Parcourir Paris du Second Empire à nos jours
|Chapitre II : Flux et travaux parisiens
Texte intégral
- 1 Il évoque la palpitation de la ville « à la façon royale de ces structures physiques qui, par leur (...)
- 2 Voir Les pierres songent à nous, op. cit., p. 53-54.
1Alors que le premier chapitre de cette étude est en quelque sorte centré sur les conditions spatiales des parcours parisiens, le suivant en examine certains déploiements. Il s’agit de définir des mouvements au sein de la capitale, c’est-à-dire à la fois des trajets effectués dans le cadre des vingt arrondissements et des itinéraires qui ont pu débuter en dehors de la ville, mais dont la partie parisienne sera seule présentée – d’où un aperçu volontairement fragmentaire des déplacements liés à des migrations ou à des rythmes dits pendulaires. Ainsi, l’analyse, orientée vers Paris, peut-elle être caractérisée par des flux plus que des reflux, les deux mouvements étant certes complémentaires. Encore faut-il préciser l’utilisation d’une notion très générale qui peut faire écho à des phénomènes divers. Par exemple, Jules Romains l’emploie, dans Le 6 octobre, à la fin de sa présentation de Paris, en l’insérant dans un champ lexical scientifique1. Pour sa part, Pierre Sansot voit dans les « flux perpétuels », notamment à Paris, des mouvements de dispersion, des tourbillons et des phénomènes de circulation, de nature à recouvrir nos « empreintes mentales »2. Nous retiendrons principalement les significations associées aux parcours collectifs, et tout d’abord aux travaux.
2Plusieurs approches peuvent être tentées lorsqu’il est question des rapports entre déplacements et activités professionnelles. La géographie, l’anthropologie et la sociologie fournissent, avec l’histoire, un certain nombre de méthodes et de procédures. Il reste qu’en raison de la spécificité du sujet et du caractère peu souhaitable d’une énumération de métiers ou de catégories sociales – même si diverses images, situées en quelque sorte dans la rue, demeurent présentes à l’esprit – il a fallu procéder à des regroupements, et même tenter une approche conjointe. On n’examinera donc pas séparément des parcours d’ouvriers, de commerçants, d’employés, de banquiers ou d’industriels, qui, du reste, peuvent présenter des points communs, quelque visibles que soient les différences. Le travail et les travaux, du reste, dépassent largement, en temps comme en efficacité économique et en poids social, des trajets qui, s’ils sont partiellement créateurs de richesses (puisque des professions, voire un secteur d’activité, leur sont associés) relèvent plus directement de nécessités pratiques que de la prospérité parisienne. Ils peuvent néanmoins en être les indicateurs et les symboles : n’existe-t-il pas, du moins métaphoriquement, des itinéraires de la richesse, des circuits de l’argent, certes à présent moins réifiés qu’au dix-neuvième et pendant une grande partie du vingtième siècle ? Ils correspondent en outre à des échanges et à des rythmes, concernant, sous diverses formes, la plus grande partie de la population. Le travail fait aussi l’objet de recherches, parfois infructueuses. Il ne se présente d’ailleurs pas de manière uniforme et des formes précaires d’activité se substituent parfois, le plus souvent involontairement, à des professions stables. À l’inverse, en fonction des emplois du temps et des trajets liés au travail, s’observent un certain nombre de régularités.
1° Populations
- 3 Dont la place, parmi l’ensemble des femmes, est implicitement soulignée par Pierre Sansot lorsqu’i (...)
- 4 Il existe d’ailleurs des cas-limites : voir par exemple dans Paul Chombart de Lauwe, Paris et l’ag (...)
3Sous ses différentes formes, mais surtout lorsqu’il n’entraîne pas de frais particuliers, le parcours parisien est accessible à tous les passants valides. A la population active, entendue dans sa définition usuelle – encore qu’elle comprenne des travailleurs à domicile, ce qui ne signifie pas qu’ils ne sortent pas de chez eux – il convient d’ajouter, pour leurs déplacements quotidiens, la plupart des « femmes au foyer »3, ainsi que la population scolaire et estudiantine, à propos desquelles on peut aussi parler, de travaux4.
4À différents degrés, il s’agit en tout cas, on le voit, d’une large majorité de la population parisienne – et d’une fraction non négligeable de celle de la banlieue. Pour la plus grande partie de la période, il n’est guère possible de donner des chiffres, si l’on prend en considération l’ensemble des marcheurs et des parcours. Toutefois, à compter des années 1960, différentes enquêtes procurent des données quantitatives intéressantes. Au seuil des années 1990, il apparaît, ce qui n’est pas pour surprendre, que les trajets pédestres sont moins nombreux et les parcours mécanisés plus fréquents. Il reste que les non-actifs pratiquent plus, dans la capitale, les premiers que les salariés, et moins les seconds. Par ailleurs, dans l’ensemble, les déplacements de ce dernier type vont croissant en fonction de l’augmentation du revenu, alors que de plus grandes variations s’observent à propos des trajets pédestres. Il est moins aisé de quantifier les déplacements professionnels. Pierre Merlin fait observer qu’en dehors des migrations alternantes, les deux principales catégories sont les trajets liés aux livraisons, très dispersés dans la capitale et ceux dits d’affaires, plus concentrés dans l’espace. Ces deux types de déplacement se font pour près des trois quarts en automobile, toujours au seuil des années 1990.
5Par ailleurs, comme nous l’avons dit plus haut, il n’entre pas dans notre propos de reproduire des divisions sociales en les associant à un tableau par arrondissements ou quartiers ou en les plaquant telles quelles sur le mouvement des parcours professionnels – ni de nous livrer à une étude de la population dans un espace parisien. L’objectif est plutôt de voir comment se mêlent et se distinguent les trajets, en fonction d’une grille de lecture principalement spatiale. Certes, à première vue, on pourrait être tenté d’avancer que les professions situées au sommet de la hiérarchie du travail s’exercent surtout dans les « beaux quartiers », avec les éventuels déplacements afférents, alors que les plus modestes vivent et travaillent dans les quartiers périphériques de la capitale et que les catégories intermédiaires sont présentes un peu partout dans Paris.
6Même pour une étude nécessairement brève, il y aurait là un simplisme excessif. D’une part, on trouve – certes en proportions variables – des représentants de nombreux types de professions dans tous les quartiers de la capitale et a fortiori dans tous les arrondissements. D’autre part, les trajets professionnels peuvent relier des points très divers.
7Donnons-en quelques exemples. Certains Parisiens et Parisiennes sont amenés à traverser des quartiers, des arrondissements, voire la capitale en raison de leurs obligations professionnelles. Outre les chauffeurs de véhicules, coursiers et livreurs, des employés, des domestiques ainsi que des médecins, infirmières et infirmiers ou encore des agents immobiliers – nous ne citons ici que des professions courantes, mais il existe, durant tout ou partie de la période, des situations plus précaires ou des activités plus rares, nécessitant d’amples déplacements – doivent accomplir des parcours diversifiés. Certes, les professions véritablement gyrovagues sont assez rares, mais, de manière plus ponctuelle, sur les trajets les plus apparents, se greffent en quelque sorte de multiples déplacements, ce qui amène à nuancer une vision trop statique ou convenue. En termes sociaux, il existe d’ailleurs, dans Paris de nombreux microcosmes, dont il faut tenir compte si l’on ne se borne pas aux grands courants, communément observés.
- 5 Voir par exemple certains éléments des chapitres III et IV de notre ouvrage Les hauts quartiers de (...)
- 6 Géographie du Grand Paris, op. cit., p. 74 (et voir p. 73).
- 7 Voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Chariot, Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires, op. cit., (...)
8Il convient aussi, cela va de soi, de faire sa place à une évolution historique qui a modifié la répartition entre différentes catégories sociales, certaines professions déclinant ou disparaissant presque – les vendeurs de journaux à la criée – et, de manière plus générale, Paris connaissant une certaine désindustrialisation, qui s’amorce d’ailleurs à la fin du dix-neuvième siècle, mais s’amplifie dans les années 50 et 60, concernant notamment les arrondissements périphériques5. La part des activités de services, en partie liées aux transports, va croissant. Jean Bastié, pour les années 1980, évalue au quart de la population active le poids du secteur secondaire – incluant une moitié d’emplois tertiaires – avant d’indiquer que le tertiaire supérieur correspond au tiers des emplois et qu’un Parisien sur deux « est fonctionnaire au sens large »6. En outre, certaines activités tertiaires se sont déplacées hors de la capitale, notamment en raison du rôle croissant du pôle d’affaires voisin, mais extérieur, de la Défense7.
9Ainsi, entre autres raisons, les trajets prennent-ils en partie un caractère différent, même si l’évolution n’est pas toujours aisément discernable, en dehors d’une approche statistique, souvent très générale. Certains signes, dans l’ordre vestimentaire, peuvent accompagner ou traduire en partie cette évolution : la place du vêtement ouvrier traditionnel, par exemple, a diminué en faveur d’un habillement propre aux employés, avant que ne manifeste, sinon une uniformisation, du moins un certain brouillage des codes, dans ce domaine. Même les variations concernant les modes de transport utilisés par différents groupes de la population active ont pu s’atténuer, par exemple avec la disparition des classes dans le métropolitain. En revanche, les transports individuels élitaires subsistent, avec les véhicules de fonction, notamment.
10Au-delà des cloisonnements ou des distinctions, la capitale met en mouvement de manière complexe et inégale différentes catégories de population. Il reste que le travail, ou les travaux, ne constituent pas une donnée permanente et invariable. Certains trajets témoignent surtout de divers aléas.
2° Précarités
11Il ne faut pas s’en tenir à une représentation convenue de la capitale comme « ruche » où chacun trouverait un labeur assuré et suivrait des trajectoires bien établies ou en quelque sorte reconnues. Certains cheminements traduisent au contraire différentes formes de précarité liées à la conjoncture, à la situation sociale ou à la nature même de l’activité effective ou espérée.
12En fonction des vicissitudes du temps, il arrive que les parcours soient freinés ou perturbés. C’est le cas lors des trois guerres traversées par la capitale. Leurs effets n’ont pas été identiques, et chacune a ses particularités. On ne saurait ici entrer dans le détail de ces dernières, sous l’angle retenu, d’autant que les études spécifiques manquent, mais quelques éléments peuvent être soulignés.
- 8 Voir François Roth, La Guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, notamment p. 203-207 et 354.
- 9 Voir par exemple Stéphane Rials, Nouvelle Histoire de Paris – De Trochu à Thiers, diffusion Hachet (...)
13En 1870-1871, le siège de la capitale nuit entre autres conséquences à l’activité économique. Il ne provoque d’abord que de peu visibles perturbations durant la journée, en termes de circulation, mais le chômage frappe les secteurs des articles de Paris et du textile, et, en décembre et janvier, la population souffre particulièrement du siège, surtout dans les quartiers populaires. En outre, plusieurs quartiers de la rive gauche sont bombardés8. Quelques semaines après la signature de l’armistice, la Commune, tout en subissant également des perturbations dans le domaine économique, met à la fois l’accent sur des revendications sociales et des aspirations politiques, les trajets parisiens étant alors en partie modifiés, en dehors même des opérations dirigées par ou contre les Fédérés, même si la ville dans sa vie quotidienne, selon les témoins directs, offre un caractère paisible, du moins fin mars et en avril9.
- 10 Voir notamment 1914-1918 – L’autre front, Cahiers du mouvement social, n° 2, Françoise Thébaud, La (...)
- 11 Le Temps retrouvé, in À la recherche du Temps perdu, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, tome III, (...)
- 12 Voir aussi la carte reproduite par Jean Bastié, op. cit., p. 97.
14Pendant la Première Guerre mondiale, les perturbations économiques sont surtout manifestes dans les premiers mois, lorsque nombre d’ouvriers sont mobilisés et que la main d’œuvre fait défaut, alors même que la capitale connaît une flambée de chômage. La menace d’invasion pesant sur la capitale a été levée pour longtemps par la bataille de la Marne, comme l’on sait, et les célèbres taxis ont alors joué un rôle souvent exalté. Les travaux quotidiens, en termes de trajets, ne sont que modérément affectés dans les quartiers de la capitale. Pourtant, si beaucoup d’ouvriers ont été rappelés comme affectés spéciaux, d’autres Parisiens, appartenant aux autres catégories sociales, ont été massivement mobilisés, d’où d’inévitables changements dans l’aspect des rues, et une présence accrue des femmes – notamment, pour ce qui est des changements, de celles qui travaillent dans les usines pour les fabrications de guerre10. L’atmosphère de la capitale est aussi modifiée de manière plus générale, y compris la nuit, comme le soulignent des pages célèbres de Proust dans Le Temps retrouvé, où il n’est guère question de travail -en dehors de quelques notations indirectes, lorsque sont évoqués les rayons de la lune « sur la neige qu’aucun travailleur ne déblayait plus »11- mais où la menace des bombardements12 est retracée en plusieurs circonstances.
- 13 Voir notamment le livre de Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale (...)
- 14 Voir – également sur d’autres plans – le film de François Truffaut.
- 15 Dont la nouvelle est reprise dans le recueil Le vin de Paris, Paris, Galllimard, 1947 ; réédition (...)
15Des trois guerres ici mentionnées, la dernière est la seule qui ait entraîné une occupation allemande de la capitale. C’est entre juin 1940 et août 1944 que celle-ci subit les plus graves épreuves, la pire situation étant celle de la communauté juive, éprouvée par les persécutions, l’interdiction de travailler et les déportations13. Dans l’ensemble de la capitale, les contraintes sont multiples, le manque de carburant limitant les déplacements et le couvre-feu hâtant l’heure du dernier métro14. En relation avec les pénuries, se sont développées des activités parallèles. Au marché noir peuvent être associés des trajets particuliers – tel que celui que, d’après Marcel Aymé15, montre plus tard Claude Autant-Lara dans La Traversée de Paris, de la rive gauche, rue Poliveau, à la rive droite, rue Lepic.
- 16 Qu’évoque Henry Leyret dans En plein Faubourg, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1895, p. 157-165, (...)
- 17 Sur le logement populaire en général, avant l’essor plus marqué du logement social, voir 1’ articl (...)
16En regard des guerres, les crises suscitent de moindres perturbations, à l’échelle des déplacements. Il est même difficile de les mesurer. Certaines, du reste, en termes de déménagements, ne tiennent pas uniquement aux incidences d’une dégradation de la conjoncture d’ensemble. Par exemple, changeant fréquemment d’employeur, des ouvriers se déplacent dans la capitale sans que ce soit nécessairement l’effet d’une précarité économique. Mais, même lorsqu’il ne s’agit pas de « déménagements à la cloche de bois »16, l’instabilité résidentielle peut être accrue et les parcours modifiés par des difficultés économiques – lesquelles sont susceptibles d’entraîner, d’une manière presque inverse, le maintien dans un logement insalubre ou précaire – même s’il est aménagé le mieux possible17, avec ou sans des variations dans les itinéraires professionnels.
17Sous un autre angle, les données concernant les transports collectifs ou la circulation automobile ne peuvent fournir qu’une idée très approximative des répercussions économiques particulières qui affectent les trajets parisiens. Du reste, certains d’entre eux ont précisément pour but de rechercher du travail et, en quelque sorte, s’ajoutent aux parcours habituels.
- 18 Daniel Oster et Jean Goulemot, reprenant notamment un texte d’Élie Frebault extrait de La Vie de P (...)
- 19 Voir Simone Delattre, Les douze heures noires – La nuit à Paris au xixe siècle, Paris, Albin Miche (...)
- 20 À propos de laquelle enquêtes et représentations littéraires abondent ; voir par exemple Francis C (...)
- 21 Voir par exemple Marie-Claude Blanc-Chaléard, Les Italiens dans l’Est parisien – Une histoire d’in (...)
18De toute manière, même en « temps normal », voire lors de périodes fastes en général pour l’économie parisienne, il existe des trajets n’entrant pas dans les catégories du travail ordinaire, ou du moins sur lesquels pèsent des nécessités particulières ou des mesures de surveillance, de répression et de sanction. Le terme de marginalité, à cet égard, ne doit pas être employé sans précautions. En effet, il existe des activités qui sont d’une façon au moins partielle intégrées aux circuits et aux déplacements économiques parisiens. Cela a été longtemps le cas pour nombre de « métiers parisiens », à présent quasiment disparus18. Certains d’entre eux ne sont pas réellement ou uniquement marginaux : ainsi, les marchands ambulants ou des quatre-saisons, notamment lorsqu’ils bénéficient d’autorisations, ou, sur un autre mode, les chiffonniers, dont la réputation a été longtemps associée à certains quartiers19 et plus généralement à celle de la zone20. Certaines autres professions sont également caractérisées par des parcours plus ou moins parallèles, si l’on peut dire, des voies publiques. Il arrive qu’elles soient ou aient été décrits ou mythifiées : ainsi, les musiciens ambulants ou chanteurs des rues21.
- 22 Voir les analyses et exemples présentés par Simone Delattre dans Les douze heures noires, op. cit. (...)
- 23 Voir Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, op. cit., tome IV, chapitre XVIII, notamment p. (...)
- 24 Voir ibid. le chapitre XII du Tome III, notamment p. 69 et suiv.
- 25 Voir ibid., chapitre XVII.
- 26 Nouvelle histoire de Paris – La Deuxième République et le Second Empire, Diffusion Hachette, 1981, (...)
- 27 Voir les analyses et les citations de Marie-Claire Bancquart dans Paris « Belle époque » par ses é (...)
19Il existe aussi des catégories de la population qui, de manière plus explicite, se trouvent dans une situation de précarité, associée à des présomptions ou des accusations de délinquance, non sans amalgame, et à différentes formes de peur et de répression, qui n’excluent pas, sur un autre plan, curiosité, voire fascination22. Par exemple, et pour le début de la période, Maxime du Camp, traite de la situation des bateleurs – réglementée par une ordonnance de février 1863 – dans son chapitre sur la mendicité23 et il inclut les vagabonds parmi les malfaiteurs24. Il tient par ailleurs un langage très misogyne et moralisateur à l’encontre des prostituées25, s’inscrivant dans un courant plus large – durable mais non invariant : Louis Girard écrit que ses contemporains, assistant au développement d’une prostitution dite insoumise, « voient la femme galante envahissant la ville qu’elle domine »26. Bien des représentations de la pauvreté associées ou non à la délinquance et à ses itinéraires se répandent à la fin du dix-neuvième siècle, qu’il s’agisse par exemple des chansons de Bruant ou des Soliloques du pauvre de Jehan Rictus, illustrés par Steinlen27- Par la suite, le ton évolue en partie, mais non certains traits déjà présents. Dans le domaine littéraire, par l’intermédiaire de la photographie, du cinéma – nous reviendrons plus généralement sur les images des parcours – ou encore au travers de certaines enquêtes – dont la finalité revêt parfois un caractère philanthropique – sont évoquées ou mythifiés les trajets liés à la précarité parisienne.
- 28 Voir, pour l’entre-deux-guerres, Évelyne Cohen, op. cit., p. 299-303 (« La ville de l’accueil et d (...)
- 29 Ce n’est évidemment pas un cas général, et il ne faut pas sous-estimer l’évolution historique d’en (...)
- 30 Voir Denis Pernot, « Représentations sociales et romanesques du provincial et de l’étranger dans l (...)
- 31 Dont celui de C.F. Ramuz, venu à Paris pour préparer une thèse dont il ne rédigea pas une ligne : (...)
20Du reste, celle-ci, plus ou moins répandue dans la capitale, est aussi présentée, dans certains cas, sous le signe de l’extériorité. Sans retracer ici les trajets qui conduisent dans la capitale des errants et des errantes, il convient de faire référence à des pérégrinations de provinciaux ou d’étrangers28, dont les itinéraires parisiens peuvent être marqués29, en termes de recherche du travail ou d’une situation sociale, par de nombreuses incertitudes, plus ou moins illustrées d’un point de vue littéraire30, documentaire ou autobiographique. On peut mentionner, parmi bien d’autres exemples31, le témoignage de George Orwell évoquant ses trajets, en quête d’un travail dans des hôtels, dans la capitale, en compagnie d’un ami :
21Comme on l’a vu brièvement, bien des formes de précarité coexistent, se succèdent ou s’entremêlent. De multiples paramètres interviennent, y compris d’ordre saisonnier, s’associant de manière très variable et sans que l’on puisse comparer des trajets passagers à l’échelle d’une vie, tel celui que l’on vient de citer, et des itinéraires tout entiers marqués par la misère et l’absence d’un travail reconnu, évoqués par exemple par Jean-Paul Clébert au travers de nombreux personnages de son Paris insolite. Du reste, il existe aussi une évolution de ces parcours précaires, en fonction des rythmes de l’histoire économique et sociale de la capitale et des différentes formes d’assistance, publique et privée. Mais si certains types de précarité ont disparu ou ont été atténués, des réalités demeurent, fût-ce en relation avec des expressions euphémisées, comme « sans domicile fixe », de même que des lieux et des refuges, très contemporains ou construits voici plusieurs décennies (les locaux de l’Armée du Salut, par exemple) que relient des itinéraires dont certains peuvent devenir réguliers. C’est de manière moins paradoxale, pour l’essentiel, que la notion correspondante doit être introduite.
3° Régularités
- 33 Voir par exemple la thèse de Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes – Marchés du travail et trajec (...)
22Bien entendu, il n’existe pas de parcours professionnel type dans Paris, et l’on se gardera de présenter, d’une manière qui ne pourrait être qu’arbitraire, des trajets « moyens », liés à une activité intermédiaire et à des déplacements ordinaires, à propos d’un siècle et demi. Du reste, même à l’échelle d’une profession bien définie, il s’agit là, tant sont nombreux les paramètres, de questions fort complexes33. En revanche, il est permis d’esquisser, avec les nuances nécessaires, quelques convergences ou moments, au travers desquels des flux professionnels massifs ou du moins des tendances répandues sont perceptibles.
- 34 Pour le début du vingtième siècle, voir l’évocation par Henri Bonnet des trajets des ouvriers du x (...)
- 35 Voir Fabrice Laroulandie, Les ouvriers de Paris au xixe siècle, Paris, Christian, 1997, p. 74 (l’a (...)
- 36 Voir les nombreuses cartes insérées et commentées dans Les Transports parisiens, op. cit., p. 150- (...)
23Au sens premier, le terme moment peut être associé ici aux arrivées et aux départs concernant les lieux de travail parisiens. La régularité est celle, fréquente – le personnel dirigeant et ceux qu’on appelle les cadres, surtout dans la deuxième moitié du xxe siècle, connaissant en général d’autres rythmes – de l’ouverture et de la fermeture des bureaux, des commerces et de nombre d’ateliers ou d’usines (si le travail n’y est pas continu ; de toute manière, l’ouverture peut être plus matinale que pour les lieux de travail cités précédemment). Le rôle croissant des moyens de transport et l’allongement des trajets34, même si les déplacements professionnels pédestres des ouvriers, dominants au dix-neuvième siècle35, sont loin de disparaître, contribuent à situer entre le domicile (en banlieue ou dans la capitale) et le lieu de travail un certain nombre de jalons spatiaux chronométriques, qui peuvent être très rapprochés les uns des autres – s’il s’agit d’un petit nombre de stations de métro ou d’autobus – et dont l’importance dans le paysage parisien est inégale : gares de chemin de fer et pôles de correspondance retiennent d’autant plus l’attention qu’ils fixent des effets de foule et correspondent à des phénomènes de diffusion, mis en relief dans sa thèse par Pierre Merlin36. La régularité de ces trajets, pour nombre de Parisiens, est très marquée, même si quelques incidents peuvent entraîner des perturbations, en général mineures – encore que la circulation des autobus soit fort ralentie à certaines heures sur les voies les plus passantes et que, à des intervalles d’ailleurs assez éloignés, en général, surviennent des mouvements de grève affectant une partie, ou très rarement la totalité, des réseaux de transport en commun.
- 37 Notons que dans un roman publié durant l’entre-deux-guerres, Tristan Rémy, qui appartient au coura (...)
24Cette fréquente régularité n’exclut pas quelques compléments ou prolongements par rapport au trajet proprement dit. Pour peu que les horaires ou les situations familiales les rendent possibles – les femmes qui travaillent, plus souvent que les hommes, doivent on le sait, se hâter pour s’occuper des courses, de leurs enfants ou de leur intérieur37 – des haltes sont susceptibles de modifier les rythmes simples que l’on vient d’évoquer. Il peut s’agir de déjeuners rapidement pris à proximité de son lieu de travail, de conversations ou d’activités militantes, d’instants de détente dans des cafés (qui ne sont pas seulement des lieux de loisir prolongé). Du reste, à la régularité fondée sur le temps de transport proprement dit peut se superposer une sorte de régularité complémentaire qu’expliquent des goûts ou des habitudes en rapport avec la journée de travail.
25Au début des années 30, Eugène Dabit, évoquant l’Est parisien, décrit des trajets ou des habitudes relevant, à un titre ou un autre, de régularités. Il présente ainsi le retour de travailleurs, dans le dix-huitième arrondissement :
- 38 Faubourgs de Paris, Paris, Gallimard, 1933, réédition 1990, p. 35.
« Le soir, des bouches du métro, je les vois sortir, monter lentement vers la lumière crue des villes. Par des galeries souterraines, ils ont parcouru Paris, travaillé tout le long du jour, et la nuit les ramène, titubants, ivres de bruits, les cache et les pousse vers leurs quartiers. Ils suivent des rues où commencent à fumer les boutiques, disparaissent dans des couloirs aux murs poisseux, couloirs d’hôrels, de maisons ouvrières. »38
26C’est sous un angle un peu différent qu’il dépeint les abords des rues des Pyrénées et de Belleville, montrant les ouvriers se précipitant à midi « vers des gargotes reprendre des forces, joyeux de ce moment de liberté » et des ouvrières de la chaussure faisant des courses ou nouant des « intrigues ». Après quelques heures d’un « silence presque provincial », de deux à six heures, c’est la sortie :
- 39 Ibid., p. 75-76 (citations précédentes p. 73 et 75).
« Bruyamment, comme un jour d’émeute, les ouvriers descendent la rue, délivrés de leurs bourgerons, revêtus de costumes-confection. Des femmes les accompagnent, fraîchement maquillées, les mains à peu près blanches, piqués dans leurs cheveux des peignes dont étincellent les faux diamants. Il y a de violents courants, des tourbillons, de noirs sillages dans la foule. Les autobus se suivent, tous bondés ; entre les voitures, des cyclistes se faufilent.
On oublie son étau, sa machine, les observations et la vacherie du contremaître ! Qui songe à son labeur ? À six heures, d’un seul coup, on fiche à bas sa fatigue. Devant soi, la nuit, des surprises, des joies, des parties de manille. Les cinémas s’allument, les devantures brillent, les couleurs vibrent. Tout ça pour nous ! A midi, on n’a pas le cœur à la rigolade, on se sait prisonnier. Maintenant, ouf ! on est libre.
On va vers le métro, les tramways, d’un autre pas que le matin ; on entre dans les hôtels, on s’installe au comptoir d’un bistrot, au tabac on achète un paquet de « bleues » ; chez le « merlan », on se fait rafraîchir les cheveux. On s’imagine qu’on est délivré de la fatigue ; elle réapparaît sournoisement. Ceux qui chaque matin vont travailler dans le centre, remontent piane-piane. Des jeunes gens musardent. Les femmes font leurs achats pour le repas du soir ; les hommes boivent le coup de l’étrier ; les couples qui échangèrent à midi des promesses se donnent leurs premiers baisers.39 »
- 40 Les exceptions sont évidemment légion. On peut citer le début, assez narquois, d’un poème de Jacqu (...)
27Au travers des données et des exemples qui précèdent, peut-on parler, à propos de travail, et fût-ce sur ses marges, de parcours parisiens, au sens d’une exploration, rapide mais renouvelée, de la capitale ? Il ne le semble pas, de prime abord. S’il existe des trajets professionnels en ligne brisée, assortis de modestes détours ou associés à de brefs loisirs, la plupart, lorsque l’emploi est stable, obéissent, au moins métaphoriquement, au principe de la ligne droite40. Il faut se garder d’un déterminisme sommaire, mais le temps professionnel implique le plus souvent celui de la traversée partielle, utilitaire et répétitive. L’essentiel du temps de travail, du reste, se passe à l’intérieur d’un lieu plus ou moins fermé (où des clients peuvent être ou non admis), sauf lorsqu’il s’agit des métiers dont le déplacement est le caractère principal. Même les facteurs (ou préposés), du reste, effectuent des tournées qui, si elles permettent de faire des observations nombreuses et diverses, relèvent aussi d’une régularité, de même que, mutatis mutandis, les rondes de police (sauf intention particulière), pour ne rien dire des parcours, fort codifiés, des agents des transports publics.
- 41 Voir Images littéraires du Paris « fin-de-siècle », op. cit., p. 73-81 et 88.
- 42 Paris insolite, op. cit., p. 33 ; d’autres passages sont acerbes à l’égard de ceux qui ont un trav (...)
- 43 Beaucoup plus récemment, Marc Augé a critiqué cette formule, qui relève selon lui d’une « ironie u (...)
28Tout cela, bien évidemment, a suscité des critiques, sur le thème de la routine et de la monotonie. Certaines d’entre elles, du reste, ont trait au rapport à l’espace environnant ou au quartier. Marie-Claire Bancquart montre que la maison et le quartier de la Goutte d’Or, tel qu’ils sont dépeints dans L’Assommoir correspondent à un enfermement, alors qu’il est vrai, la maison de Pot-Bouille « ouvre sur tout Paris », principalement, pour ce qui nous occupe ici, celui du commerce et du négoce41. D’une tout autre manière, Jean-Paul Clébert, qui rend compte de multiples formes de marginalité, exprime un certain dédain pour ceux qui ont une vie routinière et vivent enfermés dans un étroit espace, « les habitants habitués des trois-quatre rues en araignée qui forment leur village loin de la ville »42, présentés, dans ce passage, dans leur intérieur ou leur cour, mais qui peuvent être également des employés, des commerçants ou des artisans. Dans les années 60 et 70, par ailleurs, les trajets associant « métro, boulot et dodo »43notamment lorsque les déplacements se faisaient de la banlieue à Paris (ou de banlieue à banlieue) ont été l’objet de critiques politiques, voire culturelles, comportant d’ailleurs une mise en cause des conditions dans lesquelles s’effectuait le transport, dans le cadre d’une contestation globale des rythmes imposés à une part importante de la population de la région parisienne.
- 44 Voir l’article d’Ondine Millot, « Centenaire, le métro parisien s’approche du terminus », Libérati (...)
29Depuis lors, du reste, certains changements sont apparus, notamment pour ce qui est des heures de pointe du matin et du soir dans le métro, moins concentrées dans le temps, et dans le premier cas moins tardives. Avec la flexibilité et la diversification des trafics, les régularités qui ont longtemps caractérisé les transports en commun parisiens s’atténuent. La mission prospective de la RATP, créée en 1982, tient compte de ces changements, les « grands flux compacts » s’estompant, tandis que se développent des « microflux », incluant des déplacements de plus en plus diversifiés44.
- 45 Certaines représentations des parcours mondains donnent en tout cas ce sentiment : voir par exempl (...)
30Quoi qu’il en soit, jusqu’à une date récente, en termes de représentation, les parcours professionnels parisiens sont décrits par les observateurs (surtout littéraires, les statisticiens, les sociologues et les géographes fournissant en principe des analyses elles-mêmes « professionnelles ») sous un jour peu favorable, voire condescendant. En effet, ils semblent réserver peu de place à l’imprévu, a fortiori à la fantaisie. Il est vrai que ce n’est pas leur fonction et que les itinéraires de ceux qui recherchent en vain du travail ou vivent dans différentes formes de marginalité sans l’avoir voulu n’ont rien de réjouissant. Les trajets liés au loisir – parfois eux-mêmes réguliers, du reste45 – offrent en apparence un champ d’observation plus plaisant et se prêtent bien plus à des notations « pittoresques ». Il est aussi un autre type de trajet qui, d’une certaine façon, s’intercale entre les deux formes mentionnées : celui, souvent considéré un peu trop uniformément comme contestataire, des cortèges, manifestations et démonstrations.
Notes
1 Il évoque la palpitation de la ville « à la façon royale de ces structures physiques qui, par leur seule présence, apparemment immobiles et inertes, modifient autour d’elles une zone d’univers, y déchaînent des forces, des flux, des radiations. » (Les Hommes de bonne volonté, tome I, réédition citée, p. 117-118).
2 Voir Les pierres songent à nous, op. cit., p. 53-54.
3 Dont la place, parmi l’ensemble des femmes, est implicitement soulignée par Pierre Sansot lorsqu’il écrit : « On peut dire que ce sont surtout les femmes qui font exister le quartier. En allant chercher leurs enfants à l’école, en multipliant les contacts pendant les courses qu’elles exécutent, elles relient entre eux des points voisins mais distincts qui, sans elles, ne formeraient pas un espace cohérent » : Poétique de la ville, op. cit., p. 261-262 ; voir aussi l’ouvrage cité à la note précédente, p. 37 (début du texte intitulé « La rue nous appartient »).
4 Il existe d’ailleurs des cas-limites : voir par exemple dans Paul Chombart de Lauwe, Paris et l’agglomération parisienne, op. cit., tome I, la carte de la p. 106, montrant, au début des années 1950, les trajets d’une jeune fille du XVIe arrondissement, ainsi commentés : « Le triangle central a pour sommets : le domicile, les leçons de piano et les cours de sciences politiques ».
5 Voir par exemple certains éléments des chapitres III et IV de notre ouvrage Les hauts quartiers de l’Est parisien d’un siècle à l’autre, op. cit.
6 Géographie du Grand Paris, op. cit., p. 74 (et voir p. 73).
7 Voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Chariot, Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires, op. cit., chapitre XVIII, « Raisons et conséquences de l’exode des affaires », p. 285-299.
8 Voir François Roth, La Guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, notamment p. 203-207 et 354.
9 Voir par exemple Stéphane Rials, Nouvelle Histoire de Paris – De Trochu à Thiers, diffusion Hachette, 1985, William Serman, La Commune de Paris, Paris, Fayard, 1986 et les travaux de Jacques Rougerie, dont La Commune, Paris, Presses universitaires de France, 1988 (p. 89 sur l’atmosphère des rues). Sur les représentations littéraires de la capitale, à propos de cette époque, voir aussi Priscilla Parkhurst Ferguson, Paris as Revolution, op. cit., « The terrible years », p. 152-194.
10 Voir notamment 1914-1918 – L’autre front, Cahiers du mouvement social, n° 2, Françoise Thébaud, La Femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986 et Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution – Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995. Plus généralement, Jean Bastié et René Pillorget, Paris de 1914 à 1940, op. cit., chapitre II, « Paris dans la « Grande Guerre » 1914-1918 ».
11 Le Temps retrouvé, in À la recherche du Temps perdu, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, tome III, édition de 1954, p. 736 ; sur Paris vu par l’écrivain, voir aussi Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, op. cit., p. 337-339.
12 Voir aussi la carte reproduite par Jean Bastié, op. cit., p. 97.
13 Voir notamment le livre de Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1998 ; pour l’Est parisien, les p. 89-94 de notre ouvrage cité.
14 Voir – également sur d’autres plans – le film de François Truffaut.
15 Dont la nouvelle est reprise dans le recueil Le vin de Paris, Paris, Galllimard, 1947 ; réédition Folio, 1983, p. 29-82.
16 Qu’évoque Henry Leyret dans En plein Faubourg, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1895, p. 157-165, à propos des « Chevaliers de la Cloche » qui les favorisent.
17 Sur le logement populaire en général, avant l’essor plus marqué du logement social, voir 1’ article d’Alain Faure, « Comment se logeait le peuple parisien à la Belle Epoque », xxe siècle, octobre-décembre 1999, Villes en crise ?, p. 41-51 (l’auteur met l’accent sur la « culture populaire de l’intimité ». p. 51)
18 Daniel Oster et Jean Goulemot, reprenant notamment un texte d’Élie Frebault extrait de La Vie de Paris de 1878, évoquent « les petits industriels du macadam » : La vie parisienne-Anthologie des mœurs du xixe siècle, op. cit., p. 287 et suiv. (texte p. 301-305).
19 Voir Simone Delattre, Les douze heures noires – La nuit à Paris au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, p. 218-237 (« Grappiller ») ; pour le début du siècle, on trouve des notations dans le livre d’Henri Bonnet, Paris qui souffre, Paris, Giard et Brière, 1908 (au sujet des quartiers extérieurs des XIIIe et XXe arrondissements, p. 49-52 et 101-102).
20 À propos de laquelle enquêtes et représentations littéraires abondent ; voir par exemple Francis Carco, L’Équipe – roman des fortifs, Paris, Albin Michel, 1925 (réédition 1989).
21 Voir par exemple Marie-Claude Blanc-Chaléard, Les Italiens dans l’Est parisien – Une histoire d’intégration (1880-1960), Ecole française de Rome, 2000 : l’auteur évoque, à propos de la rue Sainte-Marguerite, objet d’une chronique de Jules Vallès en 1882, les « spécialités italiennes, qui tournent surtout autour du spectacle de rue et de la musique ambulante » (p. 78) et indique que les Parisiens dénomment souvent « Napolitains » les joueurs de mandoline et de violon (p. 81). Parmi les métiers ambulants de certains immigrants italiens, elle cite aussi les montreurs d’animaux.
22 Voir les analyses et exemples présentés par Simone Delattre dans Les douze heures noires, op. cit. : « Contrôles » (p. 305-324 sur la « nuit quadrillée », à partir du Second Empire), « Soupçons », passim, « Bas-fonds » (p. 509-530 sur les « vestiges nocturnes des Mystères de Paris (second xixe siècle) »).
23 Voir Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, op. cit., tome IV, chapitre XVIII, notamment p. 44-45.
24 Voir ibid. le chapitre XII du Tome III, notamment p. 69 et suiv.
25 Voir ibid., chapitre XVII.
26 Nouvelle histoire de Paris – La Deuxième République et le Second Empire, Diffusion Hachette, 1981, p. 169. L’auteur cite aussi le Journal des Goncourt, à la date du 16 janvier 1864. Sur la prostitution au dix-neuvième siècle, voir Alain Corbin, Les Filles de noce, Paris, Aubier, 1978. Dans leur anthologie citée, Daniel Oster et Jean-Marie Goulemot donnent de nombreux extraits, p. 307-342, sous les titres « Paris trottoirs », « La pègre », « Les filles, leurs usages, leurs maisons ».
27 Voir les analyses et les citations de Marie-Claire Bancquart dans Paris « Belle époque » par ses écrivains, op. cit., p. 65-70 ; voir aussi le choix des chansons dans Aristide Bruant, Paris, Seghers, 1972, présentation par Mouloudji et de Bruant, Dans la rue, Editions d’aujourd’hui, réédition de 1976.
28 Voir, pour l’entre-deux-guerres, Évelyne Cohen, op. cit., p. 299-303 (« La ville de l’accueil et de l’exil »), ainsi que plusieurs contributions à André Kaspi et Antoine Marès (dir.), Paris des étrangers depuis un siècle, Paris, Imprimerie Nationale, 1989, p. 91-155 (Rita Thalmann au sujet des réfugiés antinazis, Nancy L. Green sur les juifs étrangers, Anahide Ter Minassian sur les Arméniens et Benjamin Stora à propos des Algériens).
29 Ce n’est évidemment pas un cas général, et il ne faut pas sous-estimer l’évolution historique d’ensemble, à l’échelle de certains groupes d’originaires : voir par exemple Marie-Claude Blanc-Chaléard, Les Italiens dans l’Est parisien, op. cit., qui analyse précisément les déplacements des Italiens dans les quartiers de l’Est parisien et dans les communes de la banlieue voisine, qui les conduit à partir de l’entre-deux-guerres, période de « grand afflux » (deuxième partie), vers une « intégration de masse » (troisième partie).
30 Voir Denis Pernot, « Représentations sociales et romanesques du provincial et de l’étranger dans le Paris du tournant du siècle » in Marie-Christine Kok-Escalle (dir.), Paris : de l’image à la mémoire – représentations artistiques, littéraires, socio-politiques, Amsterdam, Rodopi, 1997, p. 174-192.
31 Dont celui de C.F. Ramuz, venu à Paris pour préparer une thèse dont il ne rédigea pas une ligne : voir son intéressant livre, Paris (notes d’un Vaudois), Paris, Gallimard, 1939 (thème de la marche, notamment p. 27-30 ; voir aussi les pages 153-155 évoquant une traversée de Paris vers les quartiers populaires).
32 Dans la dèche à Paris et à Londres, [Londres, Victor Gollancz, 1933], réédition Gérard Lebovici, Paris, 1985, p. 41 (le livre avait d’abord été traduit par Gallimard en 1935 sous le titre La Vache enragée). L’auteur, lors de son assez bref séjour parisien, trouve finalement un emploi de plongeur.
33 Voir par exemple la thèse de Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes – Marchés du travail et trajectoires professionnelles au 20 e siècle, Paris, Editions de l’EHESS, 1997, notamment le chapitre 3, « Le territoire », p. 69-89 (intéressante réflexion sur les rapports entre Paris et la banlieue).
34 Pour le début du vingtième siècle, voir l’évocation par Henri Bonnet des trajets des ouvriers du xxe arrondissement : certains d’entre eux restent proches de leur domicile, leur atelier se trouvant dans le proche onzième ; d’autres « se rendent par la ligne de ceinture à Montmartre, aux Ternes, même à Javel, pour s’occuper dans les usines » (Paris qui souffre, op. cit., p. 98 ; voir aussi p. 90 les considérations sur le caractère commode de la rue de Belleville, pour les déplacements professionnels ; cf. notre ouvrage cité sur Les Hauts quartiers de l’Est parisien, p. 31-36). Dans une optique littéraire, mentionnons aussi un passage célèbre, situé en octobre 1933, du 7 octobre de Jules Romains : chapitre 1, « Par un joli matin Paris descend au travail », p. 929-930 du tome IV de la réédition citée des Hommes de bonne volonté.
35 Voir Fabrice Laroulandie, Les ouvriers de Paris au xixe siècle, Paris, Christian, 1997, p. 74 (l’auteur introduit des nuances par quartiers et activités, mais dégage la tendance dominante, parlant de « norme quotidienne » pour les « longs itinéraires à pied » des ouvriers parisiens ; il cite l’exemple, emprunté au livre de Louis Lazare sur Les Quartiers pauvres de Paris, paru en 1869, d’un maçon de Ménilmontant traversant tous les jours Paris à pied pour travailler à la construction d’un hôtel particulier à Passy). En revanche, dans son étude citée, Luc Passion, s’il mentionne aussi cet exemple, insiste, en s’appuyant notamment sur des monographies publiées dans les Ouvriers des deux mondes, sur le fait que les déplacements des ouvriers étaient autant que possible limités au dix-neuvième siècle, pour des raisons financières : voir « Marcher dans Paris... » in François Caron et alii (dir.), Paris et ses réseaux, op. cit., p. 39-43.
36 Voir les nombreuses cartes insérées et commentées dans Les Transports parisiens, op. cit., p. 150-167 : établies à partir de données recueillies par la SNCF et la RATP à la fin des années 50 et au début des années 60, elles illustrent, en fonction de « coefficients de préférence », les trajets effectués à partir de gares ou de stations.
37 Notons que dans un roman publié durant l’entre-deux-guerres, Tristan Rémy, qui appartient au courant « prolétarien », ne distingue pas entre les sexes lorsqu’il montre des travailleurs qui « sortaient d’un métro pour se jeter dans les portes mouvantes des gares. Ils ne flânaient point, ceux-là... Ils savaient où aller, leur journée finie. » : voir Faubourg Saint-Antoine, Paris, Gallimard, 1936, p. 53.
38 Faubourgs de Paris, Paris, Gallimard, 1933, réédition 1990, p. 35.
39 Ibid., p. 75-76 (citations précédentes p. 73 et 75).
40 Les exceptions sont évidemment légion. On peut citer le début, assez narquois, d’un poème de Jacques Réda, dont nous respectons, autant que possible, la disposition typographique :
« Me rendant de tel point à tel autre dans l’un des exercices
de mon emploi qui veut parfois que je trimbale des paquets,
malgré l’embarras je ne choisis que très rarement la ligne droite
et je me trouve donc ce soir au bord de la butte de
Chaillot. » (Les Ruines de Paris, op. cit., p. 52).
41 Voir Images littéraires du Paris « fin-de-siècle », op. cit., p. 73-81 et 88.
42 Paris insolite, op. cit., p. 33 ; d’autres passages sont acerbes à l’égard de ceux qui ont un travail régulier : voir par exemple p. 86.
43 Beaucoup plus récemment, Marc Augé a critiqué cette formule, qui relève selon lui d’une « ironie un peu paresseuse » : « l’intéressant est au contraire de comprendre comment le sens de la vie individuelle naît des contraintes globales qui sont celles de toute vie sociale. À quelques détails culturels et quelques ajustements technologiques près, chaque société a son métro, impose à chaque individu des itinéraires où il éprouve singulièrement le sens de sa relation aux autres » : Un ethnologue dans le métro, op. cit., p. 115-116.
44 Voir l’article d’Ondine Millot, « Centenaire, le métro parisien s’approche du terminus », Libération, 19 juillet 2000, p. 2 (dernière citation d’Edith Heurgon, responsable de la mission prospective de la RATP).
45 Certaines représentations des parcours mondains donnent en tout cas ce sentiment : voir par exemple la nouvelle de Zola, « La semaine d’une Parisienne », publiée en russe dans Le Messager de l’Europe en juin 1875, et retraduite par Sylvie Luneau dans Contes et Nouvelles, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1976, p. 933-956.
© Éditions de la Sorbonne, 2001