1Longs procès, luttes et désordres dans les diocèses, comment peuvent se résoudre ces conflits entre deux candidats et leurs réseaux ? Mécontents des décisions judiciaires, désireux de percevoir les revenus de leur diocèse, soutenus par leurs parents, leurs alliés, leurs amis, pris dans des procès concurrents... Comment l’un arrive-t-il à s’imposer à l’autre ? Est-ce grâce à l’institution judiciaire ? Les principes théoriques le laisseraient supposer. « Justice n’a jamais que une partie recommandée, c’est assavoir celle qui a le bon droit »1. Mais si les tribunaux travaillent abondamment pour ces procès, ils ne déterminent pas toujours qui, en définitive, détient ce bon droit. En réalité, comme dans les conflits les plus ordinaires, il s’avère que leur résolution est majoritairement obtenue grâce au désistement de l’une des parties. Celle-ci se traduit parfois par un accord devant le roi de France ou une pacification devant le pape. L’un et l’autre jouent le rôle de garant, voire d’arbitre. Plus qu’aux autres phases du conflit, Rome a alors une place prépondérante : le recours à Rome n’est pas seulement une échappatoire judiciaire, il peut se muer en soumission au chef de la Chrétienté et permet bien souvent d’entériner la fin des conflits. Le portrait de l’évêque gagnant réserve cependant quelques surprises à l’historien.

Résoudre le conflit : la seule action de la justice ?

2La sentence finale des tribunaux royaux et ecclésiastiques est longue à venir, nous l’avons vu. Outre l’importance de la cause2, plusieurs raisons peuvent l’expliquer : c’est d’abord l’attitude des plaideurs. L’un « veult joindre ceste cause d’appel a ce proces afin de le faire immortel », l’autre fait un appel « frivole » dans le seul but de rendre la « procedeure immortelle », d’autres encore font en sorte « que par ce moien les proces ne prensissent jamais fin »3, attitude d’ailleurs dénoncée par les prédicateurs4. Ce sont ensuite les méthodes des juges. Les arrêts interlocutoires sont les plus nombreux et incitent souvent les parties à fournir de nouveaux documents, et le parlement civil, à l’instar du criminel, « cherche moins à juger qu’à compléter son information ou à enquêter5 » afin de bien fonder la sentence définitive. C’est enfin la concurrence entre les cours. Des plaidoiries entières sont consacrées à dénoncer les évocations au lieu de traiter du principal. La permission de laisser partir quelques causes à Rome – pour les sièges de Lyon, Saint-Flour et Sées – ne fait qu’accentuer le phénomène et, si des censures pontificales ont été prononcées, tout surseoit jusqu’à ce que l’abolition en soit certifiée. On peut y joindre la diversité d’appréciations de la situation par les avocats : quand l’un pense que le procès de Beauvais est achevé devant le Parlement, et que désormais tout se joue devant les vicaires du confirmateur, l’autre veut bien qu’un des appels ait été « vuidé » mais pas les autres6.

3L’attitude peu coercitive des cours peut-elle être un facteur supplémentaire de longueur ? En effet, pour que les procès se déroulent conformément aux ordonnances royales, le Parlement, par exemple, menace plus qu’il ne sanctionne, la coercition n’étant pas son premier objectif7.

4On s’aperçoit ainsi que des amendes y sont souvent réclamées par les avocats ou brandies par le conseil pour mettre les plaideurs en garde, mais peu infligées. Leur perspective doit avoir pour première vertu d’empêcher les parties de se pourvoir ailleurs8, de procéder par censures ecclésiastiques9, d’aller à l’encontre d’une décision de justice10, mais elle ne tend pas à restaurer un honneur outragé11. Le montant prévu par le conseil est le plus souvent classique – 100 marcs d’or –, l’amende s’accompagnant de la « perdicion de cause »12. Il est rarement plus élevé – 200 marcs contre Gilles de Laval13 – mais peut l’être de manière importante : 1 000 marcs d’or à l’encontre de Benoît Jehan s’il se pourvoit de lettres d’évocation14. La somme est en tous les cas bien inférieure à ce que réclament certains avocats – qui s’expriment en livres – 1 000, 2 000, le plus souvent 4 000 livres, et parfois plus : Jean de Ganay voudrait que Jacques de Saint-Gelais, pour tous les excès commis à Uzès, soit condamné à 10 000 livres15. Cependant, seuls deux exemples d’amendes effectivement infligées ont été trouvés. L’une, très lourde, est réclamée à André d’Espinay, car il s’est aidé de censures : 100 marcs d’or16. L’autre est due par Gilles de Laval : il doit payer 2 000 livres à Étienne Goupillon et 2 000 livres au roi, en raison de quatre défauts obtenus par Goupillon, quatre par le procureur général, et deux autres par les deux conjointement. On voit à ce nombre important de défauts – dix – que le Parlement a tardé à appliquer une sanction17. Dans les deux cas, la sanction punit avant tout une désobéissance au Parlement18. Goupillon recevra cette somme avant le roi, « de laquelle somme, en tant que touche led. procureur general du roy, sera emploié en euvres piteables et autrement jusques a la somme de mil livres (...) »19. L’argent de la désobéissance sert à alimenter la charité du prince ; payer une amende est encore une forme de rachat, mais assez exceptionnelle.

5Quant à la menace de la peine de prison envers les candidats eux-mêmes, elle est brandie une seule fois, le 6 septembre 1487, à l’encontre de Charles de Joyeuse qui tarde à faire absoudre Claude de Doyac et d’autres personnes, excommuniés à sa demande. Il lui est tout de même interdit de quitter Paris20. Mais le 21 janvier 1488, « meet la court led. de Joieuse a pleine delivrance de sa personne », car des commissaires ont été délégués par le pape pour absoudre Doyac21. Cette menace a donc eu de l’effet.

6Plusieurs amendes honorables sont également demandées par les avocats mais ne sont pas imposées. La raison en est le statut privilégié du clerc qui, en principe, ne peut y être soumis22. Ainsi, l’avocat Dudrac en réclame une à l’encontre de Claude de Doyac, à accomplir à Villedieu, où il a commis des violences après son entrée forcée à Saint-Flour, et au Parlement, puisqu’il a désobéi à ses arrêts ; il devra en outre dire « que mauvaisement, il a enfreinct la main du roy et a fait et commis les cas dessusd. ». Dudrac explique son réquisitoire contre Doyac : les actes qu’il a commis font de lui un laïc23. Et lorsque l’avocat Michon, quelques mois plus tôt, réclame une amende honorable contre les adversaires de Doyac, Charles de Joyeuse et ses compagnons, il précise qu’ils sont condamnés :

« A faire amende honnorable, c’est assavoir les gens laiz, nue teste en chemise tenant chacun une torche de IIII livres en disant que faulsement et mauvaisement ilz ont fait les exces, meurtres et actemptas dessusd., et en amende proufitable tous ensemble et chacun pour le tout en XXm escus et que de ce soit fait epytaphe aux portes dud. Saint Flour afin qu’il en soit perpetuelle memoire »24.

7Le rituel n’est donc ici décrit que pour les laïcs. On y trouve toutes les caractéristiques de l’amende honorable : les lieux où elle doit être pratiquée correspondent au théâtre des crimes (Villedieu) et à l’institution dont les arrêts ont été enfreints (Parlement) ; les paroles montrent que le crime a été commis contre le roi et le feu de la torche doit aider à la purification des lieux atteints. La mémoire en est perpétuée par un texte apposé aux portes de la cité endolorie et qui doit permettre la réparation. Que les avocats demandent que ce rituel de justice soit accompli par des clercs – mais sans en donner de description – dénote pour eux la gravité des faits ; peut-être aussi le crime commis importe-t-il plus que l’appartenance du criminel à l’Église car les actes perpétrés sont hautement répréhensibles : mort d’hommes, rébellion à l’égard des arrêts de la Cour, ce qui, on l’a vu, rend ces gens « crimineulx ». Contre Gilles de Laval et ses compagnons qui empêchent les exécutions d’arrêts du Parlement, ou contre l’abbé Guillaume de Menypeny et ses quatre électeurs berruyers qui ont pratiqué en 1492 une élection, alors que le tribunal a entériné un accord assurant le siège à Guillaume de Cambray, elle est demandée par Chambellan « a la discrecion de la court »25, rien n’est donc dit de la participation éventuelle des deux candidats évêques. Et lorsque Brinon demande que Guy de Tourettes, doyen élu de Saintes, qui a participé aux tumultes contre Pierre de Rochechouart, soit condamné à le recevoir « et aller au devant de luy, videlicet le doien, nue teste, et le mener en l’eglise et revoquer toutes censures par luy faictes comme abusives et lesd. excommuniemens declairez abusifz », il n’est pas question d’amende honorable, mais que le doyen « repare(r) lesd. excez honnorablement »26. S’agit-il d’une adaptation de la peine au statut du clerc ?

8Le basculement fatal de certains actes des candidats dans le domaine du criminel rend les éventuels évêques passibles de peines liées à cet état et pousse le procureur général ou les avocats à nier leurs privilèges. De la même façon que des personnes peuvent être arrêtées dans des lieux saints lorsque la situation le réclame27, pourquoi les clercs ne pourraient-ils pas être soumis à cette peine infamante de l’amende honorable ? La finalité du rituel épouse la situation : rendre l’honneur au candidat dont la réputation a été outragée, et conclure la paix. Si « le rituel est un ensemble qui est à la fois pardon, réconciliation et restitution d’une renommée bafouée »28, il dépasse le domaine privé pour embrasser la concorde de toute une cité, et proclamer l’obéissance aux lois et au Parlement. Mais jamais l’amende honorable n’est imposée par les juges aux candidats évêques : il aurait fallu pour cela qu’ils soient déchus de leur cléricature. Certaines sont, en revanche, prononcées contre les exécuteurs de sentences ou de lettres d’évocation, et un sergent royal, qui a ajourné Jean Doriole pour être entendu par le Grand Conseil, y est condamné29.

9En revanche, l’usage de faux, fréquent en cette période et craint par les juges30, peut être puni par une amende honorable. L’accusé n’en est cependant pas le candidat évêque qui en a profité, mais le conseiller qui l’a fabriqué : ainsi dans le procès pour le siège de Saintes31. On a déjà évoqué à plusieurs reprises le soupçon de fausseté portant sur la procuration qu’aurait établie l’évêque de Saintes, Louis de Rochechouart, pour que le siège saintais soit résigné en son nom à Rome, en 1492, en faveur de son neveu Pierre. Le 15 mai 1495, la procuration est sujet de plaidoirie. L’avocat de Pierre croit bien faire et défendre son client en déclarant : « Y a quelqun des conseillers de ceans inscrips pour tesmoings, qui denote que lad. procuracion n’est une chose celee ne occultee » ; il s’agit de « maistre Claude de Chauvreux »32. Mais si ce dernier est bien signataire et témoin de la procuration, il est plus que cela : il aurait manigancé l’affaire, « conduit l’euvre dud. evesché », profitant de la faiblesse mentale de Louis, pour recevoir en échange l’archidiaconé de Saintes et la prébende canoniale de Notre-Dame-de-Paris, détenue par Pierre de Rochechouart ; il aurait ainsi rejoint son collègue Jean Simon au sein de ce prestigieux chapitre33. Après enquête, le faux est avéré. Claude Chauvreux, le 23 décembre 1496, est « debouté de sa clericature combien que l’evesque de Paris l’eust requis comme clerc »34. L’évêque est Jean Simon, enfin parvenu à la chaire épiscopale, et s’il a réclamé l’accusé, c’est certes en vertu du privilège du for, mais également en souvenir d’une amitié ou du moins d’une période de complicité passée35. Il ne peut cependant rien contre le jugement prononcé : Chauvreux, désormais sans privilège, est condamné à faire amende honorable, à être déchu de sa charge de conseiller, marqué d’une fleur de lys sur le front et banni du royaume36, payant par une dégradation sociale et par la punition corporelle que constitue le bannissement la trahison qu’il a commise envers la justice du roi : il a perpétré le crime de faux, passible de la peine de mort37. Pierre de Rochechouart, qui a pourtant bénéficié de cette falsification, continue à détenir l’évêché malgré les protestations de l’élu Guy de Tourettes ; son avocat Brinon clame son innocence en cette affaire : tout a été décidé à son insu et « n’a trouvé en droit que un jugement de crime de faux contre un tabellion ou un tesmoing ne prejudicie a la partie »38. D’ailleurs, si le pourvu de Saintes a bien résigné sa prébende parisienne en octobre 1492, et si le roi l’a ensuite accordée par droit de régale à Guillaume Claustre – selon certains, il était prévu que celui-ci la cédât à Claude Chauvreux –, il réclame le droit d’en être à nouveau le détenteur en 149839. Cette affaire a dû faire grand bruit, puisque « l’arrêt Chauvreux » est retranscrit dans les registres du parlement de Toulouse40. Le Parlement inflige de lourdes peines quand il est convaincu de la gravité du fait reproché, et le faux, surtout œuvre d’un conseiller royal au Parlement, semble être un crime sans appel.

10Qu’il y ait peu de peines prononcées, au regard du nombre de demandes, est une attitude générale du Parlement, au moins au criminel. Pour Claude Gauvard, « ce phénomène confirme que la cour de justice est certes un lieu de débats, mais qu’elle est aussi, au Moyen Âge, un lieu où se négocie le droit plus qu’il ne s’y impose » ; les parties peuvent y composer, y compris avec la justice, censée faire appliquer la sentence. La litanie des peines permet, par sa déclamation, d’imaginer comment pourrait être restauré l’honneur si elles étaient exécutées, prémice au rétablissement de la paix41. Pour Gérard Giordanengo, le fait qu’il s’agisse d’affaires civiles et de plaideurs au statut prestigieux en est une autre explication. Quoi qu’il en soit, n’est-ce pas alors encore une raison de la longueur des procès ?

11Tous les conflits épiscopaux ne s’achèvent pas grâce à un jugement. Thiboust, l’avocat du procureur du roi, le regrette, lors d’une séance du procès narbonnais, en mars 1484. Il se reporte encore à cet âge d’or que semble avoir été celui de Charles VII où « presque toutes les eveschez de Languedoc ont esté contencieux ceans ou ilz ont esté vuidez par arrest »42. Cela n’est pas spécifique des procès bénéficiaux ni du parlement civil, puisqu’il en est de même à la fin du Moyen Âge pour les causes criminelles plaidées en cette même cour parisienne43. On a vu que de la même façon, peu de sentences ont permis la confirmation ou l’infirmation d’une élection par le juge ecclésiastique.

12L’idée du jugement est pourtant fort présente. Le roi l’appelle de ses vœux par de nombreuses missives, le Parlement s’y prépare en éliminant les conseillers qui ne pourront pas opiner le jour de la décision finale, car soupçonnés d’être partiaux, par exemple pour Lyon en 149144, ou pour Paris, en 1493 quand sont éliminés, sur sept demandes, cinq conseillers45. Trois sont des proches de Jean Simon : Guillaume Allegrin est au Parlement depuis 1468 ; il est certainement apparenté à l’avocat Eustache, époux d’une nièce de Jean Simon ; Jean Brinon y exerce depuis 1473 et a été reçu sur le siège de feu Eustache Milet, de la famille maternelle de l’opposant46 ; Martin de Bellefaye a témoigné en sa faveur au procès de confirmation de Sens47. Deux auraient avantagé Gérard Gobaille : Simon Hennequin lui est apparenté puisque la nièce de l’élu a épousé un Hennequin48, quant à Jean de la Place, on sait juste qu’il est conseiller depuis 147649. Les deux seuls à être maintenus sont Claude Chauvreux – il est pourtant proche de Jean Simon -50 et Jean Angenoust, reçu en 1461 et époux de Marie de Vaudetar51. Si l’on en croit Montmirail, l’avocat de Pierre de Sacierges dans le procès de Montauban, les justiciables ont raison de s’inquiéter ; il reproche à Jean Doriole ses « parens et affins » au parlement de Toulouse et « aussi pour ce qu’il s’est desmis de XXII benefices qu’il avoit, qui ont esté baillez en recompense pour recevoir led. evesché en faveur d’aucuns, qui ont esté cause de augmenter et mectre oud. parlement huit nouveaulx conseillers »52. Mais dans les listes données par André Viala pour les années concernées, de 1484 (date probable de l’élection de Jean Doriole) à 1487 (date de la plaidoirie), deux nouveaux conseillers seulement peuplent la Cour toulousaine : Raymond Engilbaud et le procureur général Arnaud du Faur53.

13Bien qu’on en trouve peu d’exemples54 et qu’aucun arbitrage ne semble avoir mené à une clôture de conflit, ce qui en réduit considérablement le poids, des arbitres peuvent également intervenir avant le prononcé d’un jugement. Leur rôle s’inscrit dans une procédure régulière : ils doivent prononcer un jugement. En outre, ils sont le plus souvent issus du Parlement55, ils « font donc moins figure de juges indépendants que de juges délégués par la justice régulière et surveillés par elle »56. Lorsqu’il est décidé, un arbitrage doit suspendre le cours du procès, ainsi pour Sées où aucune autre séance ne se tient devant le Parlement, ni plaidoirie, ni réunion du conseil57. On ne sait rien de la suite de cet arbitrage, et la résolution du conflit semble ne rien lui devoir. En revanche, dans l’affaire de Béziers, un arbitrage a dû intervenir. En 1497, Pierre de Javailhac, élu de Béziers, se plaint de ce que le Parlement ait été dessaisi de l’affaire. En effet, sans l’accord de l’élu, par l’entremise du maréchal d’Esquerdes, l’oncle du pourvu de Béziers, Antoine du Bois, « on bailla commissaires qui ont donné jugement » et qui ont attribué l’administration à Antoine du Bois, ce qui est « repugnant a toute raison et impossible de le soustenir ». La plainte de Javailhac est justifiée si l’on se réfère à la définition de l’arbitrage : ce sont théoriquement les deux parties qui doivent l’accepter pour faire la paix et éviter des frais, et qui doivent choisir les juges58. Le Grand Conseil s’en est aussi mêlé, en annulant certaines exécutions d’arrêts précédents. Javailhac appelle de l’exécution de ce jugement59, et le Parlement lui donne raison en ordonnant que les places seront gouvernées sous la main du roi cinq à six mois. Montmirail, l’avocat d’Antoine du Bois, trouve quant à lui que « furent prins des gens de bien de ceans, et en grant nombre les nomma partie et se soubzmist a tenir leur jugé en peine de perdicion de cause principal et de Xm escuz »60. Les commissaires sont donc membres du Parlement et sont des arbitres, puisque dans une autre plaidoirie qui conteste leur jugement, c’est bien ce terme qui est employé61. Le Parlement n’accepte pas ce jugement arbitral, sans que l’on sache si c’est en raison de la forme ou du fond, mais quelques années plus tard, des arbitres vont aider à la conclusion d’un accord entre les adversaires62. Des arbitres peuvent également être désignés par le pape. En 1493, Alexandre VI confie à Guichard d’Aubusson, évêque de Carcassonne, lui-même longtemps en conflit pour Cahors, l’arbitrage pour mettre un terme aux problèmes de Saint-Flour, solution toute temporaire63.

14Six affaires trouvent quand même une partie de leur conclusion au Parlement. Quatre arrêts concluent les conflits d’Angers, Beauvais, Montauban et Sarlat, au possessoire, domaine de compétence de la cour royale64. Pour ces quatre procès, on ne trouve aucune trace de pacification ou d’accord précédant l’arrêt parlementaire. Ainsi, le 12 août 1496, le Parlement « a maintenu et gardé, maintient et garde led. de Rely defendeur en possession et saisine65 de soy dire et porter evesque d’Angiers, en possession et saisine d’en prendre les fruiz, proufictz, revenues et emolumens en possession et saisine, que led. du Carrel ne l’a peu ou deu en ce troubler ne empescher (...) »66. Et lors des séances ultérieures du Parlement, Jean de Rély est nommé « evesque d’Angiers ». Le tribunal a attribué le possessoire à un homme qui a tous les arguments pour en bénéficier : il est élu confirmé dans le royaume, consacré, a prêté serment de fidélité et a été installé dans la cité angevine. Le 24 juin 1497, le siège beauvaisien est attribué à Louis de Villiers ; effectivement, le 4 septembre 1497, dans le registre du Conseil, Louis de Villiers est dit « evesque et conte de Beauvais, per de France »67, et dans une bulle d’Alexandre VI, accordant à nouveau l’évêché de Béziers à Antoine du Bois, le 13 septembre 1497, il est écrit que ce dernier a été dépossédé du siège de Beauvais68. Louis de Villiers est bien élu confirmé depuis novembre 149669. Le 14 mars 1498, le parlement de Paris interdit à Pierre de Sacierges et à François des Voisins de perturber Jean Doriole en son siège de Montauban, car il le maintient en la possession70, mais ce n’est pas le premier arrêt en sa faveur. Le 20 juillet 1492, le parlement de Toulouse lui avait déjà accordé la possession du siège, contre Pierre de Sacierges « évêque de Luçon »71 ; le 14 août 1493, la récréance de l’évêché lui a été accordée contre un autre compétiteur, François des Voisins ; le 2 décembre 1493, le Grand Conseil, devant lequel Sacierges a fait évoquer la cause, renvoie les trois parties au parlement de Paris. Il faut attendre son arrêt du 14 mars 1498 pour que Doriole soit à nouveau dit possesseur et que Voisins soit débouté72. Doriole, élu en 1484 sur ce siège, en a été pourvu en 1491 lors du désistement de Georges d’Amboise : son titre de possession est donc valable. De fait, plus aucune plaidoirie ni arrêt du conseil ne concerne Montauban.

15Il est à remarquer que ces arrêts concernent quatre élus73 : les conseillers ont ici joué un rôle gallican. Le candidat royal, Jean de Rély, voit son affaire réglée plus vite que les trois autres candidats : cinq ans de batailles judiciaires contre sept pour Montauban et Sarlat, neuf pour Beauvais. L’affaire est terminée au possessoire, ce qui est l’essentiel, car si les vainqueurs réussissent à faire traîner la cause, il y a de grandes chances qu’ils en demeurent longtemps les possesseurs74, d’autant que le décret du concile de Bâle, « Des possesseurs pacifiques », décide que « quiconque possède sans violence, grâce à un titre apparent, une prélature, une dignité, un bénéfice ou un office, pacifiquement et sans litige, depuis les trois dernières années ou en deviendra possesseur à l’avenir, ne pourra désormais en pétitoire ou en possessoire être molesté par personne »75. Mais le pétitoire peut encore être débattu devant la juridiction laïque76. Ainsi pour Angers, le possessoire est tranché mais le Parlement permet à Carreto de poursuivre son appel de l’élection de Rély, donc au pétitoire, s’il parvient enfin à se procurer des lettres de naturalité. Il n’y a plus de plaidoirie jusqu’aux 6 juillet et 3 août 1497, ni de séances du conseil jusqu’à celles des 14 et 19 décembre 149777, au cours desquelles Charles de Caretto est accusé de s’être procuré de fausses lettres. Le 19 décembre, la cour lui interdit de poursuivre, mais l’entendra sur la « faulceté ». La possession du prélat angevin n’est pas remise en cause : Jean de Rély est toujours dit « evesque d’Angiers ».

16La seule action de la justice a donc eu raison d’un faible nombre de conflits. Deux autres arrêts concluent également les possessoires d’Agen et de Narbonne, mais ils sont précédés d’une entente entre les parties78. D’autres arrêts existent, mais en conclusion d’événements que le tribunal n’a pas maîtrisés : la mort ou le désistement d’un candidat. Ces deux derniers cas de figure n’entraînent cependant pas de manière automatique le prononcé d’un arrêt.

Résoudre le conflit : la mort d’un candidat

17Six résolutions sont facilitées par la mort d’un candidat, mais cet événement ne met pas fin lui-même au conflit79.

18La résolution peut alors être concrétisée par une nouvelle élection. L’opposition de Jean Simon à Gérard Gobaille n’a duré que deux ans seulement (août 1492-septembre 1494). L’élu meurt le vendredi 12 septembre 1494, à 6 heures de l’après-midi, à « Montereul ou Fault d’Yonne »80, dans le diocèse de Sens, dans la maison à l’enseigne du dauphin. Gobaille reste ainsi simple chanoine parisien, « élu à l’évêché de Paris, recherchant sa confirmation ». Son corps, ramené par voie fluviale, est inhumé le 14 septembre avant midi, entre le chœur et l’autel majeur81. Il est probable qu’il mourut alors qu’il se rendait à Sens ou en revenait pour son procès de confirmation, la ville de Montereau-Fault-Yonne82 se situant sur la route entre Paris et sa métropole. Sa mort ne règle pas instantanément le conflit. Choix personnel ou pression du chapitre ? Jean Simon accepte une nouvelle élection, prévue le 4 novembre 149483. Les chanoines reçoivent les envoyés du roi, mandatés pour que la paix revienne en l’Église, que cessent les clameurs du peuple et que la concorde règne dans tout le diocèse, tant au spirituel qu’au temporel, d’autant plus que l’Église de « Paris est le miroir de toutes les autres Eglises du royaume ». Le doyen Jean Luillier répond, stoïque, qu’avec l’aide de Dieu, ils apporteront la concorde. Le déroulement de l’élection suit les règles traditionnelles, mais les notaires apportent des précisions supplémentaires en ce qui concerne le respect des solennités ; par exemple, sont notées les différentes chapelles dans lesquelles les chanoines ont célébré la messe. Après celle-ci, la procession des chanoines et de la foule conduit les électeurs dans la salle du chapitre, où Jean Quentin prononce un sermon qui commence par ces termes choisis : « Lorsque existe un très grand danger... »84 Ce titre, qui rend compte de la situation périlleuse du diocèse parisien, à laquelle les chanoines se doivent de réagir, est aussi l’incipit d’une décrétale de 1274 insérée dans le Sexte et organisant l’administration du Saint-Siège, sede vacante85 ; elle précise que la première mission des cardinaux est de pourvoir promptement au trône pontifical86. Nul doute que Jean Quentin ait fait le parallèle avec la chaire parisienne : il faut un évêque à Paris. Lorsque les citations et les procurations ont été analysées, il est tard – une heure de l’après-midi ; les capitulants décident de reprendre les opérations le lendemain, comme en 1492, mais précisent bien qu’ils accompliront à nouveau les « solennités » de Bâle. Le 5, alors que le chapitre est à nouveau réuni, Guillaume Coudurier élit Jean Simon par la voie du Saint-Esprit, mais ne se lèvent que quatre autres chanoines : nouvel échec de la procédure. Il faut finalement deux scrutins – auxquels Simon ne participe pas – pour arriver à un résultat. Bien que le doyen Jean Luillier montre son mécontentement en élisant Nicole de Haqueville avec « cinq ou six » autres chanoines, Jean Simon est déposé sur l’autel majeur87. Il accepte la lourde charge épiscopale le 7 novembre et le 27 décembre, il présente les lettres de la confirmation de son élection, que Tristan de Salazar a prononcée rapidement. Le 31, il demande à être reçu par le chapitre, mais le noyau dur des opposants s’y refuse. Enfin, le 2 janvier 1495, il est reçu par l’intermédiaire de son procureur, le sous-chantre Pierre Henry88. Malgré l’opposition déclarée de quelques chanoines, rien n’arrête désormais la progression du conseiller du roi. Le 30 janvier 1495, Jean Simon prête une nouvelle fois serment de fidélité, mais comme le roi est alors à Rome, c’est le duc de Bourbon qui le reçoit89. Deux précautions valent mieux qu’une : le nouvel évêque s’astreint à toutes les étapes nécessaires, comme s’il ne les avait pas déjà franchies, cherchant à être dans la pleine légalité gallicane. Et le lundi 9 février, Jacques Louet, le beau-frère de Jean Simon90, accompagné de quelques personnes et amis du nouvel élu confirmé, peut supplier le chapitre pour que la « joyeuse entrée » ait lieu le dimanche suivant. La majorité accepte, mais les opposants ne lâchent pas prise ; de même lorsque, le II février, Jean Simon fait demander que le chapitre lui prête la mitre et la crosse qu’a données Louis de Beaumont91. Jean Simon prend enfin possession de son église le 15 février 149592.

19Ceux qui ont tenté d’obtenir une nouvelle élection n’ont pas été aussi chanceux. Armand de Goutault a bien essayé cette solution après avoir été pourvu de Sarlat en 1492, à la mort de l’élu Bernard de Sédières en 1494, mais il se retrouve à nouveau en compétition serrée avec un autre candidat du chapitre, Raymond de Commers. Jean Neveu est mort avant de voir les résultats de sa provision et de son élection senlisiennes. Pierre de Rochechouart a également tenté sa chance à Saintes, mais sans succès dans l’immédiat, en 149793. Si l’on en juge par le déroulement des scrutins parisiens94, Jean Simon a pris un risque dans cette affaire, mais les appuis royal et amicaux dont il disposait l’avaient sans doute rendu confiant dans le choix de Dieu...

20Ce peut aussi être une adjudication du siège qui peut concrétiser la résolution du conflit, lorsque l’un des candidats meurt. Les évêchés de Montauban, de Maguelonne et du Puy sont définitivement attribués par le parlement de Toulouse95 au pourvu Georges d’Amboise en 1488 (après la mort de Jean de Saint-Étienne, élu en 1455 environ)96, à l’élu Isarn Barrière en 1489 (après la mort de Guillaume Leroy, pourvu en 1487), et au pourvu Geoffroy de Pompadour en 1509 (après la mort de Pierre de Chalençon, élu en 1485) ; ce dernier en avait déjà eu la récréance le 26 janvier 148897. Le Grand Conseil lève définitivement la main du roi et tout empêchement apposés sur le diocèse de Clermont, le 13 mai 1490, après la mort de Guillaume de Montboissier, élu en 148898. Ce qui est alors demandé au survivant est simplement de présenter la preuve du décès de son adversaire.

21C’est encore une nouvelle provision qui avalise la décision. Lorsque Étienne Goupillon meurt à Rome en août 1493, Gilles de Laval reste le seul détenteur de l’évêché qu’ils se disputaient depuis 1478. Le procès étant alors pendant dans la ville sainte99, le survivant reçoit à nouveau des bulles de provision qui retracent les événements depuis la cession de l’ancien évêque, Robert Cornegrue, entre les mains de Sixte IV. Toute idée d’élection est écartée, car l’Église a tant vaqué que la provision en a été dévolue au pape100.

22Mais la mort n’apporte pas toujours la solution. Outre que cette solution peut prendre du temps (33 ans pour Montauban...), elle demeure aléatoire101 ! Il est d’autre part des cas où la mort ne tranche rien : un nouvel élu ou pourvu prend la succession du défunt et le procès continue. À Autun, après le trépas du cardinal Philibert Hugonnet, transféré le 22 juillet 1483 de Mâcon à Autun et mort en septembre 1484, le cardinal Jean Balue est pourvu du siège à son tour ; le procès reprend alors contre l’élu Antoine de Chalon. L’exemple le plus frappant est celui de l’évêché de Pamiers, pour lequel Mathieu d’Artigaloube, élu en 1467, siègerait pacifiquement à partir de 1506, ayant survécu à Pascal Dufour, pourvu en 1467 et mort en 1487, à Pierre de Castelbajac, élu en 1487 et mort en 1496, à Guiraud Jehan, élu en 1496 et mort en 1501, et à Amanieu d’Albret, administrateur en 1502. Louis XII, beau-frère du vicomte de Narbonne, a enfin accordé ses faveurs à Artigaloube. En effet, alors que Charles VIII est mort le 7 avril 1498, l’élu Mathieu d’Artigaloube est pourvu en consistoire le 21 mai de la même année102. Plus que les morts successives de ses adversaires, c’est sa singulière ténacité qui a favorisé sa victoire finale. Le plus sûr est donc de s’y prendre autrement.

Résoudre le conflit : l’efficacité du désistement

23Pour la très grande majorité, c’est le désistement de l’une des parties qui redonne l’unité au diocèse. Vingt-trois conflits s’achèvent ainsi, dans le royaume ou à Rome. Ce désistement est appelé dans les textes des archives pontificales soit « cession », soit « résignation », sans que la différence entre les termes soit claire. Si la cession peut impliquer que le droit abandonné est attribué à une autre personne, dans les faits, la résignation entraîne les mêmes effets, et parfois de manière instantanée, au cours d’un même consistoire103. Dans le royaume, le roi ou le Conseil agissent encore à cette étape. Ainsi, le Conseil de régence préfère pour Angers Jean Balue, devenu légat en France à sa demande104, au candidat de feu Louis XI, Auger de Brie. Avec la promesse pour ce dernier d’une compensation – « on lui tendra la main a lui faire avoir quelque bon benefice » – la décision est prise le 24 octobre 1484 de lui faire parvenir des lettres le poussant à abandonner toute prétention105. L’Angevin attend cependant plus de deux ans, le 25 janvier 1487, avant d’acquiescer à cette instante prière et de résigner ses droits entre les mains du pape106.

24Il est en principe interdit de recourir à un accord entre les parties, une fois que le procès est commencé. Il n’empêche que cette voie est plusieurs fois tentée107, bien qu’elle ne soit pas toujours couronnée de succès. Le 19 novembre 1489, Charles VIII écrit au Parlement pour que le procès de Lyon soit expédié au plus vite, car il a « nagueres fait assembler les parties contendans droit en iceluy arcevesché, et avecques eulx plusieurs bons et notables personnaiges en intencion de les appoincter par voye amyable, ce qui ne s’est peu faire »108. Aucun détail n’est donné sur ces personnes. Le 19 mars 1496 – la mise en possession de Benoît Jehan a déjà été effectuée par Claude Chauvreux et condamnée par le Parlement109 –, Charles VIII fait savoir aux conseillers par l’intermédiaire de son chancelier, Guillaume de Rochefort, qu’il essaie de pacifier le différend cahorsin. Ils doivent donc surseoir à la matière110. Mais ils n’obtempèrent pas et de nouvelles plaidoiries sont prononcées, et de nouvelles réunions du conseil tenues111. Les parties n’étaient pas prêtes à trouver un compromis.

25Par l’accord, les deux parties en débat s’entendent directement, sans le prononcé d’un quelconque jugement. En cette fin de xv^e siècle, les accords peuvent être passés devant le Parlement. Les parties en demandent l’autorisation au roi avant que la cause ne passe en examen ; saisie de leur requête, la chancellerie royale demande aux membres du Parlement de céder à la demande des requérants : on perçoit là toute l’importance de l’infra-justice112. Quatre accords sont contenus dans les registres du Parlement : bien que deux ne sanctionnent pas la fin du conflit113, les deux autres mettent un terme aux problèmes de Bourges en 1487 et de Béziers en 1504114. Comme une affaire bénéficiale concerne le royaume par le temporel et l’Église par le spirituel, l’accord autorisé par le roi se double d’une pacification115 ou concorde, officialisée en consistoire (Bourges), ou d’une entente devant des notaires apostoliques (Béziers).

26Pour Bourges, les termes sont clairs. Le 23 mai 1487 :

« Veue par la court la pacificacion faicte par notre sainct pere le pape sur la question qui estoit pour l’arcevesché de Bourges entre messire Pierre Cadouet d’une part et maistre Guillaume de Cambray doien dud. Bourges conseiller du roy en lad. court, eleu en arcevesque dud. arceveschié et les chanoines et chapitre de lad. eglise de Bourges d’autre part, icelle pacificacion faicte a la requeste du roy notre sire, des princes de son sang, et du clergé et peuple du diocese dud. Bourges et aussi desd. parties, ainsi qu’il appert par les bulles de lad. pacificacion et, pour occasion duquel arceveschié, proces estoit pendant ceans entre lesd. parties tant en cas d’appel que d’exces, entreprinses et actemptas et aussi en cas de saisine et de novelleté, sur lesquelz proces lesd. parties sont venues a accord et appoinctement, veu aussi icellui accord et oy le procureur du roy, la court a ordonné et ordonne que lesd. parties passeront led. accord en lad. court se bon leur semble et ce fait elle en ordonnera comme il appartiendra par raison »116.

27Le 26 mai, la conclusion est prononcée devant les parties qui sont mises « hors de court et proces selon la forme et teneur d’icellui accord », conclu la veille devant le Parlement117. Le Parlement entérine l’accord et la pacification, et ne prononce donc aucun jugement.

28Il faut attendre 1504 pour que le conflit biterrois, entamé en 1491 devant le parlement de Paris, cesse à la suite d’un accord qu’une lettre de Louis XII demande au Parlement d’autoriser. Il semble avoir été conclu avec l’aide de professionnels du droit, d’arbitres : les opérations sont dirigées par Jean Bochart et Pierre Cerisay, « conseillers du roi au parlement pour cette paix » qui ordonnent, comme ils l’avaient fait sept ans plus tôt, que l’évêché reste à du Bois. Ils s’appuient sur une sentence de vicaires commis par le chapitre de Narbonne – vacant par la mort de Pierre d’Absac en 1502 – et par l’archevêque – le cardinal François Guillaume de Castelnau, élu le 22 juin 1502 : Antoine de Feurs, président en la Chambre des enquêtes118, les conseillers Jean Fanuche119 et Nicolas Brachet120. Pierre de Javailhac, élu confirmé, renonce quant à lui à ses droits, contre une pension de 800 livres tournois « pour compensation », un canonicat et une prébende de la Sainte-Chapelle que détenait du Bois, un canonicat et une prébende de l’église d’Orléans que détenait Jean Desblatines, un château et ses dépendances, appelé « de quatre rodes ». La pension est à prélever sur la mense épiscopale ; il faut la faire assigner par le pape. Quelques mois auparavant, le 20 février 1504, les deux parties ont conclu un « accord » devant deux notaires apostoliques121. Le but est semblable aux accords en général : « (...) considérant que la concorde et la paix sont utiles et surtout nécessaires à cette Église, au clergé, au peuple du diocèse...122 » Des procurations sont établies pour que le parlement de Toulouse, devant lequel les parties ont également plaidé, l’entérine également. La cour parisienne « a auctorisé, approuvé et emologué, auctorise, approuve et emologue, et partant sont icelles dites parties mises hors de court et de proces, et sans despens »123. Le Parlement ne prononce, là non plus, aucun jugement, mais en même temps que l’accord, entérine le jugement d’arbitres et de vicaires.

29On peut joindre le cas nîmois, puisque les candidats ont passé accord, mais devant le parlement de Bordeaux124, aux alentours d’octobre 1504 ; le roi a donc dû l’approuver. Il est ensuite homologué par Jules II le 15 novembre de la même année125.

30Pour Agen et Narbonne, le tribunal royal n’entérine pas l’accord conclu mais prononce un arrêt pour terminer le procès au possessoire126. Pour Agen, c’est le Grand Conseil qui condamne les parties à observer l’accord conclu entre Galeas della Rovere et Pierre Dubois et arrête que la possession du siège reste au neveu de Sixte IV, en échange du paiement de la pension. Dubois consent que Rovere, « par arrest du Grand Conseil », soit définitivement mis en possession d’Agen et que la main du roi soit levée127. À Narbonne, un arrêt du Parlement de 1484 conclut le procès au possessoire : il maintient François Hallé comme archevêque. Le 19 juillet 1484, l’arrêt est prononcé devant les parties et le rappel du contexte de cette décision parlementaire dévoile l’entente. Il est en effet précédé de la résignation volontaire de l’élu. Le 17 juillet, devant les notaires du Châtelet, Georges d’Amboise, par la voix de son procureur, Thomas Bailli, procureur au Parlement, déclare qu’il renonce à tout droit. Il est prêt à :

« (...) consentir en jugement en lad. court de parlement, au grand conseil du roy et ailleurs ou mestier sera, que venerable homme, saige et discreet maistre François Hallé soit maintenu et gardé en possession et saisine de l’arcevesché dud. Nerbonne, revenues et appartenances d’icelui, tout selon l’appoinctement fait et accordé entre lesd. d’Amboise et Hallé jeudi derrenier passé, quinziesme jour de ce present mois par devant maistres Pierre Dupré et Jaques Flote, notaires appostolicques »128.

31François Hallé demande alors qu’un arrêt soit prononcé par la cour. C’est chose faite le 19 juillet 1484129. Cet arrêt est retranscrit dans les registres du Conseil du parlement parisien ; il en est encore question dans ceux du Grand Conseil, « pour ce que l’on disoit lesd. proces, debatz et questions avoir esté evocquez par devant le roy notre sire et les gens de son grant conseil ». François Hallé est présent en personne, l’élu et le chapitre sont représentés par Thomas Bailli. Le Grand Conseil les condamne à obéir aux dispositions de l’arrêt du Parlement, et lève les empêchements « et partout ont esté et sont lesd. parties et chacune d’elles mises hors de court et de proces et sans despens d’une part et d’autre »130. Rien ne transpire de leur « appoinctement » précédent. Il n’est pas question d’accord homologué par le Parlement ; ce dernier n’entérine rien mais, selon « l’appoinctement accordé » précédant, arrête que François Hallé reste le possesseur. Dans ces deux cas, il apparaît donc que l’entente obtenue devant l’instance ecclésiastique (Pierre Dubois a résigné entre les mains du pape, Amboise et Hallé se sont entendus devant deux notaires apostoliques) permet au tribunal royal de trancher le possessoire.

32Une pacification permet en effet la fin du conflit131. C’est ce qu’explique l’avocat du roi Couthardi : le pape, en autorisant « le traictié et accord » – il est ici question de Luçon –,

« (...) a vuidé le droit total et plenum jus dud. evesché qui estoit en proces sur le petitoire par devant les juges ecclesiastiques et l’a baillé aud. de Sacierges a la charge de la pension et autres choses contenues oud. accord et la court approuve et emologue le contenu desd. bulles pour le bien de paix et ainsi a autresfoys fait en l’arceveschié de Bourges... »132

33Il s’agit donc d’un accord entériné par un parlement, et non de sa permission par le roi, mais de son établissement devant le pape. Pour le conflit luçonnois, la succession des faits est celle-ci : un « traité et accord » à Poitiers, le 19 novembre 1494133, l’acceptation par le pape de cet accord le 23 janvier 1495134. Le 30 mars 1496, un arrêt du Parlement dit que « led. de Sacierges joyra dud. evesché a la charge d’entretenir led. traictié et accord autorisé par notred. saint pere (...) ». Le 18 avril 1496, Sacierges est désigné, dans les registres du conseil, comme « evesque de Luçon »135. Et le 8 juillet, son avocat, Montmirail, peut retracer l’historique :

« Le possessoire en proces ceans, parties ont esté en voye d’accord (...). A l’accord esté passé a Romme par lequel la dignité episcopal demeure aud. Sacierges, retenue par Dercé pension, les bulles ont esté presentees au chapitre des le premier, deux, troys et cinquiesme jours de juing IIII^xxXV et autres suivans par lesquelles est apparu au chappitre de la cession et resignacion du droit pretendu par Dercé et de la provision faicte in vim de lad. cession ».

34Son client, Pierre de Sacierges, est « evesque de Luçon, deument pourvu par provision apostolique, conferme aux sains decretz et, depuis, par resignacion faicte par Dercé du droit par lui pretendu cum retencione pensionis »136. L’entente entre Pierre de Sacierges et le cardinal de Bordeaux, André d’Espinay, pour empêcher la confirmation de l’élection, s’est sans aucun doute parachevée par la conclusion de cette pacification.

35Parfois, il n’est même pas question de l’intervention d’un parlement. Le conflit lyonnais s’achève par une transaction entre André d’Espinay et Hugues de Talaru le 23 décembre 1499 à Orléans, et le 13 mai 1500, l’élu lyonnais cède à Rome tout droit lié à son élection137. Pour Uzès, le pape, en son consistoire secret, « a consacré la concorde » entre Nicolas Maugras et Jacques de Saint-Gelais, le 8 juin 1497138. Sans qu’il soit question d’un accord – est-ce dû aux sources ? –, sont mentionnées d’autres cessions de droit ou résignations, pratiquées à Rome139. Ainsi, Nicolas d’Argouges, élu de Tours le 9 août 1484, renonce à tout droit le 31 décembre 1488 au profit de Robert de Lenoncourt. Le 28 avril 1500, Pierre de Rosier, élu de Toulouse, résigne le droit de son élection et laisse Hector de Bourbon possesseur paisible. C’est encore Guy de Tourettes, élu en 1493, qui s’efface devant Pierre de Rochechouart, le 9 mai 1502.

36Au total, l’une des étapes de l’achèvement d’au moins vingt et un conflits est liée à la Curie, par le biais d’une résignation ou d’une nouvelle provision. Est-elle, à chaque fois, assimilable à une pacification, bien que le terme ne soit pas prononcé140 ? Cela semblerait logique. Et bien qu’elle soit effectuée à Rome, la main des Français est perceptible à travers le cardinal rapporteur au consistoire. Pour Uzès en 1497, il s’agit de Jean de Bilhères, cardinal de Saint-Denis, représentant du roi à Rome ; pour Nantes, en 1500, c’est le cardinal et protonotaire apostolique Jean-Baptiste des Ursins141.

37Les désistements s’accompagnent de contreparties. Federico di San Severino, qui accepte de laisser Rouen à Georges d’Amboise, et qui n’a pas poursuivi sa cause en justice, sort du cadre des autres candidats par l’ampleur de sa pension (3 000 livres) et du montant des bénéfices qu’il peut espérer (5 000 écus d’or), mais il s’agit d’un Italien, cardinal et proche du pape142. La compensation la plus fréquente est une pension, c’est dire le poids de l’argent dans la résolution des conflits143. Puisque ce sont les fruits du bénéfice qui sont amputés, elle doit être avalisée par le pape, nouvelle preuve du rôle de ce dernier dans l’apaisement des litiges. Elle rappelle le « dédommagement matériel sous forme d’argent ou de cadeaux » qui accompagne les cérémonies de paix entre amis ou parents. Sa signification se limite-t-elle à la réparation du préjudice subi, ou fait-elle également « renaître l’amour entre les parties »144 ? Douze mentions de pensions accompagnent des résolutions qui sont ainsi censées être définitives. Leur montant est variable, depuis 300 livres tournois pour Jean Balue en 1490 – il est déjà nanti de nombreux bénéfices – à 2 750 livres tournois accordées à Guy de Tourettes, mais en 1502, contre le renoncement à son élection. À la même période, le chanoine et official Pierre Dubois se voit attribuer en 1487 400 livres tournois qu’il touchera à Noël, alors que l’ancien candidat royal, Auger de Brie, que le Conseil a poussé à se désister, touche à partir de 1490 1500 livres tournois et devient aussi abbé de Saint-Pierre-de-Lagny : le Conseil lui a trouvé un bon bénéfice. La provenance de l’argent est précisée : il sera prélevé sur les fruits de la « mense épiscopale » ou de « l’évêché », mais il semblerait logique que ce dernier terme ne désigne aussi que les revenus de l’évêque, puisque c’est lui et non l’ensemble du clergé de la cathédrale qui dédommage le perdant. La pension dépasse bien souvent le montant de la provision accordée à l’élu par le Parlement au cours du procès et prélevée sur les revenus de l’évêché, souvent payée avec difficulté. Une promesse de bénéfices peut compléter la compensation : Jacques Faucon, pour la renonciation à son siège nîmois, reçoit une pension de 500 livres tournois, et peut s’attendre à des bénéfices jusqu’à 800 livres de rente. Ce peut être aussi un important reliquat-mais un reliquat seulement – de pouvoir épiscopal qui est accordé : Mathurin de Dercé abandonne Luçon, mais il garde la terre des Magnils-Regniers et le droit de nommer à quatorze bénéfices. Le plan de financement de la compensation est souvent bien détaillé. Ainsi, dans l’accord mettant fin au conflit de Béziers, la place donnée aux modalités du paiement est très importante : sont énoncés les fruits grevés, les dates de paiement et les peines en cas de non-respect145.

38Seulement quatre transferts permettent à un perdant de rester évêque mais pas toujours de résoudre le conflit : en 1476, Guichard d’Aubusson reçoit Carcassonne en échange de Cahors, et Antoine Allemand, Cahors en échange de Clermont. Mais comme d’Aubusson n’est pas satisfait, le conflit perdure. Le transfert de Pierre d’Absac à Narbonne en 1494 est avantageux pour lui, mais le siège de Lectoure qu’il abandonne est encore disputé. En revanche, les transferts en 1500 de Pierre de Rosier à Lavaur, que lâche son compétiteur Hector de Bourbon, et de Jean d’Espinay à Saint-Pol-de-Léon, qui s’efface ainsi devant Guillaume Gueguen, semblent bien mettre un terme aux conflits de Toulouse et de Nantes. Auger de Brie, élu d’Angers, devient abbé de Saint-Pierre-de-Lagny, Hugues de Talaru, élu de Lyon, abbé de Saint-Corneille-de-Compiègne et retrouve en outre son archidiaconé occupé jusqu’alors par son frère Mathieu. Pierre de Javailhac, élu de Béziers, devient chanoine de la Sainte-Chapelle. Jean Quentin, élu de Senlis, attend un bénéfice d’une valeur de 200 livres tournois.

39Dans deux conflits, le règlement passe par une promesse de succession146. À Bourges, Pierre Cadouet est bien âgé : il a environ 72 ans lors de sa provision en 1482, dix-neuf ans de plus que son compétiteur. Lorsqu’un accord est trouvé entre eux en 1487, il a donc environ 77 ans, et peut laisser à Guillaume de Cambray quelque espoir de ne pas trop attendre. Accord est passé entre eux, on l’a vu. Chambellan, en retraçant les épisodes, explique le double titre de Cambray :

« Fut lad. matiere despeschee par le pape consistorialiter et de consilio et consensu cardinalium comme raisonnable, juste et canonique, et tant a la requeste du roy que des princes et clergé de Bourges, fut passee et decretee lad. pacificacion, et par la bulle est faicte expresse mencion de electione dud. Cambray et ipsam tacite confirmando papa preficit eum a l’eglise de Bourges tellement quod cadente vel decedente Cadouet, Cambray puisse administrer nulla alia expectata provisione et se fare consacrer ».

40Guillaume de Cambray est donc pourvu de Bourges à l’avance, ce que d’aucuns ne manqueront pas, quelques années plus tard, d’interpréter comme une réserve. Il présente ses bulles à Louis de Beaumont, évêque de Paris, qui les fulmine, puis au chapitre de Saint-Étienne qui l’accepte. Pour que cette pacification soit autorisée par le Parlement et que les parties soient condamnées à l’entretenir, requête en est faite à la cour. « Consentirent les gens du roy a la pacificacion et ne voulurent debattre aucun article ». Après plusieurs délibérations, la cour « finalement autorisa bulle de pacification et condamna les parties a l’entretenir »147. Guillaume de Cambray doit patienter cinq nouvelles années avant de devenir archevêque de Bourges, le 31 août 1492148.

41L’avocat Michon a son idée sur ce genre de résolution. Elle est très avantageuse pour celui qui reste en place, mais pour celui qui est débouté, mieux vaut une pension :

« Dit Michon que il estoit du conseil de Cadouet et estoit formellement contre Cambray, et quant il vit la provision ou la minute, il dist a Cadouet qu’il ne sauroit mieulx avoir car il luy devroit souffire d’estre, tant qu’il vivrait, vray et paisible arcevesque, et ne challoit aud. Michon sinon que sa partie, c’est assavoir led. Cadouet, fist bien ses besongnes ; et se rapportoit a Cambray de se conseiller a ceulx qui estoient de son conseil de quorum numero n’estoit led. Michon, mais estoit contre luy et s’il eust esté de son conseil, luy eust conseillé prandre pencion »149.

42Il en est de même pour Guillaume de Menypeny, débouté par le Parlement dès 1493, mais à qui le siège de Bourges est réservé en 1500 : il doit en être le détenteur à la mort de Guillaume de Cambray, ce qui ne se réalisera pourtant pas150.

La pérennité de la résolution ?

43Le désistement et la résolution qui suit ne sont pas toujours le dernier acte – d’ailleurs, cela n’est pas spécifique des conflits épiscopaux. Le perdant peut encore se rebeller : il semblait bien établi que Guillaume Briçonnet ait obtenu l’évêché de Nîmes en octobre 1504 par un accord passé devant le parlement de Bordeaux, homologué par Jules II le 15 novembre de la même année. Pourtant, le 31 mai 1505, devant le Grand Conseil, l’élu Jacques Faucon a présenté une requête, d’ailleurs acceptée, pour

« (...) faire informacion ou inquisicion, parties presentes ou appellees, de et sur certaines suspicions, ports et faveurs que lesd. supplians pretendoient que le cardinal arcevesque de Rains, soi disant pourveu dud. evesché de Nismes, avoit en la court de parlement a Bordeaulx, de la pluspart des presidens et conseillers d’icelle en certain proces qui y estoit pendant entre lesd. parties pour raison dud. evesché de Nismes »151.

44Guillaume Briçonnet y est encore désigné comme soi-disant évêque. L’influence du réseau peut être dénoncée après coup, même lorsque aucun jugement n’a été prononcé ; cela explique le souci des parlementaires parisiens d’éliminer, le jour de la sentence finale, les conseillers passibles d’être favorables à l’une ou l’autre partie152.

45Une nouvelle élection peut relancer la machine à procès. À la mort de Pierre Cadouet, le 31 août 1492, Guillaume de Cambray devient l’archevêque en titre à la suite de l’accord conclu en 1487. C’est alors que Guillaume de Menypeny est élu par quatre chanoines dissidents, le 29 novembre 1492, quelques jours seulement avant l’expiration du délai théoriquement permis pour l’élection. C’est l’occasion pour Chambellan, avocat de Guillaume de Cambray, et pour Brinon, avocat du doyen et du chapitre, de faire le panégyrique de l’accord et de sa signification, et de contrer toute accusation de réserve qui pourrait entacher sa promotion. Brinon justifie le recours à l’accord et le fait que l’élu se fasse pourvoir par le pape :

« Or n’est-il rien plus juste que le bien de paix et quand le proces est doubteux et questio valde dubia et que de facili non potest extirpari, judex potest cogere partes ad compondendum et judex ecclesiasticus les y porroit contraindre par censures, notat Panor. in c. Cum inter, De elec.153, et si, par les decrets de Basle, il est permis au pape casser une election canonique propter perturbadonem ecclesie, pro bono patrie multomagis de pourveoir a un eleu d’un evesché ou prelature et defferé sa provision usque ad tempus comme ou cas de present, et en effect n’y a riens en lad. composicion qui soit contraire aux saintz decretz ne a droit commun »154.

46Chambellan, en défendant Guillaume de Cambray, axe sa plaidoirie sur la nécessité d’obéir à la sentence du Parlement et non sur la validité de son élection ou de sa provision ; il faut dire que, dix ans plus tôt, il avait prétendu que l’élection de Cambray était simoniaque. Pas question donc d’un mariage rompu ou violé, d’une atteinte à la volonté capitulaire, mais simplement de l’insoumission à l’autorité de la cour souveraine : « Une pacificacion et tous les points et autres contenuz doivent estre singulierement et inviolablement entretenu et gardez... »155

47La raison principale en est que la « pacification d’une dignité ou prelature, temporelle ou ecclesiastique doit être inviolablement gardee comme une chose saincte et divine et faicte de Dieu qui est auctor pacts ». Les gens iniques ne peuvent être auteurs de paix ou médiateurs : « Et aussi le prince souverain est tenu garder toutes promesses et pacifications par lui faictes. (...) Dit que en archevesché et primatie de Bourges, y a LX ou IIII^XX eveschez et en poroit on fere cinq ou six royaumes selon le chap. Scitote156, par quoy la pacification faicte est fort utile a la chose publique car elle a esté proufitable a toutes lesd. eglises ». Les lois et les docteurs disent que le prince temporel peut contraindre les parties à « pacifier ensemble » pour « mectre paix en l’eglise ». Une élection pratiquée après la mort de Cadouet est donc « actemptee contre honneur et auctorité du roy et de la court et telle sera declarée »157. Cette plaidoirie recense en quelques mots le lien essentiel entre la paix et la justice, qui doit être la garante de la pacification enfin apportée. Elle renvoie aux différents paradigmes de la justice : elle est liée au divin158 puisqu’elle doit conserver un don de Dieu, liée au pouvoir du prince puisqu’elle dit en son nom les moyens de cette conservation, enfin liée à la société puisqu’elle doit lui permettre de vivre en paix. Cette paix est un bien plus précieux qu’une élection capitulaire. Et rien ne peut remettre en cause la justice qui l’a permise. Seules, les parties peuvent se tromper.

« A ce que la matiere est de perilleuse consequence, dit que es choses faictes par auctorité de justice et des souverains, on ne peult alleguer perilleuse consequence, mais bien es choses par les parties seulement, car en justice non judicatur exemplis sed legibus et pevent les juges considerer les qualitez des matieres et deliberer se elles sont raisonnables ou non »159.

48Le premier avril 1493, le Parlement se prononce en faveur de Guillaume de Cambray qui « joyra dud. arcevesché de Bourges, fruiz et revenues d’icelluy ». Le possessoire est décidé, et si un procès continue sur la validité des bénéfices accordés par Guillaume de Menypeny, Cambray y est bien désigné comme « arcevesque de Bourges »160.

49C’est à Luçon également qu’une autre élection perturbe à nouveau la vie du diocèse. Le 30 mars 1496, l’arrêt du parlement de Paris condamne Pierre de Sacierges et Mathurin de Dercé à entretenir l’accord passé entre eux et reconnaît le possessoire au premier. Mais le 13 juin de la même année, un chanoine luçonnois, Gilles Merchant, se fait élire par deux autres chanoines – son frère, Jacques, et son cousin, Jean de Corrières –, fragilisant ainsi la position du conseiller royal161. L’avocat des frères Merchant, Malingre, explique que l’arrêt ne concernait que le possessoire et qu’il était donc loisible de pratiquer une nouvelle élection. Mathurin de Dercé, l’ancien élu, s’oppose à cette élection : par l’appointement fait à Poitiers, il n’a pas seulement résigné son droit, mais il y a eu un transfert de ce droit en faveur de Sacierges ; il bénéficie en outre d’une pension et peut nommer à plusieurs bénéfices, ce qui pourrait être remis en cause par cette nouvelle péripétie – d’autant qu’il a déjà du mal à ce que l’appointement soit respecté162. Le pourvu, Pierre de Sacierges, ne compte pas se laisser faire non plus. L’affaire est rondement menée et le parlement de Paris intervient à nouveau le 6 septembre 1496 pour contraindre l’ensemble du chapitre à reconnaître Sacierges pour évêque, condamner Merchant aux frais et interdire toute élection. Tout le monde est mis « hors de court et de tous proces »163. Le Parlement intervient à nouveau pour faire respecter ses précédents arrêts. Cette résolution rapide semble avoir un solide fondement : il s’agit de défendre la paix enfin revenue dans le diocèse. Couthardi, avocat du roi et futur président de l’institution parisienne, la défend :

« (...) pour ce que ilz voient que la court, par son arrest, a voulu mectre fin au proces des parties et mectre paix en l’eglise. Mais l’on voit que d’un proces naist l’autre et n’y peut l’on avoir conclusion parce que contre l’execucion desd. arrest et ordonnance, lesd. Merchans ont fait l’election dont on parle ». Il faut donc réagir car cela serait sinon « de tres dangereuse consequence (...) et toute illusion que des arrestz de la court »164.

50Le Parlement doit donc imposer « le silence perpétuel » et aider de toute sa puissance à ce que les accords soient entretenus165, y compris par l’intervention d’arbitres166. La conjonction de la pacification pontificale et de la volonté parlementaire de conserver la paix fait de cette péripétie une anicroche sans lendemain. Justice doit permettre paix, même au civil ; ce n’est qu’ainsi que la résolution est efficace167. Dans ces deux nouveaux cas, la résolution du possessoire a été rapide : les conseillers n’ont défendu ni la provision, ni l’élection, mais la paix retrouvée par le biais des deux juridictions, ecclésiastique et séculière.

51Parfois, les termes de la résolution du conflit ne sont pas clairs. À Saint-Flour, les étapes définitives de la résolution ne sont pas véritablement définies. Devant les difficultés soulevées par le problème sanflorin, Alexandre VI confie en 1493 à Guichard d’Aubusson, évêque de Carcassonne, le soin de terminer le différend. Lui-même délègue ses pouvoirs à Bernard Laciati, alias Sanati, évêque d’Hippone, et par lettres du 12 novembre 1493, le charge d’exécuter le mandat pontifical. Ce dernier se prononce en faveur de Charles de Joyeuse. Après une nouvelle enquête, Alexandre VI, comme Sixte IV avant lui, révoque Claude de Doyac et confie le siège à Charles de Joyeuse168. Pourtant, le 30 janvier 1495, il est appointé que les deux parties « bailleront contreditz dans quinzaine puis salvations si bon leur semble dans autre quinzaine et sera le proces jugé in statu »169. Par la suite, plus aucune plaidoirie n’est prononcée, mais d’autres séances du conseil du parlement parisien sont consacrées à ce différend : en 1496, il autorise Doyac à poursuivre en cour de Rome ; le 14 juin 1497, quinze ans après l’élection, les deux contendants sont encore devant lui, chacun « soi disant » évêque170. Doyac réclame toujours le paiement de sa provision, et le 8 mars 1497, le conseil ordonne que le temporel soit gouverné sous la main du roi171. Charles de Joyeuse n’est donc pas un si paisible possesseur que cela, bien que certaines listes d’évêques le fassent succéder à Claude de Doyac (1483 à 1493) de 1493 à 1500172.

52Même si un arrêt ne résout pas tous les conflits et même s’il ne s’agit pas toujours d’un jugement définitif, la justice intervient de façon significative pour douze procès, soit le tiers du total, part non négligeable : trois adjudications définitives et une main levée après la mort d’un des deux candidats, quatre arrêts tranchant le possessoire sans autre intervention, deux arrêts prononcés après une entente entre les parties, et deux arrêts réglant une rechute173. Le Parlement, lorsqu’il a conclu le possessoire sans accord préalable des parties, a donné le siège à quatre élus174. Lorsque l’accord ou l’entente a précédé l’arrêt, ce sont quatre pourvus qui ont eu l’aval de l’institution : que la paix soit ramenée dans le diocèse est alors un objectif plus précieux que la défense de l’élection175. Le Parlement est encore présent pour officialiser un accord qui apporte la résolution dans quatre cas, au profit de quatre pourvus176. Mais la pacification pontificale ou la résignation des droits en consistoire l’emportent puisqu’elles ont eu raison de vingt et un cas – couplées avec un accord autorisé par le roi (trois cas177), un arrêt du Parlement (deux cas178) ou, le plus souvent, seules –, soit, en tout, 60 % des cas, donnant à Rome une place primordiale dans le règlement des conflits épiscopaux en cette fin de Moyen Âge, et une nouvelle preuve que « transiger » est alors une forme de résolution plus courante que « trancher »179.

Le portrait des vainqueurs

53Lorsqu’on parle de vainqueur, il est question de l’évêque qui devient le possesseur pacifique, de celui qui a enfin le dernier mot et qui a théoriquement gagné. Mais certains des autres, finalement évincés, ont tout de même conduit le diocèse pendant quelques mois, voire plusieurs années. Quelle mémoire en ont gardé les listes d’évêques ? Celles sur lesquelles les historiens se sont longtemps appuyés, établies par Gams ou Eubel par exemple, privilégient les sources romaines et donc le point de vue de Rome180. Le sedes vacat ne correspond guère à la réalité. Bien que les conditions soient parfois tumultueuses, que de graves questions de conscience ou de finance se soient posées aux administrés, il ne faut sans doute pas imaginer des diocèses sans vie spirituelle et totalement perdus pendant toutes les années d’un conflit. Ainsi, à Lyon, où le conflit débute en 1488 et trouve sa résolution en 1499, le cardinal d’Espinay est entré en sa cité en 1494, et les consuls ne voient que lui comme archevêque, ignorant Hugues de Talaru. Il n’empêche que, durant la période du conflit et au moins devant les instances judiciaires, aucun n’est reconnu comme évêque, tous les deux ne sont que des « soi disant » évêques.

54Trente-cinq conflits entre deux candidats à l’évêché sont résolus – le trente-sixième portant sur la régale de Lyon leur est lié, car il dépend de la solution apportée à la possession de l’archevêché – mais il n’y a que trente-trois prélats vainqueurs puisque deux d’entre eux l’emportent à deux reprises : Georges d’Amboise à Montauban et Rouen, Guillaume Briçonnet à Nîmes et Reims. Quels sont les traits communs présentés par ces prélats de la fin du Moyen Âge et de l’ère pré-concordataire181 ?

55Tout d’abord l’âge. La résolution du conflit n’a pas pour résultat de ne laisser gagner que les évêques qui répondant aux exigences de l’âge canonique182. Cinq (sur onze incapables au départ), soit 15 % des candidats, n’avaient pas l’âge requis – tous ont été pourvus –, mais trois l’avaient atteint lorsqu’ils deviennent détenteurs pacifiques : Pierre de Rochechouart avait 22 ans en 1493, mais en 1502, lorque Guy de Tourettes renonce à son élection en sa faveur, il a 31 ans et demeure le seul évêque de Saintes. Antoine du Bois, pourvu de Béziers en 1490, alors qu’il a 18 ans, en a 32 en 1504. Charles de Bourbon se voit accorder Clermont à 27 ans, il en a 30 à la mort de Guillaume de Montboissier. Seuls, Georges d’Amboise et Robert de Lenoncourt n’ont toujours pas l’âge requis lorsqu’ils deviennent respectivement évêque de Montauban et archevêque de Tours. L’âge reste un problème à résoudre et le « vieillissement » des candidats est noté : Antoine du Bois, pourvu de Beauvais en 1488 à l’âge de 18 ans, reçoit de nouvelles bulles de provision d’Alexandre VI en 1493. Son âge est encore précisé, pour indiquer la dispense obtenue de Rome183.

56Ensuite, la formation intellectuelle.

Tableau 3 – Grades universitaires et accession à l’épiscopat

57Sur les trente-sept candidats dont on sait qu’ils sont gradués de l’Université et donc « gens de savoir » – l’absence de précision ne signifiant pas bien entendu à tout coup que les autres ne sont pas détenteurs d’un grade universitaire184 –, dix-huit sont vainqueurs, confirmant leur place importante dans l’épiscopat185, et sept parmi eux ont le grade prestigieux de docteur. Proportionnellement, les gradués sont plus nombreux qu’au départ : cette caractéristique n’est sans doute pas sans effet. L’avantage demeure toujours au droit : sept sont gradués in utroque, sept en droit civil et trois en droit canon. Dix-sept des dix-huit candidats gradués vainqueurs le sont donc en droit et un seul en théologie. Cette majorité écrasante de juristes, notamment civilistes, s’accorde avec le profil des évêques du xv^e siècle186. Les théologiens ne sont guère à la mode : certains souffrent d’une mauvaise réputation établie à cette époque envers les « théologastres »187, mais surtout, des études de droit sont un meilleur bagage pour faire carrière auprès des princes ou à la Curie.

58Enfin, le profil social. Sur les quatorze réguliers en lice, soit 16,8 % des candidats, seuls trois demeurent, soit 8,6 % des vainqueurs : Nicolas Maugras (OSA) élu à Uzès, André d’Espinay pourvu de Lyon (OSB) et Louis Pot pourvu de Lectoure (OSB). Mais quatre sont morts avant la résolution finale et deux sont encore prélats188. Cinq seulement ont donc dû totalement s’effacer devant des séculiers, élus ou pourvus189. Le résultat des vainqueurs réguliers est donc moins faible qu’il n’y paraît. Étant donné le nombre de cas, il serait impropre d’y déceler un affaiblissement de leur présence dans la vie épiscopale : d’autres exemples, tels deux moines issus de la famille d’Amboise, prouvent qu’ils ont encore une place au rang des pasteurs190.

59Sur les trente-trois vainqueurs, vingt-deux sont nobles de façon certaine, soit 66,6 % des prélats (ils étaient 60,2 % des candidats), dont quatorze sont également gradués191, ce qui vérifie le fait que les nobles étudient avant tout le droit. S’y trouvent de nombreux membres issus de la noblesse qui a combattu, armes à la main, pour la royauté – Georges d’Amboise, Antoine de Chalon ou les Bourbon –, mais aussi des hommes appartenant à ce qu’on appellera bientôt la noblesse de robe – les parlementaires parisiens Jean Simon ou Guillaume de Cambray. Vingt-sept nobles ont disparu du circuit : quatorze laissent la place à un autre noble192 ; sept sont morts193. César Borgia quitte Nantes, mais il n’était qu’administrateur. Il ne reste que cinq nobles qui ont dû céder leur place à un roturier ; quatre s’effacent devant un docteur en droit ou in utroque : Jacques de Saint-Gelais à Uzès – ce dernier ne s’incline que provisoirement –, Philippe de Lévis à Bayonne, Auger de Brie à Angers et Mathurin de Dercé à Luçon, laissent le siège à Nicolas Maugras, Jean de La Barrière et aux deux conseillers royaux Jean Balue et Pierre de Sacierges. Jean d’Espinay, transféré cependant à Saint-Pol-de-Léon, s’efface à Nantes devant le chancelier de Bretagne et proche de la reine Anne, Guillaume Gueguen. Parmi les nobles vainqueurs, Guillaume de Cambray a d’abord laissé Bourges au roturier Pierre Cadouet, mais il est assuré de lui succéder. Le jeune Georges d’Amboise s’efface devant le roturier François Hallé, très proche et expérimenté conseiller de Louis XI, mais devient évêque de Montauban puis archevêque de Narbonne et, enfin, de Rouen.

60La noblesse semble donc être un atout important bien qu’elle ne soit pas à tout coup gage de réussite : elle peut s’effacer devant un grade universitaire élevé et surtout devant la proximité du pouvoir royal, comme on va le voir ci-après194. Lorsque noblesse et grade élevé se cumulent, il s’agit alors d’un profil très favorable au succès195.

61Un seul étranger au royaume reste détenteur du siège épiscopal : le neveu du pape, Galeas della Rovere, à Agen196. Les autres vainqueurs sont donc français. Trois seulement sont de leur cité, Jean Simon est originaire de Paris – son adversaire Gérard Gobaille était né à Soissons –, Pierre Cadouet et Guillaume de Cambray sont de Bourges. Dix autres sont de la région197. Onze viennent alors d’ailleurs, et deux d’entre eux ont obtenu successivement des évêchés éloignés de leur lieu d’origine : Guillaume Briçonnet à Nîmes et à Reims, Georges d’Amboise à Montauban et Rouen198. Quelques nuances sont à apporter : par exemple, si Hector de Bourbon n’est pas de Toulouse, son frère en est le sénéchal au moment de sa provision, et se trouve être l’époux de la nièce de l’ancien archevêque de cette cité, Pierre du Lion. Nicolas Maugras est, quant à lui, issu du chapitre comme treize autres candidats, dont neuf ont été élus. Il ne reste donc que quatorze chanoines issus du troupeau, sur trente et un qui concouraient au départ. Et sur ce nombre, seuls quatre dignitaires du chapitre – deux doyens, nobles et licenciés, originaires de la ville ou de la région : Antoine de Chalon à Autun et Guillaume de Cambray à Bourges ; un prévôt et docteur en droit canon : Nicolas Maugras ; un archidiacre : Guillaume Gueguen – conservent le siège épiscopal, alors qu’ils étaient onze en lice. Sur les quatorze membres du chapitre, neuf sont de la région, trois viennent d’une contrée proche.

62Être de la région semble donc être un atout, mais encore une fois non suffisant. L’appartenance au chapitre n’est, elle, que peu décisive. Il vaut mieux être implanté dans le tissu local par sa famille et ses relations, plutôt qu’être simple dignitaire ou même simple chanoine, ainsi le Bourguignon Antoine de Chalon peut conserver Autun. Et cela ne suffit pas toujours quand l’adversaire est un conseiller royal de haut vol : Huges de Talaru, noble, archidiacre de Lyon, et dont la famille est de longue date installée dans la cité archiépiscopale, doit laisser la place au cardinal et conseiller de Charles VIII, le Breton André d’Espinay. Neuf des onze prélats originaires de lieux éloignés de la région sont d’ailleurs à coup sûr des candidats du roi199.

63Au final, cinq vainqueurs cumulent la noblesse, l’origine canoniale et régionale et un haut grade universitaire : trois licenciés, Guillaume de Cambray à Bourges, Antoine de Chalon à Autun, Jean Simon à Paris, et deux bacheliers, Armand de Goutault à Sarlat, Pierre de Rochechouart à Saintes. Deux sont des élus, trois des pourvus. Constituent-ils pour autant un groupe dont le profil est annonciateur de l’avenir ?

64« Désormais la politique religieuse se fait au conseil du roi, le plus souvent après accord préalable avec la papauté. C’est la ligne de conduite des successeurs de Charles VII, jusqu’au concordat de 1516 ». Voilà, pour Jean-Louis Gazzaniga, ce qu’a permis la Pragmatique Sanction, en donnant au souverain toute latitude pour soutenir élections ou provisions, selon le candidat et le moment200. Et avant d’annoncer le xvi^e siècle, la situation sous Charles VIII conforte cette assertion, tout en la nuançant. Si de nombreux candidats royaux sont devenus des prélats pacifiques, tous ne sont pas parvenus à leurs fins.

65Parmi les conseillers royaux qui l’emportent, certains sont plus proches du roi que d’autres. Si Guillaume Briçonnet remplit de nombreuses missions pour Charles VIII, Georges d’Amboise est son aumônier, son conseiller, mais est en plus grande sympathie avec Louis d’Orléans et c’est sous son règne que son action passe au tout premier plan. Tous n’ont pas non plus bénéficié d’un soutien d’ampleur équivalente – mais cette impression est peut-être due aux sources : dans les archives du parlement de Paris, si cinq lettres du roi et de sa famille en faveur de Charles de Joyeuse sont conservées, trois pour Armand de Goutault, et sept concernant Lyon, aucune n’apparaît pour Guillaume Briçonnet. Les deux candidats dont le roi a assisté à quelques séances du procès – Jean Simon et Jean de Rély – ont gagné. Il n’en reste pas moins que les membres du Conseil, personnages influents du royaume, peuvent se prévaloir et s’aider de leur statut dans la course aux bénéfices, grâce à leurs réseaux d’influence.

66Neuf parmi les vainqueurs sont membres du Conseil étroit – ils étaient seize au départ ; ceux qui s’emparent de deux diocèses sur la période en sont issus – il s’agit donc de Io cas sur 35 : Guillaume Briçonnet à Nîmes et Reims, Georges d’Amboise à Montauban et Rouen, Guillaume de Cambray à Bourges, André d’Espinay à Lyon, François Hallé à Narbonne, Geoffroy de Pompadour au Puy, Jean de Rély à Angers et Pierre de Sacierges à Luçon. Parmi eux, Pierre de Sacierges, pour lequel je n’ai trouvé aucun signe particulier de l’appui royal, est aussi un membre très actif du Grand Conseil. Tous sont gradués, sauf Guillaume Briçonnet, et cinq sont nobles, sauf Briçonnet encore une fois. Deux seulement sont de la région de leur diocèse : Pierre de Sacierges et Guillaume de Cambray. Les autres ont donc profité d’une vacance sans pour cela avoir quelque lien avec la région qui expliquerait leur désignation. On peut adjoindre à cette liste Jean Balue, légat a latere d’innocent VIII, et ce, à la demande du Conseil de régence ; il est à la jonction des deux pouvoirs, royal et pontifical. De tous ces membres du Conseil, seul Guillaume de Cambray n’a pas été soutenu dès le départ par le monarque qui, suivant la volonté de son père, a pris le parti de Pierre Cadouet en 1484. Mais à la mort de ce dernier, en 1492, lorsque Cambray lui succède et se voit empêché dans sa possession berruyère par Guillaume de Menypeny, Charles VIII le défend contre les entreprises de l’abbé de Saint-Satur. Des sept membres qui ne sont pas vainqueurs, l’un est mort, trois sont encore évêques ou archevêque, seuls deux se sont désistés à coup sûr (on ne sait rien du troisième)201.

67Onze vainqueurs sont des parents de membres du Conseil étroit – ils étaient dix-sept au départ. Les deux fils sont restés : Jean Doriole à Montauban, Pierre Faure à Castres. Quatre des cinq neveux aussi : Charles et Hector de Bourbon à Clermont et Toulouse – également alliés à Charles VIII –, Antoine du Bois à Béziers et Robert de Lenoncourt à Tours (le cinquième neveu est Benoît Jehan qui a abandonné Cahors). Deux des six frères sont encore là : Louis Pot à Lectoure et Pierre de Rochechouart à Saintes. Mais les autres, sauf Claude de Doyac quia subi les effets de la disgrâce de son frère Jean, n’ont pas été éliminés du groupe épiscopal : Jean d’Espinay est mort alors qu’il était en conflit pour le siège de Nantes, son frère Robert devient évêque de Saint-Pol-de-Léon et Guichard d’Aubusson reste évêque de Carcassonne. Le cousin, Antoine de Chalon à Autun, et le beau-frère, Denis de Bar à Tulle, ont gagné. Des deux « parents », Gilles de Laval conserve Sées, mais Guillaume de Menypeny doit renoncer à Bourges.

68Deux aumôniers de Louis XI figurent parmi les gagnants (Jean Balue202, Pierre Cadouet), deux aumôniers ou confesseurs de Charles VIII, aussi (Jean de Rély et Georges d’Amboise). Le seul qui a disparu est mort, Jean Neveu. Tous les candidats déjà évêques et non membres du Conseil ont disparu, mais trois sont morts203 et deux étaient les candidats du pape non agréés par le roi, Federico di San Severino à Rouen et Charles de Caretto à Angers. Parmi les quatre candidats parents d’évêques, trois sont vainqueurs : Mathieu d’Artigaloube à Pamiers, Charles de Blanchefort à Saintes et Armand de Goutault à Sarlat. Seul, le jeune Philippe de Lévis a cédé Bayonne.

69En ce qui concerne les membres des familles d’officiers royaux, Charles de Joyeuse, le fils de Tanneguy qui fut bailli de Mâcon sous Louis XI, est aussi « parent du roi » ; il semble demeurer évêque de Saint-Flour. Louis de Villiers, dont le père, Jacques, a été sénéchal de Boulogne et prévôt de Paris sous Louis XI, conserve Beauvais.

70Parmi les candidats proches du roi, la plupart de ceux qui ne sont pas parvenus à leur fin sont morts. Ou alors ce sont des Italiens qui ont sans doute pâti des relations tendues issues du « rêve italien » de Charles VIII. Certains conservent cependant un siège épiscopal et ceux qui ont tout perdu dans cette quête – pour le moment du moins – ne sont pas les plus nombreux. Vingt-sept évêques sur trente-trois – ce qui concerne vingt-neuf cas sur trente-cinq – sont des proches de Charles VIII, directement ou indirectement. Deux autres gravitent dans les sphères du pouvoir : l’élu nantais Guillaume Gueguen, chancelier de Bretagne, est proche de la reine Anne qui l’a soutenu tout au long de son combat, et le pourvu Galeas della Rovere († 1487) est le neveu de Sixte IV. Vingt-neuf individus sur trente-trois sont donc proches du pouvoir royal ou pontifical, soit 77,2 % des vainqueurs, ce qui concerne trente et un cas sur trente-cinq, 88,6 % des cas204.

71Treize résolutions ne surviennent cependant qu’après la mort de Charles VIII, entre 1499 et 1509205. Quasiment toutes sont réglées à Rome206. Si l’on regarde le nombre de résolutions sous Charles VIII – dix-neuf en quinze ans –, la moyenne est inférieure à un conflit et demi par an enfin achevé. Mais de 1499 à 1504, douze conflits sont résolus, soit deux conflits par an, le treizième en 1509207. Cette augmentation de l’efficacité peut sans doute être mise au compte de la réconciliation entre Louis XII et la papauté après les volontés de conquête de Charles VIII, mais surtout de l’activité désormais puissante et reconnue de Georges d’Amboise, principal conseiller de Louis XII, dont la fonction de légat a latere dans le royaume, dès le 5 avril 1501, facilite la collaboration entre la Cour et la Curie208.

72Plus on se rapproche de Charles VIII, plus le nombre de provisions est important. Parmi les neuf membres du Conseil étroit, sept sont pourvus-dont deux sont également postulés à un autre siège – et deux seuls sont élus, Jean de Rély et Guillaume de Cambray. Parmi les parents de conseillers, huit sont pourvus, trois, élus. On peut adjoindre au nombre des pourvus proches du roi l’aumônier Pierre Cadouet, le parlementaire Jean Simon, Charles de Joyeuse et Louis de Villiers. Parmi les trois parents d’évêques, un seul est pourvu. En tout donc, sur ces vingt-sept évêques, dix-neuf ont été pourvus en consistoire, soit plus des deux tiers, et deux ont été postulés : ils sont donc aussi des candidats pontificaux.

73Mais huit ont été élus, et s’ils sont proches du pouvoir par leur réseau de relations, tous ne sont pas candidats du roi, loin de là : Antoine de Chalon, élu d’Autun, à qui Charles VIII préférait le pourvu Jean Balue ; Jean Doriole, élu de Montauban, contre qui le roi soutient frère François des Voisins, ou Louis de Villiers qui a fort à faire contre le candidat royal de Beauvais, le pourvu Antoine du Bois. Dans les deux derniers cas, c’est le parlement de Paris qui a fini par trancher en donnant la victoire à l’élu. Mathieu d’Artigaloube, élu de Pamiers, n’est détenteur pacifique qu’après la mort de Charles VIII. Guillaume de Cambray finit par détenir l’archevêché de Bourges, mais, on l’a vu, après s’être accordé avec le candidat royal pourvu, Pierre Cadouet, à qui il a d’abord dû céder la place, et après avoir été lui-même pourvu. Le seul élu dont on soit sûr qu’il est un candidat royal, c’est Jean de Rély209. Et d’ailleurs, qu’il ne soit pas pourvu est uniquement dû à la mauvaise volonté d’innocent VIII. Si le confesseur du roi peut apparaître comme le modèle du prélat élu par son chapitre selon les prières bienveillantes du souverain, confirmé par son métropolitain dans les règles de l’art bâlois, et n’ayant donc besoin d’aucune autre bénédiction, c’est que la voie pontificale s’est fermée à lui. En effet, Charles VIII a tout fait pour que le pape lui accorde en consistoire le siège d’Angers. Ainsi, le n octobre 1491, quelques jours seulement avant l’élection, il a écrit à Laurent de Médicis pour qu’il soutienne auprès d’innocent VIII la candidature de son confesseur210. En 1493 encore, il donne des instructions à ses ambassadeurs à Rome auprès d’Alexandre VI pour « les provisions d’Angers », et présente l’historique de l’affaire : Innocent VIII n’a pas répondu à ses sollicitations en faveur de son confesseur ; au contraire, il a pourvu l’Italien Charles de Caretto. Les chanoines, voyant son refus et désirant avoir Rély pour évêque, ont alors procédé à son élection et Charles VIII s’est à nouveau adressé au pape pour qu’il la confirme. C’est un nouveau refus, « par quoy nostred. confesseur, en ce qui restoit a faire touchant sad. promotion, voyant ce que dessus est dit, et la brieveté du temps de sa confirmation, fut contraint d’user du droit commun et des loix de nostre royaume, et se fit confirmer par l’archevesque de Tours, son metropolitain »211. Ce qui importe donc au roi de France, c’est que Rély soit sur le siège d’Angers, et peu en importe la manière ; on retrouve dans cette volonté celle de nombreux réformateurs de cette époque212. Si le pape avait été plus conciliant, Jean de Rély aurait été au nombre des pourvus et au sein des candidats royaux et pontificaux, mais peut-être craignait-il ce réformateur déclaré, fervent partisan de la Pragmatique Sanction ? Ce cas excepté, les candidats du pouvoir sont donc aussi et avant tout les candidats du pape. Les conseillers royaux – ou proches de conseillers –, élus, ne sont que rarement des candidats du roi. Les candidats du pape ne sont pas tous des candidats du roi. Bref, pour être sûr d’emporter la victoire, mieux vaut être soutenu par le roi de France et pourvu par le pape.

74La volonté réformatrice de Charles VIII est connue213 : ses candidats sont-ils tous des réformateurs ? Sans doute ne faut-il pas être aussi catégorique que Mickaël Harsgor qui affirme que l’on ne trouve au Conseil aucun prélat ayant une volonté réformatrice ; il rapporte, en outre, que Guillaume Briçonneta écrit pendant l’expédition napolitaine qu’on peut désirer la réforme, mais que l’entreprendre n’est pas chose « reelle », car le remue-ménage serait trop profond214.

75Parmi les vainqueurs, trois apparaissent aux yeux des historiens comme des réformateurs – d’autres travaux de recherche permettront peut-être d’élargir le cercle ; ce sont justement ceux pour lesquels le roi s’est déplacé au Parlement afin d’exprimer son soutien : Jean de Rély et Jean Simon, mais aussi Georges d’Amboise, le candidat de Louis d’Orléans215. On peut noter aussi que Pierre de Rochechouart appartient par sa mère à cette famille d’Amboise, réputée pour son action dans la réforme, notamment ses oncles qui l’ont soutenu216.

76Être candidat du roi et du pape ne donne cependant pas la victoire à tout coup. Quelques cas le démontrent. À Autun, le conseiller du roi et légat du pape perd devant un parent de conseiller, inséré noblement dans le tissu bourguignon, puisque Jean Balue s’incline devant Antoine de Chalon. À Uzès, le noble Jacques de Saint-Gelais a bénéficié aussi de l’appui de lettres de Charles VIII, de sa sœur Anne et de son beau-frère Pierre de Bourbon : c’est quand même l’élu Nicolas Maugras, ancien prévôt du chapitre, qui l’emporte en 1497 ; Saint-Gelais est cependant assuré de lui succéder. La défaite du conseiller n’est pas due à la victoire d’un de ses semblables, mais à celle d’un élu issu du chapitre. Il en est de même à Cahors d’ailleurs, où le pourvu Benoît Jehan, neveu du seigneur du Bouchage, en faveur de qui Charles VIII a maintes fois écrit, abandonne finalement ses droits à l’élu, Antoine de Luserch, un noble local également issu du chapitre, et sans qu’il soit question d’une éventuelle succession. Il faut dire qu’à la date de sa résignation, en 1502, c’est Louis XII qui dirige le pays et le seigneur du Bouchage, encore vivant à cette date, comptait beaucoup moins à ses yeux qu’à ceux de Charles VIII217.

77Les vainqueurs sont donc quasiment tous pourvus218. Si l’on ôte tous les candidats du pouvoir royal et les deux candidats proches l’un, de la reine Anne, l’autre, de Sixte IV, il ne reste que quatre prélats qui ne sont pas du sérail et qui sont devenus les possesseurs pacifiques. Tous n’ont pas un profil identique, mais ce qui les rapproche est fondamental : tous les quatre ont été élus et sont ou de la région ou du chapitre. La victoire de Nicolas Maugras résulte-t-elle de ce soutien apparemment unanime de son diocèse devant la justice séculière219 ? Deux d’entre eux sont gradués et docteurs (Nicolas Maugras et Jean de La Barrière), l’un est noble (Antoine de Luserch), le dernier obtient le siège à la mort de son compétiteur (Isarn Barrière).

78Si l’on résume la situation de départ, il en résulte cependant que quinze prélats ont été élus – ou, pour être plus exact, sont passés par l’étape de l’élection –, ce qui correspond au pourcentage important de 45,5 % des vainqueurs (42,9 % des cas), bien qu’inférieur au pourcentage d’élus du départ (57,8 %). Pourquoi ces élus ont-ils gagné ? Des élus dont on sait que le Parlement leur a accordé une provision pécuniaire pour pouvoir continuer le procès, seul Louis de Villiers a vu aboutir sa cause et c’est le Parlement qui lui a accordé la victoire. Ceux qui ont bénéficié, à Paris, de l’adjonction du procureur général Christophe de Carmonne – Nicolas Maugras, Pierre de Rosier, Antoine de Luserch, Jean de Rély et Pierre de Rochechouart – ont tous gagné, sauf Pierre de Rosier : pour tous ceux-là, hormis Jean de Rély, la conclusion de l’affaire n’a pas été jugée par le Parlement. Enfin, deux procès opposaient deux élus : à Reims, c’est le postulé Guillaume Briçonnet qui élimine l’élu Jean Standonck et à Bourges, c’est Guillaume de Cambray, élu mais ensuite pourvu à la suite de l’accord, qui l’emporte sur Guillaume de Menypeny. Parmi les élus, deux candidats ont été postulés – Georges d’Amboise en 1494 à Rouen et Guillaume Briçonnet à Reims en 1497 : ils sont donc obligés d’attendre la bulle pontificale qui accepte le choix canonial. Et ces deux mêmes ont également été pourvus pour un autre siège. Finalement, il ne reste que treize élus qui, théoriquement, ne devraient pas passer par le filtre romain. Cependant, trois d’entre eux ont déjà été pourvus au cours du conflit220 et sur les dix restant, – dont huit sont déjà au moins confirmés –, six sont pourvus lors de la résolution du conflit, dans la foulée du désistement du précédent pourvu pontifical, ou lors d’un accord portant sur la succession : si le chapitre a finalement eu gain de cause, il n’en reste pas moins que c’est encore le sceau de Rome qui a ratifié son choix, accordant ainsi à ceux qui n’avaient pas encore réussi dans cette aventure une confirmation peu conforme aux décrets gallicans221. Jean de Rély seul n’a pas été pourvu et je n’ai trouvé trace d’aucune provision pour Isarn Barrière – que la mort de Guillaume Leroy rend maître de Maguelonne –, Louis de Villiers – il garde Beauvais, mais Antoine du Bois se console bientôt avec Béziers –, et Nicolas Maugras, mais ce dernier peut être la personne dont le nom est laissé en blanc lors du consistoire du 10 avril 1495, au cours duquel le siège d’Uzès est attribué.

79Ces neuf provisions en consistoire d’élus par le chapitre s’ajoutent aux vingt autres cas de promotion pontificale. Le cas de Jean Simon, élu après avoir été pourvu, n’est pas totalement isolé, puisqu’on a vu que quatre autres candidats avaient été élus après avoir été pourvus ; or, ils ont tous emporté le siège sauf Jean Neveu en raison de son décès222. L’originalité de la conclusion parisienne est que cette élection est le dernier soubresaut de l’histoire alors que les autres « pourvus puis élus » ont encore dû batailler quelques années. Les quatre évêques, uniquement élus, sont donc peu représentatifs de l’actualité bénéficiale de la fin du xv^e siècle, mais leur parcours individuel témoigne de la volonté capitulaire – ou désormais, la mémoire de cette volonté – de conserver le droit de désignation de son prélat. Il est remarquable que, quelle que soit la succession chronologique, treize des vainqueurs sont à la fois élus et pourvus, soit 37 %.

Tableau 6 – Les voies d’accession au siège des vainqueurs

80Si l’on ne se réfère qu’au résultat final, l’importance de la provision apostolique est singulièrement croissante et importante : ce ne sont plus vingt provisions, mais au moins vingt-neuf sur trente-cinq, soit 82,9 % des cas, et si l’on ajoute les postulations, trente et un cas relèvent de l’aval pontifical, soit 88,6 % : si la voie de l’élection est défendue par les chapitres, elle a souvent bien besoin de la confirmation pontificale pour enfin déboucher, souvent après de nombreuses années, sur la possession pacifique de l’évêché. La voie royale de la provision pontificale est confortée. Le Saint-Siège peut encaisser les pécunes du royaume223. Les conditions d’un concordat sont bien présentes.

81Ces victoires laissent soupçonner le jeu de réseaux. Étant donné la voie de la résolution la plus fréquente – la cession reconnue par un accord ou une pacification pontificale – les critères tels la science ou l’appartenance au chapitre, s’ils ont pu avoir quelqu’influence, ont dû se mesurer à l’appartenance à un réseau. Dans la grande majorité des cas, on vient de le voir, la proximité des sphères du pouvoir a été le gage de la victoire. Il n’empêche que, si le réseau a fini par l’emporter, il a parfois été soumis à un contexte qui ne peut être totalement ignoré et qui a ralenti sa progression. Par exemple, Pierre de Rochechouart, pourvu de Saintes en 1493, a quatre oncles prestigieux de la famille d’Amboise ; il doit cependant attendre neuf ans pour enfin être le possesseur pacifique de Saintes : il lui faut d’abord répondre devant la justice à ceux qui l’accusent d’avoir extorqué à son oncle Louis la résignation du siège, trouver un accord avec Jean de Bilhères Lagraulas, représentant du roi à Rome – il est nommé coadjuteur du vieil évêque de Saintes en 1491 et ne se démet de ce titre que contre pension en 1493 –, combattre encore le fils et frère de parlementaires, Guy de Tourettes, élu à deux reprises après la mort de son oncle en 1496 et, sans doute, Michel Colonna que Charles VIII aurait désigné un moment comme possible successeur224. Serait-ce dû à la mauvaise volonté du roi, se rappelant l’emprisonnement de Georges d’Amboise en 1487-1488, et malgré sa réhabilitation par la suite ? Mais dans ce cas, dès l’avènement de Louis XII, entièrement favorable au futur légat, la résolution aurait dû être rapide, et encore plus après le I^er avril 1501, date de la promotion d’Amboise comme légat : même si ce dernier a pu avoir de l’influence, quatre années sont pourtant encore nécessaires pour arriver au 9 mai 1502225. Est-ce en raison de cette affaire de faux pour laquelle Claude Chauvreux a été condamné en décembre 1496 et qui a fait grand bruit dans les différents parlements226 ? Nul doute que ce jugement en faux d’écriture, dans une institution défendant les droits du fils d’un ancien président, retarde encore le dénouement : il faut donc compter avec les autres réseaux, qu’ils soient à Paris ou à Rome, mais aussi compter avec la voie de justice. À Lyon, le cardinal de Bordeaux, André d’Espinay, très proche conseiller de Charles VIII, attend onze ans la possession pacifique de la primatie des Gaules car, malgré ses nombreux et prestigieux appuis, il doit faire face aux coutumes concernant la régale dans cet archevêché et à l’origine lyonnaise et capitulaire d’Hugues de Talaru, à la volonté de conseillers du Parlement, opposés à régler le conflit tant que les actes du procès tenu à Rome ne leur ont pas été présentés. Un réseau, aussi puissant soit-il, doit savoir patienter et se mesurer aux limites de son action que sont les autres réseaux mais aussi la justice et ses lois, les coutumes des cités épiscopales et les mœurs des chapitres.

82Lorsque le candidat est enfin victorieux, le réseau peut alors être remercié. Si l’on prend l’exemple de Paris, trois nominations très rapides ont lieu après l’élection de Jean Simon, qui paraissent fortement liées à sa conquête du siège (il est élu le 5 novembre 1494, présente sa confirmation au chapitre le 27 décembre, entre dans son église le 15 février 1495). Le 9 décembre 1494, Jean Fanuche, témoin au procès de confirmation et doyen de Soissons, qui connaît très bien Simon depuis le temps de sa jeunesse et que Gobaille soupçonne d’être son affin, devient conseiller clerc au parlement de Paris227. Le 8 janvier 1495, le doyen de Lyon et familier du cardinal André d’Espinay, Antoine de Feurs, chargé de superviser le paiement des annates à Rome de la part de Jean Simon228, hérite de son office de conseiller clerc au parlement de Paris229. Quelques jours avant, la prébende et le canonicat de Jean Simon sont accordés par le roi – il use de son droit de régale –, au chanoine de la Sainte-Chapelle, Jean Fournier, dénommé « familier de Simon » ; c’est à lui par exemple que sont remis les pontificalia pour le joyeux avènement. Il présente ses lettres de provision immédiatement après celles de la confirmation de l’élection qu’apporte Jean Simon au chapitre, le 27 décembre 1494 ; il est installé le lendemain230.

83Après de nombreuses années, les conflits sont enfin résolus. Lorsque les deux candidats sont encore en vie à ce moment décisif, le dernier mot a été trouvé par le biais de jugements ou d’ententes et, en tous les cas, reconnu par une instance supérieure. Si la violence a parfois été une étape non négligeable dans cette course à l’épiscopat, ce n’est jamais elle qui a définitivement conclu le différend. Quand les candidats en ont usé, n’était-ce pas alors pour influer sur le cours de la justice et en espérer la victoire ? La violence s’inscrirait donc, brutalement, dans l’espérance d’une résolution judiciaire du conflit devant la justice royale. Mais le possessoire n’est pas tout, puisqu’une fois la possession attribuée, il est possible de débattre encore du pétitoire. Or, que voit-on ? La grande majorité des causes a été tranchée dans ce domaine à Rome, par des provisions en consistoire. Cela semble signifier qu’un titre au pétitoire, ne se prévalant que d’une élection capitulaire confirmée par le métropolitain, est insuffisant et ne résiste pas au fil du temps : cela est dû à la puissance de la centralisation romaine que le siècle français de la Pragmatique Sanction n’a pas réussi à saper. Le pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique du royaume, dont la renaissance était incluse dans l’ordonnance royale, est fort ébranlé : une confirmation d’élection par un archevêque ne peut guère se mesurer à la confirmation romaine que constitue la provision pontificale. Sans doute aussi faut-il y voir le résultat de la politique de Charles VIII, très fluctuante et attentive à ses candidats, plutôt qu’à leur mode de désignation. Comme du temps de ses prédécesseurs, Charles VII et Louis XI, mieux vaut, pour emporter la victoire, être candidat du pouvoir royal. Le peu de renseignements sur les actions des prélats vainqueurs ne permet pas de dire s’il faut y voir aussi une conséquence de la réforme voulue par Charles VIII et Alexandre VI. Le nombre important « d’élus puis pourvus » conforte cette idée de la centralisation de l’Église. Les quelques « pourvus puis élus », rares preuves de l’efficacité de l’élection canoniale, sont des exceptions qui confirment la règle ; ils sont révélateurs, cependant, de la persistance de la pratique de l’élection et de la volonté d’autonomie des chapitres cathédraux qui, malgré le concordat de 1516, ne cesse de hanter les remontrances du clergé jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

84Le Parlement ne soutient pas systématiquement les candidats de Charles VIII. Il a une attitude différente selon les cas : il est gallican et obéit aux ordonnances lorsqu’il donne la possession du siège à (seulement) quatre élus confirmés dans le royaume ; il est le garant de la paix lorsqu’il accepte de se conformer aux bulles pontificales et d’accorder la possession à des pourvus, lorsque les élus ont résigné leurs droits. Il est alors toujours au service du roi, gardien des lois du royaume mais aussi garant de la paix. Dans la « Cour supreme », la justice est longue à se prononcer, mais lorsque l’accord a été trouvé entre les deux adversaires, ou qu’un arrêt a été prononcé, que cela a été reconnu par les deux instances ecclésiastique et laïque, la paix, enfin rendue au diocèse déchiré grâce au roi ou au pape, acceptée par les parties, victorieuse de la violence, semble plus rapidement défendable que la simple cause d’un candidat élu ou pourvu. La paix ne s’oppose pas ici à la vérité231 ; elle se contente de dépasser les querelles fondamentales portant sur le mode d’accession au pouvoir épiscopal, exercice capitulaire du choix ou soumission à l’autorité romaine.