Introduction

Contexte

Apports du LiDAR à l’archéologie environnementale

1Depuis une vingtaine d’années, les campagnes LiDAR aéroportées se sont grandement démocratisées, et ont contribué à l’amélioration des connaissances archéologiques, voire de leur renouvellement dans de nombreux massifs forestiers (Costa et al., 2020), au point d’en faire des objets d’étude archéologique idéals (Georges-Leroy et al., 2009).

2L’exploitation du LiDAR aéroporté a particulièrement été effective dans l’est de la France, notamment dans la région Grand-Est, regroupant près d’un quart des campagnes nationales en 2021 (Georges-Leroy, 2022).

Quelques études de cas en France

3Dans la forêt de Haye, les formes en élévation sur les calcaires du Bajocien déterminent un réseau parcellaire, viaire et de bâti (Georges-Leroy et al., 2011) et secondairement des réseaux de fossés périphériques à la forêt appelé woodbank¹ (2 % vs 98 % parcellaire). Dans la forêt de Trois-Fontaines, au contact des formations argilo-sableuses du Crétacé et des formations calcaires du Tithonien, des formes karstiques naturelles se dégagent (Bensaadi, 2020). Ailleurs, dans les plaines charentaises, ce sont les charbonnières qui sont davantage étudiées (Rassat et al., 2015). Enfin, sur la craie Champenoise du secteur de Reims ou sur les calcaires de l’Oxfordien à Verdun, les polémoformes de la Première Guerre mondiale déterminent essentiellement des réseaux de fossés correspondant à des réseaux de défense (tranchées, boyaux) (Taborelli et al., 2017 ; De Matos-Machado et al., 2016).

4En revanche, dans les espaces à faible pierrosité comme en contexte argileux en Montagne de Reims, l’absence de matériaux cohérents semble diversifier l’usage des fossés habituellement réservés aux woodbank (David, 2019). Par exemple dans ce contexte, la délimitation du parcellaire se fait non plus par des murets en pierre sèche mais par des fossés.

Problématique

5L’objet de cette contribution est de caractériser ces anomalies topographiques creuses en s’intéressant à leur organisation spatiale. Pour les dispositifs à fonctionnement hydrologique, il s’agit d’évaluer les conséquences de leur intégration aux hydrosystèmes existants.

6Pour répondre à cette problématique, la Montagne de Reims est choisie comme zone atelier.

Site d’étude

Contexte géographique

Fig. 1 : Carte géologique de la Montagne de Reims et de ses environs

7La Montagne de Reims, qui culmine à 296 m, correspond à la terminaison orientale des plateaux tertiaires du Bassin parisien. Elle forme le revers de la Côte d’Île-de-France qui constitue l’interfluve séparant les vallées de la Marne (au sud) et de la Vesle (au nord ; fig. 1). Il s’agit d’un plateau très incisé par le réseau hydrographique de la Livre et de l’Ardre supérieur. Il est divisé en trois plateaux (Saint-Basle, Ville-en-Selve, Saint-Imoges), coiffés par les Argiles à Meulières et des limons, qui dominent d’environ 200 m le plateau de Champagne sèche (ou Champagne crayeuse).

8Le plateau de la Montagne de Reims présente un caractère humide notable, lié aux Argiles à meulières, sur lesquelles se concentrent de nombreux secteurs marécageux et dû à la présence des limons des plateaux qui produisent localement des sols hydromorphes.

9Sur les versants, les formations géologiques du Paléocène sont bien plus filtrantes du fait de la présence des sables et des calcarénites qui recouvrent la craie de champagne. Cet espace de contact lithostratigraphique est matérialisé par la présence d’un alignement de gouffres et de dolines² le long d’un front de karstification, qui absorbe localement les écoulements du plateau (Berthe et al., 2021, 2022).

10Enfin la concomitance du caractère argileux du sol et de la présence d’un couvert forestier dense (taux de couverture forestière d’environ 67 %) induit l’existence de conditions environnementales favorables à l’entretien de zones humides à fort potentiel de patrimonialisation géohistorique (PNR MR, Forêt d’Exception®, Unesco) et biologique (ZNIEFF³, Natura 2000, Réserve biologique dirigée de l’ONF).

Contextes historique et archéologique

11La dualité entre les plateaux humides de la Montagne de Reims et la « Champagne sèche » s’exprime également dans l’occupation du sol. La Montagne de Reims fait état d’une exploitation intermittente et très hétérogène qui semble être dominée par des activités sylvo-forestières impliquant des acteurs privés. En contrebas Reims et Épernay autrefois nommés respectivement Durocortorum et Sparnacum, constituent deux sites d’occupation antiques majeurs, implantés au centre des entonnoirs de percée cataclinale⁴, respectivement creusés par la Vesle et la Marne (Laratte, 2022). La Champagne crayeuse connaît une occupation relativement précoce et plurielle dès le Néolithique. Elle se concrétise par une déforestation totale dans les fonds de vallée et le développement massif d’activités agricoles et pastorales, notamment ovines durant l’Antiquité (Devos et al., 2022). Les différentes sources textuelles mettent en évidence que la Montagne de Reims est un espace occupé par des seigneuries et par des abbayes (Saint-Basle, Hautvillier, Saint-Nicaise) à l’époque médiévale (Demaison, 1900 ; Demaison et Robert, 1931 ; Robert 1940), que ces derniers l’aménagent pour pratiquer la pisciculture, l’agriculture du chanvre et l’élevage. Elle est ensuite reconvertie pour une utilisation uniquement forestière (sylviculture, charbonnage) par les religieux de Reims jusqu’à la Révolution française, durant laquelle toutes les forêts sont achetées par des particuliers.

12Les recherches archéologiques en Montagne de Reims sont peu nombreuses avec 200 « découvertes » archéologiques recensées dans la Carte archéologique de la Gaule sur les 68 communes (Chossenot, 2004). On peut attribuer cette méconnaissance d’une part à la faible piérosité du milieu (structure archéologique d’ordre taphonomique), d’autre part à l’absence d’études préventives dans le cadre d’aménagement du territoire mais également au régime foncier du sol largement privé et voué à la forêt (78 % des forêts sont privées).

13Les sites remarquables comme le site de l’ancienne abbaye de Saint-Basle à Verzy ou l’ancien château de Vernay (Eliciel, 1994) ont fait l’objet de fouilles et de sondages sauvages organisés par des collectionneurs privés.

14Toutefois le relevé LiDAR réalisé en Montagne de Reims en 2018 a mis en évidence de nouveaux sites archéologiques comme l’ancien château de Germaine ou l’ancienne abbaye de Sermiers (David, 2019). Ces travaux ont également mis en évidence de nombreuses structures surfaciques, linéaires et ponctuelles en creux ou en élévation.

Matériels et méthodes

15Un inventaire cartographique exhaustif du linéaire de fossés a été réalisé sur une zone atelier de 245 km² correspondant à l’emprise spatiale de l’acquisition LiDAR de la Montagne de Reims produit en 2018. Cela a été rendu possible grâce à l’exploitation d’un modèle numérique de terrain à très haute résolution, généré à partir du nuage de points émanant de cette campagne LiDAR, par l’intermédiaire d’une stratégie d’enregistrement cartographique.

16De nombreuses études LiDAR mettent en évidence des formes naturelles et des structures archéologiques très diversifiées par l’intermédiaire de typologies historiques⁵(Georges-Leroy, 2020) ou morphologiques⁶ (De Matos-Machado, 2018).

17Ces approches permettent de saisir les caractéristiques et la variété des anomalies topographiques, qu’elles soient naturelles ou anthropiques. Toutefois, en Montagne de Reims, l’approche historique implique également l’utilisation d’une méthode de datation indirecte, basée sur l’étude diachronique des plans, des archives, de la bibliographie et des rapports archéologiques afin de mieux définir le phasage de l’occupation humaine de ce plateau forestier.

Paramètres d’acquisitions du vol LiDAR

Tabl. 1 : Paramètres du LiDAR

18La campagne LiDAR de la Montagne de Reims couvre 245 km² correspondant à environ 80 % de la surface forestière du Parc Naturel Régional éponyme (fig. 1).

19L’acquisition aéroportée a été réalisée à la fin de l’hiver 2018, dans des conditions météorologiques et phénologiques optimales (litière dégradée, absence de feuilles pour les peuplements caducifoliés, débourrement des bourgeons non entamés) (tabl. 1).

20Les paramètres de vol, en particulier le taux de recouvrement, l’angle de scan et le capteur utilisé, ont abouti à l’acquisition d’un nuage de points « sol » possédant une densité moyenne d’environ 13 pts/m² et une bonne isotropie⁷ (Ancelin et al., 2022). Cette densité élevée est restituée sous la forme d’un modèle numérique de terrain dont la haute résolution, latérale et verticale, permet une exploitation à des fins archéologiques des informations topographiques qu’il contient (Georges-Leroy et al., 2011).

Traitements de visualisation

Fig. 2 : Exemple de traitement LiDAR

21Afin de pouvoir interpréter le modèle numérique de terrain en faisant ressortir la microtopographie, divers indices de visualisation, classiques et standardisés en archéologie, ont été réalisés via le logiciel RVT⁸ (Kokalj et Somrak, 2019). Afin de faciliter la manipulation des données et d’optimiser le temps de calcul, les 1 079 dalles de modèle numérique de terrain de base ont été fusionnées en un seul raster.

22Ce raster a été recalculé via RVT pour produire différents modèles tels que :

• l’ombrage multidirectionnel, somme de rasters ombrés d’azimuts différents, afin de pallier les défauts de l’ombrage unidirectionnel en négligeant les ombres portées (Devereux et al., 2008 ; Nuninger et al., 2010) ;

• le Sky-view Factor (SVF) simule une illumination diffuse (Kokalj et al., 2011), dont l’efficience dans la détection de structures archéologiques est largement démontrée (Kokalj et al., 2011 ; Zakšek et al., 2011 ; Chase et al., 2017 ; Nuninger et al., 2010 ; De Matos-Machado, 2018) (fig. 2) ;

• le modèle de relief local (Local Relief Model ou LRM) pour sa capacité à révéler les concavités et les convexités du terrain (Hesse, 2010).

Cartographie et analyses morphométriques

23Les anomalies topographiques ont été numérisées avec l’appui d’un protocole préalablement déterminé qui favorise la transparence et la reproductibilité des méthodes employées (Georges-Leroy et al., 2011).

24Chaque type d’anomalie est défini par rapport à ses caractéristiques morphologiques. À partir de ces définitions, des normes cartographiques sont émises. Elles ont pour but de conditionner les choix d’individualisation des entités, d’expliciter le type de vecteur choisi (point, polyligne, polygone) et la manière dont elles sont digitalisées. Pour faciliter leur reconnaissance, leur signature topographique et leur signature morphologique agrémentent le protocole sous la forme d’un exemple de profil topographique et d’une vue en plan associée, établie selon un mode de visualisation jugé efficace pour la détection de chaque type d’anomalie.

25Plusieurs analyses morphométriques ont été menées, à partir du linéaire de fossés cartographié et du modèle numérique de terrain, afin d’apprécier le degré d’anthropisation de l’hydrosystème :

• la sinuosité du tracé, dans le but de discriminer les drains anormalement rectilignes ;

• le profil transversal pour décrire la section mouillée du chenal plein bord (présence de bourrelets, de formes emboîtées) ;

• le profil en long des fossés, témoignant ou non d’une régularisation ;

• le profil en long de la ligne d’eau artificialisée par l’ouvrage hydraulique.

26Pour ce dernier profil en long, la haute vallée de la Lingonne a été utilisée comme bassin versant atelier pour illustrer l’anthropisation des milieux. Le taux d’équipement a été déterminé en fonction du rapport du linéaire dont la ligne d’eau est artificialisée et du linéaire total.

27Par ailleurs, la cartographie des fossés, objets d’étude principaux, permet de mieux cerner leurs caractéristiques et de proposer des typologies selon trois approches, pour ensuite réaliser des statistiques sur leur fréquence d’apparition par rapport à l’effectif total :

• une typologie morpho-spatiale selon leur forme et leur organisation spatiale ;

• une typologie génétique, dans notre zone d’étude la faible pierrosité implique que les formes linéaires peuvent correspondre à différentes formes archéologiques, tels que du parcellaire, des réseaux de drainage associés ou non aux réseaux viaires, et des woodbanks ;

• une typologie hydrologique basée sur les différents types d’exutoires, naturels ou anthropiques, qui replacent chaque forme ou structure dans l’hydrosystème.

28Le modèle numérique de terrain et les traitements numériques dérivés ont également été utilisés pour inventorier les ouvrages hydrauliques (barrages, digues) ou toute sorte d’aménagement associé à une prise d’eau ou à un plan d’eau.

Croisement des bases de données et caractérisation des anomalies topographiques

Tabl. 2 : Corpus des archives planimétriques

29En supplément de l’approche morphométrique, un croisement de documents, archéologiques et planimétriques, a été réalisé pour caractériser des formes révélées par le LiDAR et les valider. Bien que teintées d’une subjectivité croissante et d’une précision décroissante à mesure que l’on remonte dans le temps, ces archives apportent une vision plus claire du paysage et de l’environnement par les contemporains et sont précieuses pour leur apport diachronique permettant d’étudier leur évolution (Crozet et al., 2017).

30L’archéologie, généralement salvatrice pour les périodes antérieures au xviii^e siècle et non documentées par des sources textuelles suffisamment représentatives de l’évolution des hydrosystèmes, n’apporte que peu d’éléments de réponse dans un milieu historiquement forestier, au sein duquel les opérations d’archéologie préventive sont très rares, et les opérations de fouilles programmées anciennes (xix^e siècle), sauvages et destinées à alimenter des collections privées ou des musées locaux.

31Les rares recherches archéologiques d’intérêt portent sur des occupations gallo-romaines essentiellement tournées vers l’exploitation de géomatériaux locaux (argile, sol ferralitique) et la production de terre cuite architecturale (Chossenot et al., 2004 ; Deru et al., 2005), mais aussi sur des occupations médiévales liées à la production et l’usage de carreaux vernissés (Eliciel, 1994).

32Les critères de sélection des documents cartographiques et planimétriques anciens, utilisés via leur géoréférencement, sont la qualité, l’emprise, leur disponibilité et leur thématique morphogène⁹ (tabl. 2). À titre d’exemple, la carte minéralogique de la Champagne (1770, dite de Guettard) est utilisée pour l’inventaire des carrières. Le cadastre napoléonien restitue de précieuses informations dans l’étude des zones humides, des morphologies du parcellaire et hydrologiques, voire limnologiques, concernant la présence de plans d’eau au début du xix^e siècle (Bartout, 2011). Enfin, les plans directeurs des Groupes de Canevas de Tir des Armées¹⁰(GCTA ; Combaud et al., 2016), et leur numérisation, révèlent quels fossés sont intégrés aux réseaux de défense pendant la Première Guerre mondiale (Taborelli, 2018).

33Les documents cartographiques et planimétriques ont été géoréférencés via le logiciel Arcmap de ArcGIS 10.3 avec l’utilisation moyenne de 10 points d’amer¹¹et selon la méthode polynomiale 1er degré¹². Cette attribution de coordonnées projetées permet le croisement de ces diverses couches d’information spatiale avec le modèle numérique de terrain LiDAR et les couches vecteurs créées lors de la compilation cartographique.

34In fine, le repositionnement de chaque objet, archéologique ou non, dans son contexte historique, permet d’agrémenter le SIG « Montagne de Reims » préexistant de différentes banques de données (BD) thématiques liées à la gestion de l’hydrosystème du plateau (fig. 3).

Fig. 3 : Organisation du SIG Montagne de Reims

35Les formes associées à la géomorphologie dynamique (exokarst, niches d’arrachement de mouvement de terrain, vallons) sont distinguées des formes structurales comme les replats et les failles. Les structures anthropiques sont également catégorisées en fossés, ouvrages hydrauliques, parcellaires anciens, sites d’extraction de géomatériaux, polémoformes, réseaux viaires et charbonnières.

Résultats

Inventaires des « Fossés »

Cartographie

Fig. 4 : Cartographie des fossés dans l’emprise de la campagne LiDAR Montagne de Reims

36La cartographie des fossés visibles sur le modèle numérique de terrain LiDAR atteste de l’omniprésence de ces structures drainantes (fig. 4). Les 791 réseaux de fossés ont été mis en évidence par la cohérence de leur organisation spatiale, et l’existence d’un exutoire¹³ simple ou multiple. Cela correspond à un développement total de 650 km sur 245 km², débouchant sur une densité moyenne linéaire d’environ 2,6 km/km². Cette statistique revêt une forte hétérogénéité spatiale au sein de l’emprise du secteur d’étude du fait de la concentration majoritaire des fossés sur les plateaux sur lesquels la densité s’élève à 4,3 km/km² (403 km/94 km²), contre 1,6 km/km² retrouvé sur les versants (151 km sur 235 km²).

37Ces chiffres cachent de fortes disparités spatiales avec des secteurs à très forte densité apparente comme sur le plateau de Saint-Basle.

Typologie et analyses statistiques des réseaux de fossés

38Les réseaux de fossés peuvent être analysés selon différents critères, le plus abordable d’entre eux étant l’étude de l’organisation spatiale des fossés qui constituent le réseau. Cette typologie s’organise en trois groupes.

39Parmi les trois groupes, deux groupes sont hiérarchisés, les réseaux simples présentant une seule organisation spatiale et les réseaux mixtes et composés en présentant respectivement deux ou plus de deux organisations spatiales.

40Les réseaux composés et mixtes sont constitués de la fusion de deux ou plus réseaux simples.

41Le troisième groupe est constitué des drains présentant une cohérence spatiale sans connexion hydraulique (fig. 5).

Fig. 5 : Typologie morphologique des réseaux de fossés

42De façon plus précise les réseaux hiérarchisés sont composés de deux types. Le premier regroupe des réseaux qui possèdent une véritable organisation de leurs fossés, hiérarchisés autour d’un collecteur. C’est le cas des réseaux dendritiques (hiérarchisation), en peigne (une série de fossés parallèles se jetant dans un collecteur périphérique en aval), en plume (un fossé collecteur central collectant une série de fossés uniques/élémentaires) et polygonaux (réseau formant des polygones caractéristiques).

43Le second type regroupe les fossés uniques/élémentaires ou multiples sans connexion, tels que les drains élémentaires (fossé à la géométrie simple), les drains périphériques (fossé unique à la géométrie complexe) et le chevelu de drains (fossés multiples, sans drain collecteur).

44La typologie morphologique des réseaux de fossés montre que la majeure partie de ces réseaux s’organise de façon dendritique (30 %) ou mixtes (20 %) donc de manière hiérarchisée vers un drain collecteur. Les autres types morphologiques (unique, polygonal, peigne, périphérique, plume, chevelu, composé) constituent chacun moins de 10 % de l’effectif total.

45La typologie hydrologique repose sur le type d’exutoire des réseaux de fossés. Il peut être naturel lorsque le fossé est en tête d’un cours d’eau (rhéocrène) ou d’un phénomène exokarstique (gouffre et doline) lui affectant un caractère endoréique¹⁴ (fig. 6).

Fig. 6 : Typologie hydrologique des réseaux de fossés

46L’exutoire peut également être d’origine anthropique s’il correspond à un autre réseau de fossés, à un plan d’eau aménagé comme des douves, des étangs etc. (exutoire limnocrène¹⁵) ou à un ouvrage de drainage souterrain (buse). Enfin, certains réseaux se distinguent par un écoulement diffus sur les versants sans exutoire.

47La distribution de la typologie hydrologique témoigne d’une grande diversité des types d’exutoire, qu’ils soient anthropiques ou naturels. En possédant presque tous un exutoire (env. 95 %), ces réseaux de fossés affectent nécessairement les écoulements en Montagne de Reims en s’intégrant à l’hydrosystème et en contribuant à la modification des modalités de concentration des eaux.

48Enfin, une dernière typologie sur l’usage historique des réseaux de fossés peut être proposée. Dans l’état actuel des connaissances, la typologie génétique se base uniquement sur une approche interprétative des structures encore présentes et sur le croisement avec des données archivistiques largement incomplètes. Dans certaines organisations parcellaires, les réseaux de fossés peuvent matérialiser des paléo-limites de parcelles potentiellement drainantes (woodbank attestés par le cadastre). La fonction de ces réseaux de fossés peut également être dédiée au drainage (fossés en parallèle du réseau viaire), purement agricoles, tel qu’à l’intérieur des paléo-parcelles culturales (billons, ados, planches ; Sittler et Hauger, 2007) ou encore produits dans le but d’abonnir¹⁶ des milieux palustres en évacuant l’eau des zones humides (drainage superficiel). On retrouve enfin des fossés voués à l’adduction de l’eau, d’une pièce d’eau vers un exutoire (fig. 7).

49La distribution de la typologie génétique montre clairement que la majorité des fossés (60 %) sert à évacuer les eaux excédentaires, que ce soit par le creusement de véritables fossés ou par des pratiques agricoles comme les billons de cultures.

50La volonté d’évacuer les eaux et de lutter contre l’hydromorphie des sols semble sans équivoque. Les réseaux de fossés sont nombreux et denses, et manifestement bien structurés et hiérarchisés afin d’optimiser l’efficacité du drainage, tel que l’exprime la situation des exutoires, le plus souvent situés sur les versants (donc à l’extérieur des plateaux). Cette cohérence systémique apparente, révélée par la reconstitution LiDAR de la microtopographie à un moment donné, invite à être questionnée et relativisée. L’apport diachronique des données archivistiques permet ainsi de révéler le multiphasage de la morphogenèse de ces formes et structures qui bouleversent l’hydrosystème, et les pratiques sylvicoles et agricoles qui les génèrent.

Fig. 7 : Typologie génétique des réseaux de fossés

Études de cas : Les ouvrages hydrauliques de la haute vallée de la Lingonne

51La Lingonne est un affluent direct de la Livre, rivière tributaire de la Marne (fig. 1). La haute vallée de la Lingonne a été choisie comme secteur expérimental pour apprécier l’anthropisation de l’hydrosystème car elle fait l’objet d’un fond archivistique, notamment planimétrique, suffisamment fiable pour établir une reconstitution diachronique de l’hydrosystème.

52Le traitement des images LiDAR permet de restituer l’équipement hydraulique et l’anthropisation de la haute vallée de la Lingonne par le dénombrement de 9 barrages (fig. 8A). Ces ouvrages correspondent plus précisément à des digues transversales au talweg¹⁷ qui sont généralement étagées, ce qui forme un chaînage d’étang, modifiant fortement le profil en long de la ligne d’eau (fig. 8B). La reconstitution du profil en long et des différentes hauteurs de chute maximales témoigne d’une anthropisation quasiment totale du drain principal (en bleu sur la figure 8) du cours d’eau, pour lequel le taux d’équipement est de 95 %. Cette anthropisation s’exprime également par l’existence de plusieurs réseaux de drainages artificiels connexes qui sont connectés au cours d’eau, notamment dans le secteur du Château de Vernay. De ce fait, 90 % des écoulements dans la vallée de la Lingonne se font dans des talwegs aménagés et dans des fossés de drainage au détriment des talwegs naturels (fig. 8A).

53Ce recalibrage des talwegs, principaux ou secondaires, concerne deux tiers du linéaire cartographié. Il est reconnaissable par le caractère rectiligne des tronçons et par des profils transversaux caractéristiques des drains : creusement en « V » avec bourrelet de rive en élévation.

Fig. 8 : Étude hydrologique de la vallée de la Lingonne

54La mise en parallèle des documents planimétriques de 1620 à 2018 et du profil en long de la ligne d’eau fait clairement ressortir le changement de tracé du drain principal. Au xviii^e siècle l’écoulement se dirige ostensiblement vers une tour en ruine dans le bassin versant de la Germaine (fig. 9), alors qu’un gouffre karstique fait aujourd’hui office d’exutoire dans le bassin versant de la Lingonne. Cette avulsion¹⁸ d’origine anthropique induit des externalités hydrologiques modifiant les écoulements de surface et souterrains.

55Par ailleurs, le chaînage d’étang observé est le résultat d’aménagements hydrauliques successifs, antérieurs au xvii^e siècle et dont le nombre évolue de 7 à 9 plans d’eau de 1620 à 1827. La comparaison entre les données archivistiques et le profil en long permet l’attribution de bornes temporelles à la création de chaque ouvrage, faisant ainsi ressortir le polyphasage des aménagements hydrauliques.

56Les documents établis depuis la Première Guerre mondiale font état de l’assèchement des plans d’eau, probablement important, au xix^e siècle, à l’arrêt de l’activité piscicole et au creusement de nombreux fossés de drainage entraînant l’assèchement général des zones humides de la Montagne de Reims (Eliciel, 1994).

57L’exemple de la vallée de la Lingonne illustre le poids considérable que peuvent avoir les aménagements hydrauliques dans le fonctionnement d’un hydrosystème fortement anthropisé, avec une densité de 1 barrage pour 2 km² de bassin versant (9 barrages pour 18 km²). Toutefois, ces ouvrages sont strictement circonscrits sur les plateaux, ce qui témoigne d’une pression anthropique supérieure sur ces derniers. De plus, les morphologies révélées par le LiDAR ne sont pas systématiquement synchrones mais s’intègrent dans plusieurs périodes historiques avec un phasage caractéristique qui restera à approfondir. Ces nombreux équipements hydrauliques, concentrés sur les plateaux et la longueur élevée de linéaire de fossés organisés en réseaux, rendent particulièrement tangible l’anthropisation de l’hydrosystème de la Montagne de Reims.

Fig. 9 : Étude diachronique de la haute vallée de la Lingonne

Discussion

Fig. 10 : Évolution du paysage de la Montagne de Reims

58Au sein de la Montagne de Reims, massif aujourd’hui forestier, l’occupation humaine apparaît relativement faible et ancienne. Les témoins les plus marquants sont trois vestiges de châteaux forts médiévaux (château de Verzenay, tour ruiné de Germaine, douve de la forêt des bâtis) et trois vestiges d’abbayes (Saint-Basle, Hauviller, dépendance de Saint-Nicaise), ainsi que deux fermes et environ un millier de sites de charbonnage (David, 2019).

59Malgré cela, on observe une artificialisation exacerbée de l’hydrosystème, particulièrement à la surface des plateaux. Cela témoigne d’une volonté d’aménagement d’un espace naturellement peu propice à l’installation humaine, du fait de son isolement géographique, de la présence de zones humides et de sols hydromorphes lourds. Pour cela, l’excès d’eau pédologique est concentré, des plateaux vers les versants, dans des exutoires naturels (gouffres, ravins de raccordement, ruisseaux) ou anthropiques pour un usage particulier (pisciculture).

60Le caractère tardif des archives à disposition incite à l’utilisation d’autres approches, telles que l’interprétation des données palynologiques, afin de proposer un phasage de l’anthropisation de l’hydrosystème. Le secteur de la Montagne de Reims bénéficie à ce titre d’une étude réalisée sur une tourbière à Verzy, à l’est du plateau de Saint-Basle (Ruffaldi, 2011). L’auteur y propose un diagramme pollinique, sur une épaisseur d’environ 5 m, indiquant une occupation humaine intermittente depuis 2 250 ans.

61Pour la période de la Protohistoire, l’âge du Fer se traduit principalement dans la région par une colonisation forestière importante marquée par une prédominance d’espèces hygrophiles (fig. 10), concordant avec les conditions hydromorphes des sols générés par les Argiles à meulières des plateaux. La présence de Poacées¹⁹ témoigne probablement d’activités agropastorales dédiées essentiellement à l’élevage. Cette pression humaine semble diminuer à la transition de l’Époque gallo-romaine et du Haut Moyen Âge à la faveur d’une reconquête forestière. Il est possible d’envisager que la faible valeur agronomique des sols induise cependant une pression moindre en Montagne de Reims.

62Le Moyen Âge s’accompagne d’une pression anthropique croissante, matérialisée par des déboisements. Parallèlement, les cultures associées à l’élevage (indiquée par la présence de Poacées) et la culture chanvricole (chenevières) s’intensifient. Ces dernières cultures sont associées à une augmentation de la présence d’espèces aquatiques, ce qui suggère une gestion alternée entre pisciculture et agriculture. Dans la Montagne de Reims, cela correspond non seulement à un enchâtellement du milieu mais aussi à l’aménagement hydraulique des plateaux (barrage, digue, étang).

63L’Époque moderne fait état d’une disparition des cultures du chanvre ainsi qu’un enfrichement progressif avec une persistance des activités d’élevage. La diminution de la proportion de plantes aquatiques évoque une baisse de la surface en eau. Ce qui suggère la mise en place de réseaux de fossés de drainage, afin de mettre en assec les étangs, et d’un « ensauvagement » généralisé qui s’exprime par la prolifération des plantes de milieux tourbeux (sphaigne) et de plantes hygrophiles (cyperaceae) : les zones humides, perçues comme des milieux répulsifs, sont drainées pour un usage forestier, charbonnier et sylvicole.

64La culture du chanvre est progressivement abandonnée pour des raisons écologiques (pollution des cours d’eau) et un véritable arsenal législatif de lutte contre les zones humides confirme leur assèchement dans un contexte de démantèlement des propriétés seigneuriales et abbatiales post-révolution (Derex, 2006). Les réseaux de fossés semblent s’inscrire dans cette dynamique d’assèchement des plateaux.

65Depuis le xix^e siècle la recolonisation forestière s’accélère en parallèle d’une disparition des prairies, ce qui implique une fermeture des paysages et des milieux.

66Pendant la Première Guerre mondiale, au début du xx^e siècle, les plans directeurs des GCTA permettent de replacer la Montagne de Reims en quatrième position de défense française, située à environ 20 km du no man’s land séparant les belligérants (Taborelli, 2018). À cette occasion, l’armée française dote le plateau d’un nouveau réseau de fossés sans vocation hydrologique. Celui-ci correspond à des boyaux de communication et des tranchées de combat (Devos et al., 2015), ainsi qu’a un ensemble d’infrastructures militaires logistiques et offensives (e.g. les voies de chemin de fer courbées dédiées à l’artillerie lourde sur voie ferrée ou les batteries d’artillerie sur affût fixe ; Perarnau et al., 2022). En outre, les tirs d’artillerie allemands sur le plateau ont provoqué l’apparition d’une multitude de cratères d’obus ayant « bombturbé » le terrain. Cette bombturbation (Hupy et Schaetzl, 2006) fut accompagnée par un remaniement pédologique (« pédoturbation »), de nombreuses pollutions (Cao, 2020) et d’une quantité très élevée de polémoformes (ou traces morphologiques d’origine polémologique), qui font de la Grande Guerre un évènement morphogène majeur de l’histoire ayant bouleversé l’hydrosystème (Taborelli, 2018).

67Depuis les années 1970 et l’émergence d’une conscience écologique collective (Derex, 2006), les zones humides sont de plus en plus sanctuarisées par l’intermédiaire d’une pluralité de dispositifs de protection (Natura 2000, ZNIEFF, Réserve biologique dirigée). Cette protection est entretenue par la proximité de Reims et d’Épernay, dont les populations, urbaines comme rurales, considèrent la Montagne de Reims comme un poumon vert et un espace d’agrément.

68Finalement, l’analyse du diagramme pollinique, produit par Pascales Ruffaldi en 2011, confirme l’évolution classique des zones humides métropolitaines avec un phasage caractéristique qui s’explique par une pression humaine évoluant dans le temps.

69À ce titre, le paysage topographique révélé par l’acquisition LiDAR aéroporté constitue un véritable palimpseste des pratiques et des occupations humaines morphogènes. En Montagne de Reims, la disparition progressive et partielle des zones humides, la déprise agraire et l’intensification des activités sylvicoles tendent à conserver les morphologies antérieures, la couverture arborée agissant comme un bouclier à l’encontre des pressions climatiques et anthropiques (agriculture intensive, étalement urbain ; Thorne, 1990 ; Georges-Leroy et al., 2009). À l’image des forêts de l’est de la France (Georges-Leroy, 2020 ; Ritz, 2020 ; Ancelin, 2022 ; Fruchart, 2014), la Montagne de Reims porte l’empreinte de l’occupation humaine et constitue un véritable conservatoire des pratiques morphogènes des sociétés.

70Dans ce milieu à faible valeur agronomique, et à faible pierrosité, les morphologies les plus prégnantes sont paradoxalement celles associées aux politiques de disparition des zones humides par le drainage superficiel. À la différence des plateaux calcaires de l’est de la France à plus forte valeur agricole, comme le plateau de Haye (Georges-Leroy, 2020), les structures agraires et parcellaires sont minoritaires pour ce plateau argileux (Guillerme, 1997).

Conclusion

71L’apport du LiDAR permet incontestablement d’améliorer la compréhension des hydrosystèmes en Montagne de Reims. C’est notamment le cas en terrain privé, traditionnellement très peu accessible en prospection pédestre, qui constitue 78 % de l’espace forestier dans le PNR MR. La restitution des actions morphogènes des sociétés anciennes, et l’appréhension de l’occupation du sol, très marquée par l’action anthropique, invitent à envisager l’hydrosystème comme un anthroposystème, le fait humain étant un facteur explicatif prépondérant dans sa composante surfacique (Carcaud, 2004).

72L’activité humaine est intermittente depuis l’Époque protohistorique. Elle s’organise en quatre phases principales qui se calquent globalement sur les grandes périodes de l’Histoire :

• une période antique peu morphogène, un Moyen Âge caractérisé par un enchâtellement généralisé et la réalisation d’aménagements hydrauliques connexes ;

• une époque moderne qui se caractérise principalement par un drainage massif des zones humides, découlant d’une réelle volonté politique et territoriale ;

• une époque contemporaine marquée, au xx^e siècle, par deux conflits armés, dont un premier très morphogène, et dans la seconde moitié, par un renouveau patrimonial des zones humides.

73Dans ce milieu répulsif hydromorphe, palustre et humide, les formes les plus présentent révélées par le modèle numérique de terrain LiDAR sont les fossés, dont la principal dynamique est le drainage qui s’oppose directement à la nature du milieu. Leur densité induit un forçage sur les conditions d’écoulement qui modifie les dynamiques hydrologiques des versants, espaces périphériques qui concentrent les exutoires des réseaux (karst, mouvements de terrain, ravins, cours d’eau).

74Les processus géomorphologiques atténuent ces formes par sédimentation, fluage des bords ou érosion. En conséquence, leur détection devient inversement proportionnelle à leur âge, tendant ainsi à renforcer l’empreinte des Époque moderne et contemporaine, au détriment des Époques plus anciennes.

75À ce titre, la connaissance de l’anthropisation des hydrosystèmes nécessite d’autres approches, en particulier archéologiques (sondage, fouille, microscopie) sur des structures d’ordre taphonomique. Compte tenu de la déprise rurale et de la reconquête forestière généralisée depuis le xix^e siècle, la Montagne de Reims concentre de nombreux sites propices à l’enregistrement sédimentaire, dont l’analyse permettrait d’affiner cette étude de l’hydrosystème du plateau.

76De même, le développement d’une approche hydrométrique et hydrochimique des mares, des ravins et des systèmes karstiques agrémenterait la compréhension de son fonctionnement hydrodynamique.