• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15417 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15417 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Lettre d’information
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Éditions de la Sorbonne
  • ›
  • Internationale
  • ›
  • Décolonisations ?
  • ›
  • L’impasse (1956-1960)
  • ›
  • Chapitre 16. Vers une situation révoluti...
  • Éditions de la Sorbonne
  • Éditions de la Sorbonne
    Éditions de la Sorbonne
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Les Éclaireurs dans le mouvement d’autonomisation de la jeunesse L’émancipation du mouvement Du Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF
    au Conseil de la jeunesse d’Afrique
    La trajectoire des mouvements étudiants après la loi-cadre La révolution contre la réforme Un internationalisme révolutionnaire ? Notes de bas de page

    Décolonisations ?

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Chapitre 16. Vers une situation révolutionnaire ?

    p. 321-337

    Texte intégral Les Éclaireurs dans le mouvement d’autonomisation de la jeunesse L’émancipation du mouvement Du Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF
    au Conseil de la jeunesse d’Afrique
    La trajectoire des mouvements étudiants après la loi-cadre La révolution contre la réforme Un internationalisme révolutionnaire ? Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Au cours de la période 1956-1960, contrairement aux vœux de l’administration coloniale et des élus africains, les mouvements de jeunesse émancipés de la tutelle coloniale – principalement les Éclaireurs de France et le Conseil de la jeunesse d’Afrique, fédérant l’essentiel des associations de jeunes en AOF –, originellement apolitiques, vont connaître simultanément une radicalisation politique sans précédent, impulsée par les mouvements étudiants, en particulier la FEANF. La rupture semble consommée avec l’administration et les élus de première génération, qui bénéficient désormais des innombrables opportunités politiques et de postes d’élus ouverts par la loi-cadre. Les guerres d’Algérie et du Cameroun ouvrent des perspectives nouvelles et sont érigées en exemples à suivre, alors que se profile une alliance avec les syndicats de la fonction publique.

    Les Éclaireurs dans le mouvement d’autonomisation de la jeunesse

    2Avant 1956 les Éclaireurs d’AOF ne prennent jamais position publiquement sur la question coloniale, respectant en cela l’idéal d’une participation civique politiquement neutre. L’autonomisation du mouvement intervient en 1957, simultanément à l’application des décrets de la loi-cadre. Une évolution chronologique synchronique qui n’est pas due au hasard. En effet, les éclaireurs, nous l’avons vu, sont objectivement liés, idéologiquement et par le réseau qui les soutient, à la frange moderniste de l’administration coloniale, elle-même militante depuis le début des années 1950 d’un renversement d’alliance de l’administration coloniale au profit des jeunes élites de transformation et au détriment du colonat. L’autonomisation négociée du mouvement s’inscrit dans ce processus. Mais l’extension de la radicalisation politique imprimée à la jeunesse scolarisée par les mouvements étudiants africains de Dakar et de métropole se répercute sur les éclaireurs, engageant tardivement une volonté de rupture avec la puissance tutélaire.

    3De 1945 à 1955, les Éclaireurs d’AOF sont l’un des creusets de la formation politique d’une partie de la jeunesse scolarisée. La radicalisation de cette jeunesse face au pouvoir colonial se réalise latéralement, par la participation aux organisations de jeunesse. Ainsi, les éclaireurs participent activement à l’autonomisation des conseils de la jeunesse du Sénégal, du Soudan et de Guinée, siègent au Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF, symbole de ce mouvement d’autonomisation, alors que la direction provinciale refuse tout contact avec le Conseil de la jeunesse de l’Union française. Albert N’Diaye est ainsi membre en 1957 du conseil exécutif de l’organisation fédérale et responsable des affaires sociales et culturelles du Conseil de la jeunesse du Sénégal, alors dirigé par Abdoul Maham Ba, ancien commissaire du district du Sénégal. De même, de nombreux étudiants effectuant leur cursus en métropole sont passés par le scoutisme laïc1. L’action des éclaireurs sur les mouvements de jeunesse est donc importante, tant au niveau des territoires que de la fédération. À cet égard, trois districts éclaireurs connaissent une évolution plus radicale et plus précoce : le Sénégal, la Guinée et le Soudan.

    4Le témoignage de Mahamane Touré permet de saisir la dynamique particulière du mouvement au Sénégal. Mahamane Touré est éclaireur à Bamako entre 1954 et 1956. À la rentrée 1956, il est à Dakar pour y poursuivre des études supérieures. Il intègre naturellement les éclaireurs de Dakar, en tant que routier et chef de meute puis devient rapidement, en décembre 1956, chef de la branche routier du clan Ousmane Thiané Sar. Les activités restent identiques aux pratiques des éclaireurs de Bamako. Cependant, l’ambiance politique est plus fiévreuse qu’au Soudan, qui apparaît pourtant comme l’un des trois territoires les plus avancés en la matière, avec la Guinée (alors que le scoutisme laïc est pratiquement inexistant au Niger, embryonnaire en Haute-Volta et en Mauritanie). Les débats entre étudiants de l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale (UGEAO, qui succède en 1956 à l’Assemblée générale des étudiants de Dakar) sont vifs. Lors de la promulgation de la loi-cadre, un net regain d’espérance en une réelle autonomie politique est perceptible, mais l’influence de la FEANF sur l’UGEAO radicalise cette dernière au début de l’année 1957, qui s’aligne alors sur le mot d’ordre de soutien au FLN et à l’UPC, et à la perspective du renversement du colonialisme.

    5Parmi les étudiants dakarois, on compte entre 100 à 150 éclaireurs, sur environ 700 membres de l’UGEAO à cette date. Cette importante proportion d’éclaireurs au sein du mouvement étudiant indique nettement l’élitisme de principe du scoutisme laïc et met également en évidence les interrelations dynamiques entre celui-ci et les mouvements étudiants. Sans pouvoir avancer d’estimations chiffrées précises, il ne fait pas de doute que les éclaireurs (ou anciens éclaireurs) sont également très présents dans les mouvements étudiants africains en métropole. À Dakar, la formation politique reçue au sein de l’UGEAO, mélange de nationalisme et de marxisme selon Mahamane Touré, n’est pas sans conséquence sur le mouvement éclaireur. Au sein de son clan à Dakar, les mêmes discussions se reproduisent et se concrétisent par une émulation nationaliste identique. La personnalité du commissaire de province, l’importance numérique des éclaireurs au Sénégal, la participation aux associations de jeunesse émancipées du Conseil de la jeunesse de l’Union française et l’activisme prosélyte de l’UGEAO expliquent la radicalisation politique rapide des éclaireurs du Sénégal.

    6En Guinée, le militantisme de l’Unité d’action des jeunes de Guinée, association territoriale la plus active et fortement liée à la JRDA, déclenche également précocement une forte implication des éclaireurs dans les processus politiques2. De même au Soudan, la plupart des responsables éclaireurs, tels Seydou Ba (qui devient en 1958 membre du comité exécutif de la FEANF), David Coulibaly, Oumar Sow (également membre du comité exécutif de la FEANF en 1958), Gabou Diawara, Birama Sissoko et Abdou Touré, sont-ils liés à la JRDA, organisation particulièrement virulente à partir de 19533. Ce processus est beaucoup moins évident en Côte d’Ivoire, qui apparaît comme le district éclaireur le moins touché, au moins jusqu’en 1957, par ce processus de radicalisation politique. Peut-être faut-il voir là l’influence modératrice de René Dumeste, qui exerce, même après son remplacement par Paul Achy en 1954, une aura certaine sur les éclaireurs de Côte d’Ivoire ? La concurrence du scoutisme catholique, prônant la neutralité en matière politique (et respectant cette neutralité), a joué aussi, les scouts catholiques étant bien mieux implantés que les éclaireurs en Côte d’Ivoire. La politisation du scoutisme laïc est également peu développée au Dahomey où, comme en Côte d’Ivoire, il est confronté à la puissance de son homonyme catholique.

    L’émancipation du mouvement

    7La conséquence la plus marquante de la radicalisation des éclaireurs, durant la gestation de la crise politique de la jeunesse entre 1953 et 1956, est la décision d’Albert N’Diaye, commissaire de la province d’AOF, de s’émanciper de la tutelle métropolitaine. En suspens depuis 19554, cette décision s’inscrit dans le sillage de l’autonomisation d’une partie des mouvements de jeunesse d’AOF, mais aussi de l’application de la loi-cadre, qui a dévolu aux autorités territoriales, comme nous l’avons vu, d’importants pouvoirs de gestion. La réunion du Comité de province des 19, 20 et 21 avril 1957 à Rufisque entérine la transformation des Éclaireurs de France, d’AOF et du Togo en Éclaireurs d’Afrique (EDA). Albert N’Diaye affirme à cette occasion :

    […] les EDF n’ont jamais perdu de vue que nous serions un jour un mouvement autonome. Ils nous ont aidés dans la formation de nos cadres ; ils n’ont jamais cessé de nous prodiguer conseils et suggestions, fruits d’une longue et passionnante expérience. Depuis longtemps, ils ont compris que nous pourrions un jour former un mouvement africain autonome. […] L’on ne peut croire, à moins d’ignorer les réalités de notre province, que nous suivons le mouvement autonomiste qui existe aujourd’hui en Afrique noire. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les éclaireurs ont été des précurseurs5.

    8Cette autonomisation6, bien acceptée par une direction métropolitaine dont le positionnement anticolonial est devenu clair, résonne cependant pour certains cadres européens comme un véritable désaveu7.

    9Devenus autonomes, les Éclaireurs d’Afrique approuvent dans un premier temps les réformes instituées par la loi-cadre, mais vont progressivement affirmer leur opposition au maintien de la tutelle coloniale tout en gardant les meilleurs contacts avec la direction métropolitaine. Albert N’Diaye réitère ainsi, après le protocole signé avec Pierre Kergomard officialisant l’autonomisation du mouvement, son souhait de voir se poursuivre la collaboration entre les Éclaireurs d’Afrique et les Éclaireurs de France8.

    10Lors du premier comité central des Éclaireurs d’Afrique à Banankoro, au Soudan, le 1er février 1958, Albert N’Diaye confirme la nouvelle orientation anticolonialiste du mouvement9, position réitérée régulièrement par la suite10. La radicalisation anticoloniale des Éclaireurs d’Afrique se lit aussi dans les relations nouées avec les mouvements de jeunesse des pays du bloc soviétique, en phase avec la principale organisation fédérale de jeunesse, le Conseil de la jeunesse d’Afrique11. N’Diaye conduit ainsi la délégation africaine au VIe Festival mondial de la jeunesse et des étudiants à Moscou en juillet 1957 organisé par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD).

    11Il s’agit cependant de mesurer les limites de cette radicalisation, et surtout de replacer les éclaireurs dans le contexte de la dynamique politique qui anime la jeunesse scolarisée dans son ensemble, et dans la configuration plus générale de l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF. Nous avons vu tout d’abord que seuls trois districts assument un discours anticolonialiste, mais les condamnations du système colonial par la direction du mouvement sont peu nombreuses. Le principe de la neutralité politique, la priorité accordée aux objectifs pédagogiques et sociaux (former une élite à même d’exercer demain d’importantes responsabilités), et la dépendance financière vis-à-vis d’une administration coloniale divisée mais, dans son ensemble, prudente, permettent de comprendre les bornes d’un engagement qu’on a parfois voulu voir comme décisif.

    12Au début de l’année 1957, les principaux mouvements de la jeunesse scolarisée, qu’il s’agisse du Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF, des conseils territoriaux émancipés de la tutelle du Conseil de la jeunesse de l’Union française, des mouvements étudiants et de nombreuses associations, ont déjà effectué la rupture politique qui les amène à s’inscrire dans la perspective de l’indépendance. D’après l’enquête menée auprès d’administrateurs alors en exercice, la totalité d’entre eux (même si deux de ces hauts fonctionnaires regrettaient cette issue) affirment qu’en 1956 le ministère de la FOM, les responsables de la fédération et eux-mêmes, considéraient l’indépendance comme inéluctable et proche. Ces résultats doivent être pris cependant avec prudence et Louis Sanmarco12 conteste la sincérité, chez les administrateurs, de cette intuition, révisée selon lui après l’indépendance. De fait, l’enquête menée indique qu’une partie significative (un peu plus de la moitié ?) des administrateurs reste campée sur une conception sinon autoritariste, tout au moins paternaliste et juge que l’Afrique noire française est l’exception heureusement préservée du mouvement mondial de décolonisation, grâce notamment à leur action sur le terrain. Ces administrateurs, exerçant en brousse, ne sont en effet que très épisodiquement confrontés à l’expression d’une quelconque opposition nationaliste.

    13Quoi qu’il en soit, on peut noter une remarquable conjonction entre les éclaireurs et la fraction moderniste de l’administration coloniale – confrontée en contexte urbain à l’évolution sociopolitique de la fédération –, sur le devenir de l’Union française, même si le calendrier de celui-ci, ni ses modalités d’accomplissement ne sont clairement établis. On ne peut pas expliquer autrement que par cette conjonction le fait que les activités des éclaireurs n’aient non seulement pas fait l’objet de répression, mais que le réseau actif en son sein ait pu continuer à développer son action, et même à l’étendre, à travers l’équipe des relations avec l’outre-mer (EROM) et les CEMEA.

    14Ce nouveau positionnement politique, même si les Éclaireurs d’Afrique ne seront reconnus qu’en 1960 par la Conférence mondiale du scoutisme, n’entame pas les relations avec les Éclaireurs de France. Au contraire, la multiplication des initiatives directement liées à une coordination entre les deux mouvements, à travers l’essor des activités de l’équipe des relations avec l’outre-mer animée par Bernard Dumont ou, indirectement, par le dynamisme des CEMEA, fait de la période 1957-1960 la plus dense du point de vue des échanges entre les mouvements africains et français. La crise financière que traversent les Éclaireurs d’Afrique entre 1956 et 1958, les difficultés persistantes de coordination entre le centre sénégalais et les districts et la pénurie chronique de cadres, sont sans doute des facteurs du maintien puis de l’extension de ces relations, qui relativise la radicalité de l’autonomisation du mouvement.

    15Notons à cet égard que son émancipation toute relative de la tutelle métropolitaine préfigure les indépendances de la « décolonisation de velours » de 1960 en AOF, indépendances négociées, sans violence, au prix du maintien de liens de subordination d’une autre nature que l’hégémonie politique brutale du système colonial. Les effets de cette subordination sont, chez les éclaireurs comme dans les nouveaux États, comparables, telle l’affectation d’aides techniques et financières de la métropole en échange de la continuité des projets élaborés dans les années 1950 (modernisation et construction de l’État, élites formées en métropole, « présence française », échanges économiques et culturels privilégiés/maintien de la méthode scout, formation d’une partie de l’encadrement en métropole, érection d’une élite gagnée à la modernité occidentale…). Élite sociale moderne et culturellement hybride, son autonomisation relative de la tutelle métropolitaine est exemplaire de la solution coloniale pragmatique de la rupture dans la continuité.

    Du Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF
    au Conseil de la jeunesse d’Afrique

    16Plus encore que les éclaireurs, le Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF est lié à la radicalisation politique impulsée par les mouvements étudiants. La confrontation au moribond Conseil de la jeunesse de l’Union française (CJUF) joue également un rôle moteur dans le désir d’une rupture politique avec la métropole. Le conseil fédéral a, en 1955, en grande partie discrédité le CJUF. Antoine Lauwrence tente de créer un nouveau comité de coordination, à l’occasion du Congrès de la jeunesse de l’Afrique occidentale, tenu à Accra en septembre 1955, après en avoir dessiné les grandes lignes à Dakar quelques jours plus tôt13. Mais Lauwrence est une nouvelle fois sévèrement critiqué pour sa gestion du CJUF et ne peut concrétiser son projet14.

    17Face à ce désaveu, le conseil fédéral, qui représente alors une large fraction des associations et mouvements de jeunesse d’AOF, se trouve en position de force. Le Congrès du comité exécutif est organisé à Conakry, du 27 octobre au 5 novembre 1956. Ali Bocar Kane est alors reconduit à la présidence. Deux des trois vice-présidents élus, Tibou Tounkara (président de l’Union des jeunes de Guinée et chef de districts des éclaireurs, futur ministre de Sékou Touré avant d’être assassiné par le régime du dictateur) et Bala Dembele (futur membre de la FEANF, rédacteur de L’étudiant d’Afrique noire), indiquent qu’un tournant politique est en train de s’opérer au sein du conseil, confirmé par la reconduction d’Alioune Badara Paye et d’un délégué de l’UGEAO. Les deux vice-présidents et Alioune Badara Paye sont nationalistes. Il est significatif qu’un délégué de l’UGEAO, qui se radicalise alors dans le sillage de la FEANF en adoptant ses mots d’ordre d’indépendance immédiate, de soutien au FLN algérien et à l’UPC camerounais, soit également présent dans le comité exécutif du conseil. Celui-ci est alors en train d’effectuer une mutation politique – parallèle à celle des Éclaireurs de France et de l’UGEAO – qui se confirme lors de son deuxième congrès, tenu entre le 3 et le 5 septembre 1957 à Abidjan, durant lequel le Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF change de nom, semble-t-il à l’initiative des éclaireurs, pour s’appeler le Conseil de la jeunesse d’Afrique. Les huit territoires sont représentés lors de ce congrès. Qui compose la direction du mouvement ? Ali Bocar Kane est reconduit, alors que les trois vice-présidents élus sont Tibou Tounkara, Édouard Abagnitché (Côte d’Ivoire) et Ambroise Agboton (futur ministre du Bénin indépendant). Youssouf Diop, secrétaire général, est reconduit et entouré de deux secrétaires généraux adjoints, Alioune Badara Paye (précédemment délégué aux relations extérieures du conseil) et Mohamed Ould Taki (Mauritanie). Balla Dembele devient trésorier général en remplacement de Philippe Yacé, alors que Yora Diarra (Guinée, membre du bureau de l’Unité d’action des jeunes de Guinée, responsable éclaireur) et Jérôme Assi (Sénégal, UGEAO) sont élus responsables des relations avec la presse.

    18Notons qu’Alioune Badara Paye est membre du bureau exécutif de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) et Balla Dembele fait partie du comité préparatoire du Festival de Moscou. L’influence de la FMJD est donc nette, plus particulièrement au Conseil de la jeunesse du Sénégal à partir de la fin de l’année 1956, et inquiète bien évidemment l’administration, qui fait interdire dès 1950 la diffusion, par le RJDA-Sénégal, d’une affiche de l’UIE. Cette censure se prolonge et s’étend à de nombreux territoires d’AOF à partir de 1953 : les brochures de la FMJD « Pour la paix et l’amitié », « Étudiants du monde », les albums souvenirs des congrès et d’autres documents sont interdits et parfois saisis15. Mais la FEANF exerce une influence plus déterminante encore16. On peut en déduire que le Conseil de la jeunesse s’ouvre plus largement aux idées marxistes. Mais il faut se garder de l’interprétation obsessionnelle du « complot communiste dirigé de l’étranger », comme le fait alors une partie de la presse spécialisée sur l’outre-mer. La situation apparaît bien plus complexe et variable en fonction des territoires et des orientations des organismes coordinateurs des mouvements de jeunesse, à l’image du Conseil de la jeunesse du Dahomey qui se cantonnera à des revendications concernant les intérêts de la jeunesse d’AOF. Cependant, à partir de 1957, le Conseil de la jeunesse d’Afrique s’engage nettement sur la voie de l’anticolonialisme, s’alignant sur les positions du Conseil de la jeunesse du Sénégal dans sa condamnation de la guerre d’Algérie, son soutien aux maquis de l’UPC et la revendication de l’indépendance immédiate. La condamnation de la loi-cadre, qui, après avoir gagné l’ensemble du mouvement étudiant, atteint le Conseil de la jeunesse d’Afrique à la fin de l’année 1957, montre que les efforts de l’administration envers les associations juvéniles et la promulgation d’une réforme d’envergure n’ont pas réussi à éviter l’affrontement de la majorité des mouvements de jeunesse à l’administration, mais surtout à leurs aînés, à présent au seuil du pouvoir17.

    19Le second congrès du Conseil de la jeunesse d’Afrique en septembre 1957 vient sceller cette évolution et fustige la soumission des élus face à l’administration et à la balkanisation de l’Afrique française par la loi-cadre. Signe de l’extension de la radicalisation politique, le congrès salue également les positions de la FEANF (qui sont à cette date des positions de rupture avec l’administration et les élus africains) et soutient la désaffiliation de la fédération étudiante métropolitaine de l’UNEF à la suite des événements de Montpellier, avant de participer activement aux deux congrès de la fédération étudiante, en décembre 1957 et décembre 195818. Ainsi, le magistère moral et politique de la FEANF s’étend désormais à une très large fraction des mouvements et associations de jeunesse d’AOF.

    20La rupture politique avec l’administration, mais aussi avec les élus africains, s’inscrit dans ce processus. Elle touche dès 1956 une large frange du tissu associatif juvénile (scoutisme catholique excepté), dont rend compte la progression très spectaculaire du Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF (puis du Conseil de la jeunesse d’Afrique). La FEANF quant à elle, a pris le contrôle de l’ensemble des associations étudiantes en métropole et exerce une influence décisive dans la radicalisation des étudiants de Dakar. La quasi-totalité du mouvement juvénile s’inscrit dès lors de plain-pied dans le champ du politique, en réclamant l’indépendance et en se posant comme force sociopolitique autonome.

    21La scansion de ces phases rythmant la radicalisation politique de la jeunesse scolarisée ne peut cependant rendre compte du processus d’hybridation asymétrique qui l’affecte et la transforme, par l’incorporation de schémas socioculturels et de perspectives d’avenir qui appartiennent à la métropole. L’identité des discours dans les domaines des normes sociales, du développement économique et même d’un ordre politique désiré (toujours remis à plus tard par le colonisateur, réclamé immédiatement par la jeunesse scolarisée), tisse la trame métapolitique sur laquelle se construisent l’autonomisation et la radicalisation politique des associations et mouvements de jeunesse. Nous pouvons même affirmer que l’hybridation asymétrique des élites s’opère dans et par l’opposition politique au colonisateur. Ce paradoxe n’est qu’apparent, dans la mesure où le discours colonial est un double discours, fondé sur une énonciation de ce qui serait souhaitable et une pratique qui vise d’abord au maintien de l’hégémonie métropolitaine. C’est l’intériorisation de ce discours idéel du colonisateur par les nouvelles élites scolarisées destinées à intégrer l’appareil bureaucratique colonial qui rend progressivement impossible le maintien de son ambivalence originelle, tout simplement parce que ces élites deviennent une force sociopolitique majeure, inséparable du projet colonial lui-même. Dans ce contexte, seule une alliance de l’administration coloniale avec ces jeunes élites peut permettre d’espérer la poursuite de ce projet. D’abord perçue comme une avancée significative sur la voie de l’autonomisation politique, la loi-cadre est ensuite rejetée massivement par les mouvements de la jeunesse scolarisée d’AOF. En effet, au-delà des limites des transferts de pouvoir instaurées par la loi-cadre – qui motivent apparemment la radicalisation politique de la jeunesse scolarisée –, ces transferts sont consentis au profit des élites de compromis qui accaparent toutes les positions dominantes au sein des appareils de la bureaucratie coloniale.

    22La rupture politique du début de l’année 1957 se double ainsi d’une rupture générationnelle, qui s’inscrit dans la crise sans précédent de la fonction publique généreusement léguée par Defferre aux édiles autochtones, obérant les perspectives sociales des élites de deuxième génération. En héritant des problèmes considérables de la fonction publique et de l’opposition frontale des jeunes de seconde génération, les élites de compromis sont condamnées à terme à exercer leurs prérogatives coercitives contre la jeunesse contestataire. La dynamique de la radicalisation de ces dernières s’inscrit dans ce schéma. Parallèlement à l’essor de la radicalisation politique, le processus d’hybridation asymétrique continue de modeler les schémas socioculturels de la jeunesse scolarisée. Cette hybridation apparaît paradoxalement d’autant plus profonde qu’elle s’opère chez des acteurs profondément convaincus de leur opposition à la colonisation. Dans cette perspective, les mouvements étudiants, qui vont avoir une influence déterminante sur l’évolution politique de la jeunesse urbaine scolarisée, constituent un cas d’école.

    La trajectoire des mouvements étudiants après la loi-cadre

    23La promulgation de la loi-cadre est une étape décisive de l’histoire du mouvement étudiant africain. Elle constitue une réforme structurelle des institutions en octroyant, comme nous l’avons vu, une réelle autonomie interne aux territoires d’AOF par l’instauration d’un exécutif territorial, le conseil de gouvernement, dont le pouvoir s’étend à toutes les affaires du territoire et à l’exclusion des intérêts interterritoriaux et de souveraineté (monnaie, diplomatie, armée) ; elle promulgue le suffrage universel pour l’ensemble des élections et créée un organe législatif territorial, l’assemblée territoriale. À bien des égards, la loi-cadre ressemble à un va-tout politique. Marquée par l’évolution du conflit algérien et très certainement par l’embrasement camerounais, la loi doit prévenir en Afrique noire une décolonisation violente, dont les tenants les plus vindicatifs, si l’on exclut l’UPC, se trouvent en France, au sein des mouvements étudiants. Il est significatif que la loi-cadre occupe, entre mars 1956 et février 1957, la place la plus importante, en termes de surface rédactionnelle, dans l’ensemble de la presse étudiante noire19. La loi-cadre pose en effet un problème politique de taille aux mouvements étudiants noirs, dans la mesure où elle surgit après dix années de quasi-vide en matière de réformes institutionnelles et qu’elle s’affirme comme un instrument de transformation réelle des institutions de l’Union française.

    24Dans cette perspective, la réaction des mouvements étudiants est un indicateur fondamental de la réussite ou de l’échec d’une politique réformiste qui espère réincorporer cette jeune élite qui échappe alors presque totalement au contrôle politique de l’administration coloniale. Contrairement à une interprétation linéaire de l’évolution politique du mouvement étudiant africain en France qui postule une combativité anticolonialiste toujours égale dans celui-ci à partir de 195420, les réactions à la loi-cadre s’interprètent dans une chronologie structurée par deux temps, une première approche circonspecte mais positive puis une réaction de rejet en 1957. Les articles de la presse étudiante commencent par approuver la loi-cadre dans ses principes :

    Je leur concède ce fait capital, à savoir que cette loi exprime la volonté des hommes soucieux de voir les rapports naissants entre la France et nous revêtir des formes nouvelles21.

    25De même qu’elle souligne l’évolution positive d’un autoritarisme colonial vers un système d’association :

    [… ]à croire que la France coloniale a jusqu’ici ignoré jusqu’à ces derniers temps qu’un allié conscient est plus utile qu’un serviteur soumis et ignorant. La loi-cadre a compris cette vérité22.

    26Cette première inclinaison du mouvement étudiant à approuver la loi-cadre, dans un contexte où celui-ci revendique l’indépendance pour toute l’Afrique française, peut être attribuée à l’effet de surprise d’une avancée si nette, qui contredit la thèse en vogue de l’immobilisme colonial. La loi-cadre promeut également une importante réforme de la fonction publique et répond à une revendication des mouvements de jeunesse en AOF, alors abandonnée par les mouvements étudiants, mais qui ne les laisse sans doute pas insensibles : l’africanisation des cadres. Celle-ci ouvre les portes des postes de responsabilité aux étudiants dans les fonctions publiques territoriales et d’État et fait vaciller, un moment, les convictions anticolonialistes des mouvements étudiants.

    La révolution contre la réforme

    27Après cette première période de prudente acceptation de la loi-cadre, le mouvement de rejet est initié par la FEANF à travers un article très critique et bien documenté, qui remet radicalement en question la réalité de l’autonomie interne, car « les concessions aux assemblées territoriales sont illusoires, les principaux leviers de commande (économie, transport, PTT, Justice, etc.) restant aux mains de l’État français23 ». Mais la critique majeure de la loi-cadre concerne la territorialisation, mesure qui heurte de front le credo panafricain du mouvement étudiant.

    Qu’apporte la loi-cadre ? J’ai presque envie de répondre : absolument rien, si ce n’est une tentative de désunion de l’Afrique. […] Territorialiser le pays en républiquettes pour ainsi empêcher que l’Afrique Noire ne constitue une entité politique, économique, administrative une et indivisible au moment où l’on s’acharne à faire l’Europe24.

    28Dans le même numéro, un jugement plus négatif encore est exposé :

    Considérant que la loi-cadre, malgré les apparences providentielles et révolutionnaires, constitue en fait un leurre pour le peuple africain, le plus grand bluff pour un colonialisme en mal d’imagination25.

    29Ce raidissement très net du mouvement étudiant contre la loi-cadre marque la rupture définitive qui va dorénavant opposer l’élite étudiante africaine à toutes les manifestations du pouvoir colonial comme aux élus africains. La loi-cadre est la dernière possibilité de conciliation entre cette élite rêvant déjà de la libération de l’Afrique de l’Ouest par l’emploi d’une violence salvatrice, voire purificatrice, et les élites politiques africaines qui sentent, tout comme une partie des administrateurs et la majorité des hauts fonctionnaires de la Rue Oudinot, qu’une large autonomie, sinon l’indépendance, est inéluctable. Deux logiques, irréconciliables, s’affrontent dès lors, l’une – alimentée par l’exemple de la décolonisation anglaise, largement négociée – visant à s’acheminer vers l’indépendance en s’épargnant un bain de sang tout en préservant la permanence de l’influence française dans les territoires coloniaux ; l’autre – nourrie des exemples algérien, camerounais, et secondairement indochinois et indonésien –, animée par la conviction que le sens de l’histoire appelle à une rupture violente avec le colonialisme et que celle-ci ne peut s’accomplir qu’au prix du sang.

    30À n’en pas douter, un idéalisme révolutionnaire est en train de gagner l’ensemble du mouvement étudiant africain en France. L’utopie motrice d’une Afrique retrouvée – abolissant par l’unification panafricaine les différences de classes, de cultures grâce au réveil de toutes les tendances engourdies d’une culture africaine unique –, soumise au dynamisme du développement socialiste, cette utopie ne peut s’accomplir que par le soulèvement massif et simultané des peuples africains26, enfin éveillés à la conscience de leur position de dominés, par l’exemplarité même de la lutte commune des étudiants des différents territoires de l’Afrique de l’Ouest française au sein de la FEANF.

    31La loi-cadre, dans sa perspective de réintégration des élites, échoue et le basculement du mouvement étudiant dans un anticolonialisme virulent ouvre les possibles d’une participation, et plus encore d’une organisation, de la violence politique contre le colonialisme. Cette volonté s’affirme progressivement au cours de la période 1956-1960 et correspond au désir d’un transfert en Afrique noire de la situation algérienne27. Tout acte émanant de la puissance tutélaire est désormais interprété comme le symptôme de la volonté de domination de la métropole, tout acte des élites africaines comme la preuve de leur complicité au maintien de la servitude. De ce point de vue la loi-cadre est trop tardive pour renverser la dynamique d’une radicalisation qui s’étoffe depuis 1952.

    32La loi-cadre contribue également à figer une configuration sociopolitique dans laquelle la position des élites de la première génération se trouve confortée, monopolisant l’essentiel des leviers des nouveaux pouvoirs. Les animateurs du mouvement étudiant, en discréditant la loi-cadre, tentent de s’affirmer comme une alternative politique. Or, il faut distinguer ces derniers des leaders de la jeunesse scolarisée en Afrique même, qui dans les mouvements de jeunesse d’origine européenne comme dans les associations sous ou en dehors de la tutelle coloniale, ne s’affirmeront jamais comme une alternative politique structurée. Leur stratégie commune, avec des différences de degrés appréciables et alors même que certains d’entre eux portent la revendication de l’indépendance, consiste d’abord à favoriser l’incorporation de leurs membres dans l’administration.

    33Ainsi, en AOF, au cours de la seconde partie des années 1950, la distinction s’affirme nettement entre les élites de compromis, représentant la frange supérieure des « évolués » de l’entre-deux-guerres et qui détiennent alors de facto l’essentiel du pouvoir politique et des positions dominantes octroyées aux Africains dans le système colonial ; les élites de transformation, représentées par les membres des mouvements de jeunesse européens et des principales associations de jeunes urbains scolarisés qui engagent un rapport complexe de dialogue/affrontement avec les autorités coloniales dans l’objectif de leur promotion au sein de la bureaucratie ; et enfin les élites de rupture, représentées par le mouvement étudiant et sa tête de file la FEANF, qui posent comme premier axiome le renversement violent d’un ordre politique jugé illégitime, devant les amener, au nom du peuple, à prendre le pouvoir.

    34Dans le cas du mouvement étudiant africain en métropole, la stratégie de rupture adoptée clairement et définitivement après la loi-cadre conduit à une dynamique oppositionnelle qui, confrontée à l’évolution politique de l’AOF, se traduira par le renforcement circulaire de la radicalisation et de la violence verbale.

    Un internationalisme révolutionnaire ?

    35Dans ce contexte, l’interprétation de l’influence du parti communiste dans la radicalisation du mouvement étudiant a été beaucoup utilisée, notamment par les Affaires politiques. Dès 1952, celles-ci accusent ainsi l’AERDA de tendances communistes, tout comme son leader Cheikh Anta Diop, comme l’affirme une note des services de renseignement :

    Il n’est pas douteux que nos étudiants font l’objet de l’attention constante du PCF qui cherche à les enrôler dans ses rangs et profite de toutes les occasions pour exercer leur rancune, mettre en relief les lacunes ou les erreurs commises à leur égard28.

    36De même la prudente Association des étudiants de Côte d’Ivoire (AECI) est caractérisée par ses « tendances communistes », alors que l’association est à cette date conciliante et assimilationniste29. Ces exemples montrent l’absurdité et le systématisme de ces accusations, mais aussi le désarroi et plus encore l’incompétence des Affaires politiques devant la complexité des ressorts politiques du nationalisme étudiant africain.

    37Cependant il n’est pas contestable que les théories marxisantes pénètrent les mouvements étudiants noirs, de même que se renforcent les liens qui les unissent au parti communiste (à travers notamment le Comité de défense des libertés démocratiques en Afrique noire), et surtout aux organisations internationales de jeunesse communiste. Ainsi, la FEANF s’affilie-t-elle en 1955 à l’union internationale étudiante (UIE, dont le siège est à Prague), qui la même année a créé un « bureau des étudiants contre le colonialisme30 », et diffuse ses publications et ses directives par l’intermédiaire d’un comité de liaison des associations des étudiants d’outre-mer, sis également à Prague. Preuve de son activisme, le nombre de brochures de l’UIE et d’exemplaires d’Étudiants du Monde saisis en métropole et en AOF augmente exponentiellement durant la période 1956-1960. Ce bureau est dirigé par Jacques Vergès, qui accédera à la vice-présidence de l’UIE lors de son congrès à Pékin en 195931. L’UIE est elle-même membre associé de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD), sise à Budapest et qui organise dès 1955 un fonds de solidarité pour les étudiants coloniaux qui permet de payer, notamment, des bourses d’études. Dans la perspective de l’extension des capacités d’accueil des étudiants coloniaux derrière le rideau de fer sont créés, après 1945 et en dehors du système universitaire en vigueur, divers instituts, tels l’Institut d’études économiques de Prague, le Centre de formation de Houtska, près de Prague, l’École de formation des étudiants africains à Varsovie, l’École de solidarité internationale à Hautzen (RDA)32.

    38En 1957, la totalité des associations territoriales d’AOF ont adhéré à l’UIE. L’UGEAO, quant à elle, adhère à l’UIE en 1956. Pourtant, les militants pro-FMJD sont suivis à la trace par les services de renseignement, à l’image de Jacques Denis (alias Spiwak), ce qui ne l’empêche pas, au cours de son voyage au Soudan et au Sénégal en mai-juin 1954 de permettre à la FMJD de nouer des contacts plus étroits avec les étudiants de l’association des étudiants soudanais en France (et notamment Birama Traoré, membre du comité exécutif et rédacteur virulent de L’étudiant soudanais), les conseils de la jeunesse du Soudan et du Sénégal, la JRDA-Sénégal et de rencontrer de nombreux responsables associatifs. Dans cette dynamique, la participation des représentants de la FEANF et de l’UGEAO aux différents congrès de l’UIE et de la FMJD va aller croissant, de 1956 à 1960, passant d’une vingtaine de déplacements33 en 1956 à plus de 40 en 1958 et près de soixante en 196034.

    39Cette augmentation est très significative, si l’on tient compte des entraves répétées de l’administration à la délivrance des passeports. Si l’on ajoute à ces chiffres les membres d’associations juvéniles d’AOF, on passe à plus de 65 déplacements en 1956, près de 110 en 1958 et plus de 180 en 196035. Cet essor parallèle des déplacements de responsables de mouvements étudiants en métropole et en Afrique et de représentants d’associations juvéniles africaines contribue à la synergie, par le contact direct de ces responsables, de la radicalisation politique en AOF et en France.

    40De même, des bourses d’études pour les pays du bloc communistes sont offertes par l’UIE à la FEANF et aux étudiants de Dakar (treize bourses sont ainsi distribuées en 1958). Cependant, la conversion idéologique aux idéaux communistes lors des cursus effectués dans un pays de l’Est est aléatoire, comme l’indiquent les réponses des administrateurs de notre panel, qui préfèrent voir les étudiants partir à Moscou où ils mesurent concrètement les effets du « communisme réel », qu’à Paris, où ils reçoivent au sein des associations étudiantes territoriales et de la FEANF une formation idéologique anticoloniale bien plus efficace et radicale. En effet, les conditions d’études derrière le rideau de fer, au cours desquelles est imposée une stricte discipline, la faible disponibilité critique des enseignants, mais aussi un racisme très enraciné envers les Africains en Union soviétique et dans les pays du bloc communiste, découragent la bonne volonté internationaliste de nombreux bénéficiaires de bourses… Les voyages éclair à l’occasion d’un festival, d’un séminaire, ou les invitations à un camp de vacances, organisés chaque année depuis 1952 par l’UIE dans un pays du bloc socialiste, apparaissent politiquement bien plus efficaces.

    41Ainsi, du VIe au XIe congrès, la FEANF, suivie en 1958 par l’UGEAO, s’aligne effectivement sur les positions de l’UIE en matière de relations internationales, ces positions étant, formellement, anticolonialistes. En 1956, la FEANF et les associations territoriales refuseront ainsi de suivre l’UNEF dans la condamnation de l’invasion soviétique en Hongrie, sous le prétexte que l’UNEF refuse de dénoncer le colonialisme36. Enfin, la FEANF entretient de bonnes relations avec l’Union des étudiants communistes37, alors que, entre 1951 et 1957, les renseignements généraux dénombrent au sein des comités exécutifs successifs dix membres du PCF, sept membres du Parti africain de l’indépendance marxiste-léniniste (PAI, fondé en 1957 au Sénégal) et quatre militants de l’UPC38.

    42Cette évolution, malgré la participation de la FEANF à la conférence de Bandung, qui signe la consécration politique de la fédération étudiante – puisqu’aucun leader politique africain d’AOF n’est invité –, et malgré l’influence croissante de la CIE occidentale, après son tournant anticolonial en 1956, sur certaines organisations étudiantes coloniales, témoigne de la réelle influence des idéaux communistes. Celle du parti communiste français apparaît en revanche plus problématique. Il est en effet périlleux d’assimiler d’un seul bloc le parti communiste français, le PAI et l’UPC, comme le font allégrement les Affaires politiques dans une logique qui appartient à la guerre froide et à la certitude qu’un « complot mondial du communisme » se trame souterrainement contre le « monde libre39 ». En effet, la différence est nette entre un parti africain authentiquement nationaliste et un parti communiste français pénétré de contradictions sur la question coloniale. L’influence communiste se manifeste finalement de manière plus éclatante dans le discours du mouvement étudiant. La phraséologie de celui-ci emprunte largement à la terminologie marxiste : « classes », « masses », « prolétariat », « valet de l’impérialisme/du colonialisme », « révolution », « lutte révolutionnaire », etc., deviennent après 1955 des concepts proliférant dans la presse étudiante noire. Mais on aurait tort de croire que l’influence communiste, réelle, signifie une soumission sans réserve au communisme international. Les étudiants africains utilisent en l’occurrence, après la marginalisation de Cheik Anta Diop, les seuls matériaux intellectuels disponibles permettant de penser le renversement de l’ordre colonial.

    Notes de bas de page

    1 Témoignage de Mahamane Touré, 24 avr. 1998.

    2 O. Goerg, « Les mouvements de jeunesse en Guinée de la colonisation à la constitution de la JRDA », art. cité, p. 36.

    3J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 144 et suiv.

    4 Correspondance d’Albert N’Diaye à René Dumeste, mai 1954, archives privées René Dumeste et témoignage de René Dumeste (6 août 1998).

    5 A. N’Diaye, Rapport moral 1957 des Éclaireurs d’Afrique, cité par Malick M’Baye, Abdoulaye Albert N’Diaye, Dakar, s. n., 54 p.

    6 A. N’Diaye, Bulletin provincial, 26, oct.-nov. 1956.

    7 Archives privées René Dumeste.

    8 A. N’Diaye, Rapport moral de la province d’AOF, 19 avr. 1957.

    9 Premier comité central des éclaireurs d’Afrique à Banankoro, 1er janv. 1958, archives privées Seydou Ba, cité par S. Nédélec, Jeunesse, sociétés et État au Mali au xxe siècle, op. cit., p. 197.

    10 A. N’Diaye, « Message du commissaire des Éclaireurs d’Afrique », s. n., 1958.

    11J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 146 et suiv.

    12 Témoignage du 23 juill. 1998.

    13J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 150.

    14 Note des Affaires politiques, 1956, ANS, O.671 (31), 17.

    15 Note de renseignement, déc. 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2654 (178), 8.

    16J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 153.

    17 La contribution déjà évoquée d’Alexander Keese (« “Quelques satisfactions d’amour-propre”… », art. cité, p. 39-41) interprétant la « menace communiste » comme la trame de fond des réactions des autorités coloniales, documentée, doit cependant être relativisée concernant l’AOF. Certes, comme le démontrent abondamment les rapports de surveillance cités dans le présent travail, les services de sécurité surévaluent constamment la « menace communiste », au fondement d’un complot anticolonial. L’impact de la guerre froide est évident, mais cependant, dans les rapports politiques annuels, le rapport Teitgen ou encore le projet de loi-cadre, si la menace communiste est signalée, elle demeure en arrière-plan. C’est une menace vague, alors que les processus internes – radicalisation anticoloniale des mouvements de jeunesse, non systématiquement indexés sur leur appartenance supposée au « complot communiste », revendications syndicales, là encore sans dénonciation systématique des visées « communistes » desdits syndicats, front réformiste des élus – sont, eux, bien réels et palpables. Si ces problèmes posés aux autorités coloniales peuvent être reliés parfois à la « menace communiste », les préoccupations principales de ces dernières sont pragmatiques et concrètes, et évoluent constamment en fonction du contexte.

    18 ANS, note de renseignement, oct. 1957, 17 G 604, 5.

    19 Nicolas Bancel, Les mouvements étudiants noirs en France. Bilan et perspectives, op. cit., p. 60 et suiv.

    20S. Traoré, La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), op. cit. ; A. M. Aduayom, « La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dans la lutte anticoloniale (1950-1960) », art. cité, p. 121-141.

    21 Outel Bono, « Que pouvons attendre de la loi-cadre ? », L’étudiant tchadien, 2, nov.-déc. 1956/déc. 1957.

    22 Oumar Barra-Diarra, « Le problème de l’enseignement au Soudan », L’étudiant soudanais, 1957.

    23 A. Gaye, « Loi-cadre ! Loi-cadre ! Plus cela change dans les colonies et plus c’est la même chose », L’étudiant d’Afrique noire, 6, Toulouse, oct. 1956.

    24 Y. Bogayogo, « Le Kénédougou dans l’histoire du Soudan », L’étudiant soudanais, 2, sept.-oct. 1957.

    25 [Anon.], « Jugement sur les incidences sociales », L’étudiant soudanais, 2, sept.-oct. 1957.

    26« L’indépendance doit être conquise non par une addition de réformes illusoires, mais par la lutte révolutionnaire des masses africaines », [Anon.], « VIIIe congrès de la FEANF Résolution de politique générale », L’étudiant d’Afrique noire, 18, Toulouse, janv. 1958 ; S. Nkiaye, « Après le congrès extraordinaire », ibid.

    27 [Anon.], « Rubrique de la politique générale », L’étudiant d’Afrique noire, 18, Toulouse, janv. 1958.

    28 Bulletin de renseignement, 26 févr. 1952, ANS, 21 G 9 (209), 5. Dans la même note, Cheikh Anta Diop est qualifié de « communiste notoire », manipulé par le PCF pour animer en sous-main l’AGEAP en 1952. Ce qui démontre les limites des analyses des agents du renseignement à ce sujet…

    29 Étude sur l’état d’esprit des étudiants africains, 24 août 1951, ANS, 21 G 9 (209).

    30 Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2655 (34), 12.

    31 Bulletin de renseignement, avr. 1958, ANOM, série Affaires politiques, 2189 (2), 5.

    32 [Anon.], « Pénétration soviétique dans la Communauté », Cahiers d’action religieuse et sociale, 303, 1er juill. 1960, p. 389-397.

    33 Bulletin de renseignement, juin 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2265 (1), 7.

    34 Bulletin de renseignement, 28 oct. 1955, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 17 ; bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2655 (34), 12 ; rapport de la direction des Renseignements généraux sur les activités de la FEANF, mars 1959, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 7.

    35 Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 28 oct. 1955, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 17 ; Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques.

    36 Bulletin de renseignement du SDECE, 21 janv. 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2218 (2), 4.

    37 C. Diané, La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant, op. cit., p. 97 et suiv.

    38J.-R. de Benoist, « FEANF and the Colonial Authorities », art. cité, p. 118.

    39 Tony Chafer, « Friend or Foe ? Competing Visions of Empire in French West Africa in the Run-Up to Independence », dans Martin Thomas (dir.), The French Colonial Mind, vol. I, Mental Maps of Empire and Colonial Encounters, University of Nebraska Press, Lincoln, 2011, p. 275-297 ; A. Keese, « A Culture of Panic… », art. cité.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

    Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Les Europe des Européens

    Les Europe des Européens

    René Girault et Gérard Bossuat (dir.)

    1993

    Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

    Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

    Régine Perron

    1996

    L’Europe des Français, 1943-1959

    L’Europe des Français, 1943-1959

    La IVe République aux sources de l’Europe communautaire

    Gérard Bossuat

    1997

    Les identités européennes au XXe siècle

    Les identités européennes au XXe siècle

    Diversités, convergences et solidarités

    Robert Frank (dir.)

    2004

    La soif de Jérusalem

    La soif de Jérusalem

    Essai d’hydrohistoire (1840-1948)

    Vincent Lemire

    2011

    Misère de l’historiographie du « Maghreb » post-colonial (1962-2012)

    Misère de l’historiographie du « Maghreb » post-colonial (1962-2012)

    Pierre Vermeren

    2012

    Autour des morts de guerre

    Autour des morts de guerre

    Maghreb - Moyen-Orient

    Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)

    2013

    Capitales culturelles, capitales symboliques

    Capitales culturelles, capitales symboliques

    Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)

    Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)

    2002

    Le Paris des étrangers depuis 1945

    Le Paris des étrangers depuis 1945

    Antoine Marès et Pierre Milza (dir.)

    1995

    Au service de l’Europe

    Au service de l’Europe

    Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne

    Didier Georgakakis

    2019

    Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913

    Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913

    Elisa Cárdenas Ayala

    2001

    Diplomatie et religion

    Diplomatie et religion

    Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle

    Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)

    2016

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Les Europe des Européens

    Les Europe des Européens

    René Girault et Gérard Bossuat (dir.)

    1993

    Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

    Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

    Régine Perron

    1996

    L’Europe des Français, 1943-1959

    L’Europe des Français, 1943-1959

    La IVe République aux sources de l’Europe communautaire

    Gérard Bossuat

    1997

    Les identités européennes au XXe siècle

    Les identités européennes au XXe siècle

    Diversités, convergences et solidarités

    Robert Frank (dir.)

    2004

    La soif de Jérusalem

    La soif de Jérusalem

    Essai d’hydrohistoire (1840-1948)

    Vincent Lemire

    2011

    Misère de l’historiographie du « Maghreb » post-colonial (1962-2012)

    Misère de l’historiographie du « Maghreb » post-colonial (1962-2012)

    Pierre Vermeren

    2012

    Autour des morts de guerre

    Autour des morts de guerre

    Maghreb - Moyen-Orient

    Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)

    2013

    Capitales culturelles, capitales symboliques

    Capitales culturelles, capitales symboliques

    Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)

    Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)

    2002

    Le Paris des étrangers depuis 1945

    Le Paris des étrangers depuis 1945

    Antoine Marès et Pierre Milza (dir.)

    1995

    Au service de l’Europe

    Au service de l’Europe

    Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne

    Didier Georgakakis

    2019

    Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913

    Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913

    Elisa Cárdenas Ayala

    2001

    Diplomatie et religion

    Diplomatie et religion

    Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle

    Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)

    2016

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    Éditions de la Sorbonne
    • amazon.fr
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    • lcdpu.fr
    ePub / PDF

    1 Témoignage de Mahamane Touré, 24 avr. 1998.

    2 O. Goerg, « Les mouvements de jeunesse en Guinée de la colonisation à la constitution de la JRDA », art. cité, p. 36.

    3J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 144 et suiv.

    4 Correspondance d’Albert N’Diaye à René Dumeste, mai 1954, archives privées René Dumeste et témoignage de René Dumeste (6 août 1998).

    5 A. N’Diaye, Rapport moral 1957 des Éclaireurs d’Afrique, cité par Malick M’Baye, Abdoulaye Albert N’Diaye, Dakar, s. n., 54 p.

    6 A. N’Diaye, Bulletin provincial, 26, oct.-nov. 1956.

    7 Archives privées René Dumeste.

    8 A. N’Diaye, Rapport moral de la province d’AOF, 19 avr. 1957.

    9 Premier comité central des éclaireurs d’Afrique à Banankoro, 1er janv. 1958, archives privées Seydou Ba, cité par S. Nédélec, Jeunesse, sociétés et État au Mali au xxe siècle, op. cit., p. 197.

    10 A. N’Diaye, « Message du commissaire des Éclaireurs d’Afrique », s. n., 1958.

    11J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 146 et suiv.

    12 Témoignage du 23 juill. 1998.

    13J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 150.

    14 Note des Affaires politiques, 1956, ANS, O.671 (31), 17.

    15 Note de renseignement, déc. 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2654 (178), 8.

    16J.-R. de Benoist, « Entre la WAY et la FMJD… », art. cité, p. 153.

    17 La contribution déjà évoquée d’Alexander Keese (« “Quelques satisfactions d’amour-propre”… », art. cité, p. 39-41) interprétant la « menace communiste » comme la trame de fond des réactions des autorités coloniales, documentée, doit cependant être relativisée concernant l’AOF. Certes, comme le démontrent abondamment les rapports de surveillance cités dans le présent travail, les services de sécurité surévaluent constamment la « menace communiste », au fondement d’un complot anticolonial. L’impact de la guerre froide est évident, mais cependant, dans les rapports politiques annuels, le rapport Teitgen ou encore le projet de loi-cadre, si la menace communiste est signalée, elle demeure en arrière-plan. C’est une menace vague, alors que les processus internes – radicalisation anticoloniale des mouvements de jeunesse, non systématiquement indexés sur leur appartenance supposée au « complot communiste », revendications syndicales, là encore sans dénonciation systématique des visées « communistes » desdits syndicats, front réformiste des élus – sont, eux, bien réels et palpables. Si ces problèmes posés aux autorités coloniales peuvent être reliés parfois à la « menace communiste », les préoccupations principales de ces dernières sont pragmatiques et concrètes, et évoluent constamment en fonction du contexte.

    18 ANS, note de renseignement, oct. 1957, 17 G 604, 5.

    19 Nicolas Bancel, Les mouvements étudiants noirs en France. Bilan et perspectives, op. cit., p. 60 et suiv.

    20S. Traoré, La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), op. cit. ; A. M. Aduayom, « La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dans la lutte anticoloniale (1950-1960) », art. cité, p. 121-141.

    21 Outel Bono, « Que pouvons attendre de la loi-cadre ? », L’étudiant tchadien, 2, nov.-déc. 1956/déc. 1957.

    22 Oumar Barra-Diarra, « Le problème de l’enseignement au Soudan », L’étudiant soudanais, 1957.

    23 A. Gaye, « Loi-cadre ! Loi-cadre ! Plus cela change dans les colonies et plus c’est la même chose », L’étudiant d’Afrique noire, 6, Toulouse, oct. 1956.

    24 Y. Bogayogo, « Le Kénédougou dans l’histoire du Soudan », L’étudiant soudanais, 2, sept.-oct. 1957.

    25 [Anon.], « Jugement sur les incidences sociales », L’étudiant soudanais, 2, sept.-oct. 1957.

    26« L’indépendance doit être conquise non par une addition de réformes illusoires, mais par la lutte révolutionnaire des masses africaines », [Anon.], « VIIIe congrès de la FEANF Résolution de politique générale », L’étudiant d’Afrique noire, 18, Toulouse, janv. 1958 ; S. Nkiaye, « Après le congrès extraordinaire », ibid.

    27 [Anon.], « Rubrique de la politique générale », L’étudiant d’Afrique noire, 18, Toulouse, janv. 1958.

    28 Bulletin de renseignement, 26 févr. 1952, ANS, 21 G 9 (209), 5. Dans la même note, Cheikh Anta Diop est qualifié de « communiste notoire », manipulé par le PCF pour animer en sous-main l’AGEAP en 1952. Ce qui démontre les limites des analyses des agents du renseignement à ce sujet…

    29 Étude sur l’état d’esprit des étudiants africains, 24 août 1951, ANS, 21 G 9 (209).

    30 Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2655 (34), 12.

    31 Bulletin de renseignement, avr. 1958, ANOM, série Affaires politiques, 2189 (2), 5.

    32 [Anon.], « Pénétration soviétique dans la Communauté », Cahiers d’action religieuse et sociale, 303, 1er juill. 1960, p. 389-397.

    33 Bulletin de renseignement, juin 1954, ANOM, série Affaires politiques, 2265 (1), 7.

    34 Bulletin de renseignement, 28 oct. 1955, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 17 ; bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2655 (34), 12 ; rapport de la direction des Renseignements généraux sur les activités de la FEANF, mars 1959, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 7.

    35 Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 28 oct. 1955, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 17 ; Renseignements généraux, bulletin de renseignement, 5 juin 1957, ANOM, série Affaires politiques.

    36 Bulletin de renseignement du SDECE, 21 janv. 1957, ANOM, série Affaires politiques, 2218 (2), 4.

    37 C. Diané, La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant, op. cit., p. 97 et suiv.

    38J.-R. de Benoist, « FEANF and the Colonial Authorities », art. cité, p. 118.

    39 Tony Chafer, « Friend or Foe ? Competing Visions of Empire in French West Africa in the Run-Up to Independence », dans Martin Thomas (dir.), The French Colonial Mind, vol. I, Mental Maps of Empire and Colonial Encounters, University of Nebraska Press, Lincoln, 2011, p. 275-297 ; A. Keese, « A Culture of Panic… », art. cité.

    Décolonisations ?

    X Facebook Email

    Décolonisations ?

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    Décolonisations ?

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Bancel, N. (2022). Chapitre 16. Vers une situation révolutionnaire ?. In Décolonisations ? (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/11yuc
    Bancel, Nicolas. « Chapitre 16. Vers une situation révolutionnaire ? ». In Décolonisations ?. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2022. https://doi.org/10.4000/11yuc.
    Bancel, Nicolas. « Chapitre 16. Vers une situation révolutionnaire ? ». Décolonisations ?, Éditions de la Sorbonne, 2022, https://doi.org/10.4000/11yuc.

    Référence numérique du livre

    Format

    Bancel, N. (2022). Décolonisations ? (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/11ywo
    Bancel, Nicolas. Décolonisations ?. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2022. https://doi.org/10.4000/11ywo.
    Bancel, Nicolas. Décolonisations ?. Éditions de la Sorbonne, 2022, https://doi.org/10.4000/11ywo.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Éditions de la Sorbonne

    Éditions de la Sorbonne

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Facebook
    • X
    • Flux RSS

    URL : http://editionsdelasorbonne.fr/

    Email : edsorb@univ-paris1.fr

    Adresse :

    212, rue Saint-Jacques

    75005

    Paris

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement