Épilogue
p. 361-387
Texte intégral
1Aussi l’évolution du contexte sociopolitique en AOF au cours des années 1950 consacre la séparation irrémédiable des élites de compromis des élites de transformation (après 1956, de moins en moins accommodantes !) et de rupture. Frederick Cooper montre bien comment, dans l’univers du travail, la modernisation du code du travail a également pour objectif de stabiliser la classe ouvrière et sa reproduction (grâce notamment aux allocations familiales), autour d’un modèle familial monogamique. Mais les radicalisations successives des syndicats rendent, là aussi, cette stratégie intenable. Dans ce contexte, les élites sur lesquelles s’appuie le pouvoir colonial sont les élus africains, qui avec la loi-cadre obtiendront des pouvoirs réels et très étendus. Cependant, chez Frederick Cooper, la « classe ouvrière » est une catégorie particulièrement extensive, puisqu’elle regroupe des fractions qui manifestement ne sont pas ouvrières (employés, commis, fonctionnaires…). On ne connaît pas précisément la répartition sociologique des affiliés aux syndicats, mais il apparaît très probable que les fonctionnaires africains – tous statuts confondus – soient fortement représentés, particulièrement pour ce qui concerne les dirigeants. La nuance est de taille, car l’analyse en termes de « fractions de classe » réfère à un modèle relativement binaire d’opposition, qui ne rend pas compte ici de la polarisation de la société coloniale entre d’une part les salariés de l’administration et, d’autre part, les salariés du privé (beaucoup moins bien payés) et, surtout, le monde paysan.
2De fait, en 1956, la loi-cadre scelle le renversement d’alliance sociopolitique des autorités coloniales avec les élites de première génération, au détriment du colonat. L’absence des Blancs de la dynamique associative, le désinvestissement du colonat, mais aussi de la plupart des fonctionnaires d’origine européenne des instruments de contrôle social mis en place par le colonisateur − à cet égard l’histoire des centres culturels est éclairante −, rend impossible le maintien du statu quo ante. Defferre a parfaitement compris que les autorités coloniales ne peuvent plus assumer les problèmes sociopolitiques considérables de la fédération, et plus généralement de l’Afrique coloniale et que ni le colonat, ni l’administration coloniale ne lui sont d’aucun secours politique. Le problème doit donc se régler avec les élites africaines, moteur des transformations sociopolitiques. La loi-cadre opère ainsi une substitution d’autorité. Désormais ce sont les élites de compromis qui devront assumer la révolte des élites de seconde génération1.
3Il ne fait pas de doute que Defferre espère retirer deux types de bénéfices de l’opération. D’une part, mettre les élus africains face aux élites de transformation et de rupture. Ces élus disposent, à travers leurs appareils politiques et la sanction du suffrage universel, d’une assise sociale qui fait défaut aux autorités métropolitaines. Leur légitimité, pour les mêmes raisons, est comparativement un atout inappréciable face à des mouvements étudiants et des mouvements de jeunesse qui ne représentent en 1956 qu’une minorité de la population urbaine, même si leur influence va aller croissant jusqu’aux indépendances. D’autre part, Defferre espère que la dévolution de responsabilités locales aux élites de compromis n’entamera pas l’hégémonie politique de la métropole. En 1956, la question de l’indépendance n’est pas posée, sinon à terme, dans la tradition de l’associationnisme colonial, et les moyens d’un contrôle politique de la métropole sur l’AOF sont nettement définis. Chaque conseil de gouvernement aura ainsi à sa tête un gouverneur, de même que tous les services de souveraineté (forces armées, télécommunications, diplomatie, communications), continueront à être services d’État, donc dépendants de la métropole.
4Aucune archive, aucun discours de Defferre, n’atteste en effet la possibilité envisagée d’une indépendance, sinon à long terme, des territoires coloniaux2. Cette volonté de maintenir la tutelle métropolitaine est encore très nette dans les rapports de la conférence des hauts-commissaires et des gouverneurs de la FOM. Avec un discernement certain, Defferre demande qu’il soit tenu compte du climat politique chez les jeunes élites, et d’éviter toute manifestation visible du maintien de la tutelle coloniale.
5Ainsi, à propos du rôle des gouverneurs, demeurant chefs des territoires au sein des conseils de gouvernement, le ministre indique très fermement :
je préférerais personnellement qu’il ne soit pas écrit noir sur blanc ce que vous allez avoir à jouer comme rôle [conseiller les élus territoriaux, orienter la politique territoriale]. Vous devez jouer ce rôle, mais il n’est pas bon de l’écrire. On ne manquera pas de dire que c’est vous qui avez fabriqué le conseil du gouvernement, même s’il y a une majorité telle qu’il n’y a pas de choix possible3.
6De même, « il ne faut pas qu’il y ait trop d’Européens mais il ne faut pas l’écrire : si on disait la vérité, je crois qu’il faudrait aussi − et nous ne pouvons l’écrire non plus − dire qu’il faudrait éliminer du gouvernement les Européens malhonnêtes car certains ont été élus4 ».
7Dans le contexte sociopolitique de l’AOF, la permanence de l’influence française est conditionnée par l’invisibilité des représentants de la puissance tutélaire. Cette disparition toute théorique – et puisque la présence française se maintiendra de fait dans tous les territoires bien après les indépendances –, est également nécessaire dans le cadre des indispensables réformes de la fonction publique, que les autorités territoriales devront mener à bien, seules. Faille du dispositif, le gouverneur/chef du territoire est en première ligne, puisqu’il représente la plus haute autorité de l’exécutif territorial. Ce problème est nettement perçu par le ministre, qui affirme :
on n’a pas intérêt qu’on puisse dire, pour la limitation des allocations familiales par exemple, au-delà d’un certain nombre d’enfants […], que le gouverneur aura fait prendre la décision ; il est certain que la décision se justifie sur le plan budgétaire mais elle n’est pas populaire car elle s’applique à des quantités de gens qui en subissent les conséquences ; cette loi doit être prise sous la présidence du vice-président plutôt que sous celle du gouverneur5.
8Dans le même ordre d’idée, et parce que la place est particulièrement exposée politiquement, le ministre de la France d’outre-mer suggère qu’« on n’a pas intérêt que le ministre des Finances [des conseils de gouvernement] soit européen6 ».
9Ainsi, la disparition du colonat consécutive à la réaction conservatrice de celui-ci aux mutations sociopolitiques de la fédération, est-elle suivie de l’évanescence programmée de l’administration coloniale. Dans les deux cas, les centres réels du pouvoir − économique pour le colonat, politique pour la France −, ne s’étiolent pas pour autant. Dans ce dernier cas, on peut même affirmer qu’il se renforce. La loi-cadre aboutit en effet à la réalisation du projet associationniste colonial, sous direction métropolitaine, unique condition de possibilité − à moins d’envisager à terme une nouvelle guerre coloniale −, de la permanence du projet colonial. Dans cette configuration, le glissement des élites de compromis aux frontières de la compromission est perceptible. Dès 1956, les territoires qu’elles s’apprêtent à prendre officiellement en charge sont des fictions d’État, dont la modernité n’est assise que sur la construction artificielle et volontariste, par la métropole, d’une fonction publique. Excroissance monstrueuse d’un projet de modernisation impulsé par le haut, celle-ci scelle la disjonction des élites de l’immense majorité paysanne. Surtout, ce symbole de la réalisation de l’« œuvre civilisatrice et éducatrice de la France » contient les germes de l’impuissance pratique des futurs États africains. Les fonctions publiques, ingérables, absorbent la quasi-totalité des finances territoriales, obérant tout projet de développement. Dans ce contexte, seule une aide massive et permanente de la métropole peut permettre d’espérer entreprendre l’esquisse d’une politique économique.
Une histoire de divorce ?
10De ce point de vue, on aurait tort de croire que la métropole se défait en 1956 d’une partie de ses prérogatives territoriales au profit des élites de compromis pour des raisons principalement financières. Le processus est beaucoup plus complexe, dans lequel priment les considérations sociopolitiques. Les premières projections économiques approximatives7 sur la satisfaction des revendications salariales essentielles dans la fonction publique attestent certes de la hausse faramineuse des dépenses d’entretien prévisibles de la fonction publique. L’objectif de la loi en ce domaine est donc clair : ne pas envenimer le climat politique en s’opposant frontalement aux syndicats de fonctionnaires, au risque de s’aliéner les élites de compromis, dont les responsables ressortent majoritairement de l’administration, et faire reposer sur ces dernières les inévitables réajustements salariaux et statutaires. Ce qui ne signifie pas que la métropole dépense désormais moins pour ses territoires africains.
11Lorsque l’on observe la courbe des investissements consentis par la métropole en AOF, on constate qu’après une nette décrue entre 1952 et 1954, consécutive à la crise économique de 1952, à la restructuration du deuxième plan quadriennal et du redéploiement des crédits8 (dont une bonne partie est réaffectée à la poursuite de la guerre d’Indochine), les investissements métropolitains prennent une nouvelle vigueur, pour se maintenir à un niveau à peu près constant entre 1956 et 1958 (une baisse d’environ 10 % entre ces deux dates est constatable, inflation défalquée) (fig. 18).
Fig. 18. Investissements réalisés outre-mer sur fonds publics métropolitains FIDES/Crédits de paiements et CCFOM (1951-1958)9
1951 | 1952 | 1953 | 1954 | 1955 | 1956 | 1957 | 1958 | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
AOF | 75,0 | 43,0 | 31,0 | 19 | 26 | 36,2 | 35,7 | 34,2 |
Unité : milliard de F métro constants |
12Parallèlement au maintien des investissements, l’augmentation des effectifs de la fonction publique a pour conséquence la hausse corrélative considérable des dépenses des budgets territoriaux (fig. 19). Dans ce contexte, il est bien évident que non seulement les dépenses de la métropole ne diminuent pas, mais encore qu’elles augmentent si l’on pouvait tenir compte précisément des crédits accordés directement par la métropole aux territoires10.
Fig. 19. Pourcentages d’accroissement des effectifs des fonctionnaires et agents des administrations publiques en AOF de 1952 à 195611
Enseignement | 119 % |
Agriculture, élevage, eaux et forêts | 58 % |
Justice | 54 % |
Travaux publics, mines et géologie | 41 % |
Santé et hygiène | 40 % |
Ports et télécommunications | 24 % |
Services fiscaux et Trésor | 22 % |
Sécurité | 15 % |
Administration générale et divers | 9 % |
Moyenne générale | 35 % |
13La territorialisation imposée par la loi-cadre ne signifie donc pas le désengagement financier de la France. Les investissements FIDES continuent à être affectés de manière constante au projet de modernisation coloniale et les subventions directes aux territoires engagent très certainement la spirale infernale de la dette, l’une des conditions de la perpétuation de l’hégémonie métropolitaine en Afrique12.
14Il est donc impossible de suivre point par point Jacques Marseille lorsqu’il affirme que la colonisation aurait été abandonnée, sous la pression d’un groupe d’économistes soucieux des finances publiques comme de moderniser certains secteurs de l’économie métropolitaine engourdis par le « pacte colonial ». La volonté de moderniser ces secteurs n’est pas contestable, et l’action de ce groupe de pression très certain13, mais, en ce qui concerne les finances publiques, il n’apparaît pas de désengagement métropolitain.
15En 1956, la métropole lègue effectivement aux élites de compromis les fonctions publiques territoriales. Mais ce n’est pas pour payer moins qu’auparavant, puisqu’au contraire les investissements se poursuivent selon une logique ascendante. Les jérémiades répétées de Defferre contre la lenteur des services de la CCFOM à financer les projets de restructuration des SMPR, stigmatisant « l’esprit de quartier » de la caisse, comme les dénonciations récurrentes du ministre de « certains milieux d’affaires » funestement tentés de se retirer du continent, prouvent que Defferre n’envisage absolument pas la loi-cadre comme le point de départ d’un désengagement de la métropole. Houphouët-Boigny, qui fait alors tout pour substituer le système fédéral par l’organisation territoriale (et son rôle apparaît très déterminant en ce domaine, puisqu’il oriente nettement les travaux de préparation de la loi-cadre et conseille fermement un Defferre qui ne semble pas avoir d’idée très arrêtée sur la question), prêche des liens économiques directs et renforcés entre la métropole et les territoires, excluant l’autorité de Dakar. Ces éléments concourent pour, sinon exclure, en tout cas très fortement minorer l’hypothèse de la causalité économique14. C’est donc principalement pour les raisons sociopolitiques évoquées plus haut que la loi-cadre est promulguée. L’impossibilité pour les territoires d’engager quelques perspectives d’avenir que ce soit sans les fonds métropolitains, les lie durablement (et encore aujourd’hui, malgré le recul de la France face à d’autres puissances, telles la Chine) à la puissance tutélaire. La continuité du financement des territoires par la métropole est la condition de sa puissance.
Les moyens de la répression
16La métropole effectue ainsi à travers la loi-cadre une double opération. D’une part, elle maintient une dépendance financière de fait, d’autre part elle laisse aux élites de compromis la charge de problèmes politiques devenus insolubles. En ce domaine, l’« accession des Africains aux responsabilités » n’est pas un vain mot. Pour faire face à ces problèmes, la loi-cadre donne les moyens d’un contrôle politique et policier aux nouvelles autorités. La question, centrale, du monopole de la violence légitime est en effet réglée par la loi-cadre : les territoires auront leur propre police « municipale et locale15 », le Gouvernement général et le ministère préservant leur prééminence sur les forces armées. L’objectif politique est limpide : décharger la métropole de toutes les opérations de « maintien de l’ordre » contre les manifestations syndicales et les manifestations de la jeunesse scolarisée16.
17Soucadaux, alors directeur des affaires politique au Gouvernement général, explicite le procédé :
À mon avis, à la prochaine étape, la police sera à peu près entièrement entre les mains des conseils de gouvernement […]. Vous allez avoir à réprimer un certain nombre de manifestations, par exemple : qu’est-ce qui va se passer si c’est vous qui faites réprimer ? Vous savez très bien que vous allez avoir des difficultés. Si c’est le conseil de gouvernement qui prend la responsabilité d’interdire ou réprimer certaines manifestations, s’il le fait faire par un personnel territorial, c’est-à-dire un personnel sous ses ordres, l’opération n’a pas du tout le même caractère. En ce moment, au Togo, qu’est-ce qui se passe ? Il y a des histoires avec le Togo britannique ; il y a des incidents. Les ministres du Togo ont décidé de prendre certaines mesures de police le long de la frontière britannique. Ils ont pris un certain nombre de gens qu’ils ont mis en prison ; on ne leur fait pas des caresses et ils ne mangent pas des gâteaux tous les jours, mais ce sont les Togolais qui le font. Si c’était nous, tous les journaux de France et de l’ONU pousseraient des hurlements en disant que nous sommes colonialistes. Par conséquent, on va, normalement, évoluer − et, à mon avis, ce sera plus rapide pour cela que pour le reste − vers la direction de la police par les conseils de gouvernement […]17.
18La proposition est immédiatement adoptée par la conférence des gouverneurs18, après que le ministre de la France d’outre-mer eût remarqué qu’« il faudra le prévoir [doter les territoires d’une police locale], non seulement a contrario, mais d’une façon tout à fait explicite parce qu’il y aura beaucoup de contestations19 ». Les stigmates de l’autoritarisme colonial sont ainsi escamotés par la prise en charge du maintien de l’ordre public, et surtout de l’ordre social par les élites de compromis, en lieu et place du colonisateur, et dans l’objectif de la poursuite de l’hégémonie métropolitaine.
19La légitimité du pouvoir des nouvelles autorités autochtones est fondée sur l’octroi de forces policières dirigées… contre les fauteurs troubles africains. Dès lors, la tradition de brutalité coloniale est assumée par les autorités territoriales. Le legs est lourd de conséquences à terme. La tension sociale générée par les élites de seconde génération et les troubles liés aux revendications syndicales dans la fonction publique seront, dès la fin de l’année 1957, assumés par les forces territoriales. Ainsi, le désir d’un ordre social colonial en AOF, recherché depuis le début des années 1950 par les titulaires successifs du maroquin de la France d’outre-mer à travers les structures d’encadrement sociopolitiques de la jeunesse scolarisée − le Conseil de la jeunesse de l’Union française, les centres culturels −, la négociation permanente avec les élites de compromis et le mouvement syndical, trouve-t-il un aboutissement dans sa prise en charge par une partie des acteurs eux-mêmes. Le rêve œcuménique et démocrate-chrétien d’un Cornut-Gentille ou d’un Teitgen se réalise enfin, assumé par les élites de compromis.
20La dévolution de forces de police aux autorités territoriales s’inscrit nécessairement dans cette perspective de pacification sociale et politique. À cet égard, il n’est pas douteux que la continuité de la tradition répressive coloniale conjuguée aux problèmes sociaux et économiques insolubles auxquels doivent faire face les nouvelles autorités joue un rôle capital dans la militarisation rapide de la quasi-totalité des États indépendants.
21Simultanément, en contrôlant l’armée, la métropole se réserve la possibilité d’employer une force supérieure, à même de maintenir l’empire. Dans le contexte géopolitique de l’Afrique de l’Ouest des années 1950, la tutelle française sur l’armée ne correspond aucunement à une protection contre une improbable « menace extérieure20 ». Elle est incontestablement un instrument tourné contre d’éventuelles insurrections dans les territoires eux-mêmes21. À cet égard, le rôle des militaires français en Afrique après les indépendances est éclairant, voués au maintien de l’ordre établi, aidant, et souvent organisant la répression des mouvements politiques contestant la légitimité des dictatures locales, au nom d’une « stabilité » qui est la condition de la permanence de l’hégémonie métropolitaine.
Quelles indépendances ?
22Ceci ne nous éloigne pas de la loi-cadre, car elle est au principe de la forme que vont bientôt prendre les indépendances. Elle est la matrice de cette configuration dans laquelle la France délègue de réels pouvoirs aux élites de compromis, parce qu’elles seules peuvent assumer politiquement les problèmes sociaux des territoires. Elle place ainsi les élites de compromis face aux élites de seconde génération et au mouvement syndical. En s’installant au pouvoir, et pour longtemps, les élites de compromis deviennent les nouvelles garantes de la permanence de la domination de la métropole.
23Si l’on reprend le processus qui de la loi-cadre mène aux indépendances, on s’aperçoit que les transformations institutionnelles et politiques sont mineures22. La communauté instituée par de Gaulle en 1958, et surtout son ministre de la France d’outre-mer Cornut-Gentille, devenu incontournable, ne change pratiquement pas la donne. Les membres du conseil de gouvernement ont « rang de ministre », le gouverneur laisse sa place à un Africain élu par l’assemblée territoriale. Dans le prolongement de ces mutations, les indépendances interviennent logiquement.
24Mais quelles indépendances ? Des indépendances qui sont le produit de la construction juridico-politique accomplie par la loi-cadre. Le projet Defferre a, pour longtemps, installé les élites de compromis au pouvoir. Dans le même mouvement il lègue à celles-ci des États totalement ingérables sans l’aide métropolitaine. Ils le resteront. Enfin, la métropole continuera d’entretenir des liens organiques avec ses ex-colonies d’AOF par le biais d’une coopération bilatérale encore jalousement préservée, aboutissement du processus d’invisibilité de l’administration coloniale entamé dès 1956.
25Pouvait-il en être autrement dans le contexte sociopolitique de l’AOF des années 1950 ? Il est permis d’en douter. La transformation du champ sociopolitique de l’AOF comme la crise de la fonction publique débouchent sur une impasse, qui est celle des derniers vestiges de l’assimilationnisme colonial. La ferveur des trois types d’élites pour l’égalité, l’accès à l’équivalence métropolitaine, est évidemment impossible à réaliser, tant sur le plan financier mais surtout sur le plan politique. Le retournement d’alliance des autorités coloniales en faveur des élites de compromis, qui à cette occasion sombrent dans la compromission, est la solution de sortie de crise idéale face à la radicalisation de la jeunesse scolarisée et à la vigueur du mouvement syndical, parce qu’elle permet la continuation d’un projet colonial largement intériorisé par lesdites élites tout en maintenant la domination de la métropole. La loi-cadre conditionne ainsi significativement la forme des indépendances africaines et, on peut l’affirmer, la forme et la trajectoire des États indépendants à l’épreuve du pouvoir.
26Au sein de cette configuration sociopolitique, nous avons vu comment s’articulent l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF et la radicalisation des jeunes élites scolarisées face au pouvoir colonial et aux élites de compromis. Mais la lecture étroitement politique de l’opposition des élites de transformation et de rupture aux élites de compromis – alliées aux autorités coloniales –, est loin de livrer toutes les clés du processus en cours. Comment comprendre l’incorporation de la très grande majorité des étudiants radicaux dans les appareils des États postcoloniaux, et de leur participation souvent docile à des gouvernements hier honnis, dirigés par des hommes très sévèrement jugés ? La causalité utilitaire – l’échange de la soumission politique contre les avantages d’une fonction rémunératrice, symboliquement valorisante, au sein de la bureaucratie –, la pression sociale – la nécessité de réussir pour sa famille, son village, son clan, la crainte de l’isolement et de la relégation –, que subissent les quelques étudiants qui choisissent de poursuivre dans la voie de la dissidence radicale, ne peuvent expliquer complètement un si prompt retournement de situation, alors que le mouvement étudiant, aussi bien en France qu’au Sénégal, demeure après les indépendances sur une position d’opposition absolue aux « faux États » soumis au néocolonialisme23.
27Dans cette perspective, les trajectoires sociopolitiques de nombre d’étudiants reflètent une désillusion, sinon un cynisme, qui sous-tend les stratégies sociales des acteurs. La course aux postes et à l’attribution d’une parcelle de pouvoir se solde par un individualisme forcené qui laisse à penser que la classe dominante en formation se structure plus sur l’agrégation de ces stratégies individuelles que sur une « conscience de classe » formalisée, permettant une solidarité effective et la perspective de l’accumulation. Dans cette optique, l’absence d’accumulation laisse place à la circulation effrénée et non cumulative du capital, renforcée encore par l’impact de la réciprocité de l’échange social, fondé sur l’entretien de la famille élargie, du clan, tout comme sur l’affirmation du pouvoir par la dépense. Au cœur des appareils d’État, la dynamique centrifuge portée par les acteurs provoque l’instrumentalisation optimale des appareils bureaucratiques.
Quel avenir pour l’Afrique ?
28Mais la pression sociale qui s’exerce sur les étudiants comme leur intérêt matériel immédiat ne peuvent éclairer entièrement l’intégration finalement presque sans heurts des étudiants aux États africains. On doit donc poser l’hypothèse d’une adaptabilité socioculturelle des jeunes élites à leurs nouvelles positions au sein des pouvoirs et des appareils bureaucratiques postcoloniaux, adaptabilité qui subsume objectivement, dans la plupart des cas, la violence des dissensions politiques. Il ne fait aucun doute que cette adaptabilité culturelle est le fruit de processus d’hybridation asymétrique qui touchent toutes les élites, mais de manière encore plus profonde la nouvelle génération (élites de rupture et de transformation).
29Avançons dans l’analyse de ces processus. Tout d’abord, il est frappant de constater que les schémas d’exploration de l’avenir de l’Afrique – les mouvements étudiants projetant un avenir panafricain s’étendant bien au-delà de la seule AOF – répondent à des paradigmes profondément ancrés dans la culture occidentale, schémas partagés par les trois types d’élites24. On a vu qu’au cours des années 1956-1960, la priorité accordée à la revendication de l’indépendance immédiate et à l’action politique au sein des mouvements étudiants ne laisse que peu de place aux perspectives d’avenir, à la projection des nouveaux horizons postcoloniaux. Les désirs souterrains qui animent les jeunes élites se lisent cependant à un certain nombre de signes clairs, dans les articles de la presse étudiante noire qui dessinent le visage d’une Afrique libérée du joug colonial.
30Après la marginalisation de l’influence de Cheikh Anta Diop25, et par contrecoup l’abandon des perspectives très riches de l’ex-leader de l’AERDA, le mouvement étudiant se tourne vers les expériences socialistes. L’Union soviétique et la Chine deviennent des références récurrentes et exemplaires :
Significative à cet égard est la promesse – elle sera tenue – de la Chine populaire de rattraper et de dépasser en dix ou quinze ans le niveau de la deuxième puissance impérialiste, la Grande-Bretagne. […] En 1949, la Chine était, comme l’Afrique, féodale et arriérée26.
31Cette citation, où l’Afrique est renvoyée à un passé médiéval en ignorant la richesse de son histoire et de ses civilisations, traduit l’adhésion de facto à une vision proprement coloniale du continent. Le passé médiéval fait référence au passé de l’Occident : sur le long chemin du progrès, l’Afrique aurait pris du « retard », serait « arriérée ». C’est donc bien la modernité de la civilisation matérielle occidentale qui est l’objet du désir et dessine l’horizon. Comme nous l’avons noté, les analyses de la décolonisation insistent sur les césures politiques. Or, pour nous, l’ambiguïté ou plutôt le point aveugle de la position révolutionnaire du mouvement étudiant réside dans la comparaison entre modernisation capitaliste et socialiste, démontrant à chaque fois que le socialisme est préférable pour le continent noir parce qu’il permet de rattraper les pays capitalistes. La perspective s’inscrit bien sûr dans l’ambiance de la guerre froide et la polarisation politique exacerbée qui la caractérise – et à laquelle il est bien difficile d’échapper. Dans ce contexte, la compétition des modèles à laquelle se livrent les pays communistes et capitalistes, alimentée par une intense propagande des deux parties, renvoie, malgré la conférence de Bandung à laquelle participa la FEANF, à la dualisation des esprits, au caractère apparemment irréconciliable de deux discours idéologiquement opposés, mais fondés sur le même paradigme. Or, on ne peut que constater l’absence d’une alternative théorique, d’une « troisième voie » – qui fait toute la séduction des théories diopiennes –, au sein des jeunes élites.
32L’Afrique apparaît ainsi – par la faute du colonialisme certes, mais aussi en raison de ses structures sociales « archaïques » et de son « féodalisme » caractérisé par une chefferie d’autant plus honnie qu’elle est perçue comme le premier collaborateur du colonisateur dans l’exploitation de la paysannerie27 –, comme un négatif du rêve d’une Afrique enfin modernisée, industrialisée, technologiquement avancée, à même de rejoindre l’Occident. Il existe, alors que le mouvement étudiant représente politiquement son plus farouche adversaire, une indéniable fascination de l’Europe, fascination ambivalente certes, puisqu’elle se conjugue avec la haine de sa domination. De ce point de vue, si l’on veut bien exclure les considérations idéologiques, s’établit une corrélation très nette entre le discours colonial des fins de la modernisation du continent par la puissance tutélaire – progrès économiques (modernisation agricole, formation technique, transferts technologiques, industrialisation), sociaux (scolarisation, hygiène, extension des moyens sanitaires, africanisation des cadres) – et l’appropriation du messianisme socialiste par le mouvement étudiant, relayé en AOF par le Conseil de la jeunesse d’Afrique, qui recouvre, en dernière instance, des objectifs comparables de transformation. La configuration est bien celle d’une concurrence mimétique : inconsciemment, alors que l’adversaire honni est combattu, les jeunes élites s’efforcent, à leur insu, de rattraper et de ressembler au dominant. L’oppresseur sera combattu avec ses propres armes.
33La différence entre les jeunes élites et les autorités coloniales (et les élus africains), nette, est d’ordre politique – pour les premières, seule l’indépendance peut permettre un véritable développement –, alors que le différent sur la projection de l’organisation sociale recouvre les hiatus entre la social-démocratie et la projection socialiste. Ce n’est pas rien, mais l’Afrique, en tant qu’elle existe comme richesses singulières, comme cultures diversifiées, comme mondes de représentations, a disparu. L’emploi récurrent dans le mouvement étudiant, puis dans les mouvements émancipés de la tutelle coloniale regroupés autour du Conseil de la jeunesse d’Afrique à partir de 1958, de la terminologie en vigueur dans l’analyse marxiste des dynamiques sociales – « classe ouvrière », « travailleurs », « bourgeoisie », « petite bourgeoisie », etc. –, trahit la volonté de contraindre la réalité africaine à s’enchâsser dans une grille de lecture qui ne peut rendre compte des spécificités du champ social africain. Ce sont clairement les pays du bloc soviétique qui sont pris en exemple. Le modèle chinois, fondé sur la conquête idéologique de la paysannerie, a priori plus adapté au contexte de l’Afrique de l’Ouest, ne s’affirmera véritablement qu’après les indépendances, tout particulièrement durant les « cent fleurs » de la révolution culturelle, et ce malgré la participation de quinze étudiants de la FEANF au congrès de l’UIE à Pékin en octobre 1954, qui reviennent impressionnés par la pureté idéologique des militants chinois, disposés à faire de la Chine « le pays pilote de la libération des peuples colonisés ». Dans cette utopie qui veut croire qu’un mouvement révolutionnaire peut s’appuyer sur un hypothétique « prolétariat africain28 », les étudiants se représentent en avant-garde de la révolution. Le succès du PAI chez ces derniers témoigne de leur volonté concrète d’agir sur l’histoire, en référence implicite aux « révolutionnaires professionnels » léninistes. Indéniablement, la tentation octobriste a fait son chemin.
34La séduction de ce modèle29 suppose également, mais marginalement, l’interprétation relativiste des bienfaits de la démocratie, car
les pays colonisés ne doivent pas copier servilement le grand cliché stéréotypé du régime de pluralité des partis des nations européennes. […] Toutes les mystiques se combinant dans une mystique du renouveau. […] Sous l’influence des ennemis de notre pays, les mauvais partiront, mais sous la nôtre, les autres, les purs [souligné dans le texte], viendront à nous30.
35Ces références à la légitimité dictatoriale de l’avant-garde étudiante révolutionnaire – pour le bien des « masses » – sont exceptionnelles avant 1960, avant d’être ouvertement revendiquées dans les années 1960, mais renvoient déjà en 1958 à une forme de sclérose idéologique, qui est concomitante de l’évolution institutionnelle de l’AOF, de la loi-cadre à la communauté. Le pouvoir est en train de changer de main, au profit des élites de compromis, et la perspective de leur renversement chaque mois s’estompe entre 1958 et 1960. La frustration de ne pas peser directement sur cette évolution, l’impuissance pratique du mouvement étudiant malgré ses relais politiques et syndicaux en AOF, insuffle une dynamique renforçant la violence contestataire, se prolongeant elle-même en projection de la violence légitime sur le corps social, par la médiation de l’État.
36En ce sens également, on peut noter la remarquable correspondance métapolitique entre le rêve d’un État socialiste centralisé et planificateur d’un développement par le haut – pour tout dire un développement autoritaire et à marche forcée –, et l’utopie coloniale appliquée après la Seconde Guerre mondiale d’une assimilation par le développement économique planifié depuis la Rue Oudinot. En 1959, le projet socialiste pour l’Afrique a conquis le mouvement étudiant – et une large frange de la jeunesse scolarisée de la fédération – qui a « déjà mis en relief les éléments de base nécessaires pour l’établissement d’une planification logique, rigoureuse et progressive, de [notre] économie31 ». Les différents intervenants de ce numéro dressent les conditions d’érection d’une société socialiste regroupant les territoires de l’Afrique de l’Ouest, copie à peu près conforme du modèle soviétique : direction des opérations par l’avant-garde révolutionnaire étudiante, dictature du prolétariat, étatisation des moyens de production, développement des industries de base en vue de l’accumulation primitive du capital, collectivisation et salarisation des paysans, suppression des classes. Ces éléments indiquent la volonté, tardive, de se constituer un programme de gouvernement pour incarner une alternative au néocolonialisme qui se profile32.
Rejoindre l’Occident
37L’utopie socialiste dessine ainsi le rêve d’une Afrique répondant enfin aux canons des pays développés, car le mouvement étudiant se déclare convaincu d’avoir
les moyens humains et naturels de bâtir une société avancée, capable de vaincre les maladies, la misère, l’ignorance, et de lancer à la conquête du ciel des satellites artificiels conçus par nos propres savants33.
38La réification de la technologie, perçue comme la concrétisation de l’accès de l’Afrique noire à l’équivalence de la modernité occidentale, revêt une valeur symbolique primordiale dans l’intériorisation de paradigmes métapolitiques par le mouvement étudiant africain :
Moi je crois et je veux croire au Bassari mathématicien de l’espace interstellaire, à la latérite vaincue, au désert reculant sans cesse devant les champs verdoyants, menant à des villes et des villages modernes34.
39Un désir d’Occident. Il est difficile de résumer plus simplement les aspirations souterraines, impensées, du mouvement étudiant et des mouvements de jeunesse d’AOF entre 1956 et 1960, qui éclairent les fondements métapolitiques de leur évolution idéologique et politique, fondements qu’ils partagent tant avec les élites de compromis qu’avec le colonisateur. Quoi de plus naturel finalement ? Les jeunes élites, en passant par l’école et l’université française, imprégnées pour partie des pratiques socioculturelles de la métropole, ont puisé dans les matériaux intellectuels à leur disposition. Le primat de l’activisme politique, l’abandon progressif des recherches théoriques sur les spécificités des problèmes sociaux, économiques, culturels de l’Afrique de l’Ouest les condamnent dès lors à penser ceux-ci à travers les modèles en vigueur en Occident. La production de l’horizon historique qui en découle revêt par conséquent de singulières similitudes avec les expérimentations coloniales opérées par l’application du plan décennal : l’Afrique est perçue comme une terre vierge sur laquelle tout est possible. L’Afrique rurale, les sociétés paysannes ont disparu, ou doivent disparaître.
40À cet égard, un autre travail sur les modalités d’application de la planification apparaît indispensable, même si nous possédons un panorama des pratiques de l’Office du Niger, qui donne une idée assez précise de celles-ci35. Un entretien avec Paul Simon (30 juillet 1998), directeur du FIDES de 1953 à 1959, révèle que la planification a été conçue comme un décalque du modèle de développement issu de la révolution industrielle, enrichie de larges emprunts aux idées saint-simoniennes (désenclavement, circulation des biens, des hommes et du capital) : « nous appliquions en Afrique ce qui marchait en France. »
41Un exemple, parmi beaucoup d’autres, du caractère expérimental de l’affaire : en 1954, le plan (deuxième plan quadriennal, le plan décennal ayant été sectionné pour cause de croissance exponentielle de dépenses non budgétées), prévoit, complémentairement à l’intensification de la culture arachidière d’exportation, le développement de la culture du riz au Sénégal, sur l’exemple des 650 000 hectares consacrés à cette production sur la boucle du Niger, au Soudan. Une station de pompage est installée près de Kayes, pour irriguer plus de 600 hectares de rizières. La première année, des oiseaux (Quelea quelea, aussi appelés travailleurs à bec rouge), se nourrissent de la récolte. Ceux-ci sont déclarés (sur décret du Gouvernement général) ennemis publics numéro un. Le FIDES fait alors l’acquisition de canons à fréquence pour éloigner les oiseaux. Le stratagème est inefficace et en 1955 une seconde récolte disparaît. Le FIDES ne désarme pas et achète des lance-flammes aux surplus de l’armée américaine pour brûler ces obstinés volatiles, qui nichent autour d’un lac près de Kayes. Après plusieurs nuits de campagne, les employés du FIDES ont carbonisé plus d’un million d’oiseaux. Malgré tout, il en reste suffisamment pour détruire la troisième récolte. Les rizières sont alors reconverties, à grands frais, en cultures arachidières.
42Les exemples de ce type sont nombreux, et on peut raisonnablement penser que le FIDES a été l’initiateur de la très dommageable vogue des « éléphants blancs ». Outre les dépenses occasionnées par l’aventure (rappelons qu’il n’existe aucune prévision à terme des coûts d’entretien des actions du FIDES), ni les conséquences écologiques ou l’utilité sociale de la systématisation des cultures d’exportation n’ont alors été mesurées. Ceci montre que s’est développée en AOF une culture de la gouvernementalité coloniale foncièrement jacobine et centralisatrice (avec des exceptions, dans lesquelles s’expérimente la participation des populations locales, à l’image des SMPR), qui renvoie, au fond, aux pratiques de la planification en France après 1945, et à la centralisation du pouvoir exécutif. On peut penser que les jeunes élites, outre le modèle socialiste, sont aussi influencées par ce type de gouvernementalité.
Mimétisme universitaire
43Les revendications des jeunes élites en matière d’enseignement sont également symptomatiques de l’intériorisation des choix culturels de la métropole, qui concrétisent leur hybridation asymétrique. L’extension de la scolarisation en Afrique noire est réclamée dès 1951 par tous les mouvements de jeunesse d’AOF, qui suivent ici une revendication des élus africains formulée dès avant la Seconde Guerre mondiale mais revendiquée par eux avec insistance depuis la Conférence de Brazzaville. De même, la création de l’Institut des hautes études de Dakar en 1947 et surtout sa transformation en université en 1957 sont au centre du combat de l’AGED et de la FEANF pour obtenir un établissement conforme aux normes universitaires métropolitaines. Dans cette perspective, les deux organisations demandent constamment le remplacement d’une partie du corps enseignant, jugé indigne du niveau de compétence d’une université métropolitaine36. Ainsi, Jean Capelle fait état d’une lettre de l’AGED37 reçue dès son retour à Dakar en tant que recteur d’AOF en novembre 1953, qui précise :
nous redisons qu’il y a parmi le corps enseignant de l’Institut des Hautes Études de Dakar un grand nombre d’éléments manifestement insuffisants et inadaptés qui doivent nécessairement céder d’urgence la place aux compétences, quand bien même ces éléments seraient animés de la bonne volonté la plus remarquable du monde38.
44Cette correspondance sera suivie de beaucoup d’autres missives, de l’AGED (qui, rappelons-le devient UGEAO en 1956) et de la FEANF, de plus en plus virulentes, ces associations étudiantes considérant l’inertie du rectorat (en fait il s’agit d’une confrontation entre le rectorat d’AOF et le ministère de l’Éducation nationale, qui freine tout changement) comme la preuve d’une volonté d’ancrer en Afrique noire un enseignement supérieur au rabais, afin de préserver la prééminence de l’enseignement métropolitain et maintenir ainsi les élites formées en Afrique dans une situation d’infériorité39. Malgré les efforts réels de Capelle, totalement acquis à la revendication de la FEANF et de l’UGEAO, l’absence de réformes de l’université de Dakar se solde par un sévère jugement sur la qualité de l’enseignement40. Parallèlement, dans le contexte de la généralisation des grèves dans les collèges et lycées de la fédération à la rentrée 1956, les récriminations sur la qualité de l’enseignement et les compétences de professeurs métropolitains souvent taxés de racisme et de colonialisme, se multiplient41.
45L’obsession d’une standardisation de l’université de Dakar aux normes des universités métropolitaines révèle le soubassement métapolitique qui l’anime : accéder dans des conditions optimales à l’enseignement universitaire, sans que les contenus d’enseignement soient soumis à la critique42. Or, ceux-ci sont presque toujours disjoints de la réalité africaine, que l’on se saisisse du droit, de la philosophie, de l’histoire, de l’économie, et même des savoirs techniques telles les études d’agriculture, les études techniques dans le domaine du bâtiment etc. Il est d’ailleurs tout à fait frappant de constater que les accords de coopération mis en place entre 1960 et 1962 se soldent par l’importation mimétique de l’organisation et des programmes universitaires de la métropole (mais le phénomène est largement partagé pour le primaire et le secondaire), avec il est vrai des aménagements qui iront croissant43. Dans ce cadre, l’appel massif aux enseignants français, mais aussi aux inspecteurs d’académie chargés de contrôler le développement de l’organisation des systèmes éducatifs des ex-colonies d’AOF et la formation de la plupart des enseignants africains en France contribue évidemment à la duplication servile du modèle métropolitain.
46Pour ce qui concerne l’enseignement primaire et secondaire, les mouvements de jeunes réclament également continûment l’extension de la scolarisation, sans remettre en cause les contenus des enseignements, dans une perspective qui est celle de l’équivalence quantitative avec la métropole. On voit bien tout le parti qu’il serait possible de tirer d’une analyse précise des savoirs enseignés en Afrique de l’Ouest. À l’instar des enseignements à l’université, ceux de l’enseignement primaire et secondaire sont directement importés de métropole, engageant la disjonction de ces enseignements par rapport aux réalités africaines. C’est le cas pour l’enseignement primaire et secondaire – avec cependant des efforts d’adaptation de certaines matières comme au Mali ou au Burkina Faso44 –, mais aussi, et de manière particulièrement évidente, pour l’enseignement supérieur45. Il est manifeste que ces savoirs ne correspondent qu’à la reproduction de la nouvelle classe dirigeante.
47Or, sur ce sujet, il est frappant de constater que les jeunes élites rejoignent ici leurs aînés. En effet, Harry Gamble46 montre bien comment se produit le tournant des « écoles coloniales » vers l’alignement sur les normes de l’enseignement métropolitain, dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale. Les écoles coloniales, au niveau du primaire, sont destinées à un public rural et conçues pour s’adapter aux « besoins des Africains » durant l’entre-deux-guerres : elles sont, de facto, des écoles aux rabais, centrées sur les travaux pratiques et rejetant toute éducation livresque, dans l’objectif à peine masqué de maintenir la séparation entre Européens et Africains, même s’il est incontestable que, dans les discours qui les soutiennent, la question de l’adaptation de l’enseignement aux « cultures africaines » soit avancée.
48Après Brazzaville, la plupart des élus africains adoptent la revendication d’une uniformisation de l’enseignement en AOF. Ce faisant, ils prêchent pour un enseignement de meilleure qualité, mais oblitèrent alors presque totalement le processus d’acculturation conditionné par ce choix47. En voulant échapper au provincialisme tatillon des autorités coloniales qui avaient alors tout pouvoir sur les programmes et l’organisation de l’enseignement comme à la médiocrité des enseignements dispensés par les écoles coloniales (qui renforcent les distinctions entre Européens et Africains48), ils se mettaient de fait à la merci du ministère de l’Éducation nationale, connu pour son centralisme intransigeant.
49On voit à nouveau, dans cet exemple, les connivences objectives qui lient, sur un plan métapolitique, élites de première et seconde générations. Pour les premières comme pour les secondes, les références incontestables sont bien l’école et l’université métropolitaines, comme en témoignent le prestige des étudiants africains en métropole et les sacrifices inouïs que consentent des familles pour envoyer des écoliers du secondaire étudier en France. Ces étudiants s’imprègnent, dans et par la contestation, de la culture du dominant à sa source même. De même, l’autorité de la FEANF doit une large part de son aura au fait qu’elle représente le sommet de l’élite universitaire. Au désir initial de voir l’Institut des hautes études se spécialiser dans le complément de formation d’étudiants africains ayant achevé leur cursus en métropole49 – ce qui aurait permis à un plus grand nombre d’étudiants de poursuivre leurs études en France –, s’est donc substitué celui d’une université métropolitaine reconstituée en AOF.
50Les savoirs dispensés en métropole, le décalque de l’université française à Dakar et des écoles métropolitaines dans toute l’AOF, éclairent la transmission des modèles occidentaux sur lesquels se fonde la réflexion des mouvements étudiants et des mouvements de jeunesse, contribuant à leur insu à leur aliénation. Plus profondément, ces schémas sont désirables car ils incarnent la puissance de l’oppresseur. Revendiquer l’égalité mimétique de l’enseignement avec la métropole revient en définitive à s’emparer des armes de l’ennemi50. Incidemment, on retrouve ici une correspondance très nette entre le mouvement étudiant africain et le discours des partis politiques africains, qu’il s’agisse du RDA ou des IOM. L’amélioration des conditions d’étude – et d’une manière plus générale l’extension de la scolarisation – recouvre la perspective de l’équivalence avec le modèle métropolitain.
51La revendication de l’équivalence des enseignements renvoie également à l’autoreprésentation des scolaires et plus encore des étudiants, en France et en Afrique, comme élite, légitimée précisément par l’acquisition de ces nouveaux savoirs, qui leur permettent de prétendre à l’hégémonie sur la société tout entière. Latéralement se dessine dans la configuration sociopolitique de l’AOF du milieu des années 1950, dont la dynamique repose sur la formation de cette élite, la fonction hégémonique des savoirs scolaires et universitaires par rapport aux autres formes de connaissance dispensées par les sociétés africaines, et leur dépréciation corrélative. Ce renversement des modalités d’accès au pouvoir par la connaissance scolaire, engagé par le colonisateur depuis l’entre-deux-guerres et systématisé par la politique d’africanisation des cadres au cours des années 1950, trouve donc un relais actif chez les étudiants et les scolaires eux-mêmes, qui participent à la réussite de l’entreprise.
52Ainsi, et parce que des paradigmes culturels d’importation sont partagés par les élites de compromis, les élites de transformation et les élites de rupture, l’incorporation de ces dernières aux appareils d’État postcoloniaux est facilitée. La connivence métapolitique objective qui les différencie de l’immense majorité de la population paysanne ou urbaine non lettrée constitue un lien puissant, qui permet de la penser comme classe dirigeante émergente. Certes, une classe qui n’atteint pas encore le stade de la conscience de ses intérêts effectivement communs, puisqu’elle est divisée formellement sur le plan politique. Mais ses modes de penser le monde, l’avenir, le progrès, la rationalité, la compréhension des mécanismes de promotion à l’intérieur du secteur moderne, sont partagés par toutes les élites.
53Cette convergence se confirme dans la fascination commune pour la métropole. Celle-ci est encore lisible dans le cas des étudiants non seulement dans le désir de s’y rendre – désir partagé par la plupart des scolaires – mais aussi dans le choix d’une partie (sans doute plus de la moitié ?) des étudiants d’y rester. À bien des égards, la France apparaît comme un eldorado social, par la possibilité ouverte d’y trouver des emplois dont les rémunérations sont sans commune mesure avec les salaires en AOF, même dans la fonction publique (et de ce point de vue, le taux élevé des bourses d’études des étudiants africains en France prépare ces derniers à ce choix). La séduction de l’accès à tous les biens offerts par la société de consommation – que les élites africaines restées sur le continent n’auront de cesse d’acquérir –, mais aussi la possibilité d’échapper aux rigidités des sociétés africaines, au poids de la famille, à l’autorité gérontocratique, à la prévalence des solidarités claniques, comme le libre accès à la parole, aux productions culturelles (livres, journaux, cinéma51, théâtre, etc.), tous ces facteurs52 se combinent dans un ordre d’importance variable selon les cas, pour éclairer la forte défection, malgré les appels répétés de la FEANF à « servir son pays » (et condamnant les mariages mixtes comme moyen de demeurer en France), des étudiants vis-à-vis du continent.
54Quoiqu’ils soient difficilement évaluables, il ne fait aucun doute que les exercices physiques, les jeux de plein air et les sports ont contribué à la formation de ces processus d’hybridation asymétrique. Les corps des jeunes élites, par la pratique des sports modernes et des exercices et jeux proposés par les mouvements de jeunesse, ont été en partie construits selon ces pratiques. Les formes de celles-ci, que nous avons déjà analysées, contribuent à bâtir des inclinaisons psychiques et favorisent l’incorporation de normes et de valeurs dont ces pratiques sont porteuses. Ces inclinaisons et ces normes fondées, entre autres, sur la projection vers le dehors, la concurrence interindividuelle ou la création d’un espace mérito-démocratique, favorisent sinon la rupture avec les sociétés rurales (l’éloignement se joue en Afrique même également bien sûr…), en tout cas les processus d’hybridation asymétrique que nous avons observés. La dimension corporelle de la transformation des élites africaines est encore très faiblement renseignée, mais son rôle est, en toute hypothèse, majeur.
La métaphore du trousseau
55Le processus d’hybridation asymétrique des élites est perceptible en AOF à des détails prosaïques. La minutie presque maniaque avec laquelle sont décomposées les insuffisances du trousseau scolaire en est un exemple, a priori anecdotique. Au centre d’apprentissage de Kindia (Guinée), les élèves déclenchent une grève en novembre 1956. Le nœud de la discorde ? Un trousseau mal troussé. Les élèves réclament « des chaussures en daim, des chaussures de cours en plastique à 650 F [CFA], des socquettes en nylon, des serviettes de toilette grand modèle au lieu du petit modèle, des serviettes de table, des ceintures, des mouchoirs de poche, une fourchette et un couteau de table53 ». Alors que, malgré les interventions de l’inspecteur de Kindia, la grève se prolonge, la liste des éléments réclamés pour le trousseau ne cesse de s’allonger. En dernier recours, cinq « meneurs » sont exclus et l’établissement fermé durant quelques jours. La multiplication de ces revendications a le don de faire perdre son sang-froid au recteur de l’AOF :
le chapeau ne sera plus en toile ordinaire, mais en nylon ; les chaussures ne seront pas à semelles simples ; le veston devra avoir une doublure en tissu écossais si l’on a entendu dire que des camarades de tel établissement ont bénéficié de vêtements pourvus de ce genre de doublure ; quant aux boutonnières, elles seront passepoilées, ou l’on refusera le costume. Pour les jours de sortie, on exigera des « chaussures en daim », etc.54.
56Selon Capelle, les élèves argumentent à peu près ainsi ces revendications :
c’est nous qui payons et commandons et par conséquent satisfaction doit nous être donnée – que les Français s’en aillent, l’Afrique n’a pas besoin de la France mais la France a besoin de l’Afrique car bien de ses fils se sont fait tuer pendant les guerres pour les défendre. Nous sommes traités comme des esclaves55.
57Il apparaît ainsi qu’au-delà de l’anecdote et de l’interprétation politique, ces revendications témoignent de l’attachement porté aux signes de distinction sociale accaparés par les élites scolaires et étudiantes, et ceux-ci renvoient aux modes du paraître européen. Or, ces modes sont aussi l’apanage des élites de compromis, qui utilisent ceux-ci comme des signes de reconnaissance mutuelle et de distinction. Les revendications sur le contenu du trousseau s’inscrivent donc dans la volonté d’incorporer symboliquement la nouvelle classe dirigeante, et témoignent secondairement de l’angoisse – ce besoin doit être satisfait immédiatement, avant même l’obtention du diplôme qui permet d’accéder à des fonctions rémunératrices – de ne pas en être, d’une crainte d’être privé du droit, estimé légitime, de s’y incorporer, de contrevenir préventivement à une éventuelle frustration sociale. On peut également avancer que cette anecdote, qui renvoie aux incessantes revendications des mouvements étudiants concernant l’incorporation de leurs membres à la fonction publique, informe sur une « culture de la demande » qui s’est développée dès le début des années 1950 au sein des élites. Cette culture de la demande s’inscrit dans la configuration particulière du gouvernement colonial de l’AOF : la centralisation du pouvoir au niveau fédéral, mais aussi son univocité, jusqu’en 1957 et l’application de la loi-cadre (promulguée en 1956), produisent une attente des décisions « d’en haut », seules à même de pouvoir satisfaire les désirs exprimés « en bas » (en l’occurrence les mouvements de jeunes et les syndicats). De même, l’imposition par le haut des plans du FIDES, sans aucune participation locale aux décisions, renforce cet habitus d’attente et de demande, que les modèles étatiques centralisés et autoritaires postcoloniaux encourageront massivement. L’aide bilatérale et multilatérale, toujours plus importante après les décolonisations, favorisera évidemment cette inclinaison, qui approfondit sur ce plan l’aliénation des élites à l’État, mais aussi à l’Occident.
58Le mouvement étudiant rêve d’une révolution anticolonialiste portée par un soulèvement des masses, mais son influence politique réelle n’excède pas avant 1957, nous l’avons vu, les jeunes élites urbaines et des fractions de fonctionnaires, et la radicalisation politique dans laquelle le mouvement étudiant les entraîne est jugée comme un phénomène particulièrement inquiétant dès 1956 par les autorités coloniales. Ce qui se joue dans la seconde partie des années 1950, c’est donc bien la perspective d’une fusion des élites étudiantes, des jeunes scolarisés et des fonctionnaires syndiqués contre l’administration coloniale, mais aussi contre les élites de compromis.
59Ces jeunes élites, en tant que futurs cadres de l’administration, ont conscience de leur rôle stratégique dans les projets de développement du pouvoir colonial. Leur rupture définitive avec les élites de compromis constitue un réel danger, à la condition qu’elles trouvent un relais politique capable d’élargir leur assise sociale. Or, après 1957, l’alliance du mouvement étudiant avec le PAI et l’UGTAN, la multiplication des initiatives pour construire une expression politique autonome en AOF même et la diversification des actions sur le terrain comme l’accentuation de leur violence concrète, font craindre un élargissement de sa base sociale. Pour les autorités coloniales, ce processus ouvre la possibilité d’un renversement des pouvoirs mis en place par la loi-cadre au profit des élites de compromis. C’est dans ce contexte tendu que ces dernières vont s’employer à délégitimer la contestation des jeunes scolarisés, dans des discours largement empruntés au colonisateur. La rupture générationnelle est donc, apparemment, consommée, dans la seconde partie des années 1950. Dès 1957, la mise au pas des étudiants frondeurs esquisse les pouvoirs autoritaires postcoloniaux et la militarisation des jeunesses africaines. La puissance tutélaire, dans l’impossibilité politique d’appliquer la répression au moment du vote de la loi-cadre, a transmis cette tâche – il faut bien le dire cyniquement – aux élus africains, qui héritent également de structures pré-étatiques que le colonisateur sait ingérables. C’est là le prix à payer pour accéder au pouvoir.
60Mais si du point de vue politique la rupture entre les générations est nette, elle se révèle superficielle lorsque l’on observe les ralliements massifs qui suivent les indépendances. Le processus de différenciation du reste de la société par les processus d’hybridation asymétrique, l’incorporation de valeurs, de normes et la construction d’inclinaisons psychiques communes aux trois types d’élites se révèlent beaucoup plus profonds que leurs différents politiques. En vérité, la véritable rupture se joue vis-à-vis des sociétés rurales56 : l’émancipation des rigidités sociales et du pouvoir gérontocratique consubstantiel à celles-ci se joue dans le rapprochement avec l’Occident. La formation dans les années 1950 de ces scolaires et étudiants permet de mieux comprendre que l’opposition politique qu’ils manifestent face à leurs aînés est un leurre qui masque une connivence profonde (et, au sens métapolitique, plus encore avec le colonisateur). La légitimation de la domination des élites de première génération est fondée sur les mêmes références étrangères à l’Afrique, de même que la participation à cette domination des nouvelles élites scolaires et étudiantes. En ce sens, on peut parler d’une catégorie socioculturelle dominante en formation, en partie coupée, à des degrés divers, du reste de la société, prête à accaparer les positions de pouvoir et que le salariat dans la fonction publique va définitivement éloigner des conditions d’existence et des modes de pensée de l’immense majorité paysanne.
61Les élites des États indépendants utiliseront, il est vrai diversement, l’incorporation des notabilités traditionnelles (la chefferie principalement) et commerçantes. De même, les détenteurs du pouvoir au sein des bureaucraties postcoloniales continueront-ils à valoriser la réciprocité de l’échange social dans le domaine clanique, ethnique, régional mais surtout en s’appuyant sur l’importance du substrat lignager (dont le népotisme n’est que l’avatar le plus visible). Les anciennes divisions sociales (castes, appartenances lignagères) contribueront également à la sélection des postulants à la sphère de la haute bureaucratie. Les processus d’hybridation asymétrique, sous d’autres formes, continuent à rendre possible l’agrégation des élites. En effet, l’interpénétration des élites issues du moule colonial et des dignitaires de l’ordre ancien s’opère par l’agrégation de ces dernières aux principes et aux modes de penser des premières, condition indispensable à l’acquisition de la « règle du jeu » des rapports de force et de la promotion sociale au sein du secteur moderne (et dans cette configuration, l’assimilation réciproque des élites ne recouvre que la surface d’une utilisation politique, souvent d’une instrumentalisation, desdites élites traditionnelles).
62Cette configuration sociopolitique issue de la période déterminante de la phase de modernisation coloniale – appliquée certes inégalement selon les territoires mais qui partout revêt la même dynamique –, permet de mieux comprendre le faible impact des scenarii politiques différenciés dans les territoires de l’ex-AOF, immédiatement après les indépendances, caractérisant le mode de structuration des nouveaux États (multipartisme sévèrement encadré au Sénégal, dictatures en Guinée, au Mali, au Niger…), sur la nature de cette configuration. Partout, quelle que soit l’orientation idéologique des nouveaux États, la caste des instruits investit les positions dominantes des appareils d’État.
63Dans cette perspective, il n’est pas vain de s’interroger sur les conséquences de la prévalence du choix de la fonction publique dans le processus de promotion sociale des nouvelles élites. Durant les années 1950, tous les mouvements de jeunes portent la revendication d’une intégration sans condition des scolaires et étudiants à la fonction publique, revendication soutenue dans son principe par tous les responsables africains. Dans la configuration sociologique de l’AOF, la rupture des élites avec le reste de la société se structure ainsi sur leur intégration à un État perçu comme l’instrument essentiel d’un développement pensé à partir des paradigmes du développement colonial, mais aussi comme le lieu de la domination sociale. L’Afrique de l’Ouest n’est pas sortie de ce rêve bureaucratique, dans lequel des fonctions publiques pléthoriques héritées du modèle colonial ne sont pas soutenues par un développement économique propre à les financer. Là aussi se noue la dépendance postcoloniale.
64Enfin, les similitudes des programmes développementalistes en Afrique de l’Ouest, et leur échec accablant, ne sont-ils pas aussi la conséquence de l’hybridation asymétrique massive des élites ? La prééminence de l’État dans la construction du développement – agent économique central et premier prédateur et inhibiteur de l’imagination économique –, n’a-t-elle pas à voir avec la période de l’après Seconde Guerre mondiale ? Dans l’érection d’une classe dominante bureaucratique nourrie aux rêves du volontarisme colonial ou socialiste, se dessinent les nouveaux États postcoloniaux. Dans la situation complexe de l’Afrique de l’Ouest contemporaine, il apparaît impossible de faire l’économie de la généalogie de ces problèmes, dont les conséquences sont, aujourd’hui encore, incalculables.
Notes de bas de page
1 Très bien exprimée par Yann Vidal, qui, répondant à la question suivante de notre enquête, « D’après votre expérience, comment se déroulaient généralement les rapports de l’administration avec les principales forces politiques africaines ? », affirme qu’après la loi-cadre, pour les fonctionnaires de la France d’outre-mer, les « élus étaient [souligné par Yann Vidal] les responsables de l’administration ».
2 Ainsi, dans la correspondance Defferre (1956-1957, archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 169), aucune mention n’est jamais faite par le ministre de l’éventualité d’une sécession des territoires coloniaux. Les nombreuses lettres d’Houphouët-Boigny, dans lesquelles le leader ivoirien fait assaut de loyauté envers la puissance tutélaire, confortent très certainement le ministre dans la certitude de pouvoir, par la réforme, maintenir l’hégémonie française. À l’occasion de la visite de Kwane Krumah, leader prestigieux du Ghana nouvellement indépendant en AOF, Félix Houphouët-Boigny n’hésite pas à écrire qu’« il nous a été possible de montrer à M. le Premier Ministre Kwame N’Krumah, ainsi qu’aux autres personnalités ghanéennes qui l’accompagnaient (deux ministres et un député), la supériorité de notre expérience sur la leur [l’association avec la France contre l’indépendance], sur le triple plan humain, politique et économique », Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 8 avr. 1957, 7 p., archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 123, 1, p. 4.
3M. Le président [Gaston Defferre], « Conférence des hauts-commissaires et chefs de territoires », ministère de la France d’outre-mer, 23 avr. 1957, archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 169, p. 33-124, p. 55.
4 Ibid., p. 57.
5 Ibid., p. 41.
6 Ibid., p. 47.
7 Rappelons ici que les projections économiques à terme précises n’existent pas en 1956, ni dans l’édification du plan (et donc des investissements du FIDES), ni dans la politique de la fonction publique. Ce n’est qu’en 1955, à la demande de Teitgen, que de premières estimations approximatives sont produites sur cette dernière question. La rationalisation des choix budgétaires (RCB), permettant d’évaluer les retours sur investissements, n’intervient dans la comptabilité publique qu’à partir de 1962, sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, alors secrétaire d’État aux Finances (entretien de Paul Simon, 30 juill. 1998).
8 Voir Nicolas Bancel, « Un cadeau empoisonné ? Le Fonds d’investissement pour le développement économique et social des Territoires d’outre-mer (FIDES) », 1946-1958, dans Alain Ruscio (dir.), Encyclopédie de la colonisation française. D-F, Paris, Les Indes savantes, 2019.
9 Comptes économiques 1951-1956, Compte-rendu sommaire des travaux effectués depuis 1951, Paris, 1959, 79 p., p. 78, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine.
10 Nous n’avons pas retrouvé le montant exact de ces crédits aux territoires, mais ils se montent, d’après Paul Simon (entretien du 4 août 1998), à plusieurs centaines de millions de FCFA en 1956, et augmentent constamment jusqu’en 1959. Lors de débats sur la loi-cadre, Gabriel Lisette fait de l’aide directe de la métropole une condition du vote de la loi. Gabriel Lisette, « Évolution des territoires relevant du ministre de la France d’outre-mer. Discussion d’un projet de loi », Journal officiel de la République française, 32, débats parlementaires, Assemblée nationale, 23 mars 1956, p. 1042-1092, ANS, 17 G 643 (165), p. 1093.
11 Ibid., p. 43.
12 À cet égard, une étude serait très utile qui mettrait en perspective les dépenses de la métropole en contexte colonial et le coût de l’aide technique bilatérale et de tous les instruments de la « présence française » dans ses ex-colonies (bases militaires, représentations diplomatiques, personnels détachés, etc.) immédiatement mis en place après les indépendances. Il n’est pas certain que la France, financièrement, gagne au change…
13J. Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, op. cit., p. 351-365 ; R. Pasquier, « Les milieux d’affaires face à la décolonisation (1956-1960) d’après quelques publications », art. cité. Cependant, la thèse de Marseille peut également être contrebalancée en ce domaine par la création des conditions de continuité du pacte colonial, notamment l’institution de la zone franc, dont tous les « modernistes » cités par l’auteur semblent paradoxalement se féliciter. Si l’industrie cotonnière et papetière française a pu souffrir de l’érosion des barrières douanières qui leur assuraient un quasi-monopole colonial, les entreprises de biens manufacturés françaises n’ont certainement pas vu d’un mauvais œil la création de la zone franc. L’incroyable cherté de ces biens aujourd’hui encore dans toute l’Afrique de l’Ouest ex-française (entraînant un coût de la vie en contexte urbain démesuré par rapport aux conditions réelles de la production économique), témoigne assez de la perpétuation d’une économie de rente. À cet égard, mais il faudrait un travail précis sur cette question, l’ouverture progressive des marchés européens a peut-être joué un rôle bien plus déterminant dans la restructuration et la modernisation de pans entiers de l’économie nationale.
14« Conférence des hauts-commissaires et chefs de territoires », ministère de la France d’outre-mer, 23 avr. 1957, archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 169, p. 33-45, p. 49-65.
15 Gérard Jaquet, « Police », ministère de la France d’outre-mer, circulaire n° 5946, 24 juill. 1957, Paris, 17 p., ANS, 18 G 195 (160) 4, p. 16.
16 Gérard Jaquet, « Conditions d’application de la loi-cadre », ministère de la France d’outre-mer, direction des Affaires politiques, circulaire n° 2917, 17 avr. 1958, 21 p., p. 17.
17J. L. M. A. Soucadaux, « Conférence des hauts-commissaires et chefs de territoires », ministère de la France d’outre-mer, 24 avr. 1957, archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 169, 122 p., p. 87-89. Voir également N. Bancel, « La voie étroite : la sélection des dirigeants africains lors de la transition vers la décolonisation », art. cité, p. 38-40.
18 Direction des Affaires politiques, « Application de la loi-cadre », avr. 1958, ANOM, série Affaires politiques, 2138 (8), 3.
19 Gaston Defferre, « Conférence des hauts-commissaires et chefs de territoires », op. cit., p. 95-96.
20 Encore qu’au regard des correspondances entre le chef d’État-major et le ministère apparaît la crainte que l’indépendance du Ghana et le prestige de N’Krumah puisse entraîner un mouvement d’émancipation en Afrique de l’Ouest française propre à étendre l’influence du Commonwealth, ombre portée de l’Angleterre (archives municipales de Marseille, fonds Defferre, 100 II 169). Une étude serait très intéressante qui mettrait en relief la permanence du « complexe anglais » et ses conséquences dans la politique africaine de la France, prête aux manœuvres les plus invraisemblables pour maintenir l’influence française contre la « menace anglo-saxonne ».
21 À cet égard, les directives du cabinet militaire du haut-commissariat ne laissent planer aucune équivoque sur la question. Celles-ci délimitent soigneusement les prérogatives respectives de la police territoriale (municipale et locale) et de l’armée. Cette dernière est clairement destinée à réprimer toute « menée séditieuse ou révolutionnaire », haut-commissariat de la République en Afrique occidentale française, Cabinet militaire, 25 nov. 1957, Dakar, ANS, 18 G 602 (152) 7, p. 1-6.
22 Dans cette perspective, seul le « non » de la Guinée au référendum sur la communauté en 1958 pose problème. On l’a souvent interprété comme un geste d’un nationalisme ombrageux longtemps étouffé, ce qu’il est effectivement. La tradition nationaliste se manifeste bien avant le vote de 1958, et notamment après le vote de la loi-cadre, le leader guinéen, vice-président du conseil du gouvernement, se souciant comme d’une guigne de la tutelle du gouverneur. (Voir à ce sujet la série 18 G 213 (160) des Archives nationales du Sénégal). Mais il ne fait en même temps pas de doute que Sékou Touré ne souhaite pas alors la rupture avec la France. Il désire simplement l’indépendance – poussé il est vrai par l’aile gauche du RDA-Guinée et les mouvements étudiants –, telle qu’elle se formalisera deux ans plus tard, permettant à la métropole de conserver des liens organiques de domination avec ses anciens territoires. La susceptibilité de de Gaulle, qui reçoit la réponse de la Guinée comme un désaveu de quatre-vingts ans d’« œuvre civilisatrice » à laquelle il croit sincèrement, entraîne la rupture brutale, par la France, de toutes formes de liens, à commencer par le rappel brutal de tous les fonctionnaires français. Sékou Touré, contraint, se tourne alors vers l’est, avant que sa dictature ne dérive vers un « socialisme africain » particulièrement sanguinaire. Voir Bernard Charles, « Le rôle de la violence dans la mise en place des pouvoirs en Guinée (1956-1958) », dans C.-R. Ageron, M. Michel (dir.), L’Afrique noire française…, op. cit., p. 361-374 ; E. Schmidt, « Anticolonial Nationalism in French West Africa… », art. cité.
23 [Anon.], « Le XIIe congrès de la FEANF », L’étudiant d’Afrique noire, 1960.
24 Tony Chafer (La fin de l’Empire colonial français en Afrique de l’Ouest…, op. cit., p. 166 et suiv.) insiste sur le dissensus politique opposant élites de première et seconde génération, en arguant que la proximité sociale entre élus africains et responsables et élus européens (par exemple au sein de l’Assemblée nationale) a approfondi cette césure. Nous parvenons aux mêmes conclusions sur ce plan. Mais sur un autre plan, il nous semble que la congruence proprement métapolitique entre les différentes élites (première et seconde génération) est l’élément central. Dans le même ordre d’idées on pourra lire G. Wesley Johnson, « The Triumphs of Nationalism in French West Africa or the Change from Assimilation to Nationalism as a Secular Faith for West African Elites », dans Décolonisations européennes, Publications de l’Université de Provence, Institut d’histoire comparée des civilisations, Institut d’histoire du temps présent, Aix-en-Provence, 1995, p. 311-321.
25 Marginalisation définitive après le rejet de sa demande à participer à la conférence de Bandung. Cheikh Anta Diop n’exercera jamais aucune responsabilité au sein des comités exécutifs de la FEANF. Cette situation a le don de réjouir les Affaires politiques, satisfaites de voir enfin laminée l’influence de cet « agitateur notoire » (Bulletin de renseignement, « La jeunesse africaine à Bandœng », 10 nov. 1956, ANOM, série Affaires politiques 2148 (2), 2).
26S. Diarra, « Pour un front de lutte soudanais », L’étudiant soudanais, 4, janv.-févr. 1958.
27 Boukary Kané, « Aperçus sur la chefferie dite traditionnelle au Niger », L’étudiant nigérien, 12, avr. 1959.
28 Bulletin de renseignement, nov. 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2265 (1), 14.
29M. Traoré, « Renoncement et lutte », L’étudiant soudanais, 5, mai-juin 1958.
30S. A. Adende, « Du Sénégal au Dahomey », L’étudiant d’Afrique noire, 7, nov.-déc. 1958. Un souhait qui n’est pas sans rappeler la parabole chrétienne des enfants venant au christ, et qui s’inscrit dans le missionnarisme étudiant, mais rappelle aussi l’essentialisation des antagonismes sociaux, sous le régime des républiques démocratiques chinoise ou soviétique, entre autres.
31« Note liminaire de la rédaction », L’étudiant soudanais, numéro spécial, juill.-août 1959.
32 Ibid.
33S. Diarra, « Pour un front de lutte soudanais », L’étudiant soudanais, 4, janv.-févr. 1958.
34K. Moussa, « L’Afrique noire de demain », L’étudiant soudanais, 3, nov.-déc. 1957.
35 Voir Monica M. Van Beusekom, Negotiating Development : African Farmers and Colonial Experts at the Office du Niger, 1920-1960, Heinemann, Portsmouth, 2002 et plus particulièrement son article « Disjunctures in Theory and Practice : Making Sense of Change in Agricultural Development at the Office du Niger, 1920-1960 », Journal of African History, 41, 2000, p. 79-99.
36 Bulletin de renseignement, nov. 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2265 (1), 3 ; A. Bathily, M. Diouf, M. Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », art. cité, p. 296 ; Marie-Albane de Suremain, « Les jeunes et l’indépendance du Sénégal… », art. cité, p. 100-118.
37 Reproduite dans Dakar-Étudiant de déc. 1953 (3), sous la signature de son vice-président Moustapha Diallo.
38J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 250 et suiv. La dénonciation du corps enseignant se traduit par de vives tensions entre ces derniers et les étudiants. Jean Devisse raconte ainsi qu’à l’occasion de son premier cours magistral à Dakar en 1955, les élèves, debout, observent un silence glacial. Puis un séminariste en formation à l’institut s’approche et lui intime l’ordre suivant : « agenouillez-vous pour la traite ! », résumant toute l’ambiance politique du moment.
39 Bulletin de renseignement, Congrès de l’union scolaire soudanaise, ANS, 17 G 596 (152).
40 Lettre de Moustapha Diallo (alors deuxième vice-président de la FEANF et non président comme le rapporte Jean Capelle) adressée au recteur de l’académie d’AOF, 4 mars 1957, citée par J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 257.
41 Bulletin de renseignement, Congrès de l’union scolaire soudanaise, ANS, 17 G 596 (152).
42 On retrouve cette indifférence à l’analyse des contenus chez certains historiens, à l’instar de Françoise Blum, qui prend acte du fait que les étudiants africains luttent politiquement pour obtenir un enseignement d’égale qualité à celui dispensé en France, mais sans que l’auteure s’interroge sur les contenus de ces enseignements, dimension non politique mais évidemment fondamentale. Voir François Blum, « L’indépendance sera révolutionnaire ou ne sera pas », art. cité, p. 123.
43 On lira à ce sujet Laurent Manière, « La politique française pour l’adaptation de l’enseignement en Afrique après les indépendances (1958-1964) », Histoire de l’éducation, 128, 2010, p. 163-190 ; Céline Labrune-Badiane, Pascal Bianchini, Marie-Albane de Suremain, L’école en situation postcoloniale, L’Harmattan, Paris, 2012.
44L. Manière, « La politique française pour l’adaptation de l’enseignement en Afrique après les indépendances (1958-1964) », art. cité.
45 Achille Mbembe, Rapport du CODESRIA 1997, CODESRIA, Dakar, 1997.
46H. Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », art. cité, p. 140-151. Voir également Harry Gamble, Contesting French West Africa : Battles over Schools and the Colonial Order, 1900-1950, University of Nebraska Press, Lincoln, 2017, p. 211-242.
47 Harry Gamble montre par ailleurs que la plupart des élus africains s’opposent à une adaptation des enseignements au contexte de l’AOF, de crainte que cette adaptation ne se traduise par une baisse de leur qualité, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », art. cité, p. 144-146. Le souvenir amer des écoles rurales, dispensant un enseignement de faible niveau et essentiellement destiné à former une main-d’œuvre exploitable, est encore dans toutes les têtes.
48 Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale. L’organisation des cadres de l’enseignement en Afrique occidentale française (1903-fin des années 1930) », Genèses, 69, 2007, p. 4-25.
49 Assane Seck, « Problèmes de modernisation de l’Ouest Africain », dans Présence africaine, 14/1, 1953.
50 Ce que l’historien Daniel Denis nomme justement la « xénophilophobie ».
51 Odile Goerg, « Entre infantilisation et répression coloniale. Censure cinématographique en AOF, “grands enfants” et protection de la jeunesse », Cahiers d’études africaines, 205, 2012, p. 165-198.
52 Une écrasante majorité des étudiants africains d’AOF affirment que les aspects les plus positifs de leur séjour en France sont l’accès à la culture (80 %), le niveau de vie (81 %) et la « liberté sous toutes ses formes » (79 %). Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 123, 127 et 133.
53J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 246-247.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Jean Capelle rapporte ainsi la multiplication des cas de scolaires ne respectant plus la discipline familiale, J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 238 et suiv.

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