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Écritures de l’espace social

 | 
Didier Boisseuil
, 
Pierre Chastang
, 
Laurent Feller
, 
et al.

3e section. Hommes et femmes

Les femmes et la terre en Picardie au xiiie siècle

Robert Fossier

Texte intégral

  • 1 Je m’appuie amplement et sans vergogne sur mon livre La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la (...)

1Voilà un titre bien ambitieux, mais fort trompeur. Car il ne s’agit nullement ici de brosser une fresque, même sur une simple centaine d’années, des conditions matérielles, juridiques, psychologiques ou autres du sexe féminin, et celles-là sur une région représentant deux ou trois départements d’aujourd’hui. Non ! Ce modeste essai mérite seulement le titre – inacceptable par sa lourdeur dans un simple recueil d’articles – de : « Quelques remarques comptables sur la place des femmes de l’aristocratie campagnarde dans les textes de la pratique immobilière tout au cours de la haute Somme, d’Amiens à Saint-Quentin, et durant le xiiie siècle ». Justifier ce choix restrictif, pour détromper mon éventuel lecteur, est indispensable et me sera d’ailleurs facile1.

  • 2 Les deux guides traditionnels, à la morphologie toujours valable, sont : A. Demangeon, La plaine p (...)
  • 3 On trouvera une carte des implantations religieuses dans Histoire de la Picardie, R. Fossier (dir. (...)

2Je dispose, en effet, de relevés, assez précis et accumulés au cours des ans, du contenu de plusieurs centaines de fonds documentaires sur toute la Picardie ; j’entends la « plaine picarde », entre la mer et l’Oise, telle que je l’ai ailleurs définie, après Demangeon ou Pinchemel2. Il s’agit surtout, notamment pour les temps antérieurs à 1300, de documents conservés à la campagne par les établissements religieux bénéficiaires de donations immobilières ou de privilèges juridiques. On y trouvera le vaste éventail des institutions monastiques et des communautés religieuses ou profanes : on en compte près de 150, relativement implantées avec harmonie, certaines se flattant d’une très haute ancienneté, la plupart laissant un bagage documentaire remontant à 1100 ou 12003. C’est dans cette masse que l’historien médiéviste cherche « son pain quotidien », là qu’il alimente son érudition de détail, là qu’il jette les fondements de ses théories, là qu’il guette la naissance, l’éclosion, puis l’extinction d’une institution ou d’une tendance sociale. Pourtant, une assez longue fréquentation de cette documentation m’a convaincu qu’il y a là une parfaite illusion : dans ce vaste champ d’épaves, il n’est pas sérieux de méditer sur l’apparition ou la disparition, l’essor ou la distorsion d’un fait, et, plus encore, d’un mot, sous le prétexte qu’on ne les rencontre pas avant telle date, ou plus du tout après telle autre, dans les débris venus jusqu’à nous. Un exemple sur cent autres : le couvent du Paraclet, au sud immédiat d’Amiens, a scrupuleusement noté dans son cartulaire, année après année, tous les actes le concernant, depuis sa fondation en 1219 jusqu’en 1240 – ensuite, silence complet : que faire de ce croupion ? Ces « trous » documentaires interdisent toute théorie évolutive sérieuse sur une longue période. Naturellement, l’historien invoque le « caprice des sources », les fureurs religieuses du xvie siècle, les éliminations systématiques du xviiie siècle et de la Révolution ; mais en vérité, c’est sur place, et tout de suite, qu’on a effacé l’objet d’un acte et qu’on en a détruit la preuve écrite quand cet objet n’a plus eu de raison d’être : que de crédits disparus parce que remboursés, de testaments oubliés parce que devenus caducs, de baux éliminés parce que, à terme, sans valeur, de procès perdus, car on ne se souvient que de ceux que l’on gagna ! Le bénéficiaire n’a gardé que ce qui pouvait lui servir en justice et ne s’est pas soucié des chercheurs audacieux et fort imprudents des temps futurs. Banalité évidente ! Mais on ne se lassera pas de la répéter.

  • 4 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., Plus à l’ouest, d’Amiens à la mer, le synclinal q (...)

3Cela dit, le constat désabusé que je dresse a, au moins ici, quelque effet ; mieux vaut donc ne retenir qu’une durée brève d’examen pour l’étude d’un phénomène. Et si j’ai retenu le xiiie siècle, c’est évidemment parce qu’il est représenté fort équitablement dans mes diverses sources. Quant à l’espace géographique que je me propose de parcourir, de la moyenne à la haute Somme, je l’ai retenu parce qu’on peut y trouver une relative homogénéité géographique et économique, et qu’il n’a pas, au xiiie siècle, connu de bouleversement de nature politique4.

  • 5 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., p. 516-517, 527-541, sur cette ambivalence de tel (...)

4Jusqu’ici, mes choix ont un caractère peu discutable ; il n’en sera pas ainsi en examinant le contenu des actes. Il n’y aura pas de difficulté particulière en ce qui concerne le monde des destinataires. Les documents conservés sont des titres de propriété ou des droits, acquis par vente ou par aumône, au bénéfice d’une église ; de temps à autre, mais bien rarement, il s’y mêle un relevé d’exploitants à taxer ou l’écho d’un procès, gagné naturellement, voire le rappel d’une obligation canonique. L’église qui conserve ces actes est tantôt bénédictine, tantôt cistercienne, tantôt canoniale, ou d’une autre obédience. Il serait donc utile de chercher dans quelle mesure cette situation a pu attirer ou éloigner donateurs ou vendeurs ; mais l’esquisse d’approche que j’ai tentée ne dégage, chiffres à l’appui, qu’une légère supériorité de tels actes au profit des Cisterciens, peut-être réputés moins bien dotés à l’origine, ou à celui des monastères féminins, plus attractifs au regard de l’intérêt des familles aristocratiques. Mais, faute d’enquête sur le niveau social des donateurs, rien qui vaille un commentaire sérieux. Or l’étude de ce niveau pose des problèmes que j’avoue ne pouvoir résoudre : qui sont ces donateurs ou vendeurs ? Les uns se disent miles ou dominus ou, en ville, civis ; mais les autres (la majorité) se désignent uniquement par un nom de lieu, dont on ignore s’il s’agit d’un titre de propriété ou d’une simple provenance5. Seule une estimation du bien ou du revenu dont ces hommes se dessaisissent permettrait une approche – mais comment juger de la part de patrimoine ainsi aliénée ? Ce sont des biens de riches, sans doute, et placés dans des villages proches de l’établissement qui s’en trouve doté. En disant « aristocratie campagnarde », je suis sans doute dans le vrai. Et il n’y a pas qu’à cette occasion qu’il faut souligner l’étroitesse de notre base documentaire : une poignée d’hommes, voilà tout ! Désastreuse infirmité des recherches médiévales.

5« Poignée d’hommes » – et les femmes dans ce désert de nos connaissances ? Leur intervention directe comme donatrices ou vendeuses est particulièrement rare (moins de 8 % d’actes), et j’y reviendrai ; que certaines arborent le titre de domina permet de les ranger au milieu de l’aristocratie rurale, mais le nombre en est trop faible pour autoriser un commentaire. Considération de départ assez déprimante. En revanche, la place de la femme dans l’ensemble familial, quand elle est appelée à donner son accord à ces aliénations, est beaucoup plus large, et c’est l’objet même de cet article que d’en fournir les éléments arithmétiques, beaucoup trop souvent réduits à des allusions incertaines.

  • 6 L’un des derniers apports juridiques sur la situation de l’épouse, Dots et douaires dans le haut M (...)
  • 7 Ce dernier point mérite un arrêt. L’approbation, souvent notée, d’un dominus implique-t-elle un ma (...)
  • 8 Voir le tableau général in fine. En pourcentage approché, pour les séculiers : chapitre d’Amiens e (...)
  • 9 Fervacques et le Paraclet étant monastères de femmes, ils ont pu attirer plus de cessions d’inspir (...)
  • 10 Entre 52 et 56 %. J’ai éliminé, en dépit de leur éventuel intérêt, des fonds jugés trop inégaux, s (...)
  • 11 Je n’ignore aucun des pièges qui se dissimulent sous des termes comme dos, familia ou stirps (voir(...)

6La situation de la femme en face de la terre ou des droits qui s’y greffent, qu’elle les gère ou exploite, ou au contraire qu’elle en abandonne ou en cède une partie, n’est en rien un domaine inconnu : la masse des études qui s’y consacrent est fort lourde, et on ne s’attend pas, j’espère, que j’y ajoute quelque théorie neuve et fracassante6. Mon but n’est que comptable : cerner au plus près, dans les actes de la pratique coutumière, en premier lieu la part des femmes au travail qu’on y rencontrerait, ensuite la part des épouses approuvant l’acte de don ou de vente par leur mari, d’abord seules avec lui, puis mêlées à un plus vaste élément familial, enfin la part de celles dont le douaire aliéné doit être rééquilibré. Mais avant de présenter les résultats comptables de ces quatre recherches, une explication s’impose sur ma base documentaire. Sur la zone que je survole, j’ai retenu vingt fonds d’archives dont le contenu et la localisation couvraient, amples et réguliers, les phénomènes à détailler. La plupart de ces ensembles sont formés d’originaux ou de copies anciennes, mais souvent épars en plusieurs dépôts ; j’en fournis la liste in fine. Cet ensemble de textes représente environ 5 200 actes ; j’en ai extrait un peu plus de la moitié, près de 2 800, contenant une transaction immobilière et m’offrant une assise convenable. Leur présentation est d’une homogénéité assez satisfaisante : auteur de l’acte écrit (à peu près toujours un représentant de l’Église mais non toujours le bénéficiaire), puis intervention du donateur ou du vendeur, approbation familiale et, s’il y a lieu, seigneuriale7, liste de témoins, de plus en plus rare au cours du xiiie siècle. Naturellement, la proportion des actes de ce type par rapport à l’ensemble du fonds n’est pas toujours la même : par exemple, les ensembles urbains d’Amiens ou de Saint-Quentin ont surtout largement drainé les cessions venant de la ville, des « bourgeois », avec d’assez forts pourcentages8. Dans la sphère des réguliers, ce sont les Cisterciens qui l’emportent, comme on pouvait s’y attendre en raison de leur excellente réputation de gestionnaires9. Il y a beaucoup plus d’inégalités lorsqu’on les quitte pour les autres couvents : Bénédictins, Augustins, Prémontrés et collégiales de toutes sortes ; on va alors de presque 100 %, comme à Mont-Saint-Quentin, à 10 ou 12 % à Saint-Quentin-en-l’île qui n’est qu’à quelques lieues. Les différences notables semblent le fait de la proximité d’établissements fort anciens et fort appréciés, comme Corbie, Arrouaise ou Saint-Jean. Toutes variétés confondues, c’est donc, comme je viens de le dire, à quelque 50 % des documents que je peux me confier10. Mais je ne peux malheureusement m’en tenir là : seront en effet inutiles dans mon bagage les actes émanant d’un individu isolé parlant seul ou flanqué d’un autre mâle, un frère par exemple ; ils doivent être éliminés. En sorte que mon nombre de textes utiles, ramenés à ceux où l’on parle d’une épouse, d’une sœur, d’une fille, sera grandement minoré : sur les 5 200 actes repérés, j’étais déjà descendu à 2 700 ; il me faut aller jusque autour de 1250, moins de la moitié, pour disposer d’une documentation qui fasse appel aux femmes dans les opérations immobilières. Il est vrai que la première des quatre questions que je me dispose à ouvrir se clôt fort vite, puisque je n’ai pas l’intention d’aborder les multiples problèmes soulevés par la place et les moyens de la femme dans la gestion ou l’exploitation du sol lui-même : il s’agit alors d’autres choses que de chiffres11.

  • 12 Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon (éd.), Paris, 1899, chap, lvii, art. 162 (...)
  • 13 Cf. le tableau général. On pourra observer un assez net accroissement des cas de donations par cou (...)

7Philippe de Beaumanoir, Pierre de Fontaines en ces régions, mais tous les autres coutumiers en sont garants12 : le « baron » reste maître de la gestion des biens du couple, quelle qu’en soit la provenance. Je n’ai pas la compétence ou la curiosité juridiques nécessaires pour déterminer dans quelles conditions un époux peut agir dans le domaine immobilier sans se préoccuper de l’autorisation de sa femme, et de l’aval qu’il en attend : je constate simplement que, dans la région et l’espace chronologique que j’ai retenus, sur les quelque 2 800 textes immobiliers, et même sur les 1250 où intervient le sexe féminin, j’ai relevé un peu plus de 600 cas d’un couple agissant en communauté d’époux, soit 1 sur 2, sans qu’il y ait lieu d’une autre approbation, et cela sans privilégier un lieu ou une date13.

  • 14 314 exemples d’approbations par un héritier direct, dont 45 filles. Je ne sais trop que faire d’un (...)
  • 15 Cette forte pression des collatéraux immédiats (136 frères et sœurs) ou des ascendants (55 cas) es (...)

8Cette proportion de 50 % de concessions proprement conjugales est appuyée par l’autre moitié des 1250 documents où l’intervention de l’épouse se noie, cette fois, dans celle du reste de la familia. Pourtant, la laudatio parentum est un usage juridique qui tend, au xiiie siècle, à s’effacer de la pratique écrite. Son maintien, pour certaines cessions, jusqu’au terme de la période, mérite donc un arrêt. Il n’est pas toujours possible d’en bien mesurer la portée. Ainsi l’approbation par un seul héritier, mâle de préférence, mais non systématiquement, n’est pas sans nuance interprétative : masculinité prépondérante ou bien aînesse même féminine, quand on fait appel à une seule fille ? Absence volontaire des autres héritiers ou simples membres d’un lignage mutilé, ou encore réduction au noyau familial central ?14 Seule une enquête par famille permettrait peut-être d’éclairer ces pistes – sur des centaines de cas, il ne fallait pas y songer, et je laisse ouverte ces voies confuses. De même, je ne puis que suggérer le caractère familial d’un bien cédé lorsque je suis en présence de près de 150 laudationes englobant frères, sœurs, cousins, ascendants, peut-être sollicités d’approuver le don ou la vente d’un bien commun15.

  • 16 Voir Dots et douaires..., op. cit.

9Un dernier domaine à présent, mais d’abord complexe, celui des « échanges dotaux », dirais-je en calquant la désignation du phénomène sur l’expression d’excambium dotis dont on use dans mes textes, et qui pourrait donner lieu à d’érudites propositions que je n’entends pas répéter16. Bien qu’on puisse en débusquer quelques exemples à la fin du xiie siècle en Picardie méridionale, les plus anciennes mentions, dans la région que j’examine, du remplacement d’un douaire amputé ou annulé, sont du premier quart du xiiie siècle ; je ne peux fournir d’explication satisfaisante sur ce décalage, au reste bien léger.

  • 17 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., p. 272-277. J’y avais noté des variations régiona (...)
  • 18 Les exemples les plus anciens que je relève dans la région sont de 1200 (BnF, ms. lat. 5478, fol. (...)
  • 19 J’ai rencontré quelques cas un peu particuliers : femme ou même veuve renonçant à son douaire (Fer (...)

10Certes l’Église soutient vigoureusement la réassiette du douaire, au nom de sa politique matrimoniale – mais elle n’est pas plus tenace au nord-est qu’au sud-ouest de la région. Des amputations provenant d’une opportunité immobilière, ou de l’imprudence, ou de l’égoïsme lignager ? Mais cette fois encore, rien n’autorise à chercher ou trouver une pression particulière des familles en ces lieux17. J’ai compté près de 250 actes où ces réassiettes sont mentionnées, quand même elles ne seraient pas la cause de la rédaction. Ce nombre, d’environ 1 acte sur 5 retenus pour les comptages, peut apparaître élevé – et il a été, en partie, à l’origine de ma curiosité sur le statut féminin18. Malheureusement, ces documents ne sont pas assez précis pour qu’on puisse estimer si la substitution d’un droit ou d’un bien en place d’un douaire altéré touche la totalité ou seulement une partie de ce dernier ; d’ailleurs celui-là est-il, d’après la coutume du lieu, le tiers ou le cinquième des biens de l’époux ? Ne nous laissons pas aller, à partir de ces modestes éléments, à croire accessible la fortune du mari. En revanche, la nature de ces échanges est plus accessible. À part une dizaine de cas où manque un élément de l’échange, par exemple le montant de la partie aliénée, le reste se sépare en deux groupes. Le premier dépasse la centaine de textes, un peu moins de 1 sur 2 : il consiste en un échange de biens immeubles, terre, vigne, maison, moulin, en place d’un morceau de sol, parfois même d’un bien de nature identique mais situé ailleurs ; l’inégalité de surface ou de valeur indiquée surprend sans être évidente : s’agit-il d’inégalité de qualité dans les sols ou d’une estimation erratique ? L’autre partie des cas, une centaine également, est plus éparse : elle fait intervenir des revenus réels ou attendus, cens, rentes, perception de taxes banales, voire dîme ou fragment de dîme ; ou bien cette partie de douaire est remplacée par une terre, mais dont on n’indique pas le rapport (environ 40 cas) ; ou bien le mouvement est inverse : cession de revenus en place d’une terre (15 cas) ou, plus simplement, revenu contre revenu (25 cas)19. Je noterai, pour compléter cette figure des réassiettes, que je n’ai rencontré que 25 cas sur 250 où l’approbation de la famille élargie a été nécessaire, le plus souvent au début du siècle. Il est probable que se sont ensuite accrus le poids de l’Église et la notion de conjugalité.

11On pourrait, on devrait même, multiplier ces comptages dans le temps et l’espace. Que permettent-ils de dégager dans leur austérité ? Ils me conduisent à deux remarques – que l’on jugera, avec raison, bien banales. La première est de forme : en jetant mes filets dans une documentation abondante mais inégale, je n’ai souvent retiré que des épaves dont manquaient le début et la fin ; j’ai donc dû renoncer à des totaux vraiment exacts et me contenter de chiffres arrondis. De surcroît, ce ne sont que quelques familles placées en haut de la société qui me sont apparues. Peut-on avancer que leur cas était celui de toutes les autres ? Ne serait-ce pas imprudente naïveté que de le croire et de théoriser ? L’autre remarque, de fond cette fois, est plus rassurante et pourrait rectifier une opinion trop vite répétée : sur les quelque 2 800 textes qui m’ont servi de base d’observation, c’est à beaucoup plus de 1000 que se monte le nombre de ceux où paraît une femme : veuve, épouse consentante, fille héritière, cousine que l’on sollicite. Beaumanoir a peut-être raison de dire qu’en Beauvaisis, ou non loin de là, l’homme est bien devant la femme – mais elle est bien à ses côtés quand il s’agit des biens. On peut invoquer le « mâle Moyen Âge » parce que c’est lui que l’on s’imagine voir d’abord ; mais c’est oublier la bourse et l’oreiller.

Annexes

ANNEXES

1 – LISTE DES PRINCIPAUX FONDS CONSULTÉS20

Amiens : Chapitre cathédral AD Somme, 4 G ; AD Moselle, Salis II, 165-168. Évêché : AD Somme, 3 G 588 ; BnF, dom Grenier xcvii. Hôtel-Dieu : AH Amiens, A 3-4 ; AD Somme, 3 G 296,1128.

Arrouaise : BM Amiens, 1077.

Corbie : BnF, ms. lat. 17758,17759,17760.

Éterpigny : AN, L 1001, S 5222 ; BnF, Nouv. acq. lat. 927.

Fervacques : AD Aisne, H 1624 ; BnF, ms. lat. 11071, dom Grenier ccxc.

Fouilloy : AD Somme, 14 G 1.

Lihons : BnF, ms. lat. 5460.

Mont-Saint-Martin : BnF, ms. lat. 5478.

Mont-Saint-Quentin : BnF, ms. lat. 12692.

Paraclet : AD Somme, 65 H 88.

Saint-Acheul : AD Somme, 22 H 3.

Saint-Firmin : AD Somme, 13 G ; BM Amiens, 520.

Saint-Fuscien : AD Somme, 23 H.

Saint-Jean d’Amiens : AD Somme, 14 G 6, 1 H 2 ; BM Amiens, 781.

Saint-Laurent : AD Somme, 9 H 531-540 ; SAP, 62.

Saint-Martin-aux-Jumeaux : AD Somme, 2 H 4.

Saint-Quentin, chapitre : AD Aisne, G 838 ; AN, LL 985 ; BnF, ms. lat. 11070.

Saint-Quentin-en-I’Île : AD Aisne, H 534 ; AN, LL 1016 ; BnF, ms. lat. 12895, dom Grenier cxi.

2 – TABLEAU RÉCAPITULATIF DES ACTES CONSIDÉRÉS

Notes

1 Je m’appuie amplement et sans vergogne sur mon livre La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du xiii e siècle, Paris/Louvain, Béatrice-Nauwelaerts, 1969, où j’avais déjà effleuré ce sujet.

2 Les deux guides traditionnels, à la morphologie toujours valable, sont : A. Demangeon, La plaine picarde. Picardie, Artois, Cambrésis, Beauvaisis, étude de géographie sur les plaines de craie du Nord de la France, Paris, 1905, et Ph. Pinchemel, Les plaines de craie du Nord-Ouest du Bassin parisien et du Sud-Est du bassin de Londres et leurs bordures : étude de géomorphologie, Paris, Colin, 1954.

3 On trouvera une carte des implantations religieuses dans Histoire de la Picardie, R. Fossier (dir.), Toulouse, Privat, 1974, p. 156-157 : près de 150 établissements.

4 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., Plus à l’ouest, d’Amiens à la mer, le synclinal qu’emprunte la Somme s’élargit : au Ponthieu et au Vimeu, la répartition des établissements religieux et, peut-être, les linéaments sociaux sont autres.

5 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., p. 516-517, 527-541, sur cette ambivalence de tels titres. Quant au mot dominus, qui implique, semble-t-il, une position « seigneuriale », rien ne permet d’y voir un détenteur de fief plutôt qu’un riche alleutier.

6 L’un des derniers apports juridiques sur la situation de l’épouse, Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Fr. Bougard, L. Feller, R. Le Jan (dir.), Rome, École française de Rome, 2002, ne concerne malheureusement qu’à l’occasion ma période ; mais il comporte des indications bibliographiques abondantes, postérieures à l’ouvrage célèbre de J. Goody, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, trad. fr. Paris, Colin, 1985.

7 Ce dernier point mérite un arrêt. L’approbation, souvent notée, d’un dominus implique-t-elle un maillon féodal ? Je ne le crois pas : sans doute un simple « propriétaire » éminent – sinon il faudrait un autre acte pour abrègement de fief. J’ai dit ailleurs (cf. notamment Les hommes et la terre..., op. cit., p. 546-550) que je repousse l’omnipotence du « fief » à l’état pur – un simple glissement de mot, « féodalisme » au lieu de « seigneurialisme ».

8 Voir le tableau général in fine. En pourcentage approché, pour les séculiers : chapitre d’Amiens et Hôtel-Dieu, 60 %, comme à Saint-Quentin ; l’évêché a moins tenté : 36 %.

9 Fervacques et le Paraclet étant monastères de femmes, ils ont pu attirer plus de cessions d’inspiration féminine. J’ai dit plus haut que le deuxième de ces établissements offre un excellent exemple de la tromperie des sources : elle enregistre des cessions tous les ans, de 1219 à 1250, puis se clôt brusquement là.

10 Entre 52 et 56 %. J’ai éliminé, en dépit de leur éventuel intérêt, des fonds jugés trop inégaux, soit parce qu’ils mordaient trop largement sur les xie et xiie siècles (Homblières, Honnecourt, Ribémont), soit parce qu’ils étaient trop peu abondants (Cappy, Eaucourt, Ham, Moreuil, Nesle, Péronne, Roye, Saint-Prix, Vermand).

11 Je n’ignore aucun des pièges qui se dissimulent sous des termes comme dos, familia ou stirps (voir Dots et douaires..., op. cit., et les innombrables ouvrages sur la femme). Les données que fournissent mes actes sur l’intervention personnelle des femmes restent floues : j’en ai relevé 228, assez également réparties entre mes 20 fonds, avec une prépondérance, très explicable, dans les archives d’établissements féminins (Fervacques : 21 ; Paraclet : 29), ou urbains (Saint-Quentin : 30). « Propres » de l’épouse ? Veuves chefs de feu ? Un sondage parmi les listes de censitaires qui figurent parfois au milieu des actes de cession, ou dans les cueilloirs, fournit une prépondérance écrasante d’hommes ; pour le xiiie siècle, j’ai compté, dans ce type de sources, presque 1100 patronymes d’hommes pour moins de 250 de femmes. Voir entre autres Viry (1293 : AN, S 433, 9), Hôtel-Dieu (1284 : Arch, hospit. Amiens, A 426, AD Somme, F 500). On notera cependant que, sur les 228 interventions directes des femmes, 31 font appel à l’approbation du mari : les autres sont-elles des veuves ? Notons d’ailleurs au passage que le mot même de vidua est loin d’être constant pour les dons féminins.

12 Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon (éd.), Paris, 1899, chap, lvii, art. 1626 et suiv. Un peu plus au sud : Fr. Olivier-Martin, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, t. 2, Paris, 1926, p. 159 et suiv.

13 Cf. le tableau général. On pourra observer un assez net accroissement des cas de donations par couple isolé après 1250-1260 ; mais je tiens ce fait pour n’avoir comme cause que le gonflement des documents conservés et non une évolution de la structure familiale.

14 314 exemples d’approbations par un héritier direct, dont 45 filles. Je ne sais trop que faire d’une vingtaine de cas où l’aval d’un fils et d’une fille est requis simultanément : question de famille croupion ? De statut familial original ? Nature du bien concerné ?

15 Cette forte pression des collatéraux immédiats (136 frères et sœurs) ou des ascendants (55 cas) est, cette fois, un élément structurel intéressant : motifs juridiques ? Pour cette question et celle des notes précédentes, les inégalités du nombre des cas paraissent ne pas tenir à la nature de l’établissement bénéficiaire : le tableau général montrera que les pourcentages par rapport aux actes conservés sont très proches.

16 Voir Dots et douaires..., op. cit.

17 R. Fossier, Les hommes et la terre..., op. cit., p. 272-277. J’y avais noté des variations régionales possibles ; sur la modeste zone que j’étudie ici, les différences de masse restent peu discernables (avec quelques cas extrêmes : rien ou presque à Arrouaise, Mont-Saint-Quentin, Saint-Fuscien, Saint-Laurent ou Saint-Quentin-en-l’Île, mais forte proportion chez les cisterciennes ou les chapitres cathédraux).

18 Les exemples les plus anciens que je relève dans la région sont de 1200 (BnF, ms. lat. 5478, fol. 15), de 1201 (AN, L 1001, 13, 14), de 1202 (AD Somme, 9 H 230).

19 J’ai rencontré quelques cas un peu particuliers : femme ou même veuve renonçant à son douaire (Fervacques, 1234 ; chapitre d’Amiens, 1247 ; chapitre de Saint-Quentin, 1262 ; Saint-Jean d’Amiens, 1284) ; aveu de non-application de la réassiette (chapitre de Saint-Quentin, 1262) ; étranges objets d’échange : rentes viagères à une servante (chapitre de Saint-Quentin, 1244) ; abandon d’un hôte (Saint-Acheul, 1230).

20 Abréviations : AD : Archives départementales ; AH : Archives hospitalières ; AN : Archives nationales (Paris) ; BM : bibliothèque municipale ; BnF : Bibliothèque nationale de France (Paris) ; SAP : Société des antiquaires de Picardie (Amiens).

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