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Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale

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Laurent Feller

Entre Angleterre et Normandie : la politique de conversion des redevances de l’abbaye de la Trinité de Caen (xiie-xiiie siècle)

Catherine Letouzey

Texte intégral

1L’abbaye de la Trinité de Caen dispose dans son fonds d’archives de sources très éclairantes sur la question des conversions de redevances. Un cartulaire-censier sans équivalent dans la documentation normande contemporaine permet en particulier d’aborder ce problème, d’une part dans une perspective évolutive – dès le début du xiie siècle, et jusqu’au début du xiiie siècle ; et d’autre part suivant une démarche comparatiste, puisqu’il décrit la situation aussi bien dans les manoirs anglais que dans les seigneuries normandes contrôlées par l’abbaye. Ce document et les enquêtes qu’il contient, remarqués depuis longtemps, ont déjà été utilisés pour traiter cette question, au point même de devenir dans la bibliographie anglaise un « cas d’école » pour le xiie siècle. Le temporel anglais de la Trinité de Caen constituerait ainsi l’archétype d’une commutation généralisée des services et redevances, processus achevé dès cette époque. Pourtant, un examen attentif de l’ensemble de cette documentation (le cartulaire en lui-même) montre qu’une telle conclusion s’avère difficile à maintenir, et les indices qui émergent semblent beaucoup moins assurés que prévu. Une relecture attentive permet d’une part de prendre pleinement conscience de la complexité des documents – ce qui empêche donc toute conclusion aussi tranchée. D’autre part, de nombreux éléments convergent au contraire vers l’idée d’une politique choisie de non-conversion des redevances et de maintien des corvées pour le xiie siècle. En considérant qu’il s’agit bien là d’un choix, mûrement pensé (ce dont on a par ailleurs des indices), s’interroger sur ce parti pris de l’abbaye de la Trinité s’avère particulièrement intéressant : pourquoi une telle originalité ? Dans quelle mesure s’agit-il d’une réaction à un contexte plus large ? Cette question apparaît alors cruciale, permettant d’approcher un certain nombre de points fondamentaux pour l’étude du temporel de l’abbaye et de ses pratiques de gestion. Après avoir abordé la spécificité de la documentation et du cas de cette grande abbaye anglo-normande, on s’arrêtera sur les principales conclusions que l’on peut tirer sur cette question de la conversion des redevances. Il s’agit ensuite de tenter d’expliquer ce parti pris, qui renvoie plus largement à l’originalité de la politique de gestion de l’abbaye – à travers les questions du recours au droit et de l’accent mis sur le maintien des statuts, de l’importance et de la précocité de la mise par écrit, ou encore en posant le problème des choix propres à une abbaye de femmes. Si tous ces éléments renvoient à une volonté de maintenir sa domination sur un temporel éclaté entre Angleterre et Normandie, il ne faut pour autant pas négliger la dimension économique, et le paradoxe que ce choix suppose, entre des prélèvements massifs en nature et une réserve de liquidités par ailleurs abondante. Il s’agit donc de considérer ce parti pris de non-conversion des redevances comme un problème réel, sans chercher à le justifier hâtivement comme étant une simple marque d’archaïsme. Cette logique, complexe, apparaît alors particulièrement intéressante à tenter de décrypter.

Le cartulaire-censier

  • 1 M. Arnoux et G. Brunel, « Réflexion sur les sources médiévales de l’histoire des campagnes : De l’ (...)
  • 2 Conserves dans un meme cartulaire (Bibliothèque nationale, ms. lat. 5650), ces surveys ont été édi (...)
  • 3 Notamment dans : M. Bloch, Seigneurie française et manoir anglais (Cahier des Annales, no 16), Par (...)

2Parmi les archives de l’abbaye de la Trinité de Caen nous est parvenu un document remarquable : il s’agit d’un cartulaire rassemblant – entre autres – des enquêtes réalisées exactement en parallèle dans les possessions anglaises et normandes de l’abbaye. Comme le notent M. Arnoux et G. Brunei, la présence de ce cartulaire de la fin du xiie -début du xiiie siècle dans les archives de l’abbaye a été remarquée depuis longtemps par les historiens1 ; le document a été jugé d’emblée exceptionnel, aussi bien par sa date que par son contenu, mais n’a jamais été étudié pour lui-même. Dans ce cartulaire, deux séries d’enquêtes (surveys), l’une réalisée au début du xiie siècle (survey A) et l’autre à la fin du xiie siècle (survey B), sont particulièrement importantes car elles décrivent en parallèle le temporel anglais et normand de l’abbaye2. Ces enquêtes sont ainsi d’un intérêt majeur pour l’étude comparée du patrimoine de l’abbaye – selon la démarche inaugurée par M. Bloch3 ; elles permettent tout particulièrement d’aborder les pratiques de gestion de cette abbaye et d’éclairer notamment l’attitude adoptée vis-à-vis des conversions de redevances, dès le xiie siècle.

  • 4 L’abbaye Saint-Étienne de Caen, « sœur » de la Trinité, conservait jusqu’au xixe siècle dans ses a (...)
  • 5 M. Arnoux, compte rendu de l’édition de J. Walmsley, art. cité, p. 390.

3De fait, les enquêtes recopiées dans ce cartulaire sont tout d’abord intéressantes par la précocité de leur rédaction. En Normandie, il n’y a pas d’équivalent, même parmi les vastes fonds d’archives des autres grandes abbayes normandes4. Pour M. Arnoux, « si une telle richesse de sources n’est pas exceptionnelle pour le Royaume-Uni, elle n’a pas d’équivalent sur le continent5 ».

  • 6 M. Chibnall, Charters..., op. cit., notes 6 et 7, p. xxx.

4En Angleterre, les enquêtes de la Trinité sont à mettre au même plan que les très rares et célèbres enquêtes du xiie siècle conservées (celles de Glastonbury Abbey, de Ramsey Abbey, ou encore le Boldon Book de Durham, le Domesday of Saint Paul’s, le Red Book de Worcester, le Liber Niger de Peterborough, parmi les plus renommées). Mais, parmi ce nombre restreint d’enquêtes du xiie siècle conservées, celles de la Trinité se démarquent par leur aspect évolutif, évidemment très intéressant pour l’étude du processus de conversion de redevances. Réalisées à deux dates successives du xiie siècle, elles échappent donc au principal écueil de ce type de documents : leur aspect statique. Ainsi, même pour l’Angleterre, les surveys de la Trinité demeurent à part, n’étant réellement comparables qu’aux enquêtes de Burton ou de Shaftesbury Abbeys, également réalisées à différentes dates du xiie siècle6.

  • 7 G. Fournier, « Essai sur les origines du terrier en Basse-Auvergne », Information historique, no 2 (...)
  • 8 D. Angers, Le terrier de la famille d’Orbec à Cideville, Montréal, 1993, ou encore : D. Angers, H. (...)

5Ces enquêtes se distinguent également par leur contenu, particulièrement détaillé pour une date aussi précoce. Un tel degré de détail les rattacherait sans aucun doute aux censiers, mais il s’agit a priori d’un genre davantage caractéristique du xiiie siècle ; les xie-xiie siècles étant marqués par des documents de rédaction plus sommaire, ainsi que l’a souligné par exemple G. Fournier lorsqu’il retrace l’histoire de la mise au point d’une forme de rédaction pratique, claire et détaillée – avec comme aboutissement le terrier7. C’est ce que montre également D. Angers pour la Normandie plus spécifiquement8.

  • 9 J. W. Baldwin (éd.), Le Livre de terres et de revenus de Pierre du Thillay (Cahiers Léopold Delisl (...)
  • 10 Compte rendu de l’édition de J. Walmsley, art. cité, p. 390.
  • 11 M. Arnoux et G. Brunei, « Réflexion sur les sources médiévales... », art. cité, p. 25. Pour les en (...)

6Ces documents posent donc un réel problème de définition, ce qui explique le choix de conserver le terme général d’« enquêtes », voire le terme anglais de surveys, utilisé en Grande-Bretagne pour désigner ces grandes enquêtes du xiie siècle, sans équivalent sur le continent. J. Baldwin, comparant les enquêtes de la Trinité avec le Livre de terres et de revenus de Pierre du Thillay, qu’il cherchait lui aussi à caractériser dans le cadre d’une typologie précise, va jusqu’à voir dans les enquêtes de l’abbaye normande un genre en formation pour la Normandie9. Cette hypothèse d’un type de document en cours de définition, encore mal établi, semble en cohérence d’une part avec sa précocité, et d’autre part avec sa complexité, qui est d’emblée à souligner. Le vocabulaire et les structures de classement sont particulièrement délicats à interpréter, et les adjectifs anglais cryptic ou terse reviennent régulièrement pour qualifier ces documents dans les introductions à leurs éditions respectives. Comme le remarque M. Arnoux à propos de la première enquête : « Ce censier – et les documents contemporains publiés avec lui – résiste aux idées préconçues et aux thèses usuellement reçues10. » Ce même auteur ajoute par ailleurs, concernant les autres documents : « Les autres inventaires, complexes, peu intelligibles par moments et susceptibles de remettre en question les quelques certitudes acquises, ont été jusqu’ici prudemment ignorés11. »

  • 12 M. Postan, « The chronology of labour services », Transactions of the Royal Historical Society, 4t (...)
  • 13 M. Chibnall (éd.), Charters..., op. cit., et J. Walmsley (éd.), Charters..., op. cit., note 1 du p (...)
  • 14 1982 pour l’édition de M. Chibnall, 1994 pour celle de J. Walmsley, mais avec une logique qui se d (...)
  • 15 De façon caractéristique, Postan n’utilise que les documents anglais. Carabie se penche certes sur (...)
  • 16 J.-P. Genet, « Cartulaires, registres et histoire : l’exemple anglais », dans Le métier d’historie (...)

7De fait, il est intéressant de constater que, connus et reconnus comme ils le sont, ces documents n’ont pourtant jamais été étudiés en tant que tels, mais plutôt utilisés comme on piocherait dans une carrière, en fonction du sujet que l’on souhaite traiter et à l’appui de théories générales. C’est particulièrement patent concernant la question des conversions de redevances. Les surveys anglais de la Trinité ont constitué le cas d’école, étayant l’argumentation d’un article fondateur sur la question pour l’Angleterre, écrit par M. Postan, point sur lequel nous allons revenir12. Fait significatif, ces documents, rassemblés à l’origine dans un même cartulaire, ont été édités en deux volumes différents, séparant ce qui intéressait l’Angleterre (édition de M. Chibnall) de ce qui touchait à la Normandie (édition de J. Walmsley)13. Ce choix pourrait se justifier par la commodité, étant donné l’ampleur de la tâche exigée par chacune des éditions. Mais il faut souligner que cela correspond aussi à une approche des documents qui remonte aux années 198014 et qui répondait largement à la façon dont on appréhendait alors ce type de sources, n’utilisant que les documents « anglais » ou « normands » selon le sujet traité15, à un moment où 1’« objet-cartulaire » intéressait très peu, comme le déplore dès la fin des années 1970 J.-P. Genet à propos des cartulaires anglais16.

  • 17 L’un des ouvrages inaugurant cette démarche en France étant certainement : O. Guyotjeannin, L. Mor (...)
  • 18 Μ. T. Clanchy, From Memory to Written Record, England 1056-1307, Oxford, 1979, rééd. 1993, particu (...)
  • 19 J. Goody (dir.), Literacy in Traditional Societies, Cambridge, 1968.
  • 20 J. W. Baldwin, Philippe Auguste et son gouvernement : les fondations du pouvoir royal en France au (...)
  • 21 P. J. Geary, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, Paris, 1996, quatrième de couve (...)
  • 22 J.-P. Genet, « Cartulaires... », art. cité, p. 101-102.
  • 23 P. Chastang, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc ( (...)
  • 24 De institutione ecclesie, fol. 18v-20r du ms. lat. 5650 de la BnF, édité dans L. Musset (éd.), Les (...)
  • 25 T. N. Bisson, Fiscal Accounts of Catalonia under the Early Count-Kings (1151-1213), 2 vol., Berkel (...)

8Bien évidemment, le fait que ces documents soient rassemblés dans un même cartulaire, composé dès la fin du xiie siècle, est aujourd’hui beaucoup plus susceptible de nous arrêter, dans la perspective des recherches actuelles sur la mise par écrit et la rédaction des cartulaires17. De fait, la prise en compte de la démarche à l’œuvre dans la rédaction de ces enquêtes, puis dans leur recopie dans un cartulaire, peut enrichir, voire modifier l’interprétation, si l’on part du principe – aujourd’hui bien admis – que cette « mise en écriture » a un sens en soi. La précocité de cette mise par écrit (dès la fin du xiie ou au tout début du xiiie siècle) s’explique vraisemblablement en partie par la très grande proximité de l’abbaye avec la cour anglaise. On retrouverait ainsi ici les pratiques d’administration royales, particulièrement en avance dans le domaine de la literacy (le « savoir lire et écrire »), analysé par Μ. T. Clanchy18 pour le Moyen Âge, à partir du concept forgé par l’anthropologue J. Goody19. Par ailleurs, la logique qui sous-tend la rédaction de ces enquêtes puis du cartulaire, est certainement à mettre en relation avec cet « esprit de bilan » que J. Baldwin a jugé caractéristique des traditions administratives anglo-normandes (avec le recours courant à ce type de grandes enquêtes) ; un esprit dont hérite par la suite le gouvernement de Philippe Auguste20. Les raisons précises de la mise par écrit du cartulaire sont difficiles à déterminer en l’absence de préambule, mais l’idée d’une construction de la mémoire de l’abbaye, grâce à cette rédaction, suivant les analyses de P. Geary pour les abbayes de l’Occident au tournant de l’an mil, peut également s’appliquer au cas de la Trinité. On retrouve ce même principe de reconstruction du passé, avec pour but d’accéder au pouvoir par la maîtrise de la mémoire. C’est là un geste éminent de contrôle du passé, permettant de réclamer son dû : « Il s’agit en fait de conformer le passé au présent voire de justifier l’avenir21. » Cette motivation est étroitement liée à la dimension fondamentale d’affirmation de son identité, point commun de la plupart des cartulaires anglais étudiés par J.-P. Geriet22. Dans le cas de la Trinité, parmi d’autres indices de ce « tri » éminemment parlant et identitaire, on trouve la recopie méticuleuse, en en-tête, des chartes de fondation et de donation des illustres bienfaiteurs : Guillaume le Conquérant et son épouse la reine Mathilde. Plus encore, la volonté d’ordonnancement et de défense du patrimoine à un moment critique pour l’abbaye, mise en lumière par P. Chastang pour les cartulaires de Bas-Languedoc23, est manifeste dans ce cartulaire, qui rassemble toutes les pièces justifiant la constitution du patrimoine, allant jusqu’à préciser l’organisation pratique de son administration24. La rédaction est de plus contemporaine de difficultés rencontrées par l’abbaye dans son temporel. Il s’agit autant de vérifier que de s’armer pour s’assurer du respect des droits, selon l’analyse de T. N. Bisson qui remarque que le xxie siècle est précisément un âge d’or d’innovation dans les principautés européennes en matière d’organisation fiscale (cas des Pipe Rolls anglais, de la Catalogne), mais que le but n’est pas tant de réaliser un bilan pour évaluer les coûts que de s’assurer et consolider le respect des droits25.

  • 26 Seconde partie du « Cartulaire anglo-normand ou Recueil de chartes anglaises et françaises jusqu’e (...)

9Enfin, le regroupement de ces enquêtes et documents dans un même cartulaire s’avère en soi significatif, et ce d’autant plus que le temporel de la Trinité était très éclaté. Fabriquer une unité, absente dans la réalité géographique, par la construction intellectuelle du cartulaire, paraît être un enjeu essentiel. En effet, le cartulaire semble ici fondamentalement l’instrument de la construction mentale unitaire d’un temporel éclaté. Il est ainsi très intéressant de noter que, malgré la dispersion des possessions de l’abbaye entre Angleterre et Normandie (avec plus de 450 km de distance à vol d’oiseau entre la seigneurie anglaise la plus septentrionale et les seigneuries de la plaine de Caen), l’abbaye a choisi de regrouper ces enquêtes, réalisées à la même date et en parallèle sur les terres anglaises et normandes, dans un même cartulaire. De plus, figurent dans ce cartulaire des documents aux préoccupations spécifiques anglaises ou normandes de façon étroitement imbriquée. Dans l’esprit des concepteurs du cartulaire, il y a donc incontestablement une perception unitaire de ce temporel éclaté, qui va jusqu’à ne pas marquer de transition entre des seigneuries anglaises et d’autres normandes (aucun signe de séparation, pour un cartulaire qui comporte par ailleurs des titres), et à ne pas présenter nécessairement les seigneuries normandes, pourtant les plus proches géographiquement, en premier dans l’ordre de la rédaction. Cette perception unitaire se retrouve encore au xive siècle dans un autre des cartulaires de l’abbaye, consacré aux actes en lien avec la sacristie, et contenant en majorité des actes normands, mais qui mentionne soudainement, sans autre forme de transition ni de séparation, des actes concernant un manoir anglais26. La dimension comparatiste, chère à M. Bloch, s’applique ainsi particulièrement dans le cas de la Trinité et de sa pratique de rédaction de cartulaires, et montre la nécessité de ne surtout pas séparer les documents anglais et normands de cette abbaye, pour rester fidèle à sa volonté initiale.

  • 27 C. Wickham et J. Fentress, Social Memories, Oxford, 1992, particulièrement le chap. 4, « Medieval (...)

10On retrouve donc tout à fait le problème de la compréhension des cartulaires soulevé par C. Wickham, qui en appelait à dépasser une lecture ne recherchant que les faits, les informations à extraire, selon le principe d’une distinction simple vrai/faux27. Il y a au contraire une spécificité du document en lui-même à prendre en compte, point sur lequel a insisté J.-P. Genet dans le cas anglais dès 1977. Certes, pour la Trinité, les motivations profondes de la rédaction nous échappent en partie et ne peuvent que rester à l’état d’hypothèses ; mais ce cartulaire, cité, connu, sans pour autant jamais avoir été étudié en tant que tel, utilisé de chaque côté de la Manche en fonction de ce que l’on cherchait à démontrer, se doit d’être repris comme un tout, malgré – ou précisément à cause de – sa complexité extrême.

11Ainsi, la rédaction même du cartulaire de la Trinité, tôt dans le xiiie siècle, est l’indice d’une gestion fine de son temporel anglo-normand, et l’analyse de ce document, repris comme un tout, selon une démarche comparatiste, s’avère particulièrement intéressante pour l’étude de la conversion des redevances entre Angleterre et Normandie durant les xiie-xiiie siècles.

Le cas intéressant de l’abbaye de la Trinité vis-à-vis des conversions de redevances

  • 28 Le 18 juin 1066, juste avant le départ de Guillaume pour la conquête. Cette cérémonie a ainsi une (...)
  • 29 On peut citer, parmi les nombreux témoignages de cette proximité, l’implication de la reine Mathil (...)

12L’abbaye de la Trinité de Caen constitue un cas assez particulier parmi ces grandes abbayes anglo-normandes dotées en terres des deux côtés de la Manche à la suite de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. D’emblée liée à la conquête par sa cérémonie de dédicace28, cette abbaye, plus connue sous le nom d’abbaye aux Dames, fut, avec sa voisine Saint-Étienne – l’abbaye aux Hommes-, très proche du pouvoir royal29. L’écrasante majorité des terres concédées à l’abbaye vinrent ainsi directement du domaine royal pour l’Angleterre (possessions dispersées entre Essex, Norfolk, Gloucestershire, Wiltshire et Dorset), tandis que les seigneurs normands – et la reine Mathilde – rivalisèrent en donations, essentiellement localisées dans la plaine de Caen, du côté normand. La Trinité fait ainsi partie des très grandes abbayes anglo-normandes. De plus, comme on l’a vu précédemment, ses sources permettent de la rattacher au groupe très restreint des domaines ecclésiastiques pour lesquels nous conservons des enquêtes du xiie siècle en Angleterre, domaines contrôlés par ces great/record-keeping landlords analysés par P. Schofield au cours de ce même colloque. Le cas de l’abbaye de la Trinité est ainsi à double titre original.

  • 30 Caractère exceptionnel non d’un point de vue normand bien sûr, de nombreuses abbayes ayant été ain (...)
  • 31 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, 2 vol., Paris, 1962. (...)
  • 32 R. Britnell, Britain and Ireland, 1050-1530, Economy and Society, Oxford, 2004, p. 223-224. Au suj (...)

13En ce qui concerne la conversion des redevances, ce cas, bien que non représentatif, est particulièrement intéressant. D’une part, sa situation relativement exceptionnelle d’un temporel éclaté entre Normandie et Angleterre30 permet de s’interroger sur deux contextes a priori assez différents. On serait en droit d’attendre du côté normand une attitude qui se rattacherait plus au cas du royaume de France décrit par G. Duby, avec un passage au cens en argent général dès le xiie siècle31. À l’inverse, de l’autre côté de la Manche, l’historiographie anglo-saxonne a souligné très tôt la spécificité du choix des seigneurs anglais, avec une réaction très prompte face au contexte inflationniste de la fin du xiie siècle, qui se traduit par un retour au faire-valoir direct et aux prélèvements en nature. Par ailleurs, si l’on s’attache plus particulièrement au cas des seigneurs normands ayant reçu des terres en Angleterre à la suite de la conquête, deux possibilités également justifiables étaient offertes à l’abbaye. D’une part, comme le firent la plupart des seigneurs normands après Hastings, l’abbaye aurait pu rechercher un changement dans la gestion des manoirs lui ayant été conférés, avec des conversions généralisées en argent de redevances perçues auparavant largement en nature ; l’argent étant bien plus aisé à transporter pour des seigneurs ne résidant pas dans le pays. Mais, en même temps, l’abbaye a des logiques communes avec les seigneurs ecclésiastiques, marqués souvent par un certain conservatisme et le refus de prise en compte de la dimension économique de leurs possessions32. Entre ces différentes possibilités offertes, il semble légitime de s’interroger sur l’attitude adoptée par l’abbaye de la Trinité.

Un paradoxe historiographique

  • 33 R. Carabie, La propriéte foncière dans le très ancien droit normand ( xie-xiiie siècles), Caen, 19 (...)
  • 34 M. Postan, « The chronology of labour services », Transactions of the Royal Historical Society, 4t (...)

14Les rares auteurs à s’être penchés des deux côtés de la Manche sur le cas de cette abbaye ont jusque-là abouti à des conclusions pour le moins contradictoires, explicables en grande partie par l’attitude consistant à séparer ce qui ne l’est pas dans la documentation, comme nous l’avons souligné plus haut. Du côté normand, Robert Carabie a mis l’accent sur les pratiques jugées relativement « archaïques » de l’abbaye, sur l’immobilisme de la gestion de son temporel, allant de pair avec un taux de commutation très limité au xiie siècle dans les possessions normandes33. À l’inverse, du côté anglais, au même moment (fin des années 1930-début des années 1940), M. Postan, dans un article fondateur sur la question’34, a utilisé le cas des manoirs anglais de la Trinité comme l’archétype d’un processus de commutation totale des services achevé dès le xiie siècle. De telles divergences d’interprétations, pour une même abbaye, dont la documentation ne suggère par ailleurs aucune différence radicale d’attitude vis-à-vis des temporels normand et anglais, posent évidemment problème et sont à interroger : qu’en est-il finalement de la politique de l’abbaye vis-à-vis des conversions de redevances dans ce contexte particulier, partagé entre Normandie et Angleterre ?

Minchinhampton : archétype d’une commutation complète achevée dès le xiie siècle ?

  • 35 Ibid.
  • 36 Feudal reaction du xiiie siècle bien connue dans l’historiographie anglaise depuis Postan.
  • 37 A. L. Poole, From Domesday Book to Magna Carta, Oxford, 1951, p. 45, et G. Duby, Économie rurale.. (...)
  • 38 M. Postan, « The chronology... », art. cité, p. 183.
  • 39 M. Chibnall, Charters..., op. cit., note 5, p. xlix.
  • 40 Il faut le rappeler, à la suite de M. Arnoux (compte rendu cit., 1995), de M. Chibnall (Charters.. (...)
  • 41 Le débat portait sur la tendance à la rétraction des réserves durant le xiie siècle, et les interp (...)
  • 42 When Postan began writing in the 1930s, the subject lacked a coherent general framework within whi (...)
  • 43 Voir note 48.
  • 44 M. Bloch, Seigneurie française..., op. cit., p. 58.
  • 45 Cette enquête C suit l’enquête B d’un point de vue chronologique, et non dans l’ordre du cartulair (...)

15Si l’on s’attache aux sources énoncées en introduction et à une analyse d’ensemble du cartulaire, le premier constat est celui d’un mouvement de conversion des redevances finalement très limité dans les possessions de l’abbaye de la Trinité durant cette période. Il s’agit donc tout d’abord de nuancer les conclusions de M. Postan dans ce cas précis. Dans cet article fondateur35, l’objectif principal de l’auteur était de souligner l’ampleur du processus de commutation que connaît l’Angleterre au xiie siècle (précédant le mouvement inverse de retour en arrière au xiiie siècle36), en reprenant des documents étudiés par les historiens avant lui, mais dont les indices à ce sujet avaient été négligés. Pour le xiie siècle, Postan conclut de façon globale à une moindre mise en culture sur les réserves, et donc à une baisse des exigences en travail de la part des seigneurs. Les surveys de l’abbaye de la Trinité occupent une place de choix dans cette démonstration. Le cas de son temporel anglais constitue l’archétype de ce que l’auteur cherche à prouver : Minchinhampton (Gloucestershire) apparaît sous la plume de Postan comme un cas classique de démembrement de la réserve dès le xiie siècle, analyse reprise et vulgarisée par A. L. Poole en Angleterre, et par G. Duby sur le continent37. Pour Postan, ce cas est le most revealiny38. ce qui est malheureusement un peu trop beau pour être vrai, comme le souligne M. Chibnall, qui n’invalide pas les conclusions générales de Postan, mais qui insiste sur les corrections a apporter dans le cas précis de la Trinité : The general conclusions put forward in this article are still valid ; but the statements about the Caen manors, Minchinhampton in particular, must be modified.39 De fait, M. Postan est certainement allé un peu trop vite dans l’interprétation de ces documents relativement confus et délicats, emporte par l’enthousiasme d’avoir trouvé un tel cas d’école pour sa démonstration. Postan a choisi le manoir de Minchinhampton, extrapolant à partir de celui-ci des conclusions pour l’ensemble des manoirs anglais de la Trinité. Or, ce domaine est en fait l’un des plus problématiques, au sein d’enquêtes dont la lecture est par ailleurs loin d’être immédiate, comme nous l’avons déjà mentionné40. De façon typique, Postan a utilisé ces surveys comme une carrière, cherchant juste les pierres pour son édifice, c’est-à-dire la confirmation d’une théorie générale sur la commutation des services dans l’Angleterre du xiie siècle. Au sujet d’autres documents, ceux de l’abbaye de Glastonbury – contemporains des surveys de la Trinité-, cette attitude a été reprochée à Postan. R. Lennard pointe précisément la tendance de ce dernier à oublier la spécificité du document pour privilégier les interprétations générales41. C’était de fait l’un des objectifs principaux de Postan, à un moment ou il n’existait pas encore de telles synthèses générales sur ces questions pour l’Angleterre du Moyen Âge, comme le rappellent J. Hatcher et M. Bailey42. Mais cette démarche n’est pas sans écueils. Dans le cas de Minchinhampton, on s’aperçoit notamment de la rapidité de lecture des documents43. Dans la documentation de la Trinité, Minchinhampton est un ensemble manorial particulièrement complexe, avec une préservation très marquée de structures et de coutumes saxonnes. Ce manoir a en soi posé de graves problèmes à des rédacteurs normands, confrontés à des réalités bien différentes, ce qui se traduit par le même « voile verbal » que celui analyse par M. Bloch pour le Domesday Book44. Il en résulte des enquêtes extrêmement confuses et une interprétation problématique de la datation de l’enquête B et de celle qui la suit45.

  • 46 M. Chibnall, Charters..., op. cit, p. xxxiv, et J. Birdsall, « The English... », art. cité, p. 35- (...)

16Ce dernier problème est évidemment crucial pour l’analyse de l’évolution des conversions de redevances. Pour Postan, les deux dernières séries d’enquêtes prises en compte (surveys B et C) sont réalisées à plus de vingt ans d’intervalle, évaluation sur laquelle sont revenues J. Birdsall et M. Chibnall46, qui proposent des dates très proches, quelques mois, au plus une ou deux années d’intervalle, le C étant une tentative de clarification du B. Il s’agit avant tout d’une réécriture, avec de légères variations, et cela modifie beaucoup l’interpretation de Postan, trop ideale pour être totalement juste ; ayant, comme nous l’avons vu, avant tout comme perspective la mise en place d’une théorie générale sur la question.

  • 47 La virgate anglaise vaut environ 30 acres anglaises, et non un quart d’acre comme la vergée norman (...)

17De plus, et c’est là une autre source de confusions, les surveys B et C de Minchinhampton ne portent pas exactement sur la même étendue de territoire, ni sur le même nombre de tenanciers. Il y a ainsi un doute sur le nombre de hameaux inclus (notamment celui de Staford qui n’est plus indiqué explicitement en C). Surtout, et c’est ici que réside probablement le cœur de l’interprétation hâtive de Postan, on voit apparaître au début du survey C de Minchinhampton une série de douze tenanciers qui n’étaient manifestement pas comptabilisés en B. Or ces tenanciers sont parmi ceux qui glabulant libere, donc rattachés à la catégorie des vilains ayant racheté leurs corvées. Ces virgates47 ad gablum supplémentaires représentent plus de vingt virgates de différence avec le survey B pour cette même catégorie, et cela expliquerait l’impression – illusoire – que l’on peut avoir alors d’obligations entièrement rachetées.

  • 48 Le chiffre de 26 virgates donné par Postan pour cette catégorie provient manifestement d’une lectu (...)

18Si l’on compare les trois surveys (c’est-à-dire deux vraiment distincts, B et C ayant un contenu similaire), l’image est au contraire d’une grande stabilité. Les corvées commutées (virgates ad gablum) représentent 9,5 virgates en A, environ 18 en B, et plus de 40 en C, mais la différence dans les chiffres provient uniquement de ces tenanciers comptabilises en C et non en B. Les virgates ad opus se maintiennent globalement : 20 working vigates48 en A, environ 14 en B et en C.

  • 49 Par exemple au début du paragraphe les concernant pour Minchinhampton en B : Omnes virgate operane (...)

19Par ailleurs, il faut souligner qu’en B-C, ces commutations sont en fait pour près de la moitié d’entre elles des options, et non des commutations complètes. La formulation a ainsi toute son importance. Dans le cas des vilains effectuant des corvées, on s’aperçoit que celles-ci sont exactement les mêmes en C qu’en B, tout aussi lourdes, mais avec une formulation qui n’a pas peur des redondances, et une précision accrue pour éviter tout allègement possible dû à une mauvaise interprétation49. De fait, une lecture attentive montre que, bien loin d’une commutation généralisée (on ne trouve dans le survey B qu’à peine deux virgates ayant uniquement des redevances en argent, et aucune dans le survey C), on remarque au contraire entre B et C, à travers cette reformulation, une insistance nettement plus marquée sur les services dus et sur la toute-puissance de l’abbesse – y compris dans les cas des virgates commutées, mais avec option. Le texte C insiste bien dans ce cas sur le caractère gracieux et temporaire de ces conversions de redevances.

  • 50 C’est-à-dire : Debet per Angliam libere et/ter arabit et semel metet cum omnibus famulis sicut sib (...)

20Ainsi, un tenancier qui était dit en B tenir i virg’ pro v sol’vel operabitur (Min B2) est dit en C tenir i virg’ operariam pro v sol’ (Min C2). Dans les faits, ce tenancier livre une redevance en argent à la place d’une corvée, et il y a bien là commutation, mais, en même temps, l’abbaye rappelle clairement en C le statut initial de la terre – virgata operaria – pour éviter tout abus futur. Plus encore, ces terres, pourtant commutées, sont toutes accompagnées de services – plus légers certes, mais non négligeables. Ce dernier tenancier doit en fait en C : v sol et jacit consuetudines sicut Adam50, corvées coutumières qui n’étaient pas indiquées en B. Il est donc difficile de parler de conversion intégrale des redevances en argent, quand on voit, même pour des freeholders – certes nouveaux, mais rattachés néanmoins à ce groupe des freeholders par des obligations exactement semblables-, un accent aussi marqué sur le travail. Enfin, l’énoncé du survey C souligne avec une insistance particulière le fait que le choix ultime, dans ces conversions, relève de l’autorité de l’abbesse. Par exemple, un tenancier tient i quar[terium] pro ii sol’(Min B19), et, le même, pour la même tenure en C : i quar[terium] pro ii sol’in voluntate abbatisse (Min C19). L’abbesse rappelle ainsi à ses tenanciers, même freeholders, que, s’ils doivent certes actuellement de l’argent, elle ne s’en réserve pas moins le droit d’exiger des corvées.

  • 51 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xlix.
  • 52 C. Dyer, Lords and Pensants in a Changing Society. The Estate of the Bishopric of Worcester, 680-1 (...)

21En définitive, comme le nuance M. Chibnall au sujet du cas « célèbre » de Minchinhampton, the truth is a great deal more complicated, and elements of stability persisted in a changing society51, phrase qui rappelle les analyses de C. Dyer52. Ce dernier considère d’ailleurs Minchinhampton comme un « ovni » dans le paysage de la région, ce manoir comportant des éléments de permanence qui l’emportent largement sur les évolutions, ce qui s’explique aussi très certainement par le fait que le centre de gestion ne soit pas en Angleterre, mais en Normandie.

Une relecture valable pour l’ensemble des manoirs anglais

  • 53 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 232.

22De façon plus générale, on note un poids important des corvées dans les manoirs de l’abbaye de la Trinité. Des surveys comme ceux de la Trinité pour le xie siècle permettent en effet de combler une information absente du Domesday Book : le poids des corvées. Les corvées y sont lourdes, à l’instar de ce que l’on peut remarquer dans les documents de Glastonbury Abbey ou de Peterborough Abbey53. Les documents de la Trinité montrent par ailleurs que le poids de ces corvées se maintient au cours du xiie siècle.

  • 54 Pour les autres manoirs, Horstead et Tilshead, il est impossible de tirer des conclusions assurées (...)
  • 55 D. Matthew a ainsi été frappé par la taille des troupeaux sur les réserves de la Trinité en Anglet (...)

23Le cas de Felsted (Essex), analysé également par M. Chibnall, montre, comme à Minchinhampton, une relative permanence et remet donc en cause les conclusions quelque peu hâtives de M. Postan concernant l’ensemble du temporel anglais de la Trinité54. Dans ces manoirs, les réserves restent de taille conséquente55 – point crucial pour la démonstration de Postan –, et l’insistance sur le travail perdure.

  • 56 J. Birdsall, art. cité, p. 37, qui renvoie dans le texte à : Avening’ primo habentur ii vi[r]gate (...)

24À Avening, comme le remarque J. Birdsall, on voit même un alourdissement, typique du phénomène de détérioration des tenures observé par N. Neilson dans les manoirs de l’abbaye de Ramsey, avec un retour aux options, toujours in voluntate abbatisse, pour des tenures dont les services – en l'occurrence militaires – avaient été rachetés auparavant56.

  • 57 R. Carabie, La propriété..., op. cit., p. 223.
  • 58 J. Birdsall, « The English manors... », art. cité, p. 44, et L. Musset (éd.), Les actes..., op. ci (...)

25De fait, dans le temporel anglais, s’il est rappelé ainsi à l’ensemble des tenanciers, y compris freeholders, l’obligation de réaliser quelques corvées, il faut noter en parallèle, selon un schéma classique pour l’Angleterre du xiiie siècle, un alourdissement très net des corvées dues par les tenanciers qui conservent le statut de vilains. Comme le remarque R. Carabie57, comparant vilains anglais et normands aux xiie-xiiie siècles à travers l’exemple des possessions de la Trinité de Caen, le poids des redevances est certes inférieur pour le vilain anglais, mais le poids des corvées pour ceux qui restent vilains est manifestement plus lourd, sans possibilité aussi aisée de rachat qu’en Normandie : cet auteur a compté environ deux à quatre jours par semaine en Angleterre (ce qui est sous-estimé : jusqu’à six jours par semaine pour Minchinhampton), pour une demi-journée par semaine en Normandie. Enfin, aussi bien en Angleterre qu’en Normandie, on remarque le poids des prélèvements en nature dans les redevances, et ce notamment à travers les nombreuses corvées de transport exigées par l’abbesse, ou encore les mentions de fromages, jambons et bois reçus des manoirs anglais58, c’est-à-dire les denrées les moins périssables.

En Normandie : une conversion des redevances limitée et un poids encore plus important des prélèvements en nature

  • 59 J. W. Baldwin, « Pierre du Thillay, knight and Lord : the landed ressources of the lower aristocra (...)
  • 60 Seulement trois cas de conversions pour des vavasseurs, avec le vinage racheté, c’est-à-dire que l (...)
  • 61 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 88.
  • 62 Cas de Graye, par exemple, voir : J. Walmsley, Charters..., op. cit., p. 15.
  • 63 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 76.

26Très logiquement, l’abbaye dépendait bien davantage des seigneuries normandes pour les livraisons en nature, manifestement très importantes en comparaison des redevances monétaires, comme l’a fait remarquer J. Baldwin – par rapport au Livre de terres et de revenus de Pierre du Thillay. De même, J. Walmsley59 remarque qu’on ne trouve que de façon exceptionnelle des cas de commutation dans les seigneuries normandes60 : As for a trend toward the commutation of labor services and produce rents for cash payments, we must look largely in vain, précise-t-il au sujet des enquêtes normandes61. On note une stabilité globale des catégories de tenanciers et des redevances dues entre les surveys A et B62. Comme le souligne J. Walmsley, s’il y a conversion dans ces seigneuries, c’est presque exclusivement un mouvement de conversion du travail vers des redevances en nature63.

  • 64 T. Jarry, « Évaluer, inventorier, exploiter : le Rotulus de denariis de l’abbaye Saint-Étienne de (...)
  • 65 Amblie, Calvados, arr. Caen, cant. Creully.

27Étant donné la faible taille des réserves, les corvées sont nettement moins nécessaires qu’en Angleterre, mais l’abbaye ne fait pas pour autant le choix de l’argent et maintient clairement une préférence pour des prélèvements en nature et des cens en argent très faibles. Ce choix est très différent de celui de Saint-Étienne – l’autre grande abbaye caennaise, « sœur » de la Trinité – qui fait rédiger peu après le survey B de la Trinité un Rotulus de denariis (début du xiiie siècle), édité récemment par T. Jarry64. Très intéressant, ce document ne recense, comme son titre l’indique, que les redevances et services perçus en numéraire par l’abbaye, et témoigne, comme le montre T. Jarry, d’une phase récente de passage au paiement en numéraire. L’accent est mis sur le cens et les services des vavasseurs, commutés. Fait intéressant, Saint-Étienne possède des terres dans un village tenu également par la Trinité, Amblie65. Près de 30 sous y sont récoltés par Saint-Étienne auprès de ses vavasseurs, alors qu’on ne trouve pour la Trinité qu’une seule redevance en argent (de 12 deniers) de la part d’un vavasseur, et qu’on relève une nette prédominance des prélèvements en nature dans cette seigneurie de la Trinité à la fin du xiie siècle.

  • 66 C’est une orientation qui est poursuivie par la suite, comme en témoigne le survey de 1257, avec g (...)

28Cette prédilection pour les redevances en nature et les corvées est très marquée pour Carpiquet, manifestement orienté vers un rôle d’approvisionnement de l’abbaye66, avec même un retour en arrière sur les rachats consentis dans le survey A : l’option des 2 sous pour le pratage et du denier pour le pannage a disparu entre A et B, les corvées (notamment de transport) et les redevances en nature sont là bien plus marquées. Comme le résume J. Walmsley : The overall impression on this estate is one of declining emphasis on cash revenue, et ce à tel point que le cens – toujours mentionné en argent – est absent, ce qui avait déjà frappé Robert Carabie dans les années 1940, et est d’autant plus remarquable en comparaison du Rotulus de denariis de la même époque pour Saint-Étienne, qui met quant à lui l’accent sur le montant des cens.

  • 67 Daté du milieu du xiiie siècle, cité par : L. Delisle, Étude sur la condition de la classe agricol (...)
  • 68 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 74 et p. 101.
  • 69 Comptes de 1427-1428 et de 1436-1437, Arch. dép. du Calvados, série 2H non cotée, cartons 13-17.

29Pour Carpiquet, parmi les corvées, le champart est notamment indiqué explicitement, et c’est là un point particulièrement important dans les seigneuries normandes de la Trinité, par le poids qu’il devait représenter et par son aspect vexatoire si l’on se réfère à la Complainte des vilains de Versori, texte poétique situé en en-tête du cartulaire du mont Saint-Michel et très souvent cité dans la bibliographie normande67. J. Walmsley souligne le poids écrasant de ce type de prélèvement en nature, pour nuancer l’image mythique d’un âge d’or du xiie siècle pour les paysans normands, par opposition à la dégradation très nette de leur condition économique en Angleterre : certes, les vilains anglais ont davantage de jours de corvées, mais ils ne sont pas soumis à un poids aussi écrasant des redevances en nature68. Encore au xive siècle, parmi les rares comptes préservés pour l’abbaye, on retrouve cette prédominance des prélèvements en nature perçus sur les seigneuries normandes de la Trinité69. Il y a donc là un parti pris clair de la part de l’abbaye de mettre l’accent sur les redevances en nature (en Normandie) et les corvées (en Angleterre), et de limiter au strict minimum les conversions de redevances.

Une marque d’immobilisme ?

  • 70 R. Carabie, La propriété..., op. cit., p. 223. Pour R. Carabie, ce serait d’ailleurs cet immobilis (...)
  • 71 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 224.
  • 72 Ce système de répartition des revenus en nature tirés des manoirs est utilisé massivement par le r (...)
  • 73 Ibid., p. 225.
  • 74 Comme le remarque B. Campbell, for many lords [...], especially major religious institutions, old (...)

30Reste à savoir dans quelle mesure il s’agit vraiment d’un choix de la part de l’abbaye. On pourrait bien sûr y voir, d’abord, un signe d’archaïsme propre à une grande abbaye de ce type, suivant le point de vue de R. Carabie, résumé ainsi : « Aux xiie-xiiie siècles, les grands domaines ecclésiastiques [...] apparaissent encore [...] au pouvoir des abbayes tels que celles-ci les avaient reçus deux ou trois siècles auparavant70. » Ce jugement sans appel ferait des moniales de la Trinité de simples « rentières » du sol, se contentant de maintenir le statu quo dans leurs manoirs. De fait, comme le remarque R. Britnell, les seigneurs ecclésiastiques sont souvent marqués par un certain conservatisme et le refus de la prise en compte de la dimension économique de leurs possessions71. Dans le cas de la Trinité, les manoirs anglais étaient à l’origine des domaines royaux, dans lesquels les prélèvements en nature étaient largement majoritaires aux xie-xiie siècles, notamment par le biais des baux à ferme et de la pratique du food-farm System72 (répartition des revenus tirés des manoirs, en nature). Le maintien des prélèvements en nature pourrait ainsi s’expliquer simplement dans le cas de la Trinité par la poursuite d’un statu quo, celui de la situation antérieure73. Le centre de gestion de l’abbaye étant à une grande distance des possessions, cela n’inciterait pas aux bouleversements des pratiques d’administration et expliquerait notamment la permanence, selon une logique conservatrice74, de formes manoriales archaïques, illustrées par le cas de Minchinhampton par exemple. Mais il semble alors étonnant de voir l’abbaye agir de même dans ses possessions normandes, très proches du centre de gestion. Cette interprétation apparaît de fait peu convaincante si l’on tente de replacer cette attitude de l’abbaye vis-à-vis des conversions de redevances dans la perspective plus large de la politique de gestion de son temporel anglo-normand.

31Le qualificatif de « rentières » du sol apparaît tout d’abord peu approprié à une abbaye qui semble se désintéresser autant de la valeur monétaire du cens et qui insiste sur le travail bien plus que sur les redevances en argent dans ses possessions anglaises.

  • 75 Voir à ce sujet les articles classiques de P. D. A. Harvey, « The English inflation of 1180-1220 » (...)

32À la suite de J. Baldwin, on pourrait parler par ailleurs d’une attitude de prudence de la part de l’abbaye de n’avoir jamais misé sur les redevances en argent. S’il n’y a de fait pas eu de retour en arrière des redevances en argent vers un prélèvement en nature au xiiie siècle dans le cas de la Trinité, contrairement à la réaction bien connue des seigneurs anglais face à l’inflation75, c’est que l’abbaye avait d’emblée vu assez juste en insistant dès la fin du xiie siècle sur les corvées et les redevances en nature. Cette attitude n’est nullement archaïque, mais au contraire avisée et prudente, et ne doit pas être interprétée en termes d’immobilisme. Il s’agit bien là d’un choix délibéré, élément d’une politique de gestion particulièrement ferme.

Une politique active de reprise en main

33La politique de gestion de l’abbaye dans son temporel démontre en effet que la Trinité est capable de réactions parfois particulièrement vives, ce qui suggère bien que le refus de commutation est un choix réel, à penser de façon dynamique.

  • 76 The reign of Henry II was [...] full of campaigns by major landlords to regain control over their (...)
  • 77 Ce qui donne lieu à une série de chartes et d’enquêtes, jusqu’à la renonciation définitive achetée (...)

34De fait, en Angleterre, l’abbaye s’est trouvée confrontée à des difficultés relativement sévères, contre lesquelles elle a dû réagir et qui peuvent expliquer sa politique vis-à-vis des commutations. Le milieu du xiie siècle (entre les enquêtes A et B-C) correspond à un certain relâchement, dans un contexte politique troublé. Il en découle une confiance un peu trop grande accordée aux fermiers, ce qui favorise les essartages incontrôlés, la multiplication des freeholders (dont certains vilains qui entament ainsi un processus d’affranchissement). La tentative de prise en main des manoirs par un fermier, Simon de Felsted, en est une illustration. Ce type de difficultés est très répandu dans l’Angleterre du xiie siècle76. Dans le cas de la Trinité, le mouvement semble bien entamé et rapidement irrécupérable ; pourtant l’abbaye agit de façon particulièrement énergique, dès la fin du xiie siècle, à travers la rédaction de la seconde série d’enquêtes, qui tentent de rappeler à chacun son statut exact, ses services dus (avec un alourdissement très net pour certains vilains) et sa dépendance vis-à-vis de l’abbesse. Régler le problème « Simon de Felsted » prend par ailleurs beaucoup de temps (et d’argent) à l’abbesse, mais elle parvient à ses fins avec les héritiers77. En Angleterre, le choix est alors clairement de la part de l’abbaye l’insistance sur le travail (c’est-à-dire ce qui coûte alors le plus cher) et sur le statut des tenanciers, notamment des vilains. Sur cette question, comme avec Simon de Felsted et ses héritiers, l’abbaye se révèle particulièrement circonspecte et inflexible.

  • 78 R. R. Hyams, « The origins of a peasant land market in England », Economic History Review, 2nd ser (...)
  • 79 Ce writ a pour but d’invalider l’entrée en tenure, jugée illégale car transmise par un vilain sans (...)
  • 80 C’est de fait le moment où l’abbaye se dote de spécialistes du droit pour remplacer les fermiers e (...)
  • 81 PRO JUST 1/560, mm 7.
  • 82 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 51-55.
  • 83 Notamment pour les non-libres (Min BC 78). Voir à ce sujet M. Chibnall, Charters..., op. cit., p.  (...)

35Au xiiie siècle, sa réactivité est encore plus nette : l’abbaye apparaît alors particulièrement procédurière pour éviter les conversions de redevances, suite à un changement de statut jugé illégal des tenures. Comme le souligne R. Hyams78, l’abbaye de la Trinité est l’un des rares seigneurs à faire usage en justice de l’éphémère writ ingressu per villanum79 pour rappeler clairement leur statut, et les redevances afférentes, aux vilains de ses manoirs. Elle choisit ainsi de manière particulièrement précoce dans le xiiie siècle cette méthode de reprise en main et de résistance aux commutations par le recours aux arguments légaux, au moment même où elle commence à se doter, pour la gestion de son temporel, d’un personnel de spécialistes du droit80. De fait, si le mouvement d’affranchissement a bien eu lieu également dans les manoirs de la Trinité, l’abbesse fait tout son possible, dans un certain nombre de cas, pour revenir en arrière par le biais juridique. Pour Horstead, le Norfolk Eyre Roll de 1250 conserve ainsi dans un folio ce qui s’avère être une enquête menée par les religieuses de la Trinité dans ce manoir81. Sont concernés par la poursuite douze anciens vilains, deux étant en même temps poursuivis par un writ of right, pour revenir sur de fausses inféodations, supposées avoir été faites par une abbesse précédente. Cette enquête de 1250 fait écho au survey B d’Horstead, qui ne recense en fait que des tenures ayant un tel caractère d’illégalité (empiètement sur la réserve, en l’occurrence)82. Cela témoigne bien d’une prise de conscience de la part de l’abbaye que les vilains constituent le socle du système manorial, et va également contre l’idée, soulignée par Postan, d’une évolution vers le démembrement de la réserve dans les manoirs anglais de la Trinité. L’abbaye se permet en fait une sujétion extrêmement lourde, jusqu’à six jours de corvées dans le cas de Minchinhampton précisément à la fin du xiie siècle (survey B-C). Si l’argent rentre, c’est alors surtout par les sanctions judiciaires, particulièrement exorbitantes en Angleterre, dans le cadre d’une justice très sévère par ailleurs83. Cette attitude se comprend donc dans le cadre plus large d’une politique de gestion qui suit dès la fin du xiie siècle une logique nette de reprise en main.

  • 84 Selon les analyses de M. Postan, « The famulus », Economic History Review Supplements, no 2, Cambr (...)
  • 85 PRO SC 6/1127/17 (compte de 1298, qui répertorie pour cinq mois le rachat de corvées coutumières p (...)

36Il faut souligner que ce choix se fait tout à fait en connaissance de cause de la part de l’abbaye, qui a certainement conscience des différentes possibilités qui lui sont offertes. Ainsi, plus tard, à la toute fin du xiiie et au xive siècle, des indices suggèrent que le recours au salariat était envisageable, étant alors une alternative intéressante aux corvées coutumières84, mais toujours de façon très contrôlée. Un account de 1298 et un extent de 1324 témoignent de fait de la quantité de ces corvées vendues et de l’embauche de petits tenanciers pour effectuer certains travaux85.

37Pour les xiie -xiiie siècles, ce choix – puisque c’en est donc manifestement un – de refuser les conversions est donc à mettre en lien avec la démarche plus générale de reprise en main qui caractérise cette période pour le temporel de l’abbaye. Il y a en effet certainement une grande part d’idéologie dans les motivations de l’abbaye, qui ne fait manifestement pas passer en priorité, contrairement à Saint-Étienne, les revenus monétaires directs, pourtant potentiellement très importants, qu’elle aurait pu tirer de ses possessions.

38Tout cela témoigne bien de l’éventail des stratégies déployées par l’abbaye pour rester maître incontesté dans ses possessions et rappeler clairement aux tenanciers sa présence et sa domination.

Le rôle fondamental de l’écrit dans cette reprise en main : une formulation pointilleuse

  • 86 T. N. Bisson, Fiscal Accounts..., op. cit.
  • 87 Contexte troublé du règne d’Étienne en Angleterre (guerre civile et relations certainement diffici (...)
  • 88 M. Postan, « The chronology... », art. cité, p. 189.

39La procédure de mise par écrit particulièrement précoce et détaillée des surveys, et leur recopie dans un cartulaire témoignent bien de cette volonté de reprise en main, suivant la logique énoncée par T. N. Bisson pour la Catalogne : une mise par écrit pour faire respecter des droits86. Les motivations exactes de la rédaction de chacune des enquêtes de la Trinité ne sont pas uniques mais celles-ci ont pour point commun un contexte troublé pour le temporel, exigeant une forte réaction seigneuriale. C’est particulièrement vrai en Angleterre pour la seconde série d’enquêtes, au moment où les prérogatives de l’abbaye sont les plus menacées87. On comprend alors toute l’insistance de l’abbaye sur la formulation des surveys, jusqu’à faire refaire une enquête C pour préciser la précédente. Dans une logique relevée par M. Postan, cette redéfinition des services et redevances dus n’est jamais à l’avantage des tenanciers, étant toujours beaucoup plus lourde qu’un jour de travail indéfini88. Or, cette insistance sur le détail des redevances permet de marquer très clairement les statuts pour l’abbaye, point qui a particulièrement son importance dans une période d’intenses réflexions juridiques en Angleterre.

  • 89 R. H. Hilton, « Freedom and villeinage in England », Past and Present, no 31, 1965, p. 3-19.
  • 90 [...] Et omnes qui non sunt liberi masculi et femine debent metere iii bederipes... (Min B-C 77).
  • 91 En ce sens, il faudrait quelque peu nuancer l’observation de R. Hilton dans l’exemple cité p. 12 d (...)

40De fait, comme le souligne R. Hilton89, les surveys de la Trinité font partie de ces documents précoces du xiie siècle témoignant du flou juridique qui existe encore à cette date, dans l’esprit des tenanciers et de l’abbesse, autour du concept de liberté. Ainsi, tous les vilains de Minchinhampton effectuant des corvées ne sont pas encore privés de liberté, puisque l’on fait toujours la distinction, au sein de cette catégorie, entre libres et non-libres90. Mais l’abbesse semble avoir bien perçu l’importance si ce n’est encore de la distinction libre/non-libre, du moins de la nature des redevances et services rendus par ses tenanciers, et de la nécessité d’en garder la mainmise91, notamment grâce aux options (toujours formulées in voluntate abbatisse/ad placitum abbatisse en C), et donc avec un retour en arrière possible. Cette précision de l’abbesse n’est pas vaine, comme le montre dans des enquêtes anglaises postérieures (D et E) la préservation d’une grande partie des corvées coutumières. L’abbaye semble ainsi quelque peu en avance sur l’évolution vers un état d’esprit que R. Hilton juge, à partir de son étude de l’abbaye de Gloucester, plutôt caractéristique du xiiie siècle :

  • 92 R. Hilton, « Freedom... », art. cité, p. 11.

[...] This relativity of peasant freedom in many twelfth-century contexts seems to depend on freedom from certain obligations. These obligations are most often labour services, and the more often money was paid instead of them, the freer was the tenant. [...] In the thirteenth Century, when the doctrine of villeinage has hardened, lords took care to prevent the permanent or long-term commutation of services into money rent from becoming a way to personal freedom92.

  • 93 Cette idée est aujourd’hui très classique dans la bibliographie anglaise. Par exemple, R. Britnell (...)
  • 94 Cette expression, d’une importance cruciale, se retrouve par exemple dans le cas de l’enquête mené (...)

41L’abbaye semble penser ainsi dès le xiie siècle : les corvées lourdes sont manifestement la marque de ceux que l’abbaye tient93, par opposition à ceux auxquels elle doit en partie renoncer une fois le mal fait – ces derniers devant alors principalement des redevances en argent. Les redevances en argent équivalent alors, semble-t-il, à une défaite de la part de l’abbaye, qui corrige d’ailleurs la donne dans la réécriture du survey B, en ajoutant en C quelques corvées légères, même pour ces tenanciers libres, et en précisant que les redevances et rachats de corvées sont ad placitum abbatisse/in voluntate abbatisse et que l’autorité de l’abbesse s’exerce bien94. L’abbaye de la Trinité fait ainsi partie de ces grandes abbayes, telles que Glastonbury ou Peterborough, suffisamment puissantes pour exiger des corvées lourdes de ses vilains et pour se garder le droit d’exiger du travail, même dans le cas de tenanciers s’acheminant vers la liberté.

42Le sens profond de cette insistance pointilleuse, par écrit, sur le maintien du travail n’est donc certainement pas à interpréter comme un signe de retard, de conservatisme, ainsi que le souligne R. Britnell :

  • 95 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 65.

Labour services were not merely a form of rent appropriate to an incompletely monetised society. There was no geographical relationship between labour services and difficulties of money supply. [...] This implies that labour services were not merely a feature of commercial backwardness. [...] Labour services were a sign of subordination. Powerful lords were able to exact levels of labour service higher than was normal in the region were they estates lay95.

  • 96 On peut faire la même remarque dans le cas de l’évêché de Durham ou de Peterborough Abbey, capable (...)

43La Trinité est manifestement à ranger dans la catégorie de ces seigneurs particulièrement puissants : elle est par exemple capable d’imposer jusqu’à six jours par semaine de corvées à ses vilains de Minchinhampton, exigence qui ne se voit nulle part ailleurs dans cette région des Costwolds96.

44Du côté normand, il est parfois beaucoup moins facile de voir apparaître aussi clairement les services dus, mais c’est que les statuts sont plus clairs et ne doivent être nullement oubliés : ces services et redevances sont sicut debent ou quod pertinet, ce qui frustre l’historien, mais démontre aussi l’existence de statuts très clairs et, semble-t-il, incontestés. Il est donc manifeste que l’abbaye accorde une grande importance à la façon dont les redevances sont précisées par écrit et acquittées, et que payer en nature, en travail ou en argent n’est absolument pas équivalent et renvoie intimement au degré de dépendance des tenanciers vis-à-vis de l’abbaye.

  • 97 P. Schofield, « Seigneurial exactions in eastern England, c. 1050-1300 », dans M. Bourin et M. Sop (...)
  • 98 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 34.
  • 99 Corvées omniprésentes notamment à Minchinhampton (survey C, M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. (...)
  • 100 J. Walmsley, Charters..., op. cit., note 1, p. 63.

45Il est ainsi significatif de voir l’abbaye conserver dans la rédaction des enquêtes normandes des cens en argent aussi faibles, alors que sa préférence allait davantage vers les redevances en nature. C’est là certainement la valeur symbolique marquée par ce cens, comme moyen de rappeler sa présence et son autorité ultime sur ces terres, qui explique cette préservation. De même, le choix des termes employés par l’abbaye dans ses enquêtes pour désigner les redevances dues n’est certainement pas anodin et témoigne également de cette volonté de reprise en main. Comme le souligne P. Schofield97, les seigneurs anglais et leurs tenanciers sont tout à fait sensibles au vocabulaire employé, comme par exemple la nuance entre weekworks et boonworks (les seconds étant, à l’inverse des premiers, réalisés comme une faveur théorique des tenanciers envers le seigneur, de amore plutôt que de consuetudine). L’abbesse semble au fait de ces nuances et ne blesse pas inutilement la sensibilité de ses tenanciers : dans le survey A de Felsted, elle emploie encore l’expression ad consuetudinem98 pour des services dus ; dans le survey B, on voit au contraire apparaître des bederipes, qui sont des boonworks (corvée ponctuelle de moissonnage, mais accordée comme une faveur), terme logique étant donné qu’il s’adresse à des freeholders99. L’abbesse a ainsi certainement conscience que les termes employés ne sont pas gratuits ; ils traduisent précisément la représentation qu’elle avait des redevances et services dus. Ainsi, à l’inverse des susceptibilités préservées pour les freeholders, elle marque nettement le poids des corvées pour les vilains, remplaçant le terme de vilani (survey A) par celui de virgate operarii (surveys B-C) pour ceux dont il n’y a eu aucun rachat de services. De même, en Normandie, la rubrique vilani (Carpiquet A) est remplacée par une rubrique de vilanagiis : comme le souligne J. Walmsley, l’accent est ainsi déplacé vers le type de tenure et dénote l’importance accordée par l’abbaye, à la fin du xiie siècle, à la préservation des corvées et redevances en nature liées à la tenure en villainage100.

Une réactivité cruciale dans le cas d’une abbaye de femmes

  • 101 Problème débattu par M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xl.
  • 102 D. Matthew, The Norman..., op. cit.
  • 103 Charte L 465 du « Cartulaire anglo-normand », Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 4-6.
  • 104 Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 25/2, bulles L 228, L 229, L 410, L 432.
  • 105 J. Walmsley, « The early abbesses, nuns and female tenants of the Abbey of the Holy Trinity, Caen  (...)
  • 106 Le texte utilisé par Haskins pour témoigner de la mauvaise administration de Robert Courteheuse da (...)
  • 107 Grâce à la paix suivant le traité de Brétigny.

46Ces éléments montrent combien il est nécessaire de replacer dans une logique d’ensemble la politique de l’abbaye vis-à-vis des conversions de redevances : ce choix va en effet tout à fait de pair avec l’omniprésence et l’implication évidente de l’abbaye dans ses possessions. Celle-ci défend âprement, par des stratégies élaborées, ses droits, qui apparaissent presque régaliens, avec la préservation pendant deux siècles de très grands domaines, tels que celui de Minchinhampton. La solution de facilité, qui aurait consisté à la conversion généralisée des redevances en argent dès le xiie siècle, n’a manifestement pas été adoptée par l’abbaye, qui préfère conserver les corvées liées à ces réserves particulièrement importantes et des redevances en nature. Cette ténacité semble d’autant plus à souligner qu’il s’agit d’une abbaye de femmes, n’ayant pas eu de prieuré en Angleterre101 et ne se contentant absolument pas, comme dans le cas des grandes abbayes anglo-normandes d’hommes étudiées par D. Matthew102, de faire gérer à distance leurs possessions par un ou deux moines installés sur place dans des « prieurés-prétextes » (c’est-à-dire non conventuels) et chargés d’envoyer chaque année les importants revenus monétaires tirés des possessions anglaises. La prise de conscience de cette fragilité inhérente aux abbayes de femmes est bien présente dans la documentation de l’abbaye. En 1245, par exemple, l’évêque de Norwich prend une décision en faveur de la Trinité, dans le but de se rendre agréable à tout ordre religieux, et plus particulièrement à celui que in sexu fragili constitute103. On trouve également dans les archives de l’abbaye plusieurs bulles désignant des abbayes d’hommes pour protéger le patrimoine de la Trinité104. Il semble de fait difficile pour l’abbaye de faire respecter ses droits et de rappeler sa présence sans prieuré sur place, les voyages étant de plus a priori moins envisageables pour des moniales. Cette remarque sur la dimension féminine de l’abbaye a son importance, comme le souligne J. Walmsley105, qui observe que l’abbaye s’est trouvée confrontée à des difficultés bien plus grandes que ses voisines masculines au début du xiie siècle. L’abbaye a eu en effet à pâtir bien plus des déprédations et des tentatives des descendants de donateurs pour revenir sur les donations initiales, dès la fin du xie siècle106. On peut alors d’autant plus s’étonner de la capacité de réactivité de l’abbaye, qui a agi avec particulièrement de fermeté contre cela en Normandie. En Angleterre, on est frappé dans la seconde série d’enquêtes par l’abondance des expressions domina/ad placitum abbatisse/in voluntate abbatisse, qui saturent par exemple l’enquête sur Felsted, l’un des manoirs où l’abbaye a eu le plus de difficultés. Le voyage de l’abbesse en Angleterre dans les années 1360-1361, alors que l’abbaye vient juste de récupérer les manoirs anglais107 (mais pour peu de temps), semble typique de cette attitude de l’abbaye consistant à ne pas ménager ses efforts pour faire respecter ses prérogatives, y compris lorsque c’est presque peine perdue. C’est certainement dans ce contexte qu’il faut également comprendre ce choix de l’abbaye de ne pas revenir sur les redevances en nature et les corvées.

Un choix économiquement payant

  • 108 C’est-à-dire un peu plus que Saint-Étienne (80 livres). D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. (...)
  • 109 D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. cit., p. 66.

47Il est significatif de voir combien ce choix, dans cette politique d’ensemble, s’est finalement avéré payant, y compris en termes strictement économiques. L’érosion des revenus n’a en effet pas touché la Trinité aux xiie-xiiie siècles et ce n’est absolument pas une abbaye à l’agonie au début du xive siècle : on la voit prospérer, faire preuve d’une grande ténacité dans la défense de son temporel, investir, et c’est au final une abbaye très riche. Pour l’Angleterre, D. Matthew a évalué la valeur des manoirs anglais de la Trinité en 1086 (à partir du Domesday Book) à environ 100 livres sterling108. Au milieu du xiiie siècle, d’après Eudes Rigaud, ces revenus auraient progressé, pour atteindre environ 160 livres sterling (soit 640 livres tournois), et l’abbaye se situe ainsi au tout premier rang des abbayes anglo-normandes pour la valeur du temporel anglais. Du côté normand, les revenus provenant de son temporel sont évalués à 2 500 livres tournois, ce qui la situe également dans les premiers rangs109.

Le problème de la commercialisation

  • 110 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 39.
  • 111 Le « problème » est réglé définitivement en 1192, avec un paiement de £ 100 au fils de Simon de Fe (...)
  • 112 D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. cit., chap. III, p. 78, au sujet de ces amendes exorbit (...)
  • 113 Voir à ce sujet G. Génestal, Rôle des monastères comme établissements de crédit, Paris, 1901.

48Ces évaluations monétaires suggèrent bien que l’abbaye passait néanmoins par l’argent. De fait, malgré la prédominance des corvées et des prélèvements en nature dans les possessions de la Trinité aux xiie-xiiie siècles, l’abbaye dispose de liquidités, et en quantité particulièrement importante. Elle fait partie de ces grands seigneurs ecclésiastiques capables de collecter des centaines de livres, chaque année, sur leurs possessions110. En Angleterre, on la voit ainsi régler définitivement le problème « Simon de Felsted » au moyen de sommes d’argent exorbitantes accordées à lui-même, puis à ses descendants111. De même, après 1204, selon un processus analysé par D. Matthew, comme la plupart des grandes abbayes normandes possédant des terres en Angleterre, c’est au moyen de sommes d’argent considérables payées au roi d’Angleterre qu’elle parvient à conserver ses possessions anglaises112. Du côté normand, l’abbaye de la Trinité devient par ailleurs un établissement de crédit – comme beaucoup d’autres abbayes normandes113, mais totalement à l’inverse des seigneurs laïcs décrits par G. Duby. Cela témoigne bien de la confiance accordée à l’abbaye et de la quantité de liquidités dont elle dispose, ce qui lui permet de contrôler toute une partie de la ville et de la plaine de Caen. Toutes ces remarques supposent donc une étape intermédiaire entre les prélèvements en nature et le fait de disposer de liquidités aussi importantes : la commercialisation. Nous n’avons que peu de renseignements directs sur cette question dans le cas de la Trinité, mais un certain nombre d’indices montrent que ce processus est bien à l’œuvre dès les xiie-xiiie siècles.

  • 114 Arch. dép. Calvados, série 2H, cartons 13-14 et 15-17.
  • 115 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 100.
  • 116 C’est le cas par exemple de l’évêque de Florence, au début du xiiie siècle, qui parvient à récupér (...)

49Du côté normand, la seule information directe, mais particulièrement intéressante, que nous ayons provient de deux séries de comptes des années 1427-1428 et 1436-1437114. Il s’agit certes de documents tardifs pour la période étudiée ici, mais ce sont les seuls comptes de l’abbaye, pour le Moyen Âge, à être parvenus jusqu’à nous. Ces deux séries de comptes font d’une part clairement la distinction entre ce qui est perçu en grains – largement majoritaire étant donné la nature de ces comptes – et ce qui est reçu en deniers ; ils indiquent d’autre part précisément la quantité et le type de céréales vendues par le greneutier, et pour quel usage (très souvent « pour la chambre de Mme l’Abbesse »). Ces documents montrent donc qu’encore au xve siècle l’abbaye de la Trinité continue à percevoir un nombre important de redevances en nature dans ses seigneuries normandes et qu’un processus de commercialisation est nettement à l’œuvre, les céréales étant vendues, très certainement sur le marché de Caen, par le greneutier. On peut supposer que le processus était très similaire aux xiie-xiiie siècles. Comme l’a analysé J. Walmsley, les tenanciers de l’abbaye étaient ainsi coupés du marché115, l’abbaye ayant le monopole de cette commercialisation, selon une logique semblable à celle des seigneurs italiens qui réagirent au contexte inflationniste du début du xiiie siècle en revenant aux prélèvements en nature et en s’assurant ainsi le contrôle du marché urbain116. Cela explique certainement la possibilité pour l’abbaye de faire une évaluation monétaire assez précise de ses possessions, telle qu’elle a été recueillie par Eudes Rigaud.

  • 117 Elles ont notamment été abordées par J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 97.
  • 118 Fel A et Hors A, M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 34 et 36 : Portantfirmam ad Wincestre.
  • 119 De institutione ecclesie, BnF ms. lat. 5650, fol. 18v.
  • 120 M. Chibnall, Charters..., op. cit., Avening C, p. 66.
  • 121 Ibid., p. 95, Fested D-E 30, 31, 32.
  • 122 Ibid., p. 95, Fel DE 33.
  • 123 Ibid., p. 90, 91, 99.

50Du côté anglais, les indications, plus nombreuses, semblent également plus difficiles à interpréter. Les mentions des corvées de transport dans les manoirs anglais de la Trinité sont particulièrement intéressantes pour déterminer ce qui restait en nature et ce qui était vendu sur le marché pour être converti en argent117. À première vue, la commercialisation semble faible durant la période. Au début du xiie siècle, les surveys concernant Felsted et Horstead indiquent explicitement que la ferme doit être portée à Winchester, pour être ensuite transmise à Caen via Southampton118. Cette « ferme » semble être en nature, 5 sokemen dans un cas et 4 sokemen dans l’autre étant chargés de son transport. À la même époque, le document précisant la répartition des revenus indique clairement les fromages et jambons apportés à l’abbaye, à Caen, depuis les manoirs anglais119. À la fin du xiie siècle, à Avening, les tenures des cottars sont astreintes à une corvée de ravitaillement de l’abbesse quand celle-ci se rend en Angleterre – il s’agit ici incontestablement de biens en nature. Une autre de leurs corvées consiste à conduire du bétail à Horstead (Norfolk) ou Felsted (Essex)120. Enfin, au début du xiiie siècle, un coutumier concernant Felsted contient de nombreuses précisions sur ces corvées. On retrouve tout d’abord le transport de la ferme à Winchester121. Seuls deux sokemen sont ici concernés (s’agit-il donc d’une ferme en argent ?). Les cottars doivent quant à eux se rendre à Colchester ou Maldon (à environ 30 km), pour prendre du sel, des poissons ou d’autres biens et les ramener dans leur manoir, pour le compte de l’abbaye122. Les virgaters doivent de même aller jusqu’à Londres ou Horstead pour aller chercher des anguilles123. Il s’agit là manifestement d’un maintien et d’un réaménagement du food-farm System, dans le but d’assurer non seulement l’approvisionnement de l’abbaye en Normandie (seulement pour une faible part), mais aussi le ravitaillement autonome des différents manoirs contrôlés par l’abbaye en Angleterre : on voit de fait ces tenanciers tenus de parcourir le pays, du Gloucestershire au Norfolk ou à l’Essex, pour se rendre dans l’un ou l’autre des autres manoirs de la Trinité. Cela suppose une organisation très fine de la part de l’abbaye, qui préfère assurer l’autosubsistance de ses manoirs, par l’intermédiaire des corvées, que de passer par le marché local.

  • 124 Ibid., p. 95, Fel DE 31.
  • 125 Ibid., p. 38, Avening A.
  • 126 Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 1.
  • 127 Tel Peter des Roches, évêque de Winchester, l’un des plus puissants seigneurs ecclésiastiques de l (...)
  • 128 Excepté ce qui devait être utilisé pour fabriquer les vêtements pour les besoins de l’abbaye. La l (...)
  • 129 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 48.
  • 130 Par exemple E 106 10/8 du PRO : il s’agit d’un extent rédigé sous Édouard III au xive siècle, alor (...)

51Cependant, pour un certain nombre de produits, la commercialisation n’était pas exclue. Par exemple, dans ce même coutumier du début du xiiie siècle concernant Felsted, les sokemen sont également tenus de transporter des céréales à Maldon, l’un des marchés locaux d’importance situé à proximité, pour les vendre quand l’abbesse le décide124. Felsted dispose par ailleurs précocement d’un marché propre, de même que Minchinhampton, dont le marché prend une certaine importance au niveau local. On peut donc supposer que l’abbesse utilisait également ces marchés locaux pour recourir à la commercialisation, notamment des céréales. Pour certains produits spécifiques, la commercialisation semble encore plus évidente : plusieurs auteurs ont remarqué la présence de très vastes troupeaux de moutons dans les manoirs anglais de la Trinité, plus de 1000 têtes à Avening (Gloucestershire) au début du xiie siècle125 ; près de 800 dans les manoirs de Tilshead (Wiltshire) et de Tarrant (Dorset) en 1299126. À l’instar de la plupart des grands seigneurs ecclésiastiques de l’époque127, la Trinité devait certainement utiliser la plus grande partie de la production de laine pour la vendre sur le marché128. Comme le souligne R. Britnell, c’est l’un des indices les plus évidents de commercialisation dans les campagnes anglaises dès le début du xiie siècle, et le cas de la Trinité en constitue un exemple particulièrement impressionnant129. Enfin, les account rolls ou extents conservés – sources privilégiées pour l’étude du processus de commercialisation – ne précisent pas dans le cas de la Trinité l’étape intermédiaire de la vente sur le marché, mais indiquent l’évaluation monétaire des biens de l’abbaye ainsi que de son cheptel, ce qui montre la connaissance de leur prix sur le marché130.

  • 131 J. Walsmely, « The Twelfth-Century... », art. cité.
  • 132 M. Chibnall, Charters..., op. cit., Felsted A.
  • 133 Ibid., Horstead A. Évaluations de R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 44.
  • 134 Ibid., p. 36.

52L’argent est en fait donc bien présent dans les manoirs anglais de la Trinité et circule plus aisément qu’en Normandie durant les xiie-xiiie siècles, comme le souligne J. Walmsley131. R. Britnell remarque également la présence nette d’argent à Felsted, manoir où le total des paiements de redevances en argent s’élève annuellement à près de £3 au début du xiie siècle132. Dans le cas d’Horstead, l’abbaye reçoit chaque année £15 9s 11d133. S’il y a bien une insistance sur les corvées et les paiements en nature dans les seigneuries de la Trinité, il ne faut donc pas en conclure que l’argent était absent, loin de là. Il s’agit également d’une marque de pouvoir, à l’instar des relations entre le roi et ses sujets : The ablity to exact cash from dependants was a defming criterion of power134. Il faut donc dépasser l’opposition paradoxale constatée sur les seigneuries anglaises de la Trinité entre, d’une part, la présence d’argent et d’un processus de commercialisation, et, d’autre part, le maintien de corvées, de redevances en nature et d’un food-farm System. Dans le cas anglais, ce paradoxe est en partie levé par R. Britnell :

  • 135 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 236.

When in the thirteenth Century English lawyers came to define labour services as a characteristic of villein status, landlords were more concerned to retain their rights to labour services even if in practice they took money in lieu. They “sold” the labour services year by year rather than commuting them permanently for an annual rent. This accounts for the somewhat contradictory evidence relating to labour services on English manors during the thirteenth Century.135

  • 136 Conservés au National Archives de Kew (PRO, devenu TNA) : le SC 6/1127/17 de 1298 n’indique par ex (...)

53Néanmoins, le cas de la Trinité reste assez original de ce point de vue. De fait, le recours effectif au salariat est tardif, comme l’indiquent les account et extent rolls conservés136. La préoccupation ultime semble être toujours, avant tout, le maintien des statuts.

  • 137 K. G. Persson, Preindustrial Economic Growth : Social Organisation and Technical Progress in Europ (...)
  • 138 Ibid.

54Il est donc significatif de voir combien la présence d’argent et d’une commercialisation sélective ne doit pas nécessairement être interprétée comme un facteur de dissolution des liens féodaux et de démembrement de la structure manoriale, à l’inverse des conclusions de K. G. Persson137. Dans le cas de la Trinité, le souci du maintien de redevances en nature et de corvées lourdes durant les xiie-xiiie siècles est net, mais cela n’empêche pas la présence d’argent et l’ouverture aux opportunités du marché. De plus, pour certains tenanciers, s’acquitter de rentes en argent n’implique nullement que the cash nexus replaced personal obligations138, car l’abbesse conserve un contrôle étroit sur ses tenanciers, ce dont témoignent les mentions ad placitum abbatisse et le maintien, dans presque tous les cas, de légères corvées s’ajoutant aux paiements en argent. La présence d’argent n’empêche ainsi pas le maintien des obligations personnelles des tenanciers vis-à-vis de l’abbesse.

  • 139 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 33-34.
  • 140 D. L. Farmer, « Marketing the produce of the countryside, 1200-1500 », dans Agricultural History o (...)
  • 141 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 226-228.
  • 142 B. M. S. Campbell, « Measuring... », art. cité, p. 192.

55Reste le problème du coût pratique des choix de gestion ainsi effectués par l’abbaye. Tout d’abord, le parti pris de la préservation et de la réorganisation du food-farm System ne doit certainement pas être interprété en termes de conservatisme, puisqu’il n’est pas plus onéreux de transporter ainsi les biens d’un manoir à l’autre que d’assurer leur transaction sur le marché, pour acquérir ensuite les produits nécessaires à chacun des manoirs139. Le coût engendré par la commercialisation n’est de fait pas à négliger : l’évêque de Winchester oblige par exemple ses tenanciers à acheter les céréales produites sur ses réserves, pour s’économiser les frais de commercialisation140. D’autre part, le contrôle étroit des possessions par le biais du retour à la gestion directe est certes onéreux, mais permet également plus de souplesse, les officiers chargés de la gestion sur les domaines étant alors étroitement contrôlés et révocables. Cette surveillance des baillis se fait précisément par l’intermédiaire des accounts cités plus haut, qui consistent avant tout en une évaluation commerciale de la valeur des biens et de ce qui devrait théoriquement être livré au seigneur141. Le but de ces accounts n’est donc pas de calculer les profits, mais de détecter les fraudes éventuelles et de faire en sorte que le seigneur ne soit pas trop lésé (d’où l’absence des détails intermédiaires sur la commercialisation). Cette politique d’ensemble, qui concerne aussi bien le mode de gestion des manoirs que le choix de la conversion ou non des redevances, n’est nullement dictée par des considérations entrepreneuriales : la préoccupation ultime est bien davantage d’éviter à tout prix une perte de contrôle. Il ne s’agit ni d’une indifférence aux opportunités commerciales, ni d’une méconnaissance des prix du marché, mais l’objectif n’est pas le profit : [...] Lords certainly do not appear to have been so consciously entrepreneurial, for in managing their estates they mere as much concerned with considerations of status and patronage as they mere with profits142. C’est manifestement ainsi que doivent être interprétés les choix originaux de l’abbaye de la Trinité du point de vue de la conversion des redevances.

  • 143 Par exemple Saint-Étienne avec son Rotulus de denariis, Saint-Amand et son livre des revenus au dé (...)

56L’abbaye constitue donc certainement un cas particulier vis-à-vis des conversions de redevances et se démarque à la fois des seigneurs étudiés par G. Duby qui passent dès le xiie siècle aux redevances fixes en argent et manquent de façon chronique de liquidités ; mais aussi d’autres abbayes ou seigneurs normands143. Le calcul de l’abbaye s’avère finalement prudent sur le long terme et évite un retour en arrière à la fin du xiie siècle, dans un contexte inflationniste. Il n’y a ainsi pas eu de bouleversement du mode de gestion des terres durant cette période, mais plutôt des adaptations structurelles pour se prémunir au maximum. Ce choix de l’abbaye n’est pas à interpréter en termes d’inertie ou d’une logique de « rentières » puisque, en élargissant la perspective, on remarque qu’un certain nombre d’indices témoignent au contraire de la réactivité de l’abbaye. C’est pourquoi cet apparent immobilisme de l’abbaye du point de vue de la conversion des redevances, qui est en fait en soi un choix, peut être considéré comme une « réaction ». L’éclairage inédit apporté par les sources exceptionnelles de l’abbaye de la Trinité permet d’adopter un regard comparatiste sur cette question. L’attitude de l’abbaye, qui semble s’appliquer aussi bien aux possessions anglaises que normandes, permet de s’interroger sur l’influence réciproque des deux contextes, normand et anglais, dans les pratiques de gestion (avec le recours précoce à l’écrit, aux arguments juridiques, au faire-valoir direct, la méfiance vis-à-vis des fermiers...).

57L’attitude de l’abbaye vis-à-vis des conversions de redevances constitue en tout cas une partie de la réponse cherchée à ce cas particulier d’un temporel dispersé des deux côtés de la Manche, et on voit combien les abbayes masculines ont pu faire des choix différents.

  • 144 Pour Le Patourel, l’abbaye de la Trinité faisait ainsi manifestement partie de l’exploiting group,(...)
  • 145 Avec l’appel à des spécialistes du droit, le recours au faire-valoir direct, la précocité de rédac (...)
  • 146 Ce qui aurait pu se produire bien plus tôt, comme le montrent le cas de Felsted au xiie siècle, le (...)
  • 147 La chronologie des confiscations successives est assez confuse, mais une date est assurée, la fond (...)

58Le choix de la conversion ou non des redevances a ainsi des implications profondes et renvoie directement à la politique de gestion et à l’idéologie qui la sous-tend – exploitation en colonisatrices ? Utilisation des seigneuries comme sources de matières premières, ou ponction en argent144 ? En l’occurrence, le choix de l’abbaye semble s’être avéré particulièrement pertinent. En termes strictement économiques, les revenus en grains ont permis à l’abbaye d’agir sur le marché urbain, à l’instar des seigneurs italiens. Avec sa voisine Saint-Étienne, l’abbaye est alors au cœur de toute la vie économique et sociale de la plaine de Caen, aussi bien par son action sur le marché urbain que par son rôle d’établissement de crédit. Le choix de la non-conversion des redevances et de l’imposition de corvées lourdes peut trouver une double justification : économique (opportunité de l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché par le passage de la ferme au villainage), mais aussi idéologique (maintien des statuts). Certes, on peut s’interroger sur la rationalité économique d’un tel choix, notamment par le coût administratif d’une telle politique de gestion145. Mais c’est certainement grâce à ce type de choix que l’abbaye a pu éviter à plusieurs reprises la perte de son temporel anglais146, qui fut finalement préservé jusque loin dans le xive siècle147, alors que la guerre de Cent Ans tramait en longueur et que beaucoup avaient dû renoncer depuis longtemps déjà à cette situation transmanche.

Notes

1 M. Arnoux et G. Brunel, « Réflexion sur les sources médiévales de l’histoire des campagnes : De l’intérêt de publier les sources, de les critiquer et de les lire », Histoire et sociétés rurales, no 1, 1994, P. 11-35 (P. 25 consacrée au cartulaire de la Trinité), ou encore M. Arnoux : compte rendu de l’édition de John Walmsley, dans Histoire et sociétés rurales, no 3,1995, p. 390-391.

2 Conserves dans un meme cartulaire (Bibliothèque nationale, ms. lat. 5650), ces surveys ont été édités en deux volumes par M. Chibnall (éd.), Charters and Customals of the Abbey of Holy Trinity Caen (Records of Social and Economic History, New Series V), Oxford, 1982 ; et J. Walmsley (éd.), Charters and Customals of the Abbey of Holy Trinity Caen : Part 2, The French Estates, Oxford, 1994 (Records of Social and Economic History, New Series 22).

3 Notamment dans : M. Bloch, Seigneurie française et manoir anglais (Cahier des Annales, no 16), Paris, 1967.

4 L’abbaye Saint-Étienne de Caen, « sœur » de la Trinité, conservait jusqu’au xixe siècle dans ses archives un cartulaire contemporain, pour sa première partie (folios 1 à 51), de celui de la Trinité (fin xiie -début xiiie siècle) ; le reste étant plus tardif, de la fin du xiiie siècle. Le document original a été longtemps perdu (L. Musset, Les actes de Guillaume le Conquérant et de la reine Mathilde pour les abbayes caennaises (Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, tome XXVII), Caen, 1967, p. 21). Retrouvé, il est aujourd’hui conservé aux Archives départementales du Calvados. Le fonds de la Trinité reste plus riche en documents anglo-normands que celui de Saint-Étienne aujourd’hui, comme le souligne J.-M. Bouvris : « À la différence de sa sœur jumelle, l’abbaye de la Trinité de Caen – qui dispose en particulier d’une remarquable série de censiers rédigés aux xiie et xiiie siècles –, les documents anglais de Saint-Étienne de Caen n’abondent pas », dans J.-M. Bouvris, « Un acte inédit de Guillaume le Conquérant pour l’abbaye de Saint-Étienne de Caen : la donation de la dîme de Turnworth, en Dorset, par Auvray d’Epaignes », Annales de Normandie, 37e année, no 2,1987, p. 111-120, ici p. 111.

5 M. Arnoux, compte rendu de l’édition de J. Walmsley, art. cité, p. 390.

6 M. Chibnall, Charters..., op. cit., notes 6 et 7, p. xxx.

7 G. Fournier, « Essai sur les origines du terrier en Basse-Auvergne », Information historique, no 25,1963, p. 30-32 (résumé de thèse).

8 D. Angers, Le terrier de la famille d’Orbec à Cideville, Montréal, 1993, ou encore : D. Angers, H. Dubois et C. Bébéar (éd.), Un censier normand du xiiie siècle : le Livre des jurés de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen, Paris, 2001.

9 J. W. Baldwin (éd.), Le Livre de terres et de revenus de Pierre du Thillay (Cahiers Léopold Delisle, tome LI), 2002, p. 8. La comparaison avec les surveys de la Trinité est poursuivie dans C. Letouzey, « L’organisation seigneuriale dans les possessions anglaises et normandes de l’abbaye de la Trinité de Caen au xiie siècle : étude comparée », Annales de Normandie, 55, no 3, 2005, p. 213-245 (1re partie), et no 4, 2005, p. 291-332 (2e partie).

10 Compte rendu de l’édition de J. Walmsley, art. cité, p. 390.

11 M. Arnoux et G. Brunei, « Réflexion sur les sources médiévales... », art. cité, p. 25. Pour les enquêtes anglaises, s’ajoute le problème soulevé par M. Bloch au sujet du Domesday Book, celui d’un « voile verbal » très difficile à percer : « [...] Prenons le cas du Domesday Book. Il peut se résumer ainsi : des commissaires français, français de l’Ouest pour la plupart, normands ou manceaux, mis face à face avec des réalités anglaises, les ont pensées en français et transcrites en latin. Double traduction, donc double voile et, comme résultat, une terminologie mal plaquée sur les faits », M. Bloch, Seigneurie française..., op. cit., p. 58.

12 M. Postan, « The chronology of labour services », Transactions of the Royal Historical Society, 4th ser., XX, 1937, p. 167-193 (exemple de la Trinité analysé p. 183).

13 M. Chibnall (éd.), Charters..., op. cit., et J. Walmsley (éd.), Charters..., op. cit., note 1 du présent article.

14 1982 pour l’édition de M. Chibnall, 1994 pour celle de J. Walmsley, mais avec une logique qui se devait de reprendre le volume réalisé en 1982, dans la collection des « Records of Social and Economic History ».

15 De façon caractéristique, Postan n’utilise que les documents anglais. Carabie se penche certes sur les documents anglais, mais très rapidement, et son analyse est centrée sur une seigneurie normande, Carpiquet : R. Carabie, La propriété foncière dans le très ancien droit normand ( xie-xiiie siècles), Caen, 1943, p. 149-165. Comme le rappellent M. Arnoux et G. Brunei du côté normand : « La recherche la plus exhaustive [l’ouvrage de R. Carabie] ne s’est intéressée en effet qu’au seul censier qui puisse rappeler, par sa structure et son contenu, la description “classique” du régime domanial normand », M. Arnoux et G. Brunei, « Réflexion sur les sources médiévales... », art. cité, p. 25.

16 J.-P. Genet, « Cartulaires, registres et histoire : l’exemple anglais », dans Le métier d’historien au Moyen Âge, B. Guenée (dir.), Paris, 1977, p. 95-138.

17 L’un des ouvrages inaugurant cette démarche en France étant certainement : O. Guyotjeannin, L. Morelle et M. Parisse (dir.), Les cartulaires. Actes de la table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS (Paris 5-7 décembre 1991), Paris, 1993.

18 Μ. T. Clanchy, From Memory to Written Record, England 1056-1307, Oxford, 1979, rééd. 1993, particulièrement les passages de la première partie, chap. 2 : « Royal influence on other records » (p. 74-80), et chap. 3 : « Surveys and rentals » (p. 94-96). Également B. Stock, The Implications οf Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelfth Centuries, Princeton N. J., 1983.

19 J. Goody (dir.), Literacy in Traditional Societies, Cambridge, 1968.

20 J. W. Baldwin, Philippe Auguste et son gouvernement : les fondations du pouvoir royal en France au Moyen Âge, Berkeley et Los Angeles, 1986, Paris, 1991.

21 P. J. Geary, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, Paris, 1996, quatrième de couverture.

22 J.-P. Genet, « Cartulaires... », art. cité, p. 101-102.

23 P. Chastang, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc ( xie- xiiie siècles), Paris, 2001. Ou G. Fournier, « Essai sur les origines du terrier... », art. cité, qui montre également que le perfectionnement de la mise par écrit est accéléré par les dévastations.

24 De institutione ecclesie, fol. 18v-20r du ms. lat. 5650 de la BnF, édité dans L. Musset (éd.), Les actes..., op. cit., note 4 du présent article, document no 12.

25 T. N. Bisson, Fiscal Accounts of Catalonia under the Early Count-Kings (1151-1213), 2 vol., Berkeley, Los Angeles, Londres, 1984.

26 Seconde partie du « Cartulaire anglo-normand ou Recueil de chartes anglaises et françaises jusqu’en 1306 » (titre du xixe siècle rassemblant deux fragments de cartulaires), Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 4-6. L’abbaye semble avoir acquis une grande habitude de la mise par écrit et de l’enquête : sept cartulaires nous sont parvenus pour la période du xiie au xve siècle. Cette tendance se confirme par ailleurs dans la documentation, comme nous allons le voir par la suite.

27 C. Wickham et J. Fentress, Social Memories, Oxford, 1992, particulièrement le chap. 4, « Medieval memories », p. 144-172, caractéristique de ce retournement du regard porté sur l’écrit.

28 Le 18 juin 1066, juste avant le départ de Guillaume pour la conquête. Cette cérémonie a ainsi une visée propitiatoire (à mettre en parallèle avec la fondation de l’abbaye de Battle après Hastings, cette fois pour commémorer et sanctifier a posteriori la conquête). Sur la fondation de l’abbaye, voir L. Musset, « La reine Mathilde et la fondation de la Trinité de Caen », Mémoires de l’Académie de Caen, vol. 21,1984, p. 191-210.

29 On peut citer, parmi les nombreux témoignages de cette proximité, l’implication de la reine Mathilde et son choix de l’abbaye comme lieu de sépulture, puis l’abbatiat de Cécile, fille de Guillaume et Mathilde, donnée comme oblate à l’abbaye.

30 Caractère exceptionnel non d’un point de vue normand bien sûr, de nombreuses abbayes ayant été ainsi dotées, mais dans un contexte plus largement européen aux xiie-xiiie siècles. Pour une étude d’ensemble de ces abbayes anglo-normandes, voir D. Matthew, The Norman Monasteries and their English Possessions, Oxford, 1962.

31 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, 2 vol., Paris, 1962. Sur ce point, l’analyse générale de G. Duby est aujourd’hui contestée : voir notamment L. Feiler, Paysans et seigneurs au Moyen Âge, viiie-xve siècles, Paris, 2007, p. 147.

32 R. Britnell, Britain and Ireland, 1050-1530, Economy and Society, Oxford, 2004, p. 223-224. Au sujet de ces différentes logiques à l’oeuvre dans l’Angleterre de l’après-Conquête, voir le chap. XI de la première partie, « Lords and tenants », p. 223-247.

33 R. Carabie, La propriéte foncière dans le très ancien droit normand ( xie-xiiie siècles), Caen, 1943, p. 223.

34 M. Postan, « The chronology of labour services », Transactions of the Royal Historical Society, 4th ser., XX, 1937, p. 167-193. Sur le cas de la Trinité : p. 183.

35 Ibid.

36 Feudal reaction du xiiie siècle bien connue dans l’historiographie anglaise depuis Postan.

37 A. L. Poole, From Domesday Book to Magna Carta, Oxford, 1951, p. 45, et G. Duby, Économie rurale..., op. cit., t. 2, p. 434. Cette idée est toujours répandue dans l’historiographie, malgré les corrections apportées par M. Chibnall. On la retrouve par exemple récemment chez Britnell : R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 226, au sujet du xiie siècle : On the estates of Caen Abbey, the demesne of Minchinhampton manor [Gloucestershire] disintegrated [...].

38 M. Postan, « The chronology... », art. cité, p. 183.

39 M. Chibnall, Charters..., op. cit., note 5, p. xlix.

40 Il faut le rappeler, à la suite de M. Arnoux (compte rendu cit., 1995), de M. Chibnall (Charters..., op. cit.), de J. Walmsley (Charters..., op. cit.), ou encore de J. Birdsall : J. Birdsall, « The English manors of the Abbey of La Trinité at Caen », Anniversary Essays in Medierai History to C.H. Haskins, Boston, 1929, p. 25-44.

41 Le débat portait sur la tendance à la rétraction des réserves durant le xiie siècle, et les interprétations de Postan et de Lennard au sujet des mêmes surveys de Glastonbury Abbey divergeaient nettement. Pour une bibliographie détaillée des rebondissements de ce débat entre les années 1950 et 1970, voir J. Hatcher et M. Bailey, Modelling the Middle Ages, Oxford, 2001, p. 14, n. 14.

42 When Postan began writing in the 1930s, the subject lacked a coherent general framework within which to fit the swelling tide of facts that was flowing from research on the records of particuliar estates, localities, trades and towns, ibid., p. 31.

43 Voir note 48.

44 M. Bloch, Seigneurie française..., op. cit., p. 58.

45 Cette enquête C suit l’enquête B d’un point de vue chronologique, et non dans l’ordre du cartulaire. Il n’existe pas d’enquête C pour les seigneuries normandes.

46 M. Chibnall, Charters..., op. cit, p. xxxiv, et J. Birdsall, « The English... », art. cité, p. 35-36.

47 La virgate anglaise vaut environ 30 acres anglaises, et non un quart d’acre comme la vergée normande, l’acre normande étant beaucoup plus grande – jusqu’à deux fois plus – que l’acre anglaise : J. Walmsley, Charters..., op. cit, p. 33.

48 Le chiffre de 26 virgates donné par Postan pour cette catégorie provient manifestement d’une lecture trop rapide : dans le survey A, le texte indique explicitement – pour une fois – que ce chiffre renvoie à la surface totale de la réserve, et non aux virgates ad gablum/censum.

49 Par exemple au début du paragraphe les concernant pour Minchinhampton en B : Omnes virgate operane de Hantone debent operati unaquaque ebdomada sine sabbato et summare et arate semel et herciare unaquaque ebdomada... (Min B 77), ce qui devient en C : Unaquaque virga operaria de Hanton’debet operari unaquaque ebdomada et per totam ebdomadam nisi sabbato et summare per [to] tum annum, et quaque ebdomada semel arare et herciare... (Min C 77).

50 C’est-à-dire : Debet per Angliam libere et/ter arabit et semel metet cum omnibus famulis sicut sibi et a quaque domo sue terre accomodabit i hominem et cariabit semel (Min C 94).

51 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xlix.

52 C. Dyer, Lords and Pensants in a Changing Society. The Estate of the Bishopric of Worcester, 680-1540, Cambridge, 1980.

53 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 232.

54 Pour les autres manoirs, Horstead et Tilshead, il est impossible de tirer des conclusions assurées sur ce sujet, soit par manque de clarté, soit parce qu’il n’y a pas de survey B (cas de Tilshead) : M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. LII, note 5.

55 D. Matthew a ainsi été frappé par la taille des troupeaux sur les réserves de la Trinité en Angleterre, avec près de 800 moutons dans les manoirs de Tilshead et Tarrant en 1299 (Arch. dép. Calvados, 2H, carton 1) : D. Matthew, The Norman..., op. cit., p. 70.

56 J. Birdsall, art. cité, p. 37, qui renvoie dans le texte à : Avening’ primo habentur ii vi[r]gate militares, postea v pro franco gabulo, et post xiiii in uoluntate abbatisse vel pro gabulo vel pro opere (Av C 69).

57 R. Carabie, La propriété..., op. cit., p. 223.

58 J. Birdsall, « The English manors... », art. cité, p. 44, et L. Musset (éd.), Les actes..., op. cit., no 12, p. 95-96 : De institucione ecclesie.

59 J. W. Baldwin, « Pierre du Thillay, knight and Lord : the landed ressources of the lower aristocracy in the early thirteeth Century », Francia, 30/1, 2003, p. 9-41 (comparaison avec la Trinité et les autres abbayes normandes : p 32-33). Ces conclusions sont concordantes avec celles de J. Walmsley : J. Walmsley, « The Twelfth-Century surveys of Holy Trinity, Caen : a comparative study of peasant conditions », Agricultural History, 65, no 3,1991, p. 70-104.

60 Seulement trois cas de conversions pour des vavasseurs, avec le vinage racheté, c’est-à-dire que le boeuf qui doit être fourni pour le transport de vin peut être remplacé par 6 deniers angevins ; c’est la même chose pour les redevances en brebis (ou 12 deniers). Seuls quelques services sont rachetés par les vilains entre Carpiquet A et B : 2 sous de pratage (corvée sur une acre de pré à faucher), 6 deniers de vinage, 12 deniers de lignage et 2 deniers de fumage.

61 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 88.

62 Cas de Graye, par exemple, voir : J. Walmsley, Charters..., op. cit., p. 15.

63 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 76.

64 T. Jarry, « Évaluer, inventorier, exploiter : le Rotulus de denariis de l’abbaye Saint-Étienne de Caen (xiiie siècle) », Tabularia, « Études », no 6, 2006, p. 1-23. Original, Arch. dép. Calvados, H 1957.

65 Amblie, Calvados, arr. Caen, cant. Creully.

66 C’est une orientation qui est poursuivie par la suite, comme en témoigne le survey de 1257, avec globalement les mêmes obligations. J. Walmsley, Charters..., op. cit., p. 31.

67 Daté du milieu du xiiie siècle, cité par : L. Delisle, Étude sur la condition de la classe agricole et sur l’état de l’agriculture en Normandie, Paris, 1851, p. 49 ; et R. Carabie, La propriété..., op. cit., p. 47. Dans la liste des « exactions » seigneuriales considérées comme intolérables par les paysans de Verson et ayant justifié leur révolte, figure en bonne place la nécessité d’apporter à la grange seigneuriale le champart, avant de rentrer ses propres récoltes, même en cas de pluie (cas relativement courant en Normandie...).

68 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 74 et p. 101.

69 Comptes de 1427-1428 et de 1436-1437, Arch. dép. du Calvados, série 2H non cotée, cartons 13-17.

70 R. Carabie, La propriété..., op. cit., p. 223. Pour R. Carabie, ce serait d’ailleurs cet immobilisme dans le cas de la Trinité qui expliquerait la possibilité d’une analogie entre les seigneuries normandes et les manoirs anglais de l’abbaye, avant une évolution et des destins différents par la suite.

71 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 224.

72 Ce système de répartition des revenus en nature tirés des manoirs est utilisé massivement par le roi (jusqu’à Henri Ier) et les établissements ecclésiastiques anglais aux xie-xiie siècles : R. H. Britnell, The Commercialisation of English Society, 1000-1500, Cambridge, 1993, p. 33-34· Le témoignage de cette organisation pour la Trinité se trouve dans le De institutione ecclesie, cartulaire de la Trinité de Caen, BnF, ms. lat. 5650, fol. 18v.

73 Ibid., p. 225.

74 Comme le remarque B. Campbell, for many lords [...], especially major religious institutions, old habits died hard. On the most heavily manorialised estates, labour services and food farm subsidised management strategies geared towards consumption rather than exchange : B. Campbell, « Measuring the commercialisation of seigneurial agriculture c. 1300 », dans R. Britnell et B. Campbell (éd.), A Commercialising Economy, England 1086 to c. 1300, p. 132-193.

75 Voir à ce sujet les articles classiques de P. D. A. Harvey, « The English inflation of 1180-1220 », Past and Present, 61, 1973, et M. Postan, « The chronology... », art. cité.

76 The reign of Henry II was [...] full of campaigns by major landlords to regain control over their estates eitheir by litigation in the king’s courts, or through purchase, le problème venant principalement de l’interprétation des baux à ferme comme étant des fiefs-fermes, donc héréditaires par les fermiers. On retrouve ces difficultés dans les cas de l’abbaye de Ramsey ou dans celui de l’évêché de Worcester : R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 227.

77 Ce qui donne lieu à une série de chartes et d’enquêtes, jusqu’à la renonciation définitive achetée chèrement (£ 100) au fils de Simon de Felsted, en 1192 : M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xli.

78 R. R. Hyams, « The origins of a peasant land market in England », Economic History Review, 2nd ser., 23 (1970), p. 18-31 (sur la Trinité : p. 27-28).

79 Ce writ a pour but d’invalider l’entrée en tenure, jugée illégale car transmise par un vilain sans l’autorisation du seigneur.

80 C’est de fait le moment où l’abbaye se dote de spécialistes du droit pour remplacer les fermiers et veiller aux intérêts de l’abbaye en Angleterre.

81 PRO JUST 1/560, mm 7.

82 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 51-55.

83 Notamment pour les non-libres (Min BC 78). Voir à ce sujet M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xlvi-xlviii.

84 Selon les analyses de M. Postan, « The famulus », Economic History Review Supplements, no 2, Cambridge, 1954.

85 PRO SC 6/1127/17 (compte de 1298, qui répertorie pour cinq mois le rachat de corvées coutumières pour un montant total de £ 2 17s 6d par les tenanciers, et le versement de £ 2 6d à des famuli) et PRO E 106/7/3 (extent de 1324, avec une estimation de 2 600 corvées coutumières dues, s’élevant à £ 6 au total, mais sans la précision du nombre de ces corvées effectivement rachetées). Les terres sont alors entre les mains du roi, mais les pratiques d’administration de l’abbaye n’ont certainement pas été bouleversées en quelques mois.

86 T. N. Bisson, Fiscal Accounts..., op. cit.

87 Contexte troublé du règne d’Étienne en Angleterre (guerre civile et relations certainement difficiles avec les possessions anglaises), qui favorise probablement dans les manoirs de la Trinité les essartages incontrôlés, la multiplication des freeholders et la prise d’autonomie du fermier Simon de Felsted.

88 M. Postan, « The chronology... », art. cité, p. 189.

89 R. H. Hilton, « Freedom and villeinage in England », Past and Present, no 31, 1965, p. 3-19.

90 [...] Et omnes qui non sunt liberi masculi et femine debent metere iii bederipes... (Min B-C 77).

91 En ce sens, il faudrait quelque peu nuancer l’observation de R. Hilton dans l’exemple cité p. 12 de son article, au sujet d’Avening D (v. 1200) : ces mentions de virgates qui fuit operariam [...] sed nesciunt quomodo/ ou in voluntate abbatisse J[ohanne] témoignent au contraire d’une volonté d’enquêter sur ces changements de statuts, après la période troublée de Simon de Felsted (mentionné explicitement dans le texte), et d’un souci de contrôle de la part de l’abbesse, qui rappelle en même temps que tout cela dépend de sa bonne volonté, limite sérieuse à l’expression de la liberté des tenanciers en question.

92 R. Hilton, « Freedom... », art. cité, p. 11.

93 Cette idée est aujourd’hui très classique dans la bibliographie anglaise. Par exemple, R. Britnell remarque : A number of sources of the Twelfth-Century show unambiguously that the performance of labour services tuas considered to make a man less free than a tenant tubo had fewer labour services. Comme l’a démontré depuis longtemps Vinogradoff, dans le cours des xiie-xiiie siècles, c’est précisément cette distinction qui en vient à définir un tenancier comme non libre et à l’exclure des cours royales. R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 232.

94 Cette expression, d’une importance cruciale, se retrouve par exemple dans le cas de l’enquête menée sous la direction de l’évêque Anselm de St David’s au milieu du xiiie siècle. Il consent à ses tenanciers du Pembrokeshire des conversions de rentes en argent, mais at the bishop’s will : J. Barrow (éd.), St David’s Episcopal Acta, 1085-1280, Cardiff, 1998, no 112, p. 130.

95 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 65.

96 On peut faire la même remarque dans le cas de l’évêché de Durham ou de Peterborough Abbey, capables d’imposer des corvées bien plus lourdes que ce qui était habituel dans la région où se situent leurs manoirs : ibid., p. 65.

97 P. Schofield, « Seigneurial exactions in eastern England, c. 1050-1300 », dans M. Bourin et M. Sopena (éd.), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales ( xie- xive siècles), réalités et représentations paysannes, Paris, 2004, p. 383-409 ; et P. Schofield, Peasant and Community in Medieval England 1200-1500, New York, 2003, p. 26-30.

98 M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 34.

99 Corvées omniprésentes notamment à Minchinhampton (survey C, M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 67-73), probablement en lien avec la grande taille de la réserve.

100 J. Walmsley, Charters..., op. cit., note 1, p. 63.

101 Problème débattu par M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xl.

102 D. Matthew, The Norman..., op. cit.

103 Charte L 465 du « Cartulaire anglo-normand », Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 4-6.

104 Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 25/2, bulles L 228, L 229, L 410, L 432.

105 J. Walmsley, « The early abbesses, nuns and female tenants of the Abbey of the Holy Trinity, Caen », journal of Ecclesiastical History, vol. 48, no 3, 1997, p. 425-444.

106 Le texte utilisé par Haskins pour témoigner de la mauvaise administration de Robert Courteheuse dans le duché et des déprédations subies par les abbayes concerne précisément le cas de la Trinité : C. H. Haskins, Norman Institutions, Cambridge (Mass.), 1925, p. 63-64. J. Walmsley précise qu’en comparaison Saint-Étienne a beaucoup moins souffert durant cette période.

107 Grâce à la paix suivant le traité de Brétigny.

108 C’est-à-dire un peu plus que Saint-Étienne (80 livres). D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. cit., p. 30.

109 D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. cit., p. 66.

110 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 39.

111 Le « problème » est réglé définitivement en 1192, avec un paiement de £ 100 au fils de Simon de Felsted, en échange de sa renonciation : M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. xli.

112 D. Matthew, The Norman Monasteries..., op. cit., chap. III, p. 78, au sujet de ces amendes exorbitantes payées par les abbayes normandes pour pouvoir récupérer leurs terres anglaises.

113 Voir à ce sujet G. Génestal, Rôle des monastères comme établissements de crédit, Paris, 1901.

114 Arch. dép. Calvados, série 2H, cartons 13-14 et 15-17.

115 J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 100.

116 C’est le cas par exemple de l’évêque de Florence, au début du xiiie siècle, qui parvient à récupérer des loyers en nature pour agir sur le marché urbain : C. Wickham, « La signoria rurale in Toscana », dans Strutture et trasformazioni della signoria rurale nei secoli X-XIII, G. Dilcher et C. Violente (éd.), Bologne, 1996, p. 343-409 ; ou encore G. W. Dameron, Episcopal Power and Florentine Society, 1000-1320, Cambridge (Mass.), 1991, p. 130-140. La même logique est à l’oeuvre dans les terres de l’abbé de St-Ambroise de Milan à Origgio à la fin du xiie siècle, ce qui a, comme dans le cas de la Trinité, pour résultat d’entraver le contact direct des paysans avec le marché urbain : R. Romeo, « La signoria dell’abate di Sant’Ambrogio di Milano sul comune rurale di Origgio nel secolo XIII », Rivista storica italiana, 69,1957, p. 340-377 et p. 473-507.

117 Elles ont notamment été abordées par J. Walmsley, « The Twelfth-Century... », art. cité, p. 97.

118 Fel A et Hors A, M. Chibnall, Charters..., op. cit., p. 34 et 36 : Portantfirmam ad Wincestre.

119 De institutione ecclesie, BnF ms. lat. 5650, fol. 18v.

120 M. Chibnall, Charters..., op. cit., Avening C, p. 66.

121 Ibid., p. 95, Fested D-E 30, 31, 32.

122 Ibid., p. 95, Fel DE 33.

123 Ibid., p. 90, 91, 99.

124 Ibid., p. 95, Fel DE 31.

125 Ibid., p. 38, Avening A.

126 Arch. dép. Calvados, série 2H, carton 1.

127 Tel Peter des Roches, évêque de Winchester, l’un des plus puissants seigneurs ecclésiastiques de la période, avec des domaines particulièrement vastes, qui vend au début du xiiie siècle sa production de laine sur le marché, mais non sa production de céréales : K. Biddick et C. J. H. Bijleveld, « Agrarian productivity on the estates of the bishopric of Winchester in the early thirteenth Century : a managerial perspective », dans B. M. S. Campbell et M. Overton (éd.), Land, Labour and Livestock : Historical Studies in European Agricultural Productivity, Manchester, 1991, p. 120.

128 Excepté ce qui devait être utilisé pour fabriquer les vêtements pour les besoins de l’abbaye. La laine est explicitement mentionnée dans le De institucione ecclesie, BnF ms. lat. 5650, fol. 18 v.

129 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 48.

130 Par exemple E 106 10/8 du PRO : il s’agit d’un extent rédigé sous Édouard III au xive siècle, alors que les possessions sont entre les mains du roi. Les biens de l’abbaye sont listés, avec leurs prix indiqués. Un total distingue à la fin la somme des extenta, évalués à £ 80 13s 4d, et la somme des bonorum, évalués à £ 120 6d.

131 J. Walsmely, « The Twelfth-Century... », art. cité.

132 M. Chibnall, Charters..., op. cit., Felsted A.

133 Ibid., Horstead A. Évaluations de R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 44.

134 Ibid., p. 36.

135 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 236.

136 Conservés au National Archives de Kew (PRO, devenu TNA) : le SC 6/1127/17 de 1298 n’indique par exemple que 64 corvées commutées pour Minchinhampton et Avening pour les cinq mois pris en compte. Il faut attendre le SC 6/856/23, rédigé en 1378, pour voir le nombre de corvées vendues devenir significatif. L’extent de 1324 (E106 7/3) montre l’ampleur des customary rents dues dans le cas des manoirs anglais de la Trinité : 2 600 (mais sans préciser combien ont été effectivement commutées).

137 K. G. Persson, Preindustrial Economic Growth : Social Organisation and Technical Progress in Europe, Oxford, 1988, particulièrement p. 65-67, 82, 88.

138 Ibid.

139 R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 33-34.

140 D. L. Farmer, « Marketing the produce of the countryside, 1200-1500 », dans Agricultural History of England and Wales, vol. III, E. Miller (éd.), Cambridge, 1991, p. 360.

141 R. Britnell, Britain and Ireland..., op. cit., p. 226-228.

142 B. M. S. Campbell, « Measuring... », art. cité, p. 192.

143 Par exemple Saint-Étienne avec son Rotulus de denariis, Saint-Amand et son livre des revenus au début du xiiie siècle, Pierre du Thillay et son livre de rente (début xiiie siècle, également) : T. Jarry, « Évaluer... », art. cité ; J. Walmsley, « Les revenus de l’abbaye Saint-Amand de Rouen : un rouleau de “rentes” des années 1220-1240 », Histoire et sociétés rurales, no 13, 1er semestre 2000, p. 143-174 ; J. W. Baldwin (éd.), Le livre de terres..., op. cit. La Trinité semble se démarquer également du cas de l’abbaye du Bec, qui connaît un processus de commercialisation avancé dans ses vastes possessions anglaises au xive siècle : M. Morgan, The English Lands of the Abbey of Bec, Oxford, 1946, et R. Britnell, The Commercialisation..., op. cit., p. 121.

144 Pour Le Patourel, l’abbaye de la Trinité faisait ainsi manifestement partie de l’exploiting group, constat fondé sur l’étude de D. Matthew, mais négligeant la différence de pratique de cette abbaye féminine : J. Le Patourel, The Norman Empire, Oxford, 1976, chap. 9.

145 Avec l’appel à des spécialistes du droit, le recours au faire-valoir direct, la précocité de rédaction de ces enquêtes, l’ampleur des transports exigés...

146 Ce qui aurait pu se produire bien plus tôt, comme le montrent le cas de Felsted au xiie siècle, le problème sérieux posé par les fermiers, ou les confiscations à répétition par le pouvoir royal anglais durant les xiiie et xive siècles.

147 La chronologie des confiscations successives est assez confuse, mais une date est assurée, la fondation de Syon Abbey en 1415 par Henri V et la transmission du temporel anglais de la Trinité à cette nouvelle abbaye.

Auteur

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, LAMOP (UMR 8589)

© Éditions de la Sorbonne, 2009

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