Conclusion
Texte intégral
1Le thème de ce volume est né d’un constat sur la place qu’occupe aujourd’hui l’eau dans nos sociétés. Parce que ses réserves sont limitées et inégalement réparties, l’eau fait l’objet de craintes et de convoitises. Sa raréfaction entraîne des conflits, son excès, des catastrophes environnementales. Elle acquiert ainsi un statut prioritaire dans les débats, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux.
2La prise en compte de cette place de plus en plus prépondérante des enjeux liés à l’eau dans nos sociétés actuelles nous a poussés à nous interroger sur les solutions adoptées par les sociétés du passé pour maîtriser au mieux cette ressource, et la place qu’elle occupait dans la vie des populations. Comment ces sociétés anciennes ont-elles appris à contrôler l’eau ? Par quels moyens ont-elles pu la conserver et la transporter ? Comment l’ont-elles employée au quotidien et au sein de quelles activités ? Enfin, quelle place a-t-elle pu occuper dans les manifestations culturelles des sociétés et leur imaginaire collectif ?
3Il s’agissait notamment de nous interroger sur les moyens permettant de reconstituer les activités liées à l’eau et le rôle qu’elles jouaient dans l’économie des sociétés anciennes. L’eau est en effet à la base de nombreuses économies, que ce soit dans le cadre de l’économie de subsistance (alimentation, agriculture, pêche), ou encore dans le cadre du commerce et du transport (navigation maritime et fluviale). Nous proposions ainsi de nous intéresser aux moyens, aux outils, ou encore aux infrastructures ayant permis aux populations du passé d’exploiter l’eau et ses ressources.
4Il était également question de nous demander quels moyens avaient été mis en œuvre par ces populations pour contrôler l’eau, afin d’en disposer plus aisément, et quelles en avaient été les conséquences sur leurs environnements. Cette question se concentrait ainsi sur les approches permettant de mettre en évidence une gestion de l’eau de la part des individus, que ce soit au sein de sociétés sédentaires ou de sociétés nomades. De quelle manière la gestion de l’eau se manifeste-t-elle dans les paysages anciens et quelles sont les données susceptibles de nous éclairer sur cet aspect ?
5Enfin, nous souhaitions également nous intéresser au rôle cultuel et symbolique de l’eau dans les sociétés et la place qu’elle avait pu occuper dans les croyances des Hommes. Quelles étaient les connotations liées à l’eau ? Pouvait-elle être vue comme un bienfait, une bénédiction ? Ou, au contraire, comme un adversaire à combattre ? Nous cherchions alors à nous pencher sur les manifestations d’un rôle particulier accordé à l’eau par les sociétés anciennes, que ce soit dans le cadre de rites religieux ou dans les représentations symboliques.
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6Les différents travaux présentés au sein de cet ouvrage ont permis d’apporter des réponses à ces questionnements, et de constater ainsi la pertinence des approches archéologiques, géoarchéologiques, mais aussi historiques, pour traiter de la question des relations entre l’Homme et l’eau. La diversité des méthodes abordées a autorisé un champ d’investigation extrêmement large pour mettre en évidence les différents enjeux auxquels les Hommes ont été confrontés dans l’exploitation de l’eau et de ses ressources, dans sa gestion, ainsi que dans les relations qu’ils entretenaient avec cet élément.
7Ainsi, des recherches fondées sur l’étude directe des artefacts et écofacts – notamment des analyses technologiques et tracéologiques effectuées sur des hameçons, ou encore des analyses zoo-archéologiques, reposant sur l’étude des restes osseux de l’ichtyofaune – permettent de remonter aux activités halieutiques et d’en proposer une histoire et une évolution. Des travaux s’employant à identifier des sites archéologiques, couplés à des analyses spatiales, permettent de recomposer des zones d’exploitation des cours d’eau ainsi que les réseaux fluviaux et maritimes empruntés dans le cadre d’échanges de matériaux et de marchandises. L’exploitation des données de terrain et l’étude des structures architecturales anciennes sont aussi un moyen de restituer la nature et le fonctionnement des dispositifs hydrauliques ainsi que les structures liées à la captation et au stockage de l’eau, que ce soit en contexte urbain, rural, ou le long des réseaux routiers. Nous avons également eu l’occasion de constater l’intérêt de l’utilisation du LiDAR pour mettre en évidence les plans d’eau anciens ainsi que les structures anthropiques liées à leur exploitation. D’autres approches, fondées sur l’étude micromorphologique des sédiments, autorisent une reconstitution extrêmement précise et documentée des pratiques anthropiques d’irrigation et de gestion des réseaux hydriques. Le déchiffrage et l’exploitation de textes anciens jouent aussi un rôle dans la restitution des voies d’eau et du paléo-paysage, en permettant de proposer une lecture environnementale des pratiques agricoles anciennes. Enfin, ces sources textuelles sont également un moyen d’appréhender l’histoire de la relation des Hommes à l’eau, en nous offrant des perspectives liées à une vision tantôt juridique et politique, tantôt religieuse.
8L’intérêt des différentes contributions a également été d’aborder ces thématiques sur des périodes chronologiques et des aires géographiques diversifiées. Les travaux rassemblés au sein de cet ouvrage ont permis de couvrir une vaste étendue chronologique et culturelle (allant du Mésolithique à la période médiévale) ainsi qu’un large espace géographique (comptant l’Eurasie et l’Afrique du Nord).
9Nous avons ainsi eu l’occasion, tout au long des différentes études présentées ci-dessus, de traiter des enjeux de l’eau dans les sociétés anciennes à travers 1) les pratiques de subsistance, telles que la pêche et l’agriculture, 2) l’approvisionnement et le transport de ressources et de matériaux, 3) les réseaux hydrauliques et le processus d’urbanisme dans lequel ils s’impliquent, 4) mais également par le sujet de l’eau comme soin thérapeutique et miraculeux et des rituels liés à l’eau. Nous proposons de résumer, ci-dessous, les principaux résultats apportés par chacune des contributions et leurs implications dans le renouvellement de la recherche sur les enjeux liés à l’eau dans les sociétés du passé.
10À travers l’étude des restes osseux de l’ichtyofaune, issus des occupations lacustres néolithiques de la vallée de Serteya, Maxime Danger propose de reconstituer les stratégies halieutiques des populations de cette aire chrono-culturelle. Il met ainsi en avant la pratique d’une pêche à caractère saisonnier, fondée sur la capture d’espèces spécifiques telles que les brochets, les Cyprinidae et les perches, venues se reproduire dans les eaux du rivage au printemps. Il identifie en outre dans l’habitat des zones spécialisées, dédiées à leur préparation (écaillage, éviscération) ou au rejet après leur consommation.
11Albane Mazet cherche à renseigner la pratique de la pêche dans les fjords et la côte occidentale de la Norvège, et son évolution entre 8000 et 4000 av. n.è. Elle se fonde notamment sur une étude techno-fonctionnelle d’hameçons en os et questionne les différences morphologiques observées sur ces derniers. Elle constate que les changements technologiques observés ont des incidences sur l’évolution de la morphologie des hameçons, qui seraient, selon elle, intimement liées à une transformation de la pratique de la pêche. L’évolution dans la conception des équipements serait ainsi à mettre en relation avec une stratégie d’acquisition des ressources halieutiques plus ciblée.
12Céline Tomczyk questionne les lieux et les types d’exploitation de l’étain à l’âge du Bronze, et propose de tester l’hypothèse selon laquelle l’étain alluvionnaire serait préférentiellement exploité. Elle conclut que si les exploitations en roche de l’étain pourraient avoir été moins nombreuses que les exploitations alluvionnaires, il n’en demeure pas moins que ces dernières réclamaient des techniques spécifiques et difficiles à maîtriser, telles que la capacité à identifier les zones d’accumulation, mais aussi la maîtrise de la gravitation, voire la modification des cours d’eau. Elle encourage, enfin, l’emploi de méthodes plus performantes, telles que le LiDAR aéroporté ou encore l’analyse des isotopes de l’étain, afin de permettre l’identification de l’origine de l’étain présent dans les bronzes ainsi que les zones potentielles de son exploitation.
13Victor Ploux étudie la diffusion des matériaux en terre cuite italiques dans le territoire de l’Empire romain, de la fin de la République jusqu’au vie siècle. La présence d’épaves chargées de briques ou de tuiles, ou encore la découverte de ces matériaux le long des côtes et des cours d’eau, lui permet de reconstituer les routes fluvio-maritimes empruntées à l’époque pour le commerce de ces artefacts. Il met en avant leur rôle primordial dans la navigation, ainsi que leur importance en tant que matériaux spéciaux dans le cadre spécifique de la construction de thermes romains aux confins de l’Empire. Leur exportation devient le témoin des relations entre l’Italie et ses provinces ainsi que le marqueur des voies fluviales et maritimes empruntées par les marchands, depuis le Tibre, le Pô et l’Adige, jusqu’aux côtes de l’Afrique du Nord, en Méditerranée occidentale.
14Julien Berthe nous présente les résultats issus d’une campagne LiDar aéroportée qui a permis de restituer un modèle numérique de terrain (MNT) extrêmement bien documenté de la Montagne de Reims. Le traitement de ce modèle révèle de nombreux vestiges archéologiques, notamment des structures de drainage anthropiques, les formes les plus prégnantes constituant les fossés de drainage. L’apport du LiDar permet ainsi d’améliorer la compréhension des hydrosystèmes en Montagne de Reims et de mettre en évidence une occupation au sol très marquée par l’action anthropique, notamment au cours de la période antique, du Moyen Âge, de la période moderne et, enfin, de la période contemporaine.
15Giulia Nicatore propose une relecture environnementale de documents démotiques (iiie-iie siècles av. J.-C.) retrouvés dans la campagne de Memnoneia (rive ouest de l’actuelle Louxor). Cette analyse lexicograhique se concentre notamment sur les termes utilisés pour désigner les types de terre en relation avec la présence d’eau, et a ainsi pour but de témoigner de la perception qu’en avaient les agriculteurs et la manière dont ils les maîtrisaient et les exploitaient. Les résultats de cette analyse montrent que les Égyptiens distinguaient un sol par ses caractéristiques, son rendement et son emplacement au sein de la campagne. Ils montrent, en outre, qu’il est possible de proposer une classification géomorphologique de ces termes et de les lier, de ce fait, au paysage réel. La relecture environnementale des termes démotiques permet ainsi de mieux saisir les nuances du paysage naturel et de compléter les études géoarchéologiques.
16Lucie Cez nous fait part des résultats issus d’une étude géoarchéologique menée sur le plus ancien canal de Sarazm, dont la datation, réalisée par luminescence optiquement stimulée (OSL), le rattache au début de l’âge du Bronze. L’approche adoptée se fonde sur l’analyse de son comblement sédimentaire, par le biais d’études micromorphologiques des dépôts. L’auteure met ainsi en évidence les pratiques techniques mises en œuvre dans la mise en eau du canal et son fonctionnement. Elle documente également les dysfonctionnements qui ont pu intervenir au cours de l’histoire de l’utilisation du canal et les solutions adoptées pour les surmonter.
17Alexandre Houdas cherche, par l’étude des structures hydrauliques en Asie centrale méridionale, à restituer l’organisation et l’évolution des villes de la civilisation de l’Indus (2500-1900 av. J.-C.). Il met en avant l’importance des aménagements dédiés à l’acquisition, au stockage et à l’évacuation de l’eau dans la structuration des villes, à travers l’étude des sites de Mohenjo-daro, Dholavira, Harappa, Lothal, Nausharo, ou encore Chanhu-daro. Son analyse des structures hydrauliques (puits, salles d’eau, puisards, canalisations, égouts collecteurs et réservoirs) lui permet de restituer la trame urbaine de ces villes et vient souligner le rôle de ces structures dans la planification du tissu urbain. À travers l’étude des systèmes de gestion de l’eau, il conclut que les villes de l’Indus démontrent une forte évolution de leur organisation spatiale, dont il propose de chercher les causes probables au sein des sphères économiques, sociales ou environnementales.
18Alexandre Gouverneur étudie la maîtrise de l’eau chez les communautés antiques dans les provinces d’Hispanie romaine, dont le climat sec et aride en fait un enjeu capital. Il identifie que cette maîtrise revêt trois aspects : technique, légale et symbolique. Son analyse lui permet de constater une dynamique croissante des techniques et innovations technologiques, allant de pair avec la codification d’un cadre légal régulant le partage de l’eau, assuré par des organes locaux, et dont la maîtrise est le corollaire et l’expression d’un pouvoir politique fort. Enfin, il établit que la maîtrise de l’eau représente une réalité tangible et un horizon culturel protéiforme au cours duquel se distingue une véritable “culture de l’eau”.
19Guillaume Chung-To questionne la gestion de la ressource en eau le long des itinéraires caravaniers dans la péninsule Arabique, aux débuts de l’Islam et plus particulièrement à partir de la seconde moitié du viiie siècle. C’est au travers de l’étude des aménagements hydrauliques, identifiés lors de prospections et partiellement fouillés, reliant la péninsule à la Syrie, l’Égypte, l’Irak et le Yémen, qu’il met en avant l’importance de l’eau et de sa gestion. Son étude des vestiges archéologiques et des haltes sur les routes caravanières lui permet de suggérer une planification et un développement de ces haltes, corrélés à une nécessité de contrôle du territoire et des ressources, visant à servir un discours religieux, politique et économique. À l’issue de son exposé, il insiste sur les limites méthodologiques liées aux lacunes des fouilles et de la datation des sites, en soulignant l’importance d’une compréhension diachronique des haltes.
20Ilena Gentile cherche à appréhender, chez les communautés de la préfecture des Gaules, le lien entre santé et guérison, dans le contexte de christianisation de l’Antiquité tardive. En se fondant sur l’analyse croisée des données issues de sources littéraires et archéologiques, elle corrèle l’emplacement des complexes religieux avec la présence de cours d’eau, permettant ainsi l’approvisionnement en eau et la présence de pèlerins. Au sein de ces complexes, elle constate la présence de structures (piscines, fontaines, puits) ou de sanctuaires, liés aux propriétés miraculeuses conférées à l’eau par les premières communautés chrétiennes. Enfin, par l’étude des textes hagiographiques, elle met en évidence le lien entre le pèlerinage et le rapport liturgique des chrétiens à l’eau, pour qui cette ressource disposait de propriétés curatives et thérapeuthiques, physiques et spirituelles.
21Aude Lazaro étudie l’implantation des chapelles près des ponts franchissant les cours d’eau du sud-ouest des Alpes, à la fin du xve siècle. À la suite de « la grande dépression médiévale », elle constate un déperchement des villages, entraînant un redessinement et un aménagement du réseau viaire dans les fonds des vallées. Elle identifie un phénomène de polarisation du sacré, se manifestant par la construction de chapelles à la jonction du réseau viaire et hydrographique, et qui s’accompagne de la sacralisation des ponts, témoignant ainsi de l’importance prise par ces derniers à la fin du Moyen Âge. Cette recherche, par la reprise des textes, des toponymes et des cartes anciennes, conjuguée à l’étude des chapelles à proximité ou au débouché de ponts, lui permet de révéler l’irruption du sacré dans le réseau hydrographique et viaire, afin de conjurer le danger des fleuves et des rivières.
22À la lecture des différentes contributions, nous pouvons ainsi conclure que le lien entre les sociétés du passé et l’eau est puissant. Dans des contextes chronologiques et culturels différents, les populations humaines ont su adapter leurs environnements aquatiques, mais également s’adapter à eux. En modifiant les façons d’exploiter l’eau au fil du temps, nos sociétés ont connu des évolutions dans la manière de gérer ces ressources, tout en faisant continuellement face aux défis que cela implique. Ces défis ont eux-mêmes évolué, même si certains demeurent très semblables à ce que l’humanité a toujours connu, comme le manque d’eau et, par conséquent, son stockage dans des milieux plus hostiles, arides. Les nouveaux enjeux auxquels les sociétés humaines doivent désormais faire face ne sont pas sans rappeler ce que les sociétés du passé ont déjà vécu : 1) la construction de nouvelles infrastructures hydrauliques, plus résistantes, 2) la recherche de nouvelles techniques et technologies pour exploiter au mieux les ressources halieutiques, 3) ou encore la recherche d’amélioration de processus déjà anciens, comme la navigation ou le transport fluvial et maritime. Toutefois, s’ajoute aujourd’hui un critère écologique alarmant, intrinsèquement lié au changement climatique. L’augmentation des sécheresses, comme le montre la situation actuelle de l’Inde et du Pakistan, mais aussi des inondations, comme on a pu le voir récemment aux Antilles, la multiplication des « mers mortes », causée notamment par la surpêche et la destruction des sols marins, la baisse drastique de la diversité de la faune et de la flore dans les milieux aquatiques, sont autant de situations qui sont loin d’être nouvelles pour l’Homme. Elles deviennent cependant plus courantes et généralisées et doivent être assimilées plus rapidement par les populations humaines qui en subissent de plus en plus les conséquences.
23Dans un tel cadre, l’archéologie, et d’autres disciplines qui lui sont proches, introduit diverses réflexions sur la gestion de l’eau et de ses ressources. Nos disciplines peuvent impliquer la recherche de solutions qui ont existé dans le passé, pour les solliciter de nouveau dans le présent.
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24Dans un contexte contemporain soumis aux crises climatiques et aux difficultés croissantes d’accès à l’eau, les différents axes thématiques de cette journée s’inscrivent au cœur des recherches et débats actuels sur l’exploitation et la gestion de l’eau.
25L’exploitation des ressources marines par les sociétés du passé a récemment fait l’objet d’un dossier des Nouvelles de l’archéologie sur la chasse aux mammifères marins depuis la Préhistoire. Ces travaux récents, à la croisée de l’archéozoologie, de l’histoire, de l’ethnographie et de l’art pariétal, révèlent la diversité géographique et chronologique de ce phénomène. D’abord pratiquée par charronnage au Paléolithique sur les côtes d’Afrique australe (Mesfin et al., 2021), cette chasse se développe plus largement à partir du Mésolithique et du Néolithique au sein de sociétés de chasseur-cueilleur-pêcheurs sédentarisés, en Europe (Scandinavie, Carélie), en Asie orientale (Corée, Japon) ainsi qu’en Amérique du Sud (côte du désert d’Atacama) (Lee et Torres, 2021).
26Ces pratiques sont relativement homogènes quel que soit le territoire concerné, et jouent un rôle primordial dans l’acquisition et le stockage de nourriture, ainsi que dans la confection des outils. L’emploi de petites embarcations (pirogues, radeaux) et la pratique du harponnage et du remorquage sont communs à la Patagonie, au Japon, à la Corée et à la Carélie (Christensen et Legoupil 2021 ; Janik, 2021 ; Lee, 2021 ; Takehana, 2021).
27Ces publications récentes montrent également que cette chasse, au-delà de son importance économique, pouvait revêtir une fonction sociale et participer à la cohésion communautaire (Janik, 2021). Par ailleurs, certains animaux marins comme les baleines faisaient partie intégrante de l’univers symbolique, voire de la cosmogonie de certains groupes humains, comme leurs nombreuses figurations dans l’art rupestre semblent le suggérer (Norvège, Lødøen, 2021 ; Carélie, Janik, 2021 ; désert d’Atacama, Ballester, 2021).
28Les contributions ont également abordé les questions de navigation et de transport des matériaux. Dès la seconde moitié du xixe siècle, ces thématiques sont revalorisées par la découverte de nombreuses épaves en Europe. Leur étude a conduit à la construction de répliques telles que la Trirème Antique de Napoléon III (1861), le radeau du Kon-Tiki (1947), le navire antique méditerranéen Kyrenia II (1982-1985) (Rieth, 2019), ou encore le navire scandinave de l’âge du Bronze Tilia Alsie (1999) (Bengtsson et Bengtsson, 2011).
29D’autres projets ont alors vu le jour, comme celui de Boat 1550 BC (Boat 1550 BC), consistant à reproduire un bateau de l’âge du Bronze découvert à Douvres. Dans le même esprit, le chantier naval de navires vikings du Vikingeskibsmuseet, à Roskilde au Danemark, est dédié à la confection de répliques des cinq épaves provenant de Skuldelev et datées du xie siècle (Vikingeskibs Museet). Dans le bassin égéen, le projet Prôtis encadre la reconstitution d’un navire grec archaïque (le Gyptis), et d’un navire de mer égyptien de l’âge du Bronze (le Min of the Desert) (Creasman, 2015 ; Pomey et Poveda, 2019). Ces expérimentations visent à enrichir nos connaissances tant sur les techniques et les méthodes de construction navale que sur les ressources en bois utilisées, la main-d’œuvre nécessaire, et le temps consacré à la construction (Rieth, 2019). Les aptitudes de navigation et la manœuvre des navires sont documentées lors des mises à l’eau ou des traversées. L’association turque 360 Degrés a ainsi reconstitué plusieurs embarcations afin de reprendre les trajets réalisés dans le cadre du commerce en Méditerranée. C’est également dans l’optique de mieux appréhender les relations entre l’Anatolie et la Méditerranée que furent construites la birème Kybele pour la période antique, ainsi que la réplique de la célèbre épave d’Uluburun (Uluburun II) pour l’âge du Bronze (360derece.info). En parallèle, le transport de matériaux et de biens est abordé via des recherches expérimentales visant à reproduire les cargaisons des épaves, comme dans le cas d’Uluburun II.
30L’archéologie expérimentale joue désormais un rôle prépondérant dans la fabrication d’embarcations pré- et protohistoriques, et plusieurs archéosites et associations d’expérimentation archéologique ont mis en place des projets axés sur ces thématiques. L’association Koruc (Côtes-d’Armor), spécialisée dans la navigation préhistorique, a lancé en 2022 son projet de construction d’une pirogue néolithique, de l’abattage de l’arbre à sa mise à l’eau. Avec des objectifs similaires, tant de s’intéresser aux techniques de fabrication préhistoriques qu’aux modes de navigation, l’Association pour l’expérimentation et la recherche archéologique (APERA) a entrepris la construction d’une pirogue mésolithique. L’association Chalcophore (Corse-du-Sud) a monté le projet des « Néolympiades », dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, témoignant une nouvelle fois des multiples possibilités de lier le passé au présent par le thème de la navigation. L’objectif, à terme, est de réaliser un tour de Corse en pirogue néolithique, construite au moyen de techniques expérimentales.
31Tous ces projets soulignent la durabilité de la curiosité et l’intérêt portés sur l’architecture navale et le transport des individus et des marchandises dans nos sociétés passées et actuelles.
32La gestion de l’eau et son exploitation sont également au cœur des thématiques actuelles, que ce soit dans le milieu de la recherche ou dans nos débats contemporains sur les moyens d’économiser et d’utiliser au mieux une ressource qui se raréfie. Nous citerons quelques exemples de modes d’exploitation de l’eau qui nous ont été directement apportés par les sociétés anciennes et qui ont été intégrés dans nos environnements actuels.
33L’irrigation au moyen de jarres remplies d’eau, enterrées dans le sol, une pratique, attestée dans des manuscrits chinois du vie siècle (citant eux-mêmes un ouvrage agronomique du ier siècle av. J.-C., le « Fan Shengzhi shu » 氾胜之书), consiste à planter des graines à proximité de jarres enterrées, dont la nature poreuse permet la sudation de l’eau et l’irrigation directe des racines (Dzwiza, 2021). Ce type d’irrigation a été remis au goût du jour depuis les années 1960, en raison des importantes économies d’eau qu’elle permet. L’irrigation par jarres a d’ailleurs été appliquée dans plusieurs projets d’aide au développement et est désormais devenue une méthode commune dans de multiples jardins communautaires à travers le monde (ibid.).
34L’utilisation des Chinampas, des parcelles horticoles flottantes construites et utilisées par les Aztèques cinq siècles auparavant, constitue un second exemple. Ces jardins flottants, établis sur les zones lacustres de l’actuel Mexico, sont construits grâce à l’alternance de couches composées de boue issue du lac et de végétation décomposée (Calnek, 1972). Leur utilisation se poursuit encore aujourd’hui, et permet de proposer une agriculture économe en eau, l’irrigation du sol étant assurée par le contact direct avec l’eau, lui conférant une humidité importante et constante. Inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco, ces parcelles continuent ainsi d’alimenter la capitale en légumes et en fleurs (Saliba, 2015).
35Plus largement, il est question aujourd’hui, dans plusieurs milieux urbains, d’effectuer un retour aux systèmes d’irrigation anciens. Ces démarches s’inscrivent notamment dans la réhabilitation ou la poursuite de l’exploitation d’anciennes voies d’eau et se fondent sur une reconnaissance de l’efficacité des systèmes antérieurs. Nous pouvons par exemple citer le cas de la cité antique de Pétra, située en Jordanie, dont le système d’irrigation fait office de modèle en contexte aride. Les infrastructures mises au jour démontrent en effet l’ingéniosité et l’habileté des Nabatéens à exploiter jusqu’à leur limite les différentes ressources disponibles, par la collecte des eaux de pluie en hiver, par le creusement de canaux et l’aménagement de citernes, ou le captage de certaines sources, par la construction de canalisations à longue distance (Dentzer, 2008). La prise en compte de ce système ancien pourrait-elle apporter des solutions au sein d’un pays de plus en plus marqué par d’importantes sécheresses qui ont des conséquences directes sur la production agricole et l’accès des populations à l’eau potable ?
36La dernière session de cette Journée doctorale nous a enfin montré l’importance de l’eau dans l’univers symbolique et rituel des sociétés anciennes. La raréfaction de cette ressource n’a pas diminué sa valeur au sein de nos sociétés modernes, bien au contraire. Le surnom qu’on lui donne désormais, celui de « l’or bleu », est d’ailleurs emblématique de ce rôle, d’élément symbolisant à la fois la richesse et la rareté.
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37Pour conclure cet ouvrage, nous tenons spécialement à remercier notre modératrice et l’ensemble de nos communicants et communicantes pour leur contribution à cette journée et à sa publication mais également pour la qualité et la diversité de leurs interventions. Nous souhaitons aussi saluer François Giligny, directeur de l’École doctorale, dont l’appui a largement contribué à la concrétisation de la Journée doctorale et de ce volume. Nous tenons également à remercier Hélène Criaud-Nicolle, responsable administrative de l’École doctorale, pour son aide et son soutien tout au long de l’organisation de ces échanges scientifiques, du choix initial de la thématique aux dernières relectures des articles. Nous adressons aussi nos sincères remerciements aux anciens organisateurs de la Journée doctorale dont les conseils et l’expérience ont su nous aiguiller à chacune de nos interrogations. Merci également au graphiste Bruno Paredes pour la réalisation de l’affiche et de la charte graphique de notre événement. Par ailleurs, nous tenons à témoigner notre reconnaissance envers l’École doctorale d’archéologie et le collège des Écoles doctorales de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour leur soutien financier. Enfin, merci aux membres du conseil scientifique de l’École doctorale pour leur appui scientifique et leurs retours avisés sur les articles.
Bibliographie
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Saliba Frédéric, « Au Mexique, bataille pour la survie de Xochimilco », Le Monde, mars 2015. URL : lemonde.fr/planete/article/2015/03/28/au-mexique-bataille-pour-la-survie-de-xochimilco_4603205_3244.html
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10.4000/nda.13367 :Vinkingeskibs Museet, « Le Chantier Naval ». URL : vikingeskibsmuseet.dk/fr/professions/chantier-naval
Auteurs
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Sarah Georgel-Debedde
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, Protohistoire égéenne
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Camille Hut
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, VEPMO
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Valentine Martin
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, Protohistoire égéenne
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Stèlio Poli
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, Archéologie de l’Asie centrale

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