1L’élection épiscopale est une réalité en cette fin du xv^e siècle. Elle est discutée, désirée ou honnie, mais elle tient une place de choix dans la vie ecclésiastique française. Issue des premiers temps de l’Église, elle peut s’enorgueillir à la fin du Moyen Âge et en France d’une pratique intense. Les chanoines, soutenus par quelques réformateurs, y sont attachés, car elle leur permet d’affirmer leur autonomie au sein de l’Église du royaume et leur liberté à l’égard de Rome : le gallicanisme capitulaire ne baisse pas la garde et, même exempt, le chapitre tient à choisir son évêque.

2L’élection est liée à un rituel rigoureux qui exprime le rôle fondamental des chanoines, précédé de manifestations et de processions qui permettent de faire participer la population du diocèse, au moins celle de la cité, et libèrent la parole par le biais de ce qu’on peut appeler une campagne électorale. Les étapes successives, nécessaires à l’élu pour être enfin possesseur de son Église, sont aussi minutieusement réglées, et font appel à la justice ecclésiastique ou laïque – la confirmation –, au roi – le serment – et à l’administration royale – la délivrance du temporel –, à d’autres prélats de l’Église – le sacre et l’intronisation – et, encore une fois, à l’ensemble de la population – la « joyeuse entrée ». Au cours de ce cheminement, l’élu est soutenu par ses réseaux de parents, d’amis et d’obligés, mais il est lié aussi auprès d’eux par des promesses et des paris sur l’avenir. De l’élection à la mise en possession du siège épiscopal, l’élu est confronté à plusieurs pouvoirs, qu’ils soient liés à l’État ou à des intérêts privés. Une élection épiscopale, par les enjeux spirituels, temporels et politiques qu’elle suppose, concerne une foule d’individus.

3Il en est de même de la provision apostolique, et si l’élu est une figure fréquente de la fin du Moyen Âge, le pourvu ne l’est pas moins. La dualité des voies d’accession à la chaire épiscopale est permise par la concurrence des deux systèmes romain et français, des deux entités que sont l’Église universelle et l’Église de France. Bien souvent, le siège épiscopal ou métropolitain est disputé entre un élu et un pourvu. S’engage alors une longue lutte judiciaire devant les tribunaux ecclésiastiques chargés de la sentence de confirmation, mais aussi devant les parlements royaux, théâtres principaux des procès. La concurrence des différents parlements – n’hésitant pas à s’opposer au roi –, du Grand Conseil, mais aussi de Rome, envenime le débat, faisant souvent passer au second plan le fond du problème : déterminer le candidat le plus apte à devenir évêque. Ces procès ne sont pas chose nouvelle pour nombre de plaideurs, car les chicanes en tout genre, conduites pour la possession de bénéfices mineurs ou la résolution d’affaires de famille, les ont aguerris à cet exercice. Pour être bien représentés devant les tribunaux, les candidats s’appuient sur des avocats et leur fournissent des dossiers complets sur leur nomination, leur réputation et l’histoire de leur diocèse, ainsi que des consultations juridiques rédigées par des professionnels, qui aident à la confection des plaidoiries. Grâce à l’étendue des appels comme d’abus à la confirmation de l’élection – de façon nouvelle, semble-t-il, par rapport au règne de Charles VII –, la politique bénéficiale est de plus en plus maîtrisée par les parlements, même si, dans les termes, les conseillers ne confirment les élus que comme vicaires des métropolitains.

4Ces débats judiciaires laissent des traces où l’imaginaire a une grande part et où les plaidoiries peuvent être assimilées à des « palabres » qui permettent au dialogue de ne jamais se rompre et où la mauvaise foi fait partie du jeu1. Il ne s’agit donc pas de se laisser abuser par les portraits flatteurs ou corrosifs des candidats, mais d’appréhender le portrait du bon évêque rêvé : il est avant tout un bon administrateur, fidèle au roi de France, chaste, cultivé, apte à prêcher, se refusant aux querelles et aux procès, ne recherchant pas l’accumulation de bénéfices. C’est le parfait modèle du prélat réformateur. Les quelques exemples dévoilés montrent qu’il y a un décalage entre cette image et la réalité pré-épiscopale, voire épiscopale : si le service et la fidélité au roi, liés parfois à la noblesse, sont des valeurs gagnantes, et le grade universitaire, gage de science, également, les procès et le cumul sont monnaie courante : les prélats sont avant tout des hommes, des « êtres de chair et de sang, avec leurs ambitions, leurs intérêts, leurs amitiés »2. Ils sont soucieux de se garantir des revenus et des relations. Ils sont aussi des hommes de leur temps ; eux-mêmes en majorité juristes, ils appartiennent à une époque où la justice emplit de plus en plus les failles de la vie quotidienne, révélant en cela les progrès de l’État – les candidats n’hésitent pas à faire appel à ses tribunaux – et, ainsi, de sa lutte contre la violence mais aussi de sa volonté d’obtenir l’obéissance. Et finalement, c’est plus leur efficacité de gouvernement qui est attendue que leur exemple n’est souhaité.

5Parallèlement à ces débats judiciaires, la violence gangrène le terrain des cités déchirées par ces schismes diocésains, et où s’opposent ordres du pape, désirs du roi et intervention directe des candidats ; les autorités municipales ont bien du mal à dominer ces situations conflictuelles. Les promoteurs en sont divers : chanoines, partis « pré » ou « pro-épiscopaux », foule anonyme, individus manifestant leur opinion et ne sachant à qui obéir, à l’élu ou au pourvu, au roi, au pape ou aux tribunaux royaux. Les juges ont du mal à contenir la violence, y compris lorsqu’elle s’attaque à leurs résolutions, sans doute par manque de moyens coercitifs, mais aussi parce que leurs décisions vont parfois à l’encontre des ordres royaux ou pontificaux. Les sources de ce travail sont essentiellement judiciaires et « il ne faut pas demander aux archives judiciaires plus que ce qu’elles peuvent donner » : « un [seul] aspect des choses »3. Il ne faut sans doute pas imaginer que la vie du diocèse disputé n’est constituée que de rapines et d’assassinats. Il n’empêche que ces situations ont existé ; sans doute peuvent-elles être intégrées aux facteurs favorables à la propagation de la Réforme protestante.

6La justice joue cependant un rôle fondamental, en partie par ces liens mêmes qu’elle entretient avec le terrain : elle est en contact avec la vie quotidienne et s’impose de plus en plus, malgré les difficultés, aux administrés. C’est aussi parce qu’elle alimente par ses procédures des instances le plus souvent très longues qui offrent aux parties un temps pour discuter et rechercher un arrangement. Et de fait, la justice ne décide pas toujours du prélat vainqueur ; le plus souvent, comme pour d’autres conflits de cette époque, une entente entre les deux parties, agréée par le roi ou par le pape, résout le litige. En tous les cas, jamais la violence n’en est l’acte final.

7Lorsque les juges royaux prononcent une sentence, ils accordent le siège débattu à un élu. Lorsqu’un accord a été trouvé, ils n’hésitent pas à le garantir, même s’il s’est effectué au profit d’un pourvu, ce qui est le cas le plus fréquent. Pour les conseillers du Parlement, juger l’élection épiscopale comme valeur gagnante devant le tribunal suprême est l’occasion d’obéir aux ordonnances royales et de souscrire aux libertés gallicanes tant défendues en cette période, réclamant l’autonomie de l’Église de France vis-à-vis de l’Église romaine ; mais elle n’est pas l’objectif primordial à atteindre : la paix, obtenue par les accords ou les pacifications, semble être un bien encore plus précieux. Le gallicanisme parlementaire anti-romain cède le pas, quand il le faut, à l’établissement de la paix. Est-ce aussi en vue de la réforme de l’Église puisque, sans cette pacification, elle ne pourrait être appliquée4 ?

8Finalement, sur trente-cinq prélats vainqueurs pour les procès étudiés, trente et un sont pourvus ou ont eu besoin de l’approbation romaine. Le trente-sixième conflit, celui de la régale de Lyon, se termine, par voie de conséquence, en faveur d’un pourvu, le cardinal André d’Espinay. La centralisation romaine ne faillit pas, même au regard de la France de la Pragmatique Sanction, et même si quinze de ces prélats sont élus ou postulés. Les vainqueurs sont quasiment tous des proches du pouvoir, des « membres du groupe dirigeant » appartenant à l’élite du gouvernement. Les résultats, cumulant nombre important de conseillers royaux et très forte proportion de provisions apostoliques, confirment l’idée d’un gallicanisme royal concordataire, partisan d’une union entre le roi et le pape.

9Le but en est-il la réforme de l’Église ? En effet, le roi et certains réformateurs se satisfont des provisions apostoliques, et ne voient en l’élection qu’un moyen non exclusif de désigner un prélat à leur convenance. Favorables à l’élection quand celle-ci est propice à leur candidat, ils pensent que la réforme in membris passe avant la réforme in capite : il faut aider les bons prélats, quitte à les imposer, pour que soit sauvé le plus grand nombre d’âmes5. L’évolution des idées réformatrices a donc influencé l’importance de l’élection. Parmi les prélats vainqueurs, certains sont des réformateurs avérés : les figures de Jean de Rély – élu mais que le roi a essayé de faire pourvoir à Rome –, de Jean Simon – pourvu puis élu – de Georges d’Amboise – élu à Narbonne, pourvu de Montauban, postulé à Rouen – sont-elles emblématiques des épiscopats de tous les prélats nommés dans cette étude ? En tous les cas, la réforme générale est toujours attendue à la fin du règne de Charles VIII.

10Si l’élection épiscopale est bien une réalité, il n’en est donc pas de même de son efficacité. On ne peut s’empêcher de se poser cette question : pourquoi les chanoines s’accrochent-ils et continuent-ils à s’accrocher aux élections ? Cette interrogation est aussi celle des historiens modernistes qui s’étonnent de la demande sans cesse renouvelée du clergé de rétablir les élections. Pour Alain Talion, après le concordat de 1516, ses tenants savent pourtant que c’est un combat perdu d’avance et, selon les contemporains, si certains le mènent, c’est par hypocrisie6.

11Mais à la fin du xv^e siècle, les élections existent en droit dans le royaume de France et sont pratiquées très souvent dans les faits. Si les enjeux de l’élection sont spirituels, temporels et politiques, il semble qu’en définitive, au vu des résultats envisageables, ils soient limités à la défense de l’autonomie capitulaire. Les raisons en sont diverses : disputes canoniales, intérêts personnels défendus par des réseaux, concurrence de la provision apostolique, soutien ponctuel des rois de France. Il semble que les deux raisons primordiales en soient l’affirmation des pouvoirs royal et romain, mais aussi l’intrusion de la justice.

12Maintes fois, le fait a été souligné que les élections sont l’expression de l’autonomie capitulaire que les rois de France successifs n’ont jamais vraiment acceptée. La volonté des chanoines est d’autant plus marquée lorsque la majorité remplace au xiii^e siècle la saniorité. Ce changement donne au plus grand nombre la décision, dans le même temps où un seul, voire deux hommes (le roi et le pape), cherchent à s’assurer définitivement le choix des prélats. Le décalage entre des principes hérités du passé ecclésiastique et l’expression des autorités ecclésiastique et laïque est accentué par les progrès des États séculiers et de l’État pontifical et ce, depuis cette même réforme grégorienne qui essaya de relancer les élections. Alors que, depuis longtemps, les rois de France empiètent sur le pouvoir capitulaire, la même ordonnance royale, qui affirme le droit électif de ce corps en 1438, énonce clairement pour la première fois celui du roi de proposer un candidat. Qui plus est, le vocabulaire est ambigu. Alors que les chanoines prient Dieu et le font prier par les populations afin qu’il leur accorde un bon pasteur, le roi prie les chanoines de se conformer à ses désirs. Quand les uns, par le rituel des processions, cherchent le secours de la prière, avec le corps diocésain pour intercesseur, se conformant à la définition théorique de l’élection – Dieu seul en est l’auteur –, l’autre impose ses prières, et ses intercesseurs peu nombreux et choisis s’adressent aux électeurs, leur signifiant sans ambages que le choix définitif est entre leurs mains. Les défenseurs de l’élection épiscopale, les théoriciens tels Cosme Guymier ou les rédacteurs de manuel tels Michel Lochmaier, sont les chantres d’une certaine pratique démocratique, limitée à l’enclos canonial mais peut-être pas seulement.

13S’il est difficile de se prononcer sur des croyances, il est plausible d’affirmer, étant donné l’histoire de l’élection épiscopale, qu’il a existé un décalage entre la définition théorique de l’élection et sa pratique, décalage qui la rend plus proche de ce qu’est une élection aujourd’hui. Des trois points théoriques qui font la différence avec l’acception actuelle7, dans la pratique, deux sont en réalité communs : d’une part, lorsqu’il est question d’élection épiscopale à la fin du xv^e siècle, les contemporains pensent au choix effectué par les chanoines et les trois voies de la procédure sont bien comprises dans le terme ; d’autre part, ce choix apparaît plus comme celui des hommes que comme celui de Dieu, et le rôle du roi n’est pas négligeable.

14Le troisième point est celui de la fragilité de l’élection médiévale, puisqu’elle ne confère pas l’autorité inhérente à la fonction et que des étapes ultérieures sont obligatoires. Par ces étapes, que nombre d’élus n’ont pu franchir jusqu’au bout, le choix prononcé par la base canoniale est filtré par les autorités ecclésiastiques et laïques : le métropolitain, voire le pape, le roi et son administration. Depuis toujours, l’élection est entre les mains du pouvoir, mais dans l’histoire des élections, une des étapes est devenue de plus en plus ardue à franchir : la confirmation. Simple cérémonie vespérale – encore décrite dans les pontificaux du xv^e siècle –, elle est devenue, aux xii^e et xiii^e siècles, un long procès obéissant à la procédure d’enquête. L’entrée réussie de la justice dans les désignations épiscopales favorise certes la recherche du bon droit et peut alors soutenir la réforme des prélats, mais elle permet aussi de multiples intrusions d’adversaires, la plupart juristes et aptes à mener de longs procès. Cette fragilité de l’élection n’explique-t-elle pas, plus que la dualité des voies de l’accession au pouvoir épiscopal, les procès quasi automatiques qui s’ensuivent ? Les nombreux procès mus pour les offices royaux, alors qu’un seul pouvoir les maîtrise, n’appuient-ils pas cette idée8 ? Si la dualité des voies d’accession favorise cet état conflictuel, elle n’en est donc pas la seule raison : il faut y ajouter aussi la recherche du bon prélat que mène la justice.

15L’élection est-elle alors un combat d’arrière-garde ? Il le semble bien quand les pouvoirs qui la dominent sont assez forts pour agir sur la confirmation – le roi et le pape bridant la décision des métropolitains – et pour opposer leurs choix – candidats royaux et provisions romaines. La libération après le règne de Louis XI en est la preuve. Les élus qui se sont tus jusqu’en 1483, tétanisés par la peur que leur inspirait le monarque, osent parler au début du règne de Charles VIII, cet adolescent non encore aguerri aux règles du pouvoir, d’autant que le contexte des premières années laisse présager l’application des libertés gallicanes. Même sans jamais atteindre la puissance d’action de Louis XI, le naturel royal reprend cependant vite le dessus. Il semble que sous Louis XII, le rôle de Georges d’Amboise ait à nouveau permis l’efficacité du gallicanisme royal.

16Les progrès grandissants de la centralisation pontificale9 et de l’autorité de l’État séculier permettent d’entériner et de préciser cette situation, en août 1516, par la signature du concordat de Bologne, concrétisant l’entente entre François I^er et Léon X10. Le texte du concordat comprend deux actes essentiels : l’abolition de la Pragmatique Sanction et l’établissement d’un nouveau mode de collation des bénéfices consistoriaux, ce second acte constituant le concordat proprement dit. Ce nouveau mode de collation est bien connu : les élections sont supprimées ; le roi de France présente des candidats aux évêchés – âgés d’au moins 27 ans, gradués et français11 – et aux abbayes, le pape confère leur bénéfice. Augustin Renaudet écrit à propos du concordat de 1516 : « Le pouvoir précaire que chanoines et religieux des deux sexes conservaient d’élire leurs supérieurs fut aboli »12. Ce même concordat est souvent présenté comme un acte d’entérinement d’une situation existante13. Mais cela est à nuancer : le concordat abolit ce pouvoir, mais pas seulement, et accepte quelques exceptions. La situation existante est celle d’une inefficacité des élections, mais pas celle d’une absence de pratique.

17Ainsi, le concordat fait plus que dénier tout droit aux chanoines. Il fait disparaître le rituel de l’élection. Cette suppression succède à sa remise en cause par la justice. Les rites suivent des règles, visibles aux yeux de tous, garantes d’un ordre établi et reconnu, lisibles par les acteurs et les spectateurs, et portent leur signification : le rituel de l’élection rassemble toute une population laïque et ecclésiastique, et par des phases successives qui séparent les électeurs des fidèles, puis l’élu des chanoines, donne naissance au nouveau pasteur. Toutes les règles du déroulement, codifiées par des lois, en assurent la rigueur mais permettent aussi le regard ultérieur de la justice. La façon dont le rite est suivi peut être analysée avec la plus grande acuité lors du procès de confirmation, la façon dont il est vécu de l’intérieur par les hommes qui y participent également. L’introspection, au moins l’aveu des intentions, comparables à ce qui est demandé au chrétien pour la confession, se réalisent dans le cadre judiciaire14 : quand les avocats dissertent sur les intentions de tel ou tel au cours du rituel, ils remettent en cause la signification de ce dernier et l’introspection dépasse le cadre privé et religieux pour être offerte en pâture au public des prétoires. Avant que la justice n’arrive à faire régner la paix, le temps des plaidoiries est propice à tous pour chercher la vérité, pour déterminer qui a le bon droit et pour démonter les mécanismes complexes du comportement humain. Ce qui est vécu est-il en accord avec ce qui est perçu par les autres ? Au même moment où la justice utilise des gestes et des rites, tels l’amende honorable, pour rétablir la paix15, elle joue un rôle dans leur remise en cause, d’abord en rendant leur déroulement de plus en plus réglementé et judiciarisé, rejetant toute erreur, ensuite en ne rendant valable un rite que par l’adéquation entre le perceptible et le vécu. La raison l’emporte sur le rituel.

18Mais ce résultat peut également être considéré comme la victoire d’un souffle réformateur, encore peu représenté à la fin du xv^e siècle : le sacerdoce serait avant tout un état de vie qui suppose une vocation intérieure et qui exige une spiritualité propre16, impliquant cohérence entre les pensées et les actes.

19Il n’en reste pas moins que la permanence de ce rituel au xv^e siècle permettait d’exprimer l’existence et la cohésion de l’Église diocésaine, de rendre compte de son attachement à son prélat et, au cours des processions préparatoires, de libérer la parole17. Lorsque le concordat supprime l’élection, non seulement il bride l’autonomie du corps capitulaire, mais encore il anéantit le rôle, non décisif certes, mais représentatif, de la population, il nie sa présence. Même si celle-ci peut être présente par la suite au cours de la « joyeuse entrée » de l’évêque18, elle perd toute importance avant le choix. La suppression de ce rituel est un degré de plus dans la montée de l’autorité de l’État et de la sujétion demandée à la population, y compris envers son prélat.

20Qui sait cependant si la population, lasse des discordes et des situations provoquées par ces schismes diocésains, parfois dangereuses pour ses revenus et son salut, n’a pas apprécié cette résolution générale des conflits ? Car c’est bien ainsi que le concordat se présente : roi et pape veulent mettre un terme à ces désordres inhérents à l’élection épiscopale. L’abrogation de la Pragmatique Sanction entraîne la disparition de la procédure élective19. Mais l’attachement aux élections est tel, leur importance dans la conscience médiévale si grande, que le concordat permet des exceptions aux Églises qui bénéficient d’un privilège apostolique en ce sens. Pourquoi ces exceptions, dont la liste n’est pas précisée dans le texte même ? Pour ne pas désavouer les privilèges apostoliques antérieurs ? Pour garder une marge de manœuvre vis-à-vis du pouvoir royal ? L’histoire des élections post-concordataires semble montrer que, en presque toutes les occasions, les papes, de Léon X à Clément VII, ont appuyé le choix royal. Pour Marguerite Boulet, Léon X a supprimé les élections car « en général, elles se faisaient en vertu de la Pragmatique Sanction et qu’il poursuivait l’abrogation de la Pragmatique Sanction ; il a conservé le droit d’élection aux chapitres qui s’autorisaient non plus d’un acte schismatique, mais d’une concession du Saint-Siège lui-même »20. Les exceptions ne concernent en effet que les Églises détentrices d’un privilège. Il s’agit donc de droits particuliers d’origine pontificale et non d’un droit général, réglementé par des ordonnances : c’en est bel et bien fini des libertés gallicanes et si les chanoines peuvent encore élire, c’est en accord avec Rome. Mais ces exceptions n’ont-elles pas encore pour effet de ménager un clergé fort attaché à ces pratiques ? Sinon, comment expliquer qu’entre 1516 et 1531, la moitié des chapitres cathédraux tentent encore d’élire leur évêque21 ? Le sixième d’entre eux seulement y réussit, parce que les élus, à deux ou trois exceptions près, sont conseillers de François I^er : l’efficacité de l’élection ne subsiste que dans l’esprit concordataire. Mais le ton est donné et, à la fin du xvi^e siècle, les élections sont définitivement abrogées dans le royaume de France22.

21L’étude de l’élection épiscopale touche donc à des domaines fondamentaux : à celui du politique – quel pouvoir de décision reste-t-il aux populations et aux corps dans l’État moderne –, à celui de la justice – si la justice provoque débats et procès, elle permet au cours des procédures la recherche de la vérité, mais, quand cela est nécessaire, elle s’efface, lors de la résolution des conflits, devant la paix retrouvée –, et bien entendu à l’histoire de l’Église – autonomie ou centralisation.

22Le roi et le pape sont d’accord pour supprimer les élections. Mais l’élection garde toute sa valeur symbolique dans le rituel du sacre du roi et surtout une valeur réelle dans la désignation de l’évêque de Rome : ce dernier connaît l’indépendance qu’apporte un tel rituel et, en ces temps de centralisation du pouvoir, en mesure d’autant plus l’intérêt de l’avoir enlevée aux chanoines.