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    Plan détaillé Texte intégral Un new deal scolaire L’enjeu politique et social des bourses Faire émerger une « bourgeoisie noire » ? Émergence d’une nouvelle élite scolaire Réussir, quoi qu’il en coûte Surveiller, contrôler Solidarité pratique, unification politique Notes de bas de page

    Décolonisations ?

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    Chapitre 6. La formation des élites de seconde génération

    p. 143-163

    Texte intégral Un new deal scolaire L’enjeu politique et social des bourses Faire émerger une « bourgeoisie noire » ? Émergence d’une nouvelle élite scolaire Réussir, quoi qu’il en coûte Surveiller, contrôler Solidarité pratique, unification politique Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Après 1946, une politique libérale d’octroi de bourses destinées aux élèves et étudiants de l’enseignement secondaire et supérieur est mise en place, connexe aux importants efforts de scolarisation entrepris en AOF après cette date1. La fédération est en effet dépourvue, jusqu’à la création de l’Institut des hautes études de Dakar en 1947, de tout établissement d’enseignement supérieur2. Malgré sa création et son remplacement par une université dix ans plus tard, le nombre d’étudiants d’AOF en métropole ne cessera de croître.

    2C’est sur la base de ces effectifs que vont se constituer les premiers mouvements d’étudiants d’AOF détachés de toute tutelle administrative métropolitaine. L’histoire de ces mouvements commence à être mieux connue et au premier chef celle de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), représentante incontestée à partir de 1956 de l’ensemble des associations étudiantes territoriales en métropole, exerçant un véritable magistère moral et politique sur les étudiants de Dakar, regroupés au sein de l’Association générale des étudiants de Dakar créée en 1950 et au-delà sur nombre d’associations de jeunes en AOF. Les différents analystes3 de l’évolution de ces mouvements ont cherché avant tout à savoir (et parfois à démontrer) si la radicalisation politique de ceux-ci a pu affecter l’évolution générale de l’Afrique française vers l’indépendance. Cette question est sans aucun doute importante, puisque toute l’action de ces mouvements va progressivement se tourner vers la rupture avec l’ordre colonial et l’accession à l’indépendance, qui deviendra au milieu des années 1950 leur revendication commune essentielle. Cependant, la question peut être envisagée sous plusieurs angles : celle d’une influence directe de ces mouvements (la FEANF aurait ainsi influencé la décision de Sékou Touré de répondre « non » au référendum sur l’indépendance, en 19584) ou celle, indirecte, du poids objectif de ceux-ci dans la nouvelle configuration sociopolitique de l’AOF des années 1950. Ce qui signifie se pencher sur ce que cette élite représente socialement et politiquement en AOF, au-delà de son influence en métropole sur les étudiants africains. Or, ces étudiants sont destinés à pourvoir des postes de responsabilité et d’encadrement des appareils administratifs coloniaux, donc à participer à la gestion du pouvoir au sein des territoires, lors d’une période qui voit leurs structures institutionnelles et leur autorité politique évoluer considérablement. Ce qui constitue les étudiants en enjeu sociopolitique majeur dans une fédération où les cadres supérieurs africains sont très minoritaires au début des années 1950.

    3Par ailleurs, la fonction publique de la fédération est en constante augmentation, dans le mouvement de modernisation économique et sociale impulsé par l’application du plan. Cet essor appelle à la formation soutenue de cadres africains. Cette position socialement stratégique des étudiants n’échappe ni à l’administration, ni aux partis politiques africains.

    4La première génération de l’élite, pour maintenir ses positions et mêmes les renforcer dans le cadre de l’associationnisme promu par la loi-cadre, n’a pas le choix : elle doit soit mettre au pas les étudiants africains radicalisés, soit leur offrir des positions avantageuses dans les structures administratives en échange d’une adhésion, au moins de façade, aux discours politiques dominants. Le face-à-face intergénérationnel menace. Dans cette perspective, les mouvements étudiants constituent une force politique significative, et la grande peur de l’administration coloniale comme des partis politiques africains est que cette force leur échappe totalement et, pire, qu’elle puisse se muer en alternative crédible. Car il s’agit bien, au cours de la première moitié des années 1950, d’un risque de disjonction, de rupture entre cette nouvelle élite et la première génération d’intellectuels et de politiques africains, maintenant aux portes du pouvoir. La radicalisation politique des mouvements étudiants au cours de la seconde moitié des années 1950, après que la FEANF se soit assurée de son hégémonie sur l’ensemble des mouvements en métropole (concomitante de l’extension de son aura sur la jeunesse scolarisée d’AOF), lui assure un magistère moral et politique incontesté. La FEANF devient alors le centre de production des énoncés politiques anticolonialistes, d’autant plus engagés et virulents que les étudiants africains poursuivant leur cursus en métropole se trouvent éloignés de l’Afrique, relativement à l’abri des tentatives de contrôle de l’administration coloniale, même si le ministère de la FOM, par divers procédés (suppression de plusieurs bourses par exemple), tente de remettre au pas cette turbulente élite. La différence de nature entre un autoritarisme, même assoupli, qui ne peut s’exercer qu’en contexte colonial, et la relativement très grande liberté dont jouissent les étudiants en France, favorise la rupture avec la situation coloniale, puis le rejet radical de celle-ci. De même, la vie en métropole participe-t-elle à un éloignement de l’Afrique, à une dynamique idéologique dans laquelle, progressivement, la colonisation apparaît comme la matrice originelle de toutes les difficultés du continent. La radicalisation des mouvements étudiants, la primauté accordée à la théorisation du politique provoquent ces effets d’éloignement, encore accentués lorsque les leaders ultranationalistes parviennent à occuper le leadership du mouvement étudiant africain en métropole.

    5Cependant, au-delà de l’évolution politique des mouvements étudiants, il est nécessaire de s’interroger sur les thèmes métapolitiques développés par ceux-ci et de tenter de circonscrire dans quelle mesure ces mouvements participent également des processus d’hybridation asymétrique en cours. Dans cette perspective, il s’agit de saisir comment ces mouvements envisagent l’avenir de l’AOF et de l’Afrique, les rapports entre les cultures paysannes et la modernité coloniale et enfin de déterminer si la sociabilité des étudiants africains en métropole et à Dakar informe – ou non – ce processus d’hybridation asymétrique.

    Un new deal scolaire

    6Pour comprendre la formation d’une population scolaire en AOF, il faut revenir dans un premier temps au new deal colonial instauré après la Seconde Guerre mondiale. L’extension de l’enseignement en AOF s’inscrit en effet dans les perspectives développées par le premier plan décennal du Fonds de développement économique et social (FIDES). Coextensif de la modernisation de l’économie coloniale (développement des infrastructures de communication, modernisation de l’agriculture, exploitation des matières premières), autrement dit l’économie de traite, la promotion par l’enseignement vise à former des cadres subalternes, moyens, et une petite élite de cadres supérieurs, amenés à s’intégrer dans les rouages de l’administration et, espère-t-on, dans les entreprises privées d’AOF. Il s’agit alors de créer de toutes pièces une classe intermédiaire, pénétrée de culture française et disposant de ressources suffisantes pour renforcer l’économie monétarisée et le marché local. Cette conception va évoluer, sous l’influence des transformations politiques, vers la volonté d’associer l’élite universitaire africaine aux responsabilités et à la gestion de l’administration coloniale et ce, au plus haut niveau5. Les efforts consentis en ce domaine sont réels, puisque le taux de scolarisation en AOF, de moins de 3 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale, s’élève à environ 12 % en 1956, mais révèlent également le formidable fossé qui sépare une minorité de scolarisés de la plus grande partie de la population, encore à 80 % rurale en 1955. Dans le prolongement de cet effort se profile, bien avant son institutionnalisation par la loi-cadre, l’africanisation des cadres, condition nécessaire pour éviter que les nouveaux diplômés, frustrés dans leur désir d’ascension sociale, ne constituent des cohortes menaçantes contre un ordre colonial qui, après leur avoir offert l’instruction, leur refuserait les positions qui s’y attachent. La nouvelle politique de scolarisation engage dès lors une évolution irrémédiable vers le partage des responsabilités entre Africains et Européens.

    7Au cours de cette transformation, les étudiants du supérieur (boursiers et non boursiers) se constituent en élite en devenir, et vont bénéficier des soins attentifs de l’administration. Il est difficile de trouver des sources documentées sur l’augmentation du nombre d’étudiants. Cependant, en recoupant les informations fournies par Jean Capelle6, l’enquête publiée par la Nouvelle revue française d’outre-mer en 19557, les indications fournies pour la période 1946-1952 par Thiernoh Bah8 et les archives de la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale9, il est possible de brosser un tableau assez précis de celle-ci, particulièrement concernant les étudiants boursiers, les non boursiers, non recensés jusqu’en 1958, étant beaucoup plus difficile à estimer. Ainsi, en 1946, on compte moins d’une centaine d’étudiants (boursiers et non boursiers) en métropole. En 1948, on en recense 164.

    8Pour la période suivante, pour laquelle on dispose de statistiques plus détaillées, les estimations fournies par Jean Capelle, recoupées par une note des Affaires politiques10, et les estimations de l’office central de la main-d’œuvre qui recense en mai 1957 les étudiants boursiers11, sont légèrement supérieures à celles du service d’évaluation du ministère de l’Éducation nationale. Les chiffres donnés ci-après sont le résultat médian des deux statistiques (fig. 8).

    Fig. 8. Évaluation du nombre d’étudiants boursiers de l’enseignement supérieur en France

    1949 1956 1960
    AOF 200 1 650 2 850
    AEF 46 161 602
    Cameroun 32 245 406
    Togo 21 116 249
    Total 299 2 172 4107

    9Les effectifs de l’ensemble de l’AOF, s’ils dépassent nettement ceux de l’AEF, restent cependant bas. Mais à ces boursiers s’ajoutent les non boursiers, plus nombreux. La Nouvelle Revue française d’histoire d’outre-mer12 indique le chiffre probable de 3 000 non boursiers en 1955, comprenant les étudiants du supérieur et les élèves du secondaire. Les non boursiers du supérieur doivent alors représenter près de 1 300 étudiants en 1955. En extrapolant sur une augmentation symétrique par rapport à l’évolution du chiffre des boursiers, on peut dès lors tabler sur un chiffre de non boursiers du supérieur originaires d’AOF présents en métropole proche de 3 000 en 1960.

    10À la fin des années 1950, environ 6 000 étudiants originaires de l’un des territoires de l’AOF étudient en métropole13, alors qu’un millier d’étudiants poursuivent leur cursus à l’université de Dakar14. Sur ces 7 000 étudiants, on compte un nombre très faible de filles, à peine 9 %, cantonnées pour la plupart dans des études de sages-femmes, d’infirmières et d’assistantes sociales15. En ce domaine, la position dominée des femmes dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest, combinée aux présupposés de la politique coloniale sur leur rôle social et familial, se traduit par l’élimination de fait des femmes pouvant prétendre à de hautes responsabilités. En métropole, près de la moitié des étudiants poursuivent leur cursus à Paris. Progressivement, les centres universitaires de Lyon, Marseille, Montpellier et Aix-en-Provence accueillent bon nombre d’étudiants africains, en raison notamment d’un climat plus clément.

    11La répartition par territoire en 1958 des étudiants boursiers en métropole est également instructive car elle permet d’appréhender d’importantes différences d’un territoire à l’autre (fig. 9).

    Fig. 9. Répartition des boursiers des territoires de l’AOF en 1958

    Territoires Pourcentage par rapport à l’AOF
    Côte d’Ivoire 27,3 %
    Sénégal 23,5 %
    Dahomey 16,4 %
    Soudan 12,7 %
    Guinée 10 %
    Haute-Volta 5,1 %
    Niger 3,5 %
    Mauritanie 1,5 %
    Total 100 %

    12Il est très difficile d’estimer la répartition par territoire des non boursiers, mais on peut penser qu’elle suit d’assez près la répartition des boursiers, elle-même reflétant le niveau de scolarisation des territoires. On peut constater que la politique volontariste de la Côte d’Ivoire, effective dès 1946, se renforce après la promulgation de la loi-cadre (les bourses d’études sont du ressort, à partir de cette date, des assemblées territoriales, nous reviendrons sur ce point dans le chapitre consacré à la loi-cadre). En 1958, à peine deux ans plus tard, elle devance même en ce domaine le Sénégal.

    13Bien que ces chiffres soient dans l’absolu modestes, l’augmentation exponentielle du nombre d’étudiants d’AOF16 poursuivant leur cursus en métropole indique clairement la volonté politique de former une élite de cadres, premier jalon de la constitution d’une « classe moyenne », comme le souligne Jean Capelle17.

    L’enjeu politique et social des bourses

    14Lorsque l’on observe attentivement les modalités d’attribution des bourses, il apparaît que le rapport entre les fins de cette politique – alimenter en cadres les secteurs modernes de l’économie et l’administration coloniale –, et les modalités de son application n’a pas été clairement défini. Jusqu’à la loi-cadre (1956), chaque territoire dispose d’une commission d’attribution des bourses dans laquelle les représentants de l’institution scolaire sont majoritaires. Le territoire propose à la commission fédérale des bourses l’octroi d’un certain nombre de bourses – décisions avalisées lors du vote du budget par le Grand conseil18. Elles sont ensuite réparties par territoire en fonction du niveau de la scolarisation, et leur financement est partagé entre le territoire et la fédération. Dans la plupart des cas, le niveau scolaire requis pour espérer pouvoir poursuivre des études en France est élevé, le faible nombre de candidats durant les années 1946-1950 limitant de toute façon la délivrance des bourses. Avec l’augmentation des titulaires du baccalauréat, les bourses d’études vont constituer un enjeu financier, social et politique de plus en plus important.

    15D’après Bernard Viollier19, administrateur au haut-commissariat à Dakar de 1953 à 1958, chargé des relations avec les syndicats et membre de la commission fédérale des bourses, celle-ci procède aux attributions en dehors de toute considération politique. Cependant, il admet que les hommes politiques africains les plus influents, particulièrement Houphouët-Boigny, « coutumier du fait » d’après lui, interviennent fréquemment pour demander de favoriser tel ou tel étudiant. Ces pressions, qui s’exercent au niveau fédéral, se manifestent également au niveau territorial20. L’octroi de bourses devient ainsi dépendant de l’évolution des rapports de confrontation/négociation entre l’administration coloniale et les élus africains, et ce au niveau territorial et fédéral. Ce système fonctionne jusqu’en 1956, date à laquelle la promulgation de la loi-cadre pourvoit les exécutifs territoriaux d’une large autonomie, qui aura pour conséquence d’ouvrir la possibilité pour le territoire de financer directement des bourses sur un budget élargi. Les politiques d’octroi s’inscrivent alors dans les politiques territoriales, des bourses fédérales continuant à être délivrées.

    16Bernard Viollier souligne qu’avec l’augmentation des pouvoirs territoriaux des élus africains, les pressions se sont faites, sur l’exécutif fédéral, plus considérables. Au niveau territorial, celles-ci sont manifestes, puisqu’en dernier ressort les bourses dépendent de l’acceptation du budget par l’Assemblée territoriale. On peut inférer ainsi qu’elles deviennent un enjeu social et politique non négligeable au milieu des années 1950, dans la mesure où elles conditionnent la reproduction de l’élite. Les balbutiements du clientélisme en la matière sont perceptibles bien avant les indépendances. L’intrusion de stratégies politiques dans la délivrance des bourses va évidemment à l’encontre d’une gestion raisonnée faisant des besoins du territoire et de la fédération en cadres l’un des critères de sélection des boursiers. Jusqu’en 1955, les bourses sont délivrées en dehors de toute considération des nécessités réelles de l’encadrement, mais aux étudiants les plus méritants, qui choisissent librement la filière à laquelle ils se destinent. Cette situation aboutit à une disjonction spectaculaire entre les besoins de l’encadrement, les possibilités d’incorporation dans l’administration des nouveaux diplômés et les filières choisies par les étudiants africains.

    17Ainsi, en s’appuyant sur les chiffres livrés par Jean Capelle, on peut tabler sur la répartition par filière des étudiants boursiers d’AOF (métropole et Dakar) suivante (fig. 10) :

    Fig. 10. Répartition par filière des boursiers d’AOF devant achever leurs études en 1955 et 195721

    1955 1957
    Droit 38,6 % 44 %
    Médecine, pharmacie, sages-femmes, dentistes, vétérinaires 37,3 % 23 %
    Lettres (Philosophie, langues, histoire et géographie) 7,2 % 7,3 %
    Sciences 16,9 % 25,7 %
    Total 100 % 100 %

    18Les étudiants en droit augmentent significativement entre 1955 et 1957 et représentent à cette date un peu moins de la moitié du total. Cette énorme proportion de juristes, qui ne correspond à l’évidence à aucun besoin urgent dans la fédération, renvoie aux représentations sociales de l’excellence en vigueur au sein des nouvelles élites. Faire du droit, sous la IVe République, est un moyen d’accéder aux responsabilités politiques, à l’exemple du personnel politique alors en activité en métropole (l’exemple vient de haut, puisque Gaston Defferre, ministre de la France d’outre-mer entre 1956 et 1958, est lui-même juriste…).

    19La proportion de médecins, vétérinaires, sages-femmes, dentistes, pharmaciens en formation est également importante, même si elle décroît de manière significative entre 1955 et 1957 au profit de la filière juridique. Les étudiants en médecine totalisent plus de 60 % des inscriptions dans la filière, alors que les vétérinaires représentent moins de 7 % des effectifs. De même que pour le droit, se dessine très nettement la reproduction des représentations hiérarchisées de la stratification sociale en métropole. Sur l’échelle de l’excellence sociale, le médecin occupe par rapport au vétérinaire une position privilégiée. L’incorporation de cette hiérarchie au sein des jeunes élites rend compréhensible la prévalence de la filière médecine sur les études vétérinaires, soulignant une nouvelle fois la disjonction des cursus choisis avec les besoins réels des territoires, lesquels, du strict point de vue de l’utilité sociale, ont autant besoin de médecins que de vétérinaires.

    20Les écoles techniques supérieures (agriculture, commerce et travaux publics) ne représentent sur l’ensemble des boursiers du supérieur que 15 % des effectifs en 1955, et moins de 8 % en 1957. Ici encore se vérifie la reproduction des représentations sociales métropolitaines et la disjonction entre les besoins des territoires – particulièrement dans l’optique de la formation de cadres moyens indispensables à la réalisation des projets de modernisation –, et le choix des étudiants, qui délaissent la filière technique.

    21La répartition globale de l’ensemble des étudiants présents en métropole en 1959 confirme massivement ces tendances (fig. 11 et 12) :

    Fig. 11. Répartition des étudiants du supérieur originaires d’AOF en France en 195922

    Droit Sciences Lettres Médecine Pharmacie Total
    AOF 43,1 % 28,9 % 10,4 % 14,1 % 3,5 % 100 %

    Fig. 12. Répartition des étudiants du supérieur originaires d’AOF par filières et territoires en 195923

    Droit Sciences Lettres Médecine Pharmacie
    Côte d’Ivoire 38,8 % 20,4 % 25,6 % 30,3 % 50,1 %
    Dahomey 14,8 % 15 % 18,6 % 21,8 % 11,7 %
    Haute-Volta 3,5 % 7,1 % 3,2 % 7,6 % 5,7 %
    Mauritanie 1,4 % 1,6 % 1,9 % 3,3 % _
    Mali 9,4 % 17 % 11,6 % 16,1 % 9,4 %
    Niger 1,8 % 5,6 % 5,1 % 1,9 % 5,7 %
    Sénégal 21,1 % 21,5 % 22 % 12,8 % 9,9 %
    Guinée 9,7 % 11,8 % 12,3 % 6,2 % 7,5 %
    Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

    22L’administration prend tardivement conscience du déséquilibre entre ses propres capacités de recrutement et les formations effectivement choisies par les étudiants. En 1954 Albert Arnaud, directeur du Centre national des étudiants d’outre-mer, organisme créé en 1953 (auquel se substituera l’Office des étudiants d’outre-mer) chargé de l’aide sociale aux étudiants d’outre-mer, alerte la fédération sur ce problème et demande que la commission fédérale des bourses tienne compte dans ses attributions des besoins réels de l’AOF. Il propose qu’une enquête annuelle soit mise sur pied, chargée de sonder dans tous les territoires les besoins de l’administration et des entreprises privées, afin de déterminer au moins les grandes priorités en matière d’octroi de bourses24. Ces propositions aboutissent au recensement annuel, par les services sociaux de la fédération, des emplois potentiels dans l’administration coloniale et les entreprises privées, dont les résultats sont transmis aux territoires. L’impact de cette initiative sur l’octroi des bourses s’avère totalement inefficace, ce qui motive la rédaction par Cornut-Gentille d’une circulaire transmise à toutes les commissions de bourses le 19 janvier 1954 ; elle précise les besoins de la fédération et encourage la distribution de bourses destinées à soutenir des étudiants en formation technique, et demande de mettre en garde les parents quant aux aléas des études en métropole débouchant sur des qualifications inutilisables en AOF25.

    23En 1955, Jean Capelle, constatant l’inadaptation des cursus suivis par les étudiants, tente également de sensibiliser par une circulaire les élus africains et les responsables des commissions territoriales et fédérales de bourses, en donnant des orientations souhaitables très générales (renforcer les filières techniques, abaisser considérablement les bourses pour les études de droit, limiter à deux ans les études en métropole et privilégier l’Institut des hautes études de Dakar). De même, Sall Clédor, grand conseiller, déplore en 1956 dans un rapport au Grand conseil l’inutilité sociale manifeste des études poursuivies par une majorité d’étudiants ; enfin le comité de la France d’outre-mer écrit, après avoir enquêté en mars 1955 sur les conditions de vie des étudiants africains, à toutes les assemblées territoriales, leur demandant de tenir compte des besoins réels des territoires26. Ces tentatives se soldent par un échec cuisant, confirmé par la persistance jusqu’aux indépendances du déséquilibre entre les besoins et les filières suivies.

    Faire émerger une « bourgeoisie noire » ?

    24Ainsi, la formation d’une élite s’est construite après la Seconde Guerre mondiale en fonction du faible nombre de postulants à des bourses d’enseignement supérieur, mais surtout sur les bases d’une conception utopique – ou naïve – de la transformation sociale. Puisque la nécessité est de former des cadres, de faire émerger une « bourgeoisie noire », on doit avant tout permettre aux élèves les plus méritants de poursuivre leurs études. La réaction tardive – et inefficace – de l’administration sur les aspects qualitatifs et fonctionnels de cet effort se fait jour à un moment charnière de l’histoire de la fédération, lorsque les exécutifs territoriaux se sont emparés de la politique des bourses et que cette politique est déjà atteinte par les effets du clientélisme. L’octroi de bourses est devenu un instrument politique.

    25De plus, les étudiants d’AOF eux-mêmes refusent catégoriquement que la délivrance des bourses d’études soit conditionnée par des critères d’utilité sociale. En 1956, le recteur d’AOF tente de promouvoir une réforme prônant que « la considération des besoins de l’AOF devra désormais jouer un rôle essentiel pour l’attribution de bourses27 ». Cette tentative pour réorienter le système d’octroi de bourses se heurte immédiatement à une réaction très virulente d’Albert Franklin, président de la FEANF. Celui-ci dénonce le fléchage des bourses mais aussi leur limitation aux élèves ayant obtenu au moins 11/20 au baccalauréat, seuls ceux qui ont obtenu 14/20 pouvant choisir leur filière. On comprend l’impopularité de cet article, alors qu’à plus de 60 %, les étudiants africains déclarent en 1960 avoir choisi leurs études en fonction de leurs désirs personnels et non pour « être utile au pays28 ». La proposition sera de toute manière rejetée par le Grand conseil.

    26Par ailleurs, le recteur propose que les études des enfants de fonctionnaires métropolitains décédés en AOF après cinq années de service soient prises en charge par la fédération, encourage explicitement la réorientation des bourses destinées à pourvoir à terme des « fonctions moyennes » et énonce la possibilité de supprimer une bourse pour une « faute très grave ». Ces trois derniers points sont violemment combattus par le président de la FEANF, qui conclut :

    que fait-on et que fera-t-on pour les fils des Africains tombés sous les balles allemandes durant les dernières guerres – pour que la France vive libre ? Que fait-on pour les enfants de ceux qui se font aujourd’hui tuer en Algérie ? […] Ah ! si j’avais la peau blanche, je me dépêcherais d’aller faire carrière au pays des nègres… en attendant que le terrorisme y éclate ! […] Quel Africain serait assez naïf pour ne pas découvrir le racisme qui se déguise sous ces affirmations gratuites et tous ces mots de philanthropie29 ?

    27Prise entre le marteau des tentatives d’appropriation de la politique d’octroi des bourses par les élus africains et l’enclume de la radicalisation du mouvement étudiant – qui inquiète déjà très sérieusement les Affaires politiques –, victime surtout de sa propre inconséquence, l’administration coloniale ne pourra jamais imposer le principe de l’utilité sociale des études supérieures.

    Émergence d’une nouvelle élite scolaire

    28Cette situation – une augmentation exponentielle d’étudiants en métropole dont les débouchés dans les territoires ne sont pas assurés30 –, permet de mieux comprendre la confrontation progressivement virulente entre cette nouvelle élite étudiante, l’administration et les élus africains. Au-delà des aspects politiques et idéologiques de cette confrontation, il s’agit d’une lutte générationnelle, qui porte d’abord sur l’accession aux positions sociales dominantes comme à la responsabilité de la gestion du pouvoir. Les étudiants réclament dès le début des années 1950, à travers l’Étudiant d’Afrique noire, l’organe de la FEANF, mais aussi de toutes les publications des associations territoriales, l’assurance de débouchés dans l’administration coloniale31, à laquelle la grande majorité des étudiants se destinent32. Or, cette revendication va se transformer, avec la radicalisation politique qui s’affirme dans les années 1954-1955, en revendication directe du pouvoir lui-même. La tension politique majeure qui va affecter, entre 1956 et 1960, les relations entre les mouvements étudiants et l’administration coloniale, dès lors associée aux élus africains, ne peut être comprise qu’en mesurant les enjeux sociaux impliqués par cette confrontation. La radicalisation politique des mouvements étudiants – si elle répond à un désir sincère de libérer l’Afrique de la domination coloniale et d’accéder au développement –, renvoie également à l’impasse sociale dans laquelle bon nombre d’étudiants se trouvent enferrés. Et l’horizon, au cours de ces années, loin de se dégager, s’assombrit toujours un peu plus, en concomitance avec l’augmentation des étudiants dans les mêmes filières ne répondant pas aux besoins concrets des territoires. Cette perspective permet de mieux saisir la rapidité avec laquelle les étudiants se constituent en alternative, qu’ils souhaitent crédible, à la première génération des élites politiques africaines. C’est aussi là le moyen d’accéder à une promotion sociale dont ils sentent parfaitement les aléas.

    29En effet, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, la scolarisation devient pour la très grande majorité des Africains un instrument central de la promotion sociale. Seule la scolarisation permet d’espérer accéder à la culture du dominant et prétendre s’insérer dans le tissu de la modernité coloniale. En ce sens, la massification de l’enseignement sur une période aussi brève excède largement la reproduction sociale intergénérationnelle comme le montre Jean-Hervé Jézéquel à propos des instituteurs33, même si l’on a pu constater, à travers le recrutement des mouvements de jeunesse, la prédilection des enfants de fonctionnaires, de commis et de notables, pour la poursuite des études. Dans le cas du milieu étudiant, la répartition sociologique répond à ce schéma, puisqu’en 1960 50 % des étudiants sont fils ou filles de fonctionnaires, 17 % de professions libérales ou de commerçants, 25 % de planteurs ou d’agriculteurs et 8 % d’employés du secteur privé. La reproduction de l’élite minoritaire urbaine des fonctionnaires est significative, cependant une proportion non négligeable d’enfants d’agriculteurs et de planteurs sont représentés (même s’il s’agit en majorité d’enfants de planteurs aisés). Les études en métropole assurent ainsi la fonction d’un levier social qui assure la reproduction de l’élite africaine, engageant aussi bien ses substrats sociaux (identité des statuts entre décideurs et bénéficiaires au sein de la modernité coloniale), mais aussi lignagers, qui seront largement reproduits après les indépendances.

    30En d’autres termes la démocratisation de l’enseignement, encore très relative mais socialement significative, ouvre les portes du savoir occidental et la perspective de l’acquisition de rétributions salariales et symboliques jusqu’alors impensables pour l’immense majorité de la population rurale d’Afrique. Le chiffre impressionnant de non boursiers dans l’enseignement secondaire et supérieur, alors que le coût de la vie en métropole est sans commune mesure avec celui des colonies d’AOF, démontre le pouvoir d’attraction des études. Mais les conditions de vie des scolaires et étudiants non boursiers sont éprouvantes et ils connaissent de très graves difficultés pour poursuivre leurs études, malgré, d’après Albert Arnaud, l’action du Centre national des étudiants d’outre-mer qui tente d’orienter les choix de cursus des étudiants. Une Commission de secours peut leur attribuer des prêts (elle octroie 500 000 FCFA en 1954 à quatre-vingts étudiants, seuls sept commençant à rembourser34), et nombre d’entre eux doivent travailler, alors que l’orientation scolaire, pas toujours judicieuse (préparation de la capacité en droit, instituts peu considérés qui recrutent directement dans les lycées d’AOF), condamne une forte majorité de scolaires – probablement plus de 70 % – à l’échec au baccalauréat35. En 1955, le directeur du centre avance le chiffre de 3 500 scolaires et étudiants à bout de ressources. L’état sanitaire des étudiants non boursiers s’en ressent, et de nombreuses maladies pulmonaires graves sont signalées, entraînant des passages en sanatorium de plus en plus fréquents. Les maladies pulmonaires affectent également, mais dans une moindre mesure, les étudiants boursiers. En 1950, on dénombre cinquante-sept étudiants d’AOF et d’AEF en sanatorium36 et, en 1956, une centaine37.

    Réussir, quoi qu’il en coûte

    31Malgré ces conditions d’études, tous les étudiants en difficulté auxquels le centre propose un rapatriement, accompagné parfois d’un poste d’instituteur adjoint, refusent, malgré l’évidence de ne pouvoir espérer franchir les obstacles de la promotion scolaire et universitaire38. Cette attitude témoigne assez de la sanctification du diplôme, devenu le sésame de l’accession à la modernité et aux positions dominantes, surtout dans l’administration coloniale (est-il besoin de rappeler que le salaire d’un fonctionnaire territorial subalterne est presque dix fois supérieur au revenu d’un paysan ?). La fascination pour la métropole joue aussi pleinement : effectuer son cursus en France est extrêmement valorisant39, car c’est accéder directement aux sources mêmes de la culture du dominant. Le taux d’étudiants ayant achevé leurs études et demeurant en France, séduits par le mode de vie, l’accès aux cultures matérielles, la rupture libératrice avec les rigidités sociales des sociétés rurales40, le poids du lignage et de la gérontocratie, est à cet égard significatif, puisqu’il atteint, entre 1953 et 1957, près de 40 %41. Ce désir social n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls jeunes Africains scolarisés. Comme le souligne Achille Mbembe pour la période suivante42, la mise en œuvre du projet scolaire et universitaire engage, particulièrement lors de l’envoi en métropole de jeunes sans bourse dont il faut payer le voyage, les défraiements, la nourriture et le logement sur place, toute une famille, parfois un village. La réussite comme l’échec sont dès lors collectifs et les étudiants portent le poids très lourd de cette responsabilité. Combien de sacrifices inouïs, de solidarités sollicitées et de frustrations abyssales lors d’un échec de l’étudiant, cas le plus fréquent chez les non boursiers, ces désirs ont-ils provoqué ?

    32Les perspectives de l’accumulation de biens et l’acquisition d’un statut socialement privilégié provoquent en effet l’espoir, correspondant aux modalités de l’échange social et des solidarités croisées en vigueur en Afrique de l’Ouest, d’un retour latéral de ces biens, de ces privilèges, comme d’une rétribution symbolique méliorative sur la famille, le lignage, le clan, l’ethnie. Dans cette configuration sociale, « l’élève et l’étudiant constituent par conséquent aux yeux de leurs familles un investissement43 », et le désir de rester quoiqu’il en coûte s’explique aussi par le réseau d’espérances tissées autour de l’élève et de l’étudiant : il est moralement inacceptable de revenir au pays sans rien, de décevoir d’aussi fortes attentes et du même coup abdiquer le statut symbolique privilégié que son milieu d’origine s’apprête à lui octroyer.

    33Ainsi, l’augmentation de la scolarisation, une politique libérale d’octroi de bourses, le prestige du diplôme, le tissu social tressé autour du parcours scolaire ou universitaire expliquent l’attrait majeur pour les études longues, de préférence en France, et du même coup l’essor d’une émigration élitaire vers la métropole.

    34Les conditions d’études des boursiers apparaissent, par comparaison à celles des non boursiers, beaucoup plus enviables. Jusqu’en 1950, la bourse est relativement faible, 10 000 FCFA mensuels en moyenne, puis le taux est revalorisé en 1955, la mensualité pouvant atteindre 28 000 francs, le paiement du voyage aller et retour des étudiants, la mise à disposition d’un trousseau. En 1956, une nouvelle réglementation des bourses porte le taux maximal de celles-ci à 387 000 francs annuels (contre 264 000 francs pour les étudiants français), le paiement du voyage de début et de fin d’études, auquel s’ajoute en cas de réussite aux examens un voyage métropole/territoire/métropole tous les deux ans, lors de grandes vacances, et tous les trois ans en cas d’échec. Les efforts consentis en matière de logement des étudiants d’outre-mer – toutes les académies ont édifié des foyers pour les étudiants dans les années 1950, parfois au sein des cités universitaires comme à Paris –, l’accès aux restaurants universitaires, aux loisirs proposés au sein des foyers (progressivement organisés par les étudiants eux-mêmes), aux infrastructures sportives, permettent aux étudiants de la fédération de vivre, sur le plan matériel, dans une aisance suffisante. Il sera de bon ton de leur rappeler cette réalité lorsque, à partir de 1955, le nationalisme s’affirmera, en précisant que le taux des bourses des étudiants d’outre-mer est plus élevé de 40 % par rapport au taux des bourses métropolitaines, et dépasse largement le salaire en métropole d’un instituteur débutant ou d’un fonctionnaire moyen44.

    35Ces tentatives de culpabilisation, énoncées par le CJUF dès 1953, résonnent d’ailleurs comme les prémices des discours employés par les États indépendants vis-à-vis de leurs boursiers, leur réclamant une éternelle gratitude (et donc pas d’attitudes subversives) pour les « immenses sacrifices consentis par la nation tout entière » pour leur propre promotion, comme le proclame, par exemple, Ouezzin Coulibaly45. Le statut des boursiers est cependant privilégié et souligne l’enjeu social et politique stratégique constitué par les étudiants africains. La rétribution élevée des bourses apparaît alors comme le prix à payer pour pouvoir constituer un réservoir de cadres destinés à être intégrés au projet de modernisation coloniale, mais aussi pour assurer sans heurts cette intégration en achetant la neutralité politique des étudiants. Cette tactique, c’est le moins que l’on puisse dire, ne portera guère ses fruits sur le plan politique.

    Surveiller, contrôler

    36Ces conditions matérielles s’accompagnent d’une sociabilité particulière au milieu étudiant de la fédération. En premier lieu, les étudiants sont groupés dans les « foyers de l’AOF » des différentes académies et la ségrégation de fait est une constante, puisqu’elle date de Vichy. Il est difficile ici de faire la part des bonnes intentions – permettre aux étudiants de retrouver des compatriotes et de s’adapter au mieux à la rupture avec le milieu d’origine, favoriser la rencontre entre élites de l’Afrique française –, et de celles, plus inavouables, visant à faciliter la surveillance des étudiants. En l’occurrence, l’espionnage maniaque des activités des Africains résidant en France durant l’entre-deux-guerres, bien décrit par Philippe Dewitte46, puis par Olivier Sagna47, incite à penser que les considérations policières jouent ici un rôle central. De fait, les foyers de la rue Keller et de la rue Rollin, tenus par l’Association des femmes de l’Union française présidée par la femme de Marius Moutet48 et regroupant en 1950 des étudiants de toute l’Union française, font l’objet de nombreuses récriminations des étudiants africains, non seulement pour la discipline paternaliste imposée, mais également parce que des pensionnaires qui ne semblent pas poursuivre d’études sont soupçonnés de renseigner les services de police49…

    37Le regroupement des étudiants africains conditionne une sociabilité fondée sur la solidarité africaine : l’entraide, particulièrement entre boursiers et non boursiers, est fréquente. À Paris, trois foyers étudiants accueillent les ressortissants de l’AOF et de l’AEF. Leur capacité d’accueil est insuffisante, et les étudiants qui ont les moyens de louer un appartement, tels Cheikh Anta Diop dès 1947, s’en servent comme d’une salle de réunion où se nouent, au cours de discussions passionnées, des liens amicaux et politiques qui aideront à structurer les premiers mouvements de l’après-guerre. En 1954 une maison de l’AOF est mise à la disposition des étudiants à la cité universitaire et devient un espace privilégié de sociabilité. Cette solidarité est d’autant plus nécessaire que les contacts sont difficiles avec les métropolitains. Plus que les manifestations ouvertes du racisme, rares50, il s’agit plutôt de la difficulté à nouer des relations privilégiées avec des Français, même au sein du milieu étudiant51.

    38Plusieurs raisons à cet état de fait. Tout d’abord, les effets de la ségrégation en AOF même se font sentir. Il est d’autant plus malaisé de nouer un contact avec les Blancs que les relations sociales dans la fédération sont largement structurées par la séparation entre ceux-ci et les Africains. Ensuite, les réactions des métropolitains ne favorisent pas la rencontre. L’individualisme étudiant, la rudesse des relations sociales en métropole, déroutent les nouveaux venus52. Enfin, et surtout, les étudiants africains se heurtent aux préjugés coloniaux séculaires qui font de l’Africain noir le « grand enfant » des peuples placés sous la tutelle protectrice de la métropole. Cette image explique le peu de réaction de franche hostilité rencontrée, car les étudiants africains ne peuvent constituer un danger, à la différence par exemple des Maghrébins, qui portent le fardeau de représentations fondées sur l’obscurantisme, la duplicité et la cruauté supposés des musulmans, en faisant une population par nature criminogène53. La discrimination bonhomme vis-à-vis des Africains se révèle dans les difficultés des étudiants non boursiers à trouver un logement (59 % des logeurs se déclarent réticents à accueillir des « gens de couleur54 ») – beaucoup butant sur des refus polis55 – ou encore à faire quelques dettes chez les commerçants (pratique pourtant très courante au cours des années 1950). Une large majorité d’étudiants africains interprète cette attitude des Français comme de l’indifférence ou la manifestation d’un mépris raciste56.

    39Le milieu étudiant métropolitain apparaît pourtant un peu plus ouvert que la société française dans son ensemble. En témoignent les mariages mixtes, qui augmentent proportionnellement à la présence des étudiants africains : on en compte ainsi une trentaine en 1956, représentant près de 1 % de la population étudiante de l’AOF en France, la proportion passant à 4 % en 1960, alors que près de 20 % des étudiants africains indiquent fréquenter régulièrement des étudiants métropolitains. Les loisirs également témoignent d’une relative mixité. Les étudiants de la fédération, organisant eux-mêmes des fêtes, ne sont pas les derniers à participer aux bals organisés par d’autres organisations étudiantes57, à l’image de l’Union des grandes écoles avec laquelle la FEANF entretient des relations. Dans l’échelle des préoccupations des étudiants en dehors des études, les « réunions entre camarades » arrivent largement en tête, bien avant la lecture, les sorties culturelles (théâtre, cinéma)58 ou le sport et 78 % d’entre eux déclarent fréquenter essentiellement leurs camarades africains. Dans le domaine des loisirs culturels, plus de 66 % des étudiants africains déclarent aller au cinéma au moins une fois par mois, et 19 % de temps en temps, de même le théâtre est fréquenté souvent (une fois par mois) par 16 % d’entre eux, 48 % s’y rendant parfois. Ces chiffres très importants témoignent d’une grande ouverture sur la culture métropolitaine, du net désir de se l’approprier et corrélativement du pouvoir d’imprégnation de celle-ci.

    Solidarité pratique, unification politique

    40Le trait marquant de la sociabilité des étudiants d’Afrique noire demeure le regroupement ; en dehors des foyers, la Salle des sociétés savantes, qui accueillera la plupart des congrès de la FEANF, ou des cafés tel le Babel boulevard Jourdan, serviront également de repère et de lieu de discussion aux étudiants parisiens. La création d’un réseau de solidarité bientôt renforcé par un combat politique partagé, stimulera cette tendance. Significativement, en 1960, plus de 90 % des étudiants d’AOF affirment être intéressés par la politique et en discuter avec d’autres étudiants africains59. Cette sociabilité favorise le travail collectif dans les associations étudiantes et devient l’un des facteurs de l’unité des étudiants autour d’objectifs communs. Ainsi, si la concentration des étudiants africains facilite la surveillance policière, le revers de la médaille est qu’elle favorise aussi leur union politique. La radicalisation des associations étudiantes groupées autour de la FEANF amène les autorités coloniales, en 1956, à envisager la fermeture des foyers pour disperser les étudiants dans les cités universitaires, afin de modérer leur activisme et de favoriser les contacts avec les étudiants français.

    41On a pu affirmer que la vie, les perspectives politiques et l’action commune ont favorisé au sein du milieu étudiant africain la suppression des antagonismes nationaux60. Il est incontestable que de fortes relations ont cimenté les amitiés et les estimes réciproques, mais les susceptibilités nationales ne se sont pas éteintes. Pendant la période allant de 1946 à 1956, les protestations d’étudiants gabonais ou ivoiriens contre la « volonté d’hégémonie » des Sénégalais sont nombreuses. Ce n’est qu’après cette date qu’une réelle unité se fait jour, et encore celle-ci est-elle alimentée par le fonctionnement de la FEANF, qui, après discussions, impose un unanimisme sans faille autour des mots d’ordre de la fédération. Cet unanimisme est parfois acquis, après 1956, par une violence verbale et psychologique s’exerçant sur les éléments les plus modérés (dénoncés sans relâche comme des « valets du colonialisme »), ou sur ceux, encore nombreux entre 1956 et 1960, notamment parmi les étudiants ivoiriens, préférant opter pour la territorialisation contre le panafricanisme dominant61. De même, la pureté idéologique qui sert bientôt de socle doctrinal à la FEANF permet aux ambitions personnelles, sous couvert de la préservation des canons de la loi anti-impérialiste, de lancer des anathèmes et des accusations qui sont longuement étudiés avant d’être portés devant le bureau62. Même si ces renseignements émanent d’un rapport de police et doivent donc être reçus avec la prudence de rigueur – le surlignage de l’« extrémisme » de la FEANF est perceptible –, il ne fait cependant pas de doute que l’ambiance politique, faite d’appels au sacrifice, de dénonciation des traîtres et d’un romantisme révolutionnaire intransigeant63, impose une intolérance certaine face aux adversaires ou aux neutres, « servant objectivement la cause de l’ennemi ». Dans ce contexte, les susceptibilités nationales ont peu de chance de se faire jour, mais cela ne signifie pas qu’elles soient inexistantes.

    42Si le milieu étudiant africain est solidaire, traduisant la reproduction positive d’un héritage fortement ancré dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest, la politisation extrême dudit milieu impose une unité qu’on peut considérer, au moins en partie, imposée par la violence du verbe. Les deux termes ne sont d’ailleurs pas contradictoires, car bénéficier de la solidarité africaine en milieu étudiant signifie s’intégrer à la seconde famille que sont devenues les associations étudiantes et la FEANF et donc respecter le nouvel ordre que cette intégration suppose, une adhésion politique sans faille à leurs idéaux et à leurs mots d’ordre. Trait marquant de la sociabilité du milieu étudiant africain, la tradition solidaire trouve de nouvelles assises dans les formes les plus exaltées de l’engagement politique.

    Notes de bas de page

    1 On lira à ce propos l’important témoignage de Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, Karthala/ACCT, Paris, 1990, 326 p.

    2 [Anon.], « France d’outre-mer. Un institut universitaire à Dakar », Cahiers français d’information, 1er sept. 1950, p. 30. Pour une synthèse générale de l’enseignement supérieur colonial, voir Pierre Singaravélou, « L’enseignement supérieur colonial. Un état des lieux », Histoire de l’éducation, 122, 2009, p. 71-92.

    3 Sékou Traoré, La Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), L’Harmattan, Paris, 1985, 102 p. ; Charles Diané, La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir, Chaka, Paris, 1990, 188 p. ; Joseph-Roger de Benoist, « FEANF and the Colonial Authorities », dans The Role of African Student Movements in the Political and Social Evolution of Africa from 1900 to 1975, op. cit., p. 109-121 ; Adimado Messan Aduayom, « La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dans la lutte anticoloniale (1950-1960) », Abdoulaye Bathily, Mamadou Diouf, Mohamed Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », Claude Sissao, « L’association des étudiants burkinabé en France (1950-1990) », Sylvain Anignikin, « “La régionalisation de la lutte anti-impérialiste” : une contribution de la jeunesse béninoise à la dynamique de la nation en Afrique », dans H. d’Almeida-Topor, C. Coquery-Vidrovitch, O. Goerg, F. Guitart (dir.), Les jeunes en Afrique. Évolution et rôle (xixe-xxe siècles), op. cit., p. 121-141, 282-310, 176-194, 247-258 ; Thierno Bah, « Les étudiants de l’Afrique noire et la marche à l’indépendance », dans C.-R. Ageron, M. Michel (dir.), L’Afrique noire française : l’heure des indépendances, op. cit., p. 41-54 ; N. Bancel, J. Devisse, « The Black Student Press in France from 1943 to 1960 », dans The Role of African Student Movements in the Political and Social Evolution of Africa from 1900 to 1975, op. cit., p. 185-210 ; Fabienne Guimont, Les étudiants africains en France, 1950-1965, L’Harmattan, Paris, 2000.

    4 Jean Suret-Canale, « L’indépendance de la Guinée : le rôle des forces intérieures », C.-R. Ageron, M. Michel (dir.), L’Afrique noire française…, op. cit., p. 129-136 ; Peter Slowe, « Colonialism and the African Nation : The Case of Guinea », dans Chris Dixon, Michael J. Hefferman, Colonialism and Development in the Contemporary World, Mansell, Londres, 1991, p. 106-120.

    5 Bernard Cornut-Gentille, « Instructions sur le placement des diplômés en AOF », 19 janv. 1954, Nouvelle revue française d’outre-mer, 2, Paris, févr. 1955, p. 69.

    6J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 224-225.

    7 [Anon.], « Les étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, n° 2 à 6, févr.-juin 1955.

    8 T. Bah, « Les étudiants de l’Afrique noire et la marche à l’indépendance », art. cité, p. 41-42.

    9 Archives du ministère de l’Éducation nationale à Vanves, direction de l’évaluation et de la prospective, série DEP 6.

    10 Note à l’attention de Monsieur le haut-commissaire, août 1958, ANOM, série Affaires politiques, 2264 (15), 3. Cette note fait référence à une lettre de Georges Balandier datée du 8 août 1958, qui estime à 4 000 le nombre d’étudiants en France, dont 1 725 boursiers.

    11 Office central de la main-d’œuvre, recensement des étudiants boursiers en métropole, juin 1957, ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    12 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars 1955, p. 119-121.

    13 Le Bulletin du comité de l’Afrique française avance le chiffre de 10 000 étudiants africains en France en 1956 ([Anon.], « Dix mille étudiants d’outre-mer en France », 18, janv. 1956), en comptabilisant l’AEF, le Togo et le Cameroun, rejoignant nos propres projections.

    14J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 224 ; [Anon.], « Outre-mer. Dakar, première université d’outre-mer », Les Cahiers français d’information, 32, août 1958, p. 57.

    15 On lira l’ouvrage documenté de Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010 (qui indique un pourcentage un peu supérieur d’étudiantes).

    16 [Anon.], « Enseignement outre-mer », Bulletin de la direction de l’Enseignement et de la Jeunesse du ministère de la FOM, déc. 1957, p. 13-15 ; p. 22-24 ; p. 29.

    17J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 215.

    18 Le Grand conseil est l’institution politique délibérative – l’exécutif est représenté par le Gouvernement général et le haut-commissaire –, regroupant les représentants des territoires, qui propose notamment la redistribution des ressources budgétaires entre les territoires de la fédération. La loi-cadre supprimera de fait le Grand conseil, comme nous le verrons plus avant.

    19 Témoignage du 6 juin 1998.

    20 Témoignage de Jean Quatorze, 8 juin 1998.

    21J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 225.

    22 Archives du ministère de l’Éducation nationale à Vanves, direction de l’évaluation et de la prospective, série DEP 6.

    23 Ibid.

    24 Suivant une proposition de loi de Jean Chastenet à l’Assemblée de l’Union française, Journal officiel de l’Assemblée de l’Union française, 16 juin 1955 et [Anon.], « Les étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars-avr. 1955.

    25 Bernard Cornut-Gentille, « Instruction sur le placement des diplômés », 19 janv. 1954, ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    26 ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    27J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 219 et suiv.

    28 Les étudiants d’outre-mer en France, Institut français d’opinion publique, Paris, 1960, 138 p., p. 83. À ce sujet, et malgré les apports de son travail, nous sommes en désaccord avec Françoise Blum lorsqu’elle affirme que « le fait d’étudier en France peut être considéré comme un acte de révolte, implicite ou explicite, contre l’ordre colonial » (Françoise Blum, « L’indépendance sera révolutionnaire ou ne sera pas. Étudiants africains en France contre l’ordre colonial », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 126, 2015, p. 119-138, ici p. 120). Cela peut l’être effectivement, mais rien n’indique que ce fut le cas avant la radicalisation du mouvement étudiant, entre 1953 et 1954, et rien, en l’état actuel de nos connaissances, ne permet d’affirmer que ce le fut après. Comme semble l’indiquer l’Institut français d’opinion publique cité en référence, le projet d’élévation sociale semble nettement plus déterminant. De même, nous contestons la formulation malheureuse de l’auteure lorsqu’elle indique que les études en France « furent longtemps la seule voie d’accès à un savoir supérieur » (ibid., p. 121). Mais supérieur à quoi ? Aux savoirs indigènes ? Si c’est le cas, en quoi ces savoirs peuvent-ils être considérés comme inférieurs ? D’autres affirmations (« Acquérir ce savoir [universitaire en France] aussi pour s’en servir contre les colonisateurs, sans y perdre sa culture », p. 122) semblent rapides, car comme le souligne ce travail, la question de la « culture africaine » est rapidement complètement marginalisée au profit du combat politique.

    29 Albert Tévoédjrè, « Un scandale terrifiant ! », L’étudiant d’Afrique noire, supplément, 5, 1956.

    30J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 230.

    31 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, 7, juill. 1955, p. 352-353.

    32 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 35.

    33 Sur l’histoire des instituteurs en AOF, lire J.-H. Jézéquel, « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-1945) », art. cité. Lire également l’introduction de l’ouvrage de Céline Labrune-Badiane et Étienne Smith (dir.), Les hussards noirs de la colonie : instituteurs africains et petites patries en AOF (1913-1960), Karthala, Paris, 2018.

    34 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars 1955, p. 119-123.

    35 Danièle Michaud, « Parce qu’on leur a volé 20 millions, les étudiants africains de Paris ne savent où loger », Réveil. La voix du RDA, 411, 10 avr. 1950.

    36 Ouezzin Coulibaly, « Débats parlementaires », Journal officiel de la république française, 47-48, 5-6 avr. 1951, p. 2711-2725.

    37 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », art. cité, p. 123.

    38 Ibid., p. 121.

    39 A. Bathily, M. Diouf, M. Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », art. cité, p. 282-310.

    40 Témoignage de Mahamane Touré (24 avr. 1998).

    41 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », art. cité, p. 119.

    42 A. Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire, op. cit., p. 37-74.

    43 A. Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire, op. cit., p. 51.

    44 Pierre Fromentin, « Les véritables problèmes », Le Monde, 23-24 janv. 1955.

    45 Ouezzin Coulibaly, Combats pour l’Afrique, 1946-1958, Nouvelles éditions africaines, Dakar, 1975, p. 329 et suiv.

    46 Philippe Dewitte, Les mouvements nègres en France (1919-1939), L’Harmattan, Paris, 1985, p. 21 et suiv.

    47 Olivier Sagna, Des pionniers méconnus de l’indépendance. Africains, Antillais et luttes anticolonialistes dans la France de l’entre-deux-guerres (1919-1939), thèse en histoire sous la direction de Catherine Coquery-Vidrovitch, Université de Paris VII, t. 1 et 2, 1986, Introduction.

    48 Marius Moutet fut plusieurs fois ministre des Colonies, a fondé le FIDES et représente alors le Soudan au Conseil de la République (équivalent du Sénat).

    49 Danièle Michaud, « Parce qu’on leur a volé 20 millions, les étudiants africains de Paris ne savent où loger », art. cité.

    50 Philippe Dewitte, « Immigration and an Emerging African Elite in Metropole (1946-1961) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel, Dominic Thomas, Colonial Culture in France since the Revolution, Indiana University Press, Bloomington, 2014, p. 354-372.

    51 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 47.

    52 Lamine Sall, « Le double collège en AOF », dans Fédération française des étudiants catholique, Noirs, Jaunes Blancs, XXVe congrès des étudiants catholiques, Montpellier, 1949, p. 70.

    53 Olivier Lecour-Grandmaison, « Ennemis mortels. » Représentations de l’Islam et politiques musulmanes à l’époque coloniale, La Découverte, Paris, 2019, p. 95-152.

    54 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 40.

    55 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars 1955, p. 121.

    56 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 81.

    57S. Traoré, La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), op. cit., p. 15 et suiv. ; T. Bah, « Les étudiants de l’Afrique noire et la marche à l’indépendance », art. cité, p. 50-51.

    58 Ainsi, 40 % d’entre eux fréquentent les bals organisés par les associations étudiantes au moins une fois par mois, Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 78.

    59 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 92.

    60S. Traoré, La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), op. cit., p. 28-30 ; A. Bathily, M. Diouf, M. Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », art. cité, p. 285 et suiv.

    61 Rapport de la direction des renseignements généraux sur les activités de la FEANF, mars 1959, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 7.

    62 Ibid.

    63 F. Blum, « L’indépendance sera révolutionnaire ou ne sera pas. Étudiants africains en France contre l’ordre colonial », art. cité. Françoise Blum offre ici une contribution documentée à l’histoire de la radicalisation anticoloniale et panafricaine de la FEANF entre 1955 et 1960, qui recoupe très largement nos propres recherches, tout en évoquant l’embryon d’une réflexion de ces élites (p. 11-12) sur la culture africaine. Cependant, elle n’envisage à aucun moment le processus d’hybridation asymétrique qui rapproche ces mêmes élites de la culture du dominant, ce qui différencie nettement son approche – politique – de ce travail.

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    1 On lira à ce propos l’important témoignage de Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, Karthala/ACCT, Paris, 1990, 326 p.

    2 [Anon.], « France d’outre-mer. Un institut universitaire à Dakar », Cahiers français d’information, 1er sept. 1950, p. 30. Pour une synthèse générale de l’enseignement supérieur colonial, voir Pierre Singaravélou, « L’enseignement supérieur colonial. Un état des lieux », Histoire de l’éducation, 122, 2009, p. 71-92.

    3 Sékou Traoré, La Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), L’Harmattan, Paris, 1985, 102 p. ; Charles Diané, La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir, Chaka, Paris, 1990, 188 p. ; Joseph-Roger de Benoist, « FEANF and the Colonial Authorities », dans The Role of African Student Movements in the Political and Social Evolution of Africa from 1900 to 1975, op. cit., p. 109-121 ; Adimado Messan Aduayom, « La fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dans la lutte anticoloniale (1950-1960) », Abdoulaye Bathily, Mamadou Diouf, Mohamed Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », Claude Sissao, « L’association des étudiants burkinabé en France (1950-1990) », Sylvain Anignikin, « “La régionalisation de la lutte anti-impérialiste” : une contribution de la jeunesse béninoise à la dynamique de la nation en Afrique », dans H. d’Almeida-Topor, C. Coquery-Vidrovitch, O. Goerg, F. Guitart (dir.), Les jeunes en Afrique. Évolution et rôle (xixe-xxe siècles), op. cit., p. 121-141, 282-310, 176-194, 247-258 ; Thierno Bah, « Les étudiants de l’Afrique noire et la marche à l’indépendance », dans C.-R. Ageron, M. Michel (dir.), L’Afrique noire française : l’heure des indépendances, op. cit., p. 41-54 ; N. Bancel, J. Devisse, « The Black Student Press in France from 1943 to 1960 », dans The Role of African Student Movements in the Political and Social Evolution of Africa from 1900 to 1975, op. cit., p. 185-210 ; Fabienne Guimont, Les étudiants africains en France, 1950-1965, L’Harmattan, Paris, 2000.

    4 Jean Suret-Canale, « L’indépendance de la Guinée : le rôle des forces intérieures », C.-R. Ageron, M. Michel (dir.), L’Afrique noire française…, op. cit., p. 129-136 ; Peter Slowe, « Colonialism and the African Nation : The Case of Guinea », dans Chris Dixon, Michael J. Hefferman, Colonialism and Development in the Contemporary World, Mansell, Londres, 1991, p. 106-120.

    5 Bernard Cornut-Gentille, « Instructions sur le placement des diplômés en AOF », 19 janv. 1954, Nouvelle revue française d’outre-mer, 2, Paris, févr. 1955, p. 69.

    6J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 224-225.

    7 [Anon.], « Les étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, n° 2 à 6, févr.-juin 1955.

    8 T. Bah, « Les étudiants de l’Afrique noire et la marche à l’indépendance », art. cité, p. 41-42.

    9 Archives du ministère de l’Éducation nationale à Vanves, direction de l’évaluation et de la prospective, série DEP 6.

    10 Note à l’attention de Monsieur le haut-commissaire, août 1958, ANOM, série Affaires politiques, 2264 (15), 3. Cette note fait référence à une lettre de Georges Balandier datée du 8 août 1958, qui estime à 4 000 le nombre d’étudiants en France, dont 1 725 boursiers.

    11 Office central de la main-d’œuvre, recensement des étudiants boursiers en métropole, juin 1957, ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    12 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars 1955, p. 119-121.

    13 Le Bulletin du comité de l’Afrique française avance le chiffre de 10 000 étudiants africains en France en 1956 ([Anon.], « Dix mille étudiants d’outre-mer en France », 18, janv. 1956), en comptabilisant l’AEF, le Togo et le Cameroun, rejoignant nos propres projections.

    14J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 224 ; [Anon.], « Outre-mer. Dakar, première université d’outre-mer », Les Cahiers français d’information, 32, août 1958, p. 57.

    15 On lira l’ouvrage documenté de Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010 (qui indique un pourcentage un peu supérieur d’étudiantes).

    16 [Anon.], « Enseignement outre-mer », Bulletin de la direction de l’Enseignement et de la Jeunesse du ministère de la FOM, déc. 1957, p. 13-15 ; p. 22-24 ; p. 29.

    17J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 215.

    18 Le Grand conseil est l’institution politique délibérative – l’exécutif est représenté par le Gouvernement général et le haut-commissaire –, regroupant les représentants des territoires, qui propose notamment la redistribution des ressources budgétaires entre les territoires de la fédération. La loi-cadre supprimera de fait le Grand conseil, comme nous le verrons plus avant.

    19 Témoignage du 6 juin 1998.

    20 Témoignage de Jean Quatorze, 8 juin 1998.

    21J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 225.

    22 Archives du ministère de l’Éducation nationale à Vanves, direction de l’évaluation et de la prospective, série DEP 6.

    23 Ibid.

    24 Suivant une proposition de loi de Jean Chastenet à l’Assemblée de l’Union française, Journal officiel de l’Assemblée de l’Union française, 16 juin 1955 et [Anon.], « Les étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars-avr. 1955.

    25 Bernard Cornut-Gentille, « Instruction sur le placement des diplômés », 19 janv. 1954, ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    26 ANOM, série Comité de la France d’outre-mer, 250.

    27J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 219 et suiv.

    28 Les étudiants d’outre-mer en France, Institut français d’opinion publique, Paris, 1960, 138 p., p. 83. À ce sujet, et malgré les apports de son travail, nous sommes en désaccord avec Françoise Blum lorsqu’elle affirme que « le fait d’étudier en France peut être considéré comme un acte de révolte, implicite ou explicite, contre l’ordre colonial » (Françoise Blum, « L’indépendance sera révolutionnaire ou ne sera pas. Étudiants africains en France contre l’ordre colonial », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 126, 2015, p. 119-138, ici p. 120). Cela peut l’être effectivement, mais rien n’indique que ce fut le cas avant la radicalisation du mouvement étudiant, entre 1953 et 1954, et rien, en l’état actuel de nos connaissances, ne permet d’affirmer que ce le fut après. Comme semble l’indiquer l’Institut français d’opinion publique cité en référence, le projet d’élévation sociale semble nettement plus déterminant. De même, nous contestons la formulation malheureuse de l’auteure lorsqu’elle indique que les études en France « furent longtemps la seule voie d’accès à un savoir supérieur » (ibid., p. 121). Mais supérieur à quoi ? Aux savoirs indigènes ? Si c’est le cas, en quoi ces savoirs peuvent-ils être considérés comme inférieurs ? D’autres affirmations (« Acquérir ce savoir [universitaire en France] aussi pour s’en servir contre les colonisateurs, sans y perdre sa culture », p. 122) semblent rapides, car comme le souligne ce travail, la question de la « culture africaine » est rapidement complètement marginalisée au profit du combat politique.

    29 Albert Tévoédjrè, « Un scandale terrifiant ! », L’étudiant d’Afrique noire, supplément, 5, 1956.

    30J. Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, op. cit., p. 230.

    31 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer », Nouvelle revue française d’outre-mer, 7, juill. 1955, p. 352-353.

    32 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 35.

    33 Sur l’histoire des instituteurs en AOF, lire J.-H. Jézéquel, « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-1945) », art. cité. Lire également l’introduction de l’ouvrage de Céline Labrune-Badiane et Étienne Smith (dir.), Les hussards noirs de la colonie : instituteurs africains et petites patries en AOF (1913-1960), Karthala, Paris, 2018.

    34 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », Nouvelle revue française d’outre-mer, 3, mars 1955, p. 119-123.

    35 Danièle Michaud, « Parce qu’on leur a volé 20 millions, les étudiants africains de Paris ne savent où loger », Réveil. La voix du RDA, 411, 10 avr. 1950.

    36 Ouezzin Coulibaly, « Débats parlementaires », Journal officiel de la république française, 47-48, 5-6 avr. 1951, p. 2711-2725.

    37 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », art. cité, p. 123.

    38 Ibid., p. 121.

    39 A. Bathily, M. Diouf, M. Mbodj, « Le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », art. cité, p. 282-310.

    40 Témoignage de Mahamane Touré (24 avr. 1998).

    41 [Anon.], « Étudiants d’outre-mer. Le problème des étudiants non boursiers », art. cité, p. 119.

    42 A. Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire, op. cit., p. 37-74.

    43 A. Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire, op. cit., p. 51.

    44 Pierre Fromentin, « Les véritables problèmes », Le Monde, 23-24 janv. 1955.

    45 Ouezzin Coulibaly, Combats pour l’Afrique, 1946-1958, Nouvelles éditions africaines, Dakar, 1975, p. 329 et suiv.

    46 Philippe Dewitte, Les mouvements nègres en France (1919-1939), L’Harmattan, Paris, 1985, p. 21 et suiv.

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    56 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 81.

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    58 Ainsi, 40 % d’entre eux fréquentent les bals organisés par les associations étudiantes au moins une fois par mois, Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 78.

    59 Les étudiants d’outre-mer en France, op. cit., p. 92.

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    61 Rapport de la direction des renseignements généraux sur les activités de la FEANF, mars 1959, ANOM, série Affaires politiques, 2148 (2), 7.

    62 Ibid.

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    Bancel, N. (2022). Chapitre 6. La formation des élites de seconde génération. In Décolonisations ? (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/11yt9
    Bancel, Nicolas. « Chapitre 6. La formation des élites de seconde génération ». In Décolonisations ?. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2022. https://doi.org/10.4000/11yt9.
    Bancel, Nicolas. « Chapitre 6. La formation des élites de seconde génération ». Décolonisations ?, Éditions de la Sorbonne, 2022, https://doi.org/10.4000/11yt9.

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    Bancel, N. (2022). Décolonisations ? (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/11ywo
    Bancel, Nicolas. Décolonisations ?. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2022. https://doi.org/10.4000/11ywo.
    Bancel, Nicolas. Décolonisations ?. Éditions de la Sorbonne, 2022, https://doi.org/10.4000/11ywo.
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