Introduction
p. 15 - 36
Texte intégral
Quand la morale fait écran
1En 1899, les docteurs Dumesnil et Mangenot écrivent, à propos de ceux qu’ils considèrent comme des « ménages aisés » parmi les classes populaires du quartier de la pointe d’Ivry dans le XIIIe arrondissement de Paris :
Beaucoup manquent de prévoyance. Au lieu de placer leurs économies à la Caisse d’épargne, ils les emploient trop souvent à augmenter le luxe de leur logement, ce qui n’est pas un mal, mais aussi celui de leur toilette. Les hommes achètent des montres en or et les femmes des chapeaux à plumes, des bijoux souvent ornés de diamants et autres pierres précieuses d’une certaine valeur qui ne rapportent pas d’intérêt mais flattent leur vanité et leur désir de paraître. C’est un travers malheureusement fréquent1.
2Cette citation est parfaitement représentative, sans être caricaturale, de l’opinion des élites conservatrices comme progressistes sur la consommation populaire à la Belle Époque : il s’agit d’une question avant tout morale, lue à travers le prisme du bien, du mal – et du moindre mal. Les possessions des classes populaires sont dans cette perspective toujours l’indice d’un problème. Trop peu nombreuses ? Elles illustrent la misère de ce groupe social et déclenchent la commisération des auteurs. Trop abondantes ? Les pauvres font montre d’un goût du luxe inconsidéré et sont donc coupables de leur déchéance future. En regard de cette situation forcément désastreuse, les observateurs élaborent des solutions – la coopération, la charité, la moralisation – devant aboutir à une société idéale, où les ouvriers et les employés se comporteraient raisonnablement, selon les vœux des réformateurs pour que la « question sociale » soit – enfin – résolue.
3Cette lecture morale de la consommation populaire est d’une étonnante pérennité, à la fois dans les sources et dans les analyses des sciences sociales, et finit par constituer un écran qui occulte la complexité de ce phénomène. Avant de commencer l’analyse, l’historienne – et le lecteur ou la lectrice avec elle – doit se déprendre des « préjugés communs2 », comme disait Marc Bloch et qui, dans ce cas, sont doubles. Tout d’abord, dans les sciences sociales du xxe siècle, la consommation a longtemps été prise entre deux feux : « La vision idéalisée et atomiciste du consommateur rationnel proposée par l’économie d’une part, la conception nihiliste et critique exprimée par la dénonciation philosophique, d’autre part3. » La consommation comprise comme une entité transcendante et aliénante est la lecture la plus prégnante en France, où elle a été diffusée par des auteurs critiques, appartenant à diverses mouvances de la gauche : Henri Lefebvre, Guy Debord, Michel de Certeau et surtout Jean Baudrillard, dont l’ouvrage La société de consommation a fortement contribué à populariser ce thème4. Le discours de célébration est, lui, plus fréquent chez les auteurs américains, pays qui a historiquement construit un rapport plus positif à la sphère du marché et qui voit la consommation comme une action que les individus peuvent mettre au service d’autres fins, sociales ou politiques5. Cette ambiguïté entre célébration et dénonciation est d’ailleurs présente dans l’étymologie même du verbe français « consommer », qui est le résultat d’une longue confusion entre deux racines latines distinctes : consummare, qui signifie « faire le total de, accomplir, mener à son terme », et consumere, qui veut dire « utiliser entièrement, détruire6 ». L’étude des classes populaires est, d’autre part, également prise en tenaille entre deux postures morales : le misérabilisme consiste à décrire la culture populaire comme totalement dominée, sans existence propre, une position qui peut aller jusqu’au mépris intellectuel, tandis que le populisme naïf idéalise l’univers culturel du peuple auquel le chercheur attribue des propriétés intrinsèques (par exemple la modestie ou la capacité d’indignation et de révolte)7.
4Les discours sur la consommation des classes populaires échappent très difficilement à ces deux grilles de lecture morale. Si la consommation est vue comme une aliénation, le peuple apparaît alors soit comme faible, manipulé par la publicité et les grands magasins, soit, dans une vision populiste, comme un groupe qui résiste à l’entrée dans la consommation, et incarne un modèle alternatif. Si la consommation est prise comme un phénomène positif, alors elle est perçue comme un vecteur d’intégration des classes populaires à la société, quand les exclus seraient caractérisés par la privation, l’envie et la misère.
5Ces positions se reconfigurent à chaque époque d’élargissement de l’accès aux biens, en fonction du contexte économique, social et politique. La querelle du luxe au xviiie siècle en est un premier exemple8. Le développement de la consommation populaire dans la deuxième moitié du xixe siècle et au début du xxe siècle provoque également un renouvellement des interrogations morales, qui se structurent peu à peu en trois courants majoritaires9. Cette réflexion mobilise d’abord deux groupes, les catholiques et le mouvement ouvrier, pour qui les questions posées par la consommation peuvent s’adosser à un système de valeurs cohérent et clairement formulé. Les catholiques s’expriment tout au long du xixe siècle sur la question de la consommation morale dans un nombre important d’écrits, qui évoquent l’ouverture des magasins le dimanche, les conditions de vie des couturières ou la constitution de budgets de famille. Les militants catholiques de la Ligue sociale d’acheteurs sont par exemple le fer de lance des conceptions du fair trade en France, avec un engagement qui porte non pas sur les droits, mais sur les devoirs du consommateur, et particulièrement de la consommatrice10. Dans la perspective catholique, la consommation est la plupart du temps envisagée comme une tentation pour les classes populaires, elle menace l’équilibre de leur budget et risque de les plonger dans le vice, la prostitution ou l’alcoolisme. Les exclus de la consommation sont souvent célébrés, à demi - mot, car ils viennent incarner l’idéal de pauvreté et de renoncement ascétique chrétien.
6Une autre morale, séculière celle - là, d’inspiration socialiste ou anarchiste, critique également vivement la consommation. Le premier argument, d’ordre économique, vient du marxisme. Le système capitaliste, en recherchant la production de davantage de biens à moindre coût, repose sur l’exploitation des travailleurs et pressure leurs salaires. La consommation de masse est ici condamnée, au motif qu’elle dégrade les conditions de travail des ouvriers, rejoignant sur ce point les conclusions du fair trade. Le second argument, plus politique, se trouve déjà à la fin du xviiie siècle sous la plume de Jean - Paul Marat : « En amollissant et en corrompant les peuples, le luxe les soumet sans résistance aux volontés d’un maître impérieux, et les force à payer du sacrifice de leur liberté le repos et les plaisirs dont il les laisse jouir11. » Cette idée, reprise avec force par le mouvement socialiste, dénonce la consommation comme un opium du peuple qui, en faisant miroiter aux ouvriers un pseudo - confort bourgeois, endormirait leurs aspirations révolutionnaires. Ces deux morales ont des points communs, et partagent par exemple une représentation du consommateur en jouisseur sans scrupule se trouvant condamné au titre de son plaisir. Face à cette stigmatisation émerge peu à peu, dans la seconde moitié du xixe siècle, un discours de célébration, venu de la sphère économique et notamment porté par les grands magasins de crédit, qui présentent la consommation comme un moyen d’accéder au confort et à la propriété, et donc comme une solution à la question sociale, c’est - à - dire à l’intégration des classes populaires à la nation.
7La consommation populaire est bien un phénomène dont l’approche est saturée de présupposés moraux, dans les sources comme dans les travaux contemporains : les ouvriers sont célébrés pour leur résistance, condamnés pour leur goût du luxe ou protégés en vertu de leur naïveté ; leur attitude est perçue comme rassurante ou profondément inquiétante. Ces discours omniprésents forment un véritable imaginaire social de la consommation populaire12, qui ne laisse quasiment aucune place à la parole des consommateurs et des consommatrices modestes, signe de leur domination symbolique. Comme toujours, les classes populaires « sont parlées » plus qu’elles ne parlent13.
8Pour défaire l’unicité de ce grand récit, il est nécessaire d’approcher les consommations populaires par en bas, en essayant de retrouver les objets possédés par ce groupe social, les manières de se les procurer et, tant que faire se peut, le rôle qu’avaient ces biens pour leurs propriétaires. Le recours à l’enquête empirique est finalement la seule manière de court - circuiter les interprétations morales et de reconstituer le sens que les acteurs eux - mêmes donnaient à leurs pratiques. L’analyse de la consommation des classes populaires, dans une période de croissance économique – les années 1880 – 1920 – et dans une ville – Paris – qui s’impose comme une capitale du luxe, permet d’aborder des questions encore ouvertes sur la construction d’une classe sociale et sur son existence au quotidien, appréhendées par le biais de la vie privée, des échanges économiques ordinaires et des relations de sociabilité. La consommation dévoile à la fois des distinctions internes aux classes populaires et la position des individus dans la société englobante : elle est un champ complexe, traversé de rapports de pouvoir et de liens de solidarité, qui vient reposer la question classique de la domination et de la résistance. Cet ouvrage a donc pour projet de revoir la périodisation de l’entrée de la France dans la « consommation de masse » et de mettre à jour ce que recouvre – et dissimule – cette notion, c’est - à - dire la complexité de l’achat, de la circulation et de l’utilisation des biens dans un groupe social beaucoup plus divers que celui que suggère l’expression classique « classe ouvrière ».
Histoire de la consommation et histoire des classes populaires : des champs étanches ?
9L’histoire de la consommation est arrivée à l’heure des premiers bilans, qui pointent la rareté des études portant sur les consommations populaires14. Il ne s’agit pas d’une coïncidence, et, au contraire, comme Frank Trentmann, « on pourrait défendre que “société de consommation” ou “consumérisme” ont été adoptés juste au moment où il devenait problématique d’employer “société de classe”15 ». En d’autres termes, le développement des études sur la consommation est venu d’une certaine manière occulter ou remplacer les analyses historiques en termes de classes sociales, précisément quand les ouvriers disparaissaient du champ de la recherche historique, comme de celui de la représentation politique avec le déclin du syndicalisme et l’effondrement du Parti communiste français16. Ce glissement de perspective explique la – relative – étanchéité de l’histoire de la consommation et de celle des classes populaires.
De l’histoire des ouvriers à celle des classes populaires
10Les premières études portant sur le « mouvement ouvrier », dans les années 1950 et 1960, centrées sur l’univers des luttes syndicales et politiques, s’intéressaient très peu aux conditions de vie des travailleurs17. Ce sont les grandes thèses d’histoire sociale des années 1970 – celles d’Yves Lequin, de Michelle Perrot ou encore de Jean - Louis Robert18 – qui lancent les recherches sur la « vie matérielle » des ouvriers, et donc sur leur consommation. Leur but est de réinsérer la classe ouvrière dans « l’ensemble de l’évolution économique et démographique aussi bien que dans celles des niveaux et des modes de vie, des comportements, des mentalités et des sensibilités collectives19 ». Mais la consommation n’est généralement envisagée que comme une digression, souvent cantonnée à un chapitre annexe20. Les ouvriers restent essentiellement étudiés en tant que producteurs, et le travail – déterminant dans l’engagement politique – est bien le cœur de l’analyse. Cette histoire ouvrière est par ailleurs longtemps restée aveugle aux autres dimensions de la stratification sociale que sont le genre, l’origine géographique ou nationale, ou encore l’âge. Bien sûr, certains travaux pionniers ont souligné ces failles : ceux de Gérard Noiriel sur l’immigration21 ou ceux des historiennes du monde ouvrier – Michelle Perrot, Joan Scott, Anne - Marie Sohn – qui ont développé une histoire des femmes sensible à l’imbrication des dominations22. Ces décentrements ont finalement mis en lumière la manière dont la figure de l’« ouvrier » masque des hiérarchies internes au groupe, empêchant de comprendre pleinement la construction de la classe.
11Après une relative éclipse dans les années 1980 et 1990, l’histoire sociale et politique des ouvriers connaît un renouveau récent23, qui s’accompagne d’une ouverture vers les classes populaires dans leur ensemble, au - delà du seul groupe des travailleurs manuels24. La notion de classes populaires est un « concept à géométrie variable25 », qui est toutefois définie par la combinaison de quatre critères : une étroitesse des ressources économiques qui entraîne une vulnérabilité ; une position subalterne dans la division du travail rassemblant les exécutants (les travailleurs) et les petits indépendants (petite boutique, petit artisanat) ; un groupe peu ou moins intégré à la société avec des espaces d’entre - soi forts, comme le quartier, enfin un éloignement de la culture savante26. Il s’agit d’une catégorie classificatoire (et non, à l’inverse de « la classe ouvrière », d’une identité revendiquée), ce qui permet d’y faire cohabiter des groupes qui peuvent chercher à se distinguer les uns des autres (comme les employés vis - à - vis des ouvriers).
12Les classes populaires, dans la définition extensive retenue dans cet ouvrage, englobent en effet les ouvriers, les employés, les petits fonctionnaires (notamment les employés municipaux), mais aussi les petits commerçants et les artisans. Si le groupe ouvrier est le pivot de cette catégorie, ses marges sont plus floues et sa limite haute, qui voisine avec la petite bourgeoisie, pose d’éternels problèmes27. Les couturières, plombiers, menuisiers et domestiques sont, par exemple, à l’évidence au cœur de ce groupe social. Les grands exclus, les « désaffiliés28 », en constituent la marge basse. Pour la limite haute, l’intégration des employés, des petits commerçants et des petits fonctionnaires prend d’abord acte de l’importance du quartier à Paris comme creuset d’une identité populaire à la fin du xixe siècle : l’appartenance au même territoire fait que les habitants se côtoient et se connaissent, ce qui explique d’ailleurs en partie la volonté de distinction des employés. Ces derniers sont encore partie prenante du même espace urbain que la fraction inférieure des classes populaires et cherchent donc à toute force à s’en distinguer. Les processus de consommation qui permettent d’établir ces hiérarchies internes sont l’un des objectifs de l’étude, dans le sillage des travaux de Maurice Halbwachs29. De même, les petits commerçants, marchands de vin, de bois, de journaux ou de poisson, vivent en symbiose avec leur clientèle populaire, dans l’intérêt bien compris de leurs affaires et parce qu’ils sont largement issus de ce même groupe. Le petit capital qui leur a permis de s’établir instaure une fragile frontière économique, souvent menacée par l’endettement, la crise ou la faillite. Leur proximité sociale et culturelle avec leur clientèle assure la pérennité de leur commerce, car elle leur permet de répondre aux attentes et aux goûts des acheteurs. Enfin, les petits fonctionnaires municipaux se situent en haut de cette pyramide populaire, notamment grâce à la stabilité offerte par un emploi public et l’honorabilité qui en résulte. Ils font partie des classes populaires, par l’échelon municipal auquel ils se situent, la modestie de leur fonction administrative (secrétaire, infirmier, gardien de la paix), l’étroitesse de leurs revenus et l’appartenance de leur entourage à ce groupe.
13Les différentes composantes des classes populaires ont fait l’objet d’un intérêt dissymétrique en histoire : les ouvriers sont désormais bien connus, mais les autres composantes le sont moins. Certaines professions des services ont été étudiées30 ; en revanche, le monde du petit commerce et surtout celui des petits emplois publics sont encore amplement inexplorés31. Les pratiques de consommation de ce monde populaire restent largement dans l’ombre. L’approche par les conditions de travail, longtemps au centre de l’analyse, a contribué à opposer fortement travail manuel et travail intellectuel et donc à séparer l’étude des ouvriers de celles des autres catégories du monde populaire. En interrogeant la construction de ce groupe via la consommation, le regard porte sur des sphères de la vie quotidienne où l’opposition est moins forte pour interroger plus finement les distinctions internes aux classes populaires.
Pour une histoire sociale de la consommation
14L’histoire de la consommation est traversée par une opposition souterraine, entre une approche culturelle et un point de vue économique, qui rend difficile la construction d’un récit historique linéaire32. Issu des cultural studies, le premier courant définit la consommation de manière très large, jusqu’à englober la « consommation culturelle », c’est-à-dire à la réception des modèles culturels. Dans les années 1980 et 1990, des historiens américains comme Lawrence Glickman et Lizabeth Cohen33 ajoutent à ce questionnement initial celui de la relation entre citoyenneté et consommation, notamment de l’intégration de la classe ouvrière à la nation. Enfin, à partir des années 2000, les recherches ont porté plus spécifiquement sur la politisation de la consommation, avec l’étude de mouvements politiques de consommateurs organisés34. En France, en revanche, l’histoire de la consommation s’est développée plus tardivement, avec les travaux de Marie - Emmanuelle Chessel et Alain Chatriot notamment35, et reste un champ peu travaillé.
15Cette histoire culturelle de la consommation est d’abord une histoire des représentations, fondées sur des sources discursives qui éclairent la dimension morale, religieuse ou nationale de l’acte d’achat. Ce courant a également été précocement attentif au « genre de la consommation […], c’est - à - dire à la manière dont elle est construite comme un phénomène social sexué36 », et il met en avant l’importance du discours sur les femmes et le féminin dans la construction de ces représentations37. Enfin, la plupart de ces historiens s’attachent à penser conjointement la figure du citoyen et celle du consommateur, soit en étudiant la consommation comme acte politique, soit à partir des interventions politiques sur les consommateurs. Dans cette optique, les études ont porté sur des sujets aussi divers que les coopératives de consommation38, le lien entre consommation et société civile39 ou encore les phénomènes du boycott ou des listes blanches40. Cette dimension politique est particulièrement sensible dans des expressions comme « citoyen consommateur », « république des consommateurs » ou « politiques de la consommation41 ».
16Malgré leurs apports indéniables, ces travaux, dans leur version la plus culturaliste, rencontrent deux limites. La consommation y est souvent définie de manière extrêmement large, allant parfois jusqu’à désigner un véritable rapport au monde42. Cette ampleur contribue à diluer l’objet de l’étude et à appréhender ensemble des phénomènes éloignés. La seconde limite est le recours fréquent à la notion d’« identité de consommateur », pourtant difficile à utiliser, car elle unifie des rapports sociaux dissemblables et peut produire des raccourcis. Cette expression suppose en effet que tous les actes marchands effectués par un individu prennent sens ensemble pour celui qui les réalise. Or, la notion d’identité amalgame en réalité des dimensions différentes de l’expérience individuelle (l’identification, l’image sociale et l’appartenance) qu’il est plus éclairant de séparer pour l’analyse43. En outre, cette « identité de consommateur » a également été pensée en opposition à celle de « producteur », et il n’est pas anodin que ces questions aient surgi, par exemple sous la plume d’Henri Mendras44, au moment où le discours de la lutte des classes perdait de son influence : l’identité de consommateur a pu être utilisée historiquement pour neutraliser ou rendre invisible la question des luttes sociales45. Malgré les efforts déployés pour questionner cette « identité de consommateur » du point de vue du genre, de la classe ou de la race46, cette notion est à abandonner, car elle dissimule plus qu’elle n’explique.
17La définition de la consommation adoptée dans cet ouvrage est plus étroite thématiquement – mettant davantage l’accent sur les objets matériels que sur les consommations culturelles – et plus profonde temporellement, parce que l’étude de la consommation ne s’y réduit pas à l’analyse de l’acte d’achat, mais envisage le processus de destruction de la valeur par l’usage en étudiant le cycle de vie des objets dans son entier. Cette focalisation sur les objets et sur les transactions s’appuie sur l’approche économique de la consommation. L’histoire du commerce et de l’industrie permet de mesurer l’ampleur de la demande et l’échelle de diffusion des produits. Les infrastructures commerciales ont fait l’objet de nombreux travaux, qu’il s’agisse du petit commerce47, des grands magasins (comme Au Bon Marché ou À la Belle Jardinière48) ou des hypermarchés et des salons de promotion pour la période contemporaine49. Le processus de production de certains objets est désormais bien connu, comme la confection de vêtements, la machine à coudre, la bicyclette, les médicaments ou encore la télévision50. Les procédés de vente, comme le crédit à la consommation ou la publicité, qui assurent la médiation entre la production et la consommation ont également été largement explorés51. La récente synthèse de Jean - Claude Daumas sur le sujet résume très clairement les grandes dynamiques économiques et sociales qui traversent la consommation en France à l’époque contemporaine52. Enfin, l’approche choisie dans cet ouvrage met ses pas dans ceux de Daniel Roche53 pour pratiquer une histoire de la culture matérielle, à la fois « archéologie du quotidien » et « ethnographie du minuscule », qui propose une étude du « contexte de l’objet – non seulement celui de sa circulation, mais celui de sa jouissance et de son éventuelle redéfinition54 ».
18Tant l’approche économique et matérielle que la vision culturelle de la consommation éludent finalement la question sociale, c’est - à - dire la manière dont la consommation contribue à la formation ou à la division d’un groupe social. Il reste alors à proposer une réelle histoire sociale de la consommation55. Nombre d’études qui portent sur la consommation en France au xixe siècle prennent pour objet la bourgeoisie, sans interroger réellement la construction de ce groupe social56. La consommation populaire est encore moins abordée, à l’exception de l’ouvrage d’Anne Lhuissier sur les consommations alimentaires des ouvriers57. L’historiographie oppose en définitive une histoire du xixe siècle centrée sur les consommations bourgeoises – parce que les classes populaires n’y auraient pas encore accès – et une histoire du xxe siècle où la consommation devenue « de masse » effacerait la question des classes sociales58. L’analyse de la consommation populaire à la fin du xixe siècle revient sur ce grand partage et interroge à la fois la chronologie de la consommation de masse et l’articulation, à première vue contre - intuitive, de ce phénomène avec la constitution d’une classe sociale.
Consommation de masse ou consommation de classe ?
La Belle Époque, un chaînon manquant
19L’histoire de la consommation a privilégié l’étude de deux moments historiques : le xviiie siècle et le second xxe siècle. Les historien·nes de l’époque moderne s’accorde sur une rupture majeure en Europe dans les années 1750, baptisée la « révolution de la consommation59 » (consumer revolution) et caractérisée par une « augmentation globale du pouvoir d’achat des ménages populaires, la plus grande diffusion des produits de luxe et de demi - luxe, le développement des enseignes dans les villes et des annonces dans la presse, la circulation mondiale de certaines marchandises60 ». Ce processus a d’abord été étudié pour l’Angleterre, puis pour la France61. Les historiens se sont, d’autre part, focalisés sur le xxe siècle et particulièrement sur l’après - Seconde Guerre mondiale qui verrait l’apparition de la « consommation de masse » par l’accès de catégories nouvelles – classes moyennes et classes populaires – à des biens largement diffusés comme les objets électroménagers, la voiture ou la télévision, avec un recours massif au crédit à la consommation et le développement du secteur publicitaire62. La différence entre les deux notions est finalement mince, dans la mesure où toutes deux désignent un élargissement de la base sociale de la consommation, accompagné d’une modification des structures commerciales. Le récit historique se brouille davantage lorsque certains historiens, comme François Caron, montrent à quel point la situation de la capitale à la Belle Époque peut apparaître en avance sur le reste du pays avec l’accession de larges fractions de la population à de nouveaux biens dès les années 1880 - 189063. L’historienne américaine Rosalind Williams, plus catégorique, affirme que la consommation de masse apparaît dès la fin du xixe siècle en France64. Alors, de quand date l’apparition de la « consommation de masse » ? Cette expression produit finalement une sensation de fausse évidence : elle semble désigner un élargissement de la base sociale de la consommation qui finirait par englober la « masse », mais elle laisse dans l’ombre le degré de pénétration de la consommation, l’échelle et le rythme de ce processus. Peut - on parler de consommation de masse pour une ville ou faut-il attendre qu’elle atteigne le pays tout entier ? Cette notion concerne - t - elle une masse d’objets diffusés – et, dans ce cas, lesquels ? – ou une masse d’individus touchés ? S’agit - il d’une « consommation de masse » ou d’une consommation « des masses » ? Comme pour tout processus social et économique d’ampleur, le développement de la consommation apparaît finalement davantage comme un continuum que comme un bouleversement radical. Peut - être faut - il alors abandonner les tentatives de récit des origines pour se concentrer sur la manière dont chaque période a interprété et encadré d’une manière originale cette consommation populaire.
20Pourtant, il se passe bien quelque chose lorsque la capitale française entre, au tournant du siècle, dans la nouvelle phase du capitalisme qu’est la seconde révolution industrielle65. À partir des années 1880, le développement d’industries nouvelles (mécanique, électricité, chimie) est rendu possible par l’émergence d’un marché de masse, c’est - à - dire par l’accès d’une frange plus large des classes populaires urbaines à de nouveaux biens de consommation66. Dans le même temps, on observe dans le monde du travail l’aboutissement de la massification du salariat et le début de l’intervention de l’État pour protéger cette nouvelle catégorie professionnelle vulnérabilisée par la libéralisation du marché du travail depuis la fin du xviiie siècle67. Ces évolutions sont particulièrement nettes à Paris, ville à la pointe du développement de la consommation et territoire où les classes populaires restent prépondérantes dans la structure sociale. De la fin du xixe siècle à l’entre - deux - guerres, Paris est une ville riche68, la « ville - lumière » et la « capitale de la modernité », qu’elle soit économique, culturelle ou encore artistique69. La seconde révolution industrielle s’y développe plus tôt que dans le reste du territoire national, notamment dans le nord de la ville, aux abords de la Villette et du canal Saint - Denis, dans le sud - est, dans les quartiers de Charonne et de Picpus, et dans le sud - ouest, autour des ports de Grenelle et de Javel70. Elle s’accompagne d’une augmentation générale du salaire des travailleurs qui permet un élargissement de la consommation. Pour les ouvriers, « le pouvoir d’achat du salaire s’est accru en moyenne de 53 %, soit un rythme annuel de 1,1 %, de 1890 à 191071 ». Grâce à cet enrichissement, la capitale est le laboratoire de la mise en place d’une demande élargie, qui va des achats de luxe de la grande bourgeoisie à la consommation de biens produits en série par les classes populaires, achetés à crédit.
21Bien sûr, l’habitat reste caractérisé par une ségrégation socio - spatiale72, mais Paris continue d’être un territoire ouvert, accueillant des masses de migrants, provinciaux comme étrangers, et une ville populaire durant toute la Belle Époque73. Le nombre de travailleurs manuels y est très élevé (849 006 en 1886 et 977 971 en 1911) et les emplois de service sont en plein essor (263 468 en 1886 et 352 744 en 1911)74. Ouvriers et employés occupent environ 80 % des emplois de la capitale. L’importance des petits loyers est un autre indice de cette présence majoritaire des classes populaires : en 1900, 697 708 logements coûtent moins de 600francs par an et en 1915, 77 % des locataires vivent dans cette catégorie d’appartement. La capitale reste donc bien une ville largement populaire75.
22Il existe pourtant à Paris des lieux de rencontre interclassistes qui permettent la diffusion verticale des goûts, car la ville « est un espace relativement restreint [où s’agglomère] une population qui ne peut pas éviter de se côtoyer, se rencontrer, se confronter76 ». Les Grands Boulevards et leur foule de flâneurs du dimanche sont par exemple un espace propice au mélange, à l’observation des nouveautés et à la mise en circulation des modes77. Dans le monde professionnel, également, les modèles se transmettent car, comme l’écrivent des observatrices bourgeoises, l’ouvrière de l’industrie du luxe « est entraînée à désirer pour elle - même ces choses de goût qu’elle confectionne pour les classes riches78 ». Les membres des classes populaires ont bien conscience de ce phénomène de transmission, à l’instar de cet ouvrier typographe qui évoque en 1884 « ce goût particulier que les ouvriers parisiens acquéraient en vivant dans le centre de la capitale79 ».
23Les années 1880 à Paris ouvrent donc un cycle nouveau, qui se clôt dans les années 1920. L’inflation très forte depuis la fin de la Grande Guerre provoque une agitation politique et sociale, mais a également des effets économiques invisibles : elle efface les dettes des ménages modestes qui ont eu massivement recours au crédit à la consommation pendant la Belle Époque. Cette remise à plat permet le démarrage d’un autre cycle avec la diffusion de produits nouveaux comme la radio ou les objets électriques que la crise économique des années 1930 vient brutalement interrompre. Étudier la consommation des classes populaires des années 1880 aux années 1920 permet d’enjamber les découpages chronologiques habituels, en incluant l’étude du premier conflit mondial dans un cycle plus large. En ce qui concerne la consommation populaire, la guerre n’est pas la fin d’un monde, mais au contraire un retour du passé. Ces cinq années voient la réapparition de la pénurie et du contrôle de l’État sur la consommation et viennent interroger la prospérité par son envers. Elles mettent en lumière la fragilité intrinsèque des modes de vie populaires : l’accès à la consommation reste précaire, même pour les catégories les mieux intégrées, et le bouleversement du système économique et commercial met en lumière des pratiques traditionnelles qui ont en fait perduré parallèlement aux évolutions les plus modernes. La guerre révèle donc la pluralité des rapports aux objets et aux transactions économiques, qui se manifestent pendant toute la période et signent l’originalité de cette phase d’élargissement de la consommation populaire.
24Les classes populaires parisiennes sont doublement au cœur de ce moment charnière de réorganisation économique et sociale, à la fois comme productrices dans les usines et comme consommatrices dans les foyers, grâce au développement à grande échelle du crédit à la consommation dans la capitale, appuyé par la mise en place de nouvelles infrastructures commerciales et publicitaires. Cependant, plutôt que de penser ces phénomènes comme un « chaînon manquant », c’est - à - dire comme une réplique tardive de la « révolution de la consommation » ou comme une apparition précoce de la « consommation de masse », on peut les voir comme un jalon d’un processus progressif d’élargissement de l’accès aux biens. Comment comprendre alors la spécificité historique de ce moment, où la diffusion massive de certains biens rencontre une société de classes ?
La consommation : appartenance sociale, intégration et domination
25La question centrale à laquelle tente de répondre cet ouvrage peut être résumée par une formule très brève : qu’est - ce que la consommation fait à la classe ? L’ouvrage classique de Richard Hoggart, La culture du pauvre, a ouvert, il y a plus de cinquante ans, cet horizon problématique à propos de l’influence de la télévision et de la presse à grande diffusion80. Il montre que l’on a tendance à surestimer l’influence des produits de l’industrie culturelle sur les classes populaires. « Les gens du peuple ne mènent pas une vie aussi pauvre qu’une lecture, même approfondie, de leur littérature le donnerait à penser81 », car ils n’accordent à la culture de masse qu’une « attention oblique », pratiquant une « consommation nonchalante ». Les questions que le sociologue formule à propos de la culture médiatique sont ici posées à la culture matérielle. Les classes populaires restent - elles en dehors de ce nouveau paysage économique et commercial de la capitale ou y entrent-elles de plain - pied ? Quelles sont les conséquences de la diffusion, de la possession et de l’usage d’objets nouveaux sur l’appartenance au groupe ? Existe-t-il une consommation de masse qui annule en son sein les différences sociales ? Quels effets cette évolution a-t-elle sur la classe sociale, sur le sentiment d’appartenance et sur la mobilisation politique ? On retrouve ici la réflexion de l’historien britannique Edward P. Thompson sur la question du making, c’est - à - dire du rôle de l’expérience et de la place des individus dans le processus de formation d’une classe sociale82. Or la consommation joue un rôle majeur dans la reconnaissance par les individus d’une appartenance commune. Si la conscience de classe passe autant par la consommation que par la place dans le processus de production, que devient la classe en face d’une consommation de masse ?
26La consommation est également un révélateur de l’intégration ou de l’exclusion des individus. En effet, l’élargissement de la consommation se fait toujours par l’intégration économique d’individus qui se situent en bas de la hiérarchie sociale ; ce mouvement d’absorption interroge en retour la société sur la place qu’elle fait à des groupes auparavant marginalisés. À chaque nouvel élargissement surgit donc un discours moral, inquiet de cette diffusion et de ses conséquences, portant à la fois sur les biens et sur les individus, ces « nouveaux consommateurs » à intégrer. Mais faire l’histoire de la profondeur sociale de ce phénomène, est-ce seulement proposer une analyse de la résorption de la misère ? Il s’agit plutôt de mettre au jour la manière dont ces évolutions économiques et discursives déplacent une frontière sociale, celle qui sépare les inclus et les exclus, les affiliés et les désaffiliés. Dans le Paris de la fin du xixe siècle, ceux qui arrivent, via la salarisation, à accéder au crédit à la consommation peuvent ensuite sortir du système du garni, bénéficier d’un logement en propre et construire peu à peu une stabilisation sociale et économique. Ceux qui, en revanche, sont trop pauvres pour être intégrés à ce système, se retrouvent peu à peu rejetés de ce processus, ce qui se traduit concrètement par un exil vers la banlieue. Le développement de la consommation dans la capitale produit donc une reconfiguration économique et spatiale qui tend à tracer une frontière au sein des classes populaires et à créer des distinctions internes. Cependant, la fragilité caractéristique de ce groupe social explique également la plasticité des positions et le passage rapide de l’inclusion à l’exclusion au gré des difficultés économiques personnelles ou du contexte général, comme le prouve l’exemple de la Première Guerre mondiale. L’analyse de la consommation prolonge ainsi les interrogations formulées par Robert Castel à propos du travail sur les métamorphoses de la question sociale83 et celles de Maurice Halbwachs sur la consommation comprise comme un indice de l’intégration des ouvriers et des employés à la société englobante84. La sociologie d’Halbwachs s’inscrit en cela dans le sillage de celle de Durkheim – en cherchant à définir les mécanismes qui unifient une société – et contre l’héritage marxiste qui place le conflit et la domination au cœur du fonctionnement social.
27L’étude de la consommation populaire est pourtant aussi une façon de s’interroger sur la domination ou la résistance de ce groupe social. Précisons d’abord qu’il ne s’agit nullement, dans cet ouvrage, de considérer la consommation comme une entité transcendante et agissante, qui aurait un pouvoir intrinsèque d’aliénation ou d’émancipation. Il est ici question – dans la lignée de Pierre Bourdieu – d’une domination qui se joue entre des groupes et des individus85. La domination dont sont victimes les classes populaires est tout à la fois économique, sociale et symbolique, et l’étude de la consommation, prise comme un ensemble de transactions marchandes autour des objets, est un révélateur de ces processus, bien plus qu’elle n’en est l’origine. Mais la domination n’est jamais absolue, elle comporte des failles que les individus peuvent parfois exploiter86. La consommation se révèle alors un observatoire adéquat pour souligner à la fois l’ampleur des privations et les marges de manœuvre que les individus dominés retissent inlassablement à l’intérieur des contraintes qui leur sont imposées. S’il est important de toujours rappeler que cette capacité d’agir des classes populaires reste prise à l’intérieur d’un système contraignant, il ne faut pas pour autant nier son existence sous peine de tomber dans une vision misérabiliste ou désespérée de ce groupe social. Il vaut mieux envisager le rapport entre domination et résistance sous une forme dialectique, et non comme un combat dans lequel il faudrait in fine toujours désigner un vainqueur.
28En résumé, la consommation est un champ traversé de tensions, déterminé par le marché et parfois encadré par l’État, dont la définition oscille entre processus économique, stratification sociale et discours moral. Elle constitue un point d’entrée pour étudier la vie quotidienne des classes populaires, car cette pratique transversale permet à l’historienne de retrouver un monde différent de celui de la production, de pénétrer dans le domicile plutôt que dans l’usine ou l’atelier, d’appréhender les femmes autant que les hommes et de venir interroger ce qui définit une classe sociale, hors du monde du travail.
La traque des objets et des individus dans les archives
29La recherche archivistique pour cette étude a pris la forme d’une traque des objets et des manières dont ils circulent à l’intérieur des classes populaires. L’enquête s’est donc concentrée autour du trio acheteur, vendeur et marchandises, mais les sources qui abordent simultanément ces trois piliers sont rares, ce qui explique la constitution d’un corpus éclaté qui multiplie les angles d’approche pour saisir la consommation populaire.
30Les archives départementales de Paris ont été largement mises à contribution pour cerner l’organisation de la consommation à l’échelle locale du quartier, unité spatiale la plus pertinente pour l’étude des classes populaires. Les archives de la justice de paix ont fourni les corpus les plus importants de la recherche : scellés après décès, audiences en conciliation pour dettes, archives de la saisie-arrêt. Les dossiers intitulés « Pièces de procédure » abritent quelques précieux témoignages écrits, surtout des lettres de créditeurs, de débiteurs ou de témoins qui ne peuvent se rendre à l’audience au tribunal et qui permettent d’accéder, de manière parcellaire, à des voix populaires87. Outre les sources judiciaires, les archives départementales conservent également de nombreux fonds donnant accès au monde du commerce et à certains objets de consommation : les rôles fiscaux de l’impôt sur les bicyclettes, le Bottin du commerce numérisé, le registre du commerce, les dossiers de faillites ou encore les actes de société. En croisant les informations obtenues avec le calepin des propriétés bâties et avec le fonds des permis de construire, il est possible de reconstituer précisément l’environnement commercial d’un quartier, avec ses succès – comme les bâtiments grandioses que font construire certains entrepreneurs du crédit – et ses échecs – que dévoilent les dossiers de faillite. Les archives départementales abritent enfin deux séries qui fournissent des informations cruciales : les archives du Mont - de - piété de Paris et celle d’environ soixante études de commissaires - priseurs parisiens. Les données tirées de ce corpus ont été croisées avec les sources nominatives fournies par les listes électorales, les actes d’état civil et les sites internet de généalogistes88 pour relier les individus et les objets, et écrire une histoire sociale de la consommation populaire.
31De nombreux fonds complémentaires ont été utilisés : la bibliothèque Forney, la Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) et le Musée de la publicité sont tous trois dépositaires d’archives qui concernent plus spécifiquement l’histoire du commerce (affiches publicitaires et de catalogues commerciaux). Le fonds intitulé « Documents éphémères » de la BHVP, très fourni pour la seconde moitié du xixe siècle, rassemble des documents disparates ayant trait à la vie quotidienne dans la capitale : articles de presse, brochures, tracts, menus de restaurant, supports iconographiques, documents commerciaux (lettres de relance, papier à en - tête, factures…)89. Ces documents de la pratique commerciale se retrouvent également en grand nombre dans les collections particulières90, dans les archives privées (le fonds Lazard des Archives de Paris) et sur des sites spécialisés91.
32Les recherches historiques sur les classes populaires croisent toujours, à un moment ou à un autre, l’institution policière tant il est vrai, comme l’a écrit Louis Chevalier, que le mode de vie de ce groupe social et les représentations que s’en font les classes supérieures le placent sous surveillance92. Les fonds de la préfecture de Police complètent l’approche de la consommation populaire en mettant l’accent sur les processus d’accès aux biens, légaux ou illégaux, avec des documents sur la réglementation de la vie quotidienne (sous - séries DA et DB), les rapports et les renseignements adressés au cabinet du préfet notamment pendant la Première Guerre mondiale (sous - série BA) et enfin les registres des commissariats (sous - série CB) utilisés pour comprendre les circulations et les échanges qui se tissent autour du vol dans les quartiers populaires.
33Enfin, les sources imprimées classiques de l’histoire sociale et de l’histoire ouvrière complètent ce corpus d’archives manuscrites : les enquêtes sociales (monographies de l’école leplaysienne ou publications de l’Office du travail), les enquêtes parlementaires et les rapports préalables au vote des textes de lois, la presse, qu’elle soit ouvrière, spécialisée ou à grand tirage. La littérature ouvrière, notamment dans son versant autobiographique, s’est révélée en revanche assez pauvre en ce qui concerne la consommation93. Elle se construit en effet le plus souvent sur la narration d’une prise de conscience militante, centrée sur le travail, et divulgue peu de détails à propos de la vie quotidienne, ou alors sur un mode misérabiliste94. Enfin, deux sources imprimées se sont révélées cruciales dans la reconstitution de la consommation populaire. Les diverses publications statistiques, comme les résultats des recensements parisiens ou l’Annuaire statistique de la Ville de Paris, livrent des données de cadrage très utiles. Une grande quantité d’informations dort également dans les thèses de droit qui comportent parfois des analyses extrêmement détaillées de procédés de stratifications sociales ou d’ethnographie des échanges95.
34Dans ce vaste corpus, le parti a été pris d’allier l’approche par les structures – avec le recours aux statistiques – et l’analyse micro - sociale des lieux, des interactions et des transactions. Ainsi apparaît le développement de la consommation, dont on mesure les rythmes et l’ampleur, tout en mettant au jour les accommodements et les pratiques du quotidien dans les classes populaires. Au - delà de sa valeur heuristique, cette méthode permet de poser via les archives la problématique de la domination et de la résistance. L’approche globale met en lumière les grandes inégalités structurelles ; en adoptant une échelle d’analyse plus restreinte, il est aussi possible de décrire les petits arrangements et les micro - résistances, c’est - à - dire de souligner la capacité d’agir et les marges de manœuvre des individus. Ces comportements ne prennent sens qu’à l’intérieur d’un système de contraintes : maintenir l’exposition du cadre général permet de repérer l’exceptionnalité ou la faible fréquence de tels comportements, pour ne pas tomber dans un discours enchanté qui oblitère la domination ou la reproduction. Tenir l’autre bout de la chaîne de l’analyse est une manière de comprendre aussi les mobilités sociales et les résistances réussies.
La consommation populaire dans la capitale à la croisée des chemins
35Des années 1880 aux années 1920, la capitale française est le théâtre d’un élargissement significatif de l’accès aux biens, rendu possible par l’augmentation globale des revenus des classes populaires et par la mise en place de médiations nouvelles, le crédit et la publicité. On peut en ce sens parler d’une première phase de la consommation de masse. Cependant ces objets, les manières de se les procurer et d’en user restent intégrés au sein des modes de vie et des quartiers populaires. Il s’agit donc toujours d’une consommation de classe qui se manifeste à la fois dans l’usage de choses et dans la conception de la valeur des biens. Les objets dans les classes populaires sont souvent des consommations transitoires, pris entre le crédit à l’achat et le prêt sur gage. Leur possession est fragile et les transactions qui les concernent sont au point de jonction de multiples rapports de domination.
36Que possèdent donc les classes populaires parisiennes à la Belle Époque ? L’inventaire des possessions met en lumière, empiriquement, l’élargissement des bases sociales de la consommation. Les scellés après décès dévoilent l’importance du loyer dans les budgets et la marchandisation de pans entiers de la vie quotidienne (les soins, les assurances, le marché funéraire) qui relevaient précédemment des solidarités traditionnelles (chapitre 1). De nouveaux objets peuplent de plus en plus ces logements populaires – notamment l’armoire à glace, rêve de l’ouvrière – dévoilant des processus de distinction et d’imitation entre la bourgeoisie et les classes populaires, mais aussi et surtout à l’intérieur de ce groupe (chapitre 2). Cet accès aux biens, encore fragile, est déstabilisé pendant la Grande Guerre par le retour de la pénurie et de l’inflation ; la consommation joue un rôle souterrain dans les mobilisations populaires dans la capitale en guerre (chapitre 3).
37Comment expliquer ce développement de la consommation populaire alors qu’il concerne des populations qui restent fragiles économiquement ? Les institutions de la consommation de masse que sont le crédit (chapitre 4) et la publicité (chapitre 5) ont rendu possible cet élargissement de l’accès aux biens. Les grands magasins populaires qui pratiquent le crédit à la consommation sont en effet également des pionniers de l’utilisation de la réclame. Par ces médiations économiques et discursives, ils viennent à la fois susciter et rendre solvable la consommation populaire.
38Cette modernité commerciale en expansion, reposant sur l’achat d’objets neufs et sur le prix fixe, n’épuise pourtant pas la sphère de l’échange pour les classes populaires parisiennes, dans lesquelles les objets ont une longue vie sociale. Le Mont-de-piété de Paris, institution traditionnelle en difficulté, est un formidable moteur de la remise en circulation des objets dans la capitale (chapitre 6). Les objets dans les classes populaires sont également au cœur de transactions économiques qui contreviennent au marché moderne, caractérisées par des acquisitions alternatives – comme le vol et le marché de l’occasion – et par des pratiques spécifiques d’usage et d’usure des objets (chapitre 7). Ces pratiques concernent les plus précaires, ceux qui évoluent à la lisière de la désaffiliation et cherchent néanmoins à s’intégrer aux offres de consommation déployées autour d’eux dans la capitale.
39La consommation de classe s’exprime finalement dans la coexistence temporelle, spatiale et sociale de ces deux modèles : d’une part se met en place progressivement un système de consommation nouveau fondé sur le développement des grands magasins de crédit et l’achat d’objets neufs à prix fixe. D’autre part, cette modernité commerciale coexiste pendant toute la période avec des pratiques de circulation, d’usage, d’acquisition alternative, celles des objets d’occasion, usés, réparés, récupérés ou marchandés. La ligne de partage n’est pas simplement sociale, entre les fractions supérieure et inférieure des classes populaires : ces deux rapports à la culture matérielle et marchande subsistent plutôt côte à côte, si bien que les membres des classes populaires peuvent passer rapidement de l’un à l’autre en cas de difficultés, car les savoirs pratiques associés à la nécessité et à la privation sont toujours mobilisables par l’ensemble du groupe social. C’est ce que prouve la résurgence d’un rapport traditionnel aux choses dans la période de grande difficulté qu’est la Première Guerre mondiale. L’articulation étroite de ces deux modèles définit la configuration spécifique de la consommation populaire parisienne des années 1880 aux années 1920.
Notes de bas de page
1Octave Dumesnil, Charles Mangenot, Enquête sur les logements, professions, salaires et budgets (loyers inférieurs à 400francs), Paris, Chaix, 1899, p. 152 - 153.
2Marc Bloch, Apologie pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 2005 [1949], p. 78.
3Caroline Dufy, Florence Weber, L’ethnographie économique, Paris, LaDécouverte, 2007, p. 56.
4Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, Paris, L’Arche, 1947 ; Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Buchet - Castel, 1967 ; Jean Baudrillard, La société de consommation. Ses mythes, ses structures, Paris, Gallimard, 1986 [1970] ; Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Paris, Union générale d’éditions, 1980.
5Lawrence Glickman, « Born to Shop? Consumer History and American History », dans Id. (dir.), Consumer Society in American History. A Reader, Ithaca, Cornell University Press, 1999, p. 1 - 14.
6S.v. « Consommer », dans Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2010, t.1, p. 543.
7Claude Grignon, Jean - Claude Passeron, Le savant et le populaire, Paris, Gallimard/Seuil, 1989.
8Dominique Margairaz, « La querelle du luxe », dans Jacques Marseille (dir.), Le luxe en France du siècle des Lumières à nos jours, Paris, Association pour le développement de l’histoire économique, 1999, p. 25 - 37.
9Anaïs Albert, Mathilde Rossigneux - Méheust, « Une question économique dominée par des enjeux moraux », Histoire, économie & société, 32/3, 2013, p. 3 - 12.
10Marie - Emmanuelle Chessel, Consommateurs engagés à la Belle Époque : la Ligue sociale d’acheteurs, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.
11Jean - Paul Marat, Les chaînes de l’esclavage, Paris, Complexe, 1988 [1774], p. 79.
12Alain Corbin, « Imaginaires sociaux », dans Christian Delporte, Jean - Yves Mollier, Jean - François Sirinelli (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010, p. 426 - 430.
13« Les dominés sont moins aptes à pouvoir contrôler leur représentation d’eux - mêmes [et] sont parlés plus qu’ils ne parlent », Patrick Champagne, « La vision médiatique », dans Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 104 - 106.
14Frank Trentmann (dir.), The Oxford Handbook of the History of Consumption, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; Marie - Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, 2012, et Id., « Où va l’histoire de la consommation ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 59/3, 2012, p. 150 - 157.
15« It might be argued that “consumer society” or “consumerism” have been adopted just as “class society” became problematic », Frank Trentmann, « Beyond Consumerism : New Historical Perspectives on Consumption », Journal of Contemporary History, 39/3, 2004, p. 374.
16Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, xixe - xxesiècles, Paris, Seuil, 2002 [1986], nouvelle préface datant de 2002 à l’ouvrage, p. IX.
17Parmi les travaux les plus importants : Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Paris, Maspero, 1983 [1951] ; Jean Bron, Histoire du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions ouvrières, 1968, t.1 ; Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Paris, Seuil, 1971.
18Yves Lequin, Les ouvriers de la région lyonnaise (1848 - 1914), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1977 ; Michelle Perrot, Les ouvriers en grève. France 1871 - 1890, Paris/LaHaye, Mouton, 1974 ; Jean - Louis Robert, Ouvriers et mouvement ouvrier parisiens pendant la Grande Guerre et l’immédiat après - guerre : histoire et anthropologie, thèse dirigée par Antoine Prost, université Paris1 Panthéon - Sorbonne, 1989.
19Yves Lequin, Les ouvriers de la région lyonnaise (1848 - 1914), op. cit., p. v.
20Rolande Trempé, Les mineurs de Carmaux, 1848 - 1914, Paris, Éditions ouvrières, 1971, t.1, chap. 3, « Le genre de vie », et Michelle Perrot, Les ouvriers en grève, op. cit., t.2, chap. 1, « L’ouvrier consommateur ».
21Gérard Noiriel, Immigrés et prolétaires. Longwy, 1880 - 1980, Paris, PUF, 2019 [1984].
22Michelle Perrot, « La femme populaire rebelle », dans Christiane Dufrancatel et al., L’histoire sans qualités, Paris, Galilée, 1979, p. 125 - 156, Joan Scott, « “L’ouvrière, mot impie, sordide”. Le discours de l’économie politique française sur les ouvrières (1840 - 1860) », Actes de la recherche en sciences sociales, 83, juin 1990, p. 2 - 15 ; Anne - Marie Sohn, Chrysalides. Femmes dans la vie privée (xixe - xxe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996.
23François Jarrige, Au temps des tueuses de bras. Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, 1780 - 1860, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; Marion Fontaine, Le Racing club de Lens et les « Gueules noires » : essai d’histoire sociale, Paris, Les Indes savantes, 2010 ; Xavier Vigna, Histoire des ouvriers en France au xxe siècle, Paris, Perrin, 2012 ; Maurizio Gribaudi, Paris, ville ouvrière. Une histoire occultée (1789 - 1848), Paris, La Découverte, 2014 ; Fanny Gallot, En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société, Paris, La Découverte, 2015.
24Claire Zalc, Melting Shops : une histoire des commerçants étrangers en France, Paris, Perrin, 2010 ; Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854 - 1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 ; Clyde Plumauzille, Prostitution et Révolution. Les femmes publiques dans la cité républicaine (1789 - 1804), Ceyzérieux, Champ Vallon, 2016 ; Mathilde Rossigneux - Méheust, Vies d’hospice. Vieillir et mourir en institution, Ceyzérieux, Champ Vallon, 2018.
25Pierre Bourdieu, « Vous avez dit populaire ? », Actes de la recherche en sciences sociales, 46, mars 1983, p. 98.
26Michelle Perrot, « Les classes populaires urbaines », dans Fernand Braudel, Ernest Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, t.4, vol. 1, Paris, PUF, 1979, p. 454 - 534 ; Olivier Schwartz, La notion de « classes populaires », habilitation à diriger des recherches en sociologie, université Versailles - Saint - Quentin - en - Yvelines, 1998. Pour une synthèse sur le sujet, voir Philippe Alonzo, Cédric Hugrée, Sociologie des classes populaires. Domaines et approches, Paris, Armand Colin, 2010.
27Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, xixe - xxe siècles, Paris, Seuil, 1986, p. 63 - 64 et 109 - 112 ; Christophe Charle, Histoire sociale de la France au xixe siècle, Paris, Seuil, 2001 [1991], p. 180 - 227.
28Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
29Maurice Halbwachs, Le destin de la classe ouvrière, Paris, PUF, 2011 [1913 et 1933].
30Nicolas Papayanis, The Coachmen of Nineteenth - Century Paris. Service Workers and Class Consciousness, BatonRouge/Londres, Louisiana State University Press, 1993 ; Claudie Lesselier, « Employées de grands magasins à Paris (avant 1914) », Le Mouvement social, 105, octobre - décembre1978, p. 109 - 126 ; Jean - Paul Barrière, « Entre salariat et indépendance : le statut hybride du représentant de commerce en France de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle », Entreprises et histoire, 66, 2012, p. 164 - 176 ; Jean - Louis Deaucourt, Premières loges. Paris et ses concierges au xixe siècle, Paris, Aubier, 1992 ; Delphine Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau (1890 - 1930), Paris, Belin, 2001.
31À l’exception du travail de Claire Zalc, Melting Shops, op. cit., et de celui de Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville, op. cit.
32Frank Trentmann, « Beyond Consumerism : New Historical Perspectives on Consumption », art.cité.
33Lawrence Glickman, « Born to Shop ? Consumer History and American History », art.cité ; Id., A Living Wage : American Workers and the Making of Consumer Society, Ithaca, Cornell University Press, 1997 ; Lizabeth Cohen, Making a New Deal. Industrial Workers in Chicago 1919 - 1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
34Matthew Hilton, Consumerism in Twentieth Century Britain : The Search for a Historical Movement, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ; Frank Trentmann, Free Trade Nation. Commerce, Consumption and Civil Society in Modern Britain, Oxford, Oxford University Press, 2008 ; Matthew Hilton, « Consumer Activitism : Rights or Duties ? », dans Kerstin Brückweh (dir.), The Voice of the Citizen Consumer. A History of Market Research, Consumer Movements, and the Political Public Sphere, Oxford, Oxford University Press, 2011.
35Marie - Emmanuelle Chessel, La publicité. Naissance d’une profession, 1900 - 1940, Paris, CNRS Éditions, 1998 ; Id., Consommateurs engagés à la Belle Époque, op. cit. ; Id., Histoire de la consommation, op. cit. ; Alain Chatriot, Marie - Emmanuelle Chessel, Matthew Hilton (dir.), Au nom du consommateur. Consommation et politique en Europe et aux États - Unis au xxe siècle, Paris, La Découverte, 2005.
36Marie - Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, op. cit., p. 69.
37Victoria De Grazia, Ellen Furlough (dir.) The Sex of Things : Gender and Consumption in Historical Perspective, Berkeley, University of California Press, 1996 ; Christopher Breward, The Hidden Consumer : Masculinities, Fashion and City Life, 1860 - 1914, Manchester/New York, Manchester University Press, 1999 ; Jennifer Scanlon (dir.), The Gender and Consumer Culture Reader, New York, New York University Press, 2000 ; Matthew Hilton, « The Female Consumer and the Politics of Consumption in Twentieth - Century Britain », The Historical Journal, 45, mars 2002, p. 103 - 128.
38Ellen Furlough, Consumer Cooperation in Modern France: The Politics of Consumption, Ithaca, Cornell University Press, 1991.
39Frank Trentmann, Free Trade Nation, op. cit.
40Julien Vincent, « L’économie morale du consommateur britannique en 1900 », dans Alain Chatriot, Marie - Emmanuelle Chessel, Matthew Hilton (dir.), Au nom du consommateur, op. cit., p. 231 - 246.
41Kerstin Brückweh (dir.), The Voice of the Citizen Consumer, op. cit. ; Lizabeth Cohen, A Consumers’ Republic. The Politics of Mass - Consumption in Postwar America, New York, Alfred A. Knopf, 2003.
42Shopping is more than merely purchasing goods in a store […] it is not so much the objects consumed that counts in the act of consumption, but rather the unique sense of place, Erika Rappaport, Shopping for Pleasure, Women in the Making of London’s West End, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 5.
43Martina Avanza, Gilles Laferté, « Dépasser la “construction des identités” ? Identification, image sociale, appartenance », Genèses, 61, 2005, p. 134 - 152.
44Henri Mendras, La seconde Révolution française, 1965 - 1984, Paris, Gallimard, 1988.
45Louis Pinto, « La construction sociale d’une fiction juridique : le consommateur, 1973 - 1993 », Actes de la recherche en sciences sociales, 199, septembre 2013, p. 4 - 27 ; Martin Bruegel, « Un distant miroir. La campagne pour l’alimentation rationnelle et la fabrication du “consommateur” en France au tournant du xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 199, 2013, p. 28 - 45.
46Tyler Stovall, Paris and the Spirit of 1919. Consumer Struggles, Transnationalism, and Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
47Alain Faure, « L’épicerie parisienne au xixe siècle ou la corporation éclatée », Le Mouvement social, 108, juillet - septembre1979, p. 113 - 130 ; Philip Nord, Paris Shopkeepers and the Politics of Resentment, Princeton, Princeton University Press, 1986.
48Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869 - 1920, le consommateur apprivoisé, Paris, Armand Colin, 1987 [1981] ; François Faraut, Histoire de “La Belle Jardinière”, Paris, Belin, 1987.
49Jacques Marseille (dir.), La révolution commerciale, du Bon Marché aux hypermarchés, Paris, Le Monde éditions, 1997 ; Catherine Grandclément, Franck Cochoy, « Histoires du chariot de supermarché », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 91, juillet - septembre 2006, p. 77 - 93 ; Claire Leymonerie, « Le Salon des arts ménagers dans les années 1950 : théâtre d’une conversion à la consommation de masse », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 91, juillet - septembre 2006, p. 43 - 56.
50Nancy L. Green, Du Sentier à la 7e avenue. La confection et les immigrés, Paris - NewYork 1880 - 1980, Paris, Seuil, 1998 ; Judith Coffin, « Credit Consumption, and Images of Women’s Desires : Selling the Sewing Machine in Nineteenth Century France », French Historical Studies, 18, 1994, p. 749 - 783 ; Frédéric Héran, Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains, Paris, La Découverte, 2014 ; Sophie Chauveau, L’invention pharmaceutique. La pharmacie française entre l’État et la société au xxe siècle, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1999 ; Isabelle Gaillard, La télévision. Histoire d’un objet de consommation, 1945 - 1985, Paris, Éditions du CTHS, 2012.
51Sabine Effosse, Le crédit à la consommation en France, 1947 - 1965, de la stigmatisation à la réglementation, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique/Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2014 ; Marc Martin, Histoire de la publicité en France, Nanterre, Presses universitaires Paris - Ouest, 2012.
52Jean - Claude Daumas, La révolution matérielle. Une histoire de la consommation (France, xixe - xxie siècle), Paris, Flammarion, 2018.
53Daniel Roche, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1998 [1981] ; Id., La culture des apparences, une histoire du vêtement, xviie - xviiie siècles, Paris, Fayard, 1989 ; Id., Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles, xviie - xixe siècles, Paris, Fayard, 1997 ; Manuel Charpy, Le théâtre des objets. Espaces privés, culture matérielle et identité bourgeoise. Paris, 1830 - 1914, thèse dirigée par Jean - Luc Pinol, université François - Rabelais de Tours, 2010.
54Dominique Poulot, « Une nouvelle histoire de la culture matérielle ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 44/2, avril - juin 1997, p. 346.
55François Jarrige, « Discontinue et fragmentée ? Un état des lieux de l’histoire sociale de la France contemporaine », Histoire, économie & société, 31/2, 2012, p. 45 - 59.
56Whitney Walton, France at the Crystal Palace: Bourgeois Taste and Artisan Manufacture in the Nineteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1992 ; Leora Auslander, Taste and Power: Furnishing Modern France, Berkeley, University of California Press, 1996 ; Lisa Tiersten, Marianne in the Market: Envisioning Consumer Society in Fin - de - Siècle France, Berkeley, University of California Press, 2001.
57Anne Lhuissier, Alimentation populaire et réforme sociale. Les consommations ouvrières dans le second xixe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.
58Sophie Chauveau écrit par exemple que la consommation de masse redéfinit « des modalités d’intégration sociale au moment où s’efface la notion de classe sociale, où le sentiment d’appartenance ne passe plus par le métier », Sophie Chauveau, « Regards sur la consommation de masse », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 91, juillet - septembre 2006, p. 4.
59Neil McKendrick, John Brewer, John Harold Plumb, The Birth of a Consumer Society: The Commercialization of Eighteenth - Century England, Bloomington, Indiana University Press, 1982; John Brewer, Roy Porter (dir.), Consumption and the World of Goods, Londres, Routledge, 1993.
60Marie - Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, op. cit., p. 4.
61Daniel Roche, La culture des apparences, op. cit. ; Id., Histoire des choses banales, op. cit.
62Pour la France, Jean - Claude Daumas, La révolution matérielle, op. cit. ; « Consommer en masse », dossier thématique, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 91, juillet - septembre 2006. Pour les États - Unis, voir Lizabeth Cohen, A Consumers’ Republic, op. cit.
63François Caron, « L’embellie parisienne à la Belle Époque : l’invention d’un modèle de consommation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 47, juillet - septembre 1995, p. 42 - 57.
64Rosalind Williams, Dream Worlds: Mass Consumption in Late Nineteenth Century France, Berkeley, University of California Press, 1982.
65François Caron, Les deux révolutions industrielles du xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1997 [1995] ; Patrick Verley, Nouvelle histoire économique de la France contemporaine, vol. 2, L’industrialisation, 1830 - 1914, Paris, La Découverte, 2003 [1989].
66Lisa Tiersten, Marianne in the Market, op. cit. ; Leora Auslander, Taste and Power, op. cit. ; Marie - Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, op. cit.
67Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit.
68Le département de la Seine concentre 24 % de la richesse française dans les années 1890. Bernard Marchand, Paris, histoire d’une ville, xixe - xxe siècle, Paris, Seuil, 1993, p. 207.
69David Harvey, Paris, Capital of Modernity, Londres, Routledge, 2003.
70On compte vingt et une nouvelles entreprises aux abords de la Villette et dix - neuf à Charonne et Picpus. Bernard Marchand, Paris, histoire d’une ville, op. cit., p. 127.
71François Caron, « L’embellie parisienne à la Belle Époque », art. cité, p. 50.
72Christophe Charle, « Situation spatiale et position sociale. Essai de géographie sociale du champ littéraire à la fin du xixe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 13, 1977, p. 45 - 59.
73Lenard R. Berlanstein, The Working People of Paris (1871 - 1914), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1984, p. 7 - 8.
74Ibid., p. 9. Paris compte 2 344 550habitants en 1886 et 2 888 110 en 1911.
75Susanna Magri, « Les propriétaires, les locataires, la loi. Jalons pour une analyse sociologique des rapports de location, Paris 1850 - 1920 », Revue française de sociologie, 37/3, juillet - septembre 1996, p. 397 - 418.
76Jean - Louis Robert, Danielle Tartakowsky (dir.), Paris le peuple, xviiie - xxe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 8.
77Laurent Turcot, « Promenades et flâneries à Paris du xviie au xxie siècle. La marche comme construction d’une identité urbaine », dans Rachel Thomas (dir.), Marcher en ville. Faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2010, p. 65 - 84 ; Pierre Casselle, Nouvelle histoire de Paris. Paris républicain, 1871 - 1914, Paris, Association pour la publication d’une histoire de Paris/Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 2003.
78« Enquête des dames patronnesses de l’œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers sur le travail des ouvrières », dans Charles Benoist, Les ouvrières de l’aiguille à Paris. Notes pour l’étude de la question sociale, Paris, Léon Chailley, 1895, p. 204.
79« Procès - verbaux de la commission chargée de faire une enquête sur la situation des ouvriers de l’industrie et de l’agriculture en France et de présenter un premier rapport sur la crise industrielle à Paris », Annales de la chambre des députés, nouvelle série, documents parlementaires, annexes, t. 12, mars - avril 1884, p. 394.
80Richard Hoggart, La culture du pauvre, étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970 [1957].
81Ibid., p. 379.
82Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Penguin Books, 1963; Id., « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971, p. 76 - 136.
83Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit.
84Christian Baudelot, Roger Establet, Maurice Halbwachs. Consommation et société, Paris, PUF, 1994, p. 43.
85Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979 ; Id., La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
86Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005 [1990].
87Pour donner accès à ces voix populaires, la retranscription respecte toujours l’orthographe d’origine, les fautes étant un indice tangible du niveau socio - culturel des auteurs.
88Les sites de généalogistes constituent en effet de gigantesques bases de données en ligne qui permettent d’identifier assez rapidement beaucoup d’individus à partir d’informations lacunaires. Nous avons particulièrement utilisé Ancestry.org et Geneanet.org. L’état civil parisien est directement accessible en ligne via le site http://canadp - archivesenligne.paris.fr pour la période 1860 - 1902.
89Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), Documents éphémères. Il s’agit respectivement des séries 40, 104, 116, 119, 123 et 120.
90Des collectionneurs privés nous ont aimablement laissé consulter leurs papiers : Guy Albert, Pascal Ferlicot, Pierre Tzenkoff, Pascal Gougeon et Roxanne Debuisson.
91Delcampe.fr, un site internet d’achat et de vente en ligne de cartes postales et de vieux papiers fournit également un très grand nombre de documents scannés et fonctionne un peu à la manière d’une gigantesque base iconographique dans laquelle on peut chercher par mots - clés.
92Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du xixe siècle, Paris, Perrin, 2002 [1958].
93Sophie Béroud, Tania Régin (dir.), Le roman social. Littérature, histoire et mouvement ouvrier, Paris, Éditions de l’Atelier, 2002.
94Par exemple, le récit de vie d’Amédée Domat, recueilli par Jacques Caroux - Destray, Un couple ouvrier traditionnel : la vieille garde autogestionnaire, Paris, Anthropos, 1974.
95Charles Couture, Des différentes combinaisons de ventes à crédit, dans leur rapport avec la petite épargne, thèse de doctorat de droit, Paris, Larose, 1904 ; André Saint - Martin, Les grands magasins, Paris, A. Rousseau, 1900 ; Antonin Coudert, Le livre du brocanteur et du négociant en chiffons, Paris, A. Rousseau, 1903.
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