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D’une réforme à l’autre (816-934)

 | 
Michèle Gaillard

Troisième partie. Des communautés religieuses intégrées dans la société aristocratique

Chapitre VII. Des enjeux du contrôle social

Texte intégral

1Objets des largesses des rois, des grands et des évêques et même des aumônes des plus modestes depuis les débuts de leur existence, les communautés religieuses ont accumulé au fil des temps un patrimoine foncier qui les a rendues parfois maîtresses de territoires étendus.

  • 1 A. Doll, « Das Pirminskloster Hornbach... ».

2Dès l’époque mérovingienne le contrôle des abbayes a été souvent l’enjeu des rivalités entre familles aristocratiques parmi lesquelles les Pippinides, ancêtres des Carolingiens, et des familles dont les descendants apparaissent encore dans nos sources aux ixe et xe siècles, les Widonides, toujours maîtres d’Hornbach1 les Étichonides implantés en Alsace ; d’autres familles d’origine inconnue, comme les Bosonides ou les Régnier, ou plus lointaine, comme les Welf, ont ajouté leurs bienfaits et leurs ambitions à ceux des anciennes familles du cru.

  • 2 J. Semmler, « Abbayes royales », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1968, (...)
  • 3 C’est aussi l’opinion de J. Nightingale, Monasteries..., p. 9.
  • 4 R. Parisot, Le royaume..., p. 709-710. Dans cette catégorie il place Remiremont sans qu’on puisse (...)
  • 5 Ibid. Bonmoutier et Étival, qui auraient toutes deux fait partie du patrimoine d’Andlau, Saint-Dié (...)
  • 6 Ibid. Il y place à juste titre Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz et, ce qui est moins sûr, Moyenmou (...)

3Peut-être un moment stoppée ou ralentie par la mainmise systématique des Pippinides sur la plupart des grandes abbayes du royaume franc qui deviennent avec leur accession à la royauté des abbayes royales, la course au contrôle des abbayes reprend de plus belle avec l’affaiblissement du pouvoir carolingien : les grandes familles aristocratiques se disputent les abbatiats que le roi distribue non seulement sur les abbayes royales mais aussi sur certaines abbayes épiscopales qui sont reprises par les rois aux évêques pour s’assurer les fidélités aristocratiques. Le schéma « classique »2, qui convenait bien aux règnes de Charlemagne et de Louis le Pieux, de trois catégories d’abbayes, les abbayes royales dont le roi nomme l’abbé, les abbayes épiscopales qui appartiennent aux évêques et les abbayes privées, devenues très rares, qui appartiennent à la famille des fondateurs, apparaît de plus en plus bousculé à notre époque et en particulier après la mort de Louis le Pieux3. Cette confusion avait déjà été relevée par Robert Parisot qui avait tenté, sans que ce soit très convaincant, de distinguer trois catégories d’abbayes royales, celles qui ont été données à un évêque4, celles données à un autre monastère5, celles données à un laïc6. Ces catégories n’étant ni satisfaisantes ni permanentes, il faut donc, sans trop nous en préoccuper, examiner comment s’exercent sur les abbayes les pouvoirs royaux, épiscopaux et aristocratiques, quels en sont les avantages et les inconvénients et quelles en sont les limites.

La protection royale et ses contraintes

  • 7 Livre II, § 2 : Ipse (rex) enim debet primo defensor esse ecclesiarum et seruorum Dei... (MGH Conc (...)

4La protection des églises est un des devoirs du souverain. On le voit exprimé notamment dans les actes du concile de Paris de 8297. Ce devoir s’applique bien entendu aux abbayes, qu’elles soient peuplées de chanoines, de moines ou de religieuses. Cette protection s’applique par des dispositions législatives générales prises dans les capitulaires, mais surtout par les dispositions des diplômes royaux en faveur des abbayes.

  • 8 Cf. annexe, p. 320 et suivantes pour les dates et contenus de ces diplômes.

5En Lorraine, de 816 à 934, les diplômes royaux en faveur des communautés religieuses conservés sont au nombre de 49 :21 dans le diocèse de Metz (huit pour Saint-Arnoul, un pour Sainte-Glossinde, deux pour Gorze, deux pour Saint-Martin de Glandières, sept pour Hornbach, un pour Neumunster), 12 dans le diocèse de Toul (quatre pour le chapitre cathédral de Toul, un pour Bonmoutier, un pour Senones, cinq pour Saint-Èvre, un pour Saint-Mansuy), et 16 dans le diocèse de Verdun, pour Saint-Mihiel. Les objets de ces diplômes apparaissent dans le tableau 11 ci-après8.

  • 9 [DB 2, 884, p. 335] et [DT 12, 912, p. 346].
  • 10 [DHe 1, 908, p. 345].
  • 11 [DR 1, 825/840, p. 325].
  • 12 [DT 2, p. 329, DT 3, p. 334, DT 7, p. 339 et DT 10, p. 343].
  • 13 Cf. infra, p. 387-393.

6À ces diplômes royaux en faveur des communautés religieuses, il faut ajouter des diplômes qui les concernent sans pour autant leur être favorables, relatifs à Bonmoutier9, Herbitzheim10, Remiremont11, et plusieurs remettant Saint-Èvre sous la sujétion de l’évêque de Toul12, ainsi qu’un certain nombre d’actes perdus qu’on connaît par des mentions dans d’autres actes ou par des sources littéraires13.

Tableau 11 – Les diplômes royaux en faveur des abbayes

Tableau 11 – Les diplômes royaux en faveur des abbayes

Les références des diplômes renvoient aux Régestes p. 320-350.

  • 14 31 mai, Servais [DSMi g, p. 328].
  • 15 23 août, Saint-Mihiel [DSMi 10, p. 329].
  • 16 Diplômes de Louis le Pieux, 816, 2 septembre, Aix-la-Chapelle [DSMi 3, p. 321] et de Lothaire, 841 (...)
  • 17 Diplômes de 833, 18 décembre, Mayence [DH 3, 4 et 5, p. 323-324]. Les Widonides, propriétaires du (...)
  • 18 Diplôme de 816, 13 janvier, Aix-la-Chapelle [DB 1, p. 320].
  • 19 Diplôme de 816, 2 juin, Aix-la-Chapelle [DSMi 1, p. 320].
  • 20 Le diplôme de Charlemagne pour Bonmoutier invoqué par celui de Louis le Pieux n’existe plus ; pour (...)

7Les octrois d’immunité et d’exemption de tonlieu sont essentiellement l’œuvre des empereurs, Louis le Pieux et Lothaire Ier : en 846, Charles le Chauve ne fait que confirmer, sans doute pour les possessions de Saint-Mihiel dans son royaume, l’immunité octroyée par son père Louis le Pieux14. De même le diplôme de Lothaire II de 85915 ne fait que reprendre les dispositions des diplômes de Lothaire Ier et de Louis le Pieux16 concernant l’exemption de tonlieu. Les diplômes de Lothaire Ier de 833 pour Hornbach confirment ceux octroyés par son père17. Les deux immunités octroyées par Louis le Pieux à Bonmoutier18 et à Saint-Mihiel19 sont également des confirmations des dispositions prises par Charlemagne20. Après le règne de Lothaire II, plus aucun diplôme royal ne confirme d’immunité, soit qu’on n’éprouve plus le besoin de faire confirmer celle-ci, soit qu’elle soit tombée en désuétude.

  • 21 Elle figure au traité de Meersen dans la part de Louis le Germanique : Bodonis Monsterium (Annales (...)
  • 22 Cette immunité est attestée seulement pour l’Église de Toul et par une source indirecte, les Gesta (...)

8Seules trois abbayes sont concernées par ces octrois d’immunité et ces exemptions de tonlieu, Saint-Mihiel, abbaye royale, Hornbach, abbaye privée et Bonmoutier, fondée par un évêque de Toul mais qui est passée sous la domination royale21. Les abbayes épiscopales ne sont jamais concernées par ces immunités puisqu’elles pouvaient bénéficier de l’immunité octroyée à tous les biens de l’Église à laquelle elles appartenaient22.

  • 23 F. J. Felten, äbte..., p. 257-260.
  • 24 Ibid., p. 268-269.
  • 25 Le diplôme de Louis le Pieux de 819 [DH 1, p. 321] montre bien que le monastère a des propriétaire (...)

9À partir du règne de Louis le Pieux, immunité et protection royale sont étroitement liées23, ce qui apparaît clairement dans le cas de Saint-Mihiel24 et d’Hornbach. Le fait que ce dernier monastère, pourtant privé, reçoive l’immunité signifie que ses propriétaires l’ont placé sous la protection du roi. En principe l’immunité mettait l’abbaye et ses terres à l’abri des intrusions des agents royaux, mais pas des usurpations comme le montrent les diplômes de restitution de biens concernant Hornbach. Le statut inhabituel de ce monastère, à la fois protégé par l’empereur et monastère privé25, avait peut-être facilité de telles usurpations qui semblent au contraire n’avoir jamais touché l’abbaye de Saint-Mihiel.

  • 26 F. J. Felten (Âbte..., p. 275) a estimé à une vingtaine le nombre d’abbayes ayant obtenu, dans tou (...)
  • 27 Le Royaume..., p. 358-359.
  • 28 Par ce diplôme de 895, 14 août, Trosly-sur-Loire [DSMi 12, p. 341], Zwentibold procède en fait à u (...)
  • 29 Dès 898, 13 février, Compiègne [DSMi 13, p. 342], en 913, 11 juin Saint-Arnoul de Metz [DSMI 15, p (...)
  • 30 Par Charles le Chauve en 877, 24 juin, Soissons [DSMi n, p. 333] et par Charles le Simple en 915, (...)
  • 31 Cf. note 28.
  • 32 A. Lesort, Chronique et chartes... ; les chartes des ducs de Bar, des évêques de Verdun et les bul (...)
  • 33 En 877 comme en 915 : (...) monachi in coenobio sancti Michaelis Archangeli (...) nostram adierunt (...)

10Celle-ci apparaît véritablement comme le monastère royal le plus choyé en Lorraine : non seulement l’abbaye obtient immunité et exemption de tonlieu, mais chose plus rare encore, elle obtient de Louis le Pieux puis de Lothaire Ier, le droit de libre élection de l’abbé26. Elle apparaît également suffisamment puissante pour obtenir de Charles le Chauve en 846 la confirmation de son immunité pour les biens qu’elle possède dans le royaume occidental, ainsi qu’en 877 une donation royale. Cette sollicitude est d’ailleurs expliquée à la fin de ce diplôme où Charles le Chauve invoque la mémoire de l’abbé défunt Hilduin. Deux personnages de l’entourage de Charles le Chauve portaient ce nom : l’archichapelain de Charles, mort en 860, et l’abbé de Saint-Bertin candidat de Charles le Chauve au siège de Cologne en 870. Avec raison, Robert Parisot penchait pour cette dernière identification en pensant impossible que l’archichancelier de Charles le Chauve soit en même temps abbé de Saint-Mihiel27, alors dans le royaume de Lothaire. Quoi qu’il en soit, l’un comme l’autre de ces deux personnages ne pouvait être un abbé régulier, ce qui montre que le privilège d’élection de l’abbé, non renouvelé, fut de courte durée. Dans les décennies qui suivent, Saint-Mihiel est encore l’objet de l’attention royale avec des dons de Zwentibold28 et de Charles le Simple29, et des confirmations de biens par Charles le Chauve et Charles le Simple30. En regardant attentivement comment se répartissent les diplômes royaux pour Saint-Mihiel, on s’aperçoit que, mise à part la pseudo-donation de Zwentibold31, l’abbaye fut, à partir de 870, favorisée seulement par les souverains de l’ouest, Charles le Chauve et Charles le Simple ; les souverains d’origine germanique s’en désintéressèrent presque totalement, même lorsqu’ils régnaient sur la région et, après Charles le Simple, il n’y eut plus aucun diplôme royal en faveur de Saint-Mihiel32. Les diplômes royaux répondant souvent aux sollicitations des moines33, on a nettement l’impression que ces derniers avaient cultivé des liens privilégiés avec le royaume de l’Ouest et évité de demander les faveurs des souverains germaniques.

  • 34 Hilduin, puis Étienne, évêque de Liège (sur ce personnage, Le millénaire d’Étienne, évêque de Lièg (...)

11Sans doute Saint-Mihiel ne fut-elle pas la seule abbaye royale bénéficiant des faveurs royales et l’exceptionnelle conservation de ses actes grâce à son cartulaire grossit-elle sans doute un peu son importance face aux autres abbayes royales, comme Remiremont notamment : sur six diplômes de Charles le Chauve pour la région, trois concernent Saint-Mihiel, et sur quatre diplômes de Charles le Simple, trois. Ces actes montrent cependant que le statut d’abbaye royale, avec comme contrepartie la nomination des abbés par le roi, sauf sous les règnes de Louis le Pieux et de Lothaire Ier, et même la présence d’abbés séculiers34, permettait aux moines de vivre des jours tranquilles à l’abri des aléas politiques.

  • 35 À l’exception de l’unique acte pour Senones en 825, 18 décembre, Aix-la-Chapelle [DS 1, p. 323] ; (...)

12À partir du règne de Lothaire Ier, la sollicitude royale qui semblait jusque-là laisser de côté les monastères appartenant aux évêques35 s’exerce envers tous les monastères, par des donations (13 actes), dont le plus grand bénéficiaire est Saint-Arnoul de Metz, et des confirmations de biens ou de droits (11 actes) qui concernent quatre abbayes différentes et le chapitre de Toul.

  • 36 Régestes, p. 331-332 ; d’autant que le diplôme concernant Sainte-Glossinde est sans aucun doute in (...)
  • 37 J. Nightingale pense que les spoliations de Gorze, de Saint-Martin de Glandières et de Saint-Arnou (...)

13Les restitutions de biens opérées par Louis le Germanique lors de sa venue à Metz en 875, après la mort de l’évêque Advence, doivent être interprétées avec prudence36 ; elles indiquent qu’il y avait eu auparavant des spoliations, mais on ne sait si ce fut de la part de l’évêque ou de laïcs37, et surtout il ne faudrait pas en conclure qu’il n’y en eut pas ailleurs en Lorraine : l’opportunité de la visite de Louis le Germanique et le hasard de la conservation des actes ont braqué les projecteurs sur ces spoliations qui n’étaient probablement pas les seules en Lorraine et pas forcément les plus importantes.

  • 38 Ce qui va dans le sens des remarques de B. Rosenwein, selon lesquelles l’immunité serait une expre (...)

14Donations et confirmations de biens semblent donc être devenues la manière ordinaire dont usaient les rois pour favoriser les abbayes de leur royaume et s’en faire des alliées. Face à la puissance croissante de l’aristocratie laïque et à l’affaiblissement du contrôle royal sur ces territoires38, l’immunité paraît moins recherchée, seuls le contrôle effectif des terres et l’augmentation du patrimoine pouvaient avoir quelque utilité pour les abbayes comme pour les chapitres cathédraux.

  • 39 Par Lothaire, en 840, 13 août, Mayence. [DSA 1, p. 325] et par Charles le Chauve en 842, 24 févrie (...)
  • 40 9 septembre, Metz [DSA 4, p. 330] : une chapelle donnée à l’occasion du couronnement de Charles le (...)
  • 41 897, 28 décembre, Toul [DSE 4, p. 342].
  • 42 884, 15 février, Colmar [DSM 1, p. 335] ; Fulbert pourrait être abbé de Saint-Mansuy ou bien de Sa (...)
  • 43 Diplômes de 889, 9 juillet, Francfort [DSA 6, p. 338] et de 892, 25 avril, Ratisbonne [DSA 7 et 8, (...)
  • 44 900, 8 octobre, Tribur [DH 7, p. 343] : là aussi le roi emploie l’expression quasdam res iuris nos (...)

15Il faut cependant relativiser l’importance des donations royales. Rares sont en effet les véritables donations de biens appartenant au roi et ayant un effet immédiat ; on en compte quatre : la donation de Rémilly à Saint-Arnoul par Lothaire Ier puis par Charles le Chauve39, la donation de Charles le Chauve à Saint-Arnoul en 86940, la donation par le roi Zwentibold à Saint-Èvre du droit de pêche et du produit d’un droit de ban41 et la donation par Charles le Gros de quasdam res iuris nostri à l’abbé Fulbert42. Il faut y ajouter deux donations indirectes : celles du roi Arnulf qui donne la villa d’Ars à son médecin avec retour à Saint-Arnoul après la mort de celui-ci43, et de Louis l’Enfant donnant à un moine d’Hornbach des terres qui devront revenir au monastère après la mort du moine44.

16En réalité, beaucoup d’actes qui ont la forme de donations n’en sont pas vraiment :

  • quand en 877, Charles le Chauve donne des biens aux moines de Saint-Mihiel, il leur donne en réalité, en certains lieux quicquid ibi de ratione Sancti Michaelis pertinet45, il procède donc à un transfert de biens vers la mense monastique en profitant peut-être du fait qu’il n’y a pas encore de nouvel abbé ;
  • en 895, Zwentibold donne aux moines, avec l’accord de l’abbé Étienne, des biens qui appartenaient auparavant à la mense abbatiale46 ;
  • les biens donnés par Louis l’Enfant puis par Charles le Simple à un moine de Saint-Mihiel et qui devront ensuite faire retour aux frères, sont pris sur le patrimoine de l’abbaye, probablement sur la mense abbatiale47.

17Peu d’abbayes sont donc concernées par les générosités royales, et parmi elles surtout Saint-Arnoul et Saint-Mihiel. Cela peut être dû au hasard de la tradition des sources, bien meilleure pour ces deux abbayes dont les cartulaires sont conservés, mais il faut remarquer qu’aucun de ces dons royaux ne concerne Gorze, qui possède également un cartulaire. Ces dons s’exercent en faveur d’une abbaye royale chère surtout aux rois de l’Ouest, Saint-Mihiel, et une abbaye épiscopale chère aux Carolingiens puisqu’elle abrite le tombeau de leur ancêtre Arnoul et celui de Louis le Pieux.

  • 48 Cf. plus haut note 35.
  • 49 En particulier Saint-Èvre de Toul.

18Les autres dons sont très circonstanciés : on a vu que celui de Louis le Pieux pour Senones était en fait un arrangement entre l’évêque de Metz et l’abbé de Senones48, celle de Louis l’Enfant pour Hornbach est en réalité faite à un moine avec retour à l’abbaye après sa mort et celle de Charles le Gros pour Saint-Mansuy est une donation personnelle à l’abbé. Il ne faut donc pas exagérer la générosité des souverains carolingiens envers les abbayes ; si le fisc s’est amenuisé, ce n’est sans doute pas, en Lorraine, à leur profit. Au contraire, d’autres actes montrent clairement que les souverains ont su tirer parti des biens des abbayes, en particulier de celles qu’ils ne « protégeaient » pas, pour pouvoir récompenser leurs fidèles49.

  • 50 Cf. K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 30-32.
  • 51 Éditions : MGH Capitularia 1, p. 348-351 ; É. Lesne, « Les ordonnances », p. 489-493 ; D. P. Becke (...)

19Un certain nombre de documents50, dont la notitia de seruicio monasteriorum qui ne concerne qu’une petite partie des monastères de l’empire et même des monastères royaux51, font état des services dus par les abbayes royales au roi carolingien : dons annuels, service militaires des vassaux de l’abbaye sous sa responsabilité. Mais un seul document concerne la région : le Liber de sancti Hidulfi successoribus fait état de trente soldats avec leur équipement fournis par Moyenmoutier à l’époque de Lothaire (II ?) :

  • 52 Trad. J. Théry, maîtrise Paris I, § 5, MGH SS 4, p. 89 : Aduersus quos cum etiam crebram aciem pro (...)

« Comme il envoyait contre eux de nombreuses troupes, et n’obtenait pas d’issue satisfaisante pour lui dans ses combats, il pourvoyait à ses besoins propres en puisant dans les biens de notre monastère. Mais l’abbé, ainsi contraint de s’engager dans l’expédition royale et de contribuer aux continuelles et excessives levées de soldats, détestant au plus haut point la discorde parricide et impie, refusa de fournir à l’armée, comme c’était la coutume, le groupe de guerriers cuirassés, c’est-à-dire trente soldats avec le nombre habituel de mains munies de boucliers »52.

  • 53 MGH Capitularia 1, p. 349 : Monasterium sancti Michaelis Maresci primi ; cette transcription a été (...)

20Seule l’abbaye de Saint-Mihiel est peut-être53 mentionnée dans la noticia seruicio monasteriorum, parmi les abbayes soumises à des dons mais exemptées de service militaire.

  • 54 Cf. supra, chapitre 5, p. 164.
  • 55 Réginon de Prüm, Chronique, MGH in usum..., 50, p. 144.
  • 56 Nombreux exemples dans K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 32-37.

21Si le roi reprend fréquemment des abbayes épiscopales, comme Saint-Èvre54, il n’est qu’un seul exemple en Lorraine d’abbaye dont l’abbatiat laïque soit gardé par le roi : en 896, quand Zwentibold reprend aux comtes Gérard et Matfrid révoltés l’abbaye de Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz, entre autres, il garde pour lui l’abbatiat55. C’est la seule attestation que nous ayons d’une pratique pourtant fréquente ailleurs56.

  • 57 Cf. plus loin notes 64, 65 et 66.
  • 58 12 novembre [DSA 3, p. 329].
  • 59 23 août [DSMi 10, p. 329].
  • 60 Le 6 août, Lothaire était encore à Metz d’où il expédia un diplôme en faveur de l’Église de Toul [ (...)
  • 61 Il est dificile de connaître la durée de ce séjour puisque le diplôme suivant est daté de Prüm, le (...)

22Le roi exerçait-il un droit de gîte dans les abbayes royales ? Certes quelques diplômes royaux sont expédiés depuis ces abbayes : cinq par Lothaire Ier depuis Remiremont, les 28 et 29 août 843 ainsi que les 25 août et 6 septembre 85457, deux par Lothaire II, à Saint-Avold en 85658 et à Saint-Mihiel en 85859. Dans ces deux derniers cas, la durée du séjour royal ne peut être établie. À Saint-Mihiel, le roi a pu effectuer une simple étape dans le monastère alors qu’il se rendait en Francie occidentale où il joignit ses forces à celles de Charles le Chauve contre les Normands60. Les moines ont alors profité de son passage pour obtenir une exemption de tonlieu de charroi, portage et navigation. En ce qui concerne l’acte passé à Saint-Avold en 856, il est expédié à la demande d’un des fidèles du roi Lothaire II et concerne une donation faite à Saint-Arnoul avant la mort de l’archevêque Drogon (décembre 855). Il faut supposer que ce personnage, Walter, a profité d’un séjour du roi, pour faire confirmer les clauses particulières de cette donation61.

  • 62 « Fisc et bans... » ; je remercie très cordialement Josiane Barbier de m’avoir communiqué les résu (...)
  • 63 Cf. chapitre 5, p. 173.
  • 64 Cf. J. Barbier « Fisc et bans... ».
  • 65 De nombreux diplômes concernant la Lorraine sont expédiés de Gondreville : par Lothaire Ier, en 84 (...)
  • 66 Excepté peut-être le passage du roi Rodolphe de Bourgogne en 888. Cf. infra, chapitre 8, p. 278.

23En revanche, les séjours royaux à Remiremont sont bien mieux documentés. Josiane Barbier en a effectué le bilan62, résumé ci-après. Bien qu’on ne connaisse pas les modalités de ces séjours, il faut se garder d’imaginer les rois et leur cour séjournant au milieu des moniales à Remiremont. Il ne faut pas oublier que vers 820, à mon sens durant l’été 82263, les moniales ont abandonné le monastère du mont pour un autre situé dans la vallée ; par contre les séjours royaux pouvaient continuer d’avoir lieu sur le mont, comme le suggèrent le fait que les rois, et en particulier Louis le Pieux, s’y adonnaient à la chasse, et les toponymes de Romarin Mons ou Romarici castellum employés par nos sources64. Davantage que son statut d’abbaye royale, c’est sans aucun doute l’existence d’un fisc royal abondamment pourvu en gibier qui explique la fréquence et la durée des séjours royaux à Remiremont. Cette fréquence n’a d’équivalent que celle des séjours royaux dans le palais de Gondreville65. Notons qu’après 864, il n’y plus d’attestation de séjours royaux à Remiremont66.

  • 67 23 novembre [DSA 5, p. 332].
  • 68 28 décembre, Toul [DSE 4, p. 342].
  • 69 11 juin, Saint-Arnoul de Metz [DSMi 15, p. 347].
  • 70 904, 26 novembre, Tribur [DSMi 14, p. 344].

24Au cours de leurs séjours en Lorraine, quelques rois ont aussi expédié des diplômes depuis les abbayes épiscopales de Saint-Arnoul et de Saint-Èvre. Pour le diplôme de Louis le Germanique de 875, si le séjour du roi à Metz est bien attesté par deux autres diplômes similaires en faveur de Gorze et de Saint-Martin de Glandières, le séjour à Saint-Arnoul précisément est moins sûr : il est fort probable que le diplôme a été rédigé par le destinataire67. En 897, les moines de Saint-Èvre ont sans doute profité d’un passage du roi Zwentibold, pour obtenir de lui des droits de pêche et de ban68, mais le roi pouvait tout aussi bien séjourner dans son palais de Gondreville tout proche. Faite à la demande du comte Ricuin, la confirmation par Charles le Simple en juin 91369 de la donation qui avait été effectuée par Louis l’Enfant au profit d’un moine de Saint-Mihiel70, a été expédiée de Saint-Arnoul ; il est naturel que le comte Ricuin, abbé laïque de Saint-Mihiel, ait profité de la présence du roi à Metz pour obtenir la confirmation de ce diplôme. On aura remarqué que les deux abbayes épiscopales où la présence du roi est attestée sont situées dans les villes épiscopales. On ne voit jamais le roi résider, aussi bref que soit le séjour, dans des abbayes épiscopales rurales comme Gorze. On peut donc considérer que le roi est alors l’hôte de l’évêque quand il ne dispose pas de palais à proximité de la ville comme à Metz, ou bien qu’il n’a fait qu’une brève halte dans un abbaye proche de son palais, comme à Saint-Èvre. Dans un cas comme dans l’autre, le roi est donc l’hôte de l’évêque et non plus d’un monastère qui lui appartient.

Tableau 12 – Les séjours royaux à Remiremont

  • 71 Aquasgrani reuersus est [= après Pentecôte], Et post paucos dies per Arduennam iter faciens Treuer (...)
  • 72 Atque inde [= Nimègue] digrediens Aquisgrani petiit et inde per Arduennam usque ad Rumerici montis (...)
  • 73 Dimisso conuentu [= à Aix-la-Chapelle ; après mai] in Uosagum ad Rumerici montem uenandi gratia pr (...)
  • 74 Dehinc [= Ingelheim] imperator in partes Rumerici montis per Uosagum transiit ibique piscationi at (...)
  • 75 Post cuius celebritatem [= Pâques à Aix] per Ardennam siluam uenatione se exercuit : et post sanct (...)
  • 76 Quibus absolutis [= à Thionville, après mai], ipse, circa Rumerici montem diebus aliquot uenatione (...)
  • 77 MGH, DK 2 : Die Urkunden Lothars I. und Lothars II., éd. Th. Schieffer, Berlin-Zurich, 1966, no 78 (...)
  • 78 Ibid. : diplôme de Lothaire Ier pour Munstergranfeld no 105, p. 245-251 (pseudo-original du xie ou (...)
  • 79 Ibid., no 134, p. 298-300 : diplôme de Lothaire Ier pour Cruas (comté de Viviers, monastère de l’ar (...)
  • 80 Cf. supra, p. 46.
  • 81 Hlotharius uero (...) ipse per Gundulfi uillam et Romerici montem obuiam fratri suo ad locum qui U (...)

Rois

Dates des séjours

Attestations

Louis le Pieux

ap. Pentecôte 821
825 (avec Lothaire)
831
834
836

Annales regni Francorum, a. 82171 et L’Astronome, Vita Hludouuici72
Annales regni Francorum, a. 82573
L’Astronome, Vita Hludouuici74
L’Astronome, Vita Hludouuici75
Annales de Saint-Bertin, a. 83676

Lothaire I er

28/29 août 843
? 25 août-6 sept. 849 ?
6 sept. 854

Diplômes pour Arezzo77
Diplômes pour Münstergranfeld et Erstein78
Diplôme pour Cruas79

Rencontre des rois

? ? ? décembre 861

Hypothèse de K. Schmid, d’après l’inscription du Liber Memorialis, f° 43r80

Lothaire II

864

Annales de Saint-Bertin, a. 86481

  • 82 Cf. E. Ewig, « Beobachtungen zu den Klosterprivilegien des 7. und frühen 8. Jahrhunderts », Adel u (...)

25Globalement donc, malgré les séjours royaux dont la fréquence et le poids ne doivent pas être exagérés, le statut d’abbaye royale était largement favorable aux communautés religieuses en les mettant à l’abri des exactions des agents du fisc, et en leur permettant de profiter plus facilement des largesses royales. En l’absence d’exemptions comparables à celles qui ont pu être octroyées à l’époque mérovingienne82 ou à celles qu’obtiendront certaines abbayes à la fin du xe siècle, on doit supposer que ces abbayes restaient, au plan spirituel, sous la responsabilité de l’évêque ; il faut donc s’interroger sur la façon dont l’évêque pouvait exercer son contrôle et sur l’existence d’une différence de traitement entre les abbayes royales et les abbayes épiscopales.

Le contrôle épiscopal, avantages, inconvénients et limites

26En théorie, l’évêque exerce une autorité disciplinaire sur tous les établissements religieux de son diocèse, que ce soient les églises ou les abbayes de moines, de chanoines ou de religieuses. Déjà à l’époque de Charlemagne de nombreux conciles avaient rappelé la soumission des abbés et des moines à l’évêque diocésain, ainsi le concile de Francfort en 794 :

  • 83 § 6, MGH Concilia 2, p. 166-167 : Statutum est a domno rege et sancta synodo, ut episcopi iustitia (...)

« Il est décidé par le seigneur roi et le saint synode que les évêques rendront la justice dans leurs diocèses. Si quiconque parmi les abbés, prêtres, diacres, sous-diacres, moines et autres clercs et même d’autres dans leur diocèses, n’obéit pas à son évêque, ils se rendront auprès de leur métropolitain et celui-ci jugera l’affaire avec ses suffragants »83.

27Cette disposition est reprise par le Capitulare Missorum generale de 802 :

  • 84 § 15, MGH Capitularia 1, p. 94 : Abbates autem et monachis omnis modis uolumus et precipimus, ut e (...)

« Nous voulons et ordonnons que tous les abbés et moines de toutes sortes soient soumis à leur évêque avec humilité et obéissance, comme il est prescrit par la constitution canonique »84.

  • 85 MGH Concilia 2, p. 456-464.
  • 86 Ibid., p. 460.

28Cette soumission ressort aussi des termes de la lettre envoyée par Louis le Pieux aux archevêques absents au concile de 816 pour leur demander de faire appliquer les décisions prises85. C’est aussi cette autorité qui permet à l’archevêque Hetti de Trèves de demander à l’évêque Frothaire de Toul, en conformité avec cette même lettre86, un rapport sur l’application des décisions impériales :

  • 87 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 277, no 2 ; La corres (...)

« Nous voulons rappeler à votre sagacité l’ordre dont vous avez reçu l’expression cette présente année par une lettre identique. Vous n’ignorez pas en effet avec quelle circonspection nous avons reçu l’ordre du seigneur empereur concernant le développement de la règle de vie religieuse et les édifices servant au ministère des chanoines : en tous lieux où ceux-ci ne seraient pas bien équipés, il nous a mandés, nous dans notre province et chaque évêque dans son diocèse, de faire en sorte qu’on les pourvoie avec la plus grande diligence. Et à présent s’annonce un plaid, au cours duquel il est certain que notre seigneur nous demandera de rendre compte de notre obéissance. C’est pourquoi vous devez mener diligemment des enquêtes dans votre diocèse, dans vos monastères et ceux des autres, pour savoir si la règle susdite est dignement respectée en tous points et si les édifices qui s’y trouvent ont été construits ou rénovés selon ses décrets, afin que, lorsque nous présenterons à la clairvoyance de l’empereur l’échec des efforts des autres et de nous-mêmes, nous lui annoncions la vérité de la part de tous »87.

Tableau 13 – Tableau synoptique des évêques de la province de Trèves et des souverains

Tableau 13 – Tableau synoptique des évêques de la province de Trèves et des souverains

29La façon dont l’évêque pouvait concrètement exercer cette autorité nous échappe presque complètement. Nos sources ont plutôt retenu les cas où cette autorité ne s’exerçait pas : ainsi le mécontentement de l’évêque de Toul, Frothaire, concernant les moines de Senones qui portent leurs plaintes directement à l’évêque de Metz, propriétaire du monastère, plutôt qu’à l’évêque de Toul dont ils dépendent :

  • 88 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 294-295, no 28 ; La c (...)

« Au reste, votre dilection doit savoir que je suis tout à fait mécontent de certains moines d’un de vos monastères, que dirige Erlefred. En effet, alors que ce lieu est attaché à notre diocèse et que ses occupants doivent, par la volonté de Dieu, être placés sous notre protection, certains d’entre eux quittent notre diocèse sans notre permission ni autorisation, sous prétexte de déposer des plaintes, et j’ignore totalement où ils se rendent. Or s’ils viennent vous trouver et importunent vos oreilles, <rappelez-vous> que la réglementation des canons aurait dû être respectée à notre égard, en sorte que leurs querelles me fussent notifiées et qu’une réprimande adéquate leur fût infligée par une égale consultation entre nous »88.

  • 89 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 290-291, no 21 ; La c (...)

30Ce même Frothaire ne peut intervenir dans les affaires de Moyenmoutier, monastère royal, qu’avec l’approbation royale et en compagnie d’un homme de confiance de l’empereur, l’abbé Smaragde89.

  • 90 W. Haubrichs, Die Tholeyer Abtslisten..., p. 138-155.

31Les interventions des évêques révélées par les actes ne concernent que des abbayes épiscopales : Gorze, Saint-Arnoul, Saint-Èvre et Neumunster, de même celles relatées par les gesta. À Verdun, l’évêque Bérard se préoccupe de la vie des chanoines de la cathédrale et des prêtres ruraux, installe huit chanoines à Saint-Vanne mais n’intervient aucunement dans la vie des deux monastères de son diocèse, Vasloge et Saint-Mihiel, tous les deux monastères royaux. Il réside et est enterré à Tholey, dans le diocèse de Trèves, car le monastère appartient aux évêques de Verdun qui en sont très souvent en même temps les abbés90.

  • 91 Sainte-Glossinde était une abbaye royale puisque disposant d’un privilège d’immunité (Miracula S. (...)

32Il est fort probable que les évêques pouvaient être sollicités dans les monastères pour certaines cérémonies, comme le montre le récit de la translation de sainte Glossinde de Metz91, mais il n’est pas exclu non plus que certains monastères royaux aient préféré faire appel pour ces translations de reliques comme pour les consécrations d’autels à d’autres évêques que l’évêque diocésain.

  • 92 Ceci va dans le sens d’une certaine continuité entre l’exemption mérovingienne et l’immunité carol (...)

33L’absence d’intervention des évêques diocésains dans les abbayes royales est si systématique qu’elle ne peut être due au hasard des sources conservées. Il n’est pas exclu que le privilège d’immunité lié à la protection royale implique une véritable exemption des abbayes concernées : l’évêque carolingien, au même titre que les autres agents du roi, ne pouvait pénétrer dans le territoire de l’immuniste, sauf à la demande le l’abbé, pour une tâche précise, comme une translation, ou bien en qualité de missus impérial comme ce fut le cas de Frothaire à Moyenmoutier vers 82592.

  • 93 On trouvera d’autres exemples d’abbés laïques à la tête d’abbayes épiscopales infra, p. 261.
  • 94 858, 6 août, Metz [DT 2, p. 329].
  • 95 Gesta episcoporum Tullensium, MGH SS 8, p. 637.
  • 96 R. Parisot, Le royaume..., p. 488.

34À l’inverse, les exemples de Gorze, et, secondairement, de Saint-Arnoul, montrent que la présence épiscopale pouvait être fort pesante sur les abbayes que l’évêque contrôlait réellement. Le tableau 14 ci-après souligne que les évêques intervenaient dans la vie de la communauté et le choix de l’abbé, et que très souvent l’évêque se réservait l’abbatiat ou exerçait un contrôle très étroit sur les biens des abbayes. C’est l’évêque qui octroyait ou approuvait les précaires et les échanges de biens, c’est lui qui décidait de restaurer la vie monastique ou canoniale. En échange de ce contrôle, on pourrait supposer que les abbayes se trouvaient de ce fait à l’abri des confiscations royales et des abbés laïques imposés par le pouvoir royal. Il n’en est rien : en 855, ou peu après, Lothaire II place un abbé laïque, le beau-frère de la reine Teutberge, Bivin, à la tête de Gorze93. Son père Lothaire Ier avait confisqué Saint-Èvre à l’évêque de Toul94, il fera peut-être de même à l’encontre de l’évêque Arnaud qui s’opposait à son divorce95. Plus tard le roi Arnulf confisquera à nouveau l’abbaye à l’évêque Arnaud qui avait couronné Rodolphe de Bourgogne en 88896.

  • 97 [AE 9, 884 ?, p. 356].
  • 98 C’est ce que reprochent les Miracula S. Apri à l’évêque Ludelme (AA SS, sept., V, p. 72-73).

35L’action de l’évêque lui-même peut être positive pour la communauté, mais, quelquefois aussi, il peut s’approprier des biens de l’abbaye – ainsi Rémilly restitué ensuite à Saint-Arnoul par Robert97 –, et se servir des biens fonciers de ses abbayes pour doter en précaires ses propres fidèles98.

Tableau 14 – Les interventions épiscopales dans les abbayes

Évêques

Abbayes concernées
(abbayes royales)

Sources

Nature des interventions

Frothaire de Toul (813-847)

Saint-Èvre de Toul Senones Moyenmoutier

AE 1 Lettre (cf. note 88) Lettre (cf. note 89)

réforme et restitution des biens plainte au propriétaire, l’évêque de Metz mission de médiation entre les moines et l’abbé sur ordre de l’empereur

Drogon de Metz (823-855)

Sainte-Glossinde de Metz
Saint-Arnoul
Gorze

Vita s. Glodesindis I, § 20 et II, § 34 942, charte d’Adalbéron Ier APSA½
AE 3
AG 1
AG 2 et 3
APG 5

translation de reliques
restauration
octroi de précaire
octroi de précaire
approbation d’un échange effectué par l’abbé
échange en tant que recteur de l’abbaye octroi de précaire

Advence de Metz (858-875)

Sainte-Glossinde de Metz
Gorze Neumunster

Miracula s. Glodesindis II, § 56.
AE 4 et 5
AG 6, 7 et 8
mention dans AE 10

intervention auprès du roi Lothaire II pour la restitution des anciens privilèges donation, nomination d’un abbé et reforme
approbation d’échanges effectués par le prévôt
fondation et dotation en reliques

Bérard de Verdun (870-879)

Saint-Vanne de Verdun

PSV1

dotation foncière et installation de chanoines

Walo de Metz (876-882)

Gorze

AE 7 et 8

échangé de biens, précaire

Robert de Metz (883-917)

Saint-Arnoul de Metz
Gorze
Neumunster

AE 9
AE 12
AE 13
AG 17 et 18
AE 10

restitution de bien
octroi de précaire
attribution de dîmes
approbation d’échanges effectués par l’abbé
dotation foncière

Dadon de Verdun (880-923)

Saint-Vanne

APSV 2

précaire

Wigéric de Metz (917-927)

Gorze

AG 20

approbation d’un échange effectué par l’abbé

Benno de Metz (927-929)

Saint-Arnoul

AE 17

octroi de précaire

36Si les abbayes épiscopales ne sont pas partagées par les souverains entre eux comme le furent les abbayes royales au traité de Meersen, elles suivent le sort de l’évêque qui en est le propriétaire et peuvent subir les contrecoups, positifs ou négatifs, de ses relations avec le roi. Le statut d’abbaye épiscopale qui, soit dit en passant, est une catégorie moderne qui n’apparaît nulle part dans la législation religieuse carolingienne, n’est lui même jamais acquis définitivement : ainsi l’abbaye de Bonmoutier, fondée par un évêque de Toul, Bodon, au viie siècle, est devenue au ixe siècle abbaye royale, puisqu’elle est citée au traité de Meersen ; au début du xe siècle, elle fait à nouveau partie des biens de l’évêque de Toul ; l’autre fondation de Bodon, Étival, est également passée aux mains du roi et de là est devenue une possession de l’abbaye d’Andlau fondée par l’épouse de Charles le Gros, Richarde ; Saint-Dié, donnée à l’évêque Jacob par Pépin le Bref, est à nouveau monastère royal à notre période et n’est restituée à l’Église de Toul qu’à la fin du xe siècle.

37Finalement, le sort des abbayes épiscopales est beaucoup plus précaire que celui des abbayes royales : les biens ne sont absolument pas à l’abri des convoitises de l’évêque, de l’aristocratie, à laquelle l’évêque est de plus en plus lié, et du roi qui en dispose tout aussi facilement que des abbayes royales. À cet égard, le cas de l’abbaye de Gorze, qu’on peut bien étudier grâce à son cartulaire, est particulièrement instructif.

  • 99 [AE 9, 884 ?, p. 356].
  • 100 C’est aussi l’hypothèse de J. Nightingale, Monasteries..., p. 65-67.

38Gorze a connu avec certitude au cours de ce long siècle deux abbés laïques, les comtes Bivin et Adalbert, quatre abbés séculiers, les évêques Drogon, Advence, Robert et le primicier Wigéric, et tout de même trois ou quatre abbés réguliers, Haldinus, Betto, Bovo et probablement Lodovinus. Ce dernier était d’ailleurs parent avec un comte Bivin, sans doute appartenant à la même famille que l’abbé laïque du temps de Lothaire II. L’abbé Erigaudus était peut-être aussi un abbé régulier ; en tout cas il appartenait à l’entourage de l’évêque Robert puisqu’il apparaît aussi parmi les souscripteurs de la charte de l’évêque Robert pour Saint-Arnoul, conservée en original99. Sa souscription suit celles des archidiacres et précède celle des simples prêtres du chapitre cathédral. L’abbé Folcherus, qui n’apparaît qu’une fois, est une énigme ; au cours du jugement qui est relaté par cet acte, il est représenté par son père Adalbert, ce qui suggère qu’il était mineur ; il ne peut donc être un abbé régulier. Comme son père porte le même nom que le comte de Metz futur abbé de Gorze, on est amené à se demander si ils n’appartiennent pas à la même famille100. Quant au deuxième, Haldinus, rien ne prouve qu’il fut abbé de Gorze, il pouvait tout aussi bien appartenir à l’entourage de l’évêque Robert.

  • 101 Tableau 15, p. 258.
  • 102 [AE 6, 864, p. 354].
  • 103 [AG 19, 914, p. 371].

39Si le tableau101 met bien en évidence les fluctuations du recrutement de l’abbé de Gorze, il ne montre pas de différence sensible dans la gestion de l’abbaye entre les abbés réguliers, séculiers ou laïques : les seules donations sont l’œuvre d’un abbé régulier, Betto102 et d’un abbé séculier, Wigéric103, les échanges de biens sont l’oeuvre de tous les types d’abbés, ainsi que les concessions en précaire.

  • 104 La vie de Jean de Gorze, sans désigner Adalbert comme l’abbé de Gorze, ce qu’il n’était probableme (...)
  • 105 Cf. généalogies en fin de volume.
  • 106 Cf. plus haut, chapitre 5, p. 170. Dans un précédent article (« Un évêque et son temps... »), j’ai (...)

40On ne connaît que rarement le rôle joué par les évêques dans la nomination des abbés réguliers ou laïques. On sait que Bivin fut placé à la tête de Gorze par Lothaire II à l’époque où le siège de Metz était vacant, entre la mort de Drogon en décembre 855 et l’élection d’Advence en 858 ; l’évêque de Metz n’y était donc pour rien. Le comte de Metz Adalbert avait très probablement reçu l’abbatiat de l’évêque Wigéric104 ; il était en effet l’époux de Liutgarde, fille du comte de Metz Wigéric et sans doute apparentée à l’évêque105. On sait également que c’est l’évêque Advence qui installa l’évêque régulier Betto106.

41L’exemple de Gorze montre qu’il est nécessaire de se pencher sur les moyens dont dispose l’aristocratie pour s’octroyer ou se faire octroyer des abbatiats et sur l’étendue réelle du phénomène.

L’expression du pouvoir aristocratique : les abbatiats laïques et la mise en place des avoueries

  • 107 Äbte..., p. 280-304.

42Franz Josef Felten107 a montré que le phénomène de l’abbatiat laïque prend naissance sous le règne de Charlemagne, avec des personnages bien connus comme Éginhard qui cumule d’ailleurs plusieurs abbatiats. Le phénomène ne paraît pas avoir provoqué de scandale. Jusque dans la première décennie du règne de Louis le Pieux, la pratique est admise et la législation impériale s’efforce même de la contrôler. En 816, Louis le Pieux demande aux évêques de veiller à ce qu’on applique la règle dans les monastères qui appartiennent à des clercs ou à des laïcs :

  • 108 Epistolae ad archiepiscopos missae, MGH Concilia 2, p. 462 : Quamquam enim nonnulli clerici monast (...)

« Quoique, en effet, quelques clercs possèdent des monastères de jeunes filles et des laïcs des monastères d’hommes et même de jeunes filles, ton zèle très attentif doit veiller à ce qu’en tous les lieux de ton diocèse où se trouvent des communautés de clercs ou de religieuses, ils vivent selon les moyens et les ressources offerts conformément à la règle de leur institution... »108

  • 109 MGH Concilia 2, p. 676, § 18 : De abbatibus uero canonicis et regularibus et de abbatissiis, quae (...)

43Au concile de Paris de 829, il est question des laïcs qui ont un monastère sans que cela apparaisse comme un scandale109. Ardon, le biographe de Benoît d’Aniane, écrit que celui-ci était inquiet de la cupidité des laïcs envers les monastères et s’en ouvrit auprès de l’empereur qui ordonna qu’on établît la liste des monastères devant avoir un abbé régulier :

  • 110 Cette liste ne nous est pas parvenue. Ardonis vita Benedicti Aniani, MGH SS 15, p. 217 : Cernens q (...)

« Considérant en outre que plusieurs faisaient de grands efforts pour acquérir les monastères des religieux, qu’ils les obtenaient non seulement par des prières mais aussi de nombreux présents, qu’ils dépensaient à leur profit les revenus des moines, ce qui avait amené la chute de plusieurs monastères, tandis que d’autres passaient au pouvoir de clercs séculiers à l’exclusion des moines, Benoît alla trouver le très pieux empereur, et lui adressa des prières pour qu’il enlevât aux clercs de telles prétentions et mît les moines à l’abri de ce péril. Le très glorieux empereur donna son approbation : il désigna tous les monastères de son royaume, spécifiés d’avance, qui devaient avoir des abbés réguliers et, pour que cet ordre ne fût jamais transgressé, il le fit confirmer par un écrit qu’il scella de son anneau, mettant fin de la sorte à la cupidité de beaucoup ainsi qu’à la crainte des moines »110.

Tableau 15 – Les abbés de Gorze

Nom et qualité de l’abbé

Attestation en tant qu’abbé

Nature des actes de l’abbé

Haldinus, abbé probablement régulier (...822-835...)

[AE 5 863] ; AG 1, 824 ; APG 1, 822 ; APG 2, 824 ; APG 3, 835.

échange de biens

Drogon, évêque de Metz (...848-851...)

AE 3, 849 ; AG 2, 849 ; AG 3, 851 ; APG 5, 848.

octroi de précaires, échanges de biens

Bivin, comte (...856-857...)

[AE 5 863] ; APG 7, 856 ; APG 9, 857

octrois de précaires

Betto, abbé régulier (863-864...)

AE 5, 863 ; AG 4, 863 ; AG 5, 864

concession en précaire échange de biens

Advence, évêque de Metz (...868-871...)

AG 6, 868 ; AG 7 et 8, 871

échanges de biens

Bouonus, moine ? (AE 3, 849), prévôt puis abbé régulier (...878-880...)

AE 7, 878 ; AG 9, 880 ; APG 12, 874 ?

échange de bien ; précaire

Erigaudus (...884-888...)

AE 9, 884 ; AG 11, 885 ; AG 13, vers 886 ; AG 14, 888

échanges de biens

Lodouinus, (...890-895...) moine en 864 (AG 5) ?

[AE 13, 906 ?] ; AG 10 894 ? ; AG 15, 890 ; AG 16, 894 ; AG 17, 895

échanges de biens et concession en précaire

Rodulfus (...903...)

AE 12, 903

précaire effectuée par l’évêque Robert

Folcherus, sans doute mineur, fils d’un certain Adalbert (...906...)

AG 12, 906

jugement

? ? Haldinus

AE 13, 906 ?

nommé dans la récognition de la charte, n’est peut-être pas abbé de Gorze

Robert, évêque de Metz (ap. 906-...910...)

APG 14, ap. 906 ? ; APG 15 et 16, 910

octrois de précaires

Wigéric, primicier de Metz, puis évêque (...912-av. 922)

AG 18, 912 (mention dans la corroboration) ; AG 19, 914

donation

Adalbert, comte de Metz (...922-av. 934)

AG 20, 922

échange

  • 111 Äbte..., p. 144-145.

44Il ne s’agit donc pas encore de supprimer l’abbatiat laïque mais d’éviter qu’il ne se répande là où il n’existait pas encore. Comme l’a remarqué Franz Josef Felten111, les évêques sont alors plus soucieux de lutter contre les usurpations de biens d’Église par des laïcs que contre l’abbatiat laïque proprement dit. Ainsi, le concile de Mayence, en 888, se livre à une véritable condamnation des aliénations de biens d’Église, mais pas encore véritablement de l’abbatiat laïque :

  • 112 Mansi, t.18, Concile de Mayence, § 6, p. 66 : Ne cui liceat res uel facultates ecclesiis aut monas (...)

« Qu’il ne soit permis à personne de retenir, d’aliéner ou de soustraire aux églises, aux monastères ou aux hospices, les biens et les revenus qui, en toute justice, leur ont été confiés en aumône. Si quelqu’un le faisait, alors ennemi des pauvres, qu’il soit lié par les sentences des antiques canons, exclu de l’entrée dans l’église jusqu’à ce qu’il rende les biens enlevés »112.

45L’apparition tardive de ces critiques peut s’expliquer sans doute par le changement qui s’est produit dans l’octroi des abbatiats laïques : sous Charlemagne comme sous Louis le Pieux, ces abbatiats étaient conférés par le roi lui-même à des hommes de confiance dont il se servait ainsi pour contrôler certaines régions de l’empire. La conduite personnelle de ces hommes n’a, semble-t-il, pas porté le flanc à la critique. Après 840, l’abbatiat laïque apparaît de plus en plus comme un moyen pour le roi de fidéliser ses partisans, comme un honor supplémentaire octroyé à des personnages déjà puissants, des comtes ou des ducs ; il devient donc un élément de la puissance aristocratique et n’est plus véritablement l’expression de l’autorité royale. En Lorraine, un des territoires les plus disputés de l’empire carolingien, le phénomène est particulièrement évident si l’on examine la personnalité des abbés laïques connus.

  • 113 p. 261.
  • 114 L’abbaye Saint-Pierre citée au traité de Meersen (Annales de Saint-Bertin, éd. F. Grat et alii, p. (...)
  • 115 Cf. supra, chapitre 5, p. 170.
  • 116 Réginon de Prüm, Chronique (MGH SS in usum..., 50), p. 144 ; Herbizheim fut donné ensuite à Étienn (...)

46Le tableau113, s’il n’est pas exhaustif, car certains abbatiats laïques ont pu exister sans être attestés par nos sources, permet tout de même de ramener le phénomène à sa juste mesure : seulement trois abbayes ont fréquemment des abbés laïques, Gorze, abbaye épiscopale, Moyenmoutier, abbaye royale, et Saint-Pierreaux-Nonnains qui est probablement également une abbaye royale114. Les abbés sont tous des comtes, souvent de Metz et de Verdun, appartenant à l’entourage du roi qui peut leur confier ces abbayes ou les leur retirer, comme le montrent les cas de l’abbatiat de Bivin à Gorze115 et de Matfrid à Herbitzheim116.

  • 117 891, 19 mai. [DSE 3, p. 338].
  • 118 Réginon de Prüm, Chronique (MGH SS in usum..., 50), p. 144.
  • 119 Tout cela fait qu’on ne peut pas suivre aveuglément le raisonnement de J. Nightingale (Monasteries (...)

47L’abbatiat laïque d’un certain Étienne à Saint-Èvre n’est pas sans poser problème. D’une part le diplôme d’Arnulf117 ne précise pas de quel monastère Étienne était l’abbé ; on suppose qu’il était abbé de Saint-Èvre car la charte était conservée dans les archives de l’abbaye. La charte ne précise pas non plus si le comte Étienne, personnage connu par ailleurs et allié aux Matfrid118, était bien la même personne que l’abbé ; mais cela paraît probable puisque les terres données sont situées dans son comté. Enfin il n’est pas possible de rejeter totalement l’hypothèse selon laquelle cet Étienne serait le même personnage que l’abbé de Saint-Mihiel qui devint ensuite évêque de Liège119.

  • 120 Cf. supra, p. 255.

48Comme le montre le cas du comte Adalbert à Gorze120, il peut arriver que l’évêque lui-même octroie une abbaye à un laïc.

49Le pouvoir de l’aristocratie sur les abbayes ne se limite pas aux abbatiats laïques car certains contrats de précaire montrent comment de nobles personnages sont gratifiés de biens appartenant aux abbayes. C’est le cas notamment à Gorze :

  • en 863/864, l’abbé Betto concède à un noble nommé Hildoinus des biens que ses parents tenaient déjà en prestaire121 ;
  • en 894, l’abbé Lodovinus concède des biens en précaire à un noble nommé Amalricus122 ;
  • en 910, la reine Richilde reçoit également des biens en précaire123 ;
  • en 913/14 le comte Boson reçoit en précaire Varangéville et Voisage124 ; quand Jean et Einold prennent possession de Gorze, le même Boson est en possession de Vanault-le-Châtel, autrefois possession de Gorze125.
  • 126 Pour un tableau d’ensemble des abbatiats laïques en Lotharingie, cf. M. Parusse, « Noblesse et mon (...)

Tableau 16 – Les abbés laïques en Lorraine de 816 à 934126

Tableau 16 – Les abbés laïques en Lorraine de 816 à 934126
  • 127 On ne sait s’il a été directement nommé par le roi ou s’il appartenait à la famille des Widonides (...)
  • 128 MGH SS 4, p. 86-92.
  • 129 Jean reçoit de Ricuin l’église de Vandières qui appartenait à l’abbaye Saint-Pierre-aux-Nonnains, (...)

Note 127127
Note 128128
Note 129129

  • 130 C’est aussi l’opinion de J. Nightingale (Monasteries..., p. 46-50). Il considère que l’abbatiat la (...)
  • 131 [AE 13, p. 358].
  • 132 [APG 14, ap. 906 ?, p. 380].
  • 133 Les Gesta, comme les actes conservés, ne font pas état de confiscations royales de l’ensemble de c (...)
  • 134 Chronique de Saint-Mihiel, § 6, A. Lesort, Chronique et chartes..., p. 10 ; E. Hlawitschka, Studie (...)
  • 135 Contra K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 41 et 239.
  • 136 MGH Formulae merowingici et karolini aevi, p. 526, no 3 ; J. Bridot, Chartes..., no 6, p. 42 ; M. (...)

50À travers ces actes, on pressent que la mainmise de la famille de l’abbé laïque Bivin sur Gorze ne s’est pas éteinte avec la réforme d’Advence en 863130. L’abbé Lodovinus est parent avec un certain Bivin131, probablement fils de l’ancien abbé, qui procède à un échange avec les moines de Gorze132. Richilde est également la fille de l’abbé Bivin et la tante du comte Boson. Il est possible que les donations dont elle gratifie l’abbaye et qu’elle reprend en précaire soient en réalité des terres qui appartenaient à l’abbaye avant que Bivin n’en devienne l’abbé. Il est donc fort probable que l’ingérence des familles aristocratiques dans les affaires matérielles des abbayes allait bien au-delà de ce que les sources nous révèlent. On ne peut donc affirmer que certaines abbayes sur lesquelles nos sources sont très pauvres n’ont pas eu d’abbés (ou d’abbesses) laïques ou que leur terres n’ont pas été largement confiées à des familles aristocratiques. Cependant, certaines abbayes paraissent être restées à l’écart du phénomène. Il s’agit d’une part de Saint-Arnoul et Saint-Vanne dont les évêques respectifs de Metz et Verdun gardent le contrôle133, de Saint-Mihiel et de Remiremont dont on connaît les noms des abbés et abbesses sans pouvoir les identifier avec un quelconque puissant laïc134. Il me semble en effet un peu excessif de se fonder sur les termes d’une lettre de l’abbesse de Remiremont Teuthilde à l’impératrice Judith pour affirmer que celle-ci fut abbesse laïque de Remiremont135 : dans cette lettre l’abbesse demande à l’impératrice de ne pas demander de droit de gîte sur les terres de Chalon et qualifie l’abbaye de monasterio si quidem uestro136. Cette expression comme le droit de gîte peuvent se référer seulement au fait que Remiremont était une abbaye royale, confiée peut-être par Louis le Pieux au soin de l’impératrice. Au reste, aucun document de Remiremont, que ce soient les lettres de Teuthilde ou le Liber Memorialis, ne donne à Judith le titre d’abbesse.

51Dans l’ensemble dans notre région l’abbatiat laïque paraît plutôt s’être développé dans la deuxième moitié du ixe siècle : aucun des grands personnages de l’entourage de Louis le Pieux, pourtant gratifiés d’abbatiats laïques ailleurs, ne reçoit d’abbaye en Lorrraine.

  • 137 23 août, Saint-Mihiel [DSMi 10, p. 329] : Heinardus venerabilis abbas custosque capelle nostrae.
  • 138 11 juin, Saint-Arnoul de Metz [DSMi 15, p. 347].
  • 139 27 novembre, Thionville [DSMi 16, p. 347].
  • 140 [AR2, 925/31, p. 372].
  • 141 [PR 3, p. 388] ; Liber Memorialis, fol. 6.

52Ces abbayes non pourvues d’abbés laïques ne sont pas pour autant indépendantes : on a vu que le contrôle épiscopal pouvait être pesant ou les mettre à la merci des mauvaises relations entre le roi et l’évêque, mais en outre, pour les abbayes royales de Saint-Mihiel et de Remiremont, on voit apparaître d’autres formes de contrôle laïque. À Saint-Mihiel, l’abbé Hainardus, attesté en 858, était le gardien de la chapelle royale137. On voit ainsi le comte Ricuin intervenir à deux reprises à Saint-Mihiel, puisque deux diplômes de Charles le Simple concernant Saint-Mihiel sont expédiés à sa demande : l’un, en 913138, confirme la donation faite par Louis l’Enfant au moine Uncrimnus, l’autre, en 916, confirme les biens de la mense monastique, avec l’accord de l’abbé Rodolphe139. À Remiremont, l’abbesse Berta et l’auctor Boso accordent une précaire sise sur les biens de l’abbaye140 ; ce Boso peut être identifié avec le comte Boson, frère du roi de Francie Raoul, qui perd tous ses biens en Lotharingie en 930. Lui succède alors comme protecteur de l’abbaye, son ennemi, le duc Giselbert, qui rend à l’abbaye les églises qui lui appartenaient autrefois141. Il me semble que ces auctores, intercesseurs et bienfaiteurs qui disposent des biens des abbayes, ne sont autres que ce qu’on appellera plus tard des avoués, aduocati, plutôt que de véritables abbés laïques.

  • 142 janvier [DSMi 8, p. 327].
  • 143 [AG 11, p. 367].
  • 144 [APSMi 1, p. 384].
  • 145 [APG 8, p. 377].
  • 146 [APG 15, p. 380].

53Le terme d’aduocatus n’apparaît pas en ce sens durant notre période ; quand on le trouve, c’est pour désigner les hommes qui représentent les intérêts du monastère, ou qui représentent les laïcs qui font des donations au monastère ; on n’en a ainsi que quelques occurrences. En 841, Lothaire, de concert avec les avoués de Saint-Mihiel, rend au monastère des biens injustement enlevés142 ; en 885, l’abbé Erigaudus, le prévôt Waltarius, l’avoué Halevingus et les moines de Gorze effectuent un échange de biens143 ; à Saint-Mihiel, en 904, l’abbé Étienne, l’avoué Herimanus et le prévôt Halevincus octroient une précaire144 ; en 857, un acte privé en faveur de Gorze est souscrit par un Anselomus oduocatus145 ; en 910, l’avoué de la reine Richilde, Altmannus, souscrit un acte de celle-ci en faveur de Gorze146.

  • 147 Cela va dans le sens des conclusions d’E. Boshof sur l’avouerie ecclésiastique en Lorraine aux xe (...)
  • 148 Cf. aussi les pages très claires d’A.-M. Helvétius sur l’abbatiat laïque et la haute avouerie (op. (...)

54À la fin de notre période l’utilisation du terme d’avoué est donc encore restreint à cette fonction de représentation juridique147 ; cependant on voit apparaître sous d’autres dénominations ce qui sera plus tard l’avouerie. Par rapport à l’abbatiat laïque, fort décrié désormais par l’Église, l’avouerie permet aux grandes familles aristocratiques de continuer à contrôler les abbayes, tout en y maintenant des abbés réguliers et même, dans les décennies suivantes, en y favorisant l’introduction des réformes ; non soumise à l’approbation royale, fondée sur les besoins de protection et de représentation juridique des abbayes, elle est moins vulnérable aux aléas de la faveur royale que ne l’étaient les abbatiats laïques et elle n’est pas encore en butte aux critiques de l’Église. L’avouerie apparaît donc comme un bon compromis entre les intérêts spirituels de l’Église et les intérêts matériels de l’aristocratie laïque dont sont issus la quasi-totalité des évêques et la plupart des abbés des grands monastères148.

Notes

1 A. Doll, « Das Pirminskloster Hornbach... ».

2 J. Semmler, « Abbayes royales », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1968, p. 160-163.

3 C’est aussi l’opinion de J. Nightingale, Monasteries..., p. 9.

4 R. Parisot, Le royaume..., p. 709-710. Dans cette catégorie il place Remiremont sans qu’on puisse comprendre vraiment pourquoi.

5 Ibid. Bonmoutier et Étival, qui auraient toutes deux fait partie du patrimoine d’Andlau, Saint-Dié et Saint-Mihiel, qui avaient appartenu à Saint-Denis mais apparaissent à notre époque totalement indépendantes, et Senones qui, à ma connaissance, appartenait à l’évêque de Metz et non à une autre abbaye.

6 Ibid. Il y place à juste titre Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz et, ce qui est moins sûr, Moyenmoutier, mais il y en a d’autres.

7 Livre II, § 2 : Ipse (rex) enim debet primo defensor esse ecclesiarum et seruorum Dei... (MGH Concilia 2, p. 651).

8 Cf. annexe, p. 320 et suivantes pour les dates et contenus de ces diplômes.

9 [DB 2, 884, p. 335] et [DT 12, 912, p. 346].

10 [DHe 1, 908, p. 345].

11 [DR 1, 825/840, p. 325].

12 [DT 2, p. 329, DT 3, p. 334, DT 7, p. 339 et DT 10, p. 343].

13 Cf. infra, p. 387-393.

14 31 mai, Servais [DSMi g, p. 328].

15 23 août, Saint-Mihiel [DSMi 10, p. 329].

16 Diplômes de Louis le Pieux, 816, 2 septembre, Aix-la-Chapelle [DSMi 3, p. 321] et de Lothaire, 841, 20 (janvier), Gondreville [DSMI 6, p. 326].

17 Diplômes de 833, 18 décembre, Mayence [DH 3, 4 et 5, p. 323-324]. Les Widonides, propriétaires du monastère d’Hornbach, avaient en effet pris parti pour Lothaire ; à ce sujet, cf. H. Büttner, « Die Widoniden », p. 38.

18 Diplôme de 816, 13 janvier, Aix-la-Chapelle [DB 1, p. 320].

19 Diplôme de 816, 2 juin, Aix-la-Chapelle [DSMi 1, p. 320].

20 Le diplôme de Charlemagne pour Bonmoutier invoqué par celui de Louis le Pieux n’existe plus ; pour Saint-Mihiel, A. Lesort, Chronique et chartes..., no 4, p. 54-57, mai 772= MGH DK 1, p. 99, no 68.

21 Elle figure au traité de Meersen dans la part de Louis le Germanique : Bodonis Monsterium (Annales de Saint-Bertin, éd. Grat, p. 172).

22 Cette immunité est attestée seulement pour l’Église de Toul et par une source indirecte, les Gesta episcoporum Tullensium [PT 1, p. 390].

23 F. J. Felten, äbte..., p. 257-260.

24 Ibid., p. 268-269.

25 Le diplôme de Louis le Pieux de 819 [DH 1, p. 321] montre bien que le monastère a des propriétaires, Lambert et Hérard, et un abbé, très probablement nommé par eux, Uuirundus. Peut-être la fidélité de leur famille, celle des Widonides, envers les Pippinides, et sa puissance foncière ont-elle dissuadé les Pippinides de mettre la main sur leur monastère. Les Widonides contrôlèrent également le siège de Trèves pendant le viiie siècle (cf. E. Ewig, « Milo et eiusmodus simi les... », dans Ewig E., Spätantikes und Fränkisches...).

26 F. J. Felten (Âbte..., p. 275) a estimé à une vingtaine le nombre d’abbayes ayant obtenu, dans tout l’empire, le privilège d’élection de l’abbé ; ce privilège n’a été octroyé qu’à des abbayes réformées par Benoît d’Aniane.

27 Le Royaume..., p. 358-359.

28 Par ce diplôme de 895, 14 août, Trosly-sur-Loire [DSMi 12, p. 341], Zwentibold procède en fait à un transfert de biens depuis la mense abbatiale vers la mense monastique.

29 Dès 898, 13 février, Compiègne [DSMi 13, p. 342], en 913, 11 juin Saint-Arnoul de Metz [DSMI 15, p. 347] et 915, 27 novembre, Thionville [DSMi 16, p. 347].

30 Par Charles le Chauve en 877, 24 juin, Soissons [DSMi n, p. 333] et par Charles le Simple en 915, 27 novembre, Thionville [DSMi 16, p. 347].

31 Cf. note 28.

32 A. Lesort, Chronique et chartes... ; les chartes des ducs de Bar, des évêques de Verdun et les bulles papales remplacent en quelque sorte les confirmations royales des temps carolingiens.

33 En 877 comme en 915 : (...) monachi in coenobio sancti Michaelis Archangeli (...) nostram adierunt clemenciam [DSMi 11, p. 333] et [DSMI 16, p. 347].

34 Hilduin, puis Étienne, évêque de Liège (sur ce personnage, Le millénaire d’Étienne, évêque de Liège, Leodium, 13, 1920).

35 À l’exception de l’unique acte pour Senones en 825, 18 décembre, Aix-la-Chapelle [DS 1, p. 323] ; mais il s’agit en fait de l’octroi d’un bénéfice à l’abbé ; ce bénéfice est pris sur des biens donnés par le père de l’abbé de Senones à l’Église de Metz et reviendra après la mort de celui-ci au monastère qui appartient à l’évêque de Metz. Il s’agit donc plutôt dans le fonds d’un arrangement entre l’évêque de Metz et l’abbé qu’il a nommé.

36 Régestes, p. 331-332 ; d’autant que le diplôme concernant Sainte-Glossinde est sans aucun doute interpolé (H. Wolfram, « Die Urkunden Ludwigs der Deutschen... »). Il est cependant fort probable que le faussaire qui oeuvrait au xiie siècle s’est servi d’un original qui restituait peut-être une seule villa au monastère (comme ce fut le cas pour les trois autres) pour insérer dans le pseudo-original la liste de tous les biens de l’abbaye.

37 J. Nightingale pense que les spoliations de Gorze, de Saint-Martin de Glandières et de Saint-Arnoul ont pu être le fait de l’évêque Advence (Monasteries..., p. 37).

38 Ce qui va dans le sens des remarques de B. Rosenwein, selon lesquelles l’immunité serait une expression de l’autorité royale et surtout la preuve que le roi contrôlait bien ses agents (Negotiating Space, p. 7-9).

39 Par Lothaire, en 840, 13 août, Mayence. [DSA 1, p. 325] et par Charles le Chauve en 842, 24 février, Worms [DSA 2, p. 327] ; l’existence de ces deux donations successives s’explique par les circonstances troublées de la succession de Louis le Pieux.

40 9 septembre, Metz [DSA 4, p. 330] : une chapelle donnée à l’occasion du couronnement de Charles le Chauve à Metz, alors que son fils Carloman est l’abbé de Saint-Arnoul.

41 897, 28 décembre, Toul [DSE 4, p. 342].

42 884, 15 février, Colmar [DSM 1, p. 335] ; Fulbert pourrait être abbé de Saint-Mansuy ou bien de Saint-Èvre.

43 Diplômes de 889, 9 juillet, Francfort [DSA 6, p. 338] et de 892, 25 avril, Ratisbonne [DSA 7 et 8, p. 339] : il s’agit bien d’une villa appartenant au roi puisqu’il emploie l’expression : quasdam res iuris ac proprietatis nostrae in proprium concessimus.

44 900, 8 octobre, Tribur [DH 7, p. 343] : là aussi le roi emploie l’expression quasdam res iuris nostris.

45 24 juin, Soissons [DSMi n, p. 333].

46 14 août, Trosly-sur-Loire [DSMi 12, p. 341].

47 904, 26 novembre, Tribur [DSMi 14, p. 344] 913, 11 juin, Saint-Arnoul de Metz [DSMi 15, p. 347].

48 Cf. plus haut note 35.

49 En particulier Saint-Èvre de Toul.

50 Cf. K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 30-32.

51 Éditions : MGH Capitularia 1, p. 348-351 ; É. Lesne, « Les ordonnances », p. 489-493 ; D. P. Becker, CCM, 1, p. 483-499. Édictée en 817, elle ne concerne probablement que les abbayes royales ayant déjà à leur tête un abbé régulier.

52 Trad. J. Théry, maîtrise Paris I, § 5, MGH SS 4, p. 89 : Aduersus quos cum etiam crebram aciem produceret, neque congressus illius laetos exitus haberet, praefatus abbas nimis continuata ex acie (ou exactione) militum in expeditione regali conpulsus, et maxime parricidalem dissensionem perosus, alam loricatorum quam solebat, id est XXX milites cum consueto clypeatae manus numero in exercitum destinare noluit...

53 MGH Capitularia 1, p. 349 : Monasterium sancti Michaelis Maresci primi ; cette transcription a été effectuée par les éditeurs modernes à partir de manuscrits de Saint-Gilles aujourd’hui disparus. Elle est corrigée par Mabillon en Monasterium sancti Michaelis Maresupium ; cette correction est reprise par É. Lesne, « Les ordonnances », p. 491.

54 Cf. supra, chapitre 5, p. 164.

55 Réginon de Prüm, Chronique, MGH in usum..., 50, p. 144.

56 Nombreux exemples dans K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 32-37.

57 Cf. plus loin notes 64, 65 et 66.

58 12 novembre [DSA 3, p. 329].

59 23 août [DSMi 10, p. 329].

60 Le 6 août, Lothaire était encore à Metz d’où il expédia un diplôme en faveur de l’Église de Toul [DT 2, p. 329]. Pendant que Lothaire s’avançait vers l’ouest, après avoir quitté Saint-Mihiel au plus tôt ce 23 août, Louis le Germanique traversait son royaume et arrivait dès le Ier septembre à Ponthion (Annales de Saint-Bertin, éd. Grat, p. 78).

61 Il est dificile de connaître la durée de ce séjour puisque le diplôme suivant est daté de Prüm, le 2 janvier 858 (MGH DK 3, no 7, p. 392-94).

62 « Fisc et bans... » ; je remercie très cordialement Josiane Barbier de m’avoir communiqué les résultats de son enquête avant même la parution de son article.

63 Cf. chapitre 5, p. 173.

64 Cf. J. Barbier « Fisc et bans... ».

65 De nombreux diplômes concernant la Lorraine sont expédiés de Gondreville : par Lothaire Ier, en 841, 20 (janvier) [DSMi 6, p. 326] et 841, 21 janvier [DSMi 7, p. 326], par Lothaire II en 865, 4 juillet [DH 6, p. 330] et 869, 24 novembre [DSE 1, p. 330] ; une des lettres de Frothaire de Toul fait état d’au moins un séjour de l’empereur Louis le Pieux (MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 282, no 9 ; La correspondance..., no 11, p. 110-115. Les Annales de Saint-Bertin mentionnent des séjours royaux en 864, 865, 873, 878 et 880 (éd. F. GRAT et alii, p. 112, 118, 122, 188, 230 et 241-242).

66 Excepté peut-être le passage du roi Rodolphe de Bourgogne en 888. Cf. infra, chapitre 8, p. 278.

67 23 novembre [DSA 5, p. 332].

68 28 décembre, Toul [DSE 4, p. 342].

69 11 juin, Saint-Arnoul de Metz [DSMi 15, p. 347].

70 904, 26 novembre, Tribur [DSMi 14, p. 344].

71 Aquasgrani reuersus est [= après Pentecôte], Et post paucos dies per Arduennam iter faciens Treueros ac Mettis uenit ; indeque Rumerici castellum petens reliquum aestiui caloris et autumni dimidium exercitatione uenatoria in Uosegi saltu atque secretis exegit... (éd. Pertz-MGH SS 1, p. 207, éd R. Rau, Berlin, 1966, p. 124).

72 Atque inde [= Nimègue] digrediens Aquisgrani petiit et inde per Arduennam usque ad Rumerici montis altitudinem Uosagique latissimam uastitatem, totum quod superfuit aestiui et autumni dimidium temporis transegit... (éd. E. Tremp, MGH SS in usum..., 64, Hanovre, 1995, p. 402).

73 Dimisso conuentu [= à Aix-la-Chapelle ; après mai] in Uosagum ad Rumerici montem uenandi gratia profectus filium suum HLotharium ex Italia regressum ibique ad se uenientem suscepit : ac peracta uenatione Aquasgrani rediens generalem populi sui conuentum more sollempni mense Augusto habuit... (p. 167) (éd. Rau, p. 142).

74 Dehinc [= Ingelheim] imperator in partes Rumerici montis per Uosagum transiit ibique piscationi atque uenationi, quamdiu libuit, indulsit et filium Lotharium in Italiam dirrexit. Porro autumni tempore in Theodonis uilla conuenire generaliter suum populum praecepit... (éd. E. Tremp, p. 466).

75 Post cuius celebritatem [= Pâques à Aix] per Ardennam siluam uenatione se exercuit : et post sanctae Pentecostes festiuitatem in partes Rumerici montis uenationi atque piscationi operam dedit (...) Quae dum haec geruntur [= affaires de Lothaire], imperator cum filio Ludouico Lingonum ciuitatem aduenerat... (ibid., p. 492).

76 Quibus absolutis [= à Thionville, après mai], ipse, circa Rumerici montem diebus aliquot uenatione patrata, tandem mense septembri ad indictum placitum Uuormatiam uenit... (éd. Grat, p. 19).

77 MGH, DK 2 : Die Urkunden Lothars I. und Lothars II., éd. Th. Schieffer, Berlin-Zurich, 1966, no 78 et 79, p. 195-198 : Actum Romarici monte.

78 Ibid. : diplôme de Lothaire Ier pour Munstergranfeld no 105, p. 245-251 (pseudo-original du xie ou du xiie siècle, interpolé), 25 août 849 : Actum Romarici monte in palatio publico, et diplôme no 106, p. 251-153, pour Erstein (copie figurée peut-être de la fin du xie siècle), 6 septembre 849 : Actum in Romarici montis palatio regio.

79 Ibid., no 134, p. 298-300 : diplôme de Lothaire Ier pour Cruas (comté de Viviers, monastère de l’archevêque d’Arles ; copies seules), 6 septembre 854 : Actum Romarici monte.

80 Cf. supra, p. 46.

81 Hlotharius uero (...) ipse per Gundulfi uillam et Romerici montem obuiam fratri suo ad locum qui Urba dicitur uadit... (éd. Grat, p. 112).

82 Cf. E. Ewig, « Beobachtungen zu den Klosterprivilegien des 7. und frühen 8. Jahrhunderts », Adel und Kirche, Fribourg, 1968, réimp. dans E. Ewig, Spätantikes..., p. 411-426, et B. Rosenwein, Negotiating Space...

83 § 6, MGH Concilia 2, p. 166-167 : Statutum est a domno rege et sancta synodo, ut episcopi iustitias faciant in suis parroechiis. Si non oboedirit aliqua personna episcopo suo de abbatibus, presbiteris, diaconibus, subdiaconibus, monachis et caeteris clericis uel etiam alii in eius parrochia, uenient ad metropolitanum suum, et ille iudicet causam cum suffraganeis suis...

84 § 15, MGH Capitularia 1, p. 94 : Abbates autem et monachis omnis modis uolumus et precipimus, ut episcopis suis omni humilitate et hobedientia sint subiecti, sicut canonica constitutione mandat.

85 MGH Concilia 2, p. 456-464.

86 Ibid., p. 460.

87 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 277, no 2 ; La correspondance..., no 26, p. 136-137 : Meminisse uolumus sagacitatem uestram monitionis, quant instanti anno simillimis apicibus suscepistis expressam. Non nescitis enim, cum qua cautela hoc mandatum suscepimus domni imperatoris, nos in diocesi nostra et episcopi singuli in parrochiis suis, id est de regula augende religionis et de ministratoriis canonicorum officinis, ut si quibus in loris bene comtae non essent, deinceps cum summa diligentia ornarentur. Nunc autem in proximo est placitum, quo sine dubio sciscitabitur de obtemperatione sui dominus mandati. Quapropter scrutemini diligenter in parrochia uestra, in uestris aliorumque monasteriis, si praefata regula digne per omnia conseruetur, et si ojficinae iuxta ipsius decreta constructe adque innouate contineantur : ut, cum imperiali solerciae praesentabimus deiecta procul molimenta aliorum una nobiscum, ex omnibus ill : a nobis ueritas nuntietur.

88 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 294-295, no 28 ; La correspondance..., no 10, p. 108-111 : Ceterum sciat uestra dilectio mihi opido displicere de quibusdam monachis cenobii uestri, cui Erlefredus rector non esse uidetur. Cum enim nostrae parrochiae isdem adiaceat locus, et habitatores eius nostro munimine Deo annuente protegi debeant, egrediuntur quidam eorum parrochiam nostram absque nostro permissu et licencia quasi ob quasdam reclamationes, et quo tendant, penitus ignoro. Porro si ad uos ueniunt aut molestiam uestris auribus inferunt, ordo canonicus erga nos debuerat conseruari, ut mihi illorum querele paterent et nostro pari consultu correctio eis congrua daretur.

89 MGH Epistolae 5, Karolini aevi 3, Frotharii episcopi Tullensis epistolae, p. 290-291, no 21 ; La correspondance..., no 3, p. 94-97 ; cf. supra, chapitre 5, p. 157.

90 W. Haubrichs, Die Tholeyer Abtslisten..., p. 138-155.

91 Sainte-Glossinde était une abbaye royale puisque disposant d’un privilège d’immunité (Miracula S. Glodesindis II, § 56, p. 220).

92 Ceci va dans le sens d’une certaine continuité entre l’exemption mérovingienne et l’immunité carolingienne, comme l’a suggéré Barbara Rosenwein (Negociating Space..., p. 115-121).

93 On trouvera d’autres exemples d’abbés laïques à la tête d’abbayes épiscopales infra, p. 261.

94 858, 6 août, Metz [DT 2, p. 329].

95 Gesta episcoporum Tullensium, MGH SS 8, p. 637.

96 R. Parisot, Le royaume..., p. 488.

97 [AE 9, 884 ?, p. 356].

98 C’est ce que reprochent les Miracula S. Apri à l’évêque Ludelme (AA SS, sept., V, p. 72-73).

99 [AE 9, 884 ?, p. 356].

100 C’est aussi l’hypothèse de J. Nightingale, Monasteries..., p. 65-67.

101 Tableau 15, p. 258.

102 [AE 6, 864, p. 354].

103 [AG 19, 914, p. 371].

104 La vie de Jean de Gorze, sans désigner Adalbert comme l’abbé de Gorze, ce qu’il n’était probablement plus à la veille de la réforme, affirme que « le comte Adalbert, homme d’illustre origine, mais hautain et violent, dont les mœurs n’étaient pas assez honnêtes pour le recommander aux hommes de bien, le [tout ce qu’il y avait de possessions extérieures] détenait par un bienfait de l’évêque dont il était le vassal, faveur qui n’était pas payée de retour » (éd. et trad. M. Parisse, La Vie de Jean..., § 36, p. 72-73).

105 Cf. généalogies en fin de volume.

106 Cf. plus haut, chapitre 5, p. 170. Dans un précédent article (« Un évêque et son temps... »), j’ai émis l’hypothèse que cet abbé Betto pourrait être le même personnage que le moine Betto envoyé par Advence auprès de Charles le Chauve en 863 pour lui demander son soutien et que celui-ci envoya ensuite à Rome, muni d’une lettre demandant la grâce du pape pour Advence (MGH Epistolae 6, Karolini aevi 4, Epistolae ad diuortium Lotharii regis pertinentes, p. 222-223, no 9)· Dans ce cas, la réforme d’Advence à Gorze et la nomination de Betto comme abbé de Gorze ne seraient intervenues que dans les dernières semaines de l’année 863 ou même au début de l’année 864. Cette identification ne reste cependant qu’une hypothèse.

107 Äbte..., p. 280-304.

108 Epistolae ad archiepiscopos missae, MGH Concilia 2, p. 462 : Quamquam enim nonnulli clerici monasteria puellarum et nonnulli laici monasteria uirorum etiam et puellarum habeant, tua tamen debet praeuidere solertissima industria, ut omnibus locis sub tua diocesi constitutis, ubicumque congregationes clericorum et sanctimonialium sunt, iuxta possibilitatem et facultatem rerum secundum huius institutionis forma uiuant...

109 MGH Concilia 2, p. 676, § 18 : De abbatibus uero canonicis et regularibus et de abbatissiis, quae sanctimonialibus praeesse uidentur, siue de laicis qui monasteria habent...

110 Cette liste ne nous est pas parvenue. Ardonis vita Benedicti Aniani, MGH SS 15, p. 217 : Cernens quoque, nonullos totis nisibus anelare in adquirenda monachorum coenobia, eaque non tantum precibus, ut obtineant, uerum etiam decertare muneribus, suisque usibus stipendia monacborum expendi, ac per hoc diruta nonnulla, alia uero, fugatis monachis, a secularibus obtineri clericis, adiit hac de causa piissimum imperatorem precibusque pulsat, ut ab huiuscemodi contentionibus clericos, monachos uero ab hoc redderet periculo extorres. Adsensum prebet gloriosissimus imperator, monasteria in regno suo cuncta prenotata in quibus ex his regulares abbates queant, decernit ac per scripturam, ut inconcussa omni maneant tempore, firmare precepit suoque anulo signauit ; sicque multorum cupiditatem, monacborum nichilominus pauorem extersit (traduction F. Baumes, p. 55-56, édition 2001, p. 101-102).

111 Äbte..., p. 144-145.

112 Mansi, t.18, Concile de Mayence, § 6, p. 66 : Ne cui liceat res uel facultates ecclesiis aut monasteriis, uel xenodochiis, pro quacumque eleemosyna cum iustitia delegatas retentare, alienare atque subtrahere. Quisquis fecerit, tanquam necator pauperum, antiquorum canonum sententiis constrictus, ab ecclesiae liminibus excludatur donec ipso quae sunt ablata uel retenta reddantur.

113 p. 261.

114 L’abbaye Saint-Pierre citée au traité de Meersen (Annales de Saint-Bertin, éd. F. Grat et alii, p. 173) dans la part de Louis, peut être aussi bien Sainte-Glossinde qui devait être abbaye royale puisque la reine Teutberge en fut abbesse (AA SS, iul., VI, § 56, p. 220).

115 Cf. supra, chapitre 5, p. 170.

116 Réginon de Prüm, Chronique (MGH SS in usum..., 50), p. 144 ; Herbizheim fut donné ensuite à Étienne, évêque de Liège et abbé de Saint-Mihiel par Louis l’Enfant en 908, 18 janvier, Aix-la-Chapelle [DHe 1, p. 345].

117 891, 19 mai. [DSE 3, p. 338].

118 Réginon de Prüm, Chronique (MGH SS in usum..., 50), p. 144.

119 Tout cela fait qu’on ne peut pas suivre aveuglément le raisonnement de J. Nightingale (Monasteries..., p. 123) qui se fonde sur ce diplôme pour établir la mainmise des Matfrid sur Saint-Èvre à cette époque et interprète les restitutions faites par les rois successifs à l’Église de Toul comme autant de tentatives faites par les évêques pour retirer l’abbaye aux Matfrid (cf. infra, p. 156).

120 Cf. supra, p. 255.

121 [AG 4, p. 364].

122 [AG 16, p. 369].

123 [APG 15 et 16, p. 380].

124 [APG 18, p. 381].

125 Miracula s. Gorgonii (AA SS, sept., III), § 16, p. 347.

126 Pour un tableau d’ensemble des abbatiats laïques en Lotharingie, cf. M. Parusse, « Noblesse et monastères... », p. 175-176.

127 On ne sait s’il a été directement nommé par le roi ou s’il appartenait à la famille des Widonides fondatrice et propriétaire d’Hornbach. Selon A. Doll, comme les fonctions de comte dans les pagi de Spire et de Worms sont partagées de 882 à 911 entre les noms de Warnharius et de Walaho, il y a sans doute encore une emprise familiale sur le monastère, mais cela n’exclut pas que la charge d’abbé soit donnée par le roi et donc une influence royale sur Hornbach (« Das Pirminskloster Hornbach », p. 128-129).

128 MGH SS 4, p. 86-92.

129 Jean reçoit de Ricuin l’église de Vandières qui appartenait à l’abbaye Saint-Pierre-aux-Nonnains, La Vie de Jean..., éd. et trad. M. Parisse, p. 51, n. 19 et, p. 57 n. 25.

130 C’est aussi l’opinion de J. Nightingale (Monasteries..., p. 46-50). Il considère que l’abbatiat laïque de Bivin n’eut pas que des effets négatifs : un puissant abbé pouvait permettre au monastère d’attirer et de préserver les donations qui lui étatient faites (p. 35).

131 [AE 13, p. 358].

132 [APG 14, ap. 906 ?, p. 380].

133 Les Gesta, comme les actes conservés, ne font pas état de confiscations royales de l’ensemble de ces abbayes. Seule la restitution par Louis le Germanique de la villa de Rémilly à Saint-Arnoul [DSA 5, p. 332] indique qu’il y a eu un détournement de ces biens, mais on ignore qui étaient les deux personnages, Étienne et Englebert, qui la détenaient ; ce pouvaient être aussi biens des fidèles de l’évêque Advence.

134 Chronique de Saint-Mihiel, § 6, A. Lesort, Chronique et chartes..., p. 10 ; E. Hlawitschka, Studien..., p. 34-40.

135 Contra K. Voigt, Die karolingische Klosterpolitik, p. 41 et 239.

136 MGH Formulae merowingici et karolini aevi, p. 526, no 3 ; J. Bridot, Chartes..., no 6, p. 42 ; M. Parisse, dans La correspondance..., no 3, p. 156-159.

137 23 août, Saint-Mihiel [DSMi 10, p. 329] : Heinardus venerabilis abbas custosque capelle nostrae.

138 11 juin, Saint-Arnoul de Metz [DSMi 15, p. 347].

139 27 novembre, Thionville [DSMi 16, p. 347].

140 [AR2, 925/31, p. 372].

141 [PR 3, p. 388] ; Liber Memorialis, fol. 6.

142 janvier [DSMi 8, p. 327].

143 [AG 11, p. 367].

144 [APSMi 1, p. 384].

145 [APG 8, p. 377].

146 [APG 15, p. 380].

147 Cela va dans le sens des conclusions d’E. Boshof sur l’avouerie ecclésiastique en Lorraine aux xe et xie siècles (« Untersuchungen zur Kirchenvogtei... ») : au xe siècle l’advocatia, rémunérée, est tenue par des personnes de moindre importance, à la fin du xie siècle, l’avouerie est prise en mains par les Grands. Sur les avoués des monastères lorrains, cf. en particulier, p. 72-83.

148 Cf. aussi les pages très claires d’A.-M. Helvétius sur l’abbatiat laïque et la haute avouerie (op. cit. supra, p. 21, n. 3), p. 298-303.

Table des illustrations

Titre Tableau 11 – Les diplômes royaux en faveur des abbayes
Légende Les références des diplômes renvoient aux Régestes p. 320-350.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/12773/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 187k
Titre Tableau 13 – Tableau synoptique des évêques de la province de Trèves et des souverains
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/12773/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 233k
Titre Tableau 16 – Les abbés laïques en Lorraine de 816 à 934126
Légende Note 127127Note 128128Note 129129
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/12773/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 242k

© Éditions de la Sorbonne, 2006

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