Introduction à la première partie
Texte intégral
1Si les changements politiques formalisés par la constitution de 1946 sont finalement limités, la politique coloniale qu’elle dessine en proclamant la volonté de la République d’amener progressivement les territoires colonisés « à gérer leurs propres affaires », marque l’émergence d’une nouvelle stratégie du gouvernement des colonies, ce que nous nommons une politique impériale. Celle-ci va progressivement remplacer une politique coloniale marquée par l’usage indiscriminé de la force. La politique impériale s’adosse à la volonté de transformer en profondeur ces territoires en les modernisant, tout en s’appuyant sur des fractions sociales – en 1946 encore très étroites – de la population colonisée, fractions lettrées, culturellement proches du colonisateur.
2Cette politique d’association se matérialise immédiatement par l’augmentation du nombre de députés d’origine coloniale à l’Assemblée nationale et la volonté affichée de promouvoir enfin des cadres administratifs et techniques autochtones de haut niveau. Les limites politiques de ces innovations résident, nous l’avons vu, dans la proclamation d’une « citoyenneté » d’empire maintenant les inégalités politiques, mais aussi dans la répression féroce dont sera victime en Côte d’Ivoire le plus grand parti fédéraliste d’AOF, le Rassemblement démocratique africain (RDA), ouvertement anticolonialiste et allié au parti communiste de 1946 à 1950. En 1950 le RDA, dirigé par Félix Houphouët-Boigny, décide de se désapparenter du Parti communiste et de suivre une ligne beaucoup plus conciliante face aux autorités coloniales.
3L’effort – incontestable – consenti par la France pour la modernisation économique de l’AOF et surtout l’effort en direction de la formation scolaire et universitaire de fractions de la jeunesse africaine, destinées à constituer les cohortes d’un nouvel ordre à venir, associant les administrations coloniales et ces nouvelles élites ouvre ce que Jean-François Bayart nomme « l’assimilation réciproque des élites1 ». Dans le processus qui mène du colonial à l’impérial, la formation de ces nouvelles fractions lettrées revêt donc une importance stratégique capitale pour le pouvoir colonial. D’où l’attention toute particulière que les autorités coloniales leur accorderont. Il s’agit donc ici d’aborder les décolonisations par l’entrée « jeunesse », avant que d’élargir la focale, rejoignant la « méthode indiciaire » proposée par Michel Foucault. Dans cette première partie, nous nous proposons d’étudier le principal mouvement de jeunesse dirigé par des métropolitains, soutenu par l’administration coloniale – le Conseil de la jeunesse de l’Union française (CJUF) –, et les deux plus importants mouvements de jeunesse métropolitains implantés en AOF (les scoutismes catholique et laïc). Nous chercherons, dans cette partie, à saisir l’impact social de ces mouvements d’origine européenne ou fondés par des Européens, leur évolution politique, mais aussi les effets culturels qu’ils ont cherché à produire.
Notes de bas de page
1 J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, op. cit., « Introduction ».

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