Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale
|Le rachat des redevances en nature en Dauphiné et en Savoie à la fin du Moyen Âge, d’après les venditiones des comptes de châtellenie (xiiie-xve siècle)
Texte intégral
- 1 Savoie : B. Demotz, « Une clé de la réussite d’une principauté aux xiiie et xive siècles : naissan (...)
1Issues du démembrement de l’ancien royaume de Bourgogne, rivales au xiie et surtout au xiiie siècle, les principautés savoyarde et dauphinoise ont eu par la suite des destinées bien différentes : le Dauphiné entre dans l’orbite française avec le « Transport » de 1349, tandis que les comtes puis ducs de Savoie, souverains de fait sinon de droit, créent des deux côtés des Alpes un État finalement pérenne, malgré les crises qu’il traverse au xve siècle. Les divergences n’empêchent pas les échanges d’informations, de pratiques et même de personnel, en sorte que l’histoire institutionnelle des deux principautés présente bien des ressemblances. Depuis le xiie siècle au moins, le dauphin et le comte de Savoie ont quadrillé les territoires soumis à leur domination en mandements appelés châtellenies, lesquels sont regroupés en bailliages au xiiie siècle. Le châtelain de la fin du Moyen Âge est un officier révocable à merci. Il assure la défense militaire du mandement, rend la justice, lève les redevances seigneuriales et les premiers impôts publics, et, le cas échéant, supervise l’exploitation de la réserve seigneuriale. Chaque année, sa comptabilité est mise au propre par des receveurs des comptes, puis vérifiée par des auditeurs. Ces officiers s’organisent progressivement en Chambres des comptes. Celle de Savoie fait l’objet d’un premier statut en 1351 et d’un autre en 1389. Le fonctionnement de celle de Dauphiné est codifié par le roi de France Charles V en 13671. Mais ces textes législatifs précisent et codifient des pratiques qui remontent au siècle précédent, comme en témoignent les comptes de châtellenie qui nous sont parvenus par milliers.
2Se présentant matériellement sous la forme de rouleaux de parchemin ou de cahiers de papier, ces documents ont une structure qui varie dans le détail jusqu’aux premiers statuts des Chambres des comptes et se fixent par la suite. Voici comment ils se présentent dans l’une et l’autre principautés à la fin du xive siècle :
- Apparaissent d’abord les recettes perçues en nature. Ces produits agricoles et parfois manufacturés sont classés par denrées (virtuallie). Ce sont principalement des cens en nature, à quoi s’ajoutent parfois les produits issus de l’exploitation de la réserve, les recettes des banalités et celles des quelques dîmes encore contrôlées par les princes à la fin du Moyen Âge.
- Les recettes en argent, quant à elles, sont classées selon un ordre juridique : cens en argent, tailles, bans, fermes, etc. Elles sont perçues en diverses monnaies.
- Viennent les dépenses engagées par le châtelain, qui sont elles aussi en argent ou en nature : salaires, frais de construction ou d’entretien du château, livraisons de denrées agricoles à l’hôtel du prince, aumônes, etc.
- Le châtelain peut ensuite établir, pour chaque denrée et chaque monnaie, un solde positif (sous la forme et sic debet idem castellanus), ou négatif (et sic debentur eidem castellano).
- À la fin du compte se trouve la rubrique venditiones. C’est là qu’est inscrit le produit de la « vente » du produit des recettes en nature, lorsque leur solde est positif, ce qui est le cas le plus fréquent.
- Le châtelain peut enfin établir un solde général en argent, avec cette fois un change des monnaies utilisées dans la monnaie de compte la plus courante.
- 2 Elle apparaît en Savoie dès les comptes de châtellenie de 1257-1258, conservés pour les mandements (...)
3C’est la rubrique des venditiones qui va faire l’objet de toute notre attention. Présente dès les plus anciens comptes de châtellenie conservés2, on la trouve d’abord parmi les recettes, avant qu’elle ne passe en fin de compte. Pour chaque denrée est indiquée la quantité vendue, le prix à la pièce ou à l’unité de capacité élémentaire, enfin la recette de la vente. Mais, sous cette apparente uniformité, se cachent en fait deux pratiques différentes : certaines denrées ne sont pas réellement levées, mais rachetées par les redevables eux-mêmes, qui acquittent directement une somme d’argent. D’autres, en revanche, sont réellement perçues puis revendues selon une procédure qui se fixe au tournant des xive et xve siècles. L’étude de ces deux types de venditiones est riche d’enseignements sur la conscience que les administrations princières avaient des phénomènes inflationnistes et des menaces qu’ils faisaient peser sur les revenus seigneuriaux, ainsi que sur leur capacité à y réagir.
La perception en argent de redevances spécifiées en nature
Deux types de « prix de vente »
- 3 La seigneurie de Faucigny recouvre approximativement les massifs entourant le mont Blanc et la val (...)
- 4 Les données conservées concernent la châtellenie genevoise de Charousse entre 1331 et 1533, les ch (...)
4Dans une thèse consacrée à l’économie et à la société du Faucigny à la fin du Moyen Âge, j’ai eu naguère l’occasion d’examiner les venditiones des comptes dauphinois, savoyards et aussi genevois concernant cette région3. Mon propos était alors d’avoir une idée du mouvement global de la conjoncture économique, et ces transactions me fournissaient un prix par an et par produit agricole. Il m’importait de savoir si ces prix étaient artificiels ou coutumiers, ou s’ils reflétaient dans une certaine mesure les prix de détail sur les marchés locaux, qui étaient ceux que je souhaitais connaître. Je n’avais donc étudié le processus de fixation de ces prix que du point de vue de la critique des sources. Les comptes des trois châtellenies quadrillant le territoire qui entoure le massif du mont Blanc me fournissaient ainsi un peu plus de 2 500 indications de prix entre le commencement du xive et celui du xvie siècle4. Le traitement informatique des données permet de distinguer clairement deux types de « prix de vente ».
- 5 Comptes de châtellenie [dorénavant CC] de Charousse, Arch. dép. Haute-Savoie, SA 17344-17407 (1331 (...)
5Les uns sont remarquablement stables. Ainsi du prix de la poule, de la botte de foin, de la botte de paille, du fromage ou du sérac à la pièce, de la cire ou du poivre, ces deux dernières denrées vendues à la livre. Ces prix sont à l’évidence des prix coutumiers. D’ailleurs il est assez fréquemment spécifié qu’ils sont fixés more solito. Néanmoins, ils ne sont pas immuables. Dans la châtellenie de Charousse par exemple, la livre de poivre, denrée perçue par le comte de Genève puis le duc de Savoie au titre de la garde de divers alpages, se vend 3 deniers gros pendant plus d’un siècle (1331-1443), puis son prix monte par paliers, avec une accélération de la croissance, en sorte que les paliers sont de moins en moins longs : 4 d. de 1444 à 1493, 6 d. de 1494 à 1495, 7 d. de 1496 à 1517, 9 d. de 1518 à 1529,12 d. enfin de 1530 à 15355.
- 6 CC Charousse, Arch. dép. Savoie, SA 13089(2), venditiones. CC Montoie, SA 14051, CC Samoëns, SA 14 (...)
6Les prix des céréales, ceux des fèves et des pois, ceux du vin ou encore du fromage vendu au poids se comportent bien différemment. D’abord ils ne sont pas les mêmes d’une châtellenie à l’autre. En 1428 par exemple, l’octane d’avoine est vendue 1,5 d. gros à Charousse, 2 d. à Montjoie et 2,75 d. à Samoëns6. Surtout, à la différence des prix coutumiers, ils varient chaque année. Néanmoins leur évolution présente tout de même une certaine ressemblance avec celle des prix coutumiers : relativement bas et stables entre 1330 et 1430, ils connaissent ensuite des fluctuations beaucoup plus importantes, sous la forme de cycles de quinze à vingt ans, au terme desquels ils ne reviennent pas à leur niveau précédent, en sorte qu’ils augmentent, eux aussi, par paliers ; on aboutit dans l’ensemble à un quadruplement des prix nominaux entre 1430 et 1530. Néanmoins, dans le détail, les cycles constatés sont bien différents d’une denrée et d’une châtellenie à l’autre, tant par leur ampleur que par leur chronologie.
- 7 Ce n’est pas le lieu d’en recommencer la démonstration, qu’on trouvera dans N. Carrier, op. cit., (...)
7Ces différences mêmes inspirent beaucoup plus de confiance quant à l’adéquation entre ces prix et ceux des marchés locaux. Surtout, j’ai pu montrer que cette évolution présente une cohérence remarquable avec les autres données conjoncturelles, c’est-à-dire les tendances lourdes de l’évolution monétaire, de la démographie et de la production agricole, ainsi que les épisodes guerriers, les épidémies et les accidents climatiques qui frappent le Faucigny à intervalles plus ou moins réguliers7. En un mot, ces prix sont vraisemblables : dans les grandes lignes, leur courbe est celle qu’on attend. La tendance à la stabilité en chiffres nominaux entre la mi- xive siècle et les années 1430 correspond à une baisse en valeur réelle, car les monnaies savoyardes se sont dévaluées durant cette période. Dans les massifs entourant le mont Blanc, l’autosuffisance céréalière est structurellement impossible à atteindre, d’où la nécessité d’échanger des céréales contre les produits de l’élevage. La chute démographique consécutive à la grande peste et à ses premières récurrences rend le problème des approvisionnements céréaliers moins crucial, au point que les prix stagnent ou diminuent, alors même qu’une partie des terres emblavées sont transformées en prés de fauche. Mais la reprise démographique débute dès le commencement du xve siècle, sans qu’on assiste pour autant à un réemblavement. Les approvisionnements extérieurs sont donc devenus encore plus vitaux qu’ils ne l’étaient avant 1348. D’où la hausse des prix agricoles après 1430 et leur réactivité de plus en plus forte aux accidents épidémiques ou climatiques, car le volant de sécurité alimentaire se réduit à mesure que la population augmente.
- 8 M. Constant, L’etablissement de la maison de Savoie au sud du Léman. La châtellenie d’Allinges-Tho (...)
- 9 J. Bichot, « Le rôle monétaire de quelques produits agricoles en Dauphiné au xive siècle, d’après (...)
8En Faucigny, on a donc deux types de prix : les uns, sans être parfaitement stables, sont clairement coutumiers ; les autres suivent globalement la conjoncture. Cette différence est déjà en place quand commencent les séries de comptes conservées, c’est-à-dire dans les années 1330. En revanche, dans d’autres mandements pour lesquels la documentation conservée est plus ancienne, on la voit s’établir. Ainsi, par exemple, de la châtellenie savoyarde des Allinges, située sur la rive méridionale du Léman, et pour laquelle on dispose de comptes depuis 1271. Le prix de vente de toutes les denrées est d’abord fluctuant. Mais il se fixe dès les premières années du xive siècle pour un certain nombre de produits dont le comte de Savoie ne perçoit que de petites quantités : foin, chanvre, pain, viande, volailles, œufs, sérac, fers de chevaux. Le prix des céréales, en revanche, continue de fluctuer. Monique Constant, historienne de cette châtellenie, affirme sans vraiment le justifier que les produits dont le prix s’est stabilisé ne sont plus réellement levés mais qu’ils ont été officieusement remplacés par des cens en argent8. Et de fait, ces sortes de conversions sont très clairement attestées au même moment dans diverses châtellenies, par exemple dans le mandement delphinal de Serres, en Gapençais, où l’on trouve des formules telles que : Recepit [idem castellanus] de duobus panibus censualibus : II solidos bonos viennenses. Dans cette châtellenie, ces substitutions n’entraînent pas, pourtant, une fixation immédiate des prix : en 1307, la poule censitaire est comptée pour trois sous viennois, tandis qu’elle ne vaut plus qu’un demi-sou en 1328. Il est vrai que le viennois a une histoire très agitée durant cette période9.
9Et pourtant la stabilisation, dans la rubrique venditiones des comptes de châtellenie, du prix d’une denrée agricole est bien le signe qu’il s’agit d’une ancienne redevance foncière en nature dorénavant rachetée par les redevables mêmes, comme je vais le montrer. Il me faut rendre compte et de cette substitution et de son caractère officieux.
Pourquoi favoriser le rachat des redevances en nature ?
- 10 Cf. la récente synthèse sur cette question de L. Feller, dans Paysans et seigneurs au Moyen Âge, x (...)
10Le cas des commutations « officielles » des redevances fixes en nature vers l’argent, c’est-à-dire de celles qui sont consignées dans un document écrit, peut nous éclairer. Les explications traditionnellement avancées sont les suivantes : à court terme, le seigneur n’y voit d’abord que des avantages : il se débarrasse du soin de collecter, d’entreposer et de vendre des denrées périssables ou des animaux vivants. Le paysan, lui, n’y voit pas d’inconvénient, à condition que des marchés locaux lui permettent de commercialiser sa production. À long terme, cela devient toujours plus avantageux pour lui, car l’inflation tend à réduire à rien les redevances fixes en argent. C’est pourquoi certains seigneurs, bien conscients de ce phénomène, ont cherché à conserver des prélèvements en nature, voire à y revenir lorsqu’ils les avaient abandonnés, surtout dans des régions comme l’Italie septentrionale, où la présence des grands marchés urbains leur permettait de participer aux profits parfois considérables du commerce des blés10. La situation est assez différente en Savoie et en Dauphiné. Avant l’essor des foires de Genève, à l’extrême fin du Moyen Âge, on n’y trouve que des marchés urbains d’intérêt régional. Ce ne sont d’ailleurs pas de grandes régions céréalières. Seuls les produits de l’élevage sont exportés vers les villes d’Italie du Nord ou la Méditerranée, à partir du xive siècle surtout. Quand elles ne sont pas autoconsommées, les autres productions agricoles sont écoulées sur les marchés locaux. Les seigneurs n’ont donc pas de grands profits à attendre du commerce des blés ou des grains. Le dauphin, pourtant, paraît avoir manifesté à l’égard de la monétarisation des redevances une réticence bien plus grande que celle du comte de Savoie.
- 11 V. Chomel, « Un censier dauphinois inédit. Méthode et portée de l’édition du Probus », Bulletin ph (...)
11Les plus anciens documents qui nous renseignent de manière systématique sur les redevances acquittées par les dépendants de ces deux princes datent de la deuxième moitié du xiiie siècle. Ce sont, en Savoie, les plus anciens comptes de châtellenie. Ce sont aussi les enquêtes que le dauphin et le comte de Savoie ont fait réaliser de manière systématique à partir de 1250 environ, afin de mieux connaître leurs droits et leurs revenus. On a accoutumé de les appeler Probus en Dauphiné et extentes en Savoie11. Ces documents fournissent notamment des listes de tenanciers, avec ce qu’ils tiennent du prince et les redevances qu’ils lui doivent. On peut donc à peu près les considérer comme des censiers.
- 12 G. Castelnuovo, C. Guilleré, « Les finances et l’administration de la Maison de Savoie au xiiie si (...)
- 13 N. Carrier, op. cit., p. 458, et tableau V, p. 574-576. N. Carrier et M. de La Corbière, Entre Gen (...)
- 14 H. Falque-Vert, Les hommes et la montagne en Dauphiné au xiiie siècle, Grenoble, 1997, p. 119-120.
- 15 Grenoble : V. Chomel, « La perception des cens en argent dans les seigneuries du Haut-Dauphiné aux(...)
- 16 Dans le Queyras de la mi-xiiie siècle, le dauphin contrôle encore les deux tiers des dîmes (H. Fal (...)
12À partir des premiers comptes de châtellenie savoyards conservés, Guido Castelnuovo et Christian Guilleré ont estimé que, au temps du comte Pierre II (1263-1268), les rentrées en nature correspondaient grossièrement à la moitié des recettes totales dans les mandements de Châtel-Argent (Val d’Aoste), Novalaise (Val de Suze), Rivoli (Piémont) ou Yverdon (Pays de Vaud), mais qu’ailleurs elles ne dépassaient pas 20 %12. En Faucigny, j’obtiens des chiffres de l’ordre de 10 à 15 % seulement pour les xive-xve siècles13. En Dauphiné, les données du Probus (1250-1265), analysées par Henri Falque-Vert pour les mandements montagnards du Queyras, du Valcluson et de la Haute-Varaita, aboutissent à des proportions bien plus favorables aux redevances en nature, lesquelles représentent plus de 80 % des ressources seigneuriales en Queyras. En 1339, leur part est encore des trois quarts14. Sans représenter partout un poids aussi écrasant, les redevances en nature sont bien plus souvent majoritaires dans la rente foncière en Dauphiné que dans la principauté savoyarde, et cela fort tardivement : au xve siècle encore, les cens en argent ne représentent globalement qu’un tiers des revenus fonciers de l’évêque de Grenoble ou de celui de Die15. En fait ces différences relèvent souvent d’explications locales16. Il reste que, dans l’ensemble, le paysan savoyard est plus habitué à payer des taxes en argent, tandis que celui du Dauphiné est davantage accoutumé à les acquitter en nature.
- 17 H. Falque-Vert, op. cit., p. 119.
- 18 Celle-ci est modifiée trois ans plus tard, sans que les conflits cessent pour autant (J. Falconnet (...)
- 19 N. Carrier, op. cit., p. 341-342.
- 20 V. Chomel, « La perception des cens en argent », art. cit., p. 260.
13Or la monétarisation d’une redevance suppose que le paysan et son seigneur tombent d’accord sur son principe. C’est souvent un moyen d’en finir avec la chicane, comme le montre, en Bas-Dauphiné, le cas du mas de la Bouverie, tenu des chanoines de Romans au xiie siècle17. Vers 1100, ses tenanciers reconnaissent devoir trois setiers de froment, une sommée de vin et un porc ; en 1130, il est question, outre le vin et le froment, d’un « porc de trois sous », et en 1160, de trois sous. C’est un cas particulièrement bien éclairé de transformation en argent d’une redevance en nature, avec une étape intermédiaire montrant bien que les trois sous correspondent précisément à la valeur attendue du porc. C’est qu’il y a porc et porc, d’où des occasions de conflit presque infinies à chaque perception. En sorte qu’on se met d’accord en 1130 pour fixer la redevance à un porc de trois sous, c’est-à-dire ni le plus étique de la porcherie, ni celui qui a été engraissé toute l’année avec le plus d’amour. Puis, le prix du porc augmentant comme les autres, le cochon seigneurial présente une tendance chronique à l’amaigrissement, et les conflits reviennent. Augmenter sa valeur à intervalles réguliers eût été une victoire seigneuriale. Passer à un cens en argent de trois sous est une victoire paysanne. En Savoie, on constate des phénomènes tout à fait comparables à la fin du Moyen Âge. Les seigneurs concèdent alors communément les alpages dont ils ont le domaine éminent contre une part de la production fromagère réalisée à chaque estive, et exprimée en nombre de « jours de fruits ». Cette redevance, appelée auciège, est pour les seigneurs l’occasion d’un souci considérable : ils doivent imposer à leurs dépendants de mener à l’alpage un nombre minimal de bêtes allaitantes ; ils doivent contrôler quelle est la production fromagère moyenne d’une journée d’estive ; ils doivent enfin tomber d’accord avec leurs dépendants sur la qualité des fromages à percevoir. Car il s’agit d’opérer un prélèvement représentatif de la production moyenne de l’été. On tente d’y parvenir par des méthodes empiriques que leur complexité même rend inefficace. Aux termes d’une convention de 1372, le sergent qui monte quérir l’auciège de la montagne de Chérantaz au profit des chartreux du Reposoir (Faucigny) doit rester sur le seuil du chalet, un pied en dedans et un autre en dehors, pour choisir les meules correspondant aux deux premiers jours et demi d’auciège, et les désigner de cette place à l’aide d’un bâton. Les alpagistes doivent éclairer correctement le chalet. Ensuite seulement il entre pour tâter et choisir les pièces des deux jours restants. On devine à quelles chicanes ces sortes de procédures peuvent donner lieu18. En Faucigny, les aucièges, surtout ceux du prince, tendent donc séculairement à être d’abord transformés en redevances fixes, puis monétarisés, ce qui met fin à bien des conflits19. Cela n’est possible que parce que l’argent circule assez largement dans ces vallées où les paysans qui, comme on l’a dit, parviennent rarement à atteindre l’autosuffisance alimentaire sont habitués à vendre des produits de l’élevage pour acheter des céréales. Mais il n’en va pas partout ainsi, comme en témoigne cette plainte que les habitants de la paroisse des Orres, en Embrunais, adressent au conseil delphinal en 1390 : au lieu de percevoir en nature les redevances de volailles, le baile des coseigneurs du lieu exige 1 gros 1/2 par poule ; ce n’est pas même le prix qui est en cause : c’est que les tenanciers s’estiment lésés parce qu’ils ont des poules mais sont dépourvus de numéraire20. Ils protestent donc contre ce qui leur apparaît comme une tentative, de la part du baile, de se décharger sur eux du souci de commercialiser les volailles seigneuriales.
14En résumé, la transformation d’un prélèvement en nature en une redevance fixe en argent apparaît souvent comme un moyen de clarifier les relations entre le seigneur et son dépendant, et donc de rétablir la paix entre eux, au moins momentanément. Cela n’est possible qu’à condition qu’aucune des deux parties ne considère cette mutation comme trop dommageable à ses intérêts, au moins à court terme. Sur le long terme, l’inflation est cause que le seigneur est toujours perdant. La procédure des fausses venditiones vise à pallier cette difficulté.
Pourquoi ne pas le faire officiellement ?
- 21 Extente d’Ugine, M. Chiaudano (éd.), La Finanza sabauda nel seccolo XIII, t. 3, Turin, 1937, p. 58
15À la mi-xiiie siècle, les extentes savoyardes ou le Probus dauphinois présentent évidemment de nombreuses mentions de redevances en nature. Pour ne prendre qu’un seul exemple parmi des milliers, les neuf tenanciers qui se partagent en 1273 le mas qui fut à feu Guillaume de Villette, de Brandes, dans la paroisse d’Héry-sur-Ugine (Savoie), doivent annuellement au comte de Savoie, outre des corvées et un cens en argent, quatre setiers et une émine d’avoine, deux quartes de fèves, autant de seigle, trois quartes d’orge, quatre bottes de foin et quatre de paille, une tourte, une poule et, s’ils « font » des porcs (si faciant porcos), un groin (musellum) et trois cuirs21. Rien, donc, que de très concret : on voit très bien comment ces denrées peuvent être acquittées. Il faut simplement imaginer un tour de rôle pour certaines redevances, chaque tenancier se chargeant par exemple de fournir la poule une année sur neuf.
- 22 Dauphiné : R. Verdier, « Les terriers en Dauphiné, instruments de la résistance seigneuriale », da (...)
- 23 Cf. par exemple A. Fierro, « Un cycle démographique : Dauphiné et Faucigny du xive au xixe siècle (...)
- 24 N. Carrier, op. cit., p. 388-390.
- 25 N. Carrier, F. Mouthon, « Les extentes », art. cit., p. 231-236.
- 26 J. Bichot, art. cit., p. 94.
16En Savoie comme en Dauphiné, les plus anciens terriers apparaissent dans la première moitié du xive siècle22. Dans l’une et l’autre provinces, on les appelle généralement « livres de reconnaissances ». Les commissaires à terriers sont censés les rénover une fois par génération en théorie, en réalité souvent bien moins. Ils procèdent généralement sur la base des terriers précédents et tâchent de savoir en quelles mains sont tombées les terres qui y étaient mentionnées, afin d’obtenir reconnaissance des nouveaux tenanciers. Or les premières décennies du xive siècle voient se produire deux phénomènes conjoints. D’abord, la croissance démographique : en Savoie et en Dauphiné comme ailleurs, c’est le temps du « monde plein23 ». Ensuite, un phénomène juridique : il se trouve que, pour différentes raisons, les redevances qui étaient encore personnelles deviennent presque toutes réelles24. Le résultat de cette double évolution, c’est que, à la veille de la grande peste, les tenures sont extrêmement morcelées, et avec elles les redevances qui s’y trouvent attachées. Dans certaines régions, notamment montagnardes, les administrations princières ont choisi de n’en pas tenir compte. Elles n’ont voulu connaître que les anciens mas, qui étaient dorénavant des ensembles de tenures – voire de portions de tenures – dont les tenanciers acquittaient solidairement les redevances25. Mais cela n’a pas été le cas le plus fréquent. Très souvent, les commissaires à terriers faisaient reconnaître et payer des fractions de redevances de plus en plus petites. Or, si les quantités de grain ou d’argent se divisent aisément, il n’en va pas de même des fers à cheval ou des gallinacés. En 1313, les comptes de châtellenie du Gapençais enregistrent pourtant imperturbablement des redevances d’une moitié ou d’un quart de poule26. On conçoit qu’il était plus aisé de les racheter que de les acquitter en nature.
- 27 CC Samoëns (1475-1476), Arch. dép. Savoie, SA 14483, galline et capones.
- 28 CC Charousse (1479-1480), Arch. dép. Savoie, SA 13139, fenum, palee.
17Au cours du second xive siècle et dans les premières décennies du xve, c’est-à-dire au temps de l’étiage démographique, on assiste plutôt à des regroupements de tenures qu’à des partages. Mais un peu plus tôt, un peu plus tard, en montagne en tout cas dès les années 1430, les tenures sont à nouveau morcelées à chaque génération, et les redevances aussi bien. Or les commissaires à terriers, dont le métier est d’assurer, si l’on ose dire, la « traçabilité » de chaque are de terre tenue du prince et de chaque parcelle de redevance qui s’y trouve attachée, exigent à nouveau des reconnaissances d’une précision extrême : après la rénovation des terriers de Samoëns (Faucigny) par le commissaire Jean Jay entre 1471 et 1475, on voit des tenanciers reconnaître un cens annuel d’un douzième de douzième de poulet27. Les totaux mêmes auxquels parviennent les commissaires sont d’une précision ahurissante : ainsi, sur les domaines du seigneur d’Hauteville, qui sont tombés dans la main du comte de Savoie en 1479, le total des recettes de foin attendues dans la paroisse de Passy est de 83 bottes, 1/3e et 1/4e de botte, 1/4e et 1/6e de 1/12e de botte, 1/8e de 1/12e de 1/12e de botte, soit 83,618 bottes de foin au total28. Il est évident que la botte de foin ou la poule sont devenues des unités de compte. Elles ne quittent ni la grange, ni le poulailler du tenancier contribuable, mais celui-ci acquitte leur équivalent monétaire. C’est d’autant plus clair que les contributions en nature les plus invraisemblables par leur précision sont justement celles dont les prix sont fixés more solito.
18Il apparaît donc clairement que la procédure des fausses venditiones a pour but, comme il en va habituellement du rachat des redevances en nature, de simplifier la perception des redevances : les denrées ainsi rachetées par les paysans qui en sont redevables sont d’abord celles qui ne sont pas divisibles. S’il était encore possible, à la mi- xiiie siècle, de s’organiser entre les quelques tenanciers d’un ancien mas pour régler à tour de rôle la volaille ou la botte de foin réclamée par le seigneur, cela n’a plus été possible quand ils sont devenus trop nombreux. Les commissaires à terriers préfèrent diviser un volatile ou un fagot de cens devenus purement théoriques, et en faire reconnaître une fraction par chaque tenancier. Concrètement, c’est une somme d’argent qui est versée, fort petite en vérité, mais qui vient s’ajouter à l’ensemble des redevances monétaires dues par ailleurs, principalement au titre des cens et de la taille. Mais comme ce sont toujours des redevances en nature qui sont spécifiées dans les terriers, il a été possible aux administrations princières d’en relever les prix de rachat lorsqu’ils devenaient trop évidemment ridicules. C’est ainsi qu’en Faucigny les prix coutumiers suivent avec retard le mouvement général de l’inflation au xve siècle. Grâce à ces sortes de commutations, le prince est donc gagnant sur les deux tableaux : la levée des redevances en nature en est très simplifiée, sans que ses revenus se trouvent érodés pour autant.
19Il est cependant d’autres victuallie qui sont réellement perçues et non moins réellement vendues.
La « vente » des produits à prix fluctuant
- 29 Entre cent exemples : au début des années 1360, le berger qui garde les brebis de la comtesse de G (...)
20Ce sont principalement les céréales, auxquelles s’ajoutent parfois du vin et, dans les zones montagnardes, une partie des redevances en fromage. Il n’y a aucun doute que ces redevances sont réellement perçues en nature : on voit les châtelains donner des céréales en salaire ou en aumône, et se soucier d’entretenir des greniers pour les faire entreposer29. Au total, tout ce qui n’est pas livré par eux est vendu.
- 30 V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné et la vente des grains aux châtelains du domaine ( (...)
- 31 M. Constant, op. cit., p. 248 et n. 244.
- 32 En 1403 et 1404 encore, les victuallie de Samoëns sont achetées par Pierre de Graveyruel, damoisea (...)
- 33 On trouve pourtant des exceptions : en 1439 par exemple, les blés des bailliages de Bresse, des Do (...)
21Nous avons vu que, en Savoie aussi bien qu’en Dauphiné, on a des mentions de venditiones dès les premiers comptes de châtellenie conservés. Mais il faut attendre la seconde moitié du xive siècle pour avoir quelques informations sur les acheteurs. En Dauphiné, les archives de la Chambre des comptes, réorganisée par Charles V en 1367, ont conservé un beau dossier grâce auquel Vital Chomel a pu reconstituer la procédure de vente. Les blés perçus à l’automne sont adjugés par le trésorier général du Dauphiné au printemps suivant, non solum castellanis sed quibuscumque aliis plus offerentibus pro commodo dalphinali30. Au xive siècle, les châtelains ont donc un droit de préemption, mais à condition seulement que nul n’offre un meilleur prix. Et de fait il arrive assez fréquemment que le trésorier adjuge les denrées à un ou plusieurs surenchérisseurs. Quand on connaît leur statut, on voit qu’il s’agit de bas officiers et/ou de marchands de grain. Au xve siècle en revanche, il est bien rare que l’administration delphinale substitue un autre acquéreur au châtelain. Sauf refus de sa part, c’est donc normalement ce dernier qui achète à titre privé les denrées qu’il a perçues à titre public. En Savoie, l’évolution semble exactement parallèle. Dans la seconde moitié du xive siècle, Monique Constant a pu parfois identifier les acheteurs des blés de la châtellenie des Allinges. Quand ce n’est pas le châtelain, ce sont d’autres officiers31. En Faucigny, ce sont également des officiers ou des notables locaux32. Le commencement du xve siècle représente là aussi un tournant, et dorénavant l’adjudicataire des denrées est presque toujours le châtelain33.
Enquêtes sur les prix
- 34 On en a conservé quelques-uns, comme celui-ci, pour le mandement delphinal d’Auberive en 1346 : Vi (...)
22L’adjudication des victuallie se fait sur la base des prix constatés dans le mandement. Au xive siècle, c’est le châtelain lui-même qui fournit cette information. On comprend bien que c’est une affaire dans laquelle il est juge et partie, et qu’il a intérêt à indiquer des prix aussi bas que possible. Aussi l’administration princière lui demande-t-elle de faire la preuve de ses évaluations en fournissant le serment de quelques prud’hommes de sa châtellenie, enregistré par un instrument public34. Cela paraît une sécurité suffisante tant que des surenchérisseurs éventuels sont libres de proposer un meilleur prix.
- 35 « Art. 33. Item que lesdits maistres des comptes soyent tenus de tramettre chescun an, fini le tem (...)
- 36 N. Carrier, op. cit., p. 66-72. N. Carrier et M. de La Corbière, op. cit., p. xx-xxxv.
- 37 Quia interdum propter ignorantiam valoris nostrorum victualium vel alias, thesaurarii nostri pro t (...)
- 38 Et primo pro pretio I modii XVII octanarum ordei per ipsum ut supra debitarum et sibi ut supra app (...)
- 39 Entre 1479 et 1495, le châtelain de Samoëns livre aux mendiants de Genève plus de fèves que les re (...)
23Mais bientôt l’on considère que les intérêts du prince doivent être mieux défendus, surtout à partir du moment où l’on renonce presque systématiquement à mettre le châtelain en concurrence. Dans l’état actuel des sources conservées, c’est l’administration savoyarde qui semble avoir la première pris conscience de cette nécessité. Dès 1389, les statuts de la Chambre des comptes de Savoie ordonnent aux maîtres et auditeurs des comptes de dépêcher annuellement dans chaque bailliage un enquêteur compétent qui se renseignera sur les prix en usage35. À la fin du xive siècle, l’enquête est une pratique très commune de l’administration savoyarde aussi bien que delphinale : outre la rénovation des terriers, on députe des commissaires pour compter les feux, évaluer le rendement financier de chaque mandement, inspecter l’état des châteaux, etc.36. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’on enquête aussi sur les prix. Pourtant, on ne sait pas dans quelle mesure les prescriptions de 1389 sont vraiment rentrées en application, car les statuts de Savoie de 1430 reviennent à la pratique ancienne. En effet, ils laissent à chaque officier le soin de fournir, sur le niveau des prix à l’endroit où il exerce son office, le serment écrit de prud’hommes du lieu. Ce qui importe surtout à leur rédacteur, c’est que les trésoriers et receveurs de bailliage, responsables des ventes, accordent trop souvent aux châtelains des prix d’ami. Aussi les statuts ordonnent-ils que les ventes se fassent en présence du président de la Chambre des comptes ou, à tout le moins, de deux auditeurs délégués par celui-ci37. À la mi- xve siècle en tout cas, les enquêtes ordonnées par les statuts de 1389 ont bien lieu : en 1453 par exemple, Pierre Garneyrenis enquête sur les prix pratiqués dans le bailliage de Faucigny38. Elles sont systématiques par la suite39.
- 40 Arch. dép. Isère, B 4378-4389. La période 1421-1442 est manquante.
24Des enquêtes toutes semblables avaient lieu en Dauphiné depuis le commencement du xve siècle au moins. Tous les ans, entre février et mars, la Chambre des comptes déléguait dans chaque bailliage un commissaire chargé de constater les prix pratiqués sur les marchés des différentes châtellenies. Les résultats de ces enquêtes ont été consignés dans des cahiers qui nous ont été presque intégralement conservés. La série B des archives départementales de l’Isère renferme ainsi aujourd’hui près de 5 000 folios de données sur les prix des denrées agricoles pratiqués sur les marchés dauphinois entre 1401 et 1597, à raison d’un prix moyen par denrée, par an et par mandement40. Ce sont donc des informations très ponctuelles, qui valent surtout par la série qu’elles forment. L’enquêteur indique synthétiquement le nom des témoins qu’il a interrogés, les prix constatés et les équivalences de mesures relevées.
- 41 Ibid., B 3480, fol. 2-14. Le Grésivaudan est la vallée qui s’étend entre Grenoble et Chambéry.
- 42 In dicto loco non tenetur mercatum nec venditur bladum, nisi illud quod portatur ad menata Mure et (...)
25Il se trouve qu’un des plus anciens cahiers conservés est un peu plus loquace que la moyenne et permet de connaître assez précisément dans quelles conditions travaillaient les enquêteurs. Il s’agit de la secreta informatio menée par Julien Bonjean, secrétaire delphinal, dans dix châtellenies du bailliage de Grésivaudan entre le 28 février et le 19 mars 141341. Pour une fois en effet, les archives n’ont pas conservé le rapport synthétique rendu aux maîtres et auditeurs des comptes, mais le procès-verbal brut de l’enquête, rédigé jour après jour. Comme son nom l’indique, l’enquête doit être sinon véritablement secrète, du moins menée avec une certaine discrétion. Le commissaire se rend dans chaque mandement, car ce qui lui importe, c’est de connaître précisément la valeur des denrées agricoles au lieu même où elles ont été levées. Cela pose parfois problème, comme dans la châtellenie de Beaumont, où il n’y a pas de marché : les produits agricoles sont vendus à Corens ou à La Mure. À trois témoins, Bonjean demande combien il paierait le blé s’il voulait en acheter sur place. Mais aucun ne peut lui répondre. Ce souci de connaître précisément les prix du lieu s’explique par les différences de mesures qu’on constate d’un mandement à l’autre. Et, de fait, il apparaît que la mesure de Beaumont et celle de Corens se valent, mais que celle de La Mure est réputée un peu plus grande42.
- 43 Ibid., fol. 12. L’imprécision sur le nombre de transactions constaté se trouve dans le procès-verb (...)
- 44 Cf. l’enquête menée au même moment par Pierre Gomon dans le bailliage du Viennois et la Terre de L (...)
- 45 N. Carrier, op. cit., p. 365-366.
- 46 Item Anthonius de Ruffo, quem non requisivi quod juraret (B 3480, fol. 4).
- 47 Domengia, uxor Gononi Latini, peytoneria, noluit jurare licet sibi imponerem penam (ibid.)
- 48 Cossealium, quia ibi non venditur siligo pura (Corens, ibid., fol. 3v). Quarta siliginis in qua es (...)
- 49 Siligo non venditur ibi nisi de raro, tarnen bichetum pulchrioris valet, etc. (ibid., fol. 10).
- 50 De ordeo dixit quod non venditur donec sint senallye [sic], quare nescit pecuniam (ibid.). Curieus (...)
26Parfois, le commissaire se contente de déambuler sur le forum publicum et d’assister aux transactions en prenant des notes. À Goncelin par exemple, le samedi 18 mars, qui était jour hebdomadaire de marché, Bonjean a assisté à trois ventes de seigle, quatre ventes d’orge, six ou sept ventes de froment et huit ou neuf ventes d’avoine. Il a noté les prix et pu constater qu’ils baissaient en fin de marché, au moment où les vendeurs cherchent à écouler ce qui leur reste de grain43. Mais le plus souvent, Bonjean ne se contente pas d’assister aux transactions. L’essentiel de sa tâche consiste à interroger les personnes compétentes44. Il n’en trouve pas toujours : sur Saint-Bonnet par exemple, non reperi quemcunque qui michi scivit aliquid dire, avoue-t-il. Il interroge en priorité les officiers delphinaux, et notamment le leyderius, chargé de lever la taxe de marché, ou leyde, au profit du dauphin. Il questionne aussi des professionnels de la vente ou de la transformation des blés, des paysans venus écouler leurs surplus et des artisans. À La Mure par exemple, il interroge le leydier, un notaire, un aubergiste, un laboureur (laborator), trois forgerons et un tanneur ; à Voiron, le leydier qui se trouve être aussi meunier, un aubergiste, trois paysans et un marchand de grain (granaterius) ; à Moirans, la boulangère, trois paysans, un sergent du dauphin et deux personnes dont le statut n’est pas précisé ; à Domène, le pontonnier, deux marchands (mercatores), un troisième marchand qui est aussi notaire, deux paysans, un charpentier et un forgeron. La présence d’artisans parmi les témoins n’est pas si étonnante qu’elle pourrait le sembler au premier abord, quand on songe qu’ils appartiennent généralement à l’élite locale. Il en va en effet du commerce des blés comme de celui du bétail : les producteurs qui assurent les plus grosses transactions ne sont pas les simples paysans. Ce sont ceux qui dégagent les surplus les plus importants. Ce sont donc ceux qui disposent de la plus grande surface emblavée, c’est-à-dire les notables45. L’enquêteur cherche à réunir entre cinq et dix témoignages par mandement. À certains témoins, il demande de prêter serment, à d’autres non, sans qu’on comprenne très bien pourquoi. Peut-être estime-t-il qu’il obtiendra de certaines personnes plus de sincérité s’il ne donne pas un caractère trop officiel à son enquête46. Il arrive aussi que certains refusent de jurer : ainsi de la boulangère de Corens, dont il obtient un témoignage mais pas de serment, malgré ses menaces d’amende47. Lorsque deux évaluations sont identiques, Bonjean se contente d’indiquer que le second témoin a fourni la même déposition que le premier. Dès qu’il y a une petite divergence, il la note. C’est le cas le plus fréquent, encore que les différences d’évaluation soient toujours minimes. Les informations obtenues sont très précises. Le plus souvent en effet, les témoins distinguent trois qualités de grain : puchrior, mediocris et alter. Sur les marchés où le seigle ne se vend généralement pas pur, mais mêlé de froment, cela est indiqué48. Des informations sont fournies sur le volume des transactions. À Voiron, par exemple, on vend peu de seigle49. Dans l’ensemble du bailliage, l’orge est peu présente sur les marchés. Le leydier de Voiron explique pourquoi : c’est que les cultivateurs conservent ce qui leur en reste en vue des prochaines semailles50.
- 51 Ibid. fol. 6.
- 52 Ibid., fol. 2v.
- 53 Guillelmus Bertrandi de Fumo [...] retulit suo juramento quod bladum venditur et valet in mercato (...)
27Si le commissaire préfère, lorsqu’il le peut, interroger des témoins plutôt que de se contenter d’assister à quelques transactions qui ne lui donneraient que les prix du jour, c’est qu’il cherche à connaître la valeur moyenne des blés échangés au cours des dernières semaines. Cela suscite d’ailleurs la perplexité de certains témoins, à cause des fluctuations à court terme. Pierre Arnulphi, dans le mandement de Mens, les évoque ainsi qu’il suit : Quartale avene pulchrioris vel quando sunt minores venditores in numero et majores emptores etiam in numero : IIII £. ; alia nero et quando est contrarium de venditoribus et emptoribus : circa XXI d. gros51. À Visille, André de Saint-Firmin, après avoir confirmé les estimations données par le témoin précédent, les tempère de cette anecdote qui illustre la manière dont certains vendeurs sont prêts à casser leurs prix en fin de marché, surtout s’ils ont besoin de liquidités pour y faire un achat immédiat : Modo infine mercati, quidam agricola cujus nomine ignorat qui apportaverat ibidem certam quantitatem avene, quem idem loquens interrogami si ipsam vendiderat, sibi respondit quod non ; sed ipsam portami in quodam hospitio dicte ville et quia indigebat peccus, si reperirei emptorem, ipsam libenter darei quolibet quartale pro dimidio grosso52. Certains témoins, pourtant, font état d’une certaine stabilité des prix. À Corens, Guillaume Bertrand jure que ceux qu’il indique n’ont pas bougé depuis les environs de Noël. Jacques Eyrand fournit à peu près les mêmes évaluations, mais ne les garantit que pour les trois ou quatre derniers marchés. À Voiron, Pierre Bérard ne s’engage que pour les deux ou trois derniers marchés53.
Des blés vendus au prix fort
- 54 Cf. supra, n. 34 : en 1346 à Auberive, la période de référence est celle qui va de Noël à Pâques. (...)
- 55 Cf. J. Demade, « Transactions foncières et transactions frumentaires : une relation de contrainte (...)
- 56 A. Lemonde, Le temps des libertés, cité n. 1.
- 57 V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné », art. cit., p. 302.
28Cela pose le problème de la période de référence choisie pour l’évaluation des blés. À la mi- xive siècle, les maîtres et auditeurs des comptes du Dauphiné veulent connaître les prix du printemps54. Au xve siècle, du fait même que les commissaires enquêteurs sont généralement députés fin février ou début mars, les valeurs de référence sont plutôt celles de l’hiver, saison pendant laquelle les prix des blés sont habituellement à leur plus haut niveau de l’année. Ensuite, ils vont normalement redescendre progressivement, sauf s’ils se maintiennent parce que les acteurs économiques anticipent une récolte moins bonne pour l’année suivante55. Faut-il supposer que ce rétrécissement de la période de référence correspond à une prise de conscience par l’administration des cycles annuels des prix céréaliers et à la volonté d’en faire profiter au mieux le dauphin ? Ce n’est pas exclu, mais le temps administratif est probablement plus important. La vente des blés doit être effectuée avant l’examen de la comptabilité du châtelain par les auditeurs des comptes, puisque le produit de cette vente est mentionné dans le compte de châtellenie. Avant le Transport du Dauphiné, l’audition avait parfois lieu plus d’un an après la clôture de l’exercice56. Après la réforme de 1367, la procédure devient beaucoup plus rapide : les grains perçus entre la Saint-Michel et la Saint-Martin sont vendus aux châtelains dès le mois d’avril de l’année suivante, et la reddition des comptes a lieu durant l’été. Que les auditeurs des comptes soient décidés à faire vite, cela est attesté par l’astreinte d’un florin par jour de retard qui est imposée aux châtelains s’ils ne se présentent pas ou ne se font pas représenter à la date à eux assignée pour la vente57.
- 58 Supra, n. 35.
- 59 Dans la première moitié du xve siècle, la référence de l’acte de vente est mentionnée dans le comp (...)
- 60 Item quod castellanus noster Tharentasie [...] teneatur et debeat servicia nostra bladorum et vino (...)
29La Chambre des comptes de Savoie paraît travailler un peu moins dans l’urgence. L’article 34, déjà cité, des statuts de 1389 évoque une période de référence un peu plus tardive : les enquêteurs, dit-il, doivent se renseigner sur les prix pratiqués entre Pâques et la fin du mois de mai58. Et la vente n’a lieu qu’à la fin du printemps et au commencement de l’été59. Pourtant, on a conservé pour la Savoie un texte qui témoigne d’une conscience administrative de l’évolution cyclique des prix du grain. C’est un curieux article commun aux chartes de franchises de Maurienne et de Tarentaise, qui datent de la même année 139160. Il porte que le châtelain doit percevoir, dans le mois qui suit le terme auquel elles sont dues, les redevances en blé ou en vin, ou à tout le moins leur équivalent argent. Le cas échéant, il le fera aux prix pratiqués durant cette période – c’est-à-dire bas à la Saint-Michel et déjà plus élevés à la Saint-Martin. Mais si la perception prend du retard à cause de sa négligence, il en sera responsable sur ses propres deniers, et cela au prix le plus élevé constaté dans l’année. Curieux article, dis-je, parce qu’il ne se rapporte que fort indirectement aux libertés paysannes et concerne bien davantage les relations entre les châtelains et leur administration de tutelle. Curieux article encore, parce qu’il ne correspond que très imparfaitement aux pratiques attestées par la documentation comptable. On y voit bien une allusion à la levée en argent de certaines redevances spécifiées en nature, mais nous savons que les céréales et le vin ne sont pas les denrées habituellement concernées et que les prix concédés aux paysans dans ces sortes de commutations sont coutumiers. Il est vrai que reconnaître leur caractère coutumier dans une charte de franchises serait s’interdire de les réévaluer. Curieux article enfin, parce qu’il contredit les statuts de la Chambre des comptes de Savoie édictés deux ans auparavant, lesquels ne voulaient connaître que les prix du printemps. Il ne paraît avoir pour objet que de pousser les châtelains de Maurienne et de Tarentaise à faire diligence dans la levée des taxes. Il me semble donc que, si le rédacteur de ce texte manifeste une conscience du temps économique, ce qui lui importe en réalité, c’est le temps administratif.
- 61 Exemples cités par V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné », art. cit., p. 303. Une compa (...)
- 62 A se ipso de et pro pretiis bladorum et aliorum victualium dicte castellanie per ipsum prout supra (...)
- 63 G. Castelnuovo, C. Guilleré, « Le crédit du prince : l’exemple savoyard au bas Moyen Âge », dans C (...)
- 64 Qui, au xve siècle, ne correspond plus à des fonctions administratives réelles, puisque en Savoie (...)
30Résumons-nous : la vente des blés fiscaux aux châtelains savoyards et dauphinois est normalement faite sur la base des prix de détail pratiqués sur les marchés de leurs mandements. Ce sont, au xve siècle en tout cas, les prix moyens constatés en hiver (Dauphiné) ou au printemps (Savoie), et donc normalement des prix assez élevés. Quels rapports les prix de vente réellement concédés aux châtelains entretiennent-ils avec ces évaluations ? Il se pourrait qu’une remise leur soit systématiquement accordée. Dans ce cas, l’achat des céréales à un prix de faveur leur permettrait de spéculer sur leur revente, et la différence serait une partie de leur rémunération. En fait, il ne semble pas que ce soit le cas. Au xive siècle, leur mise en concurrence avec d’autres acheteurs potentiels, souvent associés, pousse au contraire à la surenchère par rapport au prix de référence. Au commencement du xve siècle, par l’effet de la routine administrative ou de toute autre cause, il n’y a plus de mise en concurrence. En Dauphiné, il ne semble pas pour autant que le personnel de la Chambre des comptes ait dorénavant bradé les grains publics, et il n’est pas rare que les châtelains soient contraints de réévaluer leurs offres à la hausse61. En Savoie en revanche, il se peut que, pendant les premières décennies du xve siècle, certains châtelains aient plus facilement obtenu des prix de faveur. Les statuts de 1430 en témoignent, mais ils entendent aussi mettre fin à ces pratiques. Le cas faucigneran témoigne d’ailleurs que le mouvement des prix des venditiones est, comme je l’ai dit, tout à fait cohérent avec celui de la conjoncture ; et, dans la deuxième moitié du xve siècle, s’il apparaît parfois qu’un châtelain a pu faire jouer de hauts appuis pour obtenir un prix de faveur, cela semble être exceptionnel62. Au xve siècle en réalité, le duc de Savoie, chroniquement à cours d’argent, cherche habituellement à faire contribuer ses officiers à l’équilibre de son budget, au point que leur surface financière lui importe plus que leurs capacités administratives63. La vente des blés aux châtelains participe de cette politique : si l’on veut pouvoir se prévaloir d’un titre prestigieux64, il faut – entre autres – lui acheter son blé au prix fort.
- 65 Elle a été utilisée par Guy Bois pour évaluer le mouvement des prix en Normandie orientale. À Baye (...)
31Au xive siècle, les princes dauphinois et savoyard ont liquidé ce qui leur restait de réserves et, à la différence des petits seigneurs laïcs et des monastères, ont renoncé aux profits de l’élevage, se contentant de vivre de la rente foncière augmentée de la fiscalité publique. Leurs administrations n’ont pas pour autant renoncé à suivre de près la conjoncture économique, et notamment le mouvement des prix. Favoriser le rachat des redevances par les redevables même tout en se gardant la possibilité d’en réévaluer le prix ; contraindre les châtelains à acheter à titre privé les blés qu’ils ont perçus à titre public : deux politiques par lesquelles le prince territorial pallie les inconvénients de l’inflation, tout en s’épargnant les inconvénients d’un accès direct au marché. Elles ont un impact plus important en Dauphiné car les perceptions en nature y représentent jusqu’à la fin du Moyen Âge la plus grande partie des recettes seigneuriales, alors qu’en Savoie elles sont très minoritaires. Mais les pratiques sont quasiment identiques dans les deux principautés. À défaut d’intervenir sur le marché, il faut au moins le connaître. Les administrations princières ont appliqué à cet objet les techniques d’enquêtes par témoins qu’elles maîtrisaient depuis le xiiie siècle. Leurs méthodes sont proches de celles qu’on constate dans d’autres régions, et les fonds de la Chambre des comptes du roi de France, par exemple, conservent une documentation très comparable65.
Notes
1 Savoie : B. Demotz, « Une clé de la réussite d’une principauté aux xiiie et xive siècles : naissance et développement de la Chambre des comptes de Savoie », dans La France des principautés. Les chambres des comptes, xive et xve siècles, P. Contamine, O. Mattéoni (éd.), Paris, 1996, p. 17-26. Dauphiné : A. Lemonde, Le temps des libertés en Dauphiné. L’intégration d’une principauté à la Couronne de France (1349-1408), Grenoble, 2002, p. 88-94,167-172.
2 Elle apparaît en Savoie dès les comptes de châtellenie de 1257-1258, conservés pour les mandements vaudois de Chillon, La Tour de Vevey et Saillon (M. Chiaudano (éd.), La Finanza sabauda nel secolo XIII, t. 1, Turin, 1933, p. 3-30). On la trouve en Dauphiné dans le compte du bailli de Gap-Embrun pour 1269 (G. de Manteyer (éd.), Les finances delphinales. Documents, Gap, 1944, p. 33-36).
3 La seigneurie de Faucigny recouvre approximativement les massifs entourant le mont Blanc et la vallée de l’Arve jusqu’à Genève, dans l’actuel département de la Haute-Savoie. Fondée vers l’an mil par un lignage apparenté à celui des Genève, elle est arrivée en 1268 dans l’héritage des dauphins de Viennois, qui en font un bailliage ; ils se trouvent alors en concurrence avec les comtes de Genève, qui possèdent les deux mandements de Chamonix et de Charousse, et surtout avec le comte de Savoie. Ce dernier finit par s’imposer dans toute la région, en s’emparant du Faucigny en 1355 et du comté de Genève en 1402.
4 Les données conservées concernent la châtellenie genevoise de Charousse entre 1331 et 1533, les châtellenies savoyardes de Montjoie et Samoëns entre 1355 et 1529. Cf. N. Carrier, La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Âge (fin xiiie-début xvie siècle), Paris, 2001, p. 114-157.
5 Comptes de châtellenie [dorénavant CC] de Charousse, Arch. dép. Haute-Savoie, SA 17344-17407 (1331-1414), et Arch. dép. Savoie, SA 13079-13186 (1418-1535), rubrique venditiones.
6 CC Charousse, Arch. dép. Savoie, SA 13089(2), venditiones. CC Montoie, SA 14051, CC Samoëns, SA 14436.
7 Ce n’est pas le lieu d’en recommencer la démonstration, qu’on trouvera dans N. Carrier, op. cit., p. 133-157·
8 M. Constant, L’etablissement de la maison de Savoie au sud du Léman. La châtellenie d’Allinges-Thonon, Thonon, 1972 (Mémoires et documents de l’Académie chablaisienne, t. 40), p. 248.
9 J. Bichot, « Le rôle monétaire de quelques produits agricoles en Dauphiné au xive siècle, d’après les comptes de châtellenie », dans Économie et société dans le Dauphine médiéval, 108e Congrès national des Sociétés savantes (Grenoble, 1983), Paris, 1985, p. 89-104.
10 Cf. la récente synthèse sur cette question de L. Feller, dans Paysans et seigneurs au Moyen Âge, xiiie-xve siècles, Paris, 2006, p. 146-151.
11 V. Chomel, « Un censier dauphinois inédit. Méthode et portée de l’édition du Probus », Bulletin philologique et historique, 1964, Paris, 1967, p. 319-417. N. Carrier, F. Mouthon, « Les extentes de la principauté savoyarde (fin xiiie-fin xve siècle) : étude d’une source et de ses apports à la connaissance des structures agraires dans les Alpes du Nord », dans Terriers et plans-terriers. Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Paris, 2002 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 62), p. 217-242.
12 G. Castelnuovo, C. Guilleré, « Les finances et l’administration de la Maison de Savoie au xiiie siècle », dans Pierre II de Savoie. Le « petit Charlemagne », B. Andenmatten, A. Paravicini Bagliani et E. Pibri (éd.), Lausanne, 2000 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 27), p. 33-125. Cf. le tableau p. 109. Les proportions indiquées correspondent en fait à la part que représente le produit des venditiones dans la recette totale. Les chiffres donnés dans ce tableau sont valables pour un exercice. Il est évident qu’ils devaient varier assez largement en fonction de la conjoncture et notamment du mouvement des prix. C’est pour cela que je n’en ai repris que les ordres de grandeur.
13 N. Carrier, op. cit., p. 458, et tableau V, p. 574-576. N. Carrier et M. de La Corbière, Entre Genève et Mont-Blanc au xive siècle. Enquête et contre-enquête dans le Faucigny delphinal de 1339, Genève, 2005, p. lxiii-lxiv.
14 H. Falque-Vert, Les hommes et la montagne en Dauphiné au xiiie siècle, Grenoble, 1997, p. 119-120.
15 Grenoble : V. Chomel, « La perception des cens en argent dans les seigneuries du Haut-Dauphiné aux xive et xve siècles », dans Recueil de travaux offerts à M. Clovis Brunel, Paris, 1955, p. 257. Die : R. Verdier, Les comptes de châtellenie de l’évêque de Die (1371-1500), thèse dactylographiée, université Lyon 3, Lyon, 1986, t. 1, p. 114-117.
16 Dans le Queyras de la mi-xiiie siècle, le dauphin contrôle encore les deux tiers des dîmes (H. Falque-Vert, op. cit., p. 220). Dans le Faucigny du xive siècle, ses ressources reposent surtout sur la taille – en argent – imposée à la faveur des guerres delphino-savoyardes (N. Carrier, op. cit., p. 456-457).
17 H. Falque-Vert, op. cit., p. 119.
18 Celle-ci est modifiée trois ans plus tard, sans que les conflits cessent pour autant (J. Falconnet, La chartreuse du Reposoir, Annecy, 1895 (Mémoires et documents de l’Académie salésienne, 18), p. 25-28).
19 N. Carrier, op. cit., p. 341-342.
20 V. Chomel, « La perception des cens en argent », art. cit., p. 260.
21 Extente d’Ugine, M. Chiaudano (éd.), La Finanza sabauda nel seccolo XIII, t. 3, Turin, 1937, p. 58.
22 Dauphiné : R. Verdier, « Les terriers en Dauphiné, instruments de la résistance seigneuriale », dans Terriers et plans-terriers, op. cit., p. 207-216. Savoie : N. Carrier, F. Mouthon, « Les extentes », art. cit.
23 Cf. par exemple A. Fierro, « Un cycle démographique : Dauphiné et Faucigny du xive au xixe siècle », Annales ESC, 1971, p. 941-959.
24 N. Carrier, op. cit., p. 388-390.
25 N. Carrier, F. Mouthon, « Les extentes », art. cit., p. 231-236.
26 J. Bichot, art. cit., p. 94.
27 CC Samoëns (1475-1476), Arch. dép. Savoie, SA 14483, galline et capones.
28 CC Charousse (1479-1480), Arch. dép. Savoie, SA 13139, fenum, palee.
29 Entre cent exemples : au début des années 1360, le berger qui garde les brebis de la comtesse de Genève dans la châtellenie de Charousse reçoit en salaire sept octanes et trois quartes de froment chaque année, ainsi que vingt octanes d’avoine pour la nourriture de son chien (CC Charousse (1361-1362), Arch. dép. Haute-Savoie, SA 17367, frumentum, avena, et comptes suivants). À la fin du xve siècle, le châtelain de Samoëns est chargé de donner chaque année 24 octanes de fèves en aumône aux couvents dominicains et franciscains de Genève (CC Samoëns (1480-1481), Arch. dép. Savoie, SA 1488, fabe, et comptes suivants). En 1426, le châtelain de Charousse fait installer un grenier sous la halle du marché de Passy ad reponenda blada et alia victualia domini (CC Charousse (1426-1427), Arch. dép. Savoie, SA 13087, librate). Les denrées mentionnées dans ces textes sont celles des redevances, car aux xive-xve siècles il n’y a plus de réserve comtale à Samoëns et seulement quelques vignes à Charousse. Exemples concernant la châtellenie delphinale de Serres, dans J. Bichot, art. cit., p. 93, 97.
30 V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné et la vente des grains aux châtelains du domaine (xive-xve siècles) », Bulletin philologique et historique, 1959, p. 297-309.
31 M. Constant, op. cit., p. 248 et n. 244.
32 En 1403 et 1404 encore, les victuallie de Samoëns sont achetées par Pierre de Graveyruel, damoiseau, un des principaux nobles du lieu (CC Samoëns, Arch. dép. Savoie, SA 14416, vendictiones), et celles de Montjoie par Janin Quinerit, notaire curial du mandement (CC Montjoie, Arch. dép. Savoie, SA 14034, venditiones).
33 On trouve pourtant des exceptions : en 1439 par exemple, les blés des bailliages de Bresse, des Dombes, de La Valbonne et du Bugey sont adjugés à noble Pierre d’Ambronay et noble Thomas Guillod, bourgeois de Bourg-en-Bresse (E. Dullin, Les châtelains dans les domaines de la maison de Savoie en deçà des Alpes, Genoble-Chambéry, 1911, n. 5, p. 114).
34 On en a conservé quelques-uns, comme celui-ci, pour le mandement delphinal d’Auberive en 1346 : Vincentius Salterius, Johannes Neyreti, Johannes Salabrasa, Johannes Terceys, Peronerius Boci, Vincentius Ballerii et Peronerius Escofferii, [...] probi homines constituti personaliter [...] ad requisitionem nobilis Girardi de Vallins, domicelli, castellani Albe Rippe, [...] in verdate unanimiter recognoscunt et suis propriis juramentis asserunt quod interfestum Nativitatis Domini etfestum Pasche subsequens [...], tarn Albe Rippe [sic] quam in aliis loris circonvicinis, comuniter valuit et venditum fuit sextarium frumenti ad mensuram Albe Rippe sexdecim grossos turonenses argenti ; item sextarium siliginis ad predictam mensuram quatuordecim gros. tur. argenti ; item sextarium trameysii vel avene ad eamdem mensuram novem gros. tur. argenti ; item summatam boni vini puri ad mensuram Albe Rippe duodecim solidos viennenenses, computato quolibet floreno auri pro tringinti et tribus solidis viennensibus (Arch. dép. Isère, B 3477, pièce 3 ; cf. pièce 4 pour Saint-Bonnet-en-Champsaur, 1352).
35 « Art. 33. Item que lesdits maistres des comptes soyent tenus de tramettre chescun an, fini le temps de la réception des comptes, en chescun ballivage de la Comté aucune personne souffisant et proudhomme [...]. Art. 34. Item pour sçavoir les pris des vivres qu’il auront valu ez marchies des lieulx, des Pasques iusques le dernier jour de May » (traduction française des statuts de 1389, dans F. Capré, Traité historique de la Chambre des comptes de Savoie, Lyon, 1662, p. 35-36. Cf. ibid., p. 33, l’article 48 des statuts de 1522, qui réitère les mêmes instructions).
36 N. Carrier, op. cit., p. 66-72. N. Carrier et M. de La Corbière, op. cit., p. xx-xxxv.
37 Quia interdum propter ignorantiam valoris nostrorum victualium vel alias, thesaurarii nostri pro tempore existentes seu eorum locatenentes aut subrogati ipsa victualia nostra appreciant atque vendunt officiariis nostris ipsa nobis debentibus multo minori precio quam valeant, volentes indempnitati nostre providere, inhibemus hoc edicto dictis thesaurariis nostris ac eorum subrogatis ne deinceps ipsa victualia nostra cuique officiariorum nostrorum vel alteri apprettare vel vendere presumant, nisi in presencia presidentis magistrorum et auditorum computorum nostrorum aut duorum ex ipsis. Que etiam sine thesaurarii vel ejus subrogati presencia venditiones seu appreciationes fieri prohibemus, nisi priusfacta fide débita per officiarium talia victualia emere volentem in scriptis relatu plurium fidedignorum proborum loci sui offcii de vero valore eorumdem victualium tunc communi et currente (Statuta Sabaudiae, liber II, art. 181).
38 Et primo pro pretio I modii XVII octanarum ordei per ipsum ut supra debitarum et sibi ut supra appreciatarum secundum formam informationis valoris omnium victualium totius baillivatus Foucignaci super hoc ipso anno sumpte per Petrum Garneyrenis, commissarium ad hoc deputatum, etc. (CC Samoëns (1452-1453), Arch. dép. Savoie, SA 14460, venditiones).
39 Entre 1479 et 1495, le châtelain de Samoëns livre aux mendiants de Genève plus de fèves que les redevances du mandement n’en fournissent. Il doit donc acheter la différence. Il est remboursé en fonction du prix moyen des fèves constaté dans son mandement (CC Samoëns (1481-1496), Arch. dép. Savoie, SA 14489-14501, venditiones).
40 Arch. dép. Isère, B 4378-4389. La période 1421-1442 est manquante.
41 Ibid., B 3480, fol. 2-14. Le Grésivaudan est la vallée qui s’étend entre Grenoble et Chambéry.
42 In dicto loco non tenetur mercatum nec venditur bladum, nisi illud quod portatur ad menata Mure et Corini. Et per consequens nescit quantum vendetur bladum in dicto loco et mandamento Bellimontis quando ibi ipsum vellet emere. Interrogatus que mensura est maior vel illa Mure, vel illa Corini vel illa Bellimontis, dicit quod sunt quasi eedem, tarnen dicitur quod illa de Mura est modicum maior (ibid., fol. 3).
43 Ibid., fol. 12. L’imprécision sur le nombre de transactions constaté se trouve dans le procès-verbal lui-même.
44 Cf. l’enquête menée au même moment par Pierre Gomon dans le bailliage du Viennois et la Terre de La Tour : Personaliter accessi ad locum Turrispini [La Tour-du-Pin] et diligenter atque secrete inquisivi cum notabilibus, intelligentibus et prudentibus hominibus ejusdem loci qui consueti et assueti sunt apud marchatum et forum (ibid., fol. 15V).
45 N. Carrier, op. cit., p. 365-366.
46 Item Anthonius de Ruffo, quem non requisivi quod juraret (B 3480, fol. 4).
47 Domengia, uxor Gononi Latini, peytoneria, noluit jurare licet sibi imponerem penam (ibid.)
48 Cossealium, quia ibi non venditur siligo pura (Corens, ibid., fol. 3v). Quarta siliginis in qua est mixtura frumenti (La Mure, ibid., fol. 7V).
49 Siligo non venditur ibi nisi de raro, tarnen bichetum pulchrioris valet, etc. (ibid., fol. 10).
50 De ordeo dixit quod non venditur donec sint senallye [sic], quare nescit pecuniam (ibid.). Curieusement, au moment même où l’orge est rare, l’avoine, autre trémois, est partout en abondance.
C’est qu’on en produit beaucoup plus en Grésivaudan.
51 Ibid. fol. 6.
52 Ibid., fol. 2v.
53 Guillelmus Bertrandi de Fumo [...] retulit suo juramento quod bladum venditur et valet in mercato Corini atque valuit quasi a festo Natalis Domini citta, etc. Item Jacobus Eyrandi de Pellafollo retulit quod bladum valet et valuit in dicto loco Corini potissive [sic] a tribus vel quatuor mercatis citra, etc. (ibid., fol. 5). Retulit michi [...] Petrus Berardi [...] quod bladum valet in dicto mandamento Voyronis et valuit, duobus aut tribus mercatis elapsis, etc. (ibid., fol. 9).
54 Cf. supra, n. 34 : en 1346 à Auberive, la période de référence est celle qui va de Noël à Pâques. Peut-être n’est-ce précisé que parce que l’attestation est tardive (11 juillet). En 1352 à Saint-Bonnet, aucune période de référence n’est mentionnée, les témoins évaluant simplement les prix des blada fiscalia seu alia pro presenti anno. Mais leur attestation est datée du 9 mai.
55 Cf. J. Demade, « Transactions foncières et transactions frumentaires : une relation de contrainte ou d’opportunité ? L’exemple des tenanciers de l’hôpital de Nuremberg (1432-1527) », dans Le marché de la terre au Moyen Âge, L. Feller et C. Wickam (éd.), Rome, 2005, p. 375-376.
56 A. Lemonde, Le temps des libertés, cité n. 1.
57 V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné », art. cit., p. 302.
58 Supra, n. 35.
59 Dans la première moitié du xve siècle, la référence de l’acte de vente est mentionnée dans le compte de châtellenie. Par exemple : Idem reddit computum quod recepit a se ipso castellano [...] de et pro pretio bladorum et aliorum victualium dicte castellante [...] per ipsum ut supra debitorum et sibi venditorum per Peronetum Mercerii, receptorem generalem Foucigniaci, pretiis infrascriptis, prout de dictea venditione fidem facit per licteram ipsius Peroneti de testimonio dicte venditionis, datam Chamberiaco, die secunda mensis julii anno domini millesimo CCC° decimo (CC Samoëns (1416-1417), Arch. dép. Savoie, SA 14424, venditiones).
60 Item quod castellanus noster Tharentasie [...] teneatur et debeat servicia nostra bladorum et vinorum annis singulis ab ea debentibus exigere, recuperare et levare infra unum mensem proximum statim finito termino quo dicta servicia sunt consueta anno quolibet nobis solvi incohandum, alias precium commune quo dicta servicia infra dictum mensem vendentur communiter in dicta castellania. Et de pluri predo et valore quibus dicta blada et vina infra annum vendi contingerint, idem castellanus, si in dieta biada et vina terminis consuetis negligens fuit, nobis et nostris successoribus teneatur et debeat (« Copie des franchises des habitants de la Tarentaise au-dessus du Saix, accordées par les princes de Savoie en 1391 », Académie de la Val d’Isère. Documents, 1,1866, p. 406). Les franchises des métralies de Saint-Michel de Maurienne et de La Chambre emploient quasiment les mêmes termes (Arch. dép. Savoie, SA 3020[1]).
61 Exemples cités par V. Chomel, « La Chambre des comptes de Dauphiné », art. cit., p. 303. Une comparaison sur le long terme entre les évaluations fournies par les commissaires enquêteurs et les prix de vente indiqués dans les comptes de châtellenie serait possible, mais elle n’entrerait pas dans le cadre limité de cet article.
62 A se ipso de et pro pretiis bladorum et aliorum victualium dicte castellanie per ipsum prout supra debitorum et sibi venditorum per [...] thesaurarium Sabaudie generalis de precepto domini facto ad requestam illustrissimi domini comitis gebennensis qui apud eundem dominum nostrum ducem intercessit etiam, actento quod blada ibidem ipso anno ex frigore totaliter sunt devastata (CC Samoëns (1456-1457), Arch. dép. Savoie, SA 14464, venditiones).
63 G. Castelnuovo, C. Guilleré, « Le crédit du prince : l’exemple savoyard au bas Moyen Âge », dans Crédit et société. Les sources, les techniques et les hommes. Rencontres d’Asti-Chambéry (24-27 septembre 1998) J.-M. Cauchies (éd.), Luxembourg, 1999 (Publ, du Centre européen d’études bourguignonnes, no 39), p. 151-164.
64 Qui, au xve siècle, ne correspond plus à des fonctions administratives réelles, puisque en Savoie les châtelains sont alors systématiquement suppléés par un lieutenant.
65 Elle a été utilisée par Guy Bois pour évaluer le mouvement des prix en Normandie orientale. À Bayeux par exemple, les estimations seigneuriales sur les prix « étaient effectuées chaque année, sous le contrôle des officiers de la vicomté, par les marchands de la ville » (Crise du féodalisme. Économie rurale et démographie en Normandie orientale du début du xive siècle au milieu du xvie siècle, rééd. Paris, 1976, p. 75-76).
© Éditions de la Sorbonne, 2009