Meublés, chambres de domestique et loges de concierge

7La location (c’est-à-dire le paiement d’un loyer pour un espace sans meubles) n’est que l’une des modalités du logement pour les classes populaires parisiennes. Les scellés décrivent d’autres modes d’habitation comme les hôtels garnis, les chambres meublées chez l’habitant ou les chambres de domestique. Ces configurations alternatives dessinent un nuancier qui va du plus contraignant (le garni) au plus avantageux (la loge de concierge).

8L’alternative la mieux connue à l’appartement loué est le garni, lieu d’accueil privilégié des nouveaux arrivants dans la capitale et des travailleurs pauvres14. Ces hôtels tirent leur nom du fait que les chambres sont louées « garnies » de meubles : on paie donc en même temps pour le mobilier et pour l’espace d’habitation. En 1911, ce secteur important de l’habitat populaire « représentait plus de 11 % de l’ensemble des logements parisiens, abritant quelque 165 000personnes, près de 6 % de la population parisienne15 ». Les deux locataires de chambres garnies du corpus de scellés sont effectivement des migrants : Jean Gravier, un ouvrier boulanger de 61ans, est auvergnat, né à Saint-Gervais dans le Puy-de-Dôme, tandis que Léonide Guillois, une garde-malade de 43ans, est originaire de Terrhault dans la Sarthe16. Cette dernière diffère du profil classique de locataire d’un garni en tant que femme célibataire, population généralement tenue à l’écart par les tenanciers, inquiets des troubles possibles avec les hommes célibataires. En outre, ce secteur hôtelier avait fort mauvaise réputation et une femme seule en garni était toujours plus ou moins soupçonnée de prostitution17. Deux raisons peuvent expliquer la présence de Léonide Guillois : elle est garde-malade au moment de sa mort, ce qui signifie qu’elle dort la plupart du temps chez ses employeurs, le garni étant certainement, dans son cas, davantage un point de chute entre deux embauches qu’un logement permanent. En outre, sa réputation est potentiellement déjà entachée puisque le dossier de scellés signale un fils naturel âgé de 7ans, mis en nourrice et dont elle paye régulièrement les frais de garde. Léonide Guillois est, au moment de la naissance de cet enfant en 1888, désignée comme « couturière18 » : la variété des professions qu’elle occupe, son statut de mère hors mariage et son logement en garni la désignent comme une figure typique de la précarité féminine de la fin du xix^e siècle.

9Ces deux locataires vivent dans un grand dénuement. Le seul meuble possédé en propre reste la malle, symbole de la migration et du nomadisme. À propos de Jean Gravier, la fille du tenancier de l’hôtel précise que « le défunt habitait en garni et ne possède aucun mobilier », et le juge décrit seulement, outre sa garde-robe, un drap, cinq torchons et un réveil. Léonide Guillois est un peu mieux équipée : elle possède, en plus de ses vêtements, davantage de linge de maison (deux draps, trois taies d’oreiller, dix serviettes de table et une serviette de toilette), un tout petit peu de vaisselle ainsi qu’un panier. Les scellés après décès d’Edme Olivier, marchand de vin et tenancier de garni dans le X^e arrondissement, donnent une idée du mobilier très rudimentaire dans lequel vivent les locataires des garnis19. Les 34 chambres de son établissement comportent seulement un lit en fer, deux matelas, un oreiller, un traversin, deux draps et une couverture. Outre la literie, les chambres contiennent une chaise et un petit miroir et, pour trois d’entre elles, comble du luxe, une table de nuit.

10La chambre meublée louée chez l’habitant forme une variante moins connue et moins stigmatisée que le garni, mais réputée peu répandue en France, alors que dans d’autres pays, notamment l’Allemagne, elle constitue une source de revenus courante pour les classes populaires :

Les très pauvres gens ont [à Berlin et à Vienne] des habitudes parfaitement inconnues à Paris. Un très grand nombre sont Aftermiether (littéralement « sous-locataires ») c’est-à-dire qu’ils logent dans d’autres ménages ; beaucoup sont aussi Schlafleute (littéralement « gens de sommeil ») ou Bettgeher (littéralement « qui vont dans un lit »), mot qu’on traduit par « locataires de lit » ; mais cette locution n’a pas de sens en français parce qu’elle signifie une chose qui n’existe pas dans les villes françaises. Ce sont des gens qui prennent en location un lit (ou même dans des cas plus rares, une portion de lit), dans une chambre habitée par d’autres personnes appartenant à une autre famille20.

11Ces modes d’hébergement, rares dans la capitale, existent pourtant. Un postier de 58ans loue ainsi une chambre, mitoyenne du salon, dans l’appartement du couple Derains, au premier étage d’un immeuble de la rue Louis-Blanc21. L’épouse, sage-femme, vient signaler au juge de paix sa mort « dans une chambre qu’elle lui sous-louait verbalement en meublé ». Jean Soulard, employé retraité de la préfecture de la Seine, est également hébergé dans une chambre meublée par sa tante, rue Delambre dans le XIV^e arrondissement. À première vue, ce cas pourrait relever de la solidarité familiale, mais la tante réclame 300 francs à la succession pour « pension, nourriture et logement, ainsi que pour soins donnés à Monsieur Soulard depuis trois mois22 ». Tout en restant membres des classes populaires, les locataires, deux petits fonctionnaires, font partie de la frange supérieure de ce groupe. Ce mode de logement était-il si rare dans les classes populaires parisiennes ? Il est possible que ce phénomène existe parmi une fraction généralement peu étudiée de ce groupe et il reste difficile à mesurer, car il ne produit pas d’archives spécifiques et n’est pas systématiquement enregistré : sans le décès de ces deux hommes à domicile, la sous-location d’une chambre dans le logement serait restée invisible.

12Il existe également des arrangements, spécifiques aux classes populaires, dans lesquels le logement est une rétribution en nature d’un travail de service –chambres de bonne et loges de concierge. Le loyer représente en effet pour les classes populaires un poste budgétaire important et ne pas avoir à y faire face est un avantage de taille, qui peut rendre attractifs des métiers durs ou méprisés. La différence entre ces deux formes de domesticité est cependant importante : les domestiques sont dans leur très grande majorité des femmes seules, et leur emploi reste précaire, tandis que le métier de concierge est davantage exercé par des hommes ou des couples, pour un temps plus long. En termes de consommation et de patrimoine, les profils diffèrent : les concierges ont la jouissance d’un logement, mais sont bien « dans leurs meubles », tandis que les domestiques ne disposent que des objets dont les patrons veulent bien équiper leur chambre.

13Par son exclusion fréquente des garnis, une femme seule est soumise à « la nécessité de s’engouffrer dans tous les métiers où le logement était fourni, en tout premier lieu la domesticité. Qu’elle soit logée dans la famille même où elle était placée ou qu’elle le soit à l’étage des “chambres de bonnes”, l’intimité dont pouvait jouir la femme était alors extrêmement réduite23 ». La condition de domestique est souvent celle de femmes seules, célibataires ou veuves, pour la majorité migrantes, qui trouvent là un abri temporaire et une source de revenus, malgré des conditions de travail très dures avec des journées interminables, une nourriture souvent chichement mesurée et le fréquent harcèlement sexuel des hommes de la maisonnée24. « Chez-soi illusoire25 », les chambres de domestiques sont généralement décrites comme particulièrement misérables, minuscules, soumises aux variations de température et très pauvrement meublées26.

14Dix-huit chambres de domestiques sont présentes dans le corpus de scellés, pour des femmes isolées, célibataires majeures et veuves pour la plupart. Deux d’entre elles ne disposent pas d’une chambre en propre, dormant dans le salon de leur maître ou dans l’entrée sur un divan, comme Aurélie Robert, la domestique de Jean Frézier, un marchand de chevaux27. Cinq employées de maison vivent dans les fameuses chambres de bonne du dernier étage et leur mobilier est effectivement des plus restreints : un lit de fer et son coucher, une chaise, et parfois un meuble complémentaire, table, commode, secrétaire ou vieux buffet. La majorité ont encore une chambre dans l’appartement de leur maître, pratique pourtant décrite comme en voie de disparition28. Certaines ont le même mobilier que leurs collègues du dernier étage, mais six disposent d’un cadre de vie plus confortable, voire tout à fait luxueux : fauteuils et cartonnier, meubles en acajou ou encore décoration soignée. L’exemple le plus frappant est celui de la chambre d’Alice Diri, dame de compagnie auprès d’un médecin : elle est meublée d’un lit, d’une armoire à glace et d’une table de nuit en acajou, ainsi que de deux fauteuils, l’espace est richement décoré et même chauffé par une cheminée29. Cette chambre se révèle bien plus confortable que beaucoup d’autres intérieurs populaires. Sans minimiser l’existence de logis miséreux dans les combles des immeubles bourgeois, il existe donc des logements plus décents pour la domesticité, réservés à une élite : les femmes de chambre et autres dames de compagnie sont bien mieux loties que les simples domestiques et les plus mal logées sont toujours les cuisinières. Le logement reflète ici la hiérarchie interne à la profession : les cuisinières sont des servantes âgées et célibataires, qui se trouvent en quelque sorte bloquées dans cet emploi, alors que les autres domestiques sont plus souvent de jeunes femmes en emploi temporaire, avant leur mariage ou le retour au pays.

15Les logements concédés gratuitement aux concierges en échange de leur travail de gardiennage sont en revanche fournis vides. Les occupants doivent arriver avec leurs meubles, car les propriétaires cherchent à stabiliser ces employés, essentiels au bon fonctionnement de l’immeuble, à son entretien et à la perception des loyers30. Les concierges sont omniprésents dans les scellés : ils vont signaler au juge un décès, l’accueillent dans le logement à décrire, lui ouvrent la porte avec les clefs dont ils disposent, égrènent la liste des créditeurs du défunt et sont enfin très souvent établis « gardiens des scellés », c’est-à-dire garants de leur intégrité. Deux loges de gardien sont placées sous scellés, celle d’Alphonse Suard, né dans l’Oise et âgé de 64ans, ancien peintre en bâtiment31, et celle de Françoise André, une veuve de 59ans, née à Aix-en-Provence32. Les deux logements ont en commun un mobilier important avec armoire à glace en acajou, fauteuils, buffet à étagères, ainsi que des meubles très rares dans les logements populaires : le premier possède un canapé et la seconde une table à ouvrage. Ces objets constituent certainement un avantage en nature de leur profession, en l’occurrence un accès privilégié aux meubles usagés des résidents les plus aisés des immeubles, qu’ils peuvent récupérer pour leur propre compte ou faire circuler sur le marché de l’occasion. L’absence de loyer permet aussi de mettre de l’argent de côté et ces deux individus se signalent par des capacités d’épargne exceptionnelles dans le corpus : Françoise André détient 900 francs en obligations de la ville de Paris et Alphonse Suard plus de 6 600 francs en obligations diverses.

16Les classes populaires parisiennes ont plusieurs options pour se loger, en fonction de leur place à l’intérieur de ce groupe, de leur sexe ou encore de leur ancienneté dans la capitale. Payer pour un logement vide de meubles reste toutefois la solution la plus répandue.

« Être dans ses meubles » : l’idéal des classes populaires stables

17L’anarchiste Jean Grave présente ainsi sa trajectoire résidentielle dans le Paris des années1870, alors qu’il a environ 20ans :

Ne voulant pas rester en garni, je m’abonnai chez Crépin [un grand magasin de crédit], quand j’eus versé la moitié de la somme nécessaire à l’achat d’un lit, d’une commode, d’une table et de quelques chaises, je m’installais dans une chambre que j’avais louée cour des Rames. J’étais chez moi33.

18On voit ici le lien consubstantiel existant à la fin du siècle entre la condition de locataire et la possession de meubles. En effet, ce n’est pas seulement parce que Jean Grave désire un mobilier qu’il s’endette chez Crépin, c’est surtout parce que les meubles constituent la garantie ultime du propriétaire –à qui ils servent de gage en cas de loyer non payé –et qu’il est beaucoup plus difficile de trouver un logement sans ce patrimoine minimum. La possession d’un mobilier représente en quelque sorte un coût d’entrée sur le marché locatif, qui se décline ensuite en fonction de la composition des logements, du nombre des occupants et de l’utilisation de l’espace.

19Les logements populaires se différencient d’abord par l’étage des appartements loués : on observe un contraste flagrant entre le X^e arrondissement, quartier mixte socialement que se partagent bourgeoisie et classes populaires, et le XIV^e arrondissement, majoritairement populaire. Dans le premier, on retrouve la ségrégation verticale souvent décrite dans les immeubles haussmanniens : les moins fortunés sont plus souvent logés entre le quatrième et le sixième étage, tandis que les deux premiers niveaux sont réservés aux appartements bourgeois. Dans le XIV^e arrondissement, où les maisons basses dominent et qui est plus homogène socialement, les classes populaires investissent massivement les parties basses des immeubles, du rez-de-chaussée au deuxième étage34. Dans le X^e arrondissement, six locations à cheval sur deux niveaux sont également à noter : les locataires sont des petits commerçants qui cumulent une boutique donnant sur la rue avec des pièces à vivre dans les étages, comme Charles Minart, « marchand de beurre et fromager » au rez-de-chaussée, dont la chambre est au quatrième étage35.

20Les juges de paix précisent également le nombre de pièces composant l’appartement, les pièces principales bien sûr, mais aussi la cave, le cellier et tous les espaces de petite taille au statut flou comme l’entrée, le couloir, le cabinet noir, le débarras, l’alcôve, le réduit et autres soupentes. Le nombre de pièces principales est une manière efficace de classer les appartements :

Une seule pièce sans cheminée abrite la plus profonde misère ; une seule pièce munie d’une cheminée, et qui sert à la fois de chambre à coucher et de cuisine est le logement de l’ouvrier pauvre ; la cuisine est-elle distincte de la chambre à coucher, on s’élève déjà à un degré relatif d’aisance. L’existence d’une salle à manger dénote une situation plus élevée : c’est ordinairement le maximum de confortable auquel peuvent arriver les installations des classes ouvrières36.

21Sur les 61appartements loués vides décrits, 28 sont composés d’une seule chambre, 13 comportent deux pièces, 12 s’organisent en trois pièces et seulement 8 dépassent ce nombre. La pièce unique, stéréotype de l’habitat ouvrier et populaire, représente donc environ la moitié des logements. Dans le XIV^e arrondissement, cette forme est dominante, alors que les deux et trois-pièces sont plus fréquents dans le X^e arrondissement. Lorsqu’ils peuvent louer plus d’une pièce, les habitants donnent la priorité à deux espaces : la cuisine et la salle à manger pour recevoir des invités (famille, voisins, amis), signe de l’appartenance à une communauté qui permet de faire face aux difficultés quotidiennes par le recours au collectif. En revanche, même dans les logements les plus spacieux, aucun salon n’est jamais signalé. L’existence de cette pièce dans un logement est un marqueur social fort qui trace une frontière culturelle entre les classes sociales. Le salon, avec sa table à jeu et son piano, est le lieu de l’oisiveté, du temps libre, des loisirs, activités intégrées à l’éthos aristocratique, puis bourgeois. Dans les classes populaires, si personne ne peut se permettre un salon, la frange supérieure ainsi que certaines femmes peuvent posséder des objets évoquant le loisir, alors que pour les hommes ouvriers l’espace récréatif se trouve à l’extérieur, dans le partage de l’espace public avec d’autres hommes de leur groupe, notamment chez le marchand de vin, où l’on peut par exemple jouer au billard37.

22Les observateurs sociaux du xix^e siècle ne cessent de déplorer le surpeuplement des logements populaires, à la fois signe de grande pauvreté et source d’inquiétude morale, la promiscuité entre les sexes et les générations étant censée favoriser l’inceste. Cette représentation a parfois contaminé les approches historiques, et la question du logement ouvrier a souvent été assimilée à celle du surpeuplement38. Or, l’absence d’un tel entassement est frappante à la lecture des archives, comme le montre le tableau1.

23Si l’on reprend la définition du surpeuplement donné par le service municipal de statistique en 1891, seuls deux logements sont en réalité concernés39. Dans l’écrasante majorité, le nombre d’habitants est accordé au nombre de pièces, et celui-ci est parfois même supérieur au nombre d’habitants, comme en témoignent les 23 individus vivant seuls dans des appartements comprenant entre deux et cinq pièces. Les auteurs du rapport sur le recensement de 1891 faisaient le même constat, ce qui les entraînait à condamner cette consommation superflue d’espace chez les plus démunis :

45 988 logements de deux pièces [avec un loyer de moins de 500 francs par an] sont habités par des individus seuls, qui pourraient fort bien se contenter d’une seule pièce et pour qui un logement de deux pièces constitue presque un luxe. Au total sur les 541 790 logements de 1 ou 2pièces [avec un loyer de moins de 500 francs par an], il y en a près de 400 000 dont le faible loyer n’est nullement indice de pauvreté40.

24En fait, cette obsession du surpeuplement s’explique par la perspective familialiste des observateurs sociaux qui, dans la lignée de Frédéric Le Play, centrent leur propos sur les familles ouvrières. Il est vrai que l’encombrement des logements augmente en proportion de la taille de la famille et, selon le recensement de 1891, 14 % de la population parisienne –particulièrement des familles nombreuses de classes populaires– vivent dans de telles conditions41. Cependant ces familles nombreuses sont tout à fait minoritaires dans la capitale où 57,6 % des ménages sont composés d’une ou deux personnes et 30 % de trois à quatre personnes42. Les ménages visibles dans les scellés sont finalement, sur ce point, assez typiques de la population parisienne dans son ensemble.

25Même s’ils ne sont pas surpeuplés, les logements populaires restent tout de même exigus. Les scellés ne précisent pas la surface au sol, mais les monographies de famille de l’école Le Playsienne donnent un ordre d’idée. Le serrurier-forgeron du boulevard de la Chapelle dans le XVIII^e arrondissement vit en 1878 dans 28m² : deux chambres de 9m² chacune, une salle à manger de 7,50m² et une cuisine de 2,50m². L’ébéniste parisien de haut luxe auquel rend visite Pierre du Maroussem en 1891 dans le faubourg Saint-Antoine habite dans un appartement de deux pièces auxquelles il faut ajouter une pièce au grenier, le tout mesurant environ 20m² pour cinq personnes43. Les appartements sont donc d’une surface totale réduite et souvent largement fournis en mobilier. L’espace habitable est un bien de luxe, une consommation fortement désirée dans les classes populaires, mais pas toujours à portée de budget. Dès lors, les habitants aménagent tous les espaces à leur disposition, faisant des pièces à vivre dans des endroits qui, dans les logements bourgeois, sont de simples lieux de passage. L’exemple le plus significatif est celui de l’« entrée ». Dans les ménages aisés, il s’agit d’un espace assez vide, qui comporte généralement un coffre à bois, un porte-parapluie et une patère, et où l’on ne s’arrête que le temps de déposer son manteau. Dans les logements populaires, l’entrée est une pièce à part entière, utilisée comme espace de stockage, voire comme chambre.

26La répartition des espaces selon des usages différenciés qui est la norme dans la bourgeoisie est une aspiration populaire, mais reste rarement possible. La polyvalence est bien davantage la règle, ainsi que la distinction entre fonctions de jour et fonctions de nuit, comme ces salles à manger qui servent à coucher une partie des enfants le soir venu, grâce aux lits cages. Évidemment, ce phénomène est encore plus marqué dans les logements à pièce unique où l’on dort, mange et fait sa toilette dans le même espace44. Enfin, la distinction sociale passe aussi par la séparation de l’espace de travail et de l’espace privé, possible dans les logements bourgeois, beaucoup moins nette dans les habitats populaires. On y note surtout une présence de l’activité manuelle et marchande disséminée dans l’appartement, à l’inverse du bureau, pièce du travail intellectuel des classes supérieures. François Brun, un cordonnier de 80ans, entrepose par exemple dans sa salle à manger des outils et des formes à chaussures, tandis que la chambre à coucher de Flore Boitel, une tapissière de 58ans, abrite un « métier à tapisser » ainsi qu’un « lot de canevas pour tapisserie45 ». Les appartements restent donc encombrés par les meubles et les activités économiques. L’aspiration à un logement plus spacieux est forte, mais ce désir a un prix : le loyer.

Le loyer : prix de l’espace et rapport social

27En France, les dépenses d’un budget ouvrier moyen dans les années1880 se répartissent ainsi selon Michelle Perrot : 62,8 % pour la nourriture, 16,5 % pour les vêtements et 12,3 % pour le logement46. Cécile Dauphin et Pierrette Pézerat proposent une fourchette allant de 10 à 20 % pour la dépense consacrée au logement47. En 1910, la Statistique générale de la France confirme ce résultat pour Paris : le loyer représente entre 10 et 20 % du revenu d’un ouvrier48. Les scellés après décès ne permettent pas d’effectuer ce genre de calcul ; ils donnent en revanche souvent accès à la fois au montant du loyer et à la relation de crédit entre le locataire et le propriétaire49. Cette source invite donc à regarder le loyer sous un autre angle, celui du prix de la consommation d’espace et du rapport de force qu’il incarne.

28Maurice Halbwachs note en 1913 l’importance du prix du loyer en valeur absolue, en non en part d’un budget global :

Le loyer est une dépense à la fois importante et très définie ; le chiffre qui la représente se grave naturellement dans l’esprit ; il est naturel qu’il devienne aussi une représentation sociale […]. Des chiffres tels que 100, 150, 200, 300, ont dans les groupes une signification sociale. […] Le loyer contribue à « classer » le locataire, à ses yeux et aux yeux des autres50.

29La catégorie des petits loyers a d’ailleurs une existence au-delà de ces représentations sociales. Existence juridique tout d’abord, puisque les loyers de moins de 600 francs par an ne sont pas soumis au même type de contrat, ni au même cadre légal que les loyers plus élevés. Pour ces logements, il suffit d’un simple engagement de location écrit ou verbal. De durée indéterminée, celui-ci est soumis à l’usage local, appelé communément « location » et le loyer est payable par trimestre en termes égaux. Ce contrat se différencie du « bail », engagement écrit d’une durée déterminée, établi devant notaire et qui régit la location pour les locataires les plus fortunés. Le défaut de paiement pour les loyers de moins de 600 francs est du ressort du juge de paix (et non du tribunal d’instance, comme pour les montants plus élevés) qui tient une audience spéciale concernant l’expulsion des locataires les jours du terme51. Cette catégorisation juridique est redoublée à Paris par une différenciation fiscale. Les logements dont le loyer est inférieur à 500 francs sont « exonérés d’impôts ce qui aux yeux des contemporains équivaut à être classé parmi la population pauvre52 », car assimilé à une population assistée. Habiter dans un tel logement est donc un signe clair d’appartenance aux classes populaires et le montant du loyer en valeur absolue prend un sens à la fois social, politique et juridique53.

30Aucun des vingt-six logements populaires dont on peut calculer le loyer ne dépasse cette limite des 500 francs de loyer annuel. L’appartement le moins cher, composé d’une pièce unique dans le XIV^e arrondissement, ne coûte que 100 francs par an, tandis que le plus onéreux atteint la limite haute des 500 francs, pour un trois-pièces au quatrième étage d’un immeuble dans le X^e arrondissement. La différence est importante entre le XIV^e, quartier périphérique et plus populaire et le X^e arrondissement, encore central et mixte socialement : la proximité avec le centre de la capitale se paie, et assez cher. Ce principe est également valable à l’échelle du quartier : dans le X^e arrondissement, les deux logements les plus chers (400 francs par an pour un deux-pièces et 500 francs par an pour un trois-pièces) sont tous les deux situés à proximité du boulevard Magenta, une avenue bourgeoise. Une caissière et une sous-surveillante infirmière acquittent également un loyer élevé (280 francs par an) pour une chambre unique, car ces deux appartements sont situés dans un immeuble haussmannien de la rue du Faubourg-Saint-Denis et plus proches du centre de la ville. Le montant consacré au loyer est le résultat d’une pondération entre l’espace souhaité (le nombre de pièces) et l’adresse voulue (qui indique la place dans la ville et renvoie à la connotation sociale de la domiciliation).

31Pour les deux individus en garni, le prix de la chambre à l’année se révèle en comparaison très élevé. Il est réclamé « trois mois et demi de loyer à 20 francs par mois » à Jean Gravier, soit un loyer annuel de 240 francs, tandis que Léonide Guillois doit « 7 francs pour 8 journées de chambre », ce qui représente un montant annuel de 417 francs54. Ces chambres meublées sont très coûteuses, vu qu’une chambre vide se loue dans le XIV^e arrondissement entre 100 et 160 francs par an. La précarité se paye cher et l’absence de meubles, patrimoine minimum servant de garantie au propriétaire, autorise les tenanciers d’hôtel meublé à pratiquer ces prix pour se prémunir du risque de défaut des locataires55. La coutume généralisée du paiement à la semaine ou à la quinzaine relève de la même logique pour éviter les trop grands endettements. Ce mode de paiement très régulier n’est cependant pas toujours appliqué comme en témoigne le cas de Jean Gravier, qui doit trois mois et demi de loyer au moment de sa mort. Au vu de ces tarifs, le fait de bénéficier d’un logement gratuit comme c’est le cas pour les domestiques, les concierges mais également pour certains employés municipaux (directeur d’école ou employé de l’asile Sainte-Anne) apporte effectivement un très grand avantage financier.

32Le prix de l’espace habitable, comme tous les autres prix, est soumis à des variations qui peuvent être fortement ressenties par les consommateurs. Il y a une hausse structurelle à la Belle Époque due à une tension continue sur le marché locatif parisien à cause de la diminution du nombre des logements populaires et de l’augmentation conjointe des migrations56. À cette tendance générale s’ajoutent des pics de flambée des prix, davantage perceptibles par les locataires. Entre 1872 et 1882, le montant des loyers parisiens augmente de 30 à 35 %57 ; entre 1890 et 1900, il augmente moins, voire baisse dans certains quartiers58. En revanche, une nouvelle hausse brutale est constatée dans les années1910-1911, particulièrement dans les quartiers populaires, par exemple au Petit-Montrouge dans le XIV^e arrondissement (+48,1 %)59. La part consacrée au loyer dans les budgets ouvriers atteint un sommet, passant de 12 % dans les années1880 à 24 % en 1910 selon la Statistique générale de la France60. Ces flambées des prix donnent lieu à des mobilisations collectives de locataires qui montrent que, au-delà du prix d’un produit, le loyer est aussi une relation sociale, qui met aux prises propriétaires et locataires.

33Les rapports de location entre propriétaires et locataires sont de véritables « rapports sociaux noués à travers l’habitation [car] celle-ci n’est pas simplement l’objet d’une transaction économique, elle est un puissant marqueur social61 ». Le loyer est donc le nœud d’un lien social, de plus ou moins longue durée, et, pour les locataires des classes populaires, ce rapport de force est réputé dissymétrique.

34Un premier indice de ce rapport de location est le rôle des propriétaires (ou de leurs représentants, concierges et gérants de propriété) dans le déclenchement de la procédure de mise sous scellés. Alors que dans la bourgeoisie, les scellés sont très majoritairement établis à la demande de la famille, en raison de conflits d’héritage, dans les classes populaires, environ la moitié des procédures sont déclenchées à la requête des bailleurs. Ces derniers cherchent à faire libérer au plus vite le logement pour le relouer rapidement et minimiser la perte de revenus que représente la vacance de leur appartement. En outre, le mobilier est une garantie pour les propriétaires en cas de loyer impayé et ceux-ci veulent donc éviter qu’il soit partagé entre les héritiers avant d’avoir récupéré leur dû. En l’absence d’héritiers qui accepteraient de prendre en charge la succession et/ou les dettes, les propriétaires demandent généralement la nomination d’un administrateur provisoire, qui confie la vente des meubles à un commissaire-priseur afin de payer les dettes du défunt.

35Les actes de scellés font apparaître le poids de la dette dans la relation entre propriétaires et locataires. Sur les 68logements populaires étudiés, on relève 34réclamations de propriétaires pour loyer impayé, soit la moitié des dossiers. Le crédit est alors le mode usuel de la relation entre locataires et propriétaires pour les logements de moins de 600 francs par an, puisque le loyer se paie « à terme échu », c’est-à-dire à la fin de chaque trimestre d’occupation (le 1^erjanvier, le 1^eravril, le 1^erjuillet et le 1^eroctobre). Mais pour 19 des 34 réclamations, le crédit se prolonge bien au-delà de ces trois mois : dans 11cas, ce sont deux termes (6mois) de loyer qui sont dus et, dans 7dossiers, le temps du crédit s’allonge même de trois à cinq termes (9 à 15mois). Le montant de ces dettes est également loin d’être négligeable : il s’élève de 40 à 350 francs, avec une médiane autour de 92 francs et, pour un quart de ces réclamations, son montant est supérieur à 215 francs.

36Comme toute relation de crédit, le loyer dépend du rapport de force entre locataires populaires et propriétaires. Pour les petits propriétaires, la perception du loyer est un enjeu financier très important, car ils ne sont souvent parvenus à acheter un immeuble que grâce à un emprunt hypothécaire et tout retard de paiement du terme met en péril leur propre remboursement62. Ces petits rentiers surveillent davantage l’échéance et, vivant souvent à proximité, ils ont davantage de possibilités d’exercer une pression sur leurs locataires. C’est peut-être ainsi que l’on peut analyser la surprenante absence de réclamation pour trente-deux des logements loués, pour lesquels le terme en cours au moins devrait être exigé. Cette anomalie suggère la forte présence de la pratique –illégale– du paiement par avance du loyer trimestriel. Les grands propriétaires, ceux qui possèdent plusieurs immeubles ou qui ont d’autres sources de revenus, sont moins attentifs à la surveillance des termes pour laquelle ils ont souvent recours à un « gérant de propriété » qui peut avoir un autre emploi –avocat, architecte– et qui réside souvent dans les beaux quartiers, loin des logements dont il a la charge. Cette hypothèse est confirmée par le fait que ce type de propriétaire est dominant dans les dettes de plus de 200 francs : les appartements concernés sont plutôt confiés en gérance, et les propriétaires sont domiciliés dans l’Ouest parisien (avenue de l’Alma par exemple) ou sont des sociétés privées qui gèrent de grands patrimoines immobiliers. Du côté des locataires aussi, différents groupes se dessinent à l’intérieur des classes populaires : de façon attendue, 14 des 20 ouvriers et ouvrières sont endettés auprès de leur propriétaire, mais c’est également le cas de 5 petits fonctionnaires sur 7 et de 5 employés sur 10. Les fonctionnaires et les employés profitent probablement de leur traitement stable et de leur paie mensuelle et régulière pour négocier une rallonge dans le paiement du loyer, leur marge de manœuvre vis-à-vis des propriétaires étant plus grande.

37L’étude du logement des classes populaires parisiennes nécessite la prise en compte de la variété des situations et de la diversité des locataires au sein de ce groupe. La chambre meublée recouvre une grande variété de modes d’habiter : les garnis misérables réservés aux migrants et aux plus pauvres, les chambres des domestiques, manquant d’intimité et souvent de confort mais présentant un avantage financier très important, et enfin les sous-locations des employés et petits fonctionnaires. La « fièvre endémique du chez-soi63 » reste cependant visible dans l’acquisition d’un mobilier, patrimoine minimum exigé par les propriétaires pour avoir accès aux logements vides. Là encore, la diversité est plus grande que le stéréotype de la pièce unique sous les combles ne le laisserait penser de prime abord : cette configuration est importante, mais de nombreux membres des classes populaires investissent davantage dans l’espace habitable et développent des stratégies résidentielles, qui manifestent des volontés d’ascension sociale. Au-delà du poids relatif de la dépense « logement » dans un budget, et même du prix absolu de la location, le loyer se révèle être plus fondamentalement le nœud d’un lien social et d’un rapport de force. Une fois cet espace habitable acquis, il devient un « foyer », à la fois lieu d’abri chauffé et refuge, où peut se dérouler l’activité humaine fondamentale qu’est la préparation des repas.

Se chauffer

39Les scellés comportent une importante lacune : les cheminées n’y sont pas mentionnées, car elles font partie des biens immeubles, au même titre que les portes et les fenêtres. Les indices indirects de leur présence dans une pièce, comme les ustensiles de gestion du combustible (pare-étincelles, pelle et pincettes) ou les aménagements de l’âtre, avec tapis de foyer ou garnitures de cheminée attestent la présence de vingt-six cheminées, dont trois seulement chauffent des logements populaires. Ces appartements en sont certainement plus fréquemment équipés, mais ce moyen de chauffage échappe partiellement à la source utilisée ici.

40De nombreux appareils de chauffage sont néanmoins présents dans ces intérieurs. On y trouve des poêles (27 en tout), généralement en fonte et plutôt de petite taille, ainsi que des fourneaux ou des cuisinières, plus coûteux (11) qui commencent à se diffuser dans les logements populaires (fig. 1).

41La distinction entre les deux est cependant difficile à établir avec certitude, puisque les fabricants ont bien compris que, dans les classes populaires, le même appareil sert à la fois à se chauffer et à cuisiner. Le catalogue d’Aux Classes laborieuses propose ainsi dès 1895 un « poêle-cuisinière » en fonte, composé d’un foyer où l’on peut brûler du bois ou du charbon et surmonté d’une surface plane qui sert pour la cuisson. Cet objet coûtant entre 12,50 et 22 francs en fonction de sa taille reste bon marché. On trouve également dans les scellés la mention de trois grilles à coke, des « corbeilles en fonte dans lesquelles on brûle de la houille pour chauffer les appartements », un mode de chauffage d’appoint, peu onéreux65. Il est impossible d’évaluer le nombre de logements sans moyen de chauffage, à l’exception des chambres de bonne du dernier étage, qui ne sont jamais équipées de cheminée et pour lesquelles aucun appareil de chauffage n’est mentionné.

42Les combustibles utilisés contribuent à classer les consommateurs. À la fin du xix^e siècle, « l’usage du bois, dans la capitale, est devenu un luxe, ceux-là seuls en brûlent qui ne regardent pas à la dépense66 ». Seuls les scellés de la bourgeoisie mentionnent du bois, le gros du stock étant à la cave, tandis que dans l’appartement un coffre à bois recèle de quoi alimenter les divers foyers pendant la journée. L’électricité équipe encore très peu d’immeubles et reste également l’apanage des classes supérieures. Le pétrole est lourdement grevé de taxes, ce qui le rend trop onéreux pour les moins fortunés. Malgré un effort pour raccorder au gaz les quartiers et les immeubles populaires, le combustible dominant dans ce groupe social demeure le charbon, de terre ou de bois, que l’on retrouve sous toutes ses formes qu’il s’agisse « de gaillateries, gailletins, “têtes de moineaux”, de tout venant, de “fines”, de boulets et de briquettes, de gras newcastle et d’anthracite maigre, suivant les noms que porte la houille, d’après sa provenance, sa nature, ou l’aspect de ses morceaux67 ». Ces différences, aujourd’hui bien obscures, fondent pourtant des logiques de distinction au sein des classes populaires comme le note Albert Simonin, fils d’un ouvrier fleuriste du XVIII^e arrondissement :

Les plus fortunés, relativement, brûlaient le boulet Berbot dans la salamandre ; d’autres, aux ressources plus modestes, se limitaient au Godin qui acceptait l’anthracite et la tête de moineau. Pour les paumés, des poêles de toute marque consumaient un tout-venant de charbon gras, un peu goudronneux, qui imposait un ramonage bi-mensuel des tuyaux68.

43Le charbon s’achète majoritairement au détail, par sac de 50kilos ou par plus petites quantités, au seau, amenant à une fréquentation régulière du charbonnier, surnommé « bougnat » par l’argot populaire, qui est la plupart du temps aussi marchand de vin. Les commerces de « vin, bois et charbon » sont souvent détenus par des Auvergnats dans la capitale, stéréotype auquel correspond Guillaume Prunières, dont le domicile et les boutiques sont mis sous scellés69. Ce natif de Saint-Urcize, un village du plateau de l’Aubrac, tient un commerce au 195, rue du Faubourg-Saint-Martin. Il est à la fois marchand de vin en gros et de charbon, et dans sa « boutique de charbonnier » sont recensés : « Deux hectolitres de charbon de bois, une demie stère de bois, un lot de fagotin et vingt paquets de braise », tandis que le magasin au fond abrite le stock : « 16 sacs de charbons de bois de cinquante kilos chacun et 21 sacs de charbons de terre du même volume. » Le stock de ce commerce est peu important, autour de deux tonnes à peine, ce qui suggère une vente par petites quantités et un approvisionnement régulier. L’hiver venu, ces commerçants jouent un rôle central dans l’organisation économique des quartiers populaires et, « dès les premiers frimas, le bougnat devenait le fournisseur privilégié auprès de qui certains faisaient des bassesses pour obtenir une ouverture de crédit car l’hiver était long70 ». Comme les autres consommations populaires, le combustible est finalement pris dans le principe du crédit généralisé des petits commerçants à leurs clients.

Cuisiner

44L’alimentation est le premier poste de dépense des budgets populaires et cette consommation a focalisé l’attention des observateurs sociaux durant tout le xix^e siècle. La part de l’alimentation dans le total des dépenses est encore très importante à la fin du siècle : selon Michelle Perrot, elle absorbe 58 % des revenus des ouvriers parisiens dans les années1880 ; pour Maurice Halbwachs, elle varie entre 38 % et 51 % dans les années1910 pour les classes populaires allemandes71. La question de l’alimentation populaire dans la seconde moitié du xix^e siècle en France a été traitée de façon approfondie72, mais les scellés apportent un éclairage complémentaire sur l’existence d’un espace spécifique dans les logements populaires, sur l’activité culinaire, enfin sur la consommation des repas, à domicile ou à l’extérieur.

45La cuisine, en tant que pièce et en tant qu’activité, est un exemple typique de la multifonctionnalité des espaces. Les trois étapes de l’activité culinaire (rangement, préparation, cuisson) requièrent chacune un espace spécifique : « Ces trois dimensions de la cuisine en tant qu’activité peuvent être éclatées en des endroits différents de la même chambre, dans différentes pièces d’un même logement, ou au contraire se regrouper dans une pièce réservée à cet effet73. » L’activité de cuisson est la plus facilement repérable dans les scellés, car elle nécessite un foyer. Sur les onze fourneaux ou cuisinières qui équipent les logements populaires, cinq sont dans une cuisine et six dans des appartements composés d’une seule pièce, où la chambre est donc également le lieu de cuisson des aliments. Quatorze scellés mentionnent également des ustensiles de cuisine comme des casseroles, des marmites, des poêlons ou encore des passoires qui suggèrent la préparation et la cuisson des repas. L’activité de stockage (des denrées, des ustensiles de cuisine et de la vaisselle) est davantage disséminée dans les appartements. Dans la cuisine, on range en priorité les ustensiles de cuisine, la vaisselle étant très régulièrement exposée, ou simplement rangée, dans la salle à manger. La chambre à coucher et l’entrée peuvent être mises à contribution pour entreposer les couverts, les assiettes ou les casseroles. L’activité de préparation des repas n’est en revanche pas discernable dans les scellés. Puisqu’on cuisine le plus souvent à plusieurs endroits de l’appartement, que fait-on dans la cuisine lorsqu’elle existe ?

46Sur les 68 logements populaires décrits par les scellés en 1895, les juges de paix mentionnent 26 cuisines : un peu plus d’un tiers des appartements sont donc équipés d’une pièce ainsi dénommée. Selon Alain Faure, cette pièce « souvent très étroite –5 ou 6m² en général– jouait un rôle très important dans le logement. Pourtant on y faisait rarement la cuisine [et elle] servait essentiellement au rangement et au stockage, tout particulièrement des choses encombrantes ou sales –le linge usé, les ordures74 ». On retrouve bien cette fonction pour cinq cuisines dans lesquelles sont mentionnés par exemple des « vieux chiffons » ou « un lot de linge sale dans un panier ». Ces cas sont néanmoins rares et la fonction des cuisines est en fait plus diversifiée. Cette pièce sert en premier lieu à cuisiner, comme l’attestent les cinq fourneaux. Les habitants y mangent également comme l’indiquent dix tables, entourées de chaises et surtout de tabourets. Dans huit logements, on trouve également dans la cuisine des objets en rapport avec l’hygiène (serviette de toilette, bassin, broc ou bain de pieds…) suggérant que cette pièce peut aussi servir de cabinet de toilette.

47Les scellés restent muets quant aux pratiques alimentaires et à la description des denrées périssables75. Comme pour un archéologue, les objets sont ici des traces extrêmement parcellaires de gestes quotidiens qui se laissent à peine deviner. En outre, 23 dossiers se contentent de relever des « ustensiles de cuisine », sans autre détail, reflétant le peu de valeur économique de ces objets et le peu d’intérêt qu’accordent probablement les juges de paix –issus des milieux bourgeois– à ces pratiques supposées féminines et populaires. Pourtant, les ustensiles de cuisine sont retrouvés certes chez 22femmes, mais aussi chez 16hommes, et, parmi les célibataires, chez 8femmes pour 6hommes. Le patrimoine masculin peut être extrêmement rudimentaire, comme cet ouvrier boulanger qui possède seulement un moulin à café et une cafetière, ou modeste comme chez ce typographe célibataire de 72 ans, équipé de « plusieurs casseroles, plats et ustensiles de cuisine », ainsi que de vaisselle, de couverts et d’une fontaine à eau76. Jean Mourat, un jeune employé à la préfecture de Police de 28ans, montre un intérêt beaucoup plus marqué pour la cuisine et la réception de convives avec, dans son buffet, « quatorze assiettes, deux plats, un moulin à café, un filtre, une théière, un bol, deux verres, six cuillères et six fourchettes, trois poêlons, une passoire, une marmite, huit couteaux, quatre cuillères à café, trois tasses à café, six petits verres, un plateau et un carafon77 ».

48Certains objets de cuisine peuvent être reliés clairement à des pratiques alimentaires. Dans la seconde moitié du xix^e siècle, deux régimes alimentaires cohabitent dans les classes populaires françaises : le premier, de type rural, est fondé sur la soupe, le pain et l’absence totale de vin et de viande ; le second, dominant en ville, est constitué principalement de viande accompagnée de légumes, et la consommation de vin est quotidienne78. La consommation de viande est attestée de multiples façons dans les scellés, notamment par cinq rôtissoires, deux presses à viande et quatre services à découper, alors que la soupe n’est évoquée que par deux soupières et la mention d’assiettes creuses. L’alcool, en fûts ou en bouteilles, est systématiquement mentionné et les 106 dossiers de scellés totalisent environ 5 450litres, répartis comme suit : 29 % chez la haute bourgeoisie, 57 % chez la petite bourgeoisie et 14 % pour les classes populaires, où le vin rouge domine de manière écrasante. Comme pour le combustible, ces dernières n’ont pas d’espace de stockage et pas assez de fonds pour avancer l’argent nécessaire à l’achat en gros. Le très grand nombre de bouteilles vides dans les intérieurs suggère une consommation au détail, à l’opposé des recommandations des réformateurs sociaux qui plébiscitent l’achat de vin en gros, plus économique. En effet, « jamais la consommation de vin à domicile n’est désapprouvée par […] les réformateurs [qui] perçoivent le vin et la bière comme des boissons “hygiéniques”, dont ils souhaitent encourager la consommation à domicile79 ». C’est uniquement la consommation de vin hors de ce contexte, au cabaret ou au débit de boisson, qui est vigoureusement dénoncée. Autre habitude probablement contractée à l’extérieur, mais importée dans les intérieurs populaires : boire du café. Treize logements sont équipés d’ustensiles qui suggèrent cette consommation (moulins à café, cafetières ou service à café). Plus étonnant, sept intérieurs sont équipés pour préparer le thé, une boisson généralement associée à la bourgeoisie.

Le risque d’incendie

49Qu’il soit utilisé pour se chauffer, pour cuisiner ou pour s’éclairer, le feu brûle dans les appartements et le risque d’incendie reste à la fin du xix^e siècle très présent en ville. En 1897, les pertes causées par les incendies en France sont évaluées à 60millions de francs par an80. Un dossier de scellés donne un exemple très concret de ce risque : Gabriel Joray, un fabricant d’articles pour pianos de 71ans, revient voir le juge de paix pour signaler que les scellés posés à son domicile sont endommagés. Il déclare :

Que le 17 [décembre], au moment de son dîner vers huit heures, il fit faire du feu dans sa chambre à coucher et en rentrant dans cette chambre vers neuf heures et demie pour se coucher, il s’aperçut que le feu était dans la dite chambre. Que probablement une étincelle a été projetée par une cause quelconque sur la malle qui se trouvait près de la cheminée et qui avait été placée là pour garantir les scellés mis par [le juge de paix] sur le vantail du coffre-fort et a enflammé ladite malle81.

50L’incendie a ici été arrêté à temps par Gabriel Joray, mais on voit bien que la menace plane au quotidien, particulièrement en hiver.

51Pour couvrir les risques, trois recours sont possibles, « l’État et le marché […], mais aussi la famille » qui a longtemps été « le principal pourvoyeur de sécurité82 ». Le xix^e siècle constitue un point de bascule dans cette répartition, puisque émergent des compagnies d’assurances dédiées à la couverture des risques, qui font entrer dans la sphère du marché ce qui restait largement du domaine de la solidarité locale ou familiale. L’assurance-incendie est la forme d’assurance la plus ancienne, après l’assurance maritime83. Les compagnies dominantes portent des noms à la fois triomphants et évocateurs, comme Le Phénix (fondée en 1819), Le Soleil (fondée en 1829) ou encore L’Aigle (fondée en 1843). Jusqu’aux années1840, ces sociétés assurent seulement des professionnels, surtout des commerçants dont elles protègent le stock. Dans la seconde moitié du siècle, elles s’adressent de plus en plus aux particuliers, et en premier lieu aux bourgeois qui cherchent à se prémunir du feu par tous les moyens possibles et qui équipent à la même époque leur logement de détecteurs d’incendie84. Puis, à la fin du siècle, les compagnies d’assurances se tournent vers les classes populaires, particulièrement à Paris85.

52Trois polices d’assurance contre l’incendie apparaissent dans les scellés. Gustave Girard, un cocher de fiacre de 33ans et sa femme, un jeune couple marié depuis peu et installé dans un intérieur tout en acajou, ont par exemple « assuré leur mobilier moyennant une prime de 5,45 francs à la Compagnie L’Aigle, rue de Châteaudun, n^o4486 ». La prime, c’est-à-dire la somme payée pour souscrire le contrat, est peu importante, et le montant de l’assurance perçu en cas de sinistre était probablement peu élevé. La souscription d’une assurance-incendie peut venir d’un attachement plus grand des locataires à leurs meubles du fait de leur valeur. Il faut aussi la relier à une campagne agressive des compagnies d’assurances en direction des classes populaires, avec la complicité des marchands de meubles, comme le montre l’association des Grands Magasins Dufayel avec la compagnie La Paternelle, une succursale du Crédit lyonnais en 1904. Ce partenariat est présenté de la sorte dans les brochures publicitaires :

L’administration Dufayel, de même qu’elle met les avantages du crédit à la disposition de toutes les classes de la société, sans faire payer ni frais, ni intérêts, offre à tous, dans les mêmes conditions la facilité de s’assurer par abonnement contre l’incendie87.

53Le paiement de la prime d’assurance peut être fractionné, ce qui permet « à la ménagère au lieu de débourser d’un coup 20 francs [de payer] chaque mois 50centimes88 ». Dans les colonnes de La Bataille syndicaliste, le quotidien de la CGT, un journaliste dénonce vigoureusement ces méthodes de vente :

M. Dufayel pouvait ouvrir aux Compagnies d’assurances une clientèle ouvrière qu’elles ne touchaient pas encore. [Il] sert de rabatteur à ces hauts et puissants seigneurs. […] Et avec quel zèle il s’occupe de cette tâche ! Chaque fois qu’un client manifeste le désir d’acheter des meubles, l’employé lui demande : « Êtes-vous assuré contre l’incendie ? » Si le brave homme répond non, aussitôt on le presse, on l’objurgue, au besoin on lui fait entendre que sans cette formalité on ne peut lui délivrer de bon de crédit. « Car vous comprenez, c’est une garantie pour M. Dufayel, au cas où les meubles que vous avez achetez à crédit seraient brûlés avant que vous en ayez acquitté le prix ». L’acheteur impressionné, se laisse faire : dans le carnet d’abonnement, on glisse le petit cahier rouge de la Paternelle89.

54Cet extrait décrit bien comment les vendeurs forcent la main aux acheteurs, en jouant à la fois de persuasion et de menace voilée, car la clientèle populaire, pauvre mais nombreuse, est un enjeu économique important. Il est très difficile d’évaluer l’ampleur de ce marché, mais selon le même article, Dufayel aurait touché des sommes très importantes pour le compte de La Paternelle, 867 851 francs en 1904-1905 et 950 000 francs en 1905-1906.

55Loin de l’exclusion domiciliaire, les membres de notre corpus ne sont pas « sans feu, ni lieu » et bénéficient tous d’un foyer, au double sens du terme d’habitation et d’espace chauffé. Le feu qui brûle dans les appartements, dans une cheminée, un poêle ou un fourneau, alimenté au charbon, sert la plupart du temps à la fois à chauffer le domicile et à faire cuire ou réchauffer des aliments. La cuisine est de plus en plus un espace séparé du reste du logement ou elle est en tout cas « un désir premier90 ». La consommation des repas est le plus souvent possible à domicile, mais les scellés ne disent pas la fréquence des repas à l’extérieur, qui préoccupent tant les réformateurs sociaux. Enfin, ce feu nécessaire à la vie et au confort contient également une menace, celle de son débordement incontrôlé et de sa force destructrice. C’est en jouant sur cette peur immémoriale de l’incendie que les assurances, avec le concours zélé des marchands de meubles, touchent la clientèle populaire. Mais si les acheteurs consentent à assurer leurs meubles, l’assurance-vie ne les touche pas encore, l’effort d’épargne et de projection dans le futur demandé reste trop important91. Cependant, l’expansion d’autres catégories de dépenses montre bien que l’attention à la vie, au corps et à la santé est très importante.

Croyances populaires et consommation des remèdes

57Olivier Faure décrit la croissance continue de l’offre de produits pharmaceutiques tout au long du xix^e siècle qui aboutit, dans les années1900, à une consommation moyenne de 5 francs par personne et par an en France, avec des disparités régionales très importantes, puisqu’on dépense 16 francs à Paris contre 2,50 francs dans les campagnes92. Et encore ne s’agit-il là que des médicaments reconnus par les médecins et prescrits dans le cadre d’une visite. Plus importante encore est probablement la part de l’automédication, administrée en vertu d’une médecine populaire, méprisée par la médecine rationnelle, dans un « contexte de lutte pour le pouvoir et pour le contrôle du savoir93 » médical. La consommation massive et le succès économique de toutes sortes de remèdes, pilules, eaux et sirops invitent à reconsidérer ces achats pour mesurer leur très grande adaptation aux attentes des classes populaires :

Ce succès populaire ne résulte pas seulement de l’inculture, de la naïveté et du goût du merveilleux. Tous ensemble, ces remèdes couvrent et décrivent tous les maux auxquels les gens du peuple sont les plus sensibles. Spécialisés, ces remèdes flattent la tendance populaire à faire correspondre un remède à chaque maladie ; universels, ils font miroiter l’attrait de l’économie94.

58Leurs promoteurs, souvent eux-mêmes issus du peuple, l’ont très bien compris et ils développent leurs points de vente loin du dédain des autorités scientifiques. Ces industriels sont parmi les premiers à recourir de manière massive à la publicité sous toutes ses formes : ils inondent les murs d’affiches, les journaux d’annonces et les rues de tracts et de brochures, dont un échantillon a été conservé dans le fonds Lazard aux Archives de Paris95. À l’examen de ces publicités, il apparaît qu’un certain nombre de remèdes repose clairement sur des conceptions populaires du corps et de la maladie ayant cours au même moment dans l’espace rural, où le recours à l’herboristerie, à la médecine des simples, aux guérisseurs et aux thérapeutiques traditionnelles est encore très courant96. Des évolutions et des déplacements symboliques propres au contexte urbain sont toutefois discernables.

59Un premier ensemble de publicité du fonds Lazard concerne des produits qui sont les héritiers directs des « remèdes secrets », inventés et encadrés depuis l’Ancien Régime97. Cette dénomination regroupe originellement les remèdes découverts par des individus qui se réservent le profit de l’exploitation en gardant leur formule secrète. Elle en vient à désigner un ensemble de produits destinés à l’automédication pour résoudre les affections les plus courantes. En 1898, un tract vante par exemple « l’Iodotanhia granulé » qui est « le remède idéal contre l’anémie, le meilleur fortifiant dans les maladies de croissance et le plus puissant reconstituant des convalescents », pour 3 francs le flacon. La tisane Pristina, quant à elle, « débarrasse l’intestin des toxines et des déchets et favorise l’écoulement de la bile ». Le principe de l’action, stimuler ou purger, correspond bien à la vision populaire de la médecine, qui « héritière de l’antique médecine officielle […] conserve la hantise du vice du sang98 ». Dans cette conception, « la santé consiste en un état d’équilibre instable, toujours à recommencer, d’une part à l’intérieur même du corps, et d’autre part entre cet intérieur et son environnement extérieur […], un corps empli de liquides sans cesse en mouvement » et dont on craint l’engorgement99. C’est au nom de cette circulation rétablie que ces remèdes se vantent de soigner un spectre très large de maladies telles que « la scrofule, le goitre, le rachitisme, les engorgements ganglionnaires, les palpitations, les bronchites, les grippes, les bronchites chroniques, etc. ». Le fait que les vendeurs les présentent comme des panacées a beaucoup contribué au discrédit jeté sur ces médicaments, mais leur succès atteste le fait que ces maladies peuvent relever pour les acheteurs d’une racine commune, une vision niée par la médecine pastorienne, rationnelle et scientifique.

60Un deuxième ensemble de tracts est consacré à la promotion de traitements miracles contre les « maladies de l’amour », « maladies secrètes » et autres « maladies des voies urinaires », autant de métaphores désignant les maladies vénériennes. Comme le précise Olivier Faure pour la première moitié du xix^e siècle, « les remèdes secrets reconnus ou non s’adressent en priorité aux affections rebelles et effrayantes devant lesquelles la médecine officielle avoue son incapacité […]. Parmi ceux qui sont vendus, les plus célèbres combattent les maladies vénériennes100 ». Quelques évolutions sont cependant à noter. Ces brochures vantent parfois un remède tenu secret ou désigné sous un nom énigmatique (comme « 606 et 914 Erlich » ou le « néo-salvaran »), mais elles prônent le plus souvent le recours à des techniques ayant tous les aspects linguistiques de la modernité (« procédés et méthodes scientifiques », « électricité », « électrolyse », « installation perfectionnée »). Si le rôle fondamental du secret et la promesse de la guérison miraculeuse sont toujours là, la magie s’est déplacée des substances vers les techniques les plus modernes, sans rien perdre de sa force symbolique. L’importance du cadre participe de la guérison : ces brochures ne vantent pas simplement des remèdes mais font la promotion de véritables « instituts » ou « cliniques privées ». Ces titres respectables et rassurants ont pour but de contrebalancer leur localisation géographique sulfureuse : ces cliniques sont toutes sises à Montmartre, à Pigalle et dans le XVIII^e arrondissement, hauts lieux de la prostitution de rue et des maisons closes les moins chères. L’une de ces brochures précise d’ailleurs explicitement que la clientèle visée est d’origine populaire lorsqu’elle dénonce en termes quasi marxistes le charlatanisme de ses concurrents : « En y allant, les malades sont assurés d’une guérison rapide et peu coûteuse. Il est honteux d’exploiter l’ouvrier, l’employé en leur demandant par exemple 120, 150 et 200 francs pour opérer un rétrécissement par électrolyse. L’institut Milton réprouve cette exploitation. » Dans le domaine de la santé sexuelle, l’autre grande peur est la grossesse non désirée qui nourrit également un marché de la crédulité, à travers pilules et sirops. Les scellés après décès offrent ici un complément intéressant car ils témoignent de la diffusion de pratiques contraceptives ou abortives dans les classes populaires parisiennes. On y trouve en effet neuf appareils nommés « clyso » ou « irrigateur », instrument breveté en 1852 qui sert officiellement à « soigner les maladies de la matrice » et à s’administrer des lavements101. En réalité, ces appareils sont utilisés par les femmes pour prévenir la grossesse ou éliminer un embryon, car la sonde longue et fine permet d’atteindre le col utérin et d’y réaliser des injections. Ces « clyso-pompes » se diffusent massivement dans les années1880 et 1890 et les catalogues de vente des magasins de crédit continuent à le proposer jusqu’à la Première Guerre mondiale102.

61Enfin, un dernier ensemble de publicités du fonds Lazard porte sur les soins dentaires et développe un discours de la modernité et de la scientificité. La profession de dentiste, en voie de constitution, cherche à se légitimer et donc à se rapprocher du corps médical (médecins et pharmaciens). Pour y parvenir, les praticiens doivent se distinguer de leurs encombrants prédécesseurs, les arracheurs de dents, plus proches de la tradition foraine du bonimenteur que de la science. Deux arguments récurrents reviennent dans les prospectus des « cliniques dentaires ». Tout d’abord, le soin est réputé sans souf France, grâce à divers produits anesthésiants, comme ce cabinet de la porte Saint-Denis qui se vante d’utiliser « une merveilleuse découverte, extractions sans piqûres, sans endormir, par le Dermnol, sans la moindre douleur, nombreuses attestations ». Il s’agit bien sûr de se distinguer de l’arracheur de dents et de son image de bourreau, distrayant les malades et criant pour couvrir leurs hurlements de douleur. Le deuxième argument repose sur la mobilisation du « modèle américain » devenu, en ce début du xx^e siècle, parfaitement synonyme de modernité. Les dentistes proposent donc des « dents américaines, à l’aspect de dents naturelles », des « prothèses américaines dentaires », ou le « bridge work idéal en art dentaire », traduit par un énigmatique « travaux à pont » ! Le fait que ces divers cabinets s’adressent à une clientèle populaire est attesté par la mention systématique du crédit, et le Grand Cabinet dentaire principal, sis au 2, boulevard Bonne-Nouvelle, précise même que « la maison accepte les bons Dufayel ou le paiement à raison de 10 francs par mois ».

62Prise dans son ensemble, cette riche thérapeutique permet de voir le déplacement de la dimension rituelle et religieuse. À la campagne, ce rôle reste majoritairement exercé par des religieux ou par des guérisseurs qui revendiquent une forme de sacralité103. En ville, cette dimension existe probablement mais les sources ne permettent pas de la saisir pleinement. La science vient incarner une autre forme de croyance magique dans le progrès, qui peut tout guérir, notamment grâce aux innombrables thérapeutiques à base d’électricité. Enfin, un petit nombre de publicités pour des voyantes, somnambules et autres guérisseuses, dont la consultation ne coûte qu’un franc, suggère à la fois la diffusion populaire des pratiques spirites de la bourgeoisie et le réinvestissement de l’imaginaire des bohémiens et des diseuses de bonne aventure104. Au-delà de la question des croyances, cette automédication est également le fruit d’un calcul économique rationnel, car le recours aux professionnels de la santé est une dépense très importante.

Le prix des soins

63Albert Simonin, né en 1905 dans le quartier de la Chapelle, commence ainsi son récit autobiographique :

Je suis venu au monde à crédit. Mon père, qui traquait l’outsider sur les hippodromes de la région parisienne, devait mettre deux années, thune après thune, à honorer M^me Weber, la sage-femme qui venait de délivrer ma brave maman. Il ne s’agissait pourtant que de cinquante francs105 !

64Le coût des soins médicaux classiques est bien l’obstacle essentiel qui pousse les classes populaires à ne s’y résoudre qu’en cas d’extrême nécessité. La maladie, et plus encore la mort, sont une épreuve morale mais aussi financière dont le poids pèse essentiellement sur l’entourage, malgré des systèmes de prise en charge mutualiste et étatique.

65La médicalisation des classes populaires s’améliore à la fin du xix^e siècle, particulièrement en ville et notamment dans la capitale, où l’offre de soins est importante106. Les scellés et les procès pour dettes permettent de retracer la fréquence de ce recours aux soins, grâce à l’identification de divers acteurs du système de santé. La naissance a lieu dans la majorité des cas gratuitement à l’hôpital ou avec l’aide de sages-femmes payées par les bureaux de bienfaisance107. Certains ménages populaires ont pourtant recours à une praticienne libérale payée pour son travail. En mars 1893, dans le XV^e arrondissement, Mme Riffard, une sage-femme épouse d’un commissionnaire en vin, réclame 30 francs à M. et Mme Collas, un ménage vivant dans la populaire rue de la Croix-Nivert, « pour solde d’honoraires d’accouchement », la somme totale restant inconnue. La parturiente a eu recours à une sage-femme du voisinage, puisque celle-ci vit à environ 300mètres de sa débitrice108. Les scellés, qui sont en grande majorité établis après un décès, mettent surtout en avant le rôle des médecins. Cinq scellés mentionnent ainsi explicitement des dettes pour « visites et soins », avec le nom des médecins créditeurs. Les montants s’échelonnent de 12 à 50 francs, pour des praticiens souvent venus en voisins. Le docteur Péan, domicilié avenue de la République, soigne ainsi Marie Viel, une marchande de journaux vivant quai de Valmy, à environ 500mètres de son cabinet, pour un montant de 50 francs109. Le prix d’une visite n’est pas toujours calculable mais le médecin qui soigne Gustave Girard, le cocher de fiacre de 33ans, semble particulièrement accessible puisque ses quatre visites ne coûtent que 12 francs à son épouse, soit 3 francs par passage110. Un autre acteur du monde médical qui apparaît à la fois dans les scellés et dans les procès pour dettes est le pharmacien, dont le rôle est décisif, car « le médicament n’est pas le simple complément de l’intervention médicale, mais bien le cœur de l’acte thérapeutique111 ». Marie Viel doit ainsi 9,40 francs pour frais de médicaments. En 1903, c’est pour une somme beaucoup plus importante que M. Beaujoint, pharmacien rue de Vaugirard dans le XV^e arrondissement, demande réparation : M. Derbier, un graveur sur bois, domicilié 19, boulevard Pasteur, lui doit 155,40 francs, dont 62 francs sont attestés par des billets à ordre. Là encore, il s’agit d’une dette entre voisins, les deux hommes résidant à moins de 200mètres112.

66Les scellés font enfin surgir un ensemble de soignants et de soignantes qui n’appartiennent pas au corps médical, mais qui réclament paiement pour des « soins donnés ». Une blanchisseuse, résidant dans le même immeuble que Pierre Langellier, ancien cocher, lui réclame 6,65 francs, décomposés en 1,65 franc pour blanchissage et 5 francs pour soins donnés113. Des membres de la famille ou de l’entourage professionnel peuvent également demander une contrepartie financière pour les soins prodigués : la tante de Jean Soulard estime à 35 francs son rôle de garde-malade et les soins donnés à son neveu, un employé retraité114. Enfin, trois femmes dont les fonctions ou les liens aux défuntes ne sont pas précisés exigent respectivement 17 et 19 francs pour avoir soigné Thérèse Weiss, sans profession, et 190 francs pour Marguerite Morel, une ouvrière fleuriste115. À l’exception d’un homme, toutes ces soignantes informelles sont des femmes. Les actes réels que recouvre cette activité désignée comme « soin » sont flous : garde-malade ou plus simplement achat de médicaments, il s’agit probablement de la comptabilité à la fois d’un temps de présence et de sommes avancées116. Ces sommes peuvent également recouvrir des pratiques de guérison occasionnelles, comme des prières, des recours à l’herboristerie ou à la guérison magique. Il y a en tout cas une conscience de la valeur marchande des soins accordés sans titre officiel et une possibilité d’en réclamer le paiement.

67Les frais médicaux peuvent atteindre des sommes importantes, il est par exemple réclamé 91,15 francs à la succession de Françoise André, concierge, pour frais de médecine, blanchissage et soins117. Les monographies familiales Le Playsiennes confirment ce coût important de la maladie : la fille d’un monteur en bronze atteinte de phtisie « a eu à traverser les crises les plus pénibles et les plus dangereuses de sa maladie et a absorbé en remèdes et en soins du médecin 500 francs placés à la Caisse d’épargne, qui représentaient les économies de plusieurs années118 ». Or, face à ces dépenses, les sociétés de secours mutuels et l’Assistance publique demeurent insuffisantes. La loi du 15juillet 1893 garantit l’assistance médicale gratuite, en assurant aux indigents les soins médicaux et pharmaceutiques, à l’hôpital ou à domicile, mais le statut d’indigent, accordé selon des critères qui varient en fonction des communes, est minoritaire119. À Paris, selon une enquête de l’Assistance publique, en 1897, seul 1,98 % de la population parisienne bénéficie de ce statut120. Les classes populaires parisiennes étudiées ici n’appartiennent donc que minoritairement au monde de l’indigence. La plupart jouissent d’un logement, d’un métier et ne peuvent prétendre à la gratuité des soins proposée par la loi de 1893, d’autant que les médecins veulent préserver leur clientèle payante et « veillent scrupuleusement à ce que les listes de privés de ressources ne soient pas indûment étendues à des malades capables de payer121 ». Les sociétés de secours mutuels, malgré un essor dans la seconde moitié du xix^e siècle, sont plutôt l’apanage des ruraux et des employés, et « la mutualité reste un mode de couverture sociale minoritaire ne s’adressant qu’à moins de 1 % de la population au milieu du siècle, 2,5 % aux débuts de la Troisième République, 5 % au début de notre siècle122 ». Le prix de la maladie peut alors rapidement devenir exorbitant en fonction de la durée des troubles et du nombre de visites, un poids financier auquel peut s’ajouter le coût du décès.

Mort à crédit

68Lorsqu’il écrit Mort à crédit, Louis-Ferdinand Céline, médecin des pauvres, qui en savait long sur l’endettement que provoque la maladie, condense dans son titre en une formule limpide le poids économique du décès dans les classes populaires123. La mort est le motif principal de l’apposition de scellés, puisque 99 dossiers sur 106 sont des scellés ou des descriptions « après décès ». Sur les 19 personnes décédées à l’hôpital, 18 sont membres des classes populaires : le fait de recourir à cette institution et encore plus d’y mourir marque toujours une frontière sociale, en raison de son image encore très négative124. Parmi les établissements les plus cités dans les scellés, on trouve l’hôpital Broussais où meurent cinq habitants du XIV^e arrondissement et Lariboisière où décèdent cinq locataires du X^e arrondissement. Ce dernier est à la fin du xix^e siècle un hôpital populaire soignant les travailleurs et, depuis 1887, il est équipé d’un pavillon consacré aux consultations gratuites125.

69Parmi les 64 membres des classes populaires décédés, 18 sont endettés pour des frais directement liés à leur décès, qu’il s’agisse de dépenses occasionnées par la maladie fatale et surtout par l’enterrement126. En effet, 13 dossiers mentionnent des réclamations pour « frais funéraires », dont 6 concernent des montants compris entre 100 et 200 francs (alors que les frais médicaux plafonnent pour les plus élevés autour de 60 francs). La mort en elle-même coûte donc cher, car elle engage la communauté à un certain nombre de dépenses incompressibles : payer le cercueil et la tombe, prévenir les proches, au besoin par courrier, financer le convoi, la cérémonie, puis le rassemblement autour d’un verre ou d’un repas. Lors du décès d’Eugène Gastellier, un commis en épicerie célibataire âgé de 75ans, son neveu, coiffeur, débourse « 23,10 francs aux pompes funèbres pour le convoi, 50,25 francs pour la concession au cimetière de Bagneux, 15,11 francs à l’église pour le service religieux et 10,11 francs à la mairie du XIV^e arrondissement pour la taxe municipale », soit une somme de 98,57 francs127. Les dettes mentionnent presque toujours l’appel à une entreprise de pompes funèbres, attestant l’installation d’un marché funéraire. Ce phénomène est précoce à Paris où il apparaît dès le début du xix^e siècle, alors qu’en province ce sont la famille et les voisins qui continuent à prendre en charge le convoi funéraire et l’enterrement, ces rites de passage traditionnels128. Enfin deux concierges d’immeuble réclament respectivement 20 francs pour « courses et dérangements à l’occasion d’un décès » et 30 francs pour « nombreuses courses et démarches à l’occasion du décès », sans que l’on sache ce que ces mentions recouvrent exactement.

70Le montant de ces frais n’est pas forcément proportionnel au statut social et économique des défunts. Certains ouvriers et ouvrières ont des funérailles onéreuses : l’enterrement de Flore Boitel, une tapissière de 58ans, coûte 175 francs, celui d’Eugénie Noël, une brodeuse de 59ans, s’élève à 200 francs, tandis que François Brun, cordonnier âgé de 80ans, est enterré pour un montant de 195 francs129. Ces mentions sont d’autant plus remarquables que tous trois sont veufs et sans enfant, et que ces frais ne sont donc pas avancés par leur famille nucléaire. Qui paie alors pour ces dépenses ? La famille éloignée (un neveu coiffeur, une tante et le tuteur du petit-fils) contribue parfois. Trois concierges font également des avances. Enfin, cela peut être des individus sans lien de parenté apparent avec le défunt. Pour Marie Viel, une marchande de journaux, c’est une femme exerçant la même profession qui a avancé la modeste somme de 16 francs130, tandis que pour François Brun, c’est un dénommé Henri Cohin, gardien à l’Exposition des colonies qui acquitte une somme considérable.

71En plus du coût de l’enterrement proprement dit, la mort d’un proche pèse également sur les survivants par l’obligation sociale qui leur est faite d’observer le deuil et de signifier, par des vêtements de couleur sombre, la perte d’un membre de la famille. Les scellés attestent la persistance de cette pratique par la mention par exemple d’un « voile en crêpe ». Albert Simonin décrit bien la mise en péril des ressources familiales lors du décès de son frère tué en 1915 :

Chez les pauvres en ce temps-là, le deuil se portait laid et coûtait cher. Renouveler une garde-robe, si élémentaire fut-elle, posait un rude problème de financement. Même le « deuil en 24heures », proposé alors par toutes les teintureries, devenait pour les familles nombreuses absolument ruineux. Mes parents y eurent cependant recours, en partie pour ceux de nos vêtements assez solides pour supporter l’épreuve de la teinture. En ce qui concerne le remplacement des hardes par trop usagées pour être teintes, une fois de plus, le crédit des grands magasins Dufayel sauva la mise à mes parents, permettant à nouveau un endettement d’une centaine de francs, douloureux à éponger131.

72La mort, outre le coût psychique, grève le budget populaire. Ce poids retombe sur les vivants et vient fragiliser l’équilibre toujours précaire des recettes et des dépenses. La capacité à épargner et à organiser son enterrement marque finalement une frontière de classe. On peut citer le contre-exemple de François Mély-Janin, colonel de cavalerie en retraite et commandeur de la Légion d’honneur qui laisse un testament, dans lequel il précise qu’il « souhaite un enterrement simple, sans les honneurs militaires » et qu’il réserve sur sa succession une somme, non précisée, dévolue au paiement des frais132.

73La maladie et la mort sont donc l’occasion de dépenses importantes, imprévisibles et souvent imprévues. Leur omniprésence dans la société urbaine de la fin du xix^e siècle, et particulièrement dans les classes populaires, provoque des angoisses qui réactivent aussi des croyances et des savoirs populaires. Cet important marché est investi par un ensemble d’acteurs économiques qui créent les conditions de l’expansion de l’industrie pharmaceutique. La dénonciation extrêmement violente du « charlatanisme » dans les discours des médecins officiels ne peut en réalité être comprise qu’à la lumière d’un double mépris : mépris pour les pratiques populaires et la naïveté supposée des acheteurs ; dénonciation de la logique marchande des producteurs de remèdes et de soins. Mais c’est oublier un peu vite qu’à la Belle Époque c’est la totalité des soins du corps, de la prise en charge de la maladie et de ses suites, qui se trouve peu à peu marchandisée, par la constitution de deux marchés : celui de la mort et celui du médicament. Dans cette première phase de croissance de la consommation de soins au sens large, la prise en charge des dépenses par l’État est très minoritaire, si bien que les classes populaires y consacrent une part croissante de leurs revenus, avec un recours fréquent au crédit.

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74Les budgets familiaux ont imposé pour longtemps une définition de la consommation uniquement comme un ensemble de dépenses à organiser en catégories pour discerner un motif général qui révélerait la moralité des individus ou bien leur intégration à la société englobante. L’exploration des scellés après décès permet de redonner de la chair à ces lignes budgétaires : en partant des objets possédés et de l’organisation de l’espace habité, on peut partiellement reconstituer des pratiques de consommation, qui s’articulent autour de trois points essentiels. Le premier est l’importance du logement pour les classes populaires, qui est à la fois un espace de repli et un critère de classement : vivre en garni ou payer moins de 600 francs de loyer par an sont les indices d’une position sociale. Les scellés après décès mettent également au jour les liens de crédit qui appellent un règlement : les propriétaires, les voisins, les médecins ou les petits commerçants du quartier viennent réclamer leur dû, dévoilant l’ensemble des rapports sociaux qui enserrent la consommation populaire. Ces dettes montrent également comment dans les classes populaires urbaines un ensemble de domaines qui relevaient des solidarités traditionnelles, de la gratuité ou du rite de passage basculent peu à peu dans la sphère du marché. Les loisirs, les assurances contre l’incendie, les frais qui entourent la mort, l’industrie pharmaceutique ou encore les soins au sens large sont des dépenses qui augmentent au fur et à mesure de la hausse des salaires des classes populaires parisiennes les plus stables.

75En partant de l’habitat, se dévoile finalement l’articulation du dedans et du dehors, du privé du logement avec l’espace public de l’immeuble, de la rue et plus largement de la ville. La richesse de la description des scellés va bien au-delà, puisqu’elle donne accès à la totalité des possessions d’un individu ou d’un ménage à un moment donné. Cette source permet donc de passer d’une interrogation sur les dépenses, qui sont des flux monétaires, à une analyse du stock d’objets patiemment constitué au cours d’une existence. Les objets ne sont plus ici pris comme les indices d’une activité et in fine d’une dépense et d’un niveau de vie, mais comme participant à un système de signes qui sert à établir une position sociale et des stratégies de distinction.