Iustitia in qua uirtutis splendor est maximus.

Cicéron, De officiis, Lib. 1, VII, 20.

1Le livre que nous offre Élisabeth Schmit est le fruit d’une thèse de doctorat qu’elle a soutenue en Sorbonne, à l’École d’histoire de l’université Paris 1, le 14 novembre 2019. Son objet, l’étude des grands jours du parlement de Paris au milieu du xv^e siècle, comble incontestablement une lacune. Si les grands jours de la période médiévale sont souvent évoqués dans les manuels d’histoire institutionnelle et d’histoire politique, ils n’avaient jamais donné matière à une recherche exhaustive pour le milieu du xv^e siècle, au contraire des grands jours de la période moderne. C’est dire si ce livre est bienvenu. Il l’est d’autant plus qu’il vaut par deux qualités premières : son angle d’approche et la solidité de sa démonstration. Aux confins de l’histoire politique, de l’histoire institutionnelle et de l’histoire du droit, l’approche d’Élisabeth Schmit s’inscrit en effet dans une démarche d’histoire renouvelée qui interroge la pratique de la justice en interaction étroite avec la conjoncture politique dans laquelle elle s’inscrit. Cette histoire politique de la justice est un point fort de la démarche qui permet de restituer tout le dynamisme du parlement de Paris, capable de se transporter au milieu du xv^e siècle dans plusieurs villes du royaume pour juger au nom du roi. Là est la solidité de la démonstration qui prend appui sur une analyse précise et exhaustive de l’ensemble de la documentation disponible, en particulier judiciaire – en l’occurrence les registres des grands jours du parlement de Paris –, mais aussi les archives de la chancellerie royale, les registres du parlement de Toulouse, de même que plusieurs fonds d’archives départementales et municipales, correspondant aux lieux où se sont tenus les grands jours au milieu du xv^e siècle : Archives départementales de la Gironde, en particulier les fonds ecclésiastiques de l’archevêché et du chapitre Saint-André de Bordeaux, Archives municipales de Poitiers, notamment les registres de délibérations de la ville et le mémoire écrit pour obtenir une « chambre de parlement » en 1454, Archives du Puy-de-Dôme enfin pour les archives du bailliage de Montferrand. L’exploitation de ce dernier fonds a été essentielle car les registres des trois sessions des grands jours de Montferrand ont disparu, à la différence des registres de Poitiers et de Bordeaux. L’énigme de cette disparition demeure, d’autant que, pour les grands jours de Montferrand de 1481, le registre nous est parvenu. À cette large documentation archivistique, Élisabeth Schmit a ajouté les écrits des penseurs, théoriciens du pouvoir et chroniqueurs du temps pour une mise en contexte.

2Les grands jours royaux du milieu du xv^e siècle attendaient une étude d’ensemble. En effet, si les registres de Bordeaux ont fait l’objet d’une édition ancienne, celle-ci n’a pas débouché sur une étude en tant que telle, et les registres de Poitiers-Thouars sont finalement restés à l’écart des investigations. Or ce sont sept sessions qui se sont réunies entre 1454 et 1459, à raison de deux sessions en 1454 (Montferrand et Poitiers), deux en 1455 (Montferrand et Thouars), deux en 1456 (Montferrand et Bordeaux), une en 1459 (Bordeaux). Pourquoi un tel déploiement du parlement de Paris et de sa justice d’appel sous la forme des grands jours, c’est-à-dire l’envoi de parlementaires dans plusieurs villes – quatre précisément – choisies par le pouvoir royal, à ce moment précis de l’histoire du royaume ? C’est à cette question qu’entend répondre le présent livre. Pour y parvenir, Élisabeth Schmit a dû se départir de deux historiographies. En premier lieu, l’historiographie qui a analysé les grands jours du xv^e siècle à l’aune des grands jours du xvi^e et surtout du xvii^e siècle et dont il n’était pas sûr que les caractéristiques aient été les mêmes que pour les grands jours du temps de Charles VII. Ensuite, une autre historiographie, plus ancienne, qui faisait des grands jours du Parlement du xv^e siècle les héritiers des grands jours de Troyes. Dans cette historiographie, l’idée soutenue était la suivante : les grands jours avaient d’abord été une institution seigneuriale qui serait devenue royale. La thèse a été l’occasion de revisiter ces affirmations.

3Structuré en trois grandes parties, le livre analyse dans un premier temps les raisons de l’envoi de parlementaires dans certaines villes du royaume au cours de la décennie 1450. Le titre de la partie – « La réintégration du royaume » – dit bien les enjeux d’une telle entreprise pour le pouvoir royal. Revenant ici sur les travaux antérieurs, le propos montre que les grands jours de Charles VII sont une innovation puisque, s’ils reprennent certaines caractéristiques des grands jours de Troyes et des jours des princes, ils n’en sont pas la réplique. C’est aussi cette spécificité qui est interrogée. Le contexte renvoie à la fin de la guerre de Cent Ans et à la politique de « reconstruction du royaume ». L’examen est ici précis, il insiste à juste titre sur le rôle des institutions, au premier rang desquelles le parlement de Paris. Il faut toutefois noter que, dans les études qui mettent en avant le parlement de Paris, les grands jours n’ont jamais vraiment été traités, ni même évoqués, comme une forme de déploiement de la justice royale. Un déploiement qui répond aussi à une riche réflexion sur la justice que développent, dans l’entourage de Charles VII, des conseillers, acteurs de la vie politique, à l’image de Jean Juvénal des Ursins ou de Thomas Basin. Même si leurs écrits charrient des vérités d’évidence sur les liens entre paix et justice, tous insistent sur le rôle du roi dans l’œuvre de restauration de la paix, qui ne peut se faire que par l’exercice d’une bonne justice. Charles VII a beaucoup légiféré à partir des années 1440. Surplombant l’ensemble de cette législation, un texte s’impose : il s’agit de la grande ordonnance de Montils-lès-Tours de 1454, ordonnance globale de réforme de la justice. Une très belle lecture en est proposée. L’article 21 de l’ordonnance semble évoquer sans le dire les grands jours, quand il évoque la mise en place d’une sorte de commission des renvois. Frappant dans cette ordonnance est combien elle entend impliquer tous les acteurs de la justice dans sa réorganisation : juges bien sûr, ensemble des praticiens, mais aussi justiciables, eux ou leurs représentants, ce qui en dit long sur les progrès de la sujétion au lendemain de la guerre de Cent Ans. La victoire du roi, c’est aussi cela. Le livre montre combien les grands jours ne peuvent se comprendre sans être replacés dans ce moment particulier de réforme et d’affirmation des cours souveraines. Envoyer les grands jours est une initiative royale et le choix des villes relève d’une décision politique. C’est cette question qui est ensuite logiquement abordée dans un très beau deuxième chapitre, très documenté. Trois villes ont accueilli les grands jours du Parlement : Montferrand, Poitiers avec Thouars, car Élisabeth Schmit montre que le choix de Thouars s’explique par des raisons conjoncturelles – l’épidémie qui touche la ville de Poitiers en 1455 –, Bordeaux enfin. Pour les grands jours de Montferrand, importants à l’évidence aux yeux du roi car le Parlement y est envoyé trois années de suite, l’enjeu est double : d’une part, affirmer la justice royale au cœur même d’une principauté forte, celle des ducs de Bourbon, d’autre part, étendre l’emprise du ressort du parlement de Paris dans les terres de Haute-Auvergne, plus enclines à porter leurs appels devant le parlement de Toulouse. Dans le cadre de la rivalité avec le duc de Bourbon, on comprend que la venue des grands jours revêt en terre d’Auvergne une telle acuité au milieu du xv^e siècle. Se joue ici une affaire de concurrence autour de l’appel. Rappelons que le duc de Bourbon possède des grands jours : grands jours de Bourbonnais, grands jours d’Auvergne, juge d’appel en Forez et en Beaujolais. Mais ces instances d’appel ont des statuts différents car la situation juridique de ces territoires n’est pas la même, entre biens patrimoniaux et apanages. La faiblesse ducale tient au fait que le duc ne possède pas d’instance d’appel à l’échelle de sa principauté. Alors que le roi peut proposer aux justiciables du duc une juridiction d’appel englobant la principauté dans son entier par le biais des grands jours puisque le ressort des grands jours de Montferrand embrasse et dépasse les limites de la principauté bourbonnaise, le duc, lui, ne le peut pas.

4Pour Poitiers, Élisabeth Schmit explique le choix du siège en le mettant en rapport avec la demande des Poitevins d’un retour d’une chambre de parlement dans la ville, elle qui avait été le siège du Parlement de Charles VII durant le schisme royal. Une très belle analyse du mémoire adressé par les habitants pour justifier ce retour est proposée. Finalement, ce dont il est question, c’est la forme que doit avoir ce Parlement. Très habilement, les Poitevins insistent sur l’idée que le Parlement siège à Paris, mais qu’il ne peut pas être appelé « parlement de Paris ». Il est le « parlement du roi séant à Paris ». À cet argument, les parlementaires parisiens répondent que, le Parlement représentant le roi, il ne peut être divisé, au risque de diminuer la souveraineté royale. Bel argument bien sûr qui peut aussi expliquer que les Poitevins ne demandent pas finalement un autre Parlement en tant que tel, malgré ce que disent les commentateurs, mais une « chambre » du Parlement. Cette querelle lexicale est importante, pour ne pas dire essentielle : une camera n’est pas une curia, et dans une autre confrontation pour une exclusivité judiciaire, celle qui oppose au même moment la Chambre des comptes au parlement de Paris, c’est aussi cet argument qui est avancé.

5Enfin, le choix de Bordeaux tient au contexte, celui de la reconquête récente, qu’il faut fortifier. Un premier Parlement a été mis en place en 1451, dès après la prise de Bordeaux, mais il disparaît avec le retour de la guerre. Après Castillon et la reconquête définitive de Bordeaux, en 1453, il n’est plus question d’un Parlement pour la Guyenne, dans la mesure où la fidélité attendue des Bordelais en 1451 a failli. La motivation politique est ici plus forte : ce qui est en jeu, c’est la mise en sujétion d’une région fragile politiquement. Au terme de l’analyse, Élisabeth Schmit pose la question : « Comment à la fois réaffirmer l’unité du royaume de France et satisfaire aux besoins et intérêts de tous, équitablement, et dans un royaume élargi ? », avant d’ajouter : « Ce à quoi la royauté se trouve confrontée, c’est l’équation de l’inévitable division à venir alors que l’unité est à peine retrouvée ». C’est finalement la solution des grands jours qui répond à l’enjeu du moment. Ces grands jours ont-ils été pour autant des « parlements chimériques », selon l’expression de Jean-Marie Augustin ?

6C’est cette question qui traverse la deuxième partie, joliment intitulée (« Faire parlement »). Le développement permet de saisir concrètement les grands jours dans leur assise territoriale. D’abord – c’est l’objet du troisième chapitre –, le propos s’intéresse aux arguments avancés dans les lettres royales pour justifier la venue des grands jours dans les villes choisies. Les lettres adressées aux juges entrent en parfait écho avec l’ordonnance de 1454. Tout ce qui a trait aux dysfonctionnements de la justice – lenteur, distance, abus des juges et des justiciables, guerre – est repris. Surtout, ces lettres s’accompagnent de la délimitation d’un ressort. L’étude est très minutieuse. Elle part d’abord du rôle des assignations qui avait cours au parlement de Paris en 1454-1455, qui est confronté aux appels effectivement reçus par les parlementaires. Deux constantes émergent : la première est que les appels proviennent presque exclusivement des juridictions royales, la seconde que les appels en provenance des tribunaux des princes sont nombreux. La cour peut alors procéder à un tri en renvoyant devant les justices royales ou princières les appels venus omisso medio. Finalement, la cour hiérarchise la justice princière et structure le ressort effectif qui est le sien. Il faut noter que, en ce milieu du xv^e siècle, la mise en ordre de la justice dans le royaume est encore grandement l’affaire des princes, selon le schéma gouvernemental qui avait été dessiné dans les années 1370 par Charles V. Mais dans le même temps, les ressorts annoncés pour les grands jours de 1454 – notamment celui de Montferrand – permettent de réaffirmer la présence royale en terre apanagiste et princière. Il y a là un double mouvement, et on regrette bien sûr la perte des registres des sessions de Montferrand pour voir ce qu’il en a été du ressort effectif par rapport au ressort annoncé. Dans le cas de Poitiers et de Thouars, Élisabeth Schmit montre avec précision, chiffres à l’appui, que le ressort effectif est beaucoup plus réduit que le ressort annoncé. Il a dû en être de même à Montferrand si l’on en croit la ventilation des appels lors des grands jours de 1481. À cette session, comme il a pu être montré par ailleurs, près de 70 % des appels traités par les juges provenaient de l’Auvergne, notamment du bailli royal, les appels en provenance du duché de Bourbonnais n’atteignant pas 8 % de l’ensemble. Toujours est-il que le déploiement de la justice royale, sous forme des grands jours, doit s’entendre comme une représentation. Les juges qui forment la cour s’installent dans les villes qui sont des capitales au sein de palais à la valeur symbolique signifiante : palais de justice à Poitiers qui avait abrité le Parlement de Charles VII, palais de l’Ombrière à Bordeaux. Dans les villes choisies, tous les attributs du pouvoir justicier sont mobilisés. Sans conteste, les grands jours ont bien été un instrument de conquête juridictionnelle. Et ce pour servir une ambition : être dans son expression et son fonctionnement la cour de Parlement. C’est ce point qui fait l’objet du quatrième chapitre. Il y a là une étude très neuve. Élisabeth Schmit analyse comment ce « moment de justice », sur six à huit semaines, en septembre-octobre, reproduit l’espace ritualisé du Parlement avec ses acteurs : magistrats, procureurs, avocats, justiciables. La précision de l’examen permet de dégager des nuances qui ne sont pas négligeables d’une session à l’autre. Parlement, les grands jours fonctionnent bien à l’image de la cour parisienne.

7Arrivé à ce stade de la démonstration, il restait fort logiquement à entrer dans le fonds de la matière, c’est-à-dire analyser le contenu des affaires. C’est ce que propose la troisième partie (« La justice en acte(s) »). Sur le plan de la méthode, l’autrice exploite la « métasource » qu’elle a construite, et le lecteur curieux pourra trouver la méthodologie et le contenu des 429 dossiers judiciaires qui la compose dans le volume 2 de la version manuscrite de la thèse. La démonstration est faite en deux temps : avec le chapitre cinq d’abord, qui s’intéresse à l’action juridictionnelle proprement dite, avec le chapitre six ensuite, qui présente les justiciables et les types d’affaires. L’étude mêle quantitatif et qualitatif. Concernant la procédure, l’apport est très riche dans la mesure où aucune enquête de ce type n’avait jamais été menée. L’analyse confirme combien le parcours juridictionnel est chaotique, et les changements de juridiction nombreux. On est frappé par la façon dont les plaideurs savent se muer au sein des juridictions pour choisir leur juge, témoignant par là même d’une acculturation à la fois juridique et judiciaire développée, et quand bien même, on s’en doute, les procédés utilisés sont souvent le fait des procureurs ou des avocats des parties. Dans cette stratégie, la facilité à obtenir des lettres royales par le biais de la chancellerie ou des tabellionnages royaux est assez éloquente, et l’interprétation qui en est faite intéressante. Elle va plus loin que celle que proposait Bernard Guenée dans sa thèse, qui, devant cette propension de la chancellerie royale à délivrer des actes, ne voulait toutefois pas y voir un moyen d’affirmer la justice et la puissance royales. Pour Élisabeth Schmit, cette « générosité » est au contraire très politique, car au bout du compte, dans la mesure où ce sont finalement les juges d’appel qui arbitraient en acceptant ou non de recevoir les lettres, cette faculté leur permettait d’insérer plus largement les sujets dans les rets de la justice royale. Grâce aux données exploitées, c’est un remarquable état de ce qu’a été l’activité des juges des grands jours qui est offert à la lecture : nombre et rythme des audiences, répartition des causes, nombre de jugements rendus, incidents de procédure, nombre d’audiences consacrées par affaire, etc. Sans grande surprise, le nombre de procès qui font l’objet d’un jugement rendu est très faible. Sur le fond, la litigiosité devant les grands jours – acteurs et affaires – est largement à l’unisson de celle dégagée pour les sessions parisiennes du Parlement. Les causes relatives au patrimoine et aux droits seigneuriaux, à côté de celles relatives aux rentes et aux dîmes ecclésiastiques ou aux refus d’obligations fiscales et banales sont nombreuses. Elles ont un rapport direct avec la question de la reconstruction des campagnes. Il faut y insister : surreprésentation de la noblesse, affaires en grande partie ayant trait aux patrimoines seigneuriaux, il est clair que le pouvoir royal ne peut se reconstruite sans la noblesse dont il entend défendre les prérogatives. Les causes autour de l’application de l’édit de Compiègne jugées par les grands jours de Bordeaux doivent aussi être analysées à l’aune de cette réalité.

8Au terme de cette riche démonstration, comment les grands jours nous apparaissent-ils ? Après plusieurs décennies de guerre et de divisions politiques qui ont gravement affaibli l’autorité royale, les grands jours ont été un instrument politique et symbolique au service du roi, qui a cherché à réaffirmer son pouvoir sur l’ensemble du territoire. Leur tenue a permis une intensification de la politique judiciaire de la royauté, et la reprise d’une relation de justice de proximité, entre un roi-justicier et ses sujets-justiciables. Les grands jours sont aussi un temps important dans l’histoire de la sujétion, qui est finalement la grande affaire de la royauté à partir du milieu du xv^e siècle. La mise en scène et l’exercice de cette justice à la fois « souveraine et ubiquiste », à l’aube de la création des parlements de province, s’insèrent dans l’affirmation d’une politique, d’un discours et d’une activité législative destinés à pérenniser la paix.

9Il reste que l’analyse révèle des différences importantes entre les grands jours de Poitiers/Thouars et ceux de Bordeaux. À l’évidence, les seconds sont une façon de poursuivre la conquête militaire puisque le pouvoir royal doit imposer l’ordre juridictionnel dans un espace encore fragile. Les différences confirment ainsi la tonalité très politique des grands jours de Bordeaux. Ce constat est-il annonciateur d’un changement, à savoir une évolution vers une politisation plus forte des grands jours ? On en vient, une nouvelle fois, à regretter l’absence des registres des trois sessions montferrandaises ! Surtout quand on lit le registre dressé pour les grands jours de Montferrand en 1481. L’auteur de ces lignes a pu montrer que l’envoi de parlementaires dans la capitale auvergnate, à ce moment précis du règne de Louis XI, a répondu à une situation politique particulière : le procès politique intenté à la maison de Bourbon en 1480, qui a été l’occasion pour le parlement de Paris de rappeler au duc de Bourbon ce qu’était l’ordre socio-politique dans le royaume. Un an après, le roi dépêcha les grands jours en terre d’Auvergne, au cœur de la principauté bourbonnaise, pour une session unique, afin de faire marteler sur le terrain, par les juges souverains, les principes de sujétion et de fidélité à l’ordre royal énoncés un an plus tôt.

10La conclusion du livre ouvre sur la période moderne. Entre les jours de Troyes de 1367 et les grands jours de Clermont de 1665, Élisabeth Schmit s’interroge sur l’évolution et la cohérence de l’institution. Quatre temps sont distingués : le second xiv^e siècle, jusqu’aux années 1400-1410, où domine une institution seigneuriale et princière ; le milieu du xv^e siècle, objet de la thèse : c’est le parlement de Paris qui se déplace, avec la tenue simultanée de sessions dans plusieurs villes du royaume ; le xvi^e siècle, avec des sessions qui se tiennent après la création des parlements de province ; enfin le xvii^e siècle, de part et d’autre de la décennie 1650, avec des sessions mouvementées à l’image de celle de Clermont en 1665. À lire la liste des sessions, le facteur politique apparaît prégnant dans certains cas : par exemple, la session de Moulins de 1534 est consécutive au rattachement des terres bourbonnaises à la Couronne ; la venue des grands jours marque symboliquement la disparition du dernier grand espace princier du royaume. Resterait peut-être aussi, pour mieux cerner les grands jours du xvi^e siècle, à les intégrer dans un paysage juridictionnel qui ne se limite plus désormais en matière d’appel seulement au parlement de Paris et aux parlements de province. La création des présidiaux en 1552 a-t-elle modifié la logique des grands jours de l’époque moderne ?

11Replacés dans une histoire longue, les grands jours du milieu du xv^e siècle sont bien une singularité. Mais à quel ordre rattacher véritablement ces sessions du Parlement : à l’ordre ordinaire ? ou à l’ordre extraordinaire ? Est-ce « le Parlement lui-même, rendu ambulatoire » comme l’a écrit Gustave Ducoudray ? Selon cette affirmation, on serait pleinement dans l’ordre de la justice déléguée du roi. Mais une autre lecture a été proposée : si les gens du Parlement forment les grands jours, ils sont institués par commission du roi. La qualité de commissaire l’emporte-t-elle dès lors sur celle d’officier ? La question a été posée par Jean-Marie Carbasse. Il y a là un débat.

12Je ne doute pas que le lecteur sera pleinement convaincu par la démonstration d’Élisabeth Schmit : les grands jours permettent une temporisation, ils rendent possible une démultiplication plutôt que la division, ils intensifient l’activité judiciaire du Parlement qui peut ainsi représenter souverainement le roi en plusieurs lieux d’un royaume réuni et renforcé. A-t-on jugé que, en 1459, la mission avait réussi et qu’il n’y avait plus nécessité de continuer sur cette voie avec une telle régularité ? Peut-être. Mais il convient de prendre en considération un autre élément : la question des moyens financiers, en d’autres termes la question de la logistique. Certes, il s’agit d’une question plus terre-à-terre, mais non moins essentielle. Envoyer une partie du Parlement dans le royaume, parfois en deux endroits au même moment, soit 60 à 80 personnes chaque fois, avec leurs archives, leurs clercs, leur personnel, qu’il faut loger, nourrir, et auxquelles s’ajoutent, sur place, les praticiens, les justiciables, sans oublier l’aménagement des lieux d’accueil : rien de cela n’était une mince affaire. La question logistique et financière s’est indubitablement posée. Les sources sont peu prolixes sur ce point ; il s’agit toutefois d’un élément à considérer quand on réfléchit aux causes de la non-perpétuation de cette « innovation institutionnelle ».

13On l’aura compris à ces quelques remarques. Riche de ses apports, remarquable par la clarté de son exposition, profond par sa réflexion, le livre d’Élisabeth Schmit est très important. Souhaitons qu’il soit lu et médité, tant par les historiens du politique que les historiens du droit qui réfléchissent au pouvoir royal, car il apporte un nouvel éclairage sur l’histoire politique et judiciaire du règne de Charles VII.