professions libérales, en revanche, avaient besoin de pousser leurs études (c’est notamment le cas des médecins). Pour eux, la réussite professionnelle dépendait moins directement du mariage que pour les commerçants ou industriels51. Cette explication semble confirmée par le mariage tardif (à 37,5 ans en moyenne) des conseillers hauts fonctionnaires, malgré le nombre infime des cas connus ; l’avancement lent et la mutation fréquente leur demandaient une durée d’attente plus longue pour réaliser un mariage convenable.
125La tendance au mariage tardif des élus de gauche se retrouve à l’intérieur du même groupe socioprofessionnel. Les membres des professions libérales qui appartenaient aux courants de la droite et du centre droit ont fondé leur famille vers 28 ans, alors que leurs collègues de gauche ont attendu davantage. Il en va de même pour les élus commerçants-industriels, mais dans une moindre mesure. Certes, certains cas extrêmes auraient pu fausser les résultats. Mais la tendance semble générale, quelle que soit la profession considérée.
126L’écart d’âge entre mari et femme peut être un autre critère pour connaître les caractères matrimoniaux d’un groupe. Dans notre enquête, l’âge au mariage de l’épouse est connu dans 152 cas ; la moyenne est de 25,5 ans, et la médiane de 22. Nous avons procédé à un autre calcul, en ne tenant compte que des conseillers dont l’âge au mariage de la femme est connu, en vue d’équilibrer le nombre des maris et celui des épouses à comparer. La différence d’âge ainsi obtenue s’élève en moyenne à 6,7 ans. La différence suivant les tendances politiques est difficile à interpréter : 5,6 ans à l’extrême gauche, 6,7 ans à la gauche, 6,4 ans au centre gauche, 8.1 ans au centre droit, 6,5 ans à la droite et 7 ans à l’extrême droite.
127Les âges au mariage des femmes présentent moins d’écarts que ceux des hommes : 58 se sont mariées entre 21 et 25 ans, 45 à moins de 20 ans et 19 entre 26 et 30 ans (voir le graphique IV-10).
128En général, les conseillers pouvaient se marier âgés, mais leurs épouses étaient choisies parmi des dames jeunes. A., célèbre journaliste ancien communard, avait 74 ans lorsqu’il a épousé, en 1905, une femme de 27 ans. Gustave-Adolphe Leleux, industriel en tissus ayant sous ses ordres plus de 500 ouvriers, s’est marié en 1857, à l’âge de 42 ans, à Marie-Louise-Léonie Laurent, qui n’avait pas encore 20 ans.
129Des travaux prosopographiques ont montré qu’à la fin du xixe siècle, l’écart entre mari et femme augmente à mesure que l’on monte dans l’échelle sociale52. Cette thèse est confirmée dans notre enquête, mais de façon moins nette. Si nous examinons par catégories socioprofessionnelles, la différence d’âge s’établit à 6,7 ans pour le secteur des professions libérales, à 5,9 ans dans les professions économiques (les boutiquiers exclus), alors qu’elle s’élève à 7,4 ans pour les travailleurs manuels. Ce résultat infirme, à première vue, la thèse citée. Or, les travailleurs manuels, qui sont ici au nombre de 11, comprennent quelques cas fort exceptionnels qui ont largement affecté le chiffre : un s’est marié à 69 ans à une femme de 27 ans, et un autre a épousé à 56 ans une dame de 35 ans. Si nous ne considérons que les 7 travailleurs manuels socialistes (appartenant donc au courant de l’extrême gauche), l’écart tombe à 2.2 ans. L’échantillon n’est certes pas établi sur un nombre de cas suffisant, mais la tendance constatée dans quelques travaux prosopographiques s’en trouve confirmée.
130Quant au lieu de mariage, il est connu dans 207 cas. 145 mariages ont été conclus à Paris, 13 dans les communes périphériques de la Seine, 7 dans les deux départements de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne, 36 dans d’autres départements et 6 à l’étranger. A l’époque étudiée, le lieu où le mariage était célébré correspondait en général à l’endroit où la mariée habitait. Le lieu de mariage n’est pas toujours le lieu de naissance de l’épouse, mais peut être considéré comme une indication pour étudier son origine géographique53.
131La prépondérance de la capitale est nette : 70 % des mariages ont été célébrés à Paris, et 80 % en région parisienne, alors que seuls 190 conseillers sur 452 (42 %) étaient nés dans l’un des trois départements de cette région. Cette domination est en partie due à notre mode de recherches, expliqué plus haut, qui surestime les mariages célébrés à Paris. Mais, d’autre part, il est naturel que les futurs conseillers municipaux de Paris aient cherché leur épouse dans la ville54. Parmi les mariages célébrés en province, la majeure partie l’ont été dans des régions relativement proches de la capitale : 4 mariages dans le Loiret, 4 dans le Nord. 3 dans la Marne, 2 dans le Calvados. Alors qu’aucun mariage n’a été enregistré en Bretagne ni dans le Limousin, trois seulement dans la région d’Aquitaine actuelle, et deux en Provence. Les départements d’origine des épouses, supposés à travers les lieux de mariage, se trouvent essentiellement au nord de la ligne Saint-Malo-Genève, ainsi qu’en Bourgogne et en Auvergne (voir le graphique IV-11).
132A l’intérieur de la capitale, certains arrondissements ont été préférés à d’autres. Sur 119 cas connus, 18 ont été célébrés avant 1859 dans l’un des 12 anciens arrondissements, et 101 après 1860, dans le cadre des arrondissements actuels. Nous avons classé dans le tableau suivant les mariages postérieurs à l’agrandissement administratif de Paris55.
133Tous les arrondissements sauf le XXe sont représentés, mais les mairies des VIe et VIIIe étaient relativement sollicitées. Toutefois, il est délicat d’en conclure que les épouses habitaient dans des quartiers relativement riches. En fait, tous les arrondissements comprenaient plus ou moins des quartiers ou des rues bourgeois. A l’époque, la ségrégation sociale de Paris n’avait pas encore pris la forme et l’intensité qu’elle a aujourd’hui.
2. Mariage et ascension sociale
134La profession du beau-père représente mieux que d’autres facteurs le caractère sociologique du mariage. Elle est connue dans 123 cas, soit un peu moins de 30 % des conseillers mariés. Notre échantillon est donc relativement faible. A cela s’ajoute le caractère des sources utilisées ici : la profession mentionnée dans l’acte ou le contrat de mariage représente celle d’un homme d’un âge avancé, ce qui gonfle la catégorie des propriétaires. De plus, notre procédé de recherches ne permettait guère de retrouver les documents matrimoniaux concernant les individus qui vivaient dans la pauvreté. Ainsi, l’ascension sociale grâce au mariage risque d’être légèrement surestimée.
135Comme nous pouvions nous y attendre, les documents sont plus abondants à droite qu’à gauche : la profession du beau-père est connue pour seulement 14 % des conseillers de l’extrême gauche, et 18 % de leurs collègues de la gauche, alors que le taux de réponses s’approche de la moitié pour les élus du centre droit et de la droite.
136La catégorie socioprofessionnelle la plus importante est celle des commerçants-industriels (31 beaux-pères), suivie de celles des propriétaires (30), des professions libérales (23), et des cadres et des travailleurs manuels (12 chacune). Les deux catégories des commerçants-industriels et des professions libérales fournissent à elles seules 43,9 %, alors qu’elles ne représentent que 35 % des professions des pères des conseillers. La différence subsiste même si l’on y inclut les hauts fonctionnaires et les cadres : 58,6 % parmi les beaux-pères, et 53,7 % parmi les pères. Bien des conseillers municipaux ont épousé une femme issue d’un milieu social supérieur au leur. Certains possédaient, malgré leurs origines modestes, un bagage intellectuel ou un capital économique suffisant pour épouser une fille appartenant à un milieu social aisé (bourgeoisie économique, professions libérales). Le mariage constituait un moyen d’ascension sociale, sans être le seul.
137Ce sont les conseillers de droite (centre droit, droite, extrême droite) qui ont fait le plus souvent un « beau mariage ». Moins d’un conseiller sur dix (4 sur 54) a épousé une femme issue d’un milieu populaire : parmi les épouses des 54 élus de droite faisant partie de l’échantillon, nous trouvons une fille de boutiquier, une fille d’employé, et deux filles de travailleurs manuels. En revanche, 14 ont épousé une fille de négociant ou d’industriel, 11 se sont alliés à une famille de professions libérales, et 3 ont choisi une fille de haut fonctionnaire.
138À gauche (centre gauche, gauche, extrême gauche), un nombre important de conseillers appartenant à l’échantillon ont réussi à faire un « beau mariage » : 12 ont épousé une fille de membre de profession libérale, 17 sont entrés par leur mariage dans les milieux d’affaires, et 3 se sont mariés à une fille de haut fonctionnaire ; ces trois catégories fournissent 46 % des beaux-pères des élus de gauche, contre 52 % de ceux des élus de droite. Mais, parmi les élus de gauche, 10 ont épousé une fille d’ouvrier ou d’artisan, 3 ont épousé une fille de paysan, 3 autres se sont mariés à une fille d’employé, et un à une fille de boutiquier ; la part de ces quatre catégories est de 24,6 % à gauche, contre 7,4 % à droite.
139Toutefois, ce sont plutôt les élus de gauche qui ont profité du mariage pour améliorer leur situation sociale. Les trois groupes socioprofessionnels qui peuvent être considérés comme appartenant à des couches sociales relativement élevées (commerçants-industriels, professions libérales et hauts fonctionnaires) ne représentaient que 32 % des pères des conseillers de gauche dans l’échantillon, alors que parmi leurs beaux-pères, 46 % y appartenaient. Les mêmes chiffres pour les conseillers de droite sont de 59 % (parmi les pères) et de 52 % (parmi les beaux-pères). L’alliance semble avoir joué un rôle plus important dans l’ascension sociale pour les hommes de gauche que pour leurs adversaires.
140Le tableau suivant, comparant les catégories socioprofessionnelles des beaux-pères à celles des pères des élus, permet de mieux comprendre l’ascension sociale par voie du mariage.
141Un certain nombre d’élus se sont alliés à des milieux supérieurs aux leurs. La moitié des fils de travailleurs manuels ont épousé une fille issue d’un milieu proche : 11 se sont mariés à une femme dont le père était soit agriculteur, soit travailleur manuel, soit boutiquier, soit employé subalterne. Mais autant de fils de travailleurs manuels ont réussi à intégrer des milieux plus ou moins bourgeois : 3 se sont alliés à une famille industrielle ou négociante, 3 ont épousé une fille de membre de profession libérale, et 5 une fille de propriétaire ou rentier. Comme nous venons de le voir, la tendance à l’ascension est plus forte chez les conseillers de gauche. Eugène-Adolphe-Philippe Rigaut en est un exemple. Né en 1835 dans l’Aisne, fils d’un menuisier, il s’est dirigé vers l’enseignement, et est entré à l’Ecole normale de Courbevoie comme boursier. D’abord professeur à Bergerac, il a eu l’occasion de visiter l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne, où il vivait de ses leçons. Il a épousé en 1858 Laura Huez, issue d’une famille d’un certain renom selon des sources diverses. Ce mariage a, semble-t-il, amélioré sa situation économique. Il a abandonné l’enseignement pour la plume : il collaborait à des journaux régionaux lorsqu’il a été élu au Conseil municipal en 187156. Il s’intéressait également aux affaires : il fut président de la Compagnie centrale de chemin de fer et de tramways, et de la Compagnie des chemins de fer de la Loire, et administrateur de plusieurs sociétés. Un rapport de police disait que « sa fortune personnelle s’est encore accrue par un mariage qu’il a contracté il y a quelques années »57. Politiquement, il avait commencé à militer, comme beaucoup d’autres, sous le Second Empire58. Après avoir passé dix ans au Conseil municipal (1871-1881), il s’est fait élire député de l’Aisne en 1886, et a siégé à gauche.
142Les conseillers nés dans une famille aisée ont eux aussi accordé de l’importance à l’origine sociale de leurs épouses. Parmi les beaux-pères des 54 élus dont le père appartenait aux catégories des commerçants-industriels, des hauts fonctionnaires ou des professions libérales, il y avait 7 cadres, 17 commerçants-industriels, 4 hauts fonctionnaires, 11 membres de professions libérales et 13 propriétaires-rentiers ; seuls deux étaient ouvriers59. Ainsi, nos élus se sont mariés en général à des femmes appartenant à des couches sociales équivalentes ou supérieures.
143En comparant les professions des beaux-pères à celles des conseillers eux-mêmes, nous obtenons le résultat suivant (voir Tableau IV-7, p. 110).
144Les professions des élus sont celles qu’ils exerçaient lors de leur première élection. Comme nous l’avons signalé, il y a un certain décalage entre la date de leur mariage et le moment où leur profession a été recensée.
145Rares sont ceux qui appartenaient à une catégorie socioprofessionnelle inférieure à celle du beau-père. Deux élus ouvriers étaient mariés à une fille de membre de profession libérale60, mais ce sont pratiquement les seuls cas où le mari était dans un secteur professionnel situé nettement plus bas dans l’échelle sociale que celui de la belle-famille. Plus nombreux sont les cas contraires, c’est-à-dire le mariage dans un milieu plus populaire que celui auquel le conseiller appartenait : 4 élus commerçants-industriels61, et 3 élus membres de professions libérales ont choisi leur épouse dans des familles d’ouvriers62. Parmi ces 7 élus, 5 appartenaient aux courants politiques de gauche (2 au centre gauche, 2 à la gauche et un à l’extrême gauche), et 2 au centre droit. Mais la majeure partie des conseillers de l’échantillon se situaient non loin du niveau socioprofessionnel de leur beau-père.
146Le mariage semble représenter pour un certain nombre de conseillers municipaux de Paris un tremplin qui leur a permis de réaliser une ascension sociale. En fait, les catégories socioprofessionnelles des beaux-pères étaient nettement supérieures à celles des pères des conseillers. Mais l’ascension sociale n’était pas toujours due au mariage.
147Certains ont réussi dans leur profession sans profiter d’un beau mariage ou d’une dot confortable, comme Etienne Perrichont, riche entrepreneur de travaux publics apparemment sans diplôme, qui avait épousé tout au début de sa carrière professionnelle une fille naturelle, élevée par sa mère journalière. En fait, le tableau IV-7, qui a croisé les catégories socioprofessionnelles des beaux-pères à celles des conseillers, montre que peu de conseillers étaient dans une situation sociale nettement inférieure à celle du beau-père63. Il est difficile d’avancer plus dans nos affirmations, vu la taille limitée de notre échantillon, et faute d’analyses sur les aspects financiers des mariages, tels que le montant des apports indiqué dans le contrat.
3. Mariage et politique
148Comme nous étudions un personnel politique, la situation sociale de la belle-famille n’est pas le seul élément qui détermine le caractère du mariage. Le futur conseiller pouvait recevoir une vocation politique, sous des formes diverses, d’un parent de sa femme. Le mariage d’Edmond Gibert représente ce cas. Il semble devoir sa réussite politique comme professionnelle à son alliance avec les Baudot, famille de grands marchands de draps. Né à Paris en 1842, mais orphelin de très bonne heure, Gibert a été élevé par son grand père paternel Jacques-Joseph Verzinay, marchand de draps à Paris. Entré dans le commerce à l’âge de 16 ans et employé dans différents magasins de nouveautés parisiens, il a épousé en 1868 Marie-Virginie Baudot, fille de Philibert (1813-1898), qui a assuré pendant longtemps les fonctions de président de la chambre syndicale de la draperie. Par ce mariage, Gibert est entré dans l’établissement de Baudot, dont il est devenu associé. Les affaires ont prospéré, et Gibert a été élu président de la chambre syndicale, et également vice-président du Syndicat général de l’Union nationale du commerce et de l’industrie. S’il a pu entrer dans la vie politique parisienne, c’est en quelque sorte grâce à son beau-père. Celui-ci animait le Comité républicain du Ier arrondissement, qui a notamment soutenu Tirard. Gibert lui a succédé à la tête du comité après que, en 1879, les républicains arrivés au pouvoir eurent appelé son beau-père au poste de maire du Ier arrondissement, fonction qu’il a remplie jusqu’à sa mort en 1898. C’est dans l’arrondissement administré par son beau-père que Gibert a tenté sa chance, avec succès, aux élections municipales de Paris de 1893. A l’assemblée, il a siégé parmi les modérés, et se montrait rarement au premier plan. Il est décédé en fonction en 1899, un an seulement après la mort de son beau-père. Dans la vie politique comme dans la vie professionnelle, l’un avait marché dans les sillons de l’autre.
149Si nous entendons sous l’appellation « homme politique » tous les mandataires, du conseiller municipal d’une petite commune jusqu’au sénateur, en y incluant aussi les ministres, et les maires et les adjoints de Paris, 17 conseillers s’étaient alliés à une famille qui comptait des hommes politiques en son sein. Ce nombre est beaucoup moins important que celui des élus ayant un parent homme politique dans sa propre famille (63)64. Cela est en partie dû au fait que les familles des conseillers sont en général mieux connues que leurs belles-familles. Le chiffre concernant ces dernières peut être fort inférieur à la réalité. A part quelques cas exceptionnels, les actes d’état civil sont les seules sources de renseignements. Notre base documentaire est ainsi lacunaire, notamment pour les charges locales qui sont difficiles à connaître.
150Sur les 17 cas d’alliances à une famille d’hommes politiques, 16 concernent des premiers mariages, et le dernier cas un remariage (Trélat, remarié en 1852 – bien après son ministère – à la nièce du marquis Dodun de Keroman, maire de Maisons-Alfort). Dans la plupart des cas, la belle-famille comptait des parlementaires : 2 familles avaient en leur sein un ministre, 6 autres avaient un sénateur, et 5 autres comptaient un député. Trois familles (4 si nous comptons le remarié Trélat) comptaient un élu municipal, dont 2 un élu à Paris.
151Deux conseillers ont épousé une fille de ministre : il s’agit de Théodore Villard et d’Henri Allain-Targé. Villard, ingénieur des chemins de fer et attaché longtemps à l’usine d’Ernest Gouin, s’est marié en 1867 à Abeille-Mélanie Bixio, fille de Jacques-Alexandre, éphémère ministre de l’Agriculture en 1848 et lui-même édile de Paris (1848-1851), comme son fils Maurice (1874-1881). L’épouse d’Allain-Targé, Geneviève-Élisabeth Villemain, mariée en 1857, était la fille de François Villemain (1790-1870), homme de lettres et professeur de littérature à la Sorbonne, ministre de l’Instruction publique de 1839 à 1844 (voir graphique IV-6).
152Les six conseillers alliés à une famille de sénateur sont les suivants : de Puymaigre, Floquet, Clamageran, Hovelacque, Rousset et Beudant. Le comte de Puymaigre se maria en 1890 à Victorine-Eulalie-Catherine d’Harcourt, fille du marquis d’Harcourt, pair de France de 1842 à 1848, et sœur de Pierre-Louis-Bernard, représentant (1871-1877), et de Louis-Emmanuel, secrétaire général de la présidence de la République sous Mac-Manon. Charles Floquet a épousé Hortense Kestner, fille de Charles, représentant à la Constituante en 1848, et belle-sœur d’Auguste Scheurer-Kestner, représentant de la Seine et sénateur inamovible sous la Troisième République. Clamageran était époux d’Adèle Hérold, sœur de Ferdinand, un de nos conseillers municipaux et futur sénateur. Abel Hovelacque s’est marié à Clémence Beaujean, fille d’un inspecteur de l’Académie de Paris et nièce de Léon Laurent-Pichat, sénateur inamovible (la mère de Clémence était la demi-sœur du sénateur). Camille Rousset était époux de Jeanne Créciat, dont la mère, née dans une famille de polytechniciens et militaires, était nièce de Viala Charon (1794-1880), gouverneur général de l’Algérie en 1848 et sénateur sous le Second Empire. Charles Beudant a épousé en 1864 la fille de Paul-Alexandre-Robert de Massy (1810-1890), avocat, conseiller municipal d’Orléans, représentant et sénateur du Loiret sous la Troisième République.
153Cinq conseillers municipaux avaient une belle-famille ayant un député en son sein : Humbert, Cochin, Hérold, Engelhardt et Dietz-Monnin. Alphonse Humbert était l’époux de Lucile-Laure Bouhélier, sœur d’Edmond Lepelletier de Bouhélier. Cochin s’est allié par son mariage à deux familles de notaires parisiens, les Péan de Saint-Gilles et les Thion de La Chaume, et dans la première famille, paternelle de l’épouse, se trouvait Louis-Denis Péan de Saint-Gilles (1764-1829), maire de l’ancien Ve arrondissement et député de la Seine à la « Chambre introuvable » (il était arrière-grand-oncle de l’épouse de Cochin ; voir graphique IV-5). Ferdinand Hérold s’est marié à Jeanne Julie Louvain-Pescheloche, qui descendait de Jean-Marie Rivoalland, député des Côtes-du-Nord à l’Assemblée législative de 1791 (voir graphique IV-9). Maurice Engelhardt a épousé Louise-Aimée-Valentine Fleury, fille d’Alphonse-Pierre-Louis (1809-1877), quarante-huitard comme son gendre, représentant de l’Indre en 1848 et préfet de Gambetta en 1870. Charles Dietz-Monnin était époux de Catherine Monnin-Japy, fille de Louis-Auguste, industriel, maire de l’ancien VIe arrondissement, conseiller municipal de Paris et député de la Seine sous le Second Empire.
154D’autres conseillers étaient apparentés, par alliance, à un élu local. Deux cas en ont déjà été cités : Trélat et Gibert. Léon Ohnet était le gendre du docteur Émile Blanche, conseiller municipal de Passy sous Napoléon III et élu à l’assemblée municipale de Paris en 1871, où il n’a pas pu siéger précisément à cause de sa parenté avec Ohnet, qui y était élu en même temps et en faveur duquel Blanche s’est désisté. Un autre cas, celui de Georges Daguilhon-Pujol, est un peu particulier : son bel-oncle. Genaro Perez-Moso, était maire de Tafalla, une commune en Espagne.
155Quelques alliances entre conseillers municipaux de Paris se sont formées. Nous venons de voir les cas de Blanche – Ohnet, de Clamageran – Hérold, de Humbert – Lepelletier de Bouhélier et de Bixio – Villard. Un autre cas liait cinq conseillers, tous futurs parlementaires, à des degrés relativement éloignés : il s’agit de la nébuleuse des Allain-Targé – Ferry – Risler – Kestner – Floquet, à laquelle participent Abel Hovelacque par sa parenté avec Léon Laurent-Pichat, ainsi que Clamageran et, à travers lui, Hérold (voir graphiques IV-6 et IV-9) ; mais c’est plutôt une dynastie de parlementaires républicains radicaux, et non pas d’élus de la capitale65.
156L’influence que le mariage exerce sur la destinée d’un homme est fort diverse. Les mariages ici énumérés ont allié des conseillers municipaux à des familles d’hommes politiques, mais le rôle que l’alliance a joué dans l’ascension politique est différent d’un élu à l’autre. En fait, 7 des 17 conseillers cités avaient un parent homme politique dans leur propre famille, dont 4 étaient apparentés à un parlementaire (Floquet, Allain-Targé, Cochin et Daguilhon-Pujol). Allain-Targé était né dans une famille à forte tradition politique (son père était député, et son grand-père maire de Saumur). Il s’était engagé dans un mouvement démocratique dès le début du règne de Napoléon III. Son mariage avec une fille de ministre n’a probablement pas changé radicalement son destin. Pour d’autres, l’engagement politique précédait le mariage. Maurice Engelhardt avait été conseiller municipal de Strasbourg en 1848, et candidat au conseil général du Bas-Rhin en 1864, avant qu’il se marie en 1865 à la fille de l’ancien représentant Alphonse Fleury. Dans quelques cas seulement, le mariage semble avoir ouvert la porte de la vie politique. Il n’est pas déraisonnable de repérer les influences de son beau-père dans la candidature de Charles Beudant, apparemment étranger à la politique jusqu’alors, aux élections municipales de juillet 1871, scrutin certes peu politisé. Charles Dietz-Monnin s’est sans doute intéressé à la vie politique à cause de son beau-père, bien qu’ils n’avaient pas les mêmes opinions.
157Le mariage était, pour les élus municipaux de Paris, moins une entrée dans le monde politique qu’un moyen d’ascension sociale. Rares sont ceux qui se sont faits mandataires en s’appuyant essentiellement sur les réseaux ou influences politiques de la famille de l’épouse. Les alliances entre conseillers municipaux n’étaient pas fréquentes non plus, et dans les cas recensés la liaison familiale ne semble pas avoir contribué de façon décisive à l’élection municipale de l’intéressé. Dans la capitale, la vie politique – au moins la vie politique municipale – était rarement une affaire familiale. Peu de conseillers avaient un ascendant qui était homme politique à Paris. Et elle était encore moins une affaire entre familles : l’alliance politique et la passation des pouvoirs entre deux familles restaient exceptionnelles.
4. Descendants et héritages politiques
158Des élus avaient hérité, sinon d’un mandat, du moins d’un goût pour la vie politique. Ne les ont-ils pas transmis à leur descendance ? N’y a-t-il pas des « dynasties » assurant l’administration de la capitale durant plusieurs générations ? L’étude du poids de la famille en son aval nous permettra de vérifier les résultats des analyses de ce chapitre66.
159Nos sources principales sont les archives de l’Enregistrement, qui donnent en général le nom, l’adresse et, moins souvent, la profession des enfants du décédé. Nous n’avons pas entrepris une étude sur la taille des familles, ni sur les catégories socio-professionnelles des descendants, bien que ces données soient connues pour une partie importante des conseillers67. La profession des enfants indiquée dans les déclarations de succession est celle d’individus relativement jeunes, souvent au début de leur carrière professionnelle. La comparer à celle des conseillers ou de leurs parents aurait donné un résultat faussé de la mobilité sociale du groupe. Les recherches que nous avons faites dans des dictionnaires biographiques n’ont guère amélioré notre connaissance sur la situation sociale et professionnelle des enfants. Nous nous sommes donc borné à présenter le cas des élus dont un des enfants ou des gendres est devenu homme politique.
160Vingt-sept conseillers sont dans ce cas, soit environ un élu sur dix-sept. Ici aussi, le cas était, proportionnellement, le plus fréquent dans le courant de la droite (4 élus sur les 33 classés à cette tendance, soit 12 %), suivi de l’extrême droite (5 sur 44, soit 11 %), et de la gauche (9 sur 125, soit 7 %). L’« héritage politique » était ainsi plus fréquent à droite qu’à gauche68.
161Deux conseillers étaient père ou beau-père de présidents du Conseil : Émile Chautemps, père de Camille, et Edmond Lepelletier de Bouhélier, qui a marié sa fille à René Viviani. Deux autres avaient un fils ou un gendre sénateur. Donnat était le beau-père de Fernand Faure (1853-1929), professeur à l’École de droit et député puis sénateur de la Gironde, et de François Deloncle (1856-1922), qui était également député. Tony Révillon était le père de Marie Marcel, devenu député puis sénateur radical de l’Ain.
162Dix conseillers avaient un fils ou un gendre député. Parmi eux trois ont eu un descendant qui a été conseiller municipal de Paris avant d’être élu député : Joseph Thomas Petitjean, Louis Germain Binder, et Denys Cochin. L’un des petits-fils de Denys Cochin est François Denys-Cochin69. Charles Longuet a eu quatre enfants, dont un, Edgar, est devenu maire d’Alfortville en 1919, et un autre, Jean-Frédéric-Laurent, a été maire de Chatenay-Malabry, conseiller général et député de la Seine dans l’entre -deux-guerres. Trélat, Liouville et Lerolle avaient un fils député de la Seine, et Lerolle a même été remplacé par son fils Jean au siège de député du VIIe arrondissement. Cachin était, comme nous venons de le voir, le beau-père d’un député communiste de la Seine. Lockroy était apparenté à Léon Daudet par sa femme qui avait été l’épouse de Charles Hugo : la fille de ce dernier couple s’était mariée à l’écrivain nationaliste (voir graphique IV-8). Ambroise Rendu, membre d’une famille comptant des célébrités dans différents domaines70, avait un fils devenu député de la Haute-Garonne dans la Chambre « Bleu Horizon ».
163Quelques conseillers municipaux ont eu un descendant conseiller de Paris. En dehors des cas déjà cités (Binder, Rousselle, Quentin-Bauchart...), deux circonscriptions ont été directement transmises de père en fils. Armand Massard a remplacé son père Emile, élu de la Plaine-Monceaux (XVIIe) et est décédé en fonction en 1932. Charles-Eugène Levée a succédé en 1927 à son père François, conseiller du quartier du Palais-Royal depuis 1898. Dans d’autres familles, la transmission était moins directe : le fils de Pierre Quentin-Bauchart (1881-1916), lui-même fils d’un conseiller municipal, a été nommé à l’Hôtel de ville par le gouvernement de Vichy (voir graphique IV-4)71. Philippe Mithouard a été élu du VIIe arrondissement de 1971 à 1990, comme son grand-père Adrien. Le fils du ministre des Travaux publics Louis Puech, André, a représenté de 1921 à 1944 le quartier des Archives (IIIe) au Conseil municipal, quartier voisin de celui où son père avait été élu en 1893.
164À peine plus fréquente que par le mariage, la transmission de mandats politiques était exceptionnelle entre père, fils ou gendre.
165Dans une grande ville comme Paris, où les sociabilités politiques n’avaient pas la même forme que dans une région rurale dominée par quelques familles, les facteurs familiaux ne pouvaient pas être décisifs, au moins sur le plan strictement politique. La majeure partie des conseillers municipaux étaient entrés à l’Hôtel de ville essentiellement grâce à leurs activités professionnelles ou à leur militantisme politique. Nombreux étaient les « fils de leurs œuvres », d’origine modeste. Ils ont parfois su se servir du mariage pour améliorer leur situation, ou pour élargir leurs réseaux politiques. Mais ce sont les capacités des élus eux-mêmes qui étaient déterminantes.
Notes de bas de page
1 Estèbe Jean, Les ministres de la République..., op. cit., chapitre I.
2 Pour les catégories socioprofessionnelles, voir la note explicative se trouvant dans les annexes.
3 Ils se sont mariés sous le régime de la communauté légale.
4 Rapport de police, 27 février 1880 (APP, BA 1218).
5 Pour les catégories socioprofessionnelles des conseillers selon celles des pères, voir le tableau VI-2, dans le chapitre VI.
6 Quatre d’entre eux étaient laboureurs ou manœuvres agricoles.
7 GAY Ernest, Nos édiles, Nouvelle revue française illustrée, 1911.
8 Conseil municipal de Paris, Commémoration des vingt-cinq années de mandat de M. Louis Peuch, conseiller municipal, Imp. mun., 1933, 28 p.
9 Il y avait également 5 marchands sans autre indication, 5 marchands de vins, un marchand boucher, un restaurateur, un boulanger, un fleuriste, etc.
10 AN. F1BI, 167/31.
11 La majeure partie des renseignements concernant Veber viennent de son dossier personnel constitué lorsqu’il était répétiteur (AN, F17 23540).
12 Il s’agit du père d’Hérold, Louis Joseph Ferdinand (1791-1833), chef de chant à l’Opéra-comique.
13 Rapport de police, 27 mai 1890 (APP, BA 1089).
14 Sur le bâtonnier Félix Liouville et ses réseaux, voir LE BÉGUEC (Gilles), « Prélude à la république des avocats », in CORBIN Alain et MAYEUR Jean-Marie (dir.). Les Immortels du Sénat, op. cit.. pp. 81-98.
15 Il s’agit d’Ernest Quentin-Bauchart, le père de Maurice. Alexandre Chassaigne, le père de Paul Chassaigne-Goyon, était aussi maître des requêtes au Conseil d’État à la naissance de celui-ci.
16 Mais le déséquilibre serait moins grand si nous tenions compte de trois conseillers qui, ayant été hauts fonctionnaires un moment, exerçaient une autre profession au moment de leur élection au Conseil municipal : Louis-Léger Vauthier, ingénieur des Ponts et Chaussées (1841 – vers 1860), Charles Tranchant, conseiller d’État (1872-1879), et Allain-Targé, substitut sous le Second Empire.
17 Il s’agit de Louis-Léger Vauthier, qui avait été ingénieur des Ponts et Chaussées, comme son père.
18 Seuls 2 conseillers étaient nés d’un père appartenant à une couche populaire : un était fils d’un graveur, et l’autre d’un valet de chambre.
19 Chiffres donnés par Daumard Adeline, « Noblesse et aristocratie en France au xixe siècle », in Noblesses européennes au XIXe siècle, Actes du colloque. Rome, 1985, École française de Rome-Université de Milan, 1988, pp. 81-104 ; Bécarud Jean, « Noblesse et représentation parlementaire. Les députés nobles de 1871 à 1968 », Revue française de science politique, 23-5, octobre 1973, pp. 972-993.
20 Tudesq André-Jean, Les conseillers généraux en France, op. cit. ; Girard Louis, Prost Antoine et Gossez Rémi, Les conseillers généraux en 1870, op. cit.
21 Les notices provisoires sur les conseillers municipaux.... op. cit. ; Dictionnaire biogra-phique du conseil municipal de Paris et du conseil général de la Seine, publié sous la direction de Fleury Michel et Gille Bertrand, Imp. mun., 1972, 110 p. Dans l’élaboration de ces notices, quelques dictionnaires et recueils généalogiques fondamentaux ont été utilisés, comme les publications du vicomte Albert Révérand.
22 Les édiles nobles étaient nombreux à l’époque napoléonienne et sous la Monarchie censitaire : 16 ont été nommés pour la première fois sous le Consulat et l’Empire, 11 sous la Deuxième Restauration et 12 sous la Monarchie de Juillet. 23 conseillers nobles au total ont siégé sous la Deuxième Restauration, et 13 sous Louis-Philippe. La Deuxième République n’a nommé que 2 conseillers nobles et n’a gardé qu’un seul noble parmi les anciens édiles. Le Second Empire a nommé 6 conseillers nobles et en a maintenu 2 en fonction.
23 Il s’agit de Marie Jean Pierre Hubert, duc de Cambacérès (en fonction de 1834 à 1848), du comte Henri-Georges Boulay de La Meurthe (1834-1849), et d’Armand-Pierre, chevalier puis baron de Séguier (1843-1847).
24 La terre d’Andigné était située en Anjou.
25 Il s’agit d’un certain Jean ou Vian Pistor (renseignements fournis dans le Dictionnaire de biographie française de Roman d’Amat).
26 Nous signalons que son fils a épouse la sœur de François d’Aulan, un autre conseiller municipal noble, et ce mariage a lié les deux maisons.
27 Chaix d’Est-Ange Gustave. Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Évreux, Charles Herrisey, 1903 (rééd. 1983) ; lettre du père de Jehan de Bouteiller, 18 avril 1857, retrouvée dans le dossier personnel de celui-ci (SHM. CC7 310).
28 Selon Jougla de Morena Henri, Grand armorial de France : catalogue général des armoiries des familles nobles de France, Société du Grand armoriai de France, 1939. p. 181.
29 Selon Révérand Vicomte Albert, Armoriai du Premier Empire : titres, majorats et armoiries concédés par Napoléon Ier, H. Champion (rééd.). t. 4, p. 257.
30 C’est son petit-fils, Jean-Joseph, qui paraît avoir le premier fait précéder son nom de la particule.
31 FIAUX Louis, Yves Guyot, Félix Alcan, 1921, 102 p.
32 Il était parti pour l’Espagne probablement au début de la Troisième République, et a notamment découvert les mines de Huelva, mines acquises par la Société française des mines de Huelva dont il était l’un des principaux actionnaires et dont le dirigeant était Eugène Duclerc. Ces affaires semblent avoir considérablement enrichi Deligny (selon APP, BA 532 et 1320).
33 Nous avons inclus à ce terme les oncles et les grands-oncles, qui ne sont, à parler strictement, pas ascendants.
34 Voir la note explicative des courants politiques, en annexes.
35 6,8 % à l’extrême droite, 36,4 % à la droite. 10,2 % au centre droit. 5,8 % au centre gauche, 9,6 % à la gauche, et 1,9 % à l’extrême gauche.
36 Députés, sénateurs ou pairs, y compris ceux de la période de la Révolution française.
37 Quatre conseillers avaient à la fois un ascendant ministre et un autre – ou le même -membre de la Chambre haute : il s’agit de Germiny, Gouin, Dufaure et Berthelot.
38 Étant élu après 1834, date à laquelle le Conseil municipal de Paris a été formellement séparé du Conseil général de la Seine, il n’a pas siégé dans la première assemblée.
39 Six des sept conseillers sont classés à droite (dont trois à la droite, deux au centre droit et un à l’extrême droite) contre un seul au centre gauche : il s’agit de Bixio, dont le père a fait l’essentiel de sa carrière politique sous la Deuxième République.
40 Comme nous l’avons vu dans le chapitre premier, tous les conseillers municipaux du département de la Seine, y compris ceux des communes de la banlieue, étaient nommés par l’Empereur aux termes de la loi du 5 mai 1855, et ce jusqu’à la loi du 17 juillet 1870 qui a replacé les assemblées municipales des communes limitrophes sous le régime électif.
41 Selon sa nécrologie paru dans le Siècle du 19 mai 1900, Jean-Léon-Hippolyte Stupuy était neveu de Victor-Joseph-Etienne, dit de Jouy, académicien et maire d’arrondissement de Paris pendant quelques jours sous la Monarchie de Juillet. Mais nous n’avons pas pu vérifier cette filiation.
42 Voir entre autres la thèse de Jean Estèbe.
43 La majeure partie des contrats de mariage que nous avons consultés au Minutier central des Archives nationales n’indiquent pas la date et le lieu de naissance de l’épouse, ce qui ne nous a pas permis de remonter jusqu’à son acte de naissance, où figure souvent la profession initiale de son père.
44 Pour les actes reconstitués antérieurs à 1860.
45 Concernant notre période, la mention de ces données devient de plus en plus systématique au fil des ans. Dans les registres conservés aux Archives de Paris, portant sur le XIXe siècle, elles sont souvent omises.
46 Un certain nombre de mariages ont été conclus après la mort du père de l’épouse, et dans ces cas nous ignorons sa profession.
47 Pour le mariage d’hommes politiques, voir, en plus des travaux cités, LACHAISE Bernard, « Mariages et stratégies matrimoniales des parlementaires de la Dordogne sous la Troisième République », Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, tome CXV. 1988, pp. 75-82.
48 5,6 % des ministres n’étaient pas mariés. Dans les élites étudiées par Christophe Charle, le taux est de 5,2 % pour les hommes d’affaires, 9,4 % pour les hauts fonctionnaires et 9,0 % pour les universitaires (CHARLE, Les élites de la République, 1880-1900, Fayard, 1987, 556 p., p. 257).
49 ESTÈBE Jean, Les ministres de la République..., op. cit., p.79 ; Députés et sénateurs de l’Aquitaine sous la Troisième République, op. cit., p. 179.
50 Quant au mariage tardif des élus de l’extrême droite, il s’explique essentiellement par un cas extrême, un mariage à 69 ans, qui a majoré la moyenne de 2 ans.
51 Cette opposition entre les professions économiques d’une part, et les professions libérales et la haute fonction publique d’autre part, a été constatée par Christophe Charle dans sa thèse sur les élites de la Belle Époque : les hommes d’affaires se mariaient en moyenne à 29,4 ans, alors que les universitaires convolaient à 32,5 ans et les hauts fonctionnaires à 33,5 ans.
52 Voir les travaux cités de Jean Estèbe et de Christophe Charle.
53 Nous avons retenu le lieu de mariage surtout pour ne pas augmenter le taux des non-réponses : comme nous l’avons signalé, la plupart des contrats de mariage consultés ne donnent pas le lieu de naissance des intéressées, alors qu’ils mentionnent en général la mairie où le mariage a été célébré.
54 L’attraction de la capitale s’exerçait sur les élites étudiées par Christophe Charle. Le taux de mariages célébrés à Paris est toujours supérieur au taux des Parisiens de naissance : 60 % des hommes d’affaires de son échantillon se sont mariés en région parisienne, alors que 46 % y étaient nés ; parmi les hauts fonctionnaires, 40 % contre 28 %, et parmi les universitaires, 55 % contre 31 % (Les élites de la République, op. cit., p. 267).
55 Nous n’avons pas établi un autre tableau pour la période antérieure à 1860. D’abord, les mariages avant 1859 sont peu nombreux. De plus, selon le découpage ancien, les arrondissements couvraient des quartiers fort divers du point de vue sociologique, ce qui aurait rendu difficile la comparaison.
56 Il fut un des fondateurs du Courrier de Saint-Etienne, de la Méditerranée (Marseille), du Commerce (Paris), et directeur du Journal des communes.
57 Rapport de police, mai 1873 (dans son dossier personnel, APP, BA 1243).
58 Il a publié une brochure intitulée « La Démocratie devant Napoléon III ».
59 Il s’agit d’Yves Guyot et de R. ; Guyot, fils d’un avocat, s’est marié à Héloïse Fontane, fille de Louis-Jules-François, charpentier. R., fils d’un négociant, a épousé la fille d’un meunier. Les appellations sont floues dans les deux cas, mais l’absence de contrat de mariage nous laisse supposer que les épouses étaient issues de milieux modestes.
60 Il s’agit d’Émile Landrin, ciseleur sur bronze, marié à la fille de François-Antoine Boucher, journaliste, et d’Eugène Reisz, métallurgiste, époux de Marie Schlegel, fille de Nicolas, herboriste, profession que nous avons considérée comme appartenant aux professions libérales.
61 Étienne Perrichont, Jean-Pierre Outin, Edme-Léonce Mossot et Alfred Thuillier.
62 Yves Guyot, R., déjà cités, et Alexandre-Adolphe Patenne, graveur-lithographe, marié à la fille d’un journalier.
63 Nous pouvons avancer le même constat en prenant en considération la profession des conseillers indiquée dans leur acte de mariage.
64 Au nombre de 69, si nous comptons également les frères des conseillers.
65 Une autre alliance appareillait Edouard Lockroy à Ernest Lefèvre. Celui-là a épousé Alice Lehaene, veuve de Charles Hugo, fils du poète. Or, une fille de Victor Hugo. Léopoldine, était l’épouse de Charles Vacquerie, frère du journaliste Auguste et oncle d’Ernest Lefèvre. Si les liens de parenté étaient très faibles, la solidarité politique ne l’était pas. Lefèvre est entré comme rédacteur dans le Rappel, journal radical animé par son oncle Auguste Vacquerie et Lockroy. Si Lefèvre et Lockroy n’ont pas siégé au Conseil municipal en même temps – le premier y est élu en 1874, alors que le second venait de le quitter –, ils furent sur le même banc du Palais-Bourbon à partir de 1881, élus dans des arrondissements voisins de la capitale. Là aussi, c’est plus une alliance de républicains radicaux que celle d’élus locaux de Paris (voir graphique IV-8).
66 Pour la descendance et la « dynastie » d’hommes politiques, voir notamment Ménager Bernard, « Typologie de dynasties parlementaires : les dynasties parlementaires dans le Nord-Pas-de-Calais dans la seconde moitié du xixe siècle et la première moitié du xxe », in Patriat Claude et Parodi Jean-Luc (dir.), L’Hérédité en politique, Economica, 1992. pp. 123-140.
67 Nous connaissons le nombre des enfants de 241 conseillers, principalement grâce aux archives de l’Enregistrement. Elles ne mentionnent pas les enfants qui sont morts précocement, ou qui ont renoncé à la succession pour des raisons diverses. Les deux éditions de Qui êtes-vous ? constituent l’autre source importante en la matière. Le nombre moyen d’enfants est de 2,3, et la médiane est de 2. Nous n’avons trouvé une différence significative ni suivant les opinions politiques des conseillers, ni selon les catégories socioprofessionnelles, ni par périodes d’élection.
68 Pour les autres courants : 3 sur 59, soit 5,1 % au centre droit ; 5 sur 139, soit 3,6 % au centre gauche ; et un seul conseiller d’extrême gauche : il s’agit de Marcel Cachin, dont la fille, Marcelle, s’est mariée à Paul Hertzog, député communiste de la Seine à partir de 1946.
69 Sa mère, Marthe Firmin-Didot, appartenait à la célèbre famille de libraires-imprimeurs, qui compte notamment Ambroise (1790-1876), conseiller municipal de Paris de 1849 à 1869.
70 Voir notamment Ambroise-Rendu Marc, Les Rendu, ou comment accéder à la bourgeoisie, Éditions Christian, 1989, 255 p.
71 Il a été conseiller départemental de la Seine de 1941 à 1944 et conseiller municipal de Paris en 1944 (Nivet Philippe, Les assemblées parisiennes de la déclaration de guerre à la libération de Paris (1939-1944), Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, 1996, p. 241).
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