La réalité morale est-elle construite ?
p. 107-124
Remerciements
Ce texte a bénéficié des remarques judicieuses de Jérôme Ravat, que je remercie vivement.
Texte intégral
1Dans son essai La raison des normes, Jean-François Kervégan a montré comment la raison pratique kantienne est un pouvoir de reconnaissance et non pas de production des normes qui s’attache à établir leur validité au moyen d’une procédure – le test d’universabilisation1. À l’opposé de cette lecture se trouve l’interprétation qu’en a donné quelques années plus tôt John Rawls. Dans Libéralisme politique, Rawls qualifie la théorie morale de Kant de « constructivisme moral ». Tout en étant convaincue par l’analyse de Jean-François Kervégan, j’aimerais, dans cet article, revenir sur les effets de sens que produit, presque malgré elle, l’appellation de « constructivisme » pour désigner la théorie de la raison pratique pure.
2À l’inverse de Jean-François Kervégan, Rawls soutient que les normes sont produites par la raison pratique lorsque celle-ci détermine la volonté, ce qui donne lieu à une « autonomie constitutive2 ». Tel est le sens du constructivisme kantien aux yeux de Rawls. L’intention du présent article n’est pas d’entrer dans un débat d’interprétation sur la morale kantienne. Ce qui nous intéresse davantage ici s’écarte même des caractéristiques immédiates que Rawls attribue au constructivisme et vient de quelque chose de suggéré par le terme même. De façon incidente, l’hypothèse d’un constructivisme envoie, en effet, un signal à la philosophie pratique contemporaine : en isolant l’étude des normes des pratiques individuelles comme si elles étaient des règles indépendantes, nombreux sont les théoriciens qui présupposent que le monde moral est donné à la raison pratique sans se demander s’il pourrait être constitué, du moins en partie, par elle.
3Ainsi définie comme étant constructiviste3, la philosophie morale de Kant semble révéler, et cela indépendamment des intentions de Rawls, à la fois ses forces et ses faiblesses. D’un côté, l’idée d’un constructivisme met en lumière le pouvoir qui revient à la raison pratique de produire des normes – hypothèse dont l’on ne discutera pas ici le détail et que l’on met certes en question à la lecture de l’interprétation de Jean-François Kervégan. La raison pratique serait le pouvoir de prescrire des règles d’action et de commander la réalisation du devoir. D’un autre côté, l’idée que la raison pratique construise les normes conduit à se demander si le mode de justification auquel elle a recours pour celles-ci est satisfaisant. Le point délicat réside dans le test d’universabilisation servant à justifier les normes. Les conditions d’accès à l’universel étant obscurcies dans le contexte du pluralisme axiologique qui caractérise l’époque contemporaine, la procédure de justification des normes par un test d’universabilité s’effectuant in foro interno, que défend la Critique de la raison pratique4, ne saurait paraître entièrement satisfaisante. On pourrait considérer que la procédure de justification kantienne n’évite pas l’écueil du subjectivisme en s’appuyant sur un monologue intérieur5. Pour un lecteur sensible aux critiques postmodernes adressées à la prétention à l’universalité du rationalisme occidental, l’anti-réalisme kantien (anti-réalisme qui apparaît au prisme de la lecture rawlsienne) présente une faille en ne pouvant se prémunir complètement du risque de subjectivisme. Est-ce là le signe que la position opposée en philosophie morale, également cognitiviste mais anti-constructiviste, qu’est le réalisme moral a raison ?
4Dans les sociétés actuelles, où la tolérance à l’égard du désaccord moral s’impose pour ne pas étouffer le pluralisme des opinions nécessaire à la démocratie, l’adhésion à une forme de réalisme moral paraît une bonne option. Le réalisme moral, pris pour l’instant en un sens large, présente l’avantage de montrer qu’après la philosophie postmoderne et le tournant linguistique en philosophie on peut encore sauver la morale, en tant que normativité objective particulière énonçant des critères pour évaluer l’orientation bonne ou mauvaise des actions. Le scepticisme moral, les thèses relativistes issues du courant postmoderne, ou encore la tentation de réduire la morale à un simple émotivisme, à un expressivisme ou même à un subjectivisme moral, l’ensemble de ces perspectives qui s’opposent à l’idée que la morale comporte une dimension objective6 et refusent parfois l’idée qu’elle soit accessible à une entreprise de connaissance7, trouve une réponse ferme dans le réalisme moral. Selon ce dernier, les normes morales ont une objectivité dans la mesure où elles renvoient aux propriétés intrinsèques de certains faits et sont à découvrir.
5J’aimerais, dans cet article, revenir sur le différend qui sépare les deux éthiques cognitivistes que sont le réalisme et le constructivisme, en choisissant des approches offrant des éléments pour une confrontation. Après avoir exposé la conception réaliste et naturaliste de l’école de Cornell puis l’approche réaliste de l’éthique de la discussion soutenue par Cristina Lafont, je montrerai que les limites de ces théories invitent à réhabiliter un certain constructivisme moral prenant au sérieux l’hypothèse réaliste. Telle est la conception thématisée par Jürgen Habermas dans Vérité et justification.
Réalisme et faits moraux
6La notion de « fait moral » n’est pas l’apanage des théoriciens réalistes contemporains, comme le montre la lecture d’Émile Durkheim. Un bref rappel des thèses de ce dernier s’avère intéressant pour se familiariser avec l’idée que la morale est une réalité objective8.
7Dans deux essais, « Définition du fait moral » (1893) et « Détermination du fait moral » (1906), Durkheim analyse la morale en tant qu’ensemble de règles indépendantes de l’individu, exerçant une contrainte et tirant son autorité de la collectivité. La réalité morale se présente sous la forme de faits moraux9. Le fait moral est un fait social d’un certain type présentant de façon contradictoire deux caractéristiques : il en appelle au devoir autant qu’il est désirable. L’approche sociologique de Durkheim sensibilise à la complexité de la réalité morale, qui n’est ni réductible à la simple obligation morale (comme le conçoit Kant) ni entièrement traduisible en un bien désirable (comme le pensent les morales utilitaristes). Les deux aspects s’interpénètrent dans l’accomplissement de l’acte moral, comme le précise la « Détermination du fait moral » :
[L]a désirabilité particulière à la vie morale participe du caractère précédent, du caractère d’obligation ; elle ne ressemble pas à la désirabilité des objets auxquels s’attachent nos désirs ordinaires. Nous désirons l’acte commandé par la règle d’une façon spéciale. Notre élan, notre aspiration vers lui ne vont jamais sans une certaine peine, sans un effort10.
8Grâce à la notion de fait moral, il devient possible d’éviter le « daltonisme moral spécial11 » qui est induit par des conceptions mentalistes de la normativité (incluant notamment la théorie kantienne) en insistant sur l’objectivité des règles et de l’autorité morales.
Le réalisme moral naturaliste
9Un philosophe réaliste contemporain partagera avec Durkheim l’idée qu’il y a des faits moraux – tout en les définissant autrement –, mais il ne pourra se contenter, sur un plan épistémologique, d’une lecture sociologique associant la justification des normes à l’autorité sociale. L’appellation « réalisme moral » désigne un ensemble de théories méta-éthiques très variées qui n’ont en commun qu’un petit nombre d’hypothèses. Elles sont essentiellement d’accord sur deux propositions fondamentales : premièrement, les énoncés moraux rendent compte de faits et ne sont pas issus de croyances ni d’états mentaux ; deuxièmement, les énoncés moraux peuvent être vrais ou faux, en fonction de leur adéquation ou non aux faits.
10L’école de Cornell articule ces deux hypothèses en soutenant que la factualité morale peut être découverte en s’aidant du langage12 de telle sorte que les énoncés qui prétendent au statut de normes morales comportent une dimension de vérité. Mes croyances ou mes opinions quant à la déclaration de tel ou tel énoncé n’affectent pas la valeur de vérité ou la fausseté de ce dernier. De la même manière que la valeur de vérité de la proposition « il pleut » ne dépend pas de mon avis sur le temps qu’il fait, l’énoncé « X a volé un portefeuille » rend compte d’un fait dont la restitution objective va exhiber un jugement normatif sur l’acte de voler. Le fait que je sois dans l’erreur à propos d’un énoncé moral (en pensant, par exemple, que voler dans certaines circonstances est justifié) n’affecte pas la valeur de vérité de la norme le sous-tendant (« voler est immoral »). En ce sens, la réalité des normes morales est irréductible à l’interprétation que j’en donne.
11Ne pouvant développer toutes les conceptions des philosophes de l’université de Cornell, je partirai de la définition des faits moraux de Peter Railton, qui est la plus explicite, et me pencherai sur la méthode de l’explication morale préconisée par Richard Boyd – qui me paraît la plus convaincante.
12Dans son article « Le réalisme moral », Peter Railton précise que la postulation de faits moraux a une dimension explicative. Elle permet d’expliquer certains traits caractéristiques des pratiques ou comportements observés. L’identification de faits moraux n’est possible qu’après avoir reconnu d’une part que certains aspects de la réalité sont indépendants de la pensée de leur existence et, d’autre part, que la réalité est constituée d’interactions, lesquelles de façon rétroactive exercent une influence sur nos perceptions, pensées et actions. Les faits moraux, éléments de cette réalité, sont donc à la fois objectifs et relationnels13. Loin d’être en tension, ces deux caractéristiques sont conciliables. Bien que relationnel, un fait moral demeure inscrit dans une réalité objective puisque, à l’instar d’un phénomène naturel (qu’il pleuve ou qu’il vente), il se produit indépendamment des consciences.
13Pour cette conception cognitiviste de la morale, le langage moral est porteur d’une valeur de vérité dans la mesure où chaque énoncé, tel un jugement de connaissance, peut s’avérer vrai ou faux en fonction de l’exactitude (ou de l’inexactitude) avec laquelle il décrit un fait moral. Pour autant, la connaissance morale n’est pas le résultat d’un point de vue impartial sur les faits, mais exprime la rationalité d’un « point de vue social14 », et plus exactement la perspective d’une communauté historico-sociale déterminée. Certaines croyances sont écartées à mesure que les sociétés évoluent, ce qui explique la mise au jour progressive de nouveaux faits moraux à travers l’histoire, telle la découverte du principe d’égalité entre les êtres humains et la condamnation de l’esclavage.
14La tâche du réaliste moral consiste à établir un compte rendu des faits qui mette en lumière les propriétés morales qui leur sont intrinsèques. Pour Richard Boyd (et en cela il s’écarte quelque peu de Railton), cette restitution des faits ne se comprend pas sur le mode d’une simple description ou définition analytique. Répondant à l’écueil du sophisme naturaliste15 qui consiste à déduire le devoir-être de l’être, Boyd précise que les propriétés morales, bien que connues grâce à l’observation de propriétés naturelles, surviennent par rapport à elles et ne s’y réduisent pas16.
15Dans « How to Be a Moral Realist », Boyd détaille la méthode explicative du réalisme moral en traçant une analogie avec le réalisme scientifique. Le domaine moral se rapporte à des faits moraux comme le domaine scientifique fait référence à des faits naturels. Il s’agit donc de connaître les phénomènes moraux à la manière des sciences de la nature, selon un processus de découverte et non de construction. Trois thèses, déduites d’une analogie stricte avec le réalisme scientifique17, définissent le réalisme moral :
1. Les énoncés moraux sont des énoncés qui sont vrais ou faux (ou qui expriment des propositions qui sont vraies ou fausses), ou encore approximativement vrais, largement faux, etc.
2. La vérité ou la fausseté (approximative) des énoncés moraux est largement indépendante de nos opinions, de nos théories, etc.
3. Les règles courantes du raisonnement moral (associées aux règles courantes du raisonnement scientifique et du raisonnement concret de la vie quotidienne) constituent, dans certaines circonstances du moins, une méthode fiable pour obtenir et améliorer la connaissance morale (approximative)18.
16De la même manière que le raisonnement scientifique, le raisonnement moral cherche à écarter les fausses croyances pour fonder des propositions vraies. La thèse 3 insiste sur la connexion entre les disciplines. Le modèle de la connaissance morale étant celui des sciences, on peut parler d’un progrès de la connaissance morale ; les avancées scientifiques ont également une influence sur la connaissance morale. Enfin, la méthode dont il est question, qui vaut aussi bien pour le réaliste scientifique que moral, consiste dans un équilibre réfléchi reposant sur une interaction entre des observations, des théories et une certaine méthodologie. La méthode de l’équilibre réfléchi conforte la position réaliste (et exclut une compréhension constructive) en supposant une confrontation nécessaire entre d’un côté des intuitions et conceptions morales et, de l’autre, des observations de comportements, d’actions, de politiques, etc.
17Lors de cette confrontation, le raisonnement moral fait jouer un rôle particulier à l’analyse sémantique. Par exemple, l’usage courant du terme « bon » est porteur d’un accès épistémique régulateur à ce qu’est un fait moralement bon. La divergence des vues sur le caractère bon ou mauvais d’un fait et l’évolution des conceptions du bien n’invalident pas le fait que « bon » demeure une propriété morale spécifique et qu’un ensemble de constituants (dont la liste demeure ouverte) peuvent être identifiés (selon l’hypothèse du regroupement homéostatique19) pour reconnaître la pertinence de l’emploi du concept de bien. Dans l’ensemble, le raisonnement moral cherche à « établir un lien causal significatif et épistémiquement pertinent entre l’utilisation d’un terme et son référent20 ».
Des aspects discutables
18La présentation, malheureusement bien trop brève, du réalisme moral naturaliste qui vient d’être faite permet d’entrevoir une théorie morale séduisante et robuste. Néanmoins, certaines hypothèses paraissent contestables. L’approche de Boyd fait converger le point de vue du sens commun et le point de vue informé par la science au point d’exclure des possibilités de désaccord, ce qui paraît restreindre l’enquête morale. Qui plus est, l’analogie entre le réalisme scientifique et le réalisme moral introduit un déséquilibre en faveur d’un modèle scientiste de la théorie morale (souhaité explicitement par Boyd) qui peut s’avérer préjudiciable. Ainsi, face à certains dilemmes moraux (tels ceux qui concernent la bioéthique, par exemple la question de l’euthanasie), l’autorité des avancées scientifiques pourrait s’imposer aveuglément sur le raisonnement moral, qui n’a pas les ressorts suffisants pour tester la fiabilité de celles-ci, au point que la spécificité du questionnement moral s’évanouit.
19En second lieu, en prenant pour modèle la connaissance des faits naturels, le réalisme de Cornell n’accorde pas de place à l’apprentissage des dispositions morales. Cette approche rend vain le discours de la psychologie morale21, ce qui est tout à fait contestable étant donné les découvertes faites par cette discipline sur l’acquisition de compétences morales22 ou sur les intuitions morales ordinaires23 et leur rôle dans la formulation d’un jugement moral.
20En troisième lieu, on peut considérer que le réalisme de Cornell présuppose un fait de second ordre pour poser l’existence incontestable de faits moraux. Une évidence est présupposée – c’est un fait : il y a des faits moraux – qui évoque le « mythe du donné24 » (de l’empirisme classique ou de l’empirisme logique du cercle de Vienne), lequel accorde d’une façon discutable un statut épistémique à des éléments de l’expérience. Ce présupposé, qui serait insoutenable pour un adversaire de l’immédiateté (tel Hegel), est problématique dans la mesure où il laisse planer le doute sur la capacité du réalisme moral à exhiber des conditions satisfaisantes de justification des normes sans arrêter abruptement l’investigation morale au nom d’une référentialité présumée.
Le réalisme en discussion
21Bien qu’opposé au réalisme moral, Jürgen Habermas a pour particularité de ne pas se détacher complètement de toute conception réaliste, ce qui rend sa position des plus intéressantes pour établir une discussion avec ce courant de pensée.
Retour sur un débat
22En 1993, un débat épistémologique célèbre a opposé Richard Rorty et Jürgen Habermas sur la question de la vérité25, qui a conduit à situer ce dernier dans le camp des philosophes réalistes. Au cours de ce débat, la position anti-réaliste (et néopragmatiste) de Rorty s’affirme à la fois dans sa manière de nier l’existence d’une réalité univoque qui puisse être une référence transculturelle et dans son adhésion à une thèse contextualiste liée à la contingence du langage26. Habermas défend une perspective réaliste de la connaissance, en lien par ailleurs à son approche pragmatique du langage. Il est fondamental pour lui de considérer l’existence d’une réalité extérieure, indépendante de nous, qui résiste à notre manipulation. C’est également la résistance qu’offre le monde vécu à certaines croyances qui empêche d’adhérer à une approche contextualiste.
23Il n’est pas certain que les deux philosophes se soient entendus sur le sens du terme « réalisme ». Toutefois, une chose est sûre, Rorty et Habermas prennent acte l’un et l’autre du tournant langagier opéré en philosophie27. Ils s’accordent à tirer deux enseignements de ce changement de paradigme en philosophie : premièrement, le rapport au monde n’est pas immédiat mais est inextricablement lié au langage ; deuxièmement (et c’est là également une conséquence du point précédent), toute conception de la vérité-correspondance fondée sur une adéquation entre les représentations et la réalité extérieure est erronée.
24Dans le prolongement des positions épistémologiques qu’il a soutenues en débat avec Rorty, Habermas développe, dans Vérité et justification, un réalisme révisé de la connaissance. L’originalité de son approche consiste à concilier l’idée d’un monde objectif indisponible (thèse réaliste) et le fait que nous n’avons pas accès à la réalité sans la médiation du langage. Ce réalisme est pragmatique – en un autre sens que le pragmatisme de Rorty – dans la mesure où il repose sur les conditions de validité du discours mises au jour par la pragmatique langagière.
Contre une éthique réaliste de la discussion
25En adhérant à un certain type de réalisme en théorie de la connaissance, Habermas pourrait laisser entendre qu’en théorie morale, bien que les variantes naturalistes (considérées plus haut) soient indéfendables, un certain type de réalisme est acceptable. Ainsi, l’éthique réaliste de la discussion qu’élabore Cristina Lafont dans « Pluralism and Universalism in Discourse Ethics28 » présente une conception du réalisme moral qui, de prime abord, semblerait convenir aux attentes habermassiennes en matière de théorie morale.
26Initialement, avant que Habermas n’apporte des éclaircissements sur sa propre perspective, la théorie de Cristina Lafont avait perçu à raison un défaut de l’éthique de la discussion et s’efforçait d’y répondre. On se souvient que la première formulation habermassienne de l’éthique de la discussion, dans Morale et communication, insiste sur son caractère procédural. En l’absence d’indications supplémentaires, comme le signale Lafont, il est conséquent de penser que la délibération est le processus établissant la valeur de vérité d’un énoncé moral. Or, si tel est le cas, le monde moral resterait un simple produit de l’esprit. L’éthique habermassienne de la discussion ne résisterait pas alors à une critique réaliste : comment supposer que le monde moral auquel ferait référence la théorie de la discussion ait une quelconque objectivité s’il n’est pas indépendant de l’esprit ? C’est en réponse à cette objection et pour consolider l’éthique de la discussion que Cristina Lafont émet une hypothèse réaliste. Selon elle, les intérêts généralisables qui sont issus des discussions pratiques ont une fonction analogue à la présupposition ontologique selon laquelle il existe un monde objectif.
27Contre toute attente, Habermas n’accueille pas de façon favorable ce remaniement de l’éthique de la discussion qui conduit à ontologiser les intérêts généralisables. Il rejette d’autant plus fermement cette approche dans Vérité et justification qu’il craint une identification abusive entre celle-ci et sa propre version de la théorie de la discussion. Deux objections majeures sont adressées par le philosophe de Starnberg à la version réaliste de l’éthique de la discussion. Il signale tout d’abord qu’il est difficile de comprendre quel est le statut ontologique des intérêts généralisables. Ceux-ci feraient partie du monde objectif, en étant extérieurs à l’esprit, et seraient en même temps un analogon de celui-ci. Ce double statut signale une impasse dans la définition qui, à ce stade, est insurmontable.
28La deuxième critique qu’adresse Habermas à Lafont signale à quel point, selon lui, la formulation réaliste abandonne la dimension discursive de la théorie de la discussion. Le fait d’ontologiser les intérêts généralisables présuppose, en effet, qu’on les connaîtra à la manière des objets, en adoptant une attitude d’observateur. Cette connaissance ne sera donc pas issue de la perspective d’un participant, laquelle est fondamentale pour qu’une véritable discussion ait lieu. Malgré elle, la conception de Lafont ne peut faire autrement que de minimiser la perspective de la deuxième personne du singulier – du « tu ». Elle ne rend pas suffisamment compte de la caractéristique propre au monde moral (par rapport au monde objectif) qui est de s’appuyer sur la dimension interpersonnelle, relationnelle des participants.
29Sur le plan épistémologique, et tout en apportant une révision issue de la pragmatique langagière, Habermas s’inscrit dans un courant réaliste. Il est, de prime abord, paradoxal que ce philosophe soutienne un réalisme épistémologique naturaliste (faible) et refuse tout réalisme en morale. Comment peut-il soutenir sans contradiction d’un côté une théorie réaliste de la connaissance et de l’autre une conception cognitiviste, anti-réaliste de la morale ? Le paradoxe va plus loin : s’opposant à toute sorte de psychologisme, Habermas conçoit l’univers moral comme étant à la fois indépendant de l’esprit (hypothèse réaliste) et accessible à la connaissance (hypothèse cognitiviste). Comment se fait-il que Habermas ne reconnaisse pas de la même manière l’importance de ces deux hypothèses pour définir son approche de l’éthique et puisse se dire cognitiviste en refusant toute forme de réalisme moral ?
Construire le monde moral
30Le refus qu’adresse Habermas à l’éthique réaliste de la discussion dans Vérité et justification est symptomatique de son rejet du réalisme en morale. De façon générale, dans toute entreprise réaliste en morale, il y aurait, selon le théoricien francfortois, une assimilation indue entre le monde moral et le monde objectif, ou encore sur le plan de la connaissance, une assimilation indue entre la validité morale et la vérité.
31Lorsqu’il revient en 1999 sur la question de la vérité en morale dans Vérité et justification (après une première thématisation en 1972 dans « Théories relatives à la vérité29 »), Habermas entreprend de se situer par rapport à la question ontologique du naturalisme et par rapport à la question épistémologique du réalisme. Comme le signale un essai ultérieur sur le libre arbitre, il refuse plus largement toute explication naturaliste en théorie morale qu’il estime réduire l’ordre des valeurs à celui des faits30. Sa position répond indirectement aux tenants de l’école de Cornell, dont l’approche est, rappelons-le, sur le plan épistémologique, à la fois réaliste et naturaliste31.
Vérité et justesse
32Penchons-nous sur la théorie méta-éthique de Habermas dans la formulation qu’en propose Vérité et justification. Celle-ci se comprend à la lumière de sa conception de la vérité morale. Alors que, pour les partisans du réalisme de Cornell, parler de « vérité morale » va de soi puisque le mode de connaissance des faits moraux prend pour modèle celui des faits naturels, pour Habermas, il est problématique d’associer les notions de vérité ou de fausseté aux propositions morales.
33Selon Habermas, le réalisme moral présente une difficulté particulière en s’efforçant de « restituer des faits moraux32 » qui soient des faits connaissables alors même que leur référent ultime demeure des valeurs ou des normes et non pas, comme lorsqu’il s’agit de faits naturels, des états de chose s’enchaînant de façon causale. Le parallélisme strict entre le savoir moral et le savoir empirique tend à faire oublier la différence ontologique entre des énoncés descriptifs rendant compte d’états de choses (énoncés précisant ce qui est et prétendant au statut de vérité) et des propositions morales prescrivant des comportements pour l’action (propositions énonçant un devoir-être et différant d’une prétention à la vérité)33.
34Deux critères doivent être nécessairement combinés pour qu’une vérité puisse être établie selon Vérité et justification. Il faut qu’un processus de justification (fondé sur une discussion rigoureuse) débouche sur une assertabilité rationnelle en même temps que soit accessible à l’observation un ensemble de conditions transcendant les énoncés discutés et renvoyant à une réalité indépendante de l’esprit humain. Cette thèse exclut l’idée simplificatrice d’une vérité-correspondance entre faits et propositions en combinant l’intuition réaliste d’un monde d’objets indépendant et l’hypothèse d’un accès à la réalité médiatisé par le langage. Signalons également que la perspective de Vérité et justification témoigne d’une évolution par rapport à la première réflexion habermassienne sur la vérité de « Théories relatives à la vérité ». Il n’est plus dorénavant question de « vérité-consensus », au contraire il s’agit d’indiquer pourquoi un concept de vérité faisant référence à la seule procédure de la discussion, soit l’idée de l’assertabilité rationnelle, est insuffisant.
35Au sujet des normes morales, soutient Habermas, on ne dira pas qu’elles sont vraies, mais il y a lieu d’établir une analogie avec les énoncés prétendant à la vérité en adoptant une hypothèse réaliste, c’est-à-dire en présupposant un monde moral qui présente un caractère de résistance ou d’indisponibilité face aux manipulations que nous souhaiterions lui imposer. L’hypothèse réaliste est donc fondamentale ici pour comprendre dans quelle mesure des similitudes mais aussi des différences existent entre la vérité et son équivalent fonctionnel en morale, la validité morale ou justesse normative.
36Selon la perspective habermassienne, l’indépendance du monde moral est tout aussi réelle que celle du monde objectif, mais elle ne relève pas du même ordre. C’est sous une autre modalité que s’exprime l’indépendance du monde moral. Tandis que le monde objectif est un ensemble d’objets et de faits donnés à la connaissance, le monde social ou moral – pour ce point précis, la distinction ne s’impose pas – repose sur des relations interpersonnelles auxquelles nous participons et il comporte une dimension historique. La structure historique est une composante essentielle du monde social, mais pas du monde objectif. Ce qui résiste à une manipulation dans le monde moral et qui lui confère une objectivité n’est donc pas un donné factuel extérieur à l’esprit humain. L’objectivité en morale se rencontre dans le fait qu’il y a des désaccords moraux, ou encore elle est éprouvée par quiconque se rend compte que ses propres convictions personnelles ne peuvent suffire à justifier un jugement moral. L’« objectivité d’un esprit autre34 » qui offre une résistance n’est pas de même nature que l’objectivité d’une réalité extérieure à l’esprit. La validité objective (Gültigkeit) de la norme morale dépasse le registre de la simple croyance, et elle n’est pas non plus identique à la valeur sociale (soziale Geltung) de la norme en vigueur35, qui tire son autorité de la convention ou de l’usage. Issue d’un monde commun, partagé par tous, la norme morale ne paraît alors justifiée que si elle est le résultat d’une procédure d’inclusion et de reconnaissance de toutes les perspectives – procédure dont la modalité est, pour Habermas, une discussion ou argumentation.
37Les difficultés liées à la justification des normes sont évidentes : inclure tous les membres d’une communauté morale, en droit tous les êtres humains, est un défi permanent ; de sorte que les énoncés restent toujours susceptibles de révision. La dimension historique du monde social amène en outre à revenir constamment sur des normes validées antérieurement qui peuvent avec le temps paraître inadaptées : il n’existe pas de savoir moral qui serait cumulatif comme peut l’être le savoir empirique pour les sciences de la nature (l’écart avec l’idée d’une connaissance morale en progrès avancée par les théoriciens de Cornell est patent). Afin que ces révisions nécessaires des normes morales ne restent pas de simples souhaits, Habermas montre comment une norme est valide à condition de satisfaire une discussion de fondation (ayant lieu ex ante) et une discussion d’application (se produisant dans des contextes précis prenant en compte la singularité des circonstances données).
38Les énoncés moraux sont donc faillibles36 ; ils ne sont pas justifiés une fois pour toutes. Et ils ne peuvent être ni « vrais » ni « faux » puisque seule l’assertabilité rationnelle issue d’une procédure décide de leur validité sans que s’effectue une confrontation avec un état de choses extérieur (confrontation requise pour tester la vérité d’un énoncé). L’analogie entre les prétentions à la vérité et les prétentions à la justesse morale ne se retrouve que sur le plan de la justification, pas dans le rapport à un état de choses existant. Ainsi, autant la vérité ne saurait être un concept uniquement épistémique, puisqu’elle dépend d’une réalité transcendant la justification, autant la justesse est entièrement un « concept épistémique », puisque le fondement des énoncés moraux est immanent au processus de discussion.
Le monde moral comme projet
39Si un parallèle peut être tracé entre le monde objectif et le monde moral, selon Habermas, il ne sera pas à trouver dans les différentes manières dont nous nous rapportons à eux pour les connaître. Refusant le postulat ontologique selon lequel il y aurait des faits moraux à découvrir, Habermas considère que le monde des normes morales est une « tâche », un « projet », et non un donné37. C’est ici que se profile l’idée de normes morales construites, idée de prime abord paradoxale et dérangeante. Empruntant à Rawls le terme « construction », Habermas soutient que la « raison pratique légifère dans un sens constructif38 ». La définition d’une raison pratique autolégislatrice constructive fait écho à la perspective kantienne sans lui être identique dans la mesure où la rationalité communicationnelle qui est au cœur de la procédure de justification des normes est ancrée dans les pratiques langagières quotidiennes, et n’est plus la raison du sujet transcendantal. C’est en trois sens que la raison pratique produit des normes de façon constructive d’après Vérité et justification.
40Il a déjà été question du premier aspect : les normes font partie d’un projet de monde moral, ou règne des fins dans le lexique kantien, qui est à construire. En un deuxième sens, les normes morales sont construites parce qu’elles sont le fruit d’une procédure de justification fondée sur des rapports de reconnaissance et d’inclusion. Cette perspective ne nie pas d’autres composantes du langage moral, et en particulier le rapport à l’expérience vécue, bien au contraire. Mais si le langage moral se compose aussi, à côté de normes fondées sur des raisons, de jugements et de sentiments réagissant à des pratiques interpersonnelles, il ne se réduit pas plus à l’expérience vécue qu’il ne saurait être dérivé d’une description correcte de certains faits sollicitée pour clarifier les premières impressions de l’expérience et dégager les jugements vrais des fausses croyances.
41En troisième lieu, du fait de l’hypothèse réaliste d’un monde moral existant de façon indépendante, soutenir que les normes morales sont construites ne revient pas à considérer qu’elles sont manipulables. Cette dernière proposition pourrait paraître une tautologie. En réalité, ce soupçon se dissipe dès lors que l’on prête attention au point de vue qu’adoptent les participants à une discussion sur les normes. Il s’agit d’un point de vue décentré, dans la mesure où la discussion crée les conditions de formation impartiale du jugement en reposant sur des conditions pragmatiques et procédurales. La discussion progresse correctement si les sujets en présence adoptent l’attitude performative de participants égaux et se reconnaissent comme tels, et s’ils parviennent à inclure les perspectives de tous les concernés. La procédure argumentative met en place les conditions permettant l’accès à des intérêts universalisables. Résultat du point de vue moral formé dans les conditions de l’argumentation, les normes morales résistent à la manipulation des sujets en n’étant à aucun moment soumises à leur arbitre.
42À l’issue de cette étude, je souhaiterais signaler les avantages que comporte un cognitivisme moral non réaliste associé à un réalisme épistémologique faible par rapport aux variantes (naturaliste ou fondée sur l’éthique de la discussion) du réalisme moral. Sur le plan métaphysique, un cognitivisme moral non réaliste permet de ne pas s’appuyer sur le présupposé ontologique lourd selon lequel il y a des faits moraux. En deuxième lieu, cette conception maintient l’hypothèse d’une objectivité morale en la pensant dans sa spécificité même. L’objectivité morale apparaît au sein d’un monde humain qui est soumis à l’évolution historique, de sorte que la justification des normes morales demeure une tâche faillible, et que celles-ci sont amenées de façon légitime à être constamment questionnées et révisées.
43Enfin, ce cognitivisme de type constructiviste qui considère le monde moral au présent, en devenir, et à améliorer, invite en retour à prendre au sérieux des normes qui, tout comme le notent les partisans du réalisme moral, résistent à la manipulation et à l’interprétation subjective, et dont la résistance force à considérer que l’on ne peut en faire l’impasse, que chacun est concerné. Le monde moral en tant que projet, et non comme donné, apporte ainsi une réponse aux différents discours de type relativiste et sceptique. L’idée d’un monde moral à co-construire révèle le sens de la morale en tant qu’elle devient un projet commun visant le respect de chacun et la réalisation de tous.
Notes de bas de page
1J.-F. Kervégan, La raison des normes. Essai sur Kant, Paris, Vrin, 2015, p. 74 et suiv. Jean-François Kervégan insiste sur cette caractéristique au point d’emprunter l’expression « règle de reconnaissance » à H. L. Hart pour désigner la loi morale – la règle de reconnaissance est une règle de second ordre servant à discriminer entre les normes juridiques et celles qui n’en sont pas selon l’auteur du Concept de droit (trad. M. Van de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2005).
2J. Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995 [1993], p. 134.
3Un seul aspect de la conception kantienne est mis en avant par cette appellation puisque si la loi morale est bien produite par la raison, elle est « donnée » à la conscience (voir E. Kant, Critique de la raison pratique, trad. J.-P. Füssler, Paris, GF Flammarion, 2003 [1788], § 7, scolie).
4E. Kant, Critique de la raison pratique, op. cit., chap. II, « De la typique de la faculté de juger pratique pure ».
5Voir J. Habermas, Morale et communication (1983), trad. C. Bouchindhomme, Paris, Champs Flammarion, 1999, p. 88 et suiv. ; J. Habermas, L’éthique de la discussion et la question de la vérité, trad. P. Savidan, Paris, Grasset, 2003, p. 18 et suiv.
6Mentionnons quelques partisans de ces courants refusant l’objectivité en morale. L’impossibilité d’une quelconque connaissance morale, qui est l’idée matricielle du scepticisme moral, a été amplement développée par J. L. Mackie (Ethics: Inventing Right and Wrong, Harmondsworth, Penguin, 1977) ; pour une position sceptique plus modérée, voir W. Sinnot-Armstrong (Moral Skepticisms, Oxford, Oxford University Press, 2006). L’idée du relativisme moral qui rend compte de l’impossibilité de porter un jugement sur les valeurs au nom de leur pluralité dans les différentes cultures est partagée par de nombreux auteurs (tels G. Harman,« Moral Relativism Defended », Philosophical Review, 1975, p. 3-22 et S. Lukes, Le relativisme moral, trad. A. el-Wakil, Genève, édition Markus Haller, 2015 [2008]). Sur l’émotivisme soutenant que les jugements moraux sont des expressions des émotions du locuteur, voir en priorité A. J. Ayer (Langage, vérité et logique, Paris, Flammarion, 1956). Enfin l’expressivisme dont l’un des fondateurs célèbres est R. M. Hare (The Language of Morals, Oxford, Oxford University Press, 1991 [1952]) considère le langage moral porteur d’attitudes évaluatives ou de prescriptions.
7Parmi ces conceptions, certaines développent une forme de cognitivisme moral. Tel est le cas du subjectivisme moral selon lequel certaines propositions morales portant sur des opinions ou sentiments sont vraies, ou de certains courants expressivistes (ainsi T. Horgan et M. Timmons, « Cognitivist Expressivism », dans T. Horgan, M. Timmons [dir.], Metaethics after Moore, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 255-298).
8Pour une présentation et une discussion approfondies du réalisme moral contemporain, voir R. Ogien, « Qu’est-ce que le réalisme ? », dans Id., Le réalisme moral, Paris, PUF, p. 3-197.
9É. Durkheim, « Définition du fait moral » (1893), dans Id., Textes. 2. Religion, morale, anomie, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 257-288 et Id., « La détermination du fait moral », Bulletin de la Société française de philosophie, 1906, p. 3-46.
10Id., « La détermination du fait moral », art. cité, p. 11.
11Ibid., p. 12.
12L’étude des faits moraux incorporant une dimension historique et située des communautés morales, le réalisme moral de Cornell cherche à produire une évaluation justifiée des actions morales, mais s’abstient de prétendre nécessairement formuler des normes universelles. Voir, notamment, P. Railton, « Le réalisme moral », Les ateliers de l’éthique, 11/2-3, 2016, p. 171-212.
13P. Railton, « Le réalisme moral », art. cité.
14Ibid., p. 191.
15G. E. Moore, Principia Ethica, trad. M. Gouverneur, Paris, PUF, 1998 [1903].
16Pour une distinction fine entre les théories associant survenance et réductibilité (telle celle de Richard Hare) et la conception de Boyd qui les dissocie, voir J. Ravat, « Le réalisme moral analogique de Richard Boyd : enjeux, portée, limites », Philosophia Scientiae, 13/1, 2019, p. 13-41, ici p. 18 et suiv.
17« Le réalisme scientifique est la doctrine selon laquelle les théories scientifiques doivent être comprises comme des descriptions possibles [putative] de phénomènes réels, que les méthodes scientifiques ordinaires constituent une procédure fiable pour obtenir et améliorer la connaissance (approximative) des phénomènes réels décrites par les théories scientifiques, et que la réalité décrite par les théories scientifiques est largement indépendante de notre théorisation » (R. N. Boyd, « How to Be A Moral Realist », dans P. K. Moser, J. D. Trout, Contemporary Materialism. A Reader, Londres, Routledge, 2002, p. 307-356, ici p. 307).
18Ibid.
19Ibid., p. 329 et suiv.
20Ibid., p. 336. La théorie causale de la référence de Kripke sert d’appui à cette thèse (S. Kripke, La logique des noms propres, trad. F. Récanati et P. Jacob, Paris, Éditions de Minuit, 1982 [1972]).
21À ce sujet, J. Ravat, « Le réalisme moral analogique de Richard Boyd… », art. cité.
22Citons les travaux pionniers de Lawrence Kohlberg (The Psychology of Moral Development: the Nature and Validity of Moral Stages, San Francisco, Row and Harper, 1984) et de Carol Gilligan (Une voix différente. Pour une éthique du care, trad. A. Kwiatek revue par V. Nurock, Paris, Champs Flammarion, 2008 [1982]).
23Notamment J. Haidt, « The Emotional Dog and Its Rational Tail: A Social Intuitionist Approach to Moral Judgment », Psychological Review, 108, p. 814-834.
24W. S. Sellars, Empirisme et philosophie de l’esprit, trad. F. Cayla, Paris, Éditions de l’Éclat, 1992.
25Voir F. Gaillard, J. Poulain, R. Shusterman (dir.), La modernité en questions, Paris, Éditions du Cerf, 1998 ; P.-L. Dostie Proulx, Réalisme et vérité : le débat entre Habermas et Rorty, Paris, L’Harmattan, 2012.
26R. Rorty, Contingence, ironie et solidarité, trad. P.-E. Dauzat, Paris, Armand Colin, 1997.
27Id., The Linguistic Turn. Recent Essays in Philosophical Method, Chicago, The University of Chicago Press, 1967 ; R. Rorty, La philosophie et le miroir de la nature, trad. T. Marchaisse, Paris, Seuil, 2017.
28C. Lafont, « Pluralism and Universalism in Discourse Ethics », dans A. Nascimento, A Matter of Discourse. Community and Communication in Contemporary Philosophies, Londres, Avebury Press, 1998, p. 55-78.
29J. Habermas, « Théories relatives à la vérité », dans Id., Logique des sciences sociales et autres essais, trad. R. Rochlitz, Paris, PUF, 1987 [1972].
30Id., « The Language Game of Responsible Agency and the Problem of Free Will: How can Epistemic Dualism Be Reconciled With Ontological Monism? », Philosophical Explorations. An International Journal for the Philosophy of Mind and Action, 10, 2007, p. 13-50.
31La précision n’est pas inutile : ainsi Boyd ne soutient pas de naturalisme ontologique en défendant une survenance des propriétés morales par rapport aux propriétés naturelles et en refusant la réduction de celles-là à celles-ci (voir article cité). Mais pour Habermas un naturalisme épistémologique attaché à faire des sciences de la nature le modèle du raisonnement moral demeure réductionniste.
32J. Habermas, Vérité et justification (1999), trad. R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 2001, p. 306.
33« Il est douteux qu’il existe des “faits” auxquels les énoncés moraux “conviennent” ou correspondent, à la manière dont les énoncés descriptifs “conviennent” ou “correspondent” aux faits » (J. Habermas, Vérité et justification, op. cit., p. 209).
34J. Habermas, Vérité et justification, op. cit., p. 222.
35J. Habermas, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle (1983), trad. C. Bouchindhomme, Paris, Flammarion (Champs), 1999, p. 94 et suiv. ; Id., Vérité et justification, op. cit., p. 212.
36Sur la manière dont Habermas s’inspire du « faillibilisme » de Karl Popper (La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1973) tout en le modifiant sous l’influence de ses recherches sur le langage, voir J. Habermas, « Contre le rationalisme disséqué à la mode positiviste », dans T. W. Adorno, K. Popper et al., De Vienne à Francfort. La querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles, éditions Complexe, 1975, p. 132 et suiv. et 174. À ce sujet, voir J.-M. Durand-Gasselin, « Habermas lecteur de Popper. Faillibilisme et historicisme », Archives de philosophie. Raison et société chez le premier Habermas, G. Marmasse (dir.), 82/1, 2019, p. 105-122.
37J. Habermas, Vérité et justification, op. cit., p. 225 et 233.
38Ibid., p. 204.
Auteur
Maîtresse de conférences en philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France.
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