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D’une réforme à l’autre (816-934)

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Michèle Gaillard

Préface

Michel Parisse

Texte intégral

1En août 843, à Verdun et dans les environs de la cité mosane, trois fils de Louis le Pieux se partageaient l’empire de leur père et de leur grand-père. L’aîné, Lothaire, empereur avec son père depuis de très longues années, recevait à gouverner un territoire étiré de la mer du Nord au cœur de l’Italie, le long d’une ligne qui séparait des peuples de langue différente, les romanophones et les germanophones. Cette Francie moyenne ou médiane, comme on l’appela quelquefois, était l’illustration du contact nécessaire entre deux cultures. Elle n’avait pas les racines de ses deux voisines, les autres Francies de l’Est et de l’Ouest ; son destin était d’être convoitée, et de nouvelles fois partagée ou reconstituée. Elle subsista pourtant au point même de recevoir un nom, la Lotharingie, en souvenir de son roi Lothaire II (855-869). Cette terre de contact, absorbée à partir de 925 par le royaume de Germanie, demeurait marquée par ses deux langues, un capital qui devait en faire une terre de réflexion, de confrontation, de création, de réforme pour tout dire. Ce n’est pas ici le lieu d’en traiter sur la longue durée, mais on se souviendra de cela en lisant la thèse de Michèle Gaillard.

2Car c’est bien de réforme qu’il sera ici question, dans le meilleur sens du terme puisqu’on y montre qu’il conviendrait mieux de parler de rénovation ou d’activité permanente que de déclin et de remise en route. L’histoire de l’Église en Lotharingie a été imprégnée par une ferveur religieuse particulière, qui a animé le monachisme en permanence et touché aussi le monde des laïcs. C’est ce qu’on lira ici en illustration d’un long neuvième siècle, de 816 à 934.

3816, ce fut quand Louis le Pieux et Benoît d’Aniane réunirent un grand concile général à Aix-la-Chapelle à l’usage des membres du clergé soumis à une règle, chanoines, moines et religieuses. 934 est l’année où, dans un même élan, Saint-Èvre à Toul, Gorze près de Metz, Saint-Maximin à Trèves relançaient l’obéissance à la règle de saint Benoît et provoquaient un renouvellement de la devotio antiqua. Entre temps, il ne faut pas croire à un assoupissement général. Par exemple quand Gorze en 863, puis en 934, s’engagea dans une nouvelle ferveur monastique, cette abbaye ne partait pas de zéro, mais refusait de décliner en se laissant dominer par les princes laïcs qui convoitaient les pouvoirs et les possessions des moines. Le maintien, dans les cloîtres, d’un bon nombre d’hommes de Dieu prouvait bien qu’il y avait toujours de l’ardeur dans ces communautés. Ne généralisons pourtant pas trop vite ; tout n’était pas aussi rose, mais il importait de montrer que le siècle dont il est ici question ne fut pas une période creuse et stérile.

4Le champ d’investigation n’est pas ici toute la Lotharingie, seulement la partie qu’on appelle aujourd’hui Lorraine, plus précisément les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, qui entraient alors dans l’histoire pour y connaître ensuite un sort particulier pendant près d’un millénaire. Ce n’est pas non plus l’Église tout entière puisque l’attention se porte sur les moines, les chanoines et les religieuses et non pas sur les évêques. Ces derniers ont fait l’objet d’une enquête parallèle dont les résultats seront publiés séparément. L’église régulière, comme on désigne celle des religieux qui observent une règle, est alors un monde puissant, craint et envié, voué à la prière et à la méditation pour le salut des vivants. Les monastères sont à leur façon, comme les futurs châteaux, des places fortes chargées de la défense. Ils sont des symboles du pouvoir, des sources de richesse, des lieux de rassemblement.

5Les étudier n’est pas le plus facile pour une période avare de sources. Considérons séparément l’étonnant Livre mémorial de Remiremont ; profondément creusé et sondé par les érudits allemands, il révèle encore bien des points d’ombre, un peu moins aujourd’hui grâce à Michèle Gaillard, qui n’hésite pas à revenir sur de quasi-certitudes. Mais ce livre nous fournit surtout des listes de noms. Il y a davantage à tirer de la vingtaine d’actes laissés par Gorze, mais ils nous sont transmis par un cartulaire, avec tous les inconvénients que délivrent habituellement les copies. Les trois grandes abbayes des cités, Saint-Vanne à Verdun, Saint-Èvre à Toul, Saint-Arnoul à Metz, apportent chacune leur contingent d’informations, mais là encore au travers de documents trop souvent interpolés, falsifiés, forgés. Quant aux abbayes de la campagne lorraine, sauf Gorze dont il a été question, elles sont bien chiches en textes, malgré leur importance : Saint-Mihiel sur les bords de la Meuse, la Sainte-Croix des Vosges, le bloc messin (Glandières, Saint-Nabor, Hornbach, Herbitzheim) très démuni. On ne retire pas autant qu’on pouvait espérer de la correspondance des grands, relativement abondante. L’archéologie délivre seulement quelques bribes d’enseignement, notamment pour Saint-Pierre-aux-Nonnains. Les récits annalistiques, historiques, hagiographiques sont à parcourir avec prudence, car comme tout ouvrage littéraire, ils livrent le point de vue d’un auteur, qui défend une opinion et n’hésite pas à gauchir la réalité. Au total on n’en sait pas assez, et de loin. Qu’on n’oublie pas par exemple qu’il faut se colleter avec les sources pour réussir à savoir si ce sont des moines ou des chanoines qui peuplent telle ou telle maison, et pourtant cela est important pour éclairer le milieu ecclésiastique.

6Tout cela pour dire que la peinture que nous livre cette thèse du neuvième siècle de l’église régulière lorraine est bien venue dans la mesure où elle ne considère rien pour acquis et qu’elle reprend à nouveaux frais l’analyse des sources même les plus sûres. Enfin il n’y a pas que le regard strictement historique et événementiel qui s’exprime ici. Pour revenir à ce qui a été dit plus haut, ce regard s’exprime dans une région particulière à travers ce qu’on a coutume d’appeler « réforme lotharingienne ». À partir de 816 et d’Aix, la rénovation monastique a touché presque tous les centres importants, bien au-delà des cas habituellement cités de Saint-Mihiel, Gorze, Remiremont, Saint-Èvre. En réalité tout l’espace d’entre Meuse et Rhin est sensible, et au-delà de la stricte Lorraine, il faut juxtaposer Aix, Brogne, Trèves, aux communautés lorraines qui viennent d’être mentionnées, et on devrait prolonger le chemin jusqu’à la Bourgogne et même l’Italie pour retrouver l’axe du royaume de Lothaire Ier, puis de Lothaire II, dans cette terre convoitée qui a vu, à Metz, couronner Charles le Chauve en 869 et, à Meersen, repartager les espaces en 870. Enfin, derrière cette façade religieuse, les animateurs laïcs et princiers n’ont pas manqué. Ce n’est pas sans raison que l’on voit ici intervenir le clan des Bosonides, les comtes de Metz, les derniers Carolingiens, aussi prompts à piller les monastères qu’à prier et demander pardon. Contribution à l’histoire monastique, à la saga des princes, à l’esprit lotharingien, c’est tout cela qu’on trouvera dans ce livre, qui se veut et qui est une thèse.

© Éditions de la Sorbonne, 2006

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