1Le dynamisme d’une communauté peut se mesurer au nombre et à la qualité des religieux qui la composent. Parmi ceux-ci, il faut faire une place à part aux chanoines desservant la cathédrale, qui sont censés vivre en communauté et appliquer l’Institutio canonicorum. Leur organisation fortement hiérarchisée, leur étroite dépendance vis-à-vis de l’évêque les distingue des communautés monastiques rurales. Se situent à mi-chemin entre les deux, à la fois quant à leur statut et quant à leur situation géographique, les communautés desservant les basiliques suburbaines, appelées désormais couramment abbayes.

2Les listes conservées dans les Livres de Vie et les souscriptions des actes sont les sources essentielles en ce domaine. Associées à certaines indications des documents littéraires, elles peuvent nous renseigner sur le nombre et la stabilité des moines et des moniales dans leur monastère, et permettre parfois de percevoir la progression des individus dans la hiérarchie de leur abbaye et, encore plus rarement, la qualité, sociale ou intellectuelle, des religieux et des religieuses.

Le clergé cathédral

Les auxiliaires de l’évêque : chorévêques, archidiacres et primiciers1

3La fin du viii^e siècle et la première moitié du ix^e siècle voient l’apogée de l’institution des chorévêques dans l’empire carolingien. Ils étaient alors considérés comme de véritables évêques dont les attributions étaient cependant limitées par les canons et qui ne pouvaient agir qu’à la demande expresse de l’évêque, et en cas d’absence ou de maladie de celui-ci ou de vacance épiscopale2 Ils étaient donc particulièrement utiles à une époque où les évêques devaient exercer de multiples charges hors de leur diocèse et où les vacances épiscopales étaient parfois longues. Leur rôle dépassait donc leur fonction traditionnelle, héritée de l’Église ancienne, consistant à veiller sur les églises rurales.

4Récemment, Franz Staab avait fait le point sur les fonctions de chorévêque, d’archidiacre et de primicier3 dans le diocèse de Metz jusqu’au xiii^e siècle4 ; il est néanmoins nécessaire de revenir sur les sources relatives à ces fonctions et d’en élargir l’étude aux deux autres diocèses pour tenter de cerner précisément la nature de ces fonctions et comment elles s’articulaient entre elles.

5On constate l’existence de nombreux chorévêques en Lorraine dans la première moitié du ix^e siècle : à Toul, le chorévêque Berardus reçoit de Lothaire I^er l’église Saint-Amand5 ; à Metz, un diplôme de Louis le Pieux du 23 mars 815 indique que le monastère de Gorze est alors dirigé par Magulfus corepiscopus atque abbas ; un chorévêque est évoqué par les Miracula s. Glodesindis I6, sous l’épiscopat de Drogon qui d’ailleurs demanda son avis sur la question à Raban Maur7 ; en 858, une charte de l’évêque Advence en faveur de Gorze8 est souscrite par Hiltharius corepiscopus. C’est le dernier chorévêque mentionné dans nos sources. Il ne semble pas y avoir eu de chorévêque à Verdun à cette époque, peut-être à cause de l’exiguïté territoriale du diocèse9. Sous l’influence des fausses décrétales, la fonction du chorévêque, qui pouvait mettre en danger l’autorité épiscopale, commença à être critiquée ouvertement par certains conciles10. Il n’est donc pas étonnant de voir cette institution disparaître à la fin du siècle. Le coup de grâce leur est donné par la décision du concile de Metz de 893 de considérer comme nulles les consécrations effectuées par eux11.

6Une partie de leurs attributions sont exercées dès lors par un ou plusieurs archidiacres12. C’est ainsi qu’au x^e siècle, l’auteur du récit de la translation de sainte Glossinde parle d’un archidiaconus maior, quem corespiscopum dicunt13, et non plus d’un chorévêque comme dans la Vita I, ce qui montre que la fonction de chorévêque a disparu et n’est même plus totalement comprise mais aussi que les archidiacres ont hérité d’une grande partie de leurs attributions.

7À notre période, les premiers archidiacres que nous connaissons appartiennent au diocèse de Metz : une charte de l’évêque Robert en faveur de Saint-Arnoul14 est souscrite par Gunbertus primicerius et archidiaconus, Heuerus abba et archidiaconus, Lantfridus abba et archidiaconus, Adaluuida abba et archidiaconus. Dans le diocèse de Toul, l’archidiacre Angelram reçoit un bien en précaire de l’Église de Toul en 91215 et deux actes rédigés en 916 au cours d’un synode sont souscrits par les archidiacres Hetdonus, Ingelramnus et Allonus16. À Verdun, un Audinus archidiaconus et cancellarius apparaît en 918/91917 ; deux autres archidiacres sont nommés par le chancelier Savohardus dans une adresse aux frères du chapitre, à propos des dévastations des Hongrois dans la première année de l’épiscopat de Bernoin, soit en 923/92418.

8Dans la charte de l’évêque Robert en faveur de Saint-Arnoul, trois archidiacres sont aussi abbés. Peut-être le terme abba n’est-il qu’honorifique mais deux d’entre eux souscrivent une autre charte de Robert, conservée dans le cartulaire de Gorze, où ils ne portent alors que le titre d’abbé19. Il est possible qu’en guise de rémunération pour cette importante fonction, ou bien pour asseoir territorialement leur pouvoir, ils aient reçu chacun un abbatiat20. Dans cette hypothèse, on peut se demander quelles communautés ils pouvaient diriger. Pas celle de Gorze dont l’abbé est alors un certain Lodovinus21 ; compte tenu de leur intervention comme témoins de deux diplômes de Robert, on peut avancer l’hypothèse qu’ils étaient abbés de communautés de la ville épiscopale, Saint-Arnoul, Saint-Symphorien ou Saint-Félix22.

9L’existence parallèle de plusieurs archidiacres dans le même diocèse (quatre à Metz, deux à Verdun) implique un partage de leur responsabilités. Cependant, l’existence d’archidiaconés à la tête desquels ils auraient été placés n’est pas prouvée : ces divisions territoriales des diocèses ne sont véritablement attestées dans notre région qu’à partir de la deuxième moitié du x^e siècle23.

10Outre les archidiacres, des primiciers sont présents dans l’entourage de l’évêque et souscrivent ses actes :

• la charte de Frothaire de Toul en faveur de Saint-Èvre est souscrite par le primicier et par 25 autres chanoines rangés en ordre hiérarchique24 ;
• à Metz, la charte d’Advence pour Gorze en 858, les chartes de Robert, une mention du Liber Memorialis de Remiremont, et la vita de Jean de Gorze attestent à des dates différentes l’existence de la dignité de primicier25. En outre les Gesta Aldrici episcopi Cenomannensis affirment qu’Aldric devint primicier de Metz sous l’évêque Drogon26 ;
• à Toul, au temps de l’évêque Ludelme, le primicier Barnefrid est attesté à cinq reprises, comme auteur d’un échange avec l’abbaye de Saint-Mihiel27, témoin d’un miracle dans les Miracula s. Apri28, souscripteur de la charte de Ludelme en faveur des chanoines de Toul29 et par deux inscriptions au Liber Memorialis de Remiremont30 ; en 916, les deux actes rédigés en synode sont souscrits par le primicier Rotlandus31 ; enfin, l’archidiacre Angelram réapparaît en tant que primicier comme bénéficiaire d’une précaire octroyée par l’évêque Gauzelin32. Lui succède un certain Bérenger qui souscrit une charte de Gauzelin de 93133 ; à cette date Angelram est devenu primicier de l’Église de Metz34 ;
• dans le diocèse de Verdun, la fonction de primicier n’est attestée véritablement qu’en 96735.

11En quoi consiste cette fonction ? Étymologiquement, le primicier est le primus in cera36, le premier inscrit sur la tablette de cire ; dans le cas des chapitres cathédraux, il est donc le premier sur la liste des chanoines, ce qui correspond bien à la place qu’il occupe dans nos listes de souscriptions. C’est donc avant tout une dignité qui n’était sans doute pas inférieure à celle d’archidiacre, puisqu’on voit Angelram progresser de celle d’archidiacre à celle de primicier et que le scribe de la charte de Robert place Gunbertus primicier et archidiacre en tête des souscriptions bien rangées en ordre hiérarchique37. La règle de Chrodegang plaçait quant à elle les deux dignités de primicier ou d’archidiacre sur le même plan38, ce qui ne se conçoit plus dès lors qu’il y a plusieurs archidiacres. Hélas, Chrodegang ne précise pas quelles sont leurs fonctions et consacre tout ce paragraphe aux qualités intellectuelles et morales qui doivent être les leurs :

« Il convient qu’ils soient prudents comme des serpents et simples comme des colombes (...) et savants dans les évangiles et les institutions des canons des saints pères (...) et que l’archidiacre et le primicier soient en toutes choses, dans toutes leurs actions et toutes leurs œuvres obéissants et fidèles à Dieu et à leur évêque... »39

12Seuls les Gesta Aldrid décrivent l’octroi et la nature de la fonction de primicier :

« Donc le susdit pontife Drogon, tout le clergé et tout le peuple, voyant quel zèle il avait pour ces fonctions et ces connaissances et qu’il avait formé honorablement de nombreux docteurs et maîtres, l’élevèrent de force au plus haut ministère et l’instituèrent primicier selon l’ordo romain et décidèrent que tout le clergé tant de la ville que des monastères et de la paroisse de toute cette cité lui seraient soumis et l’instituèrent maître de tous »40.

13Il faut sans doute faire la part de l’exagération de l’hagiographe qui présente l’octroi de la fonction de primicier comme équivalente à celle de l’évêque : il est choisi par le clergé et par le peuple... Cependant la définition de sa fonction est particulièrement précise : il dirige tout le clergé du diocèse, dans la ville comme dans les monastères41 et les paroisses. Il apparaît donc comme le premier des archidiacres, ce qui correspond bien au rang qu’occupe un demi-siècle plus tard le primicier et archidiacre Gunbertus dans la charte de Robert. De même, Blidulfus est qualifié d’archidiacre dans la Vie de Jean de Gorze et de primicier dans le Liber de s. Hidulfi successoribus42.

14Tout concorde donc : le primicier est le premier des archidiacres, ce qui explique sa place dans les souscriptions ; cela explique également le § 25 de la règle de Chrodegang s’adressant à l’archidiacre ou/et (uel) au primicier43 et le fait que dans l’acte de l’évêque Gauzelin de 92344, Angelram est qualifié d’archidiacre dans le corps de l’acte et y souscrit en tant que primicier. Il n’est pas l’équivalent du chorévêque dont il ne possède pas les fonctions sacerdotales et dont la fonction est attestée à Metz alors même qu’Aldric était archidiacre. La vita de Jean de Gorze suggère que le primicier Angelram était un grand personnage habitué au luxe et au commandement :

« Angelram (...) avait d’abord été primicier de la sainte église de Toul puis de celle de Metz, prestigieux par sa noblesse, ses richesses et tout ce qui pouvait suffire à sa gloire. (...) Quand donc il eut été accueilli avec toute la richesse que nous avons dite, du fait qu’il était un personnage important qui avait vécu dans le confort et qui était bien connu de tout le groupe, il fut traité et honoré avec plus de douceur que les autres (...). Lui-même cependant, en homme qui n’avait pas encore parfaitement chassé de son cœur son regrettable prestige d’autrefois, ne supportait pas les mêmes choses que les autres, et en raison de ce qu’il avait donné au monastère, il se plaçait au-dessus d’eux avec trop peu de réserve »45.

15Si la pérennité de la dignité au-delà du Moyen Âge paraît spécifique à la Lorraine46, la fonction qu’elle représente paraît très proche de celle du grand archidiacre. Cette dignité, avant tout réservée, comme le suggère la Vie de Jean de Gorze, à de grands personnages, leur conférait un important pouvoir sur le clergé de l’ensemble du diocèse et en particulier sur le clergé cathédral dont ils étaient issus, s’il l’on en croit les Gesta Aldrici. On peut donc se demander comment pouvait s’articuler leur fonction avec celle de doyen (decanus) et celle de prévôt (prepositus).

Les dignitaires du chapitre cathédral

16La rareté des attestations de prepositi et de decani dans l’entourage des évêques laisse la question ouverte ; il n’y a que deux attestations, l’une sûre, à Verdun, au tout début du x^e siècle, celle d’un Euuenardus prepositus et d’un Bertarius decanus47, l’autre à Metz, en 858 : deux decani et un prepositus souscrivent la charte d’Advence pour Gorze mais seul un des deux doyens appartient au chapitre de Metz, le deuxième doyen et le prepositus appartiennent à la communauté de Gorze48. Les vocables de prévôt et de doyen ne désignent donc pas la même fonction. En extrapolant à partir de la règle de saint Benoît, on pourrait supposer que le prepositus est l’adjoint du chef de la communauté, donc de l’évêque, alors que le doyen s’occupe de la vie matérielle des chanoines49, mais les études menées pour la fin du Moyen Âge à Reims montrent que le prévôt, nommé par l’évêque, avait la responsabilité de la gestion matérielle et venait en ordre hiérarchique après l’archevêque et les archidiacres tandis que le doyen, élu par les chanoines, présidait l’assemblée capitulaire et était donc le premier dans la hiérarchie interne au chapitre50.

17Le chancelier Savohardus qui évoque, au début du x^e siècle, le doyen et le prévôt de Verdun, les considère comme les uenerabiles et maiores natu canonici, avec les deux archidiacres Leutfrid et Odilo. Il n’y avait donc pas de primicier à Verdun à cette époque. Peut-être Odilo le devint-il un peu plus tard. En revanche, la charte de Robert de Metz de 88451, qui, rappelons-le, est conservée en original, ne porte pas de souscriptions de doyen ni de prévôt alors qu’on y voit bien le primicier, des archidiacres, des prêtres, etc. Il en est de même de la charte de Frothaire de Toul réformant Saint-Èvre dans les années 820/830 : on passe sans transition du primicier aux prêtres et à des fonctions moins importantes.

18La présence d’un primicerius semble donc exclure celle du prévôt à la tête de la communauté. Une équivalence de fonction, sinon de dignité, entre prévôt et primicier ressort de la regula canonicorum de Chrodegang : le chapitre XXV traite des qualités requises de l’archidiacre et (uel) du primicier, mais dans certains manuscrits52 le mot primicerius est remplacé par celui de praepositus. L’Institutio canonicorum d’Aix-la-Chapelle (816), destinée à l’ensemble de l’empire, ignore le mot primicerius et traite dans le chapitre CXXXIX, du praepositus53. Il n’est pas impossible que le primicier cumule alors les deux fonctions de prévôt et de doyen, ce qui expliquerait l’importance de sa fonction et sa puissance telle qu’elle est évoquée par la Vita Iohannis Gorziensis.

19Mais la réalité est sans doute plus complexe : à cette époque de mise en place institutionnelle des chapitres cathédraux, il y a sans aucun doute encore des usages locaux, des fluctuations dans ces usages en un même lieu, avant que la place de chacun soit bien définie.

20À côté de ces dirigeants du chapitre, apparaissent d’autres fonctions, plus humbles mais indispensables à la vie de la communauté cathédrale. Ainsi quelques chanoines portent le titre ou exercent la fonction de notaire ou de chancelier :

• à Metz, Walbertus54 et Ruotlandus55 ;
• à Toul, Enulfus56 et Rotlandus57 ;
• à Verdun, Audinus58 et Sauohardus59.

21La fonction de custos, sacristain et gardien du trésor (et donc des archives de la cathédrale), est mentionnée plusieurs fois :

• la charte de Frothaire de Toul en faveur de Saint-Èvre est souscrite par le custos60 ;
• Advence, avant d’être évêque de Metz était gardien de la cathédrale61 ;
• un Ailaldus custos est inscrit dans le Liber Memorialis de Remiremont dans la suite de l’évêque Robert62 ;
• la liste du chapitre de Metz comprend un Sigeboddo custos domi63 ;
• parmi les souscripteurs du diplôme d’Adalbéron pour Gorze en 933/936, on remarque la présence d’un Cuonradus abbas et custos capelle64.

22Ce dernier personnage doit, me semble-t-il, être identifié avec l’abbé Conrad de Saint-Arnoul, expéditeur d’une charte en 93165 ; cette double fonction suggère qu’il y avait des liens étroits entre le chapitre cathédral de Metz et les autres communautés masculines urbaines. Certaines dignités, en l’occurrence celles d’archidiacre et de custos, étaient donc compatibles avec un abbatiat ; peut-être cet abbatiat en était-il une rémunération.

23D’autres fonctions sont attestées une unique fois : la charte de Frothaire de Toul en faveur de Saint-Èvre est souscrite par le bibliothecarius66 ; la charte de précaire de Gauzelin de 923 est souscrite par un archiclauis (archiporte-clefs ?), un chantre et un vice-doyen67. La Vie de Jean de Gorze mentionne un Rotlandus, chef de l’école des chantres à Saint-Étienne de Metz68 et la liste des membres du chapitre de Metz du début du x^e siècle, un Uualdradus cantor69.

24Ces dignitaires et les simples membres du chapitre souscrivent les actes des évêques concernant les biens de leur Église. Ces souscriptions permettent de connaître dans quelques cas le nombre minimum de chanoines que comptait à ce moment précis le chapitre de la cathédrale : on compte ainsi au moins 26 chanoines à Toul, lors de la réforme de Saint-Èvre par Frothaire70 et 12 au moins en 89871, et à Metz 12 chanoines au moins en 85872 et 50 sous l’évêque Robert73. Les chartes, déjà évoquées74, de l’évêque Robert de Metz en faveur de Saint-Arnoul et de Gorze, ainsi qu’une charte d’échange entre l’abbé et les frères de Gorze d’une part et l’évêque Walo, d’autre part75, outre les dignitaires déjà cités, livrent aussi les noms de quelques personnages proches de l’évêque qui appartenaient sans doute au chapitre cathédral : Adelgarius76, Amairicus, Ermenaldus77, Garemmanus78, Gundelaicus79.

25Un autre document, la liste des fratres Metteuses, au fol. 87 du Livre de Reichenau80 reflète très probablement la composition du chapitre de Metz au milieu du ix^e siècle81. En tête, on trouve Droago qui peut être identifié comme étant l’archevêque Drogon de Metz (823-855). Mais comme Drogon n’est qualifié ni d’abbé, ni d’évêque et comme on n’a pas de précision sur la nature de l’établissement concerné, alors que les autres listes du Livre portent la précision coenobium ou monasterium ou bien encore, pour les chapitres cathédraux, le qualificatif de canonicorum, il est a priori impossible de dire si la liste concerne les chanoines de la cathédrale ou bien les religieux de Saint-Arnoul.

26Cette liste est en outre d’une présentation différente des autres82, puisque tous les noms sont inscrits à la suite et non en colonne ; la liste n’est pas men donnée dans la table des matières initiale, ce qui permet de supposer qu’elle a été insérée plus tardivement que les autres. Cette liste étonne également par le grand nombre de noms inscrits : 56 à la suite de Drogon, 77 cantores et enfin plus bas sur la même page 28 seruientes mulinarii (meuniers ?). Elle ne peut être comparée avec aucune liste de souscriptions de chanoines de la cathédrale puisqu’aucune charte concernant l’Église et le chapitre de Metz n’a été conservée pour cette période ; elle ne peut non plus être confrontée à des listes de chanoines de Saint-Arnoul du temps de Drogon : le seul document conservé, la double charte de précaire d’Anselmus83, est très probablement souscrit par des laïques et aucun nom ne se retrouve sur la liste du Livre de Reichenau.

27On n’y trouve pas non plus Aduentius/Advence qui fut membre du chapitre cathédral avant de succéder à Drogon comme évêque de Metz, par contre on y trouve quelques noms de souscripteurs de sa charte en faveur de Gorze de 85884, Teutfridus, Anselmus et Rotardus, et surtout on y trouve deux Aldricus, dont l’un pourrait être le futur évêque du Mans qui fut primicier de Metz au temps de Drogon et l’autre Albricus qui souscrit la charte d’Advence, et enfin Hubaldus qui souscrit comme primicier la charte d’Advence. C’est peut-être suffisant pour affirmer que cette liste est bien celle des membres du chapitre de Metz pendant l’épiscopat de Drogon, de 823 à 855. L’absence d’Advence pourrait s’expliquer par le fait que cette liste a été établie alors qu’il était déjà devenu évêque, en 858. Mais il reste quelques problèmes. Tout d’abord le grand nombre de noms, 129, ne peut qu’étonner : nous avons vu qu’en 884, la charte de l’évêque Robert pour Saint-Arnoul est souscrite par 50 membres du chapitre et que la liste retrouvée par Dom Misonne en compte 50 vivants également. Mais à l’exception d’un seul, qui est peut-être le chef de la schola, ces dernières listes ne comportent pas de chantres. Il faut donc considérer que mis à part leur chef, les chantres ne faisaient pas partie à part entière du chapitre ; le grand nombre de chantres pourrait s’expliquer par le fait qu’à cette époque la schola de Metz recevait de nombreux clercs ou moines en formation. Le fait que l’on trouve parmi les noms de chantres de la liste de Reichenau, quatre noms de femmes85 plaide en ce sens. Celles-ci pouvaient appartenir à l’un des deux monastères de femmes voisins, Saint-Pierre-aux-Nonnains ou Saint-PierreSainte-Glossinde et avoir été formées au plain chant à la cathédrale86. Si on laisse de côté les chantres, les 56 noms de la liste correspondent bien à l’effectif normal du chapitre, d’autant qu’ont pu y être inscrits des frères partis depuis, comme Aldric, ou récemment décédés.

28On peut supposer que ces chapitres de chanoines ainsi constitués avaient leurs biens propres et étaient donc matériellement indépendants de l’évêque87. On a vu que quelques indices vont dans le sens d’une constitution des menses canoniales dans les deux dernières décennies du ix^e siècle88. Cette constitution n’exprimait sans doute pas uniquement la méfiance des chanoines vis-à-vis de l’évêque puisque les évêques pouvaient se montrer généreux envers le chapitre et même procéder eux-mêmes à ce partage, mais sans doute la volonté des chanoines de mettre leur moyen d’existence à l’abri des aléas engendrés par les relations pas toujours bonnes des évêques avec les souverains, ou encore par les donations des évêques à leur fidèles ou aux autres communautés religieuses du diocèse.

Les desservants des grandes basiliques suburbaines

29Dans chacune des trois villes épiscopales, les évêques semblent avoir veillé tout particulièrement sur une basilique suburbaine qui abritait le corps d’un prestigieux évêque : à Metz Saint-Arnoul89, à Toul Saint-Èvre, à Verdun Saint-Vanne.

30Les deux abbayes de Saint-Arnoul et de Saint-Vanne, desservies par des chanoines, sont dans l’étroite dépendance de l’évêque. L’évêque de Metz semble avoir été le plus souvent abbé de Saint-Arnoul : les diplômes de Lothaire I^er de 84090 et de Charles le Chauve de 86991 précisent que l’évêque Drogon en est l’abbé ; la demande faite par Anselmus d’une précaire constituée sur des biens de Saint-Arnoul est adressée à Drogon92 ; un acte du cartulaire de Gorze montre que l’évêque Walo gérait le patrimoine de l’abbaye93. Au ix^e siècle, cette règle ne souffre qu’une seule exception : en 869, le fils de Charles le Chauve, Carloman, en est l’abbé. Comme nous l’a fait suggérer le cas des archidiacres et abbés et surtout le cas de l’abbé Conrad, à la fois abbé de Saint-Arnoul et membre du chapitre cathédral comme custos d’une chapelle94, l’abbaye de Saint-Arnoul apparaît la plupart du temps comme un appendice du chapitre cathédral de Metz95 ; cela n’empêche pas les chanoines de Saint-Arnoul de conserver une certaine autonomie matérielle, grâce aux biens qui leur sont octroyés par l’évêque ou le souverain96.

31À Saint-Vanne, les chanoines sont installés par l’évêque Bérard qui dote d’ailleurs la communauté sur les biens de l’Église de Verdun97. Aucun abbé n’est attesté pour notre période : les deux donations que nous possédons sont adressées l’une aux frères98, l’autre à l’évêque Dadon et aux chanoines99. Il est fort probable que l’évêque de Verdun garda tout au long de notre période l’abbatiat de Saint-Vanne.

32Le cas de Saint-Èvre est plus complexe puisqu’en principe, au moins depuis la réforme de Frothaire dans les années 820-830100, la basilique était desservie par des moines. Toutefois, certains évêques de Toul, en particulier Frothaire, semblent avoir cultivé des relations privilégiées avec l’abbaye : Frothaire distribue généreusement les reliques de saint Èvre101, procède à des travaux102 dans l’église et, à l’instar de son prédécesseur Uuanincus, choisit la basilique comme lieu de sépulture ; ses successeurs Arnoul et Arnaud feront de même103, ce qui est sans doute l’indice de bonnes relations avec la communauté de Saint-Èvre. De l’autre grande basilique de Toul, Saint-Mansuy, nous ne savons pas grand-chose et il est impossible de dire quel était l’effectif des clercs qui la desservaient ou s’ils étaient sous l’autorité d’un abbé ou directement de l’évêque104.

33Nos sources, quoique lacunaires, mettent donc bien en évidence l’existence autour des évêques d’au moins deux communautés de chanoines dépendant étroitement de lui, l’une attachée à la cathédrale, l’autre desservant une grande basilique où certains évêques sont enterrés105. La part spécifique que les chanoines prenaient aux tâches pastorales, sous l’autorité de l’évêque et au côté des clercs desservant les églises plus humbles nous est hélas totalement inconnue.

Moines et moniales

34Les seules sources permettant d’évaluer le nombre des habitants des monastères sont les listes portées dans les Livres de Vie, celui de Reichenau et celui de Remiremont, ainsi que les listes de souscripteurs des chartes.

35Le Livre de Confraternité de Reichenau106, complété au cours des siècles, comprend trois parties :

• I^re partie, 9 feuilles de papier ; xiv^e-début xvi^e siècle ;
• II^e partie, 59 folios de parchemin et 8 feuilles de papier ; c’est le véritable livre de confraternité de Reichenau, essentiellement du ix^e siècle, poursuivi jusqu’à la fin du Moyen Âge107 ;
• III^e partie, 15 folios de parchemin. Elle comprend la liste des proies de Reichenau, le formulaire de profession ; c’est la poursuite du livre de confraternité au x^e siècle avec des compléments jusqu’aux xii^e-xiii^e siècles108.

36Les parties II et III ont été paginées au xvii^e siècle en chiffres romains, de I à CLXIII ; à cette époque ont été insérées et paginées les huit feuilles de papier, à la place des folios originaux. Quand le catalogue des manuscrits de l’abbaye fut rédigé, au début du xviii^e siècle, une nouvelle pagination en chiffres arabes fut ajoutée, à partir de la première partie. La reliure actuelle date donc de la fin du xvii^e ou du début du xviii^e siècle.

37Dans la deuxième partie, les premières listes de noms ont été inscrites en novembre 824. Parmi elles, on trouve les listes des frères de Gorze (p. 66), d’Hornbach/Gamundias (p. 88), de Metz (p. 87)109, de Moyenmoutier (p. 65), de Senones (p. 64), de Saint-Mihiel (p. 74), et celle de Saint-Martin de Glandières (p. 67)110.

38Mais on trouve plusieurs listes sur chaque page ; les plus anciennes listes ont été portées par la même main que celle qui a fait la table des matières. Les listes furent ensuite continuées et dans l’intervalle de chaque colonne ont été insérées par d’autres mains encore de nouvelles listes, qui n’incluent pas uniquement des moines, et enfin des noms épars ont été portés dans les espaces laissés blancs. Les listes recopiées sont celles des frères des communautés religieuses unies entre elles et à Reichenau par des liens de confraternité ; en principe elles pourraient permettre d’évaluer la population des monastères concernés si l’on pouvait être sûr que ces listes ne contiennent que les noms des vivants. Or ce n’est certainement pas le cas : la liste de Gorze (n^o XXXVIII, p. 66111) contient le nom de deux abbés, Optarius et Chrodegangus, le premier en tête de la liste est suivi de 106 noms, le deuxième de seulement 37 noms. Or l’abbé Optarius et a fortiori l’abbé Chrodegang étaient décédés au moment de la fabrication du Livre de Confraternité.

39L’autre difficulté vient du fait qu’il est rare de pouvoir comparer pour la même période listes de souscriptions et listes du Livre de confraternité. Cette sorte de comparaison n’a été possible que pour les chanoines de Metz et peut être tentée pour les moines de Gorze à l’époque de l’abbé Optarius. Ailleurs, il faudra se contenter d’un des deux types de listes pour connaître la population des monastères.

La communauté de Gorze

40Optarius qui figure en tête de la liste112 est attesté comme abbé de Gorze de 786 à 796113 ; Chrodegang étant mort en 766, il est bien évident que la liste a été recopiée après la mort de celui-ci : il est probable que les 37 noms qui le suivent sont ceux de 37 moines également décédés. Mais on ne peut pour autant être sûr que la liste a été copiée du temps d’Optarius qui ne fut pas abbé au-delà de 802, date à laquelle apparaît comme abbé Magulfus episcopus. La liste a pu être copiée quelque temps après l’abbatiat d’Optarius, mais surtout il est probable qu’elle ne contient pas uniquement des moines vivant au moment précis où la liste a été confectionnée mais aussi des moines qui sont décédés pendant l’abbatiat d’Optarius, ce qui permet d’expliquer alors le grand nombre de noms inscrits qui va bien au-delà de la capacité d’un monastère, même aussi important que Gorze. Cette liste, à laquelle on a ajouté une liste des moines de Gorze au temps de Chrodegang, était probablement dès avant la fin du viii^e siècle en la possession de l’abbaye de Reichenau et a probablement été recopiée dans le Livre de Confraternité au moment de sa confection, vers 824.

41Si l’on additionne tous les noms de la liste, on aurait donc 143 moines inscrits pour une période d’environ un demi-siècle : en se fondant sur l’hypothèse d’un renouvellement des générations tous les 25 ans, cela donnerait une population d’environ 70 moines pour Gorze, ce qui est déjà considérable. Cependant ce chiffre est peut-être sous estimé car n’apparaît pas dans la liste le personnage qui est attesté comme abbé de Gorze de 762 à 776, Theumarus ; seuls trois noms de la liste de Reichenau se trouvent parmi les souscripteurs des chartes de son abbatiat, et on trouve également ces mêmes noms parmi les souscripteurs des chartes du temps d’Optarius.

42La confrontation de la liste des noms qui suivent celui d’Optarius sur la liste du Livre de Reichenau avec celle des souscripteurs des actes passés sous l’abbatiat d’Optarius n’est guère probante : on y retrouve seulement 15 noms identiques ou très proches, sur un total de 106 noms pour la liste du livre de Reichenau et 97 noms de souscripteurs différents. Il est possible que la liste de Reichenau ne soit pas complète mais il est encore plus probable que les souscripteurs des chartes de Gorze ne soient pas tous des moines puisque leur qualité, à l’exception de celle du rédacteur de l’acte, n’est jamais précisée. Une évaluation exacte ou presque du nombre des moines de Gorze avant 800 n’est guère possible, malgré l’apport du livre de Reichenau.

43Au cours du siècle suivant, les évaluations ne peuvent être effectuées qu’à partir des listes des souscripteurs des chartes reportées dans le cartulaire de Gorze. Les tableaux ci-après114, inspirés de celui qu’avait confectionné Michel Parisse pour la période 876-973115, permettent d’évaluer à travers onze chartes souscrites entièrement ou en partie par des moines de Gorze, le nombre minimum de moines vivant dans l’abbaye entre 849 et 922 et de confectionner un graphique116, montrant l’évolution du nombre de souscriptions de moines dans les chartes de Gorze.

44En 849, une charte de l’évêque Drogon est souscrite par 16 moines dont 11 se disent également prêtres. En 858/859, la charte de l’évêque Advence est souscrite par les membres de l’entourage épiscopal (n^o 2 à 9) puis par le doyen et le prévôt de Gorze (n^o 10 et n) suivis de moines (n^o 12 à 22). Presque tous se retrouvent comme souscripteurs de la charte de l’abbé Betto de 863/864. Leur font suite deux diacres dont l’un, Adelherus, appartient à la communauté de Gorze, et de simples noms qui ne sont certainement pas des moines de Gorze, puisqu’on ne les retrouve nulle part ailleurs, et qui sont peut-être des laïcs de l’entourage épiscopal. En 894, la charte de l’évêque Robert est souscrite par celui-ci puis par l’abbé de Gorze, suivis de personnages de leur entourage : à partir du n^o 7, on a une liste de 40 noms dont 24 peuvent être identifiés à coup sûr comme des moines de Gorze car ils apparaissaient déjà parmi les souscripteurs des chartes de 885 et de 886 et pour certains de celles de 895 et même de 903.

45Le graphique117 permet de voir l’évolution du nombre des moines souscrivant les chartes de Gorze. Il est sûr que tous les moines ne souscrivaient pas toutes les chartes : par exemple Adelherus souscrit la charte d’Advence de 858, mais pas celle de Betto de 863/864 et on le retrouve comme souscripteur de celle de 874 ( ?). Il est donc bien difficile de s’appuyer sur ces souscriptions pour évaluer l’effectif des moines de Gorze. Cependant il faut remarquer que les chiffres maximaux de souscriptions sont ceux des chartes de 894, 24 noms de moines, peut-être plus, et de 903, 32 au moins. Si l’on y ajoute les novices qui n’ont pas dû être appelés à souscrire, on peut arriver à la fin du ix^e et au début du x^e siècle, à une population d’environ 50 personnes, en tout cas pas inférieure à 30, si l’on ne tient compte que des noms attestés à plusieurs reprises et donc considérés comme sûrs.

46Les souscriptions des chartes de Gorze mettent en évidence une certaine stabilité des moines118, par exemple :

• sur les 16 noms de la liste de la charte de Drogon de 849 [AE 3], 8 se retrouvent dans les chartes de 858/859 [AE 4] et de 863 [AG 4] ;
• sur les 33 noms de la charte de 885 [AG II], 29 se retrouvent parmi les souscripteurs d’autres chartes postérieures ou antérieurs.

47Grâce à l’ordre de souscription des chartes, on peut également déceler la carrière de certains moines, parfois ponctuée d’accidents :

• Adelherus souscrit comme diacre la charte d’Advence de 858, 24^e et dernier rang, il ne souscrit pas la charte de Betto de 863/864, mais souscrit celle de 874 comme prêtre au 6^e rang et enfin celle de 885, au 5^e rang ;
• le moine Uuinemannus est au 12^e rang de souscripteurs de la charte de Drogon de 849, au 16^e de la charte de Betto en 863/864, au 10^e de celle de 874, au troisième de celle de 885 ;
• le moine Uualtarius passe du 14^e rang dans la charte d’Advence de 863, soit au 5^e rang des moines, au 15^e dans celle de Betto puis revient au 4^e dans celle de 874, au 3^e en 878 et enfin apparaît comme doyen en 885, au premier rang des souscripteurs ;
• Bertholfus arrive au 21^e rang de souscripteurs de la charte d’Advence de 858 mais au 12^e rang des moines de Gorze ; on le trouve au 17^e rang dans la charte de Betto de 863/864 ;
• Sarowardus progresse du 16^e rang en 885 au 15^e rang en 894, au 6^e en 895 et en 903 ;
• Soypertus passe du 15^e rang en 885, 3^e rang en 886, 14^e rang en 894, 5^e rang en 895 et en 903 ;
• Landoinus qui souscrit au 3^e rang en 849, et juste après un autre doyen et un autre prieur en 858/859, est mentionné comme prévôt de Gorze en 856119 ;
• le prévôt Ragnarius/Ragenarius de 858/859 et de 863 est probablement le même personnage que le Ragnerius qui souscrit au 9^e rang en 849, et c’est peut-être lui qui signe au troisième rang en 874 comme prêtre derrière l’abbé et le prévôt Uualtarius ;
• et surtout Bovo, moine en 849, doyen en 858/859, lévite en 863, est mentionné comme prévôt en 871120 et abbé en 874.

48La place dans les souscriptions n’est sans doute pas due au hasard : globalement l’ancienneté semble être le moteur principal de la progression, mais des accidents peuvent se produire : certains rétrogradent de la charte d’Advence en 858 à celle de Betto en 863/864, pour retrouver leur rang ensuite ; à l’inverse, 5 des 22 souscripteurs de la charte de Betto ne se retrouvent ni avant, ni après. Peut-être étaient-ce des moines introduits avec Betto dans le monastère à l’occasion de la réforme et qui revinrent ensuite dans leur monastère d’origine.

49Comme l’étude du patrimoine, l’étude de la population de l’abbaye ne donne pas l’impression d’une abbaye en déclin et laissée à l’abandon ; seul le hiatus des sources entre 922, date à laquelle le comte Adalbert est abbé laïque de Gorze et 934, époque de la réforme, permet de supposer quelques difficultés.

Les autres communautés d’hommes du diocèse de Metz

50Aucune des autres communautés du diocèse de Metz n’est aussi bien connue que celle de Gorze : certaines ne le sont que par les listes du Livre de Reichenau, d’autres uniquement par une liste de souscriptions.

51La communauté d’Hornbach apparaît au fol. 88 du livre de Reichenau121 : l’abbé Amalhard, que l’on connaît également par une lettre de 803-813 à l’archevêque Riculf de Mayence122, est suivi d’une liste de 50 noms sur deux colonnes. Une troisième colonne d’une autre écriture est consacrée à l’abbé Uuirundus, suivi de 69 noms. Cet abbé est aussi connu par des diplômes de Lothaire II de décembre 833123. Il est donc fort probable que ces deux abbés se sont succédé à la tête du monastère, mais on ignore la durée exacte de leurs abbatiats. Il faut considérer que les noms inscrits sont ceux des moines ayant vécu sous leurs abbatiats, qu’ils soient vivants ou décédés à l’époque de l’écriture de la liste. Vingt-cinq noms sont communs entre ces deux listes ; on a donc bien ici la liste de ceux qui ont « servi » sous leurs deux gouvernements. L’effectif normal de la population monastique devait donc tourner autour de vingt-cinq personnes. Comme Uuirundus ne figure pas sur la première liste, on peut en conclure qu’il n’appartenait pas à la communauté avant d’en être l’abbé. L’impressionnante liste de 69 moines peut être expliquée, soit par une durée exceptionnelle de son abbatiat qui impliquerait un renouvellement de la population monastique, soit par un accroissement numérique de la communauté, ce qui est le moins probable.

52La troisième liste qui a à sa tête un certain Frumihere, dont la qualité d’abbé n’est pas mentionnée, est écrite par de mains différentes et comporte en partie une distinction entre vivants et morts ; comme il y a des noms féminins, il faut considérer qu’il ne s’agit pas, ou du moins pas exclusivement, d’une liste de moines. Il n’y a aucun nom en commun avec les deux autres. Il n’est donc pas du tout sûr que cette liste soit une liste de moines d’Hornbach et il n’est pas possible de la dater avec précision.

53La liste du Livre de Reichenau est la seule source disponible sur les moines de Saint-Martin de Glandières ; la communauté des moines de Saint-Martin y figure sous le nom de Buxbrunno, au fol. 67124. Rabigaudus y est en tête d’une liste de 52 noms de la même main, mais la mention abbas a été ajoutée d’une autre main, apparemment la même que celle qui écrivit le nom d’Herigert ensuite. Le calibre de cette liste, d’une importance comparable à celle d’Hornbach, peut laisser supposer que la communauté se composait également d’environ 25 à 30 moines.

54À la suite une autre main a continué la liste dans une encre plus pâle. Dans la première comme dans la deuxième liste, on peut remarquer un Uuirundus qui pourrait être ensuite devenu abbé d’Hornbach. C’est d’ailleurs le seul nom commun aux deux listes de Buxbrunno ; cependant, outre Uuirundus, six noms de la deuxième liste se retrouvent dans les listes d’Hornbach : Altmant, Herimunt, Albericus, Odilardus, Ratbodo et Ruotbertus. Il est donc possible que des moines soient passés de l’une à l’autre de ces abbayes, en compagnie de Uuirundus ; ce serait l’indice unique d’un lien possible entre les deux abbayes.

55Le Livre de Reichenau ne comporte pas de liste des frères de Saint-Arnoul de Metz125 et seules deux chartes concernant Saint-Arnoul comportent des listes de souscripteurs. La première, conservée en original, est la charte de précaire accordée par Drogon à Anselmus126 ; elle est en réalité composée de deux chartes, l’une où Anselmus effectue une donation, l’autre où il demande à Drogon de la lui confier en précaire ; il est donc fort probable que les souscripteurs en sont des laïcs de l’entourage d’Anselmus et non des frères de Saint-Arnoul qui n’ont peut-être pas été consultés sur l’octroi de cette précaire. La seule charte portant des souscriptions des frères de Saint-Arnoul est donc celle de l’abbé Conrad en 931127. La charte est souscrite par l’abbé, huit prêtres, quatre diacres dont l’un est en même temps custode, un chantre, et un lévite. Comme il est probable que toute la communauté n’avait pas souscrit, cette liste ne donne qu’une estimation minimale du nombre des frères de l’abbaye. Il est toutefois étonnant qu’aucun prévôt ou doyen n’apparaisse comme souscripteur.

Les communautés masculines du diocèse de Toul

56Un diplôme de Charles le Gros de 885 est notre seule source pour avoir une estimation du nombre de moines qui composaient la communauté de Saint-Èvre de Toul. Le diplôme précise en effet que les biens sont attribués pour l’entretien de quarante moines128. C’est bien évidemment un nombre théorique, qui donne une idée de l’importance de la communauté, comparable donc à celle de Gorze, autre monastère épiscopal, mais qui pouvait sans aucun doute être parfois inférieur, ou même parfois supérieur, de quelques unités.

57Parmi les nombreux autres monastères du diocèse de Toul, seuls Moyenmoutier et Senones sont inscrits dans le Livre de confraternité de Reichenau. Les deux monastères étaient situés à quatre kilomètres l’un de l’autre mais, si Moyenmoutier était un monastère royal, Senones appartenait à l’évêque de Metz.

58La communauté de Moyenmoutier apparaît au fol. 65129 : l’abbé Sundrabertus est suivi de 23 noms. Cet abbé, mentionné par le Liber de s. Hidulfi successoribus130, serait mort en 779 selon les auteurs de la Gallia Christiana131, en 790 selon l’éditeur du Liber dans les MGH ; il eut pour successeurs Madalwinus et ensuite Fortunat132. Pour Senones133, au fol. 64, on trouve un abbé Boniceolus suivi de 20 noms de la même écriture parmi lesquels un Sundrabertus, qui pourrait être le même personnage que l’abbé de Moyenmoutier. Richer de Senones place Boniceolus comme abbé avant Stephanus et l’archevêque Angilram134.

59On a donc affaire à deux communautés bien modestes. On pourrait en conclure que leurs propriétaires, le roi d’une part, l’évêque de Metz d’autre part, préféraient y entretenir peu de moines pour garder une part substantielle des revenus, si les exemples de Saint-Èvre, de Gorze et de Saint-Mihiel n’allaient pas en sens contraire. Il vaut mieux supposer que ce faible effectif de la communauté correspondait aux modestes revenus de ces abbayes. L’âpre querelle qui se développa entre les moines de Moyenmoutier et leur abbé Ismond à propos des menses abbatiale et monastique tend à montrer que les revenus étaient trop peu suffisants pour que les moines acceptent que l’abbé se serve librement des revenus du monastère135.

Le problème de la communauté de Saint-Mihiel

60Le folio 74 du Livre de confraternité de Reichenau est consacré aux nomina fratrum de coenobio quod sancti Michaelis uocatur136. Les éditeurs de 1979 considèrent qu’il s’agit de Saint-Mihiel. P. Piper, qui édita le premier le livre en 1884, se contente de remarquer que les abbés Gundrichus et Chunibret qui sont à la tête des deux listes les plus anciennes, respectivement de 50 et 39 noms, ne sont commémorés nulle part ailleurs. De fait, ces deux abbés sont inconnus de l’auteur de la chronique de Saint-Mihiel au début du xi^e siècle. Il est vrai qu’il ne s’intéresse qu’aux abbés dont les noms apparaissent dans les documents diplomatiques qu’il a pu consulter :

« Après lui [Smaragde], il y eut en vérité plusieurs hommes de choix, grâce à la prévoyance desquels la dignité de ce lieu fut conservée et augmentée, et qui, fréquentant les palais auprès des pieux princes, veillèrent aux besoins de leur monastère et s’appliquèrent par des préceptes royaux à fortifier la dignité du lieu et dont la mémoire est digne d’être célébrée par leurs successeurs. Nous avons décidé d’inscrire ici nominalement tous ceux dont le zèle a prévu pour nous des préceptes royaux que nous avons retrouvés :
Ermengaud, abbé et évêque,
Smaragde, abbé,
Hilduin,
Rodolphe,
Hadegaud,
Heynard, chancelier,
Étienne, évêque de Tongres »137.

61Il n’est donc pas exclu que d’autres abbés aient pu exister sans que leur nom apparaisse dans un des documents diplomatiques encore conservés au xi^e siècle, et a fortiori parmi ceux retranscrits dans le cartulaire du xii^e siècle. L’abbé Ermengaud est attesté par un diplôme de Charlemagne de mai 772138, Smaragde apparaît dans plusieurs diplômes de Louis le Pieux de 816139, 824140 et de 826141 et Hadegaudus dans les trois diplômes de Lothaire I^er de 841142 ; Heynard est mentionné dans un diplôme de Lothaire II de 858143, il était aussi gardien de la chapelle royale144. La mémoire d’Hilduin est évoquée par un diplôme de Charles le Chauve de 877145, sans qu’il soit possible de préciser la date de son abbatiat146. L’abbé Étienne, qui devint ensuite évêque de Liège, est mentionné dans un diplôme de 895147, un diplôme et une charte de 904148 ; enfin l’abbé Rodolphe est mentionné dans le diplôme de Charles le Simple de 913149.

62On connaît donc pour Saint-Mihiel sept abbés pour environ 150 ans ; les abbés Gundrichus et Chunibret peuvent avoir effectivement dirigé le monastère sans laisser de traces diplomatiques. Cependant, il est curieux qu’aucun des abbés connus et en particulier Smaragde, en charge alors que le Livre de Reichenau était commencé, n’y ait été inscrit. Il ne faut donc pas rejeter l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’un autre monastère Saint-Michel. On doit remarquer que dans le Livre de Reichenau, le monastère dédié à saint Michel n’a pas sa place auprès des monastères lorrains de Senones, Moyenmoutier, Gorze et Saint-Martin, qui se suivent aux folios 64, 65, 66 et 67, mais entre les deux monastères Saint-Germain (à Auxerre et Paris) et le monastère Saint-Denis150. Si on l’a identifié avec Saint-Mihiel, c’est sur la base de la donation faite par Pépin à Fulrad en 755 et de la revendication par Saint-Denis de ce monastère. Et, à l’inverse, Otto Gerhard Oexle s’est fondé sur cette proximité des deux monastères dans le Livre de Reichenau pour conforter la thèse de l’existence de liens avec Saint-Denis dans la deuxième moitié du viii^e siècle151. Ce raisonnement tautologique n’étant guère satisfaisant, il faut donc rechercher à quel autre monastère Saint-Michel pourrait s’appliquer cette liste. On pense bien évidemment en premier au Mont-Saint-Michel, dont ne sait pas grand-chose au ix^e siècle152 et dont la place dans le livre entre les grands sanctuaires de Saint-Germain-des-Prés et Saint-Denis n’aurait rien de surprenant ou encore à Saint-Michel-en-l’Herm au diocèse de Poitiers, qui fut détruit par les Normands en 877153. Rien ne permet donc de trancher définitivement entre ces trois hypothèses.

63Mise à part cette liste qui, si elle se rapportait bien au monastère Saint-Mihiel concernerait le viii^e siècle, donc serait nettement en dehors de notre période d’étude, seul un acte de 886154 donne le nom du prévôt Uuarnarius et un acte de 904 ceux du prévôt, du doyen et de deux autres moines, alors que l’abbé Étienne était évêque de Liège155.

Les communautés féminines

64Encore une fois le Liber Memorialis de Remiremont fournit des renseignements exceptionnels sur la communauté des moniales à l’époque de l’abbesse Teuthilde (avant 840-vers 865). À deux endroits différents, aux fol. 4v-5 et au fol. 42, se trouvent en effet deux listes de moniales156. La première appartient à la partie du Liber confectionnée en 862, la seconde à des cahiers remplis dès 850157.

65Au fol. 42, l’abbesse Theotildis (Teuthilde) est suivie de 61 noms de deux écritures contemporaines qu’on retrouve tous sur la liste des fol. 4v-5 et entre lesquels 22 noms plus ou moins grattés sont intercalés ; s’y ajoutent 18 noms d’une autre écriture un peu postérieure et qu’on retrouve aux fol. 4v-5. La liste initiale avant grattage et avant l’ajout des 18 noms comportait donc 83 noms, soit 84 avec l’abbesse. Au fol. 4v-5, on retrouve donc les 61 noms non grattés de la liste du fol. 42, auxquels s’ajoutent les 18 noms déjà ajoutés à cette même liste et 11 noms nouveaux. Ce qui donne un total de 90 noms, outre l’abbesse.

66La coexistence de ces deux listes montre bien la façon dont elles ont été utilisées : la première liste a sans aucun doute été rectifiée de deux façons, par grattage des noms des sœurs disparues (22) et par ajout des noms des nouvelles (18) ; cette liste a ensuite été recopiée aux fol. 4-5v et complétée par les noms des toutes nouvelles recrues (11).

67Le nombre des moniales appelle des remarques proches de celles faites par Eduard Hlawitschka en 1979158 : une décennie avant la confection du Liber, vers 850, la communauté comportait 84 personnes. Parmi ces 84 personnes, 22 sont décédées avant la confection du Liber mais elles ont été presque toutes remplacées puisque 18 nouveaux noms ont été ajoutés sur cette première liste. Il faut aussi remarquer que ce chiffre de 84 correspond à l’effectif nécessaire à la célébration de la Laus Perennis instituée par saint Amé159.

68Outre l’abbesse Teuthilde, quelques-uns des noms de ces deux listes sont connus par ailleurs : apparaissent en effet parmi les souscriptions d’un acte rendu par l’abbesse Imma160, les noms de Uulfrada preposita, Genesia, Ragensinda, Bachildes, Teutberga et Geltrudes, tandis que la charte a été écrite par Cecilia. Si Vulfrada doit être identifiée avec l’abbesse qui succéda à Imma et était donc décédée quand la liste du fol. 42 fut rédigée, Regensinda, Genesia, Theotberga apparaissent à la suite de l’abbesse Teuthilde sur les deux listes ; on trouve un peu plus loin Giltrudis, tandis que Cecilia fait partie des noms grattés sur le fol. 42. Cette coïncidence entre ces souscriptions et les deux listes montre la confiance qu’on peut accorder à ces listes. Il n’est pas étonnant de ne plus retrouver Cecilia qui devait avoir un âge raisonnable pour être amenée à servir de scribe : si elle avait une trentaine d’année sous l’abbatiat d’Imma qui, selon moi, est à placer dans les années 820-830, il n’est pas étonnant qu’elle soit décédée quelque 20 à 30 ans plus tard. Il est aussi facile d’expliquer qu’on retrouve à la tête des listes du Liber Memorialis trois des religieuses qui souscrivaient l'acte : en 820-830, on les a choisies comme témoins de l'acte parce qu’elles étaient encore jeunes et pourraient témoigner longtemps ; 30 à 40 ans plus tard, devenues âgées, elles ont le privilège d’être inscrites à la tête de la communauté.

69Ces deux listes apparemment fiables161 nous montrent que Remiremont était une très grande communauté : aux 80 à 90 moniales, il faut sans doute ajouter les novices et probablement les oblates et aussi la petite communauté masculine, alors dirigée par le prévôt Theodoricus, indispensable à la vie religieuse de l’abbaye.

70Cette population apparaît considérable comparée aux évaluations qu’on a pu faire pour Gorze et Hornbach et encore davantage comparée à ce que nous apprend le seul document conservé pour Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz. Cet acte de 918162 est souscrit par un comte Hugues. Son nom est suivi de 14 noms masculins, probablement des membres de son entourage, puis par un prévôt Hugues, suivi de neuf noms masculins qui pourraient être ceux de la communauté qu’il dirige163. Enfin on trouve 27 noms féminins qui sont sans aucun doute ceux des religieuses de Saint-Pierre, probablement au complet, à l’exception de la donatrice Remlendis, elle-même religieuse. En tête de ces noms, celui de (F)redelburgis, la religieuse évoquée par la Vie de Jean de Gorze164 et qui était donc probablement à la tête de la communauté.

71À l’exception de Remiremont, les abbayes lorraines sont dans l’ensemble très modestes. Seule l’abbaye de Gorze sort du lot avec ses quelque 50 religieux ; il est probable que Saint-Mihiel en avait autant même si aucun document ne nous renseigne précisément. Le nombre des habitants des autres communautés semble plutôt avoir oscillé entre 25 et 35, comme le montrent les listes d’Hornbach, Moyenmoutier et Senones et les souscriptions des religieuses de Saint-Pierre-aux-Nonnains. Même si les effectifs sont la plupart du temps modestes, ils sont, là où on peut l’observer, assez stables : il n’y a donc ni désaffection pour la vie monastique, ni désertion des monastères.

72On sait bien peu de choses du recrutement des habitants des abbayes, moines, chanoines ou religieuses. La pratique attestée à deux reprises de donations faites pour l’entretien de moines permet de supposer qu’ils appartenaient tous à des familles sinon riches, du moins assez aisées pour donner au monastère les biens nécessaires à leur entretien. Il est néanmoins fort surprenant que le cartulaire de Gorze, qui apparaît si complet, n’ait gardé qu’un seul exemple de ce type de donation165. L’autre exemple connu est un acte concernant Saint-Èvre de Toul166. On peut supposer que, effectuées lors de la prise d’habit, ces donations ont été consignées dans des documents particuliers ou qu’il s’agissait de sommes d’argent dont on n’a pas gardé de trace. Il est néanmoins permis d’avoir des doutes sur le caractère systématique de ce type de dotation au vu de la rareté des témoins conservés.

73L’origine sociale des moines, des religieuses et des chanoines n’est jamais directement perceptible. John Nightingale a fait quelques rapprochements entre certains noms de moines et les familles de donateurs et précaristes de Gorze : ainsi l’abbé Lodovinus, d’abord moine avant de devenir abbé, est le parent du comte Bivin167 ; un laïc signataire de la charte d’Advence de 858/859168 se nomme Uualtarius comme le prévôt de Gorze à la même date ; il peut être identifié avec un familier de Lothaire II dont il est question dans une lettre de Lothaire II à Nicolas I^er et dans une lettre d’Advence169. Mais on ne peut guère aller plus loin sur cette voie sans risquer des rapprochements hasardeux.

74L’origine sociale des abbés et abbesses est connue surtout quand ils exercent d’autres fonctions et donc quand ce ne sont pas des abbés réguliers ; évêques ou comtes, leur abbatiat manifeste surtout de l’importance du contrôle des abbayes pour les élites sociales et politiques ; nous les retrouverons dans le chapitre suivant. La personnalité des abbés réguliers et des abbesses régulières demeure la plupart du temps inconnue : seule exception, l’abbesse Teuthilde dont une des lettres170 nous apprend qu’elle était parente avec le sénéchal Adalhard et appartenait donc à une des plus grandes familles aristocratiques franques.

75Parmi les abbés réguliers, il faut faire une place à part à Smaragde, sans aucun doute l’ecclésiastique de Lorraine le plus connu par ses œuvres171. Cependant, en dehors du fait qu’il fut abbé de Saint-Mihiel autour de 815-826, et missus de l’empereur Louis le Pieux172, l’essentiel de sa biographie est inconnue. Il était probablement d’origine wisigothique, comme Théodulf d’Orléans et Benoît d’Aniane. Il écrivit successivement un commentaire de la grammaire de Donat, un commentaire sur les psaumes, une Expositio libri comitis, commentaire sur les péricopes des épîtres et des évangiles lus lors des dimanches et des fêtes, un « miroir » de prince, la Via regia et, ce qui retiendra surtout notre attention, un florilège des vertus monastiques qui eut beaucoup de succès pendant tout le Moyen Âge, le Diadema monachorum, ainsi qu’un commentaire sur la règle de saint Benoît, l’Expositio in regulant sancti Benedicti173.

76En dehors de celle de Smaragde, l’activité intellectuelle des moines et des moniales est totalement inconnue. Toutefois, il semble que Saint-Mihiel avait gardé de ce point de vue une excellente réputation jusqu’à la fin du siècle, comme l’atteste encore la Vie de Jean de Gorze :

« Un temps durant, il s’établit encore dans le monastère de Saint-Mihiel sur les bords de la Meuse, pour y étudier ; à cette époque-là, Hildebold, qui était professeur de grammaire et avait été l’élève du seigneur Rémi, le maître le plus savant de ce temps, y tenait l’école »174.

77De l’activité des scriptoria, nous ne connaissons pas grand-chose non plus : l’évangéliaire offert à Lothaire I^er par les moines de Saint-Martin-lès-Metz175 est l’unique témoignage, avec le sacramentaire de Drogon et les évangéliaires de Metz176, de l’activité artistique des moines et des chanoines de la région au ix^e siècle. Leur qualité incite à supposer une activité scriptuaire continue sans laquelle de tels chefs-d'œuvre n’auraient pu voir le jour. Le grand nombre des actes diplomatiques conservés, notamment à Saint-Mihiel, Gorze et Saint-Arnoul et la tenue du Liber Memorialis par les moniales de Remiremont ne constituent sans aucun doute qu’une faible partie de toute l’activité d’écriture des moines, des chanoines et des religieuses de Lorraine au ix^e siècle et au début du x^e siècle.

78Comme l’étendue des biens, le nombre et la qualité des moines ne peuvent être strictement appréhendés ; ils montrent cependant qu’on est loin du tableau catastrophique décrit par les réformateurs du x^e siècle et en particulier par l’auteur de la Vie de Jean de Gorze. Plusieurs dizaines de moines vivaient dans la plupart des abbayes, une vie peut-être différente de celle préconisée par la règle mais qui ne provoquait pas de scandale. La vie religieuse et la vie intellectuelle étaient loin d’avoir disparu, ce qui permit le renouveau du début du x^e siècle. Le principal mérite de la réforme de Benoît d’Aniane fut sans doute d’avoir permis de garder vivaces l’idéal et l’esprit de réforme malgré les difficultés évidentes du siècle.

79Dans ce domaine comme dans bien d’autres, nos sources ne permettent de connaître réellement que trois communautés religieuses, celles de Remiremont, Gorze et Saint-Mihiel, sans qu’il soit possible de dire si cet état de fait résulte uniquement du hasard de la conservation des sources ou du soin qu’ont pu apporter ces abbayes plus stables, plus riches et plus dynamiques à la conservation d’une partie de leurs archives.

80Remiremont apparaît donc à plusieurs égards comme une abbaye exceptionnelle tant par le nombre de ses habitants que par l’attention que lui portèrent les souverains carolingiens, en particulier Louis le Pieux ; sans doute l’étendue de ses biens fonciers, qu’on n’a pas pu mesurer exactement, et la qualité de ses abbesses étaient-elle en proportion. Tout cela explique la renommée et la richesse de l’abbaye tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne. Dès le ix^e siècle, les « Dames de Remiremont177 » existent probablement déjà et le Liber Memorialis est l’expression de la conscience qu’elles ont de leur exceptionnel destin. Parmi les abbayes lorraines, seules Gorze et Saint-Mihiel peuvent rivaliser avec Remiremont, probablement davantage grâce à leur réputation religieuse que par leur richesse et la noblesse de leurs habitants.

Fig. 18 – Évolution des souscriptions des moines de Gorze de 849 à 922