Interrègne impérial français et relance coloniste (1815-1830)
p. 479-504
Texte intégral
1Bernard Gainot a, le premier, attiré l’attention sur la conception d’un programme de « colonisation nouvelle » au cours de la Révolution française1. Un volume collectif, publié sous sa direction et celle du regretté Marcel Dorigny, propose une vue d’ensemble sur cette ambition à l’échelle du monde. Outre l’Europe, des travaux sur l’Égypte, Java, l’Amérique espagnole éclairent l’extension du phénomène2. Colonisation nouvelle ? Un paradigme colonial inédit se serait dégagé dans le contexte abolitionniste consécutif aux premières interdictions graduelles de l’esclavage lors de la Révolution américaine. L’hypothèse d’une fin graduelle de l’esclavage, et, avec lui, de la traite négrière et du système atlantique fondé sur le travail servile, ouvre un espace de réflexions et d’expériences pratiques cherchant à inventer des nouvelles formes de mise en valeur des espaces coloniaux et postcoloniaux qui soient moralement justes et économiquement viables.
2Dans l’ensemble du monde atlantique, des Lumières finissantes au premier libéralisme, plusieurs groupes « progressistes » appartenant aux élites politiques, intellectuelles et scientifiques mais aussi à certains secteurs populaires, politisés ou non, partagent un constat comparable sur les maux des empires modernes et les moyens de les surmonter. Celui-ci s’articule en trois volets : condamnation de la conquête des peuples ultramarins ; inefficacité de l’Exclusif colonial ; réprobation de la traite et de l’esclavage pour des raisons morales et économiques. Apparu à la fin du xviiie siècle et entré dans les dictionnaires anglais, français ou espagnol dans les années 1830, le néologisme de colonisation s’impose dès lors comme un concept propre à analyser les problèmes posés par l’expansion coloniale de la première modernité et à fournir des solutions pratiques à ces derniers. Dès la Révolution américaine, il désigne un ensemble d’initiatives destinées à dépasser le « système colonial » ancien. La création de colonies agricoles de peuplement était au cœur de cette ambition, qui associait les migrations organisées depuis l’Europe à la revendication d’une libre circulation des denrées et des biens marchands. Grâce au mouvement des populations, la colonisation de peuplement et d’exploitation pourrait seule créer les conditions concrètes d’une expansion géographique de la liberté et de la civilisation, au sens libéral de ces termes. Par civilisation, on entendait l’accélération des différentes étapes jalonnant un parcours solidairement matériel et spirituel allant de la chasse à l’industrie, en passant par l’élevage et l’agriculture, repéré par les Lumières écossaises3. Ce programme remarquable, faut-il le dire, n’empêcha pas la prospérité des réinventeurs du système atlantique sous les espèces de la Second Slavery4. Au cours du long processus abolitionniste atlantique (1776-1888), le commerce des esclaves, connaît un essort remarquable vers le Brésil et Cuba, jusqu’en 1850, au moins, en associant la mécanisation des moulins à sucre à une intense traite interlope.
3Par leurs pensées et leurs actions, ces acteurs individuels et collectifs contribuent à définir un « moment coloniste ». Nous employons ce terme, utilisé parfois au xixe siècle, pour distinguer ces entreprises du système colonial classique5. Migrations de travailleurs libres, ou plutôt d’individus animés par le travail volontaire pour reprendre les analyses du fouriériste Jules Lechevalier6, commerce désormais international, et colonisation agraire dessinent les contours d’un projet soutenu aussi bien par des ministères des puissances maritimes, comme celui de la Marine et des Colonies sous le mandat du baron Portal, que par les bourgeoisies libérales des grands ports français et plusieurs gouvernements des nouveaux États latino-américains qui cherchent alors à mettre en valeur les immenses territoires amérindiens : provinces du Nord du Mexique, Côte des Mosquitos et région du Darién en Amérique centrale, bassins de l’Orénoque, de l’Amazonie, du Paraná, Patagonie, Pampa et Chaco. Des deux côtés de l’Atlantique, libéraux, républicains et même socialistes semblent fascinés par les promesses de la colonisation, qui paraît s’opposer à l’empire et accompagner la séquence des indépendances américaines. En s’attachant à la conquête algérienne, Jean-Louis Marçot a le premier montré l’enthousiasme des premiers socialistes – saint-simoniens, fouriéristes, buchéziens7 – en faveur d’un programme d’expansion qui s’était pourtant défini contre l’esprit militaire et la souveraineté sur les territoires ultramarins et devait servir de levier pacifique à la transformation des sociétés du monde par l’association.
4Après avoir présenté brièvement le contexte révolutionnaire français où la colonisation nouvelle se dote de contours intellectuels bien définis et obtient le soutien fugace du Directoire, je me propose ici d’articuler un ensemble d’expériences colonistes vers l’Afrique et la Guyane sous les régimes censitaires français, à partir de l’hypothèse que la Restauration ménagea une certaine continuité avec l’époque antérieure. Face aux tenants du retour au système colonial traditionnel, des novateurs furent soutenus pour mener à bien des entreprises ultramarines qu’il faut distinguer, au moins sur le plan analytique, d’une volonté de retour au statu quo ante, par ailleurs impossible. La pression des Britanniques sur la traite et la situation d’interrègne impérial que vécut la France jusqu’à la conquête d’Alger encouragea ainsi certaines initiatives d’entrepreneurs de colonisation, conduites en général par des libéraux abolitionnistes. Du point de vue français, ces expériences, souvent ratées, permettent de mieux comprendre le passage du premier système colonial français, centré sur les Antilles, au second qui bascule vers l’Afrique, puis l’Asie. Au-delà de ce Move to the East décrit par l’historien britannique Christopher Bayly, il s’agit ici de mettre en relief le processus au cours duquel, dans certains territoires du monde atlantique, des acteurs privés, soutenus ou non par les puissances maritimes européennes et les gouvernements de l’hémisphère américain engagés dans la colonisation interne de leur espace souverain, cherchent à transformer des sociétés lointaines par la liberté du travail, des migrations et du commerce. Cet antisystème atlantique, faut-il le dire, se renversa en un système d’oppression globalisé dans la seconde moitié du xixe siècle. Mais son étude permet de mieux saisir comment la recomposition du monde atlantique après l’âge des révolutions et des indépendances américaines ouvrit la possibilité d’une alliance précoce entre les répertoires libéraux, républicains et socialistes8 de la liberté d’une part et la colonisation des puissances maritimes européennes et des États américains vis-à-vis de leurs territoires indigènes d’autre part.
Wadström et la colonisation nouvelle
5Lecteur des économistes, d’Adam Smith en particulier qu’il plagie parfois dans ses ouvrages, Carl Bernhard Wadström constitue à n’en pas douter le militant de la cause abolitionniste qui présente avec le plus de clarté le paradigme de la colonisation nouvelle, comme l’a montré Bernard Gainot. À la fin du xviiie siècle, le Suédois intervient dans la sphère publique abolitionniste en tant que scientifique et croyant – c’est un disciple de Swedenborg –, mais aussi en qualité d’économiste, d’entrepreneur et d’explorateur. Cherchant un comptoir où installer des colonies suédoises d’affranchis, il a effectué au cours des années 1787 et 1788 un voyage sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest, où il a pu observer l’île de Gorée et ses alentours. Il en publie un récit l’année suivante, dans lequel il développe succinctement les raisons pour lesquelles la traite et l’esclavage lui semblent inacceptables9. L’essentiel de son argumentation s’appuie sur une condamnation de la violence propre à ce système, aussi bien pour la « production des esclaves » que pour leur mise au travail, qui corrompt les Africains à la fois comme victimes et intermédiaires essentiels à la bonne marche de l’odieux trafic. L’esclavage, c’est la guerre, dit-il en substance.
6Dans ce petit opuscule, il développe en outre deux idées fondamentales dans l’ensemble de la littérature coloniste postérieure. Wadström affirme d’abord la bonne disposition au travail de ceux qu’il appelle les « Nègres ». Partisan de l’idée de perfectibilité et d’un déterminisme environnemental plus que généalogique, il considère la rusticité des Africains comme un retard, et peut-être une altération, mais en aucun cas il ne l’interprète comme le signe d’une altérité radicale10. Il considère que les Africains peuvent parcourir tous les degrés de la civilisation pourvu qu’ils accèdent au « luxe », un point central de sa réflexion. Par-là, il entend un ensemble de conditions matérielles et culturelles, les « commodités et les bonnes choses de la vie », propices à la vie policée, soit « tous les plaisirs placés au-delà de la simple vie animale ». On reconnaît là un trait typique de l’historicisme matérialiste des Lumières écossaises, pour lequel les progrès en matière de civilisation s’appuient sur des pratiques concrètes, analysées sous le prisme de leur matérialité et de leur dimension économique.
7L’ambition du Suédois apparaît dans la seconde partie de sa brochure, dans laquelle il détaille les caractéristiques environnementales de la côte de Guinée : climat, qualité des sols, productions agricoles. Wadström cherche à infirmer l’impossibilité, pour des travailleurs européens, d’y travailler les champs. Ce lieu commun était jusqu’alors mobilisé pour justifier le travail forcé des Africains dans la zone intertropicale ; c’est l’un des arguments les plus souvent réfutés par les acteurs du moment coloniste. Contemporain de l’ère des révolutions, qui fut aussi l’âge des indépendances de l’hémisphère américain, son projet s’appuie sur le modèle suivi par les territoires du Nouveau Monde, filles émancipées de la Grande-Bretagne. Recourant aux métaphores de la famille et de l’émancipation, il présente les colonies comme les enfants d’une mère-patrie sommée d’accepter l’indépendance de sa progéniture arrivée à maturité11. D’autres auteurs, tel l’abbé de Pradt, développent avec succès la même idée à une époque légèrement postérieure12. À leurs yeux, ce processus inéluctable de libération devait assurer la diffusion progressive de la « civilisation » et de la prospérité grâce à la mise en culture de terres supposément vierges et l’émergence de nouveaux gouvernements libres. En une analyse encore inspirée par les Lumières écossaises, les sociétés civiles avancées se constituent à travers le franchissement d’étapes correspondant à différents modes de subsistance et de vie. Cette dynamique ne concerne pas seulement les populations surnuméraires de l’Europe, mais l’humanité tout entière. Entendue comme un processus solidairement matériel et culturel, la colonisation nouvelle se présente comme le remède aux maux de l’Europe et de l’Afrique que sont l’excès de population, d’un côté, la traite et l’esclavage de l’autre.
8Alors que les révolutions de Saint-Domingue font vaciller le système esclavagiste dans les Antilles, Wadström publie son Essay on colonization en 1794, à Londres, qui complète et affine ses réflexions tout en proposant un nouveau projet13. On y trouve des développements inédits sur le devenir des esclaves affranchis pendant la guerre d’Indépendance américaine du fait de leur engagement dans les armées loyalistes14. Passé par la Nouvelle-Écosse, certains se trouvaient alors dans une situation dramatique dans les rues de Londres, à l’instar d’autres Africains libres. L’idée de Wadström est de faire de cette « population surnuméraire » l’opératrice d’une colonisation civilisatrice vers l’Afrique15, et plus précisément la Sierra Leone et l’île de Bolama, alors placées sous protection britannique. Dès l’origine, la colonisation nouvelle ne concerne donc pas seulement les acteurs européens, qui sont présentés par Wadström comme des ferments de corruption morale16. On perçoit à ce trait le fond chrétien qui anime cette pensée. La rédemption d’un système corrompu proviendrait de ses victimes, dans un mouvement universel de régénération.
9Du reste, Wadström ne se contente pas de proposer le « retour » d’affranchis vers l’Afrique pour rédimer le « système atlantique ». L’ouvrage reprend la liste des critiques des Lumières tardives concernant les empires modernes17, mobilisées ici pour dessiner des solutions pratiques et justifier la formation de « colonies agricoles18 ». L’exaltation du travail des fermiers pour conduire les Africains à la vie civilisée rappelle la pastorale républicaine d’un Jefferson19. Le fond de sa pensée est aussi libéral, à la manière de Smith : la liberté du commerce et du travail accroît les échanges et les forces productives, permettant d’associer harmonieusement l’intérêt des marchands, des producteurs et des consommateurs dans une sorte de théodicée. La monnaie joue un rôle important dans sa théorie puisqu’il s’agit, ici encore, d’échapper au système mercantiliste qui assimile le commerce à la guerre. Le Suédois insiste sur la nouveauté de son modèle qui doit se tenir éloigné des rivalités impériales en évitant la conquête. Comme le voulait Raynal et Diderot pour légitimer l’installation de colonies20, les territoires convoités par Wadström sont à la fois vides d’hommes et dépourvus de gouvernement21. C’était une vue très optimiste et lourde de conséquences, même s’il serait exagéré d’y voir l’anticipation des dispositifs juridiques qui autorisèrent la colonisation de l’Afrique intérieure après la Conférence de Berlin (1885) en raison de l’absence supposée d’État.
10À partir de 1791, la révolution des esclaves de Saint-Domingue appelle l’abolition de l’esclavage sur place puis dans l’ensemble de la République22. La liberté générale implique la réorganisation de l’économie coloniale sous le sceau de la liberté. Constitutionnalisée en l’an III, la départementalisation des colonies ultramarines s’inscrit dans une vue plus générale de régénération de l’ancien empire. Comment républicaniser un empire ? Comment transformer les colonies par la liberté ? Que faire pour sortir du système de travail forcé mis en place à Saint-Domingue après l’abolition de l’esclavage23 ? Plusieurs groupes, actifs sous le Directoire, s’emparent de ces questions pour trouver des solutions pratiques à ces questions urgentes. Ils affrontent, à partir de 1797, les tenants d’une restauration coloniale pure et simple, qui finiront par triompher en 1802 avec le retour de l’esclavage. Si l’on suit les travaux de Bernard Gainot, après son départ de Grande-Bretagne, Wadström est accueilli à Paris au sein de la seconde Société des Amis des Noirs, qui compte l’abbé Grégoire, François Xavier Lanthenas, l’économiste Jean-Baptiste Say, mais aussi Léger-Félicité Sonthonax, commissaire de la Convention à Saint-Domingue en 1793, Hélène Maria Williams, Frossard ou le général Servan24. Plusieurs écrivent dans La Décade philosophique des articles où les idées de la colonisation nouvelle sont promues. Ces réflexions accompagnent les prises de position de la République directoriale en matière coloniale, depuis le discours de Boissy d’Anglas concernant la régénération de l’empire à la loi du 12 nivôse an VI pour la départementalisation des Antilles, en passant, par le discours prononcé de Talleyrand à l’Académie des Sciences portant, précisément, sur la colonisation nouvelle (3 juillet 1797). Dans ce contexte, on comprend que l’essai de Wadström ait été partiellement traduit en français25, avec une adresse au « citoyen Talleyrand » qui insiste sur l’abolition de la traite comme préalable à toute colonisation future26.
Fin de la traite, débris d’empire : les dilemmes de la Restauration au cours de l’interrègne colonial
11Sous le consulat, dans l’attente de la paix d’Amiens, la question de Saint-Domingue commande toujours le débat. Comment récupérer l’île devenue autonome sous le gouvernement de Toussaint Louverture ? Comment y rétablir les cultures, sachant que le retour de l’esclavage est une mesure dangereuse, certainement difficile à appliquer ? Alors que l’abbé de Pradt publie des ouvrages démontrant le caractère inéluctable de l’indépendance des colonies27, un certain Gaëtan de Raxis de Flassan propose la « servitude temporaire des noirs » pendant trente ans, associée à une colonisation de militaires français (et non une colonisation militaire, comme il le précise bien lui-même), les seconds contrôlant les premiers. On observe que le terme est ici encore associée au travail libre et aux migrations européennes28. Mais, comme on le sait, l’ancien régime colonial est rétabli par Bonaparte en 1802.
12Le refus de l’esclavage à Saint-Domingue conduit à l’indépendance d’Haïti, qui, si elle n’est alors pas reconnue par la France, approfondit la crise du système atlantique traditionnel. Entre la paix d’Amiens et la guerre contre le Portugal et l’Espagne qui commence en 1807-1808, la France perd la quasi-totalité de ses colonies qui sont occupées par la Grande-Bretagne dans la majeure partie des cas, par l’Espagne constitutionnelle à Santo Domingo et par le Portugal en Guyane. La Louisiane, récemment récupérée, avait été cédée en 1803 aux États-Unis. L’empire français se replie alors sur sa seule dimension européenne, en un tournant qui n’a peut-être pas été assez remarqué. Ces événements inaugurent un interrègne colonial, plongeant dans une crise profonde tous les secteurs de la société et de l’économie françaises qui vivaient de ces échanges. La perte des territoires ultramarins déclenche par ailleurs un vaste mouvement migratoire depuis les Antilles françaises vers les États-Unis, l’Amérique espagnole ou le Brésil. Les réseaux constitués par ces Français d’outre-mer furent autant de points d’appui pour les projets colonistes des années postérieures.
13Réclamée depuis longtemps par les sociétés abolitionnistes, l’interdiction de la traite par les Américains et les Britanniques en 1808, suivie par sa mise hors la loi lors du Traité de Vienne en 1815, représente un tournant fondamental pour comprendre la continuité des projets colonistes. Ces mesures répondaient à la révolution haïtienne. Afin d’éviter la répétition d’une telle « catastrophe » dans d’autres colonies, il fallait maintenir un certain équilibre numérique entre libres et esclaves, blancs et noirs en prohibant l’odieux commerce. Une loi, adoptée par le gouvernement de Louis XVIII en avril 1818, l’interdit depuis les ports français, sans grand succès, d’ailleurs, puisqu’une traite interlope fut tolérée jusqu’en 1831, malgré la pression des Britanniques29.
14Après le retour des Bourbons, ce contexte d’interrègne impérial et de crise du système colonial ouvrit en France un débat nourri à propos du redéploiement ultramarin du pays. Certains secteurs de la société française, parmi lesquels maints libéraux, estimaient que l’avenir des échanges économiques devait dépasser la relation coloniale pour s’ouvrir à de nouveaux marchés en Asie comme aux Amériques. C’est dans ce cadre que les gouvernements de Louis XVIII renouèrent avec les réflexions, projets et entreprises colonistes du Directoire au lieu de s’en tenir à la politique de restauration coloniale soutenue depuis 1802. Sur le plan international, la faiblesse française imposait à la monarchie bourbonienne de repenser l’empire. Après avoir perdu l’ensemble de ses colonies entre 1804 et 1809, la France récupéra lentement la souveraineté sur certains de ces territoires au moment même où elle retrouvait la sienne, puisque la métropole fut occupée jusqu’en 1818. La Martinique fut restituée par le traité de Paris fin 1814 et la Guadeloupe en 1816 après avoir été un temps vendue aux Suédois. Les troupes de la monarchie portugaise se retirèrent de Guyane en 1816, tandis que les comptoirs du Sénégal ne reçurent leur gouverneur français, Julien Schmaltz, qu’en 1817. Il fallut pour cela que celui-ci survive au naufrage de La Méduse. La France redevenait un archipel impérial partagé entre l’Océan Atlantique et l’Océan Indien, comme à la suite de la guerre de Sept Ans, à la différence que Saint-Domingue demeurait indépendante, même si l’on caressait l’idée de la reconquérir par la force ou la négociation. Plusieurs missions furent organisées en ce sens, comme celle de Jean-Jacques Dauxion-Lavaysse. Toutes furent des échecs30. Au même moment, les patriotes de l’Amérique latine déclaraient l’indépendance d’une dizaine de nouveaux États entre 1818 et 1825. L’intervention française en Espagne, en 1823, suscita quelques espoirs de reconstitution d’un empire français dans les anciennes possessions espagnoles, même si l’alliance avec le gouvernement restauré de Ferdinand VII compliquait le projet. La possible reconquête de l’Amérique hispanique par une expédition franco-espagnole suscita néanmoins une grande crainte au sein des nouvelles républiques indépendantes. Les regards colonistes se tournèrent alors vers cet espace, plein de promesses31.
15Aux yeux de certains membres du ministère de la marine et des colonies, de députés et de publicistes, l’interrègne colonial français rendait impossible le retour au système impérial ancien. Un puissant parti agrariste prôna l’abandon des colonies pour que l’économie française se recentre sur la production agricole de la métropole, source sûre de richesse. Mais la France restait une société impériale du fait de son abondance en capitaux, des intérêts des bourgeoisies négociantes des façades atlantique et méditerranéenne, des savoirs et des réseaux développés au sein du complexe entrelacs d’institutions, d’intérêts et de groupe qui avaient constitué une « machine coloniale » présente dans la Caraïbe, en Afrique et dans l’Océan indien32.
16En 1819, les discussions parlementaires sur le budget de la marine témoignent de ces dilemmes concernant la relance impériale. Les colonies représentaient 14 % de l’ensemble des dépenses prévues de ce ministère et cela paraissait excessif aux yeux de nombreux députés33. Deux des représentants les plus éloquents pour soutenir l’expansion française provenaient de familles négociantes de La Rochelle – Jean-Louis Admyrault – et de Rouen – Jean-Marie Duvergier de Hauranne34, dont le fils Prosper, fut le grand publiciste libéral que l’on sait35. Ils ne défendaient d’ailleurs aucunement le retour au statu quo prérévolutionnaire, et prenaient acte, dans leurs interventions à la Chambre, de la liberté du commerce, des indépendances américaines, de la fin de la traite. Sans condamner les conquêtes, ils proposaient un nouveau « système de colonisation » pour balancer l’hégémonie britannique. Nourri des savoirs de l’économie politique, le débat ne portait plus tant sur l’expansion souveraine que sur la mise en valeur des colonies retrouvées et, plus généralement, des espaces avec lesquels les ports français pourraient commercer. Il renouait ainsi avec les réflexions du Directoire sur les liens entre expansion coloniste et liberté.
17Est-ce un hasard si le volume des Annales maritimes et coloniales datant de 1819 fait suivre les discours à la chambre d’Admyrault et de Duvergier de Hauranne, mentionnés plus haut, par une défense et illustration de l’entreprise coloniste ? Dans un compte rendu d’un ouvrage d’exploration de l’Afrique rédigé par le Britannique Edward Bowdich, Jean-Baptiste Biot reprenait un argumentaire bien connu à propos de la réorientation coloniale de l’Europe36. Membre de l’Académie des sciences, élu en 1803, ami de Bowdich et familier de Humboldt, Biot était professeur de mathématiques au Collège de France, physicien, et astronome. Avant de rentrer dans le détail de l’œuvre du Britannique, Biot prenait la peine de rédiger une longue préface sur les systèmes coloniaux. Après avoir loué ceux des Anciens, Grecs et Romains, pour leur capacité à semer la civilisation avec le commerce et les hommes, il en condamnait les formes modernes. Les Espagnols avaient assis leur domination sur la force, par le biais d’une économie extractive. Malgré son indéniable viabilité économique, le système atlantique de la traite et de l’esclavage lui paraissait « d’une immoralité révoltante ». Il exploitait la « misère permanente » d’une « portion du genre humain » au profit d’une autre, excitant « le désir immodéré de richesses ».
18Cette analyse républicaine, fondée sur la non-domination et le contrôle des pulsions humaines, débouchait sur l’exaltation de nouveaux liens commerciaux entre des colonies émancipées et leurs anciennes métropoles. Les intenses échanges entre les États-Unis et la Grande-Bretagne servaient ici de modèle à un « système de colonisation », « seul conforme aux règles de la morale et de la justice », appuyé sur deux règles d’or. La première consistait dans la centralité de l’agriculture pratiquée par des fermiers indépendants, condition d’une société frugale, productive et régulière dans ses mœurs. La seconde était l’établissement de colonies de peuplement promises à l’émancipation dans un raisonnement qui soulignait la vanité de toute conquête et le caractère passager des souverainetés impériales bientôt remplacées par des échanges mutuellement profitables entre nations souveraines. Les avantages commerciaux d’un tel lien entre des territoires émancipés seraient grands pour la France. Biot empruntait aussi à Malthus pour construire son argument, comme la plupart des colonistes à cette époque. L’accroissement de population supposait l’émigration européenne vers des espaces réputés vides pour parvenir à l’adéquation entre population et ressources. Ce programme avait un caractère conservateur sur les plans social et politique, puisqu’il visait aussi à éloigner « le malaise et l’agitation des peuples37 ». Biot liait ainsi l’exploration de nouveaux territoires, en Afrique de l’Ouest, à l’émigration et à la colonisation agricole en une formule reprenant les réflexions antérieures sur la colonisation nouvelle.
19De nombreux projets plus concrets fleurirent juste après le retour des Bourbons sur le trône. C’est le cas de celui du Néerlandais Dirk van Hogendorp. Cet agronome avait vécu plusieurs années à Java où son père était gouverneur. Cette expérience avait fini par lui faire réprouver les maux de l’empire. Il milita activement par la suite pour l’abolition de l’esclavage et de la traite38. C’est dans cette perspective qu’en 1817, il publia une brochure où il défendait à la fois la nécessité des colonies et l’absurdité de la domination ultramarine des Européens39. Son ouvrage dénonçait la confusion entre colonisation et souveraineté territoriale, établissant une distinction très nette entre trois types d’établissements européens. Si les « colonies » avaient une vocation essentiellement agraire, les « établissements de commerce » étaient des appuis aux échanges de la métropole avec le monde. Enfin, les « possessions territoriales » résultaient d’une conquête à l’image des empires bâtis au-delà des mers par les Espagnols, les Portugais et les Hollandais. Selon van Hogendorp, la fin de la traite et de l’esclavage ne signifiait pas celle de la colonisation, comme l’affirmait alors l’abbé de Pradt. C’était au contraire l’occasion de privilégier les « colonies », sur le modèle de l’Antiquité, et les « établissements de commerce » dans une relation certes exclusive avec la métropole, aux dépens des « possessions territoriales », du travail servile et des compagnies à privilège dont il démontrait le caractère nocif. La plupart de ces plans de colonisation soulevaient un argument malthusien alors en vogue : celui d’un excès de population européenne qui devait naturellement trouver outre-mer des ressources pour subsister. L’espoir mis en l’adéquation entre la population et les ressources représentait l’un des arguments de longue durée en faveur de la colonisation, qu’elle soit souveraine ou non, comme facteur de régulation sociale pour résoudre les crises frumentaires, les conflits fonciers, puis la question sociale naissante, ou obtenir l’éloignement des asociaux et des criminels, comme à Botany Bay. Ce programme explique le choix d’une immigration et d’une colonisation organisée qui marque les entreprises colonistes postérieures, en Amérique latine par exemple.
Après le premier empire, la réorientation du commerce français
20La colonisation post-esclavagiste et non-souveraine ne fut pas seulement l’affaire des ministères et des intellectuels progressistes40. Elle s’inscrit aussi dans la vaste crise économique ouverte par l’interrègne colonial français. Certes, après 1815, les milieux d’affaires liés au commerce colonial, les armateurs, les propriétaires d’habitations rêvaient de rétablir l’empire colonial tel qu’il était avant la Révolution. Le comte de Saint-Cricq, directeur des Douanes, rappelait devant la Chambre en 1822 que les colonies occasionnaient avant la Révolution un mouvement commercial de 245 millions de francs avec la métropole, donnant lieu à un enrichissement effectif de la métropole d’une « somme de 240 millions environ41 ». De ce « paradis perdu », selon l’expression ironique de Francis Démier, que restait-il après Trafalgar et Waterloo ? En 1829, le Courrier commercial dressait un constat alarmant pour les intérêts métropolitains en proposant des chiffres très différents. Les importations depuis les colonies, qui s’élevaient à environ 719 millions de francs en 1787, avaient diminué d’un facteur 2,6 en 182742, de même que les exportations (2,5). La remise en route de la production antillaise posait aussi des problèmes très sérieux. En 1814, la Chambre de commerce de Nantes estimait qu’il faudrait introduire « 36 000 nègres » pour rétablir la production sucrière43. L’entreprise achoppait sur l’interdiction de la traite, à peine compensée par les expéditions illégales d’armements français jusqu’en 1831.
Graphique 1. Trafic colonial et international des quatre principaux ports français (importations et exportations, 1827‑1836)

21On se représente mal le choc que fut la perte de Saint-Domingue pour le commerce colonial français et les grands ports atlantiques qui le portaient. On connaît le rôle de Nantes, Bordeaux, La Rochelle au cours du moment axial de la traite, alors même qu’entre 1760 et 1820, près de 80 % des captifs africains étaient réduits en esclavage pour être envoyés aux Amériques. Le graphique 1, construit à partir des données fournies par le Tableau du commerce français44, témoigne du déclin relatif de Nantes et Bordeaux, les deux grands ports négriers français du xviiie siècle. Leur stagnation, due à la crise du système atlantique et à la perte des débouchés coloniaux, ouvre la voie au décollage havrais sous la Monarchie de Juillet, qui s’appuie sur les échanges libres avec la Grande-Bretagne ou les États-Unis. C’est surtout Marseille qui profite du recul des ports atlantiques. La place devient le premier port de commerce, témoignant du retour de la Méditerranée comme lieu fondamental des échanges pour l’espace français45.
22Pourtant, une part importante de ces bourgeoisies marchandes s’accrochait à l’ambition d’une restauration coloniale à l’ancienne, fondée sur des échanges protégés avec les îles à sucre esclavagistes des Antilles et de l’Océan Indien. Elles étaient soutenues en cela par tous les groupes d’intérêt engagés dans les anciennes colonies, propriétaires terriens et financiers. Malgré leur puissante influence, surtout sur les bancs des chambres, il apparaissait évident que d’autres voies devaient être explorées à la faveur de l’essor de certains marchés étrangers et l’ouverture des anciennes colonies ibériques devenues indépendantes au commerce international. Face à la rétraction de l’espace colonial français, l’émergence de nouveaux marchés du Mexique au Río de la Plata, du Pérou au Brésil, suscitait d’immenses espoirs.
23Ces enjeux nourrissaient de vives tensions à propos de la réorientation du commerce ultramarin. En 1823, le baron Portal, ministre de la marine de 1818 à 1821, reconnaissait la vigueur du débat « [d]epuis 1814 ». Il s’était « élevé sur les colonies, sur la marine militaire, sur le commerce extérieur et lointain des discussions très-vives, quelquefois trop vives, et il était difficile qu’il en fût autrement. » Portal était issu du milieu de l’armement bordelais. Membre actif de la Chambre de commerce, il anticipait l’essoufflement du modèle colonial traditionnel en soulignant la cherté du sucre antillais par rapport aux productions cubaines46. À ses yeux, les barrières mercantilistes devaient certes protéger ces intérêts coloniaux dont la force politique et économique restait fondamentale dans le pays. Une surtaxe sur les sucres étrangers avait été adoptée en 1816. Portal considérait néanmoins qu’une telle mesure devait se limiter au sucre, car la politique commerciale de la France avait tout intérêt à se tourner vers d’autres horizons grâce à l’essor d’une marine marchande dûment protégée par les escadres de la Royale47. Celle-ci pâtissait néanmoins de l’épuration sévère de ses cadres compromis avec la Révolution et l’Empire. Portal parvint à contenir les haines héritées du passé en son sein. Il ambitionnait, en outre, d’établir des liens économiques avec un ensemble de pays, anciennement coloniaux, dont les productions, différant de celles des colonies françaises, pouvaient susciter un commerce fructueux comme « le Venezuela, le Mexique, Montevideo et Buenos-Ayres, le Chili, le Pérou, etc., etc., […]48 ». Sa position était soutenue par quelques individualités fortes, comme l’armateur Thomas Dobrée de Nantes, indépendant des intérêts coloniaux après avoir d’abord cherché à se lancer dans le trafic négrier, le Bordelais Pierre Balguerie-Stuttenberg, pourtant engagé dans le commerce antillais et ancien propriétaire d’une habitation à Saint-Domingue, le Rouennais Jean-Marie Duvergier de Hauranne ou l’armateur-négociant havrais Michel Delaroche, qui lui aussi avait participé à la traite49. De fait, si la production de sucre se releva dans les années 1820, sans atteindre les niveaux prérévolutionnaires, il en alla tout autrement d’autres importations comme le café, l’indigo, le coton, qu’il fallait trouver ailleurs. Ces problèmes d’approvisionnement incitaient à l’ouverture de nouvelles routes commerciales. Ils ouvraient le problème plus général de la production des « denrées coloniales » dans un contexte où l’esclavage apparaissait menacé et dans un monde atlantique où la souveraineté impériale européenne était désormais réduite à peau de chagrin. Dans le Sud des États-Unis, à Cuba et au Brésil, l’expansion rapide d’un « second esclavage » fournit une réponse pratique à cette question, qui n’était pas celle des libéraux. Parallèlement, d’autres voies furent explorées.
Trois projets colonistes soutenus par le gouvernement français
24L’interrègne impérial et la crise coloniale expliquent une initiative du gouvernement français en 1820 concernant trois entreprises de colonisation obéissant à une rationalité plus économique que politique. Avec l’aide et la protection publiques, celles-ci devaient déboucher sur la multiplication d’initiatives privées. C’est à ce moment également que le Ministère de la marine prit un virage plus libéral en abandonnant le plan d’une reconquête militaire d’Haïti. À travers la direction des colonies, il soutint des projets de colonisation agraire de colons libres, africains, asiatiques ou européens, destinés à alimenter le commerce des grands ports français. Aux yeux du ministre, il s’agissait de :
dédommager (la France) des possessions coloniales que nous avions perdues, mais comme l’abolition de la traite des noirs ne permettait plus d’en recruter la population esclave, on rechercha s’il ne serait pas possible d’introduire dans la colonie des cultivateurs européens propres à remplacer, avec le temps, les travailleurs noirs, pour la production des denrées coloniales50.
25Ces « colonisations » étaient prévues dans l’île dite de Sainte-Marie à Madagascar, dans la vallée du Sénégal au-delà de Gorée et dans la vallée de la Mana en Guyane. Ces localisations décrivaient trois contextes très différents, témoignant de la plasticité de ces entreprises colonistes au regard de la question de la souveraineté. Alors que la colonisation guyanaise joignait la domination territoriale à un projet post-esclavagiste, le cas du Sénégal supposait la négociation d’un traité avec le brak du Waalo qui demeurait souverain des terres à cultiver. L’entreprise devait prendre la suite de la Société coloniale philanthropique, devenue Société coloniale africaine. Dirigée par l’Anglais Parson et le Français Sévigny51, cette dernière souhaitait installer environ 200 colons européens près de Dakar52 dont certains travaillèrent finalement dans les plantations soutenues par l’État français. La colonisation malgache avait en revanche le caractère d’une enclave. L’île de Sainte-Marie, sur la côte orientale de Madagascar, fut le lieu choisi, dans des concessions accordées par des autorités locales sous la forme de « trois villages » pour un prix fixé à l’amiable53. L’entreprise se heurta à l’hostilité combinée des monarques de Madagascar Radama Ier et Ranavalona Ière et des Britanniques de l’île Maurice, condamnant le développement de l’entreprise en 1832. De ce point de vue, la relation avec les souverainetés locales représenta une dimension fondamentale de l’échec ou du succès des entreprises. L’accès à la terre dépendait, au Sénégal comme à Madagascar, du bon vouloir des souverains africains, qui pouvaient mettre fin à ces expériences dès qu’ils l’estimaient opportun.
26Vus comme une solution possible à la crise des ports français, les trois projets bénéficièrent du soutien décidé du Ministère de la Marine et des Colonies. Outre la préparation des lots par des travaux de défrichement et la construction de maisons, les sommes de 700 000 francs de prêt pour Madagascar et deux millions pour la Guyane furent prévues au budget de l’État. Ces fonds devaient être remboursés une fois que ces établissements prospéreraient. C’est là un trait durable, observable dans les entreprises privées de colonisation. La mobilisation du capital pour la mise en valeur de la terre constituait l’un des problèmes cruciaux du moment coloniste, donnant lieu à des solutions pratiques variées. En règle générale, les colons investissaient leurs économies dans des sociétés de colonisation qui promettaient, en échange de quelques années de travail au service de la colonie, la pleine propriété de la terre. Ce montage explique, d’ailleurs, que les archives de ces expériences soient classées aujourd’hui dans les fonds de police, puisque plusieurs chefs de ces entreprises furent soupçonnés d’escroquerie.
27C’est au Sénégal que l’expérience produisit les meilleurs résultats sur le plan agricole. Les opérations furent essentiellement conduites par deux gouverneurs de la colonie du Sénégal, le colonel Julien Schmaltz54 et le baron Jacques-François Roger, de sensibilité libérale (1822-1827)55. Comme il était impossible de développer des plantations à Gorée, la colonisation dut s’établir dans la basse vallée du fleuve Sénégal. Après une première tentative infructueuse auprès de l’imam Bubakar du Dimat pour installer les exploitations dans le royaume du Fuuta Tooro, le foncier – soit 1 200 hectares (1826) – fut concédé par le brak du Waalo, royaume voisin du comptoir de Gorée, lors du traité de Njaw (mai 1818). Les plantations de coton se développèrent d’abord à Koïlel, sous la direction de Roger qui n’était pas encore gouverneur, sous la forme d’une habitation royale qui suivait le modèle dominguois, avant de s’implanter à Bakel (1820), puis à Dagana (1821), Merinaghen (1822), enfin à Faff et Richard-Toll. L’opération ne fut pas acceptée par les royaumes proches (maures, trarzas, brakna, Darmankur, Kajoor, Fuuta Tooro), qui interdisaient la cession des terres aux « gens de l’eau » venus de la côte56. Le brak du Waalo et les gouverneurs de Gorée durent mobiliser des forces armées pour protéger les établissements où travaillaient des affranchis africains, devenus engagés à temps57.
28Des traits communs lient les trois expériences colonistes de la Restauration au paradigme de la colonisation nouvelle. La première est l’intérêt pour les sciences de la nature, l’amélioration des techniques agronomiques et l’expérimentation de semences. Le gouverneur Roger installe ainsi, le long du Sénégal, quelques stations où il fait tester de nouvelles cultures. Outre le coton et la gomme arabique, l’arachide et le latex obtinrent de bons résultats. En ce sens, la colonisation agraire constitue un type de savoir-pouvoir inédit, croisant les dernières connaissances de l’époque, en médecine, climatologie, géologie, sciences de la nature, anthropologie et linguistique58, même si on note partout une grande difficulté à s’emparer des savoirs locaux sur les plantes et les modes de culture. Roger publie des Recherches philosophiques sur la langue ouolofe ainsi qu’un récit, Kélédor, histoire africaine, dénonçant la traite et l’esclavage atlantiques59. Selon lui, les entraves au progrès des « Ghiolofs » étaient la servilité et les raids maures. Ces savoirs nourrissent moins une « machine coloniale » qu’ils ne construisent un nouveau récit de l’expansion de la « liberté » dans les « contrées » éloignées de l’Europe. Pour ce savant, il s’agissait, au fond, de dresser une cartographie des peuples susceptibles d’être régénérés par la libération de la servitude à l’adresse de la communauté savante européenne, et plus particulièrement de la Société de géographie avec laquelle il correspondait.
29Ce programme libéral n’était pas désincarné, puisqu’il s’appuyait sur les outils concrets de la colonisation agraire. Il prolongeait ainsi la réflexion des Lumières sur les conditions matérielles permettant le progrès des sociétés civiles. Le concept clé était la régénération des populations, sans intervention extérieure autre que la transformation du travail. L’un des rescapés de la Société philanthropique coloniale du Cap-Vert, Laurent Basile Hautefeuille, militant abolitionniste et coloniste convaincu60, condensait en quelques lignes cette dynamique de régénération, dans son Plan de colonisation des possessions françaises dans l’Afrique occidentale, au moyen de la civilisation des nègres indigènes. Le titre était à lui seul un programme : la souveraineté impériale importait moins que la colonisation, c’est-à-dire le peuplement et la mise en valeur économique des territoires possédés.
Pour exécuter le plan que je me propose de développer, écrivait Hautefeuille, il faudra attirer, comme on le verra, sur nos plantations un grand nombre de noirs indigènes. Ces hommes, une fois admis parmi nous, seront soumis à des lois régulières ; ils apprendront à tirer de la terre les richesses qu’elle donne au travail ; en un mot, ils commenceront à quitter leurs mœurs primitives, pour se conformer aux nôtres. Leur contact habituel avec les planteurs amènera ce résultat avec d’autant plus de facilité, que tous les règlements auront pour but de le favoriser. De cette manière, la population tout entière de nos colonies aura bientôt atteint un degré de civilisation assez élevé, et elle continuera à s’avancer dans la même voie, d’un pas lent, peut-être, mais assuré. […] De ce commerce avec des hommes civilisés, naît forcément une amélioration dans la manière de vivre d’un sauvage, qui se trouve naturellement conduit à désirer des objets qu’il ne connaissait pas jusqu’alors, mais dont il découvre chez ses voisins l’existence et l’usage. Pour les obtenir, il faut les payer, c’est-à-dire qu’il faut travailler. Le nègre, devenu laborieux, imite seul, imparfaitement d’abord, ce qu’il a vu faire chez les blancs ; il cultive la terre. De là pour lui de nouvelles relations avec les hommes civilisés, auxquels il vend les fruits de ses travaux ; partant, de nouvelles occasions d’améliorer ses mœurs. Il est facile de concevoir que cet esprit d’imitation, ce désir de se procurer toutes les aisances de la vie, gagneront progressivement, et avec assez de rapidité, des villages, des peuples, des nations entières61.
30Refusant l’esclavage, les entreprises de colonisation ne furent pas tant confrontées dans la pratique à la question du travail libre qu’à celle du labeur volontaire, comme on l’a déjà signalé. Pas plus que les laboureurs venus d’Europe, les populations locales n’étaient désireuses de s’employer dans ces plantations dont les conditions de travail étaient particulièrement pénibles. Au Sénégal, ni les colons venus de France, ni les populations locales n’acceptèrent de travailler dans ces exploitations de bon gré, si bien qu’il fallut mettre en place un système de rachat d’esclaves pour faire œuvrer les affranchis comme engagés à temps dès 182262. En 1826, ce nouveau régime concerne 300 personnes, sur un total de 1 800 africains employés dans 60 établissements. Un explorateur des côtes africaines, Jean-Baptiste Léonard Durand, admirateur de l’œuvre de Granville Sharp au Sierra Leone, avait du reste proposé dès 1802 la colonisation du Sénégal grâce au rachat de captifs et à l’engagisme63.
31Le bilan est plus décourageant encore en Guyane, où l’on compte sur le travail libre de migrants eux-mêmes libres. En 1820, des projets imaginent susciter l’établissement de « nègres libres », d’esclaves marrons du Surinam ou d’Indiens. En 1817, on prévoit en vain l’arrivée de 200 Chinois pour y installer la culture du thé. Des « défricheurs irlandais », venus des États-Unis, sont installés dans la vallée de la Passoura, sans plus de succès64. Des plans de colonisation envisagent l’arrivée de coolies chinois, de galériens, de « nègres libres » de Nouvelle-Angleterre. D’autres optent plutôt pour les « cultivateurs français » afin de favoriser la « colonisation blanche65 ». Si le plan de Catineau-Laroche prévoit l’arrivée de 100 000 colons, il n’arrive que 27 Chinois de Manille à Kaw en 181966, sept familles de « settlers » des États-Unis, et trois autres du Jura, installées sur les rives de la Mana. Tant et si bien qu’après avoir envisagé le retour des esclaves, le baron Milius, gouverneur de la Guyane, doit constater en 1828 l’échec de la colonie, avant qu’une nouvelle expédition, organisée par la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, ne parte de Brest avec seulement 98 personnes – dont 39 cultivateurs et 11 orphelins – pour prendre leur place67.
32Mises en œuvre sous la Restauration et bénéficiant du soutien du gouvernement et des chambres, les trois « colonisations » officielles furent imaginées et conduites par des hommes de sensibilité libérale et abolitionniste. Si elles répondaient à la plupart des conditions de la « colonisation nouvelle », elles annonçaient aussi une pratique qui s’imposera après les abolitions britannique et française pour suppléer le problème de la main-d’œuvre : l’engagisme. En ce sens, cette première expérience coloniale de la Restauration, antérieure à la conquête d’Alger, constitue un laboratoire précoce d’une colonisation post-esclavagiste associant les migrations libres de travailleurs européens au retour du travail forcé. On reconnaît là une inflexion précoce vers un nouveau type de colonialisme qui imprégnait le « réordonnancement » du monde par « l’empire libéral » britannique68 ou la « mission civilisatrice » de la Troisième République.
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33Dans un beau livre, Jennifer Pitts a fait l’histoire du tournant impérial des intellectuels libéraux britanniques et français dans les années 1830, en explorant les trajectoires de John Stuart-Mill et d’Alexis de Tocqueville69. Si le constat paraît solide d’un ralliement de certains « libéraux » à l’expansion ultramarine de leur pays, il est important de clarifier leur position avant ce tournant. Si l’on entend colonisation à la manière d’un Hogendorp, à la lumière des distinctions opérées par l’économie politique des Lumières et du premier libéralisme, il apparaît évident que maints libéraux français et britanniques de « l’âge des révolutions » furent tout autant opposés à l’impérialisme70 que très favorables aux expériences colonistes pourvu qu’elles respectent la liberté des travailleurs et du commerce et refusent les armes. Après avoir été l’outil de la corruption du monde, la colonisation pouvait devenir, selon eux, l’instrument de sa régénération hors de la sphère occidentale.
34C’est en pleine cohérence avec ses positions indépendantistes que Jeremy Bentham pouvait ainsi louer la colonisation dès 1811. Non pour enrichir la métropole, mais parce que celle-ci permettait la diffusion du « bien-être du genre humain » en conduisant les « races » les plus propres à cette expérience, celles qui se caractérisent par leurs « habitudes d’économie et de travail », à « se propager dans les terres vacantes ». Il concluait ainsi de façon très claire en mettant en relief l’articulation entre anti-impérialisme et colonisation :
1° Ne doit-on faire aucun établissement colonial ? Aucun, avec l’objet d’enrichir la mère-patrie : c’est toujours une dépense certaine pour un profit contingent et très-éloigné ; mais nous avons vu que, comme moyen de soulager la population, d’en prévenir l’excès, de ménager une issue à ceux qui se trouvent trop pressés sur le sol natal, la colonisation offre une ressource avantageuse : et que si elle est bien conduite, si elle n’est soumise à aucun assujettissement, qui entrave sa prospérité, il peut en résulter la création d’un peuple avec lequel on a tous les rapports de langage, d’habitudes sociales, de liens naturels et politiques. Quand on aurait cessé de voir les colonies avec les yeux avides de la fiscalité, la plupart des inconvénients de l’état colonial, dont nous avons parlé, cesseraient d’eux-mêmes71.
35« Colonisation » contre « état colonial », c’était la grande affaire de la pensée libérale dans son appréhension de l’expansion de la liberté dans le monde. En 1824, quelques années avant le « tournant impérial », on trouve, chez l’un des plus grands économistes libéraux du début du xixe siècle, Jean-Baptiste Say, la même équation, même si sa pensée varia au fil du temps. La condamnation sans réplique du système esclavagiste ouvrait logiquement sur la louange de l’entreprise américaine qui, dès 1817, prévoyait l’installation des Noirs émancipés des États-Unis au Liberia72.
36Le développement de l’économie politique, au xviiie siècle, s’appuie sur une large réflexion autour de la constitution et du développement des empires européens, saisis dans leur histoire et leurs particularités. Le siècle est aussi celui du déplacement de plus en plus conscient des rivalités étatiques vers le terrain économique et les espaces coloniaux. De ce point de vue, l’analyse comparée et diachronique des empires constitue l’un des points d’appui centraux à la constitution de la science nouvelle qu’est l’économie politique. C’est elle qui, à partir d’une réflexion sur les relations entre guerre et commerce, articule une critique de l’expansion coloniale de l’Europe dans le monde. Ce contexte d’émergence fait de ce concept une ressource intellectuelle précieuse pour penser les empires à la jonction entre la raison économique (peuplement, production agraire, échanges) et politique (la conquête, la souveraineté, le gouvernement). Dans le style libéral d’analyse qui s’affirme à cette époque, elle aboutit, généralement, à une condamnation des trois maux qui affligent ces empires : guerre de conquête continuée dans les relations sociales violentes et « dénaturées » des sociétés coloniales ; mercantilisme qui promeut les conflits entre producteurs et consommateurs, d’une part, entre puissances maritimes, d’autre part ; esclavage et traite négrière qui sont à la fois une honte morale, un principe de corruption des républiques et un mauvais calcul économique. Néanmoins, le principe d’une intervention des « nations civilisées » et l’expansion des « races » actives dans le monde n’est pas remis en question, en vue du bien commun de l’humanité et de l’accroissement de la liberté.
37La colonisation non-souveraine apparaît ainsi comme un principe concret de pacification des relations interétatiques et des « sociétés civiles », par la mise en communication généralisée des systèmes de production, le commerce et une immigration civilisatrice dont l’origine n’est pas nécessairement européenne. Qu’ils soient ou non de fervents partisans de l’abolition de la traite ou de l’esclavage, les publicistes libéraux voient dans la fin du système atlantique non seulement l’arrêt d’un abus mais le levier permettant d’intégrer de vastes parties du monde à la régénération par le travail et les échanges. L’impérialisme qui en résulte se fonde sur un programme qui ne vise pas la prise de terres mais cherche à créer les conditions matérielles, militaires, juridiques et diplomatiques d’un commerce sûr et fructueux avec les nouveaux espaces arrachés à l’exclusif colonial britannique, espagnol et portugais. L’empire se fait outil de transformation du monde plutôt qu’opérateur d’une souveraineté expansive. À ce titre, la décennie 1820, en France comme en Grande-Bretagne et dans l’ensemble du monde atlantique, représente un laboratoire des solutions nouvelles, adossées à des répertoires libéraux, parfois républicains et même socialistes. Si les colonisations évoquées ici furent des échecs au regard des objectifs grandioses qui étaient poursuivis, du moins agençaient-elles, de manière inédite, les savoirs nouveaux sur la nature et l’économie à des valeurs progressistes autour d’un projet de métamorphose des relations entre peuples et nations, sous la conduite « éclairée » des puissances maritimes. Les libéraux – et les républicains – ne se rallièrent pas à ces solutions nouvelles qui reconsidéraient l’empire au xixe siècle. Ils en furent les inventeurs.
Notes de bas de page
1Bernard Gainot, « La Décade et la “colonisation nouvelle” », Annales historiques de la Révolution française, 339, 2005, p. 99-116. Voir également : id., « L’établissement libre de Sierra Leone, et les projets de colonisation nouvelle en Afrique (1783-1802) », Cahiers Charles V, 46, 2009, p. 71-95 ; id., « Le Dahomey dans la “colonisation nouvelle” 1799 », Dix-huitième siècle, 44, 2012, p. 97-116.
2Marcel Dorigny et Bernard Gainot (dir.), La colonisation nouvelle (fin xviiie-début xixe siècles), Paris, SPM, 2019.
3Silvia Sebastiani, The Scottish Enlightenment Race, Gender, and the Limits of Progress, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.
4Pour un ouvrage récent sur le « second esclavage » : Dale W. Tomich, Paul E. Lovejoy (éd.), The Atlantic and Africa. The Second slavery and Beyond, Albany, State University of New York Press, 2021.
5Dès les années 1840, ceux qui furent qualifiés ainsi à propos de l’Algérie française étaient les tenants d’une colonisation de peuplement. Le terme coloniste désigne ainsi une position dans le champ politique. Il est associé à son antonyme. Voir le sens que revêt ce mot dans la réflexion « anti-coloniste » du député de la Seine-Inférieure, Amédée Desjobert, « L’Algérie », Journal des économistes, 17/66, 1847, p. 121-141.
6Jules Lechevalier, Note sur la fondation d’une nouvelle colonie dans la Guyane française, ou, Premier aperçu d’un nouveau mode de population et de culture pour l’exploitation des régions tropicales, Librairie de F. Didot frères, 1844. Lechevalier est d’abord un adepte du saint-simonisme avant d’adopter la doctrine de Fourier, puis de s’enthousiasmer pour les thèses de Proudhon.
7Jean-Louis Marçot, Comment est née l’Algérie française (1830-1850) : la belle utopie, Paris, La Différence, 2012 ; Abdallah Zouache, « Le projet colonial saint-simonien. L’Algérie d’Enfantin », dans Thomas Bouchet et al. (dir.), Quand les socialistes inventaient l’avenir, Paris, La Découverte, 2015, p. 217-225 ; Marie Lauricella, « Algérie, terre promise. Plaidoyer pour une Algérie française dans la pensée de Buchez et ses disciples », Journal of Interdisciplinary History of Ideas, 4/7, 2015, p. 1-31.
8Concernant les républicains et les socialistes, voir : Clément Thibaud, « Idées et pratiques de la colonisation de la crise atlantique des empires à la Révolution de 1848 », dans Emmanuel Fureix, Quentin Deluermoz, Clément Thibaud (dir.), Les Mondes de 1848, Ceyzérieu, Champ Vallon, à paraître.
9Carl Bernhard Wadström, Observations on the Slave Trade and a Description of Some Part of the Coast of Guinea, during a Voyage, Made in 1787, and 1788, in Company with Doctor A. Sparrman and Captain Arrehenius, Londres, James Phillips, 1789.
10Voir Claude-Olivier Doron, L’homme altéré. Races et dégénérescence (xviie-xixe siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2016.
11Ibid., p. 57-58.
12Voir notamment Dominique Dufour de Pradt, Les trois âges des colonies ou De leur état passé, présent et à venir, Paris, Giguet et cie, 1801.
13Cet essai avait été préparé par un autre, publié deux ans avant pour préparer un plan d’installation des affranchis au Sierra Leone : Carl Bernhard Wadström, Plan for a Free Community at Sierra Leona, upon the Coast of Africa, under the Protection of Great Britain, Londres, Egerton, 1792.
14Sur l’installation de soldats loyalistes noirs au Sierra Leone, voir : Alan Gilbert, Black Patriots and Loyalists. Fighting for Emancipation in the War for Independence, Chicago, University of Chicago Press, 2012, chap. 8.
15Le but est en effet de « promouvoir la civilisation de l’Afrique » (Wadström, Plan for a Free Community at Sierra Leona, op. cit., p. 8).
16Ibid., p. 7.
17Ces critiques des Lumières dénonçaient les empires comme caractérisés par « l’injustice, la rapine et le meurtre » (Wadström, Plan for a Free Community at Sierra Leona, op. cit., p. 59). Wadström cite (et plagie par endroits) Adam Smith, Raynal, ainsi qu’Adanson pour les savoirs naturalistes.
18« Agricultural colonies » (ibid., p. 23).
19Ibid., p. 20.
20Guillaume-Thomas Raynal (abbé de), Histoire philosophique et politique des établissements & du commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, Jean Léonard Pellet, 1780, livre 8, t. 2, p. 250. La partie sur « Les Européens ont-ils été en droit de fonder des colonies dans le Nouveau-Monde ? » a été rédigée par Denis Diderot pour cette édition.
21Ibid., p. 62.
22Bernard Gainot, La révolution des esclaves. Haïti, 1763-1803, Paris, Vendémiaire, 2017.
23François Lanthenas, Religion civile proposée aux républiques pour lien des gouvernemens représentatifs, Paris, Comminges, 1798, p. 65. Lanthenas mentionne les « colonisations nouvelles » pour éviter le retour du travail forcé et de nouvelles formes de tyrannie. L’un des objets de son ouvrage est la « propagation de nos principes ».
24Bernard Gainot, « La Décade et la “colonisation nouvelle” », Annales historiques de la Révolution française, 339, 2005, p. 99-116.
25Carl Bernhard Wadström, Précis sur l’établissement des colonies de Sierra Leona et de Boulama à la côte occidentale de l’Afrique, Paris, Charles Pougens, 1798.
26Ibid., p. vii.
27Dufour de Pradt, Les trois âges des colonies, op. cit.
28Gaétan de Raxis de Flassan, De la Servitude temporaire des noirs et d’une colonisation de militaires à Saint-Domingue, Paris, Annales des arts et manufactures, 1801.
29Serge Daget, Répertoire des expéditions négrières françaises à la traite illégale, 1814-1850, Nantes, CRHIA, 1988.
30Bernard Gainot, « Jean-François Dauxion-Lavaysse (vers 1770-1830). De la reconnaissance de terrain à la reconnaissance sociale », Annales historiques de la Révolution française, 385/3, 2016, p. 67-86, ici p. 80 et suiv. ; Jean-François Brière, Haïti et la France, 1804-1848. Le rêve brisé, Paris, Karthala, 2008, p. 70 et suiv.
31Voir : Clément Thibaud, « Après l’esclavage. “Colonisation nouvelle” et méridien impérial en Amérique hispanique (1780-1860) », dans Marcel Dorigny (dir.), La colonisation nouvelle, Paris, SPM, 2018, p. 109-152.
32James E. McClellan, François Regourd, « The Colonial Machine: French Science and Colonization in the Ancien Regime », Osiris, 15/1, 2000, p. 31-50.
33En 1819, le budget des colonies s’élève à 6 342 094 francs sur un total de 45 200 000 francs. « Extrait de la Proposition de Lois sur la fixation des Budgets des dépenses et des recettes de 1819 », dans Annales maritimes et coloniales, Paris, Imprimerie royale, 1819, p. 494.
34Ibid., p. 516 et suivantes. La famille Duvergier est liée au commerce rouennais mais aussi havrais depuis le début du xviiie siècle et la femme de l’intéressé est la sœur d’un négociant-armateur rouennais, Édouard Prosper Quesnel. Sur les Duvergier de Hauranne, voir : Édouard Delobette, Ces Messieurs du Havre. Négociants, commissionnaires et armateurs de 1680 à 1830, dirigée par André Zysberg, thèse de doctorat, Université de Caen, 2005, p. 488, note 1261 et p. 1009, note 2972.
35Ibid., p. 494-536.
36Thomas Edward Bowdich, Mission from Cap Coast Castle to Ashantee, with a Statistical Account of that Kingdom and Geographical Notices of other Parts of the Interior of Africa, Londres, Murray, 1819.
37Jean-Baptiste Biot, « Mission envoyée, du fort de Cape-Coast, dans le pays des Ashantées, avec une description statistique de ce royaume, et des notions géographiques sur l’intérieur de l’Afrique, par T. Édouard Bowdich, conducteur de la mission », dans Annales maritimes et coloniales, op. cit., p. 753-791, ici p. 754-756.
38Dirk van Hogendorp, Kraspoekol, of De Slaaverny, Delft, Roelofswaert, 1800.
39Dirk van Hogendorp, Du système colonial de la France sous les rapports de la politique et du commerce, Paris, Dentu, 1817.
40On emploie ce terme par commodité, même s’il n’est pas satisfaisant, et d’autant moins que certains d’entre eux se mirent au service de la Restauration. Il désigne les individus de sensibilité libérale, républicaine voire socialiste, au sens large. L’indéfinition de la notion en fait, au fond, l’intérêt.
41Cité par Francis Démier, « Adam Smith et la reconstruction de l’Empire colonial français au lendemain de l’épisode révolutionnaire », Cahiers d’Économie Politique, 27-28, 1996, p. 241-276, ici p. 243.
42Le Courrier commercial, 25 mars 1829.
43Francis Démier, « Adam Smith et la reconstruction de l’Empire colonial français », art. cit., p. 245.
44Le Tableau est publié à partir de 1827 à partir des données fournies par la douane.
45Il faut sans aucun doute comprendre la conquête de l’Algérie sous le double rapport de l’échec relatif de l’ouverture post-impériale à la bordelaise, incarnée par le baron Portal, et de la prédominance acquise par la Méditerranée dans les flux commerciaux français vers l’outre-mer – y compris les Amériques – après la Révolution.
46Pierre-Barthélemy d’Albarèdes, « De la marine considérée comme l’une des sources de la richesse nationale », Mémoires du Baron Portal (Pierre-Barthélemy d’Albarèdes), Paris, Amyot, 1846 [1823], p. 35
47Ibid., p. 327.
48Ibid., p. 347.
49Delobette, Ces Messieurs du Havre, op. cit., p. 856, passim.
50Précis sur la colonisation des bords de la Mana à la Guyane française, Paris, Imprimerie royale, 1835, p. 3. La citation évoque donc la colonisation en Guyane française. La publication du précis, ordonnée par l’amiral Duperré en 1835 à partir des rapports officiels produits dans la décennie 1820, montre la continuité de l’ambition coloniale de 1815 à la Monarchie de Juillet.
51« Colony of Senegal », The Colonial Journal, 5, 1817, p. 420-427.
52Philippe Bonnichon, Pierre Gény (dir.), Présences françaises outre-mer, xvie-xxie siècles, Paris, Karthala, 2012, p. 501. Voir surtout Jenna Nigro, « Settler Colonialism in West Africa ? The Colonial Philanthropic Society in Senegambia, 1814-1818 », Journal of the Western Society for French History, 45, 2017, p. 69-80.
53Précis sur les établissements français formés à Madagascar, Paris, Imprimerie royale, 1836, p. 19.
54De 1816 à 1818 et de 1819 à 1820.
55Georges Hardy, La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854, Paris, Larose, 1921.
56Mamadou Diouf, Le Kajoor au xixe siècle. Pouvoir ceddo et conquête coloniale, Paris, Karthala, 2014, p. 126.
57François Zuccarelli, « Le régime des engagés à temps au Sénégal (1817-1848) », Cahiers d’Études africaines, 2/7, 1962, p. 420-461.
58Le baron Roger publie ainsi des Recherches philosophiques sur la langue ouolofe, suivies d’un vocabulaire abrégé français-ouolof, Paris, Dondey-Dupré, 1829.
59Jean-François Roger, Kelédor, histoire africaine, Paris, Moreau, 1829, livre 4, p. 21 et suiv.
60Laurent Basile Hautefeuille, Plan de colonisation des possessions françaises dans l’Afrique occidentale, au moyen de la civilisation des nègres indigènes, Paris, Levavasseur, 1830, p. 19-25. L’expression « nouveau système de colonisation » apparaît à la page 25.
61Ibid., p. 13-14.
62Ce régime de travail est officialisé par un arrêté pris le 28 septembre 1823.
63Jean-Baptiste-Léonard Durand, Voyage au Sénégal, Paris, Henri Agasse, 1802.
64Précis sur la colonisation des bords de La Mana, op. cit., p. 28.
65Pierre Charles Fournier de Saint-Amant, Des colonies, particulièrement de la Guyane française, en 1821, Paris, Barrois, 1822, p. 150 et suiv. Le « projet de colonisation blanche » apparaît à la page 154.
66Ibid., p. 125-150. Denis Lamaison, « Libres mais “réduits presque à l’esclavage” : histoire des premiers engagés chinois de Guyane française (1819-1835) », Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain. Cahiers du Mimmoc, 19, 2018 ; Serge Daget, « Main-d’œuvre et avatars du peuplement en Guyane française, 1817-1863 », Outre-Mers. Revue d’histoire, 297, 1996, p. 449-474.
67Précis sur la colonisation des bords de la Mana, op. cit., p. 60.
68Duncan Bell, Reordering the World: Essays on Liberalism and Empire, Princeton, Princeton University Press, 2016.
69Jennifer Pitts, A Turn to Empire. The Rise of Imperial Liberalism in Britain and France, Princeton, Princeton University Press, 2009.
70Impérialisme qu’ils nommaient parfois « colonisation » ou « colonisation moderne », ce qui ajoute à la confusion.
71Jeremy Bentham, Théorie des peines et des récompenses, Londres, Vigel et Schulze, 1811, t. 1, p. 331.
72Jean-Baptiste Say, « De la première colonie formée par les Américains en Afrique », Revue encyclopédique, 24, 1824, p. 5-18.
Auteur
Clément Thibaud est directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Spécialiste de l’histoire de l’Amérique latine des xviiie et xixe siècles, il a publié plusieurs ouvrages sur les indépendances hispano-américaines. Il est actuellement directeur du laboratoire Mondes Américains UMR 8168 (CNRS/EHESS/Université Paris-Nanterre/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

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